Nous commençons la réunion.
[Traduction]
Bienvenue à la 45e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement social. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions religieuses et aux bouleversements perpétrés en Irak, en Syrie et dans la région par l’État islamique en Irak et au Levant, ou l’EIIL.
Nous avons le plaisir d’accueillir comme témoins Mme Jane Pearce, directrice de pays, Programme alimentaire mondial des Nations Unies; les représentants de Vision mondiale Canada, Martin Fischer, directeur des politiques, et Bart Witteveen, directeur, Affaires humanitaires et urgences; et finalement, M. Emmanuel Gignac, coordonnateur, Irak du Nord, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Sans plus tarder, nous allons amorcer les témoignages. Chaque témoin aura jusqu’à 10 minutes pour présenter son exposé. Nous passerons ensuite aux questions des membres.
Madame Pearce, vous avez la parole.
:
Merci beaucoup. Bonjour à tous.
C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui à titre de représentante du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, une organisation dont le financement est assuré par des contributions volontaires et dont le travail a souvent été rendu possible grâce à la générosité des Canadiens. Le Canada est un partenaire important dans la lutte contre la faim et se trouve toujours parmi les principaux donateurs pour les interventions du PAM dans le monde entier. Le fait que le PAM demeure le principal bénéficiaire de l’aide humanitaire canadienne en dit long sur le partenariat qui nous unit.
Si 2014 fut une année mouvementée, 2015 s’annonce tout aussi tumultueuse pour les interventions du PAM aux quatre coins du globe. Néanmoins, le PAM continue de répondre aux besoins avec efficience et efficacité. Malgré les défis énormes que présentent des interventions dans des pays comme l’Irak, le PAM ne cesse de faire preuve d’innovation dans la façon dont il fournit son aide alimentaire. Cela témoigne de l’engagement de notre personnel sur le terrain. Ils sont à l’écoute des donateurs comme vous, des partenaires sans qui leur travail serait impossible, mais, surtout, des populations auxquelles ils viennent en aide.
Au nom du PAM, j’aimerais vous remercier pour vos contributions à nos interventions d’urgence. Grâce au soutien indéfectible de donateurs comme le Canada, le PAM a pu venir en aide à 1,7 million d'Irakiens déplacés à l’intérieur de leur propre pays depuis le début de la crise, en 2014. Lors de la première contribution du Canada à l’intervention d’urgence du PAM, en mars 2014, nous manquions cruellement de fonds. Cette première contribution ne pouvait arriver à un meilleur moment. Je vous en dirai plus sur ce que la contribution de 13 millions de dollars du Canada a permis d’accomplir pour les personnes touchées par le conflit en Irak.
Avant d’aborder la crise actuelle, je crois qu’il serait utile de vous présenter un court historique de la présence du PAM en Irak. Depuis 1991, le PAM travaille avec les gouvernements irakiens successifs afin de fournir une aide alimentaire à ceux dont la vie et les moyens de subsistance ont été mis en péril par les conflits et les catastrophes naturelles. Malgré ses importantes ressources pétrolières et son potentiel économique énorme, l’Irak a vu son développement arrêté par une succession de conflits. Protéger les Irakiens les plus pauvres et les plus vulnérables contre les répercussions de cette violence est un défi constant.
L’Irak dispose d’un important filet de sécurité sociale — le système public de distribution — qui vise à briser le cycle de la pauvreté en fournissant à chaque Irakien une ration alimentaire mensuelle.
Au début de 2003, lorsqu'il est devenu clair que la guerre ferait probablement détraquer le système public de distribution laissant 27 millions d’Irakiens, dont 60 % en sont totalement dépendants, sans nourriture, le PAM a pris le contrôle du système pour le remettre aux mains du gouvernement, en 2004. Il était essentiel de doter le personnel des ministères pertinents de la capacité d’en assurer le fonctionnement. Cette étape marqua le début de la relation de travail entre le PAM et le gouvernement irakien actuel.
Tandis que le gouvernement travaillait à stabiliser la situation politique et économique du pays au lendemain de la guerre, le PAM s’est engagé à améliorer les perspectives d’avenir de la prochaine génération d’Irakiens grâce à un programme spécial de soutien nutritionnel à l’intention des mères et des enfants.
Lorsqu’une violence sectaire a déferlé sur l’Irak, en 2006, le PAM a lancé une intervention régionale d’urgence pour venir en aide aux personnes déplacées à l’intérieur du pays, ainsi qu’aux réfugiés irakiens en Syrie. En vigueur jusqu’en juin 2010, cette intervention est venue en aide à plus d’un million de personnes.
Depuis 2010, le PAM s'est concentré à renforcer la capacité du gouvernement à gérer et à développer son filet de sécurité sociale. En 2012, l’Irak a ouvert ses frontières et accueilli des réfugiés syriens dans ses gouvernorats du Nord et de l’Ouest. Le Canada a alors offert de fournir 3,4 millions de dollars, des fonds dont le PAM avait grandement besoin pour cette intervention régionale. En janvier 2014, lorsque cette nouvelle crise a éclaté, nous étions engagés à fournir une aide alimentaire aux réfugiés syriens en Irak.
L’an dernier, le PAM a dû s'adapter et élargir son rôle en Irak et fournir une aide alimentaire aux victimes des actes de violence de l’EIIL au pays. En raison de la récente crise en Irak, on estime à 2,8 millions le nombre de personnes touchées par l'insécurité alimentaire, y compris les personnes déplacées dans le pays, les communautés qui les accueillent, ainsi que d’autres groupes vulnérables touchés par le conflit et qui ont besoin d’une aide alimentaire et agricole immédiate, et d’une aide à la subsistance.
