FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 20 novembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous entreprenons l'étude de la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions religieuses et aux bouleversements perpétrés par l’EIIL.
Je vais tout d'abord présenter nos deux invités, qui témoigneront aujourd'hui par vidéoconférence.
Nous avons avec nous Bessma Momani, qui est professeure agrégée à la Balsillie School of International Affairs, à l'Université de Waterloo. Professeure Momani, merci de vous être jointe à nous de nouveau. Nous avons déjà eu l'occasion de vous entendre une première fois quand nous menions notre étude sur la Syrie. Bienvenue de nouveau. Nous avons bien hâte d'entendre votre intervention.
Se joint également à nous par vidéoconférence, de Shelton, au Connecticut, Rod Sanjabi, directeur exécutif de l'Iran Human Rights Documentation Center. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Sanjabi. Nous sommes heureux que vous soyez des nôtres aujourd'hui.
Eh bien, commençons...
Pardon. Allez-y, monsieur Anderson.
Monsieur le président, je voudrais m'assurer que nous souhaitions aussi la bienvenue à M. Hawn en tant que membre du comité, maintenant que les problèmes touchant sa composition ont été réglés. Nous sommes enchantés d'avoir parmi nous quelqu'un doué des grands dons de compréhension et de sagesse que nous lui connaissons.
Puisque nous en sommes à souhaiter la bienvenue aux gens, signalons aussi le retour de M. Van Kesteren.
Une voix: Il n'est qu'en visite.
Le président: C'est vrai.
Je vous demanderai, professeure Momani, de parler en premier. Après votre mot d'ouverture, ce sera à M. Sanjabi, à la suite de quoi nous ferons un tour de table et poserons des questions en alternance, comme nous le faisons ordinairement.
C'est donc à vous, professeure Momani. Vous avez la parole.
Je remercie le comité de son invitation, que j'apprécie hautement. C'est toujours un honneur pour moi de participer à vos travaux.
À la lecture de l'ordre du jour de la séance aujourd'hui, je conclus que l'action exercée par l'EIIL pour remodeler la région suscite un vif intérêt et, je pense, un intérêt vital. Il ne fait aucun doute qu'il y a beaucoup à dire au sujet de la grande intolérance que l'EIIL a montrée à l'endroit des minorités qui, historiquement, ont vraiment façonné le Moyen-Orient. Le Moyen-Orient est une mosaïque. J'ai souvent à rappeler à mes étudiants que le Moyen-Orient est multiethnique, multilingue, multireligieux. L'Irak est réellement un de ces États-nations qui est peut-être parmi les plus diversifiés. Nous sommes donc en présence d'un groupe, abominable je pense, qui émerge à un moment où le pays a encore tant besoin de guérison, non de déchirement.
En disant cela, je veux insister en quelque sorte sur une situation que tous connaissent, à savoir que l'EIIL cible bon nombre de ces minorités qui constituent le tissu du Moyen-Orient, des groupes comme les yézidis, les chrétiens et les chiites d'Irak. Je tiens à souligner ce point, si je puis, même si c'est, je crois, évident. Mais ce qui l'est moins, c'est que l'EIIL cible tout le monde. J'espère pouvoir expliquer clairement pourquoi il nous faut réfléchir au fait que l'EIIL cible non seulement les minorités, mais aussi tous ceux qui s'opposent à son régime, y compris des musulmans sunnites.
Par exemple, nous avons vu récemment la tribu al-Jubouri en Irak, une tribu sunnite, qui a tenté de se soulever contre l'EIIL, ne voulant pas se soumettre à sa loi. Dans ce cas également, l'EIIL avait pu s'implanter dans certains territoires à la faveur du vide politique créé par l'affaiblissement tant du régime el-Assad que du gouvernement al-Maliki. Dans les deux cas, je dirais qu'à l'origine l'EIIL a bénéficié d'un certain soutien local, surtout du fait qu'il était le diable qu'on ne connaissait pas, par opposition à ceux de Damas et de Bagdad qu'on connaissait trop bien pour tout le sang qu'ils avaient sur les mains. Mais à mesure que l'EIIL cherche à consolider son emprise, sa vision très perverse de l'Islam heurte beaucoup des habitudes de vie de bien des gens et fait très rapidement, je pense, prendre conscience aux gens qu'il n'est pas un allié, mais bien plutôt un système socialement pervers de gouvernance.
