FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 9 décembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, mesdames et messieurs. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous allons commencer notre étude de la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions religieuses et aux bouleversements perpétrés en Irak, en Syrie et dans la région par l'État islamique en Irak et au Levant.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins, ceux ici présents ainsi que ceux qui participent par téléconférence. Je vais présenter les témoins, qui feront ensuite leurs exposés. Nous permettrons par la suite aux membres de poser leurs questions.
M. Thomas Farr, directeur du projet Religious Freedom de l'Université Georgetown, témoignera par téléconférence de Washington D.C.
Monsieur Farr, nous vous souhaitons la bienvenue.
Si j'ai bien compris, vous allez pouvoir vous joindre à nous pendant la première heure de la séance. C'est bien cela?
Parfait. Nous vous reviendrons très bientôt.
L'évêque Emmanuel Joseph Mar-Emmanuel, de l'Église apostolique assyrienne d'Orient, est dans la salle avec nous. Bienvenue, monseigneur. Nous sommes heureux de vous recevoir ici aujourd'hui.
M. Jonathan Halevi, du Centre des affaires publiques et de l'État de Jérusalem, témoignera à titre personnel. Bienvenue à vous, monsieur.
Monsieur Farr, c'est vous qui allez faire votre déclaration en premier, et ce sera le tour ensuite des autres témoins. Comme je l'ai indiqué, une fois que vous aurez tous fait vos exposés, les membres du comité vous poseront des questions.
Monsieur Farr, à vous la parole. Vous disposez de 10 minutes.
Merci, monsieur Allison. Merci de m'avoir invité à témoigner sur un sujet qui revêt tant d'importance pour nos deux pays.
Il y a trois mois, les États-Unis marquaient le 13e anniversaire des attaques terroristes islamistes survenues le 11 septembre 2001. À mon avis, la situation créée par l'EIIL aujourd'hui en Irak et en Syrie présente des similarités extrêmement troublantes par rapport au 11 septembre, à la fois en ce qui concerne les origines et la menace pour la sécurité internationale. Il existe bien sûr au moins une différence de taille entre cet événement et ce que nous savons maintenant: alors que des chrétiens et d'autres minorités du Moyen-Orient éprouvaient des difficultés croissantes en 2001, de nos jours, leur existence même est menacée. Nous constatons la disparition des chrétiens et du christianisme en Irak et en Syrie, un génocide religieux et culturel qui a des conséquences humanitaires, morales et stratégiques terribles pour les chrétiens, pour la région et pour nous tous. Ce qui n'a pas changé depuis le 11 septembre est la cause fondamentale du terrorisme islamiste, une interprétation radicale de l'islam qui se répand, qui est nourrie et encouragée par les tyrans du Moyen-Orient, laïcs et religieux, par les pratiques juridiques et culturelles issues de l'intolérance radicale, et par un ordre politique qui rend son dernier souffle.
Malheureusement, le syndrome de l'autruche à l'égard de la religion, qui touche de nombreux décideurs politiques occidentaux, ne nous a pas bien servis pour lutter contre cette menace. L'ordre politique qui s'établira au Moyen-Orient sera obligatoirement fondé sur la religion d'islam. Malgré les efforts des courants progressifs occidentaux et inspirés par l'Occident, la religion demeure l'identité primaire des gens de cette région. Le corollaire, c'est que tout nouvel ordre politique devra au final se fonder sur la liberté religieuse, créant ainsi une équité, entérinée par la loi, entre toutes les communautés religieuses. En examinant l'histoire ainsi que les temps modernes, il devient clair que la liberté religieuse sera nécessaire si les sociétés qui accordent une grande place à la religion veulent être stables et se défaire de la violence et du terrorisme axés sur la religion.
La force militaire est et sera nécessaire pour lutter contre l'EIIL et d'autres groupes terroristes à l'occasion, mais la force à elle seule ne sera pas suffisante. C'est donc pour cette raison qu'une politique de liberté religieuse internationale maniée par le Canada et les États-Unis devrait faire partie d'une stratégie de sécurité nationale élargie, un genre d'outil diplomatique antiterroriste, si vous me permettez cette expression.
Au cours des décennies récentes, les mouvements terroristes islamistes ont vu le jour partout au monde et sont aujourd'hui présents en Afrique, en Asie, en Europe et dans les Amériques. Abstraction faite de leurs différences théologiques et autres, ces groupes sont motivés par la croyance selon laquelle Dieu les appelle à la brutalité et à la violence à l'égard des ennemis de l'islam. Dans le cas de l'EIIL, l'objectif consiste à conquérir et à contrôler un territoire afin de mener à bien cette mission divine. La plupart de ces groupes détruiraient nos pays s'ils en avaient les moyens. L'extrémiste islamiste violent a des racines profondes qui remontent au dernier siècle et même au-delà. Divers facteurs ont contribué à l'émergence de groupes religieux disparates, tels que les wahhabites, les Frères musulmans, le Hezbollah, le Front al-Nusra, le Boko Haram, l'Al-Chabaab, l'Al-Qaïda et ses diverses incarnations, ainsi que l'EIIL. Ces facteurs comprennent notamment la stagnation économique, un sentiment d'être victimes, une colère dirigée contre l'Occident, mais le facteur le plus puissant est la religion, qui alimente et nourrit les autres doléances.
Permettez-moi de citer le rapport de la commission américaine chargée d'enquêter sur le 11 septembre:
Les dirigeants du terrorisme islamiste s'appuient sur la longue tradition d'intolérance extrême qui caractérise l'un des courants de l'Islam... Ce courant est motivé par la religion... Les terroristes islamistes sont sincères lorsqu'ils disent que l'Amérique, pour eux, est la source du mal, la « tête du serpent », et qu'il faut ou bien la convertir ou bien la détruire...
Bien sûr, la vaste majorité de musulmans n'appuient pas la violence ni la cruauté. Ils sont horrifiés par les événements qui ont lieu au nom de leur religion, mais il est également vrai que la plupart des pays ayant une majorité musulmane ont des structures juridiques et sociales telles que des lois et pratiques anti-blasphème, anti-diffamation et anti-apostasie, dirigées notamment contre les minorités musulmanes, qui découragent les voix libérales de l'islam. C'est donc sur ce front que la politique américaine et canadienne de liberté religieuse peut aider. Jusqu'à ce que le monde islamique rejette entièrement l'interprétation extrémiste de l'islam, ou au moins jusqu'à ce que celle-ci ne représente qu'une interprétation intellectuelle, théologique et politique marginale, le terrorisme islamiste continuera à grandir et à se répandre.
Permettez-moi de vous donner un petit exemple à titre d'illustration. Il y a quelques années, un étudiant afghan de deuxième cycle a présenté son mémoire qui affirmait que, d'après le Coran, l'islam est en faveur de l'égalité des hommes et des femmes. Ses professeurs l'ont dénoncé à la police locale. Le jeune homme, accusé de blasphème, a été trouvé coupable et a été frappé de la peine de mort. La justification de cette pénalité était que le jeune homme avait fait outrage à l'islam et devait être puni.
Tant que cette idée malveillante demeure ancrée dans les sociétés musulmanes, les radicaux domineront le discours sur les exigences de l'islam à l'égard de ses adeptes. Cette idée doit être cantonnée, sinon éliminée, dans les sociétés musulmanes si elles souhaitent se départir du fléau de l'extrémisme islamiste et du terrorisme. Un régime privilégiant la liberté religieuse aiderait en permettant un débat ouvert sur l'islam et d'autres religions sans qu'il y ait de craintes d'accusations au criminel ou de violences dans les rues. On pourrait critiquer les lois anti-blasphème, par exemple, et appuyer la liberté religieuse sans crainte de se faire assassiner, comme c'était le cas pour deux dirigeants pakistanais récemment, Shahbaz Bhatti et Salmaan Taseer. L'histoire, les recherches modernes et le gros bon sens nous disent tous qu'un système de liberté religieuse minerait le radicalisme. De plus, les efforts de répression qui sont monnaie courante dans le Moyen-Orient encouragent clairement le radicalisme.
Permettez-moi de conclure en vous expliquant ce qu'une politique canadienne internationale sur la liberté religieuse pourrait faire pour atténuer la menace du terrorisme islamiste au Moyen-Orient, notamment l'EIIL. Il y a tant à dire, mais essentiellement, la clé de la réussite sera d'éradiquer l'idée reçue selon laquelle la liberté religieuse est un cheval de Troie conçu pour détruire l'islam, et la remplacer par la certitude que la liberté religieuse est nécessaire pour assurer la santé de l'islam. Afin d'accomplir cet objectif, le Canada devrait s'assurer que le statut et l'autorité diplomatiques de son ambassadeur fort impressionnant chargé du dossier de la liberté de religion, M. Andrew Bennett, ainsi que les ressources qui lui sont accordées, sont suffisants pour lui permettre de communiquer aux autres pays et au corps diplomatique canadien que cette question est, et demeurera, une grande priorité aux yeux du gouvernement canadien. Il faut donner à l'ambassadeur tout ce dont il a besoin pour élaborer des stratégies et les mettre en oeuvre dans des pays stratégiques du monde.
Toutefois, pour que cette politique soit couronnée de succès, elle ne peut relever d'un seul ambassadeur ou d'un seul bureau. J'encourage également le Canada à former tous ses diplomates afin qu'ils comprennent ce que c'est la liberté religieuse, son importance à la fois pour les particuliers et les sociétés, pourquoi elle est importante au chapitre des intérêts nationaux canadiens, et comment la faire avancer.
C'est donc à cette fin que nous devons convaincre les démocraties musulmanes chancelantes, comme l'Irak, l'Égypte, l'Afghanistan et le Pakistan, que tant qu'elles ne se dirigent pas vers la liberté religieuse, elles ne réaliseront jamais leurs propres objectifs d'autonomie stable, de sécurité intérieure, de croissance économique et de paix.
Monsieur le président, je ne minimise pas les énormes difficultés qui accompagneront l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique que je vous ai décrite, mais à mon avis, les enjeux sont suffisamment sérieux actuellement pour que l'effort en vaille la peine. Je crois que le Canada, les États-Unis et d'autres pays peuvent ensemble se doter d'une politique antiterroriste axée sur la liberté religieuse qui n'entraîne ni les dépenses, ni les souffrances que ne le font les actions militaires. La diplomatie axée sur la liberté religieuse, menée à bien, réduirait le besoin d'action militaire, ainsi que les dépenses, les souffrances et les mortalités.
Merci de m'avoir donné l'occasion de vous adresser aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui.
Je vais commencer en vous donnant le contexte du christianisme et des peuples de l'Irak et de la Syrie.
Au chapitre de la culture, sachez que les chrétiens irakiens sont les descendants des habitants de l'ancienne Mésopotamie, c'est-à-dire l'Assyrie et Babylone, le berceau de la civilisation. Les anciens chrétiens d'Irak et de Syrie peuvent retracer leur conversion au christianisme jusqu'aux apôtres. Au Xe siècle en Mésopotamie, ce qui correspond plus ou moins à l'Irak contemporaine, les chrétiens constituaient la majorité de la population et vivaient sous un régime musulman depuis la conquête par les Arabes de la région au VIIe siècle.