Une grande partie de la production irakienne de blé provient du nord de l’Irak, une région actuellement instable, et presque toutes les ressources en eau du pays traversent des zones sous le contrôle de l’EIIL et de groupes armés affiliés, ce qui met en péril la sécurité alimentaire de nombreux Irakiens.
Les récoltes de juin ont été gravement touchées, ce qui réduit la disponibilité de la nourriture à l’échelle du pays. Le conflit a également entraîné une interruption du système public gouvernemental de distribution de rations alimentaires dans certaines régions du pays, ce qui a touché plus de 4 millions de personnes qui ne sont pas déplacées, mais qui dépendent de ce système pour plus de 50 % de leur apport énergétique.
Parce que les besoins des personnes déplacées évoluent, le PAM doit toujours adapter l'aide qu'il fournit. Au cours du premier trimestre de l’année, nous avons travaillé avec l’OIM afin de nous assurer que les personnes déplacées à Anbar avaient de la nourriture et des réchauds pour la cuisine. Pendant que les familles fuyaient Mossoul en errant de lieu en lieu, sans pouvoir ne rien emporter, le PAM a conçu pour l'Irak des rations alimentaires prêtes à manger spécialement emballées, y compris des dattes, la gâterie préférée des Irakiens. Lorsqu’un raz-de-marée de personnes fuyant l’avance de l’EIIL vers le district de Sinjar dans le gouvernorat de Ninive a déferlé sur le Nord, le PAM a ouvert des cuisines de campagne pour les accueillir. Celles-ci ont permis de servir deux repas par jour à un maximum de 224 000 personnes, offrant ainsi un répit bien mérité à des populations qui avaient perdu leur maison, leurs biens et même parents et amis. Nous continuons de travailler étroitement avec le HCNUR afin de définir les besoins des Irakiens déplacés et des réfugiés syriens qui arrivent dans les camps et autres colonies et d’y répondre.
La première contribution du Canada — 2 millions de dollars — à l’action du PAM en Irak a servi à acheter 1 500 tonnes métriques de colis alimentaires familiaux qui ont permis de nourrir 520 000 personnes vulnérables pendant tout un mois. Alors qu’un hiver rude s’installait et que le volume des déplacements se stabilisait, le PAM a mis en place un système de coupons alimentaires pour les populations déplacées dans les zones urbaines de la région du Kurdistan. D’une valeur de 32 $ par mois, par personne, ces coupons peuvent être utilisés dans les magasins locaux.
Je suis heureuse d’annoncer que la réussite de ce programme dans le gouvernorat d’Erbil repose sur l’étroite collaboration entre le PAM et Vision mondiale, notre très précieux partenaire. Ces coupons permettent d’acheter des oeufs et du lait, du pain et du fromage, des fruits et légumes, de l’huile de cuisson et de la pâte de tomate. Ainsi, l’alimentation est plus diversifiée, l’économie locale est relancée et les gens ont le pouvoir de décider. Ces coupons ont été distribués à environ 340 000 personnes, ce qui a permis d’injecter près de 18 millions de dollars dans l’économie locale du Kurdistan où les marchés fonctionnent bien.
En 2015, le PAM compte passer à des coupons électroniques. Un homme qui a utilisé son coupon la semaine dernière dans la ville d’Ebril nous a déclaré que ces coupons lui ont redonné, à lui et à sa famille, plus de choix, plus de dignité et plus d’indépendance. Je suis heureuse de vous annoncer que la contribution de 13,4 millions de dollars que le PAM a reçue du Canada à la fin de 2014 a été allouée à ces coupons. Votre contribution permettra d’offrir un coupon alimentaire mensuel à 260 000 personnes.
Ces résultats n'ont pas été faciles à obtenir. Les affrontements continus, les sièges et le déplacement imprévisible de la ligne de front ont souvent empêché le PAM de porter secours aux populations de l’ouest, du centre et du nord de l’Irak. En mai, la distribution de nourriture dans le gouvernorat d'Anbar était devenue trop dangereuse en raison des combats. Avec la coopération de notre partenaire local, nous avons finalement pu y retourner en octobre 2014. Le PAM continue de chercher des moyens de fournir de l’aide aux régions difficiles d’accès. Nous avons réussi à faire parvenir de la nourriture dans le gouvernorat de Salah al-Din et avons pu rapidement venir en aide aux familles retournant dans les communautés dévastées des zones libérées du gouvernorat de Ninive. Bien que le PAM soit prêt à venir en aide à tous ceux qui en ont besoin, pour y parvenir, il devra accroître la capacité des ONG locales partenaires. Pour l’heure, l’aide aux régions difficiles d’accès, comme celle d’Anbar, est assurée et s’appuie en grande partie sur un seul partenaire local. Mais, le PAM ne peut malheureusement pas utiliser d’argent comptant ou de coupons dans les zones disputées faute de marchés fiables sur lesquels compter.
Malgré les obstacles liés à la logistique et à la sécurité, je suis heureuse de vous annoncer qu’en 2014, le PAM a réussi à fournir une aide alimentaire à 1,77 million de personnes touchées par le conflit en Irak. Mais, il reste encore beaucoup plus à faire. Nous demeurons très préoccupés par la sécurité alimentaire des quelque 1,3 million de personnes qui se trouvent dans les zones occupées par des militants où le prix de la nourriture monte en flèche et où les services essentiels ne fonctionnent que de façon intermittente. En ce moment même, les militants de l’EIIL se massent aux alentours de Kirkouk et font planer la menace d’une attaque sur Mossoul.