Cela ne signifie pas que les gens aient la volonté de se soulever — j'y reviendrai — mais montre que l'EIIL suscite une inquiétude locale grandissante. S'il est question d'une coalition occidentale, nous devons discuter des moyens de renverser le courant, politiquement et socialement, dans ces régions dominées par les sunnites pour faire en sorte que l'EIIL ne trouve pas d'allies sur le terrain.
Je reviens à mon exemple de la tribu sunnite irakienne bien connue, appelée la famille al Jubouri. L'EIIL est entré dans sa ville, qu'il a voulu prendre sous sa coupe. Cette tribu sunnite ne voulait pas s'allier à l'EIIL, n'aimait pas du tout le traitement qu'il réservait aux femmes et, en conséquence, a fini par payer un lourd prix. Quatre cents personnes de cette seule famille ont été massacrées par l'EIIL. Il s'agit, je le répète, d'une importante tribu sunnite dans la province d'Anbar.
De telles histoires, il y en a beaucoup, mais qui malheureusement n'apparaissent pas à nos écrans de télé; il y a beaucoup d'agitations et de soulèvements locaux de ce genre contre le règne de l'EIIL. Une éminente femme médecin, Irakienne sunnite, a été assassinée à Mossoul ces derniers temps. Je pourrais ainsi continuer longtemps.
Les Kurdes ont sans doute souffert lourdement, en particulier à Kobané, aux mains de l'EIIL, mais ce serait une erreur d'y penser sans garder présent à l'esprit le fait que les Kurdes sont principalement des musulmans sunnites. Ainsi, ce n'est pas une lutte sectaire… le sectarisme s'y superpose, sans aucun doute, mais en réalité l'action de l'EIIL cible tous ceux qui rejettent sa vision perverse. Personne n'y échappe. Les cibles faciles, évidemment, sont les minorités qui sont en désaccord fondamental avec l'EIIL, mais il est clair que de nombreux sunnites ont été lourdement frappés. De fait, parmi les 1 200 victimes de l'EIIL, je dirais que les sunnites sont en majorité.
Comment contrer l'EIIL? Je ne suis pas certaine que cette question est du ressort du comité, mais je dois dire que la solution comporte et appelle à la fois un effort militaire et un travail, à partir de la base, pour gagner le cœur et l'esprit du peuple.
Le plan ciblé que nous avons, que la coalition a arrêté il y a environ un mois, comprend notamment la mise sur pied d'une garde nationale populaire en vue de renverser l'EIIL. Je pense que c'est une idée vraiment formidable. Le problème, c'est qu'il faudra au moins un an pour la former. Cela dépendra du degré de participation des sunnites irakiens qui seront à former et des ex-militaires qui ont été tout à fait désabusés par le gouvernement al-Maliki. Il en faudra de beaucoup pour que ceux-ci rappliquent, bien que ce soit possible. L'EIIL a pu bénéficier d'un certain soutien parce qu'il paie la solde. Nous devrons faire tout ce qu'il faut pour assurer le versement de la solde à ces ex-officiers.
Nous devons également songer à l'ASL, l'Armée syrienne libre, qui constituerait censément le deuxième participant dans ce plan de garde nationale populaire. Sa participation prendrait peut-être même plus d'une année avant de se produire. Certains prétendraient même que sa situation est actuellement sans espoir. Les Saoudiens ont accepté d'en entraîner les membres, mais nous constatons que ses pertes s'alourdissent sans cesse sur le front de Syrie. Je suis d'avis que l'ASL a été totalement décimée et qu'elle ne sera donc pas en mesure encore bien longtemps de nous aider à créer cette garde nationale.