Pendant la Première Guerre mondiale est survenu le génocide des chrétiens sur le territoire qui correspond actuellement à la Turquie. Des millions de personnes, y compris des Grecs, des Arméniens, des Assyriens, des Chaldéens, ainsi que des Syriens ou des Syriaques, ont été massacrées dans ce génocide horrible. En 1932, l'Irak est devenu membre de la Société des Nations et un pays indépendant. Immédiatement après, en 1933, l'armée irakienne a procédé au massacre brutal des Assyriens, entraînant la mort de plus de 3 000 innocents. Seulement ceux qui ont immédiatement accepté de se convertir à l'Islam ont pu y échapper. Le patriarche de l'église est parti en exil peu de temps après ce massacre terrible. L'historien théologique Christoph Baumer a dit à ce sujet: « Pour les Assyriens qui ont survécu, ce fût une constatation écrasante de savoir qu'un État islamique, ayant établi sa souveraineté depuis quelques mois seulement, pouvait se permettre de mettre à mort les membres d'une minorité religieuse en toute impunité. Il n'y a pas eu une seule réaction; la Grande-Bretagne a aidé l'Irak à étouffer ce qui s'est passé, et la Société des Nations a constitué une commission. » Cette commission a recommandé que les populations concernées pouvaient émigrer vers d'autres pays. Les réfugiés ont notamment émigré vers le Canada, et c'est ainsi que « les Assyriens avaient le statut de réfugié dans leur patrie ».
En examinant la crise d'aujourd'hui, les événements du siècle dernier conservent leur pertinence. Pendant la crise survenue en Irak et en Syrie, notamment la guerre civile de la Syrie, les insurgés sunnites ont été très actifs sous la bannière de l'ISIS ou de l'EIIL. En juin 2014, ces insurgés se sont établis dans le nord de l'Irak, surtout dans la ville de Mosul, et dans l'ouest de l'Irak dans la province d'Anbar. L'ISIS a provoqué l'exode de milliers de chrétiens qui avaient le choix: ou bien se convertir à l'Islam, payer la jizya, la taxe coranique perçue auprès des non-musulmans, partir, ou se faire décapiter. Des milliers de gens ont quitté Mosul notamment pour se réfugier dans le nord, qui est une région plus pacifique de nos jours. Ce sont surtout des chrétiens, mais on recense également des milliers de yazidis et d'autres minorités. Pendant cet exode, environ 150 000 chrétiens et d'autres gens issus des minorités religieuses ont quitté la ville peu de temps après qu'elle a été prise par l'ISIS et se sont réfugiés dans la région autonome du Kurdistan, essentiellement dans les provinces d'Erbil et de Dohuk.
Actuellement, et surtout depuis l'arrivée de l'hiver, il y a une grave pénurie de ressources et de biens de première nécessité, tels que les abris, les médicaments, la nourriture, les vêtements, et ainsi de suite. Il y a un besoin urgent d'assistance de l'extérieur de la région.
Ces chrétiens déplacés craignent que la sécurité ne soit insuffisante après leur retour à leurs foyers, si un jour ce retour devient possible. Il existe désormais énormément de méfiance entre les chrétiens et les musulmans ordinaires. Pour les chrétiens, ces musulmans qui ont accueilli à bras ouvert l'ISIS ont trahi à tout jamais une confiance fondamentale.
Dans cette crise, tous les dirigeants des églises chrétiennes de la région, ainsi que certains des partis politiques chrétiens, appuient la création d'une zone sûre en Irak, où la sécurité serait assurée par la communauté internationale avec la collaboration des gouvernements régionaux et de l'administration centrale de l'Irak.
Pour vous aider, je vous ai fourni des liens vers les sites Web des communautés, qui affichent des entretiens ou des vidéoclips ainsi que des reportages quotidiens sur la situation en Irak et en Syrie.
Merci.
Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à M. Jonathan Halevi, qui travaille au Centre des affaires publiques et de l'État de Jérusalem.
Jonathan, vous avez la parole.
Merci de m'avoir donné l'occasion de vous parler de la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions religieuses et aux bouleversements perpétrés en Irak, en Syrie et dans la région par l'État islamique en Irak et au Levant. Le nom officiel du groupe est l'État islamique, mais on le connaît également sous les noms suivants: EI, EIIL, EIIS, Daech et Caliphat.
Tous les partis canadiens s'entendent pour dénoncer l'État islamique comme un ennemi de la civilisation occidentale en raison de son application stricte de la charia, la loi islamique, qui prévoit notamment le massacre des infidèles et des apostats, les décapitations et crucifixions publiques, l'amputation des mains et des jambes des voleurs, la flagellation des fumeurs de cigarettes et des consommateurs d'alcool, la permission de posséder des esclaves sexuels, ainsi que l'écrasement sans merci de toute opposition et l'élimination des droits de la personne élémentaires.
Le gouvernement canadien et l'opposition entretiennent des différences quant à la façon de confronter l'État islamique, que ce soit en contribuant, ne serait-ce que modestement, à la coalition militaire menée par les États-Unis et en participant aux efforts humanitaires à grande échelle, ou en se concentrant essentiellement sur l'aide humanitaire et le soutien au combat.
L'élaboration d'une politique étrangère sur ce dossier doit prendre en ligne de compte, mis à part les questions morales évidentes, l'évaluation objective de la menace créée par l'État islamique pour le Canada et pour les intérêts canadiens stratégiques. L'État islamique s'est taillé à juste titre une réputation de régime le plus brutal et le plus impitoyable. Il a conquis d'énormes territoires en Syrie et en Irak et a méticuleusement renforcé son emprise en créant des alliances avec des clans locaux et des noyaux de pouvoirs. Il accélère son processus de création d'État en misant sur l'éducation afin de créer une nouvelle génération djihadiste.
La guerre au Levant n'est pas un conflit politique ou territorial qui peut être résolu par des négociations et des compromis. L'État islamique ne laisse aucun doute planer quant à son idéologie sunnite islamique extrémiste et sa détermination de mener le djihad sans merci afin de répandre l'islam et la parole d'Allah, d'abord au Moyen-Orient et ensuite en Europe et en Amérique du Nord.
La pierre angulaire du but stratégique de l'État islamique, répété maintes fois publiquement, est de conquérir Rome, la capitale de l'Italie et là où se trouve le Vatican, afin de frapper le symbole du christianisme. L'Espagne est présentée comme un pays qui a été autrefois occupé par des forces islamiques, tout comme d'autres parties de l'Europe. Selon l'État islamique, tous ces territoires doivent être libérés.
Or, il ne s'agit pas d'une fantaisie farfelue et bénigne. Il s'agit d'un véritable plan d'action. L'État islamique se voit comme un mouvement entièrement voué à la réalisation de la prophétie de Mahomet afin de préparer la voie pour l'arrivée du messie musulman. Dans le cadre de son idéologie qui consiste à mener le djihad au Levant, l'État islamique appelle à tous les musulmans d'initier des attaques partout au monde, y compris au Canada, avec l'objectif précis de tuer sans distinction les infidèles, et ce, par tous les moyens possibles.
L'État islamique menace les intérêts stratégiques canadiens en raison de sa détermination immuable, axée sur la religion, consistant à refaire la carte du Moyen-Orient, à effacer les frontières existantes, à unir le monde musulman sous son étendard et à mener une politique étrangère djihadiste selon laquelle la civilisation occidentale est l'ennemi numéro un.
Quatre années de guerre civile en Syrie et en Irak sans presque aucune réaction internationale ont créé une occasion en or pour ce rejeton de l'al-Qaïda, qui s'en est servi pour constituer graduellement l'État islamique comme une entité indépendante que l'on ne peut plus ignorer. L'Occident, y compris le Canada, ne peut pas se permettre de demeurer simple spectateur. Si l'on ne confronte pas cette menace directement, il y aura probablement des menaces de plus en plus grandes pour la stabilité du Moyen-Orient, riche en pétrole, et les principales voies commerciales internationales.
L'action militaire dirigée contre l'État islamique n'est pas pour autant une baguette magique. Elle devient essentielle à long terme pour réduire la puissance militaire du groupe et ses capacités terroristes, mais elle a peu d'incidence sur le front idéologique. De plus, le Moyen-Orient se trouve actuellement déchiré par le clivage entre sunnites et chiites. Des combats sectaires féroces ont lieu en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban, et il y a également des tensions au Bahreîn, en Arabie saoudite et ailleurs.
Une fois les combats menés à bien en Syrie et en Irak, la stratégie qui suivra devra mettre l'accent sur l'assistance fournie aux populations locales pour qu'elles se dotent de nouveaux régimes robustes qui respectent les droits de la personne et qui empêcheraient un vide de se créer, sans quoi l'Iran réaliserait sa vision d'un croissant chiite et dominerait les États arabes du golfe Persique sur le plan militaire.
Le soi-disant Printemps arabe a entraîné l'effondrement de régimes arabes au Moyen-Orient, prolongé les guerres civiles, occasionné la montée de mouvements islamiques radicaux, déplacé des millions de personnes dans leur patrie, et provoqué l'exode de réfugiés vers les pays avoisinants, qui y vivent dans des conditions terribles. Le cantonnement de l'État islamique et le maintien de l'ordre géopolitique de base au Moyen-Orient sont également importants pour freiner la tragédie humaine et empêcher davantage de désarroi et le déplacement massif d'autres réfugiés.
Le président des États-Unis, M. Barack Obama, ainsi que les dirigeants politiques du Canada ont affirmé que l'État islamique et son interprétation rigide du Coran ne représente pas la réelle vision pacifique de l'Islam. D'éminents leaders de la communauté musulmane canadienne avancent même que les personnes qui ont des liens avec l'État islamique ne devraient pas être présentés comme étant des musulmans par les médias.
Il est certes vrai qu'aucun des grands mouvements islamiques du monde, ou encore du Canada, ne s'est rallié à l'État islamique. Toutefois, le califat et le djihad, qui serviraient d'outils légitimes pour avancer le mouvement, ainsi que la croyance en la prophétie de Mahomet vis-à-vis de Rome, sont partagés par la vaste majorité des mouvements et organisations musulmans, notamment le mouvement international des Frères musulmans, les salafistes, le Hizb ut-Tahrir, le Djihad islamique, l'Al-Gama'a al-Islamiyya, l'Al-Qaïda et ses mouvements affiliés, le Hamas, le Hezbollah et le régime iranien.
Le califat, le djihad et les enseignements de Mahomet font partie intégrante de l'ADN de la foi islamique, à quelques exceptions mineures près, ce qui explique pourquoi tant de Canadiens, comme d'autres Occidentaux, sont tellement fascinés par le message véhiculé par l'État islamique et se sont joints à ses rangs. Ces idées existent et se répandent au Canada.
Il faut écouter les propos des dirigeants de la communauté musulmane pour comprendre les idées qui les sous-tendent. Je vous en fournirai quelques exemples. Un imam bien en vue à Montréal, qui est également membre du Conseil suprême des imams du Québec, a expliqué à sa congrégation dans son sermon hebdomadaire que les apostats devraient être exécutés dans l'État islamique, et a fait mention de la punition islamique qui consiste à crucifier ou à amputer les mains ou les jambes des coupables. Un autre imam bien respecté de Toronto a également justifié les châtiments corporels à l'égard des apostats dans l'État islamique lors d'un discours prononcé à l'Université de Waterloo.