Comme tous les autres organismes d'aide humanitaire, nous nous préparons à de nouveaux exodes. Afin de mieux cerner la situation des zones occupées ou assiégées par l’EIIL, le PAM a recours à la collecte de donnée à distance afin de réunir de l’information sur la sécurité alimentaire des populations qui se trouvent dans ces régions. Les premiers résultats obtenus à Anbar montrent une inflation galopante du prix de la nourriture, ainsi qu’une pénurie des denrées alimentaires de base et de combustibles pour la cuisine.
Les partenaires locaux et internationaux continuent de renforcer leur collaboration afin d'élargir les zones desservies et de venir en aide au plus grand nombre possible de personnes vulnérables, dont les 1,3 million de personnes dans le besoin se trouvant dans les zones contrôlés par l’EIIL et des groupes armés affiliés. Une combinaison d’implantation sur le terrain, de surveillance discrète et de gestion à distance continuera d’être privilégiée, dans la mesure du possible. Les partenaires de l’aide humanitaire vont également accroître leur collaboration avec le secteur privé et d’autres secteurs non traditionnels afin d’intensifier l’aide.
Les enjeux sont élevés.
:
Merci, monsieur le président. Bonjour à tous.
Je m’appelle Martin Fischer. Je suis le directeur des politiques à Vision mondiale Canada. Je vais partager mon temps de parole avec mon collègue, Bart.
[Français]
Nous remercions l'ensemble des membres du comité de nous avoir invités à participer à cette importante étude sur la situation en Irak et en Syrie.
[Traduction]
Vision mondiale réagit aux urgences humanitaires en apportant une aide vitale, comme de la nourriture, des soins de santé, de l’eau potable, des installations sanitaires et des endroits sécuritaires pour les enfants. Nous sommes guidés par les principes humanitaires que sont l’humanité, l’impartialité, la neutralité et l’indépendance, et aidons ceux qui en ont besoin, peu importe leur religion, leur ethnicité, leur race ou leur sexe.
Nous répondons avec dynamisme à la situation humanitaire en Irak et en Syrie. D’ailleurs, notre président, Dave Toycen, et moi revenons tout juste de la région du Kurdistan en Irak où nous avons visité nos projets et discuté avec des enfants et des familles, le personnel du projet, des responsables du MAECD et des représentants de nos partenaires de l’aide humanitaire, comme le PAM.
Aujourd’hui, mon collègue, Bart Witteveen, directeur, Affaires humanitaires et urgences, et moi aimerions vous entretenir sur la situation humanitaire dans la région, puisque votre étude porte, en partie, sur les personnes déplacées, et vous parler de la réponse de Vision mondiale. Pendant ce temps, nous demandons au comité de tenir compte de trois recommandations. Premièrement, dans l’immédiat, utiliser la prochaine conférence d’annonces de contribution qui aura lieu au Koweït pour plaider en faveur des enfants irakiens et syriens. Deuxièmement, établir une distinction claire entre la réponse humanitaire du Canada et les engagements militaires et diplomatiques du pays dans la région. Troisièmement, profiter de toutes les occasions pour souligner l’importance de la paix pour les enfants syriens et irakiens.
La semaine dernière, dans la région du Kurdistan en Irak, j’ai discuté avec des enfants. Ils n’aspirent qu’à une chose: être des enfants. Dans tout ce chaos, ils veulent pouvoir jouer et apprendre. Ils nous racontent plutôt des histoires de supplice qu’aucun enfant ne devrait vivre. Leurs histoires racontant leur fuite et leur vie loin de chez eux sont déchirantes.
Prenez, par exemple, Salma, une jeune fille de 15 ans qui a dû s’enfuir avec sa famille après que des hommes armés aient tué son père. Sa mère fut si traumatisée par cet événement, qu’elle n’a pas dit mot depuis plus de trois mois. Aujourd’hui, Salma doit prendre soin de ses cinq frères et sœurs; le plus jeune n’a que deux ans. Son jeune frère, Edo, a 10 ans. Chez lui, il allait à l’école et travaillait fort dans l’espoir de devenir médecin. Il y rêve encore, mais il ne va plus à l’école. Il doit travailler pour nourrir sa famille et subvenir à leurs besoins. Parfois, il gagne suffisamment pour acheter des graines de tournesol ou des croustilles. Si la journée se passe bien, il peut acheter des légumes. Les soins médicaux sont dispendieux. Lorsqu’un des enfants est malade — ce qui arrive souvent avec de jeunes enfants —, la famille doit emprunter de l’argent pour payer les frais de médecin et acheter des médicaments. Edo passe ses journées à s’inquiéter s’il a gagné suffisamment d’argent pour acheter de la nourriture, ou une bâche ou du propane — n’importe quoi pour aider sa famille —, pendant que Salma assume les responsabilités familiales. Aucun enfant ne devrait s’inquiéter de la survie de sa famille. Salma et Edo paraissent beaucoup plus vieux que leur âge. La guerre fait vieillir les enfants trop rapidement.
Pourtant, l’histoire de Salma et d’Edo n’est pas inhabituelle. Des millions d’enfants syriens et irakiens vivent des situations similaires. Les progressions violentes des groupes armés, y compris l’EIIL, en Syrie et en Irak ont eu un impact sans précédent sur la population de ces pays, non seulement les minorités ethniques et religieuses, mais aussi des millions de musulmans. Bien que l’attention du monde soit portée sur l’Irak récemment, il ne faut pas oublier la situation alarmante en Syrie, où, selon certaines estimations, 5,6 millions d’enfants — soit environ la population totale du Grand Toronto — ont besoin d'une aide vitale. Comme d’autres témoins l’ont dit dans le cadre de cette étude, il s’agit d’une crise humanitaire sans précédent. Nous n’avons rien vu de tel depuis la Seconde Guerre mondiale.
:
J’aimerais maintenant parler des besoins des plus vulnérables et des répercussions de la crise sur eux. Dans notre travail, nous voyons l’incidence directe qu’elle a sur les familles et les enfants.