Si nous ne mettons pas en oeuvre le deuxième volet de cette solution — c'est-à-dire l'approche à partir de la base — nous ne gagnerons pas le coeur et l'esprit du peuple. C'est non seulement vital quant au soutien moral dont nous avons besoin dans le sens des intérêts occidentaux, mais aussi, j'ajouterais, parce que cela se traduira par un soutien politique bien au-delà du territoire contrôlé par l'EIIL, jusque dans de nombreux pays arabes et musulmans. Plus important encore, nous avons besoin d'eux aux plans militaire et logistique, surtout que la seconde phase de la stratégie contre-insurrectionnelle est déjà en cours.
On peut, sans grand risque de se tromper, avancer que les cibles se prêtant à des frappes aériennes se raréfient. Nous constatons une diminution radicale du nombre de cibles que les forces de la coalition sont en mesure d'atteindre.
À l'heure actuelle, il faut passer à la seconde phase, qui consiste à obtenir un soutien populaire sur le terrain. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus, et l'analyste qui conseillerait autrement devra être très prudent. La présence de soldats occidentaux sur le terrain serait dévastatrice et heurterait le cœur et l'esprit des gens. Elle élargirait le conflit plus qu'il n'est nécessaire, alors qu'il y a beaucoup de personnes qui seraient heureuses de combattre l'EIIL, pour peu qu'elles aient l'entraînement et les ressources voulues. Il y a là une occasion propice d'agir, mais, pour en profiter, il faut s'assurer que la justification du besoin de contrer et de combattre l'EIIL ne porte pas uniquement sur l'EIIL en tant que force terroriste qui cible les minorités — ce qu'elle est effectivement — mais qu'elle met également en lumière le fait que l'EIIL cible tous ceux qui récusent sa vision très draconienne et perverse de l'Islam.
Si nous nous en tenons à cette justification, et il est très important de ne pas s'en écarter, je crois que nous pouvons gagner le cœur et l'esprit des gens sur place. Je dois insister sur le fait de ne considérer la situation qu'à travers le prisme du sort fait aux minorités, tout valide que ce soit, n'est pas, à long terme, militairement et politiquement avantageux pour les forces de la coalition.
Voilà qui met un terme à mon exposé.
Merci beaucoup, professeure Momani.
Nous passons maintenant à M. Sanjabi.
La parole est à vous, monsieur Sanjabi.
Merci beaucoup de m'avoir invité. Avant d'entreprendre mon exposé, je tiens à préciser que mes travaux portent principalement sur l'Iran et que les observations que je ferai seront d'ordre général.
Il convient de souligner quelques faits historiques. Le premier est que le radicalisme que nous connaissons n'est pas enraciné de longue date. Ce n'est pas une chose qui existe depuis des générations. Il est dû, dans une large mesure, au travail de radicalisation de l'éducation islamique favorisé par les Saoudiens et les États du Golfe depuis quelques générations. Ce phénomène dont je parle est, bien entendu, quelque peu plus étendu que les efforts récents faits au cours des 10 dernières années dans l'AQMI et l'EIIL. Il importe de ne pas perdre de vue ce genre de substrat culturel.
Il faut aussi mentionner que Akbar Hachemi Rafsandjani, ancien président de l'Iran, a fait part récemment de sa conviction que certaines pratiques chiites, notamment celle de brûler en effigie le calife Omar, figure d'importance pour les sunnites, et d'autres gestes discriminatoires semblables, ont favorisé la montée de l'EIIL. Dans la mesure où cette conviction est largement partagée en Iran — et je ne puis affirmer que c'est nécessairement le cas — c'est qu'il existe, je pense, parmi les chiites également un certain sentiment que ces pratiques posent problème. Je reviendrai sur ce point.