Le Walk-In Islamic InfoCenter une organisation torontoise consacrée à la dawah, la propagation de l'activité islamique, distribue gratuitement au centre-ville de Toronto le livre intitulé Human Rights in Islam And Common Misconceptions . Je vais vous citer certains passages du livre, qui sert à présenter la perspective de l'Islam véritable. Le livre indique que le djihad est une lutte honorable visant à propager le message de l'islam. On y lit également que:
Les résidents non musulmans d'un État islamique sont obligés de payer une taxe minimale appelée « jizyah »...
Si le voleur tue et prend de l'argent, on peut le punir par exécution et crucifixion. S'il prend l'argent et menace sa victime sans la violenter ou la tuer, la punition peut-être l'amputation de sa main et de sa jambe...
En ce qui concerne... la femme ou l'homme marié qui commet l'adultère, la punition applicable est la mort par lapidation...
L'exécution d'un apostat est... une mesure salvatrice pour le reste des membres de la société...
Le livre justifie également l'esclavage dans certaines conditions.
Le califat et l'application stricte de la loi charia sont les grands principes de l'idéologie soutenue par la branche canadienne de l'organisation internationale Hizb ut-Tahrir. Face au défi créé par l'État islamique et la pression constante exercée sur ses membres de prêter serment au califat, le Hizb ut-Tahrir a décidé d'aller au-delà de la prédication et de prendre des mesures concrètes pour établir le vrai califat comme solution de rechange à l'État islamique.
Il y a également des imams non radicaux qui ont prévenu contre le danger, constitué par le radicalisme islamique, à la sécurité nationale du Canada. Un imam de Calgary a appelé le gouvernement canadien à désigner culte terroriste illégal le wahhabisme, idéologie terroriste, et ses adeptes. Un autre imam de Brampton, en Ontario, a décrit l'idéologie salafiste comme étant extrémiste, un poison, une maladie au sein de la communauté musulmane. Il a dit que l'endoctrination constituait un lavage de cerveau, et que ceux qui épousaient cette idéologie se trompaient, devenaient très agressifs et pouvaient même devenir violents.
Un conseiller de la GRC spécialisé en déradicalisation, qui a rencontré récemment des représentants talibans au Qatar, a reconnu que selon son expérience personnelle, les convertis à l'islam avaient davantage tendance à devenir extrémistes. Au moins 13 Canadiens convertis à l'islam ont participé à des activités terroristes depuis le milieu de 2012: deux ont commis des attaques terroristes au Canada, deux sont soupçonnés d'avoir comploté pour faire sauter le palais législatif de Victoria, en Colombie-Britannique, un a mené un attentat suicide en Algérie, un avait l'intention de mener un attentat suicide, six ont rejoint l'État islamique en Syrie et en Irak, et un a été tué au Daguestan après être devenu membre d'une organisation djihadiste locale.
Quant à mes recommandations, le gouvernement canadien s'est déjà joint à la coalition multinationale contre l'État islamique et a adopté des projets de loi qui augmentent les pouvoirs des forces de l'ordre. J'aimerais maintenant vous parler surtout du renseignement.
Selon le SCRS et la GRC, plus de 140 Canadiens ont participé à des activités terroristes à l'étranger, et 80 d'entre eux sont revenus au Canada. Chacun constitue une menace potentielle à la sécurité nationale.
Pour réussir à contrer les futures attaques terroristes, il faudra investir davantage dans la collecte de renseignements sous toutes ses formes: renforcer la coopération et la communication des renseignements avec les services du renseignement étrangers, constituer une nouvelle base de données robuste sur les étrangers terroristes et soupçonnés de l'être, ce qui sera extrêmement utile pour améliorer le processus de contrôle effectué par l'Agence des services frontaliers du Canada, surveiller de plus près les organisations radicales qui fournissent une plateforme idéologique aux idées semblables à celles préconisées par l'État islamique, songer à ajouter d'autres organisations radicales à la liste des entités illégales, et faire preuve de moins de tolérance envers l'incitation à la violence et les discours haineux.
Merci.
Merci beaucoup.
La première série de questions sera de sept minutes. Nous commencerons par Mme Laverdière.
[Français]
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Pour commencer, j'aimerais que l'on note que les gens dont les propos agressifs ont été rapportés ici ce matin par M. Halevi ne sont pas représentatifs de la communauté musulmane, selon moi. En règle générale, les leaders musulmans du Canada n’ont fait que des commentaires de tolérance, d'ouverture et de paix. À mon avis, il est très important de le souligner dès le départ.
Cela dit, j'aimerais poser ma première question au Dr Farr.
[Traduction]
Je ne sais pas si M. Farr bénéficie de la traduction. Je vais donc poser mes questions en anglais. Ce sera peut-être plus simple.
Vous avez parlé du travail du Bureau de la liberté de religion et de son rayonnement possible. L'année dernière, le rapport sur le rendement du ministère des Affaires étrangères a indiqué que 4,9 millions de dollars ont été accordés au Bureau de la liberté de religion pour l'exercice précédent, mais sur ce montant, 69 %, soit 3,4 millions de dollars, n'a pas été dépensé.
Pensez-vous que cette somme aurait pu être utilisée pendant l'exercice dernier et qu'elle aurait pu être mise à profit?
Merci beaucoup pour votre question.
Bien évidemment, je ne connais pas les détails. Je savais que le bureau disposait d'un budget d'environ 5 millions de dollars. Je suis certainement en faveur du financement. Je ne sais pas trop quoi vous dire, car je ne sais pas précisément comment l'argent a été dépensé ou non, mais de façon générale, je dirais qu'il faudrait retenir la qualité des dépenses effectuées. Je crois que c'est très important, comme j'ai dit dans mon exposé, que ce dossier fasse partie d'une initiative diplomatique canadienne, même s'il est confié à un ambassadeur en particulier comme M. Bennett qui, à mon avis, est bourré de talents. Tout le corps diplomatique doit s'en charger. Je vous le dis en toute connaissance de cause en tant qu'ancien diplomate, car mon pays a adopté sa propre loi en la matière il y a 16 ans, mais cette politique n'a pas encore été appliquée par le corps diplomatique américain.
C'est donc la raison pour laquelle je crois que la réponse à votre question ne devrait pas être de tout simplement vous indiquer si l'on peut réduire le financement à ce poste ou à un autre. Je vous encourage à ne pas procéder ainsi; il faudrait plutôt s'assurer que le financement est appuyé par une stratégie mise en oeuvre par tout le corps diplomatique du Canada. Cela vous donnera le meilleur rendement sur votre investissement, si vous me permettez l'expression. C'est ainsi que vous réaliserez des progrès dans votre lutte contre le fléau du terrorisme islamiste.
J'espère que c'est une réponse claire à votre question.
Oui. Merci beaucoup. C'est très utile.
Dans votre discours, vous avez également mentionné, je ne vous cite pas exactement, que la religion alimente et renforce d'autres doléances. En fait, dans le cadre du radicalisme qui a lieu chez nous, par exemple, il semble que la religion devient un outil pour exprimer d'autres doléances.
Je me demandais quelles sont les doléances auxquelles vous pensez. De plus, que peut-on faire pour régler le problème?
Comme je l'ai dit, je pense que tous les pays du Moyen-Orient qui exportent le radicalisme islamique violent, après l'avoir fait mûrir, ont des motifs économiques légitimes, des griefs économiques. Certains sont un héritage du passé. Mais tout cela, d'après moi, explique très mal la part de cette version radicale de l'islam dans cette manifestation du terrorisme. Je ne voulais pas tellement insister sur la nécessité de nous attaquer aux griefs économiques. Nous devrions le faire, mais c'est ce que tout le monde comprend que nous devrions faire au Moyen-Orient. Ce que j'avance de vraiment neuf, c'est que la liberté religieuse est la réponse à cette cheville ouvrière de la religion radicale.
La liberté religieuse combat le terrorisme. Elle rend les musulmans libres de parler de leur religion de manière libérale sans se faire accuser de blasphème. C'est, comme l'histoire et le bon sens le montrent amplement, et la recherche moderne aussi, une façon d'amener les personnes croyantes à s'exprimer sur la place publique. Il ne s'agit pas d'exclure l'islam. Il s'agit plutôt de l'adapter aux normes fondamentales de l'autonomie et, si vous voulez, du libéralisme, bien que ce terme soit fortement connoté.
La réponse à votre question, donc, est oui. Il existe des griefs économiques et des sujets de préoccupations qui relèvent de l'histoire de l'impérialisme, mais je pense qu'on se trompe en s'y arrêtant. Il est beaucoup plus important de privilégier la liberté religieuse comme antidote de la religion, de la religion violente, devrais-je préciser, de l'extrémisme religieux.
Jusqu'ici, la discussion est très intéressante.
Monsieur Farr, nous avons entendu d'autres témoignages selon lesquels il ne s'agit pas d'une guerre de religion, que, au fond, l'État islamique hait le monde entier et qu'il détruira toutes les communautés, qu'elles soient religieuses, chrétiennes ou islamiques. C'est une guerre contre tous ceux avec qui il n'est pas d'accord.
Vous avez dit que la religion singularisait cette lutte. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Bien sûr. Je pense qu'il est très important de savoir qu'on vainc l'ennemi — je suppose que nous sommes tous d'accord là-dessus — dont on comprend les motivations. Qu'est-ce qui explique son comportement? Pourquoi a-t-il conquis un territoire? Pourquoi a-t-il brutalisé des prisonniers, en les décapitant, comme en Irak, et les chrétiens, les yézidis et autres?
Il commet des atrocités. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Pourquoi? Est-ce par haine de nous? Du monde entier? Je suppose qu'il y a un fond de vérité dans cette affirmation, mais il nous renseigne peu sur le parti à prendre.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, je crois qu'une action militaire est nécessaire contre ces gens, mais cela n'entamera pas l'idéologie religieuse qui, je crois, sous-tend leur action. Écoutez-les. Lisez le récit de leurs actions. Ils n'affirment pas qu'ils haïssent tout le monde et qu'ils frappent aveuglément le reste du monde, pour essayer de se tailler une petite place au soleil. Ils essaient de fonder un califat et de l'utiliser pour propager cette version extrémiste radicale de l'islam.
Faute de le comprendre et de vouloir en discuter — sans vouloir offenser l'immense majorité des musulmans qui ne pensent pas comme ça —, nous ne pourrons pas vaincre cet ennemi.
Je vous remercie pour cette question, monsieur Anderson. Je pense qu'il est indispensable de s'attacher aux dimensions religieuses de ce problème.
Je pose la question à vous trois. Les communautés islamiques du Canada — je me limiterai à elles — sont-elles prêtes à isoler leurs homologues radicaux ou sont-elles en mesure de le faire? L'une des plaintes que j'ai entendues de dirigeants musulmans modérés est que, en ce qui concerne les communications, l'éducation et la création de mosquées, les radicaux reçoivent beaucoup plus d'argent.
Monsieur Halevi, vous parlez des voix qui s'élèvent contre le wahhabisme et le salafisme, etc. Y a-t-il assez de voix modérées? À votre avis, sont-elles assez fortes pour gagner cette bataille au Canada, disons, ou en Amérique du Nord, si M. Farr tient à y répondre?
Les problèmes de l'extrémisme remontent aux racines du radicalisme. Nous parlons des idées du califat. Quand on affirme que ces idées ne représentent pas les musulmans ni la communauté musulmane du Canada, je pense qu'il faudrait le corroborer, parce que l'essence, l'enjeu, le principe majeur de l'islam est de restaurer le califat et d'édifier l'État islamique.