De nombreuses familles, comme celle de Salma, ont perdu des membres et ont fui avec très peu d’effets personnels, parfois même sans leurs papiers. Bien qu’il y ait des camps officiels, la plupart des familles déplacées, comme celle de Salma, vivent parmi les communautés locales dans des villages et des villes. Certaines louent des maisons — plusieurs familles se retrouvent souvent sous un même toit — et des appartements en mauvais état à un prix très élevé, tandis que nombreuses sont celles qui vivent dans des camps informels formés de structures improvisées dans des écoles ou des immeubles abandonnés. Nombre d’entre elles ne sont pas bien protégées contre les éléments — la chaleur en été et le froid, la neige et l’humidité en hiver — et ont un accès limité, voire inexistant, à l’eau potable et aux installations sanitaires. En conséquence, bien des enfants attrapent des maladies hydriques comme la diarrhée, et l’exposition au froid a eu des conséquences funestes pour les bébés et les petits enfants.
Comme celle de Salma et Edo, les familles luttent pour trouver des produits essentiels tels que de la nourriture, des vêtements et du carburant pour cuisiner et se tenir au chaud. Le manque de nourriture est à l’origine de cas de malnutrition, et comme Edo, nombre d’enfants en Syrie et en Irak doivent travailler pour aider à subvenir aux besoins de leurs familles. Ce besoin fait en sorte qu’ils doivent quitter l’école et se retrouver dans des situations dans lesquelles ils risquent davantage d'être exploités et victimes d’abus. L’éducation des enfants est aussi perturbée parce que les écoles sont devenues inutilisables, et il est difficile de transférer la documentation scolaire. Lorsque les enfants vont à l’école, les différences linguistiques et leur absence de plusieurs mois ou années font souvent en sorte qu’il leur soit difficile de suivre.
Les services médicaux ne sont pas facilement accessibles, et nombreux sont ceux qui n’ont pas les moyens de se les payer. Les établissements de santé ayant été endommagés ou détruits, et le personnel médical ayant été forcé de prendre la fuite, bien des personnes n’ont simplement plus accès aux soins de santé. Les parents de nouveaux bébés ont de la difficulté à enregistrer leur naissance, et les petits non comptabilisés risquent de ne pas pouvoir avoir accès à des services comme l’éducation et les soins de santé pour le reste de leur vie.
Enfin, le cycle de conséquences sociales a des répercussions dévastatrices sur les enfants. Des rapports crédibles ont fait état de graves violations de leurs droits à grande échelle par toutes les parties au conflit, dont le meurtre ou la mutilation, leur recrutement par des groupes armés, la violence sexuelle à l’égard des filles et des garçons, et l’obstruction à leur droit à l’éducation. Cela crée chez des enfants comme Salma et ses frères et sœurs un besoin urgent de routines normalisées et d’endroits sécuritaires où apprendre et jouer.
Nous avons travaillé activement à alléger le fardeau qui pèse sur les familles et les enfants de Syrie et d’Irak. À ce jour, Vision mondiale a recueilli près de 185 millions de dollars, dont des subventions du gouvernement du Canada, pour atteindre 1,7 million de bénéficiaires, avec des projets en Jordanie, au Liban, en Syrie et dans la région du Kurdistan en Irak, où Martin se trouvait récemment. Nos programmes visent les besoins les plus criants dans chaque contexte. Nous choisissons les bénéficiaires en fonction de critères de vulnérabilité et en collaboration avec des organismes onusiens et d’autres ONG pour faire en sorte que notre intervention ait la portée la plus vaste possible.
Nos projets consistent à offrir une aide alimentaire par le truchement de bons alimentaires ou d’argent comptant; une aide non alimentaire pour obtenir des articles essentiels comme du savon, du carburant et des articles pour résister à l’hiver comme des couvertures ou des poêles; de l’eau, des installations sanitaires et des interventions hygiéniques; des activités éducatives, comme des cours de rattrapage et de préparation à la vie; des espaces sécuritaires dans lesquels les enfants peuvent jouer et recevoir le soutien psychologique dont ils ont tant besoin; et des programmes de santé pour offrir des soins médicaux primaires et des services d’aiguillage aux populations déplacées.
Le gouvernement du Canada a offert un soutien constant et généreux à l’intervention humanitaire en Syrie et en Irak, et nous lui en savons gré, et le MAECD a su faire en sorte que ses dons soient adaptés à cette situation de crise fluide.
:
Permettez-moi de terminer avec des recommandations détaillées.
Alors que la crise en Syrie entame sa cinquième année, elle continue d'avoir des conséquences régionales, dont le conflit qui fait rage en Irak. Le besoin d’une action humanitaire impartiale, neutre et indépendante pour aider et protéger les familles et les enfants n’a jamais été aussi urgent. Voilà pourquoi nous aimerions formuler trois recommandations.
Premièrement, compte tenu du solide bilan du Canada en tant que donateur d’aide humanitaire, nous demandons que le gouvernement du Canada se fasse le champion de l’intervention humanitaire urgente et des besoins des enfants en encourageant ses partenaires internationaux à être aussi généreux qu’il l’a lui-même été. La conférence d’annonces de contributions qui se tiendra au Koweït le 31 mars sera une excellente occasion pour le de le faire.
Deuxièmement, nous demandons aux parlementaires de faire une nette distinction entre la réponse humanitaire du Canada et ses stratégies militaires et politiques. Lorsque vous débattrez du futur rôle militaire du Canada à la Chambre des communes, nous vous demandons de faire abstraction des questions d’aide humanitaire qui, comme nous l’avons déjà mentionné, doivent être fondées sur les principes et impératifs humanitaires.