Je ferai aussi remarquer qu'un tel degré de radicalisme, comme je l'ai déjà dit, n'était pas manifeste dans la population sunnite d'Irak ou de Syrie avant 2011 et la répression plutôt brutale de Bachar el-Assad, ni de façon particulière avant 2003 en Irak. Cette idéologie takfiriste que la professeure a signalée, selon laquelle tous les membres de la société qui n'adhèrent pas aux idéaux radicaux salafistes de l'EIIL sont tenus pour des non-croyants et, à ce titre, justifient la violence étatique à leur endroit, est un phénomène nouveau et très préoccupant. Je ne pense pas que ce point porte à controverse. Ainsi, dans la conjoncture actuelle où l'EIIL a été chassé de Baïji et de ses raffineries, il est probable que les revenus mensuels de 30 millions de dollars environ qu'on lui prédisait iront en diminuant. Il lui est difficile de vendre du pétrole brut et beaucoup plus facile d'écouler des produits pétroliers raffinés.
Sans être un spécialiste dans la matière, je pense que la capacité de l'EIIL de payer ses forces armées sera sensiblement réduite et, en conséquence, sa capacité de combat le sera également au cours des prochains mois. De ce que je sais du contexte iranien, je puis dire qu'il y a eu de belles carrières dans le CGRI. Le rôle joué par le CGRI dans la reprise d'Amerli a été considérable et lui a valu une propagande favorable en Iran. Il importe de mentionner que cela a eu un certain retentissement dans le contexte iranien. Le CGRI, que personne n'aurait pensé en 2009 avoir la moindre chance d'acquérir un appui populaire important, est maintenant vu comme une force d'unité et de défense nationales. Il est cependant peu probable que Suleimani, commandant de la Force Qods, demeure aux commandes encore bien longtemps, le Guide suprême ayant l'habitude de limoger les généraux qui acquièrent une certaine influence, tout spécialement ceux du CGRI.
Il faut quand même mentionner que cet épisode a donné une opportunité considérable au CGRI. Mis à part ces considérations, je voudrais commenter l'argument que nous entendons souvent, à savoir qu'il faut une solution politique en Irak pour contrer la présence de l'EIIL. Je pense que c'est vrai. Ce sera toutefois difficile dans le contexte parce que, depuis des générations, la population chiite d'Irak a toujours été marginalisée. La radicalisation relative de la population chiite, tout particulièrement après — Eh bien! il se peut que la radicalisation soit fort avancée. De toute évidence, al-Maliki était incapable de compromis. Je ne crois pas qu'il faille s'attendre à d'importantes percées dans cette voie. Plus que toute autre chose, nous risquons probablement de voir des tentatives gênées et un simulacre de coopération.
En terminant, je veux souligner certaines des constatations de la commission d'enquête syrienne, qui vient de publier un rapport sur les droits de la personne sous le régime de l'EIIL. Il en ressort quelques points d'intérêt. Les victimes décrivent de façon constante des actes de terreur ayant pour objet — comme la professeure l'a signalé — de restreindre la liberté de religion, de parole, de réunion et d'association. Ça va assez loin. Des témoins attestent que des enfants subissent des pressions pour dénoncer leurs parents. De nombreuses attaques de l'EIIL contre les participants à des réunions sociales et culturelles, y compris les mariages, sont rapportées. Il y a beaucoup de rapports — et les médias commencent à en faire état — de flagellations et d'amputations sanctionnant des infractions telles que la consommation de tabac et le vol. Des victimes affirment que c'est la règle de la présomption de culpabilité jusqu'à preuve du contraire qui s'applique, pour peu qu'on se donne la peine de tenir procédure judiciaire.
Il faut également mentionner que, oui, les minorités sont visées de façon singulière. Leurs membres sont plus ou moins mis devant le choix de s'assimiler ou de prendre la fuite. Les conversions forcées sont chose courante, en particulier parmi les victimes d'enlèvement. On rapporte que des églises ont été détruites. Il va sans dire que les déplacements forcés ont entraîné une catastrophe majeure au plan humanitaire dans l'ensemble de la grandeur de la région.
Je termine là-dessus. Je répondrai à vos questions, mais je vous rappelle que je suis un spécialiste de l'Iran et que je ne suis donc pas tout à fait dans mon domaine.
Merci beaucoup.
La première ronde sera de sept minutes par intervenant et la deuxième de cinq minutes.
Nous commencerons avec un intervenant du NPD. Monsieur Dewar.