Aujourd'hui, les principaux groupes constituant l'islam ne s'entendent pas sur les conditions d'établissement du califat, de l'État islamique, mais l'idée est enseignée dans des écoles privées et des mosquées. En nous attaquant au radicalisme, ici, au Canada — nous parlons d'argent; nous parlons de l'importance du pluralisme et du libéralisme — je pense qu'il est très important d'appuyer financièrement les nouvelles tendances qui, dans la communauté musulmane, appuient le réformisme, le libéralisme et aussi la laïcité dans les communautés musulmanes.
Tel que je le vois de l'extérieur, l'intolérance s'exerce contre les musulmans qui ne suivent pas le courant. Les partisans de la laïcité ne sont pas considérés comme représentatifs de la communauté musulmane. Je parle des voix qui s'opposent explicitement au radicalisme, celles de Tarek Fatah et d'autres, dont les opinions ne sont pas adoptées par le gros de la communauté musulmane, au contraire.
Je pense qu'il est très important de favoriser dans la communauté musulmane, comme dans tous les groupes confessionnels, le libéralisme et la tolérance pour les autres voix.
N'est-ce pas un peu contradictoire que de s'attendre à ce que la laïcité joue un rôle important dans des groupes confessionnels?
Très rapidement, je dirais que nous avons le même problème aux États-Unis, manifestement, celui de la radicalisation de certains musulmans. Je pense que, tout compte fait, la réponse à ce...
Il semble que je pense que la réponse à tous les problèmes soit la liberté religieuse, et cette liberté comprend le droit, même dans une société laïque, pour les personnes croyantes d'exprimer leurs points de vue sur la place publique. Je pense que si les États-Unis sont parvenus à le faire, c'est parce que la liberté religieuse signifie que les musulmans peuvent exposer publiquement leurs idées, mais que ces idées peuvent être contestées. Il s'est établi un dialogue constant sur la signification de l'islam. Ce n'est pas toujours un dialogue heureux. Il ne s'est pas déroulé parfaitement — après tout, nous avons aussi nos propres radicaux — mais, en fin de compte, je pense que la laïcité qui interdit la religion sur la place publique n'appuie pas le genre de libéralisme et de tolérance dont parle M. Halevi. C'est le genre de liberté religieuse et de laïcité qui invite la religion sur la place publique à l'intérieur des cadres utiles de la démocratie.
Monsieur Halevi, vous avez parlé de l'importance de constituer un État. Nous en avons entendu amplement parler. Pouvez-vous nous donner une idée de l'endroit où, d'après vous, cela doit commencer et de ce qui se passe, actuellement, dans la région?
On a construit différents niveaux de gouvernement, notamment la police, la justice et un réseau d'éducation ainsi que des organismes d'application de la loi. Vous pouvez voir que cela se passe très bien en Syrie et en Irak. C'est l'État islamique.
Je vous remercie tous d'être ici et de nous livrer votre témoignage.
Pour commencer, monsieur Halevi, vous avez mentionné que le plan directeur du califat de l'État islamique englobait l'Espagne. Manifestement, il englobe aussi Israël.
Je vais profiter de votre présence, en raison de vos antécédents, et vous demander ce qu'en pense Israël. Participe-t-il actuellement à la coalition en Irak, et, dans l'affirmative, de quelle manière?
Israël est vraiment inquiet, parce qu'il est également ciblé par l'État islamique.
L'État islamique fixe ses priorités. La première est de construire un État en Syrie et en Irak. C'est la base du lancement de la deuxième étape du djihad, qui vise expressément l'Arabie saoudite et la Jordanie. Voilà les prochains objectifs de l'État islamique.
L'objectif suivant est Israël. Ce n'est pas le dernier. C'est l'un des objectifs pour unir dans le djihad toute la nation musulmane sous un seul drapeau. L'État islamique l'a répété à satiété, l'objectif ultime du djihad est l'Europe et les États-Unis, ce qui signifie Rome, l'Espagne, l'Autriche, etc.
Dans ce cas, l'importance d'Israël dans l'idée de ce djihad vient du fait que les prophéties de Mahomet mentionnent trois villes à libérer: Istanbul, Jérusalem, ou al-Quds, et Rome. Voilà les conditions à remplir pour l'arrivée du Messie.
Le problème est que ce n'est pas seulement un conte de fées. C'est un principe de la foi islamique. Voilà qui explique l'attirance si forte que subissent les musulmans. Ils voient bien, et je le vois faire au Moyen-Orient et ici aussi, au Canada, par les musulmans radicaux, comment cela devient réalité, comment l'État islamique et la restauration de la gloire de l'ère islamique contemporaine de Mahomet et ayant suivi Mahomet, sont en train de se réaliser. Israël disparu, cela ne met pas fin au combat islamique visant à accorder la prééminence au monde d'Allah. C'est ce qu'ils disent, ce qu'ils répètent sans cesse...
Je suis désolé, mais j'ai peu de temps.
Pouvez-vous me dire si Israël, actuellement, participe à la coalition?
Je pense que la coalition compte deux partenaires secrets: Israël et l'Iran. Officiellement, ils n'en font pas partie, mais ils ont des intérêts dans la région. Nous le constatons de temps à autre, dans les différentes initiatives prises par les deux pays.
Merci.
Monsieur Farr, vous avez mentionné, et je suis d'accord, que, en fin de compte, la liberté religieuse est essentielle à la stabilité et à la sécurité de la région. C'est toute une commande. L'évêque a fait l'historique des difficultés et des persécutions des chrétiens. Des yézidis se sont adressés à nous la semaine dernière. C'est toute une commande. Même entre les sectes musulmanes, il y a beaucoup de conflits.
M. Halevi a mentionné que des imams, ici, au Canada, peuvent être en train de prêcher une forme d'extrémisme, wahhabite ou autre. Comment, d'après vous, réagir à cela dans notre pays — j'ignore s'il existe des exemples semblables aux États-Unis — en n'oubliant pas la liberté d'expression et la liberté de religion? Comment s'attaquer à ce problème au Canada, si des imams — je ne parle pas d'individus, mais de chefs religieux — peuvent prêcher une forme d'extrémisme que nous croyons inacceptable?
C'est une question difficile. Elle est difficile pour toute société démocratique, y compris la mienne.
Comme j'essayais de le dire, plus tôt, je pense que la réponse est une plus grande liberté religieuse, c'est-à-dire encourager d'autres imams à s'exprimer et à dénoncer l'extrémisme. Pour déjouer ce genre de discours, il en faut un meilleur. Je sais bien que c'est une façon typiquement américaine de s'attaquer au problème et, comme je l'ai dit, ça n'a pas toujours marché.
Mais je pense vraiment que, en fin de compte... Par exemple, lundi prochain, nous organisons une manifestation à Georgetown, sur cette question même: l'expérience des minorités musulmanes en Occident et ailleurs. Il y aura beaucoup de discussions, et des musulmans américains discuteront entre eux sur les exigences de leur propre religion. Je pense que c'est sain. Ce n'est pas toujours agréable. Il se trouve que je suis catholique, et, régulièrement, la presse américaine diffame ma religion. Mais la solution n'est pas dans l'interdiction, elle réside dans un discours amélioré.
Je pense que la liberté religieuse est la réponse à ces imams, pour en encourager d'autres à les contredire publiquement et à les faire parler, pour offrir d'autres choix aux musulmans canadiens qui les écoutent.
J'ai été très heureux de participer à une manifestation exactement semblable avec des collègues et un imam de la communauté Ahmadiyya, une secte musulmane, il y a environ deux semaines, à Montréal. J'espère que nous en verrons de plus en plus.
Monsieur Halevi, vous avez dit que l'Iran est un partenaire secret. Vous savez certainement que, militairement, ce pays a été actif en Irak. Qu'en pensez-vous?
L'une des causes premières du conflit est la déchirure entre les sunnites et les chiites au Moyen-Orient. Vous pourriez dire que l'Iran est principalement désireux de neutraliser l'État islamique. Au Liban, l'Iran a des intelligences avec le Hezbollah, en Syrie avec les Alawites. L'Irak est surtout chiite et son aspiration explicite est de dominer ce qu'il appelle le golfe Persique. Pour l'Iran, donc, c'est la véritable menace incarnée par l'État islamique, et la priorité est de le défaire. Il participera donc aux actions visant à le maîtriser ou à l'arrêter et il ira jusqu'au bout pour le faire.
La deuxième série de questions commence et chaque parti dispose de cinq minutes.
Nous commençons par M. Goldring.
Je vous remercie d'être présents, ç'a été très intéressant.
Qui appuie l'État islamique? On entend dire qu'il est financé grâce aux raffineries de pétrole dont il s'est emparé, mais il y a sûrement autre chose. À combien s'élèvent ses forces? Certains disent qu'ils sont quelques milliers de radicaux. D'où provient surtout son financement et que peut-on faire contre ses sources?
Monsieur Farr, vous avez peut-être une idée, ou monsieur Halevi.
D'abord, des millions de dollars ont été envoyés en Syrie depuis 2011 pour appuyer les combattants, les militants, les djihadistes et les moudjahidin qui combattaient le régime al-Assad. Une partie de l'argent s'est retrouvée entre les mains d'autres groupes comme le Front Al-Nosra et des groupes vraiment affiliés à l'État islamique ou qui l'ont rejoint plus tard. L'État islamique a pris le contrôle des banques d'Irak et les a pillées. Il s'est ainsi financé. Il exporte aussi du pétrole vers la Turquie.
D'après les djihadistes canadiens qui ont rejoint l'État islamique en Irak — je pense particulièrement à un Calgarien qui se trouve actuellement à Mossoul, l'État islamique traite très bien ses partisans en Irak, qui reçoivent un salaire mensuel, et il prend soin aussi de leurs familles. Il paie toutes leurs dépenses...
Oui, c'est ce que je voulais ajouter. Il faut considérer la chose du point de vue d'un Irakien et non d'un Canadien, ce qui signifie que le coût de la vie en Syrie et en Irak diffère totalement de ce à quoi nous nous attendons ici, au Canada, et, avec plus d'argent, il est possible de faire beaucoup plus. Je pense que la coalition doit s'attaquer prioritairement et sérieusement à la question précise du financement. Je pense qu'il faudrait exercer des pressions sur la Turquie, dont le rôle est central, parce que le pétrole est envoyé sur le marché turc.
Nos députés, ici, sont certainement chrétiens et juifs, mais aucun n'est musulman. Comment pouvons-nous mobiliser la communauté islamique pour qu'elle se fasse entendre sur la scène internationale? Beaucoup d'organisations qui, sinon, pourraient s'exprimer auraient, croiriez-vous, une dimension internationale... Existe-t-il une organisation islamique internationale de parlementaires ou une partie de l'Islam qui soient crédibles?
Il est très difficile pour nous, chrétiens et juifs, d'être crédibles, sur ce genre de questions, mais comment obtenir cette crédibilité pour des ténors islamiques qui, sur la scène internationale, condamneraient ce qui se passe?