Enfin, les enfants de Syrie et d’Irak veulent vivre en paix. Quelle que soit la tribune à laquelle vous participez, au Canada ou à l’étranger, pour composer avec les problèmes dans cette région, nous vous conseillons vivement de toujours penser à Salma et à ses frères et sœurs. La seule façon pour elle et ses amis d’avoir un avenir viable est de trouver une solution pacifique aux conflits sous-jacents.
En conclusion, je veux que vous imaginiez les enfants que j’ai rencontrés la semaine dernière, des enfants qui, en dépit de tout le chaos et la violence, ne perdent pas espoir et continuent de rêver de vivre dans la paix et la dignité. Le Canada peut jouer — et joue déjà — un rôle important pour veiller à ce que ces espoirs et ces rêves ne se volatilisent pas.
[Français]
Nous vous remercions de donner aujourd'hui à Vision mondiale Canada l'occasion de présenter sa perspective dans le cadre de cette importante étude. Il nous fera plaisir de répondre à vos questions.
:
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Je suis très reconnaissant d'avoir l'occasion de m'adresser aux membres du comité permanent. C'est un honneur pour moi et pour l'organisme que je représente aujourd'hui.
[Traduction]
Je vais continuer en anglais, car c’est ma langue de travail. Cela me facilitera la vie.
Je m’appelle Emmanuel Gignac et je suis le dirigeant de l’UNHCR dans la région du Kurdistan. Je suis maintenant en Irak depuis un peu plus d’un an, à Erbil, pour couvrir la région kurde de ce pays.
Je serai relativement bref. Je vais vous donner un aperçu de ce qui est maintenant devenu une situation unique avec, d’un côté, les réfugiés syriens et, de l’autre, la crise des personnes déplacées qui vient d’éclater. Je parlerai ensuite brièvement des défis qui nous attendent avant de terminer par la question du financement.
Premièrement, le flot de réfugiés syriens qui ont commencé à affluer dans la région kurde de l’Irak en 2012 a atteint son sommet en 2013. Plus de 50 000 d’entre eux sont arrivés en deux jours. Les chiffres montrent qu’au début de 2014, il y en avait 190 000. Leur nombre a maintenant atteint entre 220 000 et 230 000 depuis que nous avons observé un flux de réfugiés en provenance de la ville de Kobani vers la Turquie et de la Turquie vers la région du Kurdistan. Cela se produit depuis octobre, alors vous pouvez...[Note de la rédaction: inaudible]... la crise des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, qui a débuté un peu plus tôt en 2014.
Une majorité des gens vivent à l’extérieur des camps. Environ 60 % de la population de réfugiés partagent des services et vivent au sein de la communauté hôte. La vaste majorité des réfugiés se trouve dans la région du Kurdistan. Il y a neuf camps. Il y en a toutefois un qui se situe dans la province d’Anbar, zone maintenant sous le contrôle de l’EIIL. Nous sommes toujours en mesure de leur offrir de l’aide, mais de façon très ponctuelle et pas très fiable.
Les autres camps se trouvent dans la région du Kurdistan, trois à Dohuk, quatre à Erbil et un à Sulaymaniyah. Comme vous le savez, l’UNHCR est responsable d’assurer la coordination de l’aide aux réfugiés organisée en fonction du plan d’intervention prévu à cette fin qui, cette année, a vu… Nous avons ajouté l’élément de la résilience, ce qui a mené à l’élaboration du plan régional pour les réfugiées et la résilience, qui a été lancé à Berlin en décembre dernier.
Parmi nos réalisations, nous avons construit huit camps de réfugiés depuis 2013. Ils ont été améliorés en 2014, et on y a maintenant un niveau de vie assez impressionnant aux plans de l’infrastructure, des installations sanitaires, de l’alimentation en eau, mais aussi des abris. Ces changements ont considérablement amélioré la situation des réfugiés.
Nous avons enregistré tous les réfugiés en 2014. Nous avons aussi mis en place l’enregistrement biométrique dans le contexte d’une vérification qui devrait être terminée avant le début de l’année. Une partie de notre réussite est aussi d’avoir offert des services aux enfants, des services d’aide psychologique dans des espaces pour eux en partenariat avec l’UNICEF. On a aussi entrepris des démarches auprès de la collectivité concernant la violence sexuelle ou sexospécifique, question importante qui n’est pas très facile à aborder dans le contexte du Kurdistan. En 2014, on a réussi à rejoindre jusqu’à 54 000 membres de la collectivité par l’intermédiaire de campagnes de sensibilisation.
J’ai déjà parlé des abris. Il y a eu de nombreuses autres réalisations, mais je ne souhaite pas en parler pour respecter le temps de parole qui m’est alloué. Je passe maintenant à la crise des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui, comme vous le savez, a éclaté en juin dans la région du Kurdistan. Cependant, la première vague avait commencé à Anbar. En gros, la crise en question a connu trois vagues. La première s'est déroulée de janvier à juin et a touché principalement le centre de l’Irak. Environ un demi-million de personnes ont été déplacées. La deuxième vague a suivi la chute de Mosul et a causé le déplacement de 550 000 personnes de plus. La troisième vague a été la plus importante. Elle est survenue pendant l’offensive à Sinjar et les plaines de Nineveh et a ajouté 830 000 personnes au nombre des personnes déplacées. À l'heure actuelle, 2,2 millions de personnes sont déplacées en Irak. Près de la moitié de cette population se trouve dans la région du Kurdistan, qui compte quelque 5 millions d’habitants. Cela vous donne donc une bonne idée de la pression que cette situation exerce sur les services publics dans le nord de l’Irak.