Merci, monsieur le président.
Merci à nos deux témoins.
Je commencerai avec vous, madame Momani. Merci encore d'avoir accepté de témoigner devant le comité. Vous nous avez déjà aidés dans notre étude de la situation en Syrie.
Je dois dire à nos deux témoins que nous menons une étude dans le but de formuler des recommandations. Il importe de le signaler parce que, s'il est des points qui devraient, à votre avis, influer sur nos constatations, si vous pensez qu'ils n'ont pas été exprimés dans vos observations ou vos réponses, veuillez les faire parvenir au comité pour que nous puissions en tenir compte dans la formulation de nos recommandations.
Je commencerai avec vous, madame Momani. Il est intéressant que vous traitiez de l'importance de la façon de caractériser les actes de l'EIIL et d'éviter le piège que vous décrivez en rappelant qu'il ne s'attaque pas seulement aux minorités. Pourtant, il est clair qu'il les attaque. J'apprécie donc à sa juste valeur ce que vous avancez, parce qu'il est vrai qu'on ne peut pas simplement dire qu'il s'agit d'un groupe sunnite qui promeut sa version de l'Islam. De fait, je crois que beaucoup de gens diraient que ce qu'il promeut est analogue, en quelque sorte, à un culte de la mort: si vous n'êtes pas avec nous, nous vous tuerons.
Je remarque d'ailleurs que même ceux qui se convertissent finissent par mourir, par être tués ou assassinés. Nous avons vu cela récemment. Cela étant dit, ce que je veux, vu votre expérience et vos connaissances de la Syrie, c'est de vous questionner sur la possible corrélation que voici. L'une des choses qui est apparue récemment est l'impression qu'il ne semble pas y avoir un lien direct, mais qu'il y a certainement une conséquence de l'action initiale du régime el-Assad, qui retenait ses forces d'attaquer les cibles où l'EIIL dominait. Nous le constatons dans les événements survenus à Alep, où l'Armée syrienne libre était active et avait des possibilités de progresser, mais là où l'EIIL était actif, el-Assad semble avoir pratiqué une relative retenue. Pour plusieurs, cela paraît étrange, mais on peut, en rétrospective, voir comment el-Assad aurait choisi de laisser souffler l'EIIL quelque peu afin de concentrer ses forces pour infliger une défaite à l'Armée syrienne libre qui, je pense, constituait au départ une menace plus grave.
Pourriez-vous nous éclairer un peu et nous donner de l'information à ce sujet? Je crois que c'est réellement important. Si nous envisageons une stratégie générale pour la région, je pense qu'il importe de comprendre cette éventuelle corrélation entre le régime et la stratégie d'el-Assad et ses conséquences pour l'EIIL, ce qui, bien entendu, déborde sur l'Irak.
Oui, merci.
Je pense que pendant très longtemps, que le principal intérêt d'el-Assad consistait à garder la mainmise sur Damas, Alep et la côte voisine de Lattaquié. C'est le cœur du pays. Si nous regardons sur la carte ce que l'EIIL contrôle...
Vous savez, je suis plutôt réticente à utiliser les expressions « EIIL », « E » ou « État islamique » parce qu'il ne s'agit pas d'un État. Ce groupe contrôle deux ou trois villes et beaucoup des routes qui les relient. Il ne contrôle pas une zone arable, habitable, particulièrement vaste. La grande partie est désertique. Cela ne signifie d'aucune façon que les millions de malheureux qui vivent sous sa coupe ne comptent pas. Mais si vous étudiez la carte de la Syrie et de l'Irak, vous verrez que le territoire qu'il occupe est surtout vide. Il a pris le contrôle d'étendues qui sont, pour l'essentiel, inhabitées, désertiques et plutôt pauvres en ressources, malgré quelques raffineries de pétrole qui s'y trouvent. C'est surtout du désert, du désert inhabité, et les gens qui vivent dans ces régions tendent à avoir une mentalité plus rurale, à être plus conservateurs. C'est pourquoi son idéologie a pu s'y implanter.