Premièrement, la majorité des organisations islamiques du Canada ont dénoncé et condamné maintes fois l'État islamique, mais après avoir analysé la position de la communauté musulmane canadienne, j'ai constaté que toutes les grandes organisations s'opposent peut-être aussi à toute intervention militaire contre l'État islamique. Elles le condamnent, mais dénoncent aussi toute mesure prise contre lui. Dans son sermon hebdomadaire, un des imams de Scarborough, en Ontario, a critiqué le gouvernement du Canada pour avoir joint la coalition. Il a dit — et ce sont ses mots — que le Canada devait se montrer neutre face à l'EIIL, et donc éviter toute intervention. Il a également parlé de la politique étrangère du Canada, etc.
Comment peut-on à la fois dénoncer et condamner l'État islamique et demeurer neutre à son endroit? Pourquoi ne pas intervenir? Quelles seront les conséquences de l'inaction contre l'État islamique... Qu'arrivera-t-il? L'État islamique va continuer de sévir et de prendre de l'expansion. Je crois qu'il est très important d'encourager le...
Je me dois de soulever un autre point. Nous avons vu défiler d'imposantes manifestations au cours de l'été concernant d'autres enjeux. La communauté musulmane est descendue dans les rues l'été dernier et dans les années passées. Dans ce cas-ci, outre les déclarations, nous n'avons pas vu de manifestation par les masses et pour les masses.
Il est très important selon moi de parler aux dirigeants de la communauté musulmane pour faire passer le message que l'État islamique et les valeurs qu'il prône ne doivent pas être tolérés. Cela veut aussi dire de dénoncer les imams et les organisations qui répandent des idées semblables à celles de l'État islamique.
Merci beaucoup.
Je rappelle à tout le monde que M. Farr devra nous quitter à la fin de ce tour.
Je crois, monsieur Farr, que vous pouvez rester jusqu'à la fin du tour, mais que vous devrez ensuite partir, c'est bien cela?
Merci de rester avec nous un peu plus longtemps.
Je sais que je n'ai que cinq minutes. Je vais essayer de poser une question à chacun d'entre vous, alors je vous prierais d'être brefs, si c'est possible.
Monsieur Farr, vous dites que la liberté religieuse est un moyen de s'adapter à tous. Je suis d'accord avec vous sur ce que vous avez dit à date aujourd'hui. De façon générale, je crois qu'on pourrait dire que le Canada et les États-Unis favorisent tous deux la liberté religieuse. Je pense que c'est un peu plus difficile aux États-Unis en ce moment. Votre pays préconise la séparation de l'Église et de l'État, et pourtant, la démarcation entre les deux est de plus en plus floue.
Les États-Unis ont assez bien réussi à composer avec les chrétiens extrémistes au sein de leur population. Je me demandais si vous aviez des conseils à nous donner pour nous aider à composer avec la réponse du Canada face à la violence et à la persécution religieuses.
C'est une excellente question. Ma réponse sera incomplète, car je veux être bref, comme vous l'avez demandé. La meilleure façon d'y répondre serait peut-être de revoir la prémisse de votre question.
On peut se tromper sur la nature du régime américain de liberté religieuse si on se concentre sur la séparation de l'Église et de l'État. Comme vous le savez probablement, cette phrase ne figure nulle part dans la Constitution des États-Unis. C'est vrai dans la mesure où il y a une séparation institutionnelle entre l'Église et l'État. Autrement dit, les deux ne peuvent être réunis. Le système de l'État ne peut pas englober une institution religieuse.
Le génie de notre système, selon moi, consiste à inviter la religion sur la place publique. Séparer la religion de la politique — l'islam, le judaïsme, le christianisme et tous les autres —, c'est ce qui est dangereux dans mon pays en ce moment. Et à mon avis, c'est aussi une menace pour bien des gens et bien des opinions, de même que pour ce dont on discute aujourd'hui.
Pour répondre à votre question, je dirais que le Canada et toutes les démocraties occidentales ne devraient pas essayer de retirer la religion de la place publique pour définir la « religion » et la « liberté religieuse », mais plutôt l'inviter à s'intégrer dans les normes de la société. Comme vous le savez, on réexamine ce modèle en France en ce moment. Toute la notion de laïcité consiste à ramener la religion sur la place publique et à solliciter la participation des acteurs religieux.
C'est ce que je peux vous répondre. Il ne s'agit pas de séparer la religion de la politique. Il s'agit de séparer l'Église de l'État, tout en invitant la religion sur la place publique pour que tous aient la même voix au chapitre.
Monsieur, monsieur Farr.
J'ai une question pour l'évêque Mar-Emmanuel. Je reviens à quelque chose que vous avez dit plus tôt, car j'aimerais avoir plus de précisions. Quels sont les besoins particuliers des femmes et des filles qui sont touchées par ce conflit, et quel rôle le Canada peut-il jouer pour y répondre?
C'est une crise qui secoue l'Irak en ce moment, surtout avec les agissements de l'EIIL et la discrimination dont les femmes sont victimes. Des milliers et des milliers de femmes ont été capturées, surtout des yézidies, mais aussi quelques chrétiennes. L'interprétation que font ces extrémistes de certains passages de la religion ou du Coran pose manifestement problème.
Est-ce que le Canada peut faire quelque chose pour aider la population, particulièrement les réfugiés?
Je pense que le Canada a dépêché à plusieurs reprises ses hauts dirigeants dans le nord de l'Irak récemment pour encourager son développement, surtout à l'approche de l'hiver. C'est surtout une question d'éducation, mais les conditions sont très difficiles là-bas... comme l'ont interprété les autres partis et l'opposition.
C'est donc une question d'éducation, mais je pense aussi au logement, à l'approvisionnement alimentaire et à la santé.
D'après ce que vous savez, diriez-vous que les conditions de vie sont inadéquates en ce moment là-bas?
Oui, exactement. Il est urgent d'agir. Et même si beaucoup de leaders religieux et des organisations occidentales, comme la Croix-Rouge, Caritas et d'autres, sont sur place, la situation n'est pas moins urgente. Il y a des caravanes, mais on manque d'électricité et de nourriture, et on est aux prises avec des problèmes sanitaires et des maladies. Jusqu'à maintenant, bien des gens occupaient les écoles, les parcs ou les salle paroissiales. La crise rend les conditions extrêmement difficiles et les ressources sont très limitées.
Merci beaucoup, monsieur Rafferty.
Monsieur Farr, je veux prendre le temps de vous remercier sincèrement de votre témoignage aujourd'hui. Merci de nous avoir accordé de votre temps.
Monsieur le président, je suis très déçue que M. Farr ait dû nous quitter, car j'aurais aimé avoir ses commentaires sur la formation de nos diplomates. Il a dit que le budget du bureau de la liberté de religion devrait servir à aider nos diplomates. J'aimerais savoir sur quoi, sur qui, comment et avec quoi cette formation devrait être donnée. Il a utilisé le terme « cheville ouvrière ». J'ai quant à moi parlé d'un « enjeu central » mardi quand nous avons entendu les témoins. Un témoin nous a dit que l'enjeu central était la sécurité, c'est-à-dire de résoudre le problème de sécurité en Irak. J'aurais bien aimé pouvoir en discuter avec lui.
Voic mes questions aux autres témoins.
Monsieur l'évêque, vous avez dit que des églises participaient à la création d'une zone sûre. Pourriez-vous nous en parler un peu plus? Est-ce que cette zone est respectée? Est-ce que l'aide humanitaire se rend jusque-là? Le Canada est l'un des plus grands fournisseurs d'aide humanitaire. Il a dépensé près de 362 millions de dollars à ce jour sur le conflit en Irak et en Syrie. L'aide est généreuse, mais il faut se demander si elle se rend à bon port. Est-ce que ces zones sûres sont respectées?
Monsieur le président, concernant la zone sûre, la plupart des chefs chrétiens et d'autres organisations chrétiennes ont déclaré que depuis que les gens ont été déportés de la ville de Mossoul et des régions avoisinantes, il est très difficile pour eux de retourner à la maison, même après la libération. C'est ce que disent les chrétiens, mais aussi des yézidis. La confiance n'y est plus, car bien des maisons ont été pillées. Comment peuvent-ils retourner chez eux et côtoyer leurs voisins? Il faudra probablement au moins une génération avant que les choses ne se replacent ou qu'il y ait une réconciliation.
Un sondage a été mené par le Nineveh Center for Research and Development, une organisation du nord du pays. Elle a sondé quelque 4 000 personnes. Environ 56 % des répondants ont dit être prêts à rentrer à la maison, mais à la condition d'avoir l'appui de la communauté internationale; 42 % envisageaient l'immigration pour pouvoir quitter le pays.
C'est un problème. Cela a de très sérieuses répercussions sur la population — d'énormes répercussions. C'est très difficile. Évidemment, l'aide se rend, mais la situation est plus urgente encore et beaucoup de gens souffrent. Les prix sont élevés.
Merci.
On nous a répété maintes et maintes fois que les gens veulent simplement rentrer chez eux. Ils veulent retrouver leur maison et leurs effets personnels. Nous avons entendu le message très clairement.
Monsieur Halevi, vous avez dit quelque chose qui défiait un peu la logique, selon moi. Vous pourriez peut-être préciser votre pensée à ce sujet. Vous avez dit qu'un imam canadien prêche en faveur de la neutralité du Canada. Ce qui me dépasse un peu, c'est qu'il voudrait quand même que le Canada envoie de l'aide humanitaire sur place pour les gens touchés par la crise. Est-ce que cela ne vous paraît pas un peu illogique? Il demande au Canada de rester neutre devant le conflit et de ne pas prendre part à la coalition avec ses alliés, mais de continuer à fournir de l'aide financière et humanitaire à ces personnes qui en ont désespérément besoin, qui sont souvent issues des communautés musulmanes.
Avez-vous des commentaires à formuler là-dessus? À mon avis, c'est totalement illogique.
Non, je sais, mais ce n'est pas ce qu'il a dit. Ce n'est pas l'argument qu'il avance. Son discours est tout autre. Je vous recommande d'écouter son sermon et de lire ce qu'il a dit exactement. Ce n'est pas la même logique du tout.
Il a blâmé le Canada pour le conflit en Syrie et en Irak. Il a blâmé la politique étrangère du Canada. Sa logique n'est pas celle que vous avez décrite. Il a la même que certains leaders de la communauté musulmane. Ils s'opposent à la politique étrangère canadienne, blâmant le Canada et l'Occident en général pour la naissance de l'extrémisme. Ils maintiennent que le Canada n'accepte pas sa part de responsabilité dans le problème de l'extrémisme, pas seulement au Canada, mais dans tout le Moyen-Orient.
D'où vient l'extrémisme? L'extrémisme ne vient pas de l'Occident. Il n'est pas question de représailles.
Hier, justement, nous avons entendu ce qu'a dit le djihadiste d'Ottawa. Il a parlé de représailles face à l'oppression. Quelle oppression? Ils considèrent — et je reprends leur position, ce n'est pas mon analyse personnelle — que lorsque les musulmans ne peuvent pas pratiquer le djihad ni propager l'islam, ils sont opprimés, et en tant que victimes, ils ont le droit de lancer une attaque contre leurs oppresseurs. Cela veut donc dire que pour eux, le djihad aura toujours sa raison d'être.
Selon l'imam en question, la neutralité veut dire de ne prendre aucune mesure contre l'État islamique. Ne faites rien. Ne rien faire contre l'État islamique, c'est lui laisser le champ libre pour appliquer sa politique concernant les minorités en Irak et en Syrie. Je pense que nous ne devrions pas tolérer cela.