En ce qui concerne l’UNHCR, nous avons pris la responsabilité de trois regroupements dans le complexe des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, toujours sous la direction du BCAH, qui est chargé de coordonner l’intervention auprès de ces personnes. Des regroupements ont été établis à Bagdad en janvier 2013. Ils ont été prolongés jusqu’à janvier 2014 et activés ici dans le nord de l’Irak.
Côté réalisations, la situation a été plutôt en dents de scie depuis juin. Une des principales questions a été celle des abris. Nous avons eu énormément de gens logés — pour ainsi dire — à ciel ouvert, dans des immeubles en construction et dans des écoles qu’il a fallu évacuer au début de l’année scolaire. Nous avons dû faire des pieds et des mains pour construire un grand nombre de camps. Avec le financement que nous avons reçu, l’UNHCR a pu terminer la construction de huit camps, mais deux sont toujours en chantier. Ces camps accueilleront jusqu’à 90 000 personnes. Nous avons aussi offert un appui à 537 centres collectifs dans tout l’Irak qui ont profité à 26 000 personnes.
Bien entendu, en août dernier, nous nous préoccupions notamment de l’hiver qui approchait et du besoin de protéger les gens et de leur donner l’équipement nécessaire pour passer à travers la saison froide. Grâce au financement généreusement versé à l’UNHCR, on a fourni à 70 000 familles des trousses d’hiver, ce qui a été tout un défi. Cependant, nous avons été en mesure de terminer à la mi-janvier les activités de préparation à l’hiver que nous avions commencées en octobre. En plus des articles de première nécessité, nous avons distribué des trousses à tous les nouveaux arrivants.
À l’heure actuelle en Irak, 25 camps ont été construits et 10 autres sont en construction. Des 25 camps en question, 17 se trouvent dans la région du Kurdistan, comme la moitié des camps en chantier. Cela vous donne une bonne idée de l’ampleur du déplacement.
Cela dit, côté abris, nous n’arrivons pas à répondre à la demande. La dernière évaluation a révélé que 450 000 personnes vivent toujours dans des abris inadéquats et qu’il faut mieux les loger.
Le fait que la dernière vague d’arrivées remonte à août et que presque six ou sept mois se sont écoulés depuis représente pour nous un défi. Nous avons toujours de la difficulté à composer avec ce nombre considérable de personnes déplacées et à trouver des façons de les rejoindre et de toutes les aider. La majorité des réfugiés et des personnes déplacées restent à l’extérieur des camps, dans des immeubles publics ou des immeubles en construction dans la communauté hôte. En utilisant, en autres, les services de santé, les services éducatifs et sanitaires et l’électricité, ils exercent une pression énorme sur les services publics au Kurdistan.
L’autre défi important est, bien sûr, le fait que les opérations militaires soient toujours en cours et qu’il soit probable que d’autres personnes soient déplacées. Bien entendu, nous pensons en particulier à Mosul. Nous craignons qu’une opération militaire dans cette ville soulève d’autres vagues de personnes déplacées en très grands nombres.
Une autre question que nous devons régler est celle du manque d’accès aux zones de conflit...[Note de la rédaction: inaudible]... aussi la crise financière qui sévit dans la région du Kurdistan et qui compromet leur capacité de supporter la crise.
Je veux souligner l’une des conséquences potentielles de la crise, qui a fait la manchette…
:
Merci beaucoup de votre question, monsieur Saganash.
En effet, on fait face à une situation extrêmement complexe non seulement en Irak, mais également dans toute la région, ce qui complexifie encore plus les choses. En Syrie, c'est très, très difficile. On ne voit pas le bout du tunnel, on ne voit pas très bien comment cela va se résoudre. On ne voit pas de fin à la crise humanitaire.
Cette crise constitue une occasion pour le groupe État islamique de causer des interférences en Irak. C'est devenu un vecteur de déstabilisation qui est venu travailler sur les fragilités du processus politique irakien.
Les conséquences qu'on a vues en 2014 sont claires. Les conséquences humanitaires sont absolument tragiques dans un pays qui, par ailleurs, est producteur de pétrole. On pourrait penser qu'il aurait les moyens de répondre aux besoins de sa population.
On parle non seulement de l'Irak, mais on fait aussi face aussi à une crise économique avec la chute du cours du pétrole et à des gros problèmes de liquidités. Il y a des gros problèmes en Irak sur le plan de la gestion et de la gouvernance. C'est un pays qui est en transition, il faut l'admettre, depuis la chute du régime de Saddam Hussein. C'est dans ce contexte que nous opérons. Il y a aussi des tensions communautaires qui existaient probablement déjà à l'époque du régime et qui ont simplement été découvertes au moment de la chute dudit régime.
L'Irak est un pays très complexe, c'est une mosaïque de communautés religieuses et ethniques très anciennes et où il y a toujours eu des tensions. À l'heure actuelle, il manque à l'Irak une stabilité politique et un cadre politique. Tant qu'il n'y aura pas ce cadre politique, les tensions vont continuer. Le groupe État islamique, de toute évidence, exploite cela pour sa propre croissance. C'est pour cela que la réponse est complexe. Il y a une réponse humanitaire évidente. Il faut continuer à appuyer l'Irak, avec des ressources mais aussi avec un accompagnement sur le plan de la gouvernance et du processus politique.