À tout le moins au début, l'EIIL a pu s'infiltrer dans ce territoire parce que les gens sur place ont pu voir qu'il tentait au moins de gouverner, de fournir des services et d'assurer l'alimentation en électricité. Nous avons entendu, par exemple, qu'à Mossoul et dans des parties de la Syrie, la faveur initiale avec laquelle l'EIIL a été accueilli était due pour une bonne part au fait qu'il s'est occupé de la collecte des ordures. Il a assuré des services tels que l'alimentation en électricité et en eau. Il a libéré des prisonniers politiques. Il a donc pu au début — je dis bien au tout début — s'attirer un appui populaire, ce qui explique d'ailleurs sa fulgurante expansion.
Mais je m'éloigne quelque peu de mon propos. Le point à retenir, c'est qu'il ne s'agit pas réellement de villes dans le sens habituel, pas de villes populeuses, exception faite de Mossoul qu'on ne peut facilement négliger. Mon point est qu'une grande partie de la Syrie est stérile.
Pour revenir à votre question au sujet d'el-Assad, celui-ci n'a pas combattu l'EIIL. Certaines personnes sur le terrain seraient sceptiques et prétendraient qu'el-Assad et l'EIIL s'étaient alignés l'un sur l'autre. Je pense que cela est exagéré. Ce qui importe plus, c'est qu'el-Assad a détourné son regard d'EIIL se disant qu'il n'avait pas suffisamment de forces pour combattre sur deux fronts. Il a alors concentré ses forces contre le mouvement laïque, composé de groupes comme l'Armée syrienne libre, qui suscitait manifestement beaucoup plus de sympathie de la part des gouvernements étrangers partout au monde. L'EIIL, il s'en occuperait par la suite, s'il accaparait une bonne partie dans l'est de la Syrie, ce qui fut le cas, et il serait alors plus facile d'obtenir à tout le moins le soutien international nécessaire pour le combattre.
Je dois dire qu'il a bien mené son jeu. Pour ça, il a eu raison. Son objectif clé était de tenir le centre du pays et sa bande côtière, les régions densément peuplées: Alep, la ville la plus populeuse du pays, Damas qui vient au second rang, puis Lattaquié qui donne accès à la mer et où se trouve le principal foyer alaouite. C'est pour toutes ces raisons qu'il y a concentré ses forces. Il s'agissait d'un choix tactique et, je pense, politique.
Il n'a donc pas lutté contre l'EIIL, si bien que celui-ci a pu s'étendre très rapidement et facilement en Syrie grâce à un soutien populaire initial sur place. Manifestement, la situation a changé. Les gens commencent à comprendre que l'EIIL n'est pas un rempart contre le régime el-Assad, mais une incarnation médiévale de l'Islam pire même que le régime d'el-Assad. Mais cela a pris du temps, ce qui explique, je crois, pourquoi en Syrie, au moins, il y a eu beaucoup plus de soulèvement contre l'EIIL qu'ailleurs.
Je termine là-dessus.
Mon temps est écoulé, mais je veux simplement vous demander comment vous désignez ce groupe. Pour ma part, cette question m'embarrasse également. Je ne veux pas l'appeler un État parce que je pense que cela ajouterait à sa légitimité.
Pourriez-vous nous dire rapidement ce que vous en pensez?
Pour répondre rapidement, je dirais que « EIIL » est un terme légitime. C'est celui que préfèrent Barack Obama et son gouvernement, et nous savons qu'il est allergique à la Syrie. Je pense que nous devrions éviter ce piège.
De plus, le terme « Levant » ne traduit rien de bien précis. C'est donc « EIIL ». Je pense que c'est la façon la plus simple de considérer les choses. L'expression « État islamique » ne lui confère absolument aucune légitimité, puisque ce groupe n'est ni un État, ni islamique. Gardons donc « EIIL ». Voilà ce que je pense
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos deux invités d'avoir accepté d'être des nôtres aujourd'hui. J'espère que vous ne vous offusquerez pas si je vous interromps. J'ai trois questions et je pense qu'elles pourraient prendre un peu de votre temps.