On a entendu que l'éducation était l'une des grandes priorités de l'EIIL.
Est-ce que cet enseignement montre aux jeunes gens comment devenir des kamikazes? Comment pouvons-nous, nous, les Canadiens, dissuader les jeunes d'adhérer à ces pratiques sans les éliminer physiquement?
La réponse est oui.
Vous pouvez voir sur YouTube comment sont placés les jeunes dans les mosquées. On leur enseigne, en groupes, les préceptes de l'islam selon l'idéologie de l'État islamique. On voit leur entraînement au tir, avec des AK-47 et tout le reste. Ils sont bien préparés et ils se présentent comme la nouvelle génération de djihadistes qui va combattre l'Occident.
Je vais vous donner un exemple. J'aimerais parler de la façon dont les diplomates canadiens devraient travailler avec les autres gouvernements et du rôle de la diplomatie canadienne. C'est un cas que j'ai examiné récemment et qui s'est passé en Afghanistan.
Le Canada a tenté de promouvoir la démocratie et le libéralisme en Afghanistan. Un des partenaires clés du Canada en Afghanistan, un des hauts fonctionnaires — qui est aussi citoyen canadien, soit dit en passant —, a collaboré avec le gouvernement canadien. Cet homme est membre du Hizb ut-Tahrir. Il a dit lui-même, au Canada, que l'islam et la démocratie étaient incompatibles. En tant que membre du Tahrir, il croit au califat. C'est le grand problème avec le Hizb ut-Tahrir. Nous devons tout d'abord choisir nos partenaires avec le plus grand soin pour faire la promotion de la démocratie et de la tolérance envers les autres religions.
J'ajouterais une dernière chose assez importante en ce qui concerne le financement. Les fonds arrivent au Canada de différentes sources pour promouvoir le radicalisme, comme le disait l'imam de Brampton. Il a dit que des Canadiens vont étudier à l'Université de Médine avant de revenir au pays pour semer la haine, entre autres choses. L'argent vient de l'Arabie saoudite, du Koweït, du Qatar et d'ailleurs. La mosquée au sud d'Ottawa a aussi été financée par des intérêts du Koweït.
Il est important à mon avis que le Canada se penche d'abord sur la provenance des fonds. On sait que tous ces pays ne permettent pas la liberté de religion à l'intérieur de leurs frontières. Impossible de bâtir une église au Koweït, et c'est la même chose en Arabie saoudite. Si on veut propager un message de tolérance envers les autres religions, nous devons adopter une politique de réciprocité: si vous ne permettez pas qu'on prêche d'autres religions dans votre pays, ne venez pas financer d'autres activités chez nous.
Je sais que le gouvernement irakien ne protège pas vraiment la population d'Irak. Je veux parler du camp Liberty, autrefois le camp Ashraf. C'est là où se sont réfugiés les citoyens iraniens qui ont fui leur pays lorsque le shah a été renversé. Ce camp a été protégé pendant de nombreuses années par les Américains. Quand les Américains sont partis, le gouvernement irakien a graduellement retiré toutes les barrières qui protégeaient le camp. On a tiré sans discrimination sur les réfugiés du camp, lancé des attaques au mortier, et tué beaucoup de gens. Les cargaisons alimentaires étaient bloquées. Les conditions sanitaires sont terribles.
Quand on parle de religion, ces gens ont été complètement endoctrinés. Comment pouvons-nous réalistement proposer une solution politique à des gens qui ont la conviction innée que certaines personnes méritent leur haine?
Il ne faut pas s’attendre à ce que le Canada, les pays occidentaux ou même les États-Unis réussissent à résoudre les problèmes entre les sunnites et les chiites ou à changer l’islam. C’est leur propre religion, leur propre foi. Ils ont d’autres problèmes sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Ce n’est pas une partie d’échecs. Nous ne faisons pas que déplacer les pièces d’un jeu.
Nous devons avant toute chose défendre notre démocratie. C’est ce qui importe le plus. C’est au sommet de nos priorités, car il faut prévenir l’influence du radicalisme qui viendrait de l’étranger s’installer sur notre sol. Le fossé qui sépare les sunnites et les chiites ne date pas d’hier, mais nous pouvons voir que cette dissension fait son chemin jusqu’au Canada.
Il y a eu des incidents, dont un à Montréal. Un imam chiite de Toronto a révélé il y a quelques mois qu’il y a des tensions, au Canada et aux États-Unis. On a organisé une réunion à Washington, D.C., pour discuter de ces tensions. Je pense que sur le plan de la sécurité publique, il est important d’examiner très soigneusement les tensions au Moyen-Orient entre les sunnites et les chiites, car elles se feront sentir ici, en sol canadien.
C’est tout le temps que nous avons. Nous allons passer à M. Donnelly.
Monsieur, vous avez cinq minutes.
Je suis désolée. J'ai été distraite.
J’aimerais dire quelque chose à propos du commentaire de Mme Brown, qui a dit tout à l’heure qu’il semble illogique d’être neutre et de fournir de l’aide humanitaire. J’aimerais rappeler à tous que les principes fondamentaux de l’aide humanitaire englobent la neutralité et l’impartialité et qu’en fait, bien des organismes humanitaires trouvent difficile de travailler sur le terrain à fournir de l’aide humanitaire alors que le Canada participe à des interventions militaires.
Ceci étant dit, je...
Ce que M. Halevi a dit dans son exposé, c’est que l’imam préconise la neutralité du Canada. Ce que je lui ai dit, c’est qu’il y a quelque chose d’illogique si on demande au Canada de demeurer neutre alors que l’EIIL continue… On nous demande quand même de fournir de l’aide humanitaire. Je comprends que l’aide humanitaire doit être offerte dans la neutralité.
Le Canada va demeurer neutre, mais il y a quelque chose qui cloche dans la logique de l’imam, selon lequel nous pouvons demeurer neutre et quand même assumer la responsabilité de venir en aide aux gens dont bon nombre sont des musulmans.
Je pense que nous pourrions discuter de cela, mais je crois que les principes fondamentaux de l’aide humanitaire et du droit international humanitaire ne sont pas bien compris.
De toute façon, nous allons discuter de cela à un autre moment.
Monsieur Halevi, à ce sujet, vous avez mentionné que certains imams qui condamnent l’EIIL s’opposent cependant à toutes mesures contre l’EIIL. Devrais-je comprendre que ce que vous dites, c’est qu’ils s’opposent à des interventions militaires contre l’EIIL?
Non, vous avez parlé de mesures, sans plus, et je voulais éclaircir cela, et le fait que de nombreux experts, partis de l’opposition et autres pays croient qu’une intervention militaire telle que celle qui a lieu maintenant ne fait qu’alimenter le problème. Je pense que cela donne une perspective différente du type d’intervention qui serait nécessaire.
Ceci étant dit, monseigneur Mar-Emmanuel, vous avez mentionné la méfiance entre les diverses communautés. Nous savons tous que quand tout cela sera terminé — dès que possible, nous l’espérons —, nous aurons la responsabilité de reconstruire l’Irak. Quel genre de rôle pensez-vous que le Canada pourrait jouer pour favoriser le dialogue entre les diverses communautés et même au sein de certaines communautés?
En tant que démocratie, le Canada a un important rôle à jouer, surtout en ce qui concerne la crise en Irak. Les minorités d’Irak sont de petits groupes ethniques marginalisés. Bien que, depuis 2003, les minorités chrétiennes soient représentées au sein du gouvernement central, et ce, même dans la région du nord, il reste beaucoup à faire. Par exemple, il faut comprendre le pays lui-même. Comme je l’ai indiqué dans mon mémoire, au début, le christianisme en Irak remonte à l’époque des premiers apôtres, mais l’Irakien moyen en sait très peu à ce sujet. La majorité irakienne pense donc que le christianisme est le produit des puissances coloniales ou qu’il a été ancré en Irak par les missionnaires de l’occident.
Je me souviens de nos lectures, au milieu des années 1970, sur l’histoire du christianisme et d’autres religions, en particulier en Europe, et sur la Réforme, à l’époque de Martin Luther. On n’a rien enseigné sur le christianisme, en Irak, sur le fait qu’il existait avant l’islam. Même récemment, près de Koufa, dans la région d’Al-Hirah, on a découvert plus de 30 monastères et églises. Les gens là-bas n’en revenaient pas d’avoir trouvé des églises à cet endroit. Cela révèle quelque chose. Je pense dons qu’il s’agit plus de tolérance, d’acceptation des chrétiens. Cependant, il arrive que les chrétiens, qui forment une petite minorité, deviennent plutôt des victimes des puissances supérieures, compte tenu de certaines politiques et de certains intérêts. De nos jours, en Irak, il est bien plus question des Kurdes, des chiites et des sunnites. Vous entendez très rarement parler des chrétiens, alors nous souffrons.
Merci beaucoup. C’était très intéressant.
D’autres témoins sont venus nous dire à quel point il est essentiel, pour que l’Irak se tienne comme pays, de créer un sentiment d’appartenance citoyenne — le sentiment d’être d’abord et avant tout des citoyens d’Irak. Pensez-vous que c’est réalisable?
C’est à regret que je dois dire qu’il y a des difficultés dans le monde musulman et parfois au sein des minorités chrétiennes et autres, concernant le sentiment d’être des citoyens de deuxième classe. Pour les chrétiens, parfois, les choses sont sur papier, mais ne se concrétisent pas. Certains occupent des postes supérieurs, mais ils ne sont pas des décideurs. Parfois, ils essaient de faire paraître les choses meilleures qu’elles le sont. C’est un pays démocratique, mais nous voyons que les chrétiens sont tout le temps marginalisés.
On nous a parlé d’une organisation qui fait son chemin à travers le Moyen-Orient. Les membres de cette organisation massacrent les hommes, asservissent les femmes et vendent les enfants. Ils détruisent les communautés religieuses et minoritaires qu’ils rencontrent sur leur chemin. Je pense qu’il faut vraiment être simple d’esprit pour penser que tout sera réglé si nous y allons pour serrer des mains, nous tenir par la main pendant un petit moment et chanter une version moderne de « Kumbaya ». Je n’y crois pas. Nous avons des responsabilités internationales. Nous sommes heureux de contribuer et nous allons continuer de le faire.
Monsieur le président, je ne crois pas avoir dit ça. Est-ce qu’on peut savoir à quel commentaire M. Anderson fait allusion en ce moment?
Ce n’était qu’une observation. Je comprends que Mme Laverdière réagit parce qu’elle sait exactement de quoi je parle.
Non. Je demande des éclaircissements. Est-ce que M. Anderson peut nous préciser qui a dit que nous devrions nous tenir main dans la main avec les gens de l’EIIL?
Je vais demander aux membres du comité de réserver leurs commentaires pour les moments où ils sont censés parler. Sinon, cela va finir en débat. Nous avons tous d’autres tours, alors je vous prie de poursuivre.
Monseigneur Emmanuel, pouvez-vous nous dire d’où vient l’aide en ce moment? Le Canada a essayé de veiller à s’acquitter de ses engagements et l’a fait. Est-ce que l’aide qui va à votre communauté vient d’autres communautés religieuses? Est-ce qu’elle vient du gouvernement?