Le cas du Kurdistan est particulier dans la mesure où le Kurdistan est une région qui reçoit 80 % de son budget de Bagdad sous forme de transferts budgétaires. En raison de disputes, de discussions, de non-accord ou de disputes politiques sur la vente du pétrole, ces transferts ont été suspendus. Il y a eu un accord récemment, mais qui n'a pas encore été mis en oeuvre. C'est pourquoi on a été obligé, à bien des égards, de prendre la relève à la demande des autorités kurdes, par exemple pour la construction des temples et la distribution de biens essentiels. Les autorités kurdes ont officiellement approché les Nations unies en demandant de l'aide, parce qu'elles n'avaient pas les moyens de le faire. Bagdad est restée très absente de la crise au Kurdistan et cela reste un sujet de contentieux. C'est pour cela que je crois qu'on peut jouer sur plusieurs vecteurs pour lesquels le Canada peut être appuyé en participant à différentes actions politiques, sécuritaires et humanitaires. Je pense qu'il est très important que le Canada maintienne son engagement envers l'action humanitaire.
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Merci beaucoup de vos questions.
Comme on vous l'a déjà dit, je pense qu'il est important de faire la distinction entre les deux contextes dans lesquels les gens se retrouvent: il y a les camps officiels et les établissements improvisés. Ces deux situations présentent des défis distincts en matière de santé. Je peux vous donner l'exemple de Vision mondiale.
Nous oeuvrons dans le gouvernorat de Sulaymaniyah dans la région kurde de l'Irak grâce à une subvention de l'Organisation mondiale de la Santé qui nous permet d'offrir des services de santé de première ligne aux personnes déplacées qui sont dans des établissements improvisés, qui ont accaparé un hôpital — où j'étais dimanche — ou qui sont dans des camps.
La principale préoccupation dans les camps est la surpopulation. Il y a des tentes conçues pour abriter une famille et, en raison de l'affluence rapide, deux, trois ou quatre familles vivent dans des espaces très confinés. Cette situation présente un risque accru de transmission de maladies en raison des problèmes d'hygiène. Les constructions de latrines sont aussi une grande préoccupation.
Il y a également cette affluence d'un grand nombre de personnes et une pénurie de personnel qualifié dans la région kurde. Il y a des problèmes, car les personnes déplacées qui ont fui d'autres régions de l'Irak sont allées au Kurdistan et ont de la difficulté à trouver du travail. Par exemple, le personnel de première ligne de Vision mondiale a déployé un effort très ciblé pour employer des personnes déplacées qui ont des compétences médicales. C'est une mesure très concrète... Nous en entendons souvent parler au Canada lorsqu'il est question de la reconnaissance des titres de compétence.
Je peux vous parler d'un hôpital où je suis allé dans la ville de Qalat Dizah, à deux cols montagneux de la ville principale, où environ 800 personnes vivent dans un hôpital abandonné. Il y a des chambres qui étaient d'anciennes chambres d'hôpital et les seules toilettes sont le plancher, et des enfants dorment maintenant par terre.
C'était vraiment bouleversant de voir 8, 10 ou 12 enfants dans un espace conçu pour trois ou quatre lits simples. Les enfants se rendent souvent dans ces endroits. Il est difficile de trouver ces gens pour pouvoir leur fournir des soins de santé. Vision mondiale se rend là-bas trois fois par semaine avec une petite clinique mobile. Il faut être très polyvalent en tant que fournisseur de services pour pouvoir atteindre ces gens. Il faut être rapide, car ils se déplacent souvent sans préavis, pour ainsi dire, d'un endroit à l'autre. Il est donc très difficile de les retracer.
Je pense que c'est tout le temps dont je dispose.
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Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que le plus grand défi auquel nous sommes confrontés, c'est d'avoir accès à ceux qui ont le plus besoin de notre aide. Je suis très inquiète du sort des gens qui sont dans les gouvernorats partiellement ou complètement contrôlés par l'EIIL.
C'est un pays où, depuis deux ou trois générations, les gens s'attendent à recevoir de la nourriture. Si on leur donne de l'argent, ces gens n'achèteront pas de quoi se nourrir. Ils achèteront d'autres choses. Il y a un phénomène de conditionnement social qui les amène à avoir ces attentes. Dans ces gouvernorats, il n'y a aucun système de distribution public à certains endroits depuis 12 mois.
Nous discutons beaucoup avec les conducteurs de camion qui se rendent dans ces régions. Les échanges se poursuivent, si bien que des aliments sont acheminés jusque là-bas, mais nous ignorons en quelles quantités, et nous ne savons pas quelle est la situation lorsque nous nous éloignons des artères principales. Les camions se rendent là où il y a des marchés. Nous envisageons d'assurer une surveillance dans les régions éloignées, comme je vous l'ai dit.
L'autre défi consiste à atteindre les gens que nous devons atteindre et à nous assurer qu'ils continuent de recevoir notre aide. Le financement commence à me préoccuper. Nous avons des fonds suffisants pour maintenir nos programmes d'aide financière et de bons d'achat alimentaires jusqu'en mai de cette année seulement. Pour ceux qui reçoivent un bon d'achat alimentaire, l'essentiel n'est pas d'avoir l'argent maintenant. Mais pour ceux qui n'ont pas accès aux marchés et qui ont besoin de nourriture, il me faut trois mois pour préparer des colis et les leur acheminer. L'argent est donc un problème. L'argent est bien entendu toujours un problème.
Ce sont là les mesures que le Canada peut prendre. Vous êtes l'un de nos partenaires les plus importants. Vous vous êtes associés avec nous à plusieurs égards. Hier, lorsque je discutais avec mes homologues ici, nous avons également parlé de la possibilité que le Canada nous fournisse des experts. Nous devons commencer à faire du ciblage et des évaluations. Nous pouvons alors demander à nos partenaires canadiens de nous aider dans nos démarches. Cela améliore notre crédibilité lorsque nous avons nos partenaires donateurs. Cela nous donne différentes perspectives. Je pense qu'il est très important que le Canada tienne de nombreuses discussions concernant la situation humanitaire lorsqu'il est question de conflit politique et potentiellement militaire. Il est très important — comme Mme Amos, la coordonnatrice des secours d'urgence, l'a dit — que les politiciens n'oublient pas qu'il y a des gens sur le terrain qui sont touchés par leurs actions. Si c'est quelque chose que le Canada peut faire, nous en serions certainement très reconnaissants.
Merci.
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Comme je l'ai dit à M. Trottier, nous travaillons dans une multitude d'environnements, qui présentent des problèmes particuliers et font qu’il est difficile de fournir des services aux gens.
Encore une fois, quand il est question d’offrir des services d’aide psychosociale aux victimes de violences sexuelles et sexistes, il s’agit de services et de problèmes similaires. Souvent, même dans les villes, une partie des gens occupent des bâtiments qui ont été abandonnés au milieu des travaux de construction à cause de la crise actuelle. Cela peut sembler banal, mais il est difficile de trouver et d’inscrire les membres de ces familles, et ensuite de leur fournir des services. Le premier défi consiste à déterminer où ils se trouvent et le deuxième, à leur fournir des services dans des environnements physiques de ce genre, où le manque d’intimité, par exemple, est vraiment inquiétant et pose un défi encore plus grand.
Le gouvernement kurde fait du bon travail sur le plan de l’installation des camps, de leur structure physique. Il devrait être en mesure de fournir de l’espace pour des services de ce genre, mais il n’est pas facile de trouver des partenaires convenables, qui ont du personnel qualifié.
À mon avis, il est important — surtout au Kurdistan — de mettre l’accent sur le fait que lorsque des organismes humanitaires se rendent là-bas, surtout des ONG, il leur faut passer par l’étape de mise en train avant de pouvoir faire leur travail. Essentiellement, il nous faut d’abord établir l’ordre de priorité des besoins et ensuite mettre en place les services que nous pouvons, en fonction, dans notre cas, d’un financement du secteur privé ou du gouvernement. Ce que nous avons entendu très souvent aujourd’hui, c’est qu’il faut faire preuve de souplesse et s’adapter à l’évolution des besoins.
Il est important que les parlementaires gardent à l’esprit que les crises causées par des déplacements de population ne surviennent pas seulement dans les camps. Nous voyons beaucoup d'images des camps. Une chose que j’ai retenue de la semaine dernière, c’est que les camps sont un aspect très important de l’étude, mais qu’il existe un autre aspect qui est tout aussi important. Ce sont les colonies informelles, où il est encore plus difficile de fournir des services aux personnes déplacées.
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Encore une fois, je ne veux pas être un disque rayé, mais on retrouve les mêmes problèmes d’accès à l’éducation dans les camps et dans les colonies informelles. Il est probable que, pour bien des raisons, un très grand nombre d’enfants ne vont pas à l’école. Une des raisons, c’est que nous n’avons pas encore établi l’ordre de priorité de tous besoins partout. Par ailleurs, les fonds nécessaires n’ont pas encore été fournis. Je sais qu’UNICEF déploie beaucoup d’efforts pour convaincre les donateurs de faire de l’éducation une priorité pour les personnes déplacées en Irak. Quant aux colonies informelles, il existe plusieurs difficultés d’ordre pratique. Si vous avez des enfants qui arrivent — je peux parler du Kurdistan — dans la région kurde de l’Irak, normalement, la langue d’enseignement de ces enfants est l’arabe. Or, au Kurdistan, la langue d’enseignement est le kurde. Ces enfants ne sont pas tous capables de parler le kurde; donc même s’ils avaient accès aux écoles existantes, ils seraient confrontés à un obstacle linguistique de taille.
Ces facteurs ont plusieurs répercussions pendant la mise en place de services formels ou… Vision mondiale tente parfois d’offrir de l’enseignement informel ou des cours de rattrapage pour éviter que les enfants accusent trop de retard. Le problème, c’est que, au fur et à mesure que les services rattrapent le retard causé par la crise, ces enfants finiront par tirer de l’arrière.
À mon avis, l’initiative Non à une génération perdue — le Canada y a généreusement contribué en Jordanie et au Liban — est un bon exemple de stratégie où l’organisme collabore avec le gouvernement d’accueil pour mettre en place des structures systémiques. Une des choses importantes dont j’ai parlé tout à l’heure, c’est que Vision mondiale demande à des personnes déplacées ayant une formation en soins de santé de fournir des services. Il s’agit d’une solution très pratique qui pourrait aussi être appliquée dans le domaine de l’éducation. Les personnes qui ont été déplacées d’une région à l’autre de l’Irak, qui sont capables de parler l’arabe avec les enfants et qui ont les qualifications recherchées pourraient fournir des services de ce genre. Au fur et à mesure que nos interventions s’intensifient, toutes sortes de choses sont prévues.
Entretemps, comme Bart l’a mentionné, Vision mondiale fait des choses pour essayer de donner à ces enfants le sentiment d’être dans une situation normale. Nous parlons d’« endroits adaptés aux enfants ». Je reviens à l’hôpital que j’ai visité dimanche; essentiellement, la structure physique n’est pas dans un état lamentable, mais ne permet pas aux enfants d’avoir une routine quotidienne. Bien sûr, ils jouent à l’extérieur, mais ils n’ont plus comme routine d’aller à l’école, et ils ont besoin de cette routine. Une des choses qui m’ont frappée, c’est que certains de ces endroits adaptés aux enfants ont une structure physique très simple. Il s’agit seulement d’une tente, où nous créons un espace réservé à ces enfants, en fonction de leur âge, pour qu’ils aient un lieu sûr où jouer ou un lieu sûr où recevoir une forme quelconque d’enseignement. Cela représente un véritable défi dans ces colonies informelles, quand il y a tout un éventail de besoins et qu’il faut déterminer l’ordre de priorité dans lequel y répondre.