Des témoins nous ont dit l’autre jour que l’aide qu’on cherche à acheminer vers les camps est détournée. Pouvez-vous nous parler un peu de vos gens et de l’origine de l’aide que vous obtenez? Vous avez bien sûr dit qu’il en faut plus, mais pourriez-vous nous éclairer à ce sujet?
L’aide vient du Canada. Le Canada joue un rôle très actif dans l’aide humanitaire, et il participe aussi depuis peu à la coalition militaire formée d’autres pays.
L’aide, le financement et l’aide humanitaire viennent aussi de plusieurs pays européens et des États-Unis. Nous avons aussi nos communautés d’Amérique du Nord — ici au Canada et aux États-Unis —, et même celles d’Europe et d’Australie. Les membres des congrégations cherchent à soutenir leurs parents ou à améliorer la situation là-bas. Ces fonds sont donnés et distribués sans discrimination, même à des non-chrétiens et à d’autres personnes qui souffrent.
Puis-je vous demander qui assure la protection de votre communauté? Vous êtes passés dans les secteurs kurdes que les peshmergas contrôlent. Comment est la sécurité dans cette zone?
Au début, certains ont blâmé les Kurdes, puisqu’ils étaient implantés solidement dans certaines régions près de Mossoul, mais ils se sont retirés et les gens ont fui le pays.
Comme vous le savez, il y a une certaine tension entre le gouvernement central irakien et les Kurdes concernant le budget, mais les choses s’améliorent probablement, maintenant, avec l’élection du nouveau gouvernement irakien.
Bien entendu, maintenant, l’armée irakienne et même les Kurdes reçoivent l’appui de la communauté internationale, laquelle fournit une aide militaire et les services de conseillers. Les États-Unis sont très impliqués, et même le Canada l’est.
Ils ont fait des suggestions aux chrétiens pour qu’ils puissent se défendre eux-mêmes, malgré leur petit nombre. Ils ont formé des gardiens de sécurité pour protéger leurs villages autant que possible.
Je vais vous demander à tous les deux de me dire ce que vous pensez du nouveau gouvernement irakien. Sera-t-il capable de structurer l’État de la façon requise pour que vos gens puissent retourner dans leurs régions et pour que leur sécurité soit assurée dans une certaine mesure?
Monsieur Halevi, vous avez parlé de l’édification de l’État. Est-ce que le gouvernement irakien sera capable d’établir son infrastructure politique plus rapidement que l’EIIL le fait dans les secteurs où il domine actuellement ou dans les secteurs dont nous voudrions qu’ils soient chassés?
Le gouvernement irakien fait des promesses, mais je pense qu’il a besoin du soutien de la communauté internationale. C’est ressorti clairement, en particulier concernant la libération de Mossoul. On parle même de certaines églises de Mossoul, dans les nouvelles – de nombreuses églises anciennes que l’EIIL convertit en prisons. Il est difficile de savoir comment libérer la ville des forces du mal ou des ténèbres.
Les Irakiens aussi ont encouragé les citoyens de Mossoul à le faire. Ils ont cherché à leur donner le courage, comme ils l’ont fait avec certaines tribus, en allant sur le terrain pour travailler tous ensemble avec les forces militaires de manière à libérer la ville.
Nous pouvons regarder la situation dans son ensemble, au Moyen-Orient, puis la situation de l’Irak, puis regarder ce qui se passe au Liban. Le Liban est divisé. La Syrie s’est désintégrée. Le Yémen s’est aussi désintégré. Les chiites soutenus par l’Iran ont pris le contrôle de Sana'a, la capitale. Nous voyons les pressions qui s’exercent au sein de Bahreïn et de l’Arabie Saoudite, entre les sunnites et les chiites. En Irak, les choses se sont aussi désintégrées. Les sunnites du nord de l’Irak sont principalement contrôlés par le groupe État islamique. Vous avez l’autonomie kurde. Il y a presque une entité indépendante au sein de l’Irak, et ils ont… et les pressions sur Bagdad, la capitale mixte de l’Irak, sont énormes. Au cours des quelques dernières années, il y a eu des centaines d’attaques terroristes. Un coup de baguette magique ne peut réunir tous les Irakiens en une seule nationalité comme c’était le cas dans le passé. Les pressions entre les deux forces — les sunnites et les chiites — dans le monde arabe sont si intenses qu’elles favorisent encore plus de désintégration dans la région. Et malheureusement, d’après moi, tout cela pourrait causer encore plus de tensions et de frictions entre ces deux sectes.
Je remercie nos témoins d’être venus comparaître aujourd’hui.
Monsieur Halevi, nous avons entendu des témoignages troublants au sujet de la relation entre Assad, le président syrien, et l’EIIL. J’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de la façon dont la situation en Syrie est liée à la crise ou aux menaces de l’EIIL.
Ce que j’ai dit dans mon témoignage à propos d’Assad et de l’EIIL? Quel était le principal argument?
Vous voulez que je vous parle de ce qui a été dit au sujet de l’EIIL et d’Assad. L’organisation État islamique, l’EIIL, est…
Je peux en parler.
L’EIIL, l’organisme État islamique, est un ennemi d’Assad car, pour l’EIIL, le régime Assad est un gouvernement d’infidèles, composé d’alaouites, un groupe qui est une ramification des chiites. L’EIIL les accuse d’apostasie et estime qu’il faut les exécuter. En particulier, la Syrie est appelée Al-Sham, ce qui signifie l’ancienne région. La Syrie, la Jordanie, Israël et le Liban font partie de la prophétie de Mahomet. C’est le secteur où le djihad commencerait à prendre son expansion, et c’est pourquoi ils se concentrent sur la Syrie.
L’EIIL, l’État islamique en Irak et au Levant, a vu le jour en Irak, puis s’est étendu en Syrie pour organiser et réunir toutes les forces islamiques sous un seul drapeau islamique, de manière à établir une assise très solide, une forteresse au sein de la Syrie. C’est de là qu’on lancerait le djihad.
Il n’y a aucun compromis possible entre l’organisation État islamique et le régime Assad. Absolument aucun. Ils ne parlent pas de compromis. Ils ne cherchent pas à négocier avec le régime Assad. C’est un ennemi juré. Ce qu’Abu Bakr al-Baghdadi, le calife, chef du groupe État islamique a dit est très important. Il a parlé de la prochaine cible, ce qui signifie l’Arabie saoudite et la Jordanie. Mais il a dit à ses fidèles du groupe État islamique que leur religion les oblige à tuer les mécréants. C’est la priorité. Mais ils doivent aussi garder à l’esprit qu’au sommet de leurs priorités, il y a leur principal ennemi, les chiites. Qu’ils comprennent bien qu’ils doivent aussi s’occuper des chiites. Ils ne doivent pas donner aux chiites le contrôle du secteur sur un plateau d’argent.
Cela explique essentiellement l’animosité ressentie par les membres du groupe État islamique envers l’Iran et Bachar al-Assad, de Syrie.
Merci.
Les résolutions 2170 et 2178 du Conseil de sécurité de l’ONU demandent aux États membres de prévenir et de réprimer les mouvements illégaux d’argent et d’armes destinés à des organisations extrémistes par des contrôles aux frontières et par l’échange d’information. Je me demande si vous pouvez nous parler de l’importance de méthodes fermes de contrôle des armes et des transferts d’argent.
Pendant bien des années, nous avons vu des transferts d’argent et d’armes vers des zones de conflit, puis nous avons constaté le terrorisme et l’instabilité que cela apporte. Cela a commencé par ce que nous appelons la da’wah, l’invitation à l’islam, en Arabie saoudite, dans les années 1960, et ce, jusqu’à la fin des années 1970. Cela équivaut à encourager l’établissement de communautés dans le but de répandre l’islam. Dans certains cas, nous avons à l’époque vu des organismes de bienfaisance saoudiens qui soutenaient également les moudjahidines au Pakistan, en Afghanistan, au Moyen-Orient et ailleurs. C’était la stratégie. C’est ainsi que cela s’est bâti.
L’argent allait directement aux moudjahidines ou leur parvenait par l’entremise d’organismes de bienfaisance et servait à soutenir l’infrastructure, le réseau des moudjahidines, par le soutien aux familles de ceux qu’ils appelaient des « martyres » — les terroristes — et ceux qu’ils appelaient les « prisonniers » — les terroristes trouvés coupables et condamnés à des peines d’emprisonnement, etc. C’était déguisé ainsi.
En passant, il y en a eu un cas ici, au Canada. C’est une organisation canadienne qui a obtenu des millions de dollars pour le financement du Hamas. Cet argent a aussi servi à soutenir le réseau du Hamas et lui a donné l’argent qu’il lui fallait pour faire la promotion de ses activités.
Je pense qu’il est crucial de se pencher sur l’argent. Bien entendu, il est essentiel de s’occuper des armes; il n’y a aucun doute à ce sujet. Il faut regarder de près les armes, mais il faut aussi s’occuper de l’argent. L’argent est essentiel pour financer ces organisations et pour leur donner vie.
Merci pour ces commentaires, monsieur Halevi. C’est exactement la raison pour laquelle l’Agence du revenu du Canada prend très au sérieux la vérification des états financiers des organismes de bienfaisance au pays. Nos règles sont très rigoureuses en ce qui a trait aux contributions et à la façon dont elles peuvent être utilisées. Si elles sont utilisées à des fins politiques, il revient à l’ARC de s’assurer que ces organismes respectent les règles établies.
J’aurais besoin de votre aide pour bien comprendre quelque chose. J’ai besoin d’informations. Vous avez parlé plus tôt d’un principe religieux, que Rome, Istanbul et Jérusalem doivent être libérées pour la venue du Messie. C’est essentiellement ce que vous avez dit. Est-ce bien le principe que vous avez mentionné?
S’il s’agit d’un principe religieux, étant donné l'insurrection causée par l’EIIL, y aura-t-il… Vous dites que l’EIIL veut établir le califat afin d’avoir un bastion sur lequel s’appuyer. Si ce principe est défendu par l’ensemble des musulmans, doit-on s’attendre à d’autres attaques et à d’autres actes terroristes?
Le rétablissement du califat qui s’est terminé au siècle dernier avec l’effondrement de l’Empire Ottoman a entraîné la création de l'organisation Les Frères musulmans à la fin des années 1980 et, plus tard, celle d’Hizb ut-Tahrir, dans les années 1950. Soit dit en passant, l'organisation Les Frères musulmans est la plus grande organisation musulmane au monde. Cette organisation internationale a des filiales ici même, au Canada, tout comme Hizb ut-Tahrir.
L’établissement du califat est essentiel pour les musulmans. Ça fait partie de la religion. C’est un des objectifs. L’objectif final est d’établir le califat pour permettre l'entrée en vigueur du droit islamique.
Un des imams qui met les gens en garde contre la radicalisation et le wahhabisme, notamment, au Canada, a dit dans un article que le Canada devrait laisser tous les pays du Moyen-Orient appliquer le droit islamique, la charia. Il s’agit, selon lui, de la solution. Même s’il dénonce le wahhabisme, il appuie la charia.
Ce qui différencie ces groupes, ce sont les tactiques utilisées pour établir le califat et permettre l'entrée en vigueur du droit islamique. Tout comme Al-Qaïda, l’EIIL appuie le recours au djihad violent comme première étape. Le Sheikh Yusuf al-Qaradawi, une des plus hautes autorités du monde musulman et le chef spirituel des Frères musulmans, a dit en 2003 qu’il faut utiliser le dawah, soit répandre l’islam, et l’immigration comme outils pour prendre le contrôle de l’Europe. Il faut procéder par étape. Il faut éviter le recours au djihad, car cela entraînera des représailles de la part des pays touchés.
C’est aussi ce que propose Hizb ut-Tahrir comme façon de procéder pour établir le califat. L’organisme a changé sa politique très récemment en raison de l’établissement du califat. Si Hizb ut-Tahrir favorise l’établissement du califat et que celui est déjà établi, quel rôle joue l’organisme alors? Les dirigeants ont décidé que, pour la première fois, il fallait agir, pas seulement prêcher auprès des musulmans et les sensibiliser, mais prendre des mesures concrètes pour établir le nouveau califat.
Ce qui différencie ces groupes, ce sont les éléments précis et qu'ils jugent nécessaires à l’établissement du califat. Selon Hizb ut-Tahrir, sous le règne d’Abu Bakr al-Baghdadi, le califat n’a pas été établi correctement. L’organisme pourrait le faire. Soit dit en passant, une des discussions concernant l’établissement du califat a eu lieu ici même, au Canada. Les adeptes en ont parlé ouvertement, sans se cacher. Cette question fait l’objet de discussions. Les adeptes en parlent et, lorsqu’ils parlent du califat, ils parlent en fait de l’entrée en vigueur du droit islamique.
Merci beaucoup.
Voici comment nous allons procéder. Il nous reste environ 15 minutes. J’aurai besoin d’environ cinq minutes pour vous parler des travaux du comité au retour du long congé.
Il reste, sur ma liste d’intervenants, M. Goldring. Il ne reste plus d’intervenants du NPD. M. Garneau aurait quelques questions à poser, et M. Anderson sera notre dernier intervenant. Nous tenterons de faire intervenir les intéressés au cours des 10 prochaines minutes.
Monsieur Goldring, vous disposez d’un peu moins de cinq minutes pour poser vos questions. Nous passerons ensuite à M. Garneau et terminerons avec M. Anderson. Nous poursuivrons ensuite à huis clos pendant cinq minutes pour discuter des travaux du comité au retour du long congé.
Monsieur Emmanuel, on entend parler de l’ambassadeur Bennett, de ses fonctions, du dialogue qu’il maintient et du travail qu’il accomplit à l’échelle mondiale sur la question de la liberté de religion. Il discute beaucoup avec différents groupes et peuples.
La semaine dernière, j’ai rencontré un imam, à Edmonton, et ses propos m’ont beaucoup inquiété. Il a tenu des commentaires très acerbes à l’égard des États-Unis selon lesquels les soldats que les Américains envoient au combat proviennent des régions pauvres des États-Unis. Autrement dit, ce sont les pauvres qui se battent. À la lumière de cette conversation, il est clair qu’il faut accroître le dialogue avec les collectivités afin de refouler cette amertume.
Avez-vous des discussions avec la collectivité islamique? Quelle est la réaction des membres de cette collectivité? Que vous disent-ils?
Dans notre église, et même dans notre diaspora, nous n’entretenons aucun dialogue avec les collectivités musulmanes. Même dans mon pays d’origine, il y a très peu de dialogue, mais parfois, dans le cadre de certaines cérémonies… Bien entendu, l’église encourage le dialogue pour mener à la réconciliation, mais pas sur des questions liées à la foi — c'est une question plutôt épineuse. Elle encourage le dialogue pour promouvoir l’harmonisation entre les citoyens.
J’ai rencontré l’ambassadeur Bennett l’automne dernier. Nous l’avons invité dans notre église. Il appuie toutes les collectivités.
Ce qui m’inquiète — et je le remarque dans les différentes orthodoxies —, c’est le manque de dialogue entre les groupes. Nous avons un autre exemple de la militarisation de la religion avec le président Poutine et ce qu’il a fait avec l’Église orthodoxe russe et l’impact que cela a eu sur son intervention en Crimée. On utilise la religion. Il faut accroître le dialogue là aussi.
Monsieur Halevi, à quel point le travail du Bureau de la liberté de religion et de l’ambassadeur Bennett est-il important? J’aimerais vous entendre à ce sujet. Peut-être devrait-on accroître notre soutien dans la région? À quel point est-ce important? Les Américains participent-ils à ces efforts? Selon M. Farr, ils n’en font pas assez. Mais, à quel point est-ce important pour le Canada et les États-Unis de déployer plus d’efforts dans la région?
Je serai très bref.
Votre soutien est essentiel aux minorités en Irak. Le problème, c’est qu’à elle seule, l’aide humanitaire ne suffit pas, car elle se fait tasser par les autres forces en présence. L’aide humanitaire doit être accompagnée d’une aide militaire, sinon, ces collectivités ne survivront pas. La seule aide humanitaire pertinente sera alors en matière de services funéraires.
Les Kurdes ont réussi à se défendre et à maintenir leurs positions, parce qu’ils sont armés. Nous constatons la même chose au Kurdistan et, à moins grande échelle, à Kobani et dans certaines régions du nord de la Syrie. Sans armes, l’aide humanitaire est totalement inutile.
Monsieur Mar-Emmanuel, selon l’ONU, l’organisme aura besoin de 16 milliards de dollars au cours de la prochaine année pour venir en aide aux réfugiés. La moitié de cette somme servirait à aider les réfugiés provenant de l’Irak et de la Syrie. Comme vous le savez, ils sont nombreux à s’être tournés vers la Jordanie, la Turquie et le Liban.
Mais, selon vous, quels sont les besoins actuels des Assyriens et dans la région kurde de l’Irak? Les gens ont-ils suffisamment d’aide? Ont-ils besoin de plus d’aide? De beaucoup plus? Que leur faut-il? Ont-ils des besoins en éducation? Ont-ils besoin de nourriture ou d'abris?
Les besoins sont urgents. Selon les chefs d’église sur place, il y a un manque important d'abris et de nourriture, sans parler, bien entendu, de l’éducation et des autres besoins connexes.
Très bien.
Monsieur Halevi, l’Irak n’allait pas très bien avant l’ascension de l’EIIL et, maintenant, il y a un gouvernement de coalition. Si tous les partenaires de la coalition décidaient d’adopter une approche élargie par rapport à l’EIIL, y compris l’utilisation de troupes au sol, la force serait énorme. L’EIIL serait probablement repoussé rapidement, mais pourrait laisser derrière lui un vacuum.
Que faudrait-il faire et éviter pour venir à bout de l’EIIL en Irak et donner au pays une chance raisonnable de s’en sortir? C’est une question plutôt large, mais j’aimerais vous entendre à ce sujet.
D’abord, l’EIIL a été créé en 2003 par Abu Musab al-Zarqawi. Il a également créé l’État islamique, mais celui-ci n’a pas survécu. L’État islamique actuel est plus fort et existe depuis plus de 160 jours, si je ne m’abuse. On voit qu’il s’appuie sur des motifs…
Il n’y a pas de solution simple à ces problèmes. Je crois que s’il doit y avoir une intervention militaire en Irak et en Syrie, ce sont les pays musulmans eux-mêmes qui doivent la mener, pas l’Occident. Les Américains sont intervenus en 2003. Ils ont offert la démocratie aux Irakiens sur un plateau d’argent en disant: « Adoptez un régime démocratique. Nous vous avons débarrassé du tyran qu’était Saddam Hussein. Nous vous avons débarrassé de ce régime et de son armée. » Tout a été changé, mais on voit aujourd’hui que le problème est beaucoup plus profond; il ne suffit pas de leur offrir un régime démocratique.
Aussi, je doute qu’une intervention militaire en Irak puisse changer la situation. C’est la raison pour laquelle je crois que la solution est entre les mains des peuples. Ils doivent eux-mêmes faire le travail, faire les sacrifices nécessaires pour jouir des avantages de la démocratie et de la liberté.
Merci, monsieur Garneau.
Monsieur Anderson, vous avez quelques minutes avant la fin de cette série de questions.
J’aurais une dernière question à poser.
M. Farr a dit que la liberté de religion était un élément important, l’élément clé du succès dans ce dossier.
Comme l’a souligné Mme Brown, d’autres éléments clés ont été soulevés. Habituellement, les trois principes de la liberté de religion sont la liberté de croyance, la liberté de pratiquer sa religion, et la liberté de changer de religion.
De grands segments des diverses collectivités religieuses, notamment l’Islam, s’opposent à au moins deux de ces principes, notamment celui de la liberté de changer de religion. Selon vous, comment peut-on faire adopter le principe de la liberté de religion au Moyen-Orient et que faites-vous à cet égard?
Vous pouvez répondre tous les deux. Peut-être M. Mar-Emmanuel d’abord.
La liberté de religion est très importante, mais il est très difficile de faire adopter ce principe au Moyen-Orient. Par exemple, ils croient ce que disent les écritures, comme les juifs et les chrétiens, mais en fonction de ce que dit aussi la charia.
Prenons l’exemple d’une famille. Disons que le père a choisi de se convertir à l’Islam. Puisqu’il s’agit d’un homme, ses enfants sont automatiquement considérés comme étant musulmans. C’est très rigoureux. Si un musulman choisit de se convertir à une autre religion, c’est le contraire. Donc, les conséquences pour l’homme sont très pénibles. Il est très difficile d’entretenir ce dialogue.
La tolérance est très importante. Des centres islamiques bien connus parlent de tolérance, de l’amour pour autrui, mais dans la pratique, il y a très peu de tolérance.
Il y a une autre liberté; celle de la pensée.
Les gens peuvent se faire exécuter simplement parce qu’ils ont une opinion différente de celle des islamiques radicaux. Ils sont considérés comme des apostats. On ne peut pas avoir une opinion différente. Il y a différentes libertés.
Pourquoi nous attardons-nous au Moyen-Orient? On ne peut pas vraiment changer ce qui se passe dans cette région. Nous pouvons les aider à prendre des décisions, mais le problème commence au Canada. Les gens ici jouissent-ils de la liberté de religion? Les musulmans peuvent-ils parler ouvertement de l’Islam, de Mahomet ou du Coran? Je n’en suis pas convaincu.
Les citoyens réagiraient. Nous l’avons vu récemment avec la publication de la caricature de Mahomet et le film sur la vie de Mahomet.
Je suis désolé de vous interrompre, mais la liberté d’expression existe au Canada et certains d'entre nous n'hésiteraient pas à la défendre vigoureusement. Selon vous, que pourrions-nous faire en matière de liberté de religion?
Je crois qu’il faudrait être plus tolérant et encourager ce principe. Il est important que les musulmans puissent parler librement de leurs croyances, de l’Islam ou de Mahomet, comme le font les juifs et les chrétiens, et ce, sans craindre de représailles ou d'actes de violence dans leur propre communauté. Ce n’est pas le cas aujourd’hui au Canada. Par exemple, je crois qu’aucun journal au pays n’aurait le courage de publier de nouveau la caricature de Mahomet. Ça n’arrivera pas.
Si l’on veut transmettre le message selon lequel la liberté de religion existe, il faudrait commencer chez soi et préciser qu’il n’est pas uniquement question de l’Islam, mais de toutes les confessions. La démocratie respecte la liberté de religion, mais toutes les religions doivent respecter la démocratie. Aucune ne devrait imposer ses valeurs aux autres.
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