Tout d'abord, monsieur Sanjabi. Pourriez-vous nous dire quelque chose au sujet des communautés minoritaires qui, depuis quelques années, émigrent de certaines de ces régions, en particulier de l'Irak, vers l'Iran? Est-ce que ce mouvement a représenté un problème pour le gouvernement iranien et, si oui, en quoi consiste le problème?
Le nombre de cas était relativement faible, ou était devenu plus faible. Les chiites sont venus en grand nombre en Iran immédiatement après l'invasion américaine. Ce nombre avait fléchi, mais il est de nouveau à la hausse. Je ne pense pas que ce nombre approche même de loin celui enregistré en Turquie. Il ne faut pas oublier qu'il y a le Kurdistan irakien entre les deux. Pour le moment, la plupart de ces gens déplacés se trouvent temporairement à Erbil et dans les environs. Ils sont réfugiés principalement au Kurdistan irakien et en Turquie. Cette situation pourrait changer si le conflit devait perdurer.
Je voudrais insister de nouveau sur la situation économique de l'EIIL qui est difficile à l'heure actuelle. De ce fait, je suis d'avis que la situation quant aux droits de la personne, en particulier la pression exercée à l'endroit des minorités, empirera à court terme. C'est en quelque sorte une loi de l'histoire. Dans son affaiblissement, l'EIIL regardera tout spécialement du côté des communautés vulnérables pour compenser son déficit.
Je dois vous arrêter ici parce que je voudrais aborder un autre aspect qui touche ce que nous venons de dire.
Vous avez déclaré que Maliki ne sera sans doute pas en mesure de faire des compromis et de collaborer efficacement avec d'autres secteurs et Mme Momani vient de mentionner la nécessité de mettre sur pied une coalition nationale. Je me demande si vous pourriez tous les deux nous parler — et cela va sans doute prendre une partie de notre temps — de la forme que pourrait prendre une coalition nationale, compte tenu de la composition et de la diversité de la société dont il s'agit. Je ne vais pas passer en revue les différents éléments, mais toutes les régions voisines sont concernées.
À quoi ressemblerait cette coalition nationale pour qu'elle soit efficace? Comment pouvons-nous faciliter sa création? Il faut également parler de la réaction du Canada à la situation. Pourrions-nous intervenir efficacement dans ce domaine?
Je ferai remarquer que cela a déjà été fait, dans le sens que les forces américaines ont réussi à renverser Al-Qaïda dans le premier cas, après l'intervention de 2003, et qu'elles y sont parvenues en établissant une coalition avec les gens de la province d'Anbar, ce qu'on a appelé la sahwa ou le réveil, en 2007.
Il s'agissait pour l'essentiel d'amener des tribus locales à accepter de porter un uniforme irakien, de leur verser un salaire, toutes ces choses que Maliki n'a pas faites, qui étaient... Je dois faire remarquer que les Américains ont fait un travail remarquable pour former cette armée et la rendre professionnelle, mais lorsque le gouvernement de Maliki est arrivé au pouvoir et que les Américains sont partis, il leur a supprimé toutes leurs décorations, il a cessé de verser les salaires et il leur a dit: « Vous êtes des sunnites, rentrez chez-vous. »
Il faut donc inverser cette tendance; c'est la façon la plus simple.
Le modèle de garde nationale que la coalition avait mis sur pied est vraiment excellent. Il faut donc passer à cette étape. Nous ne l'avons pas encore fait, parce que nous nous attachons principalement, pour le moment, à élaborer une stratégie militaire, imposée d'en haut. Je veux dire par là que nous utilisons un support aérien, une puissance aérienne, ce qui est nécessaire — c'est incontestablement la chose à faire — mais nous ne sommes pas passés à la seconde étape et je crains que nous ne soyons pas en mesure de les former suffisamment rapidement.
Il faut consacrer davantage de ressources à la formation de ces groupes et de ces forces sur le terrain qui comprennent des tribus sunnites tant en Irak qu'en Syrie. Nous devons y consacrer rapidement temps et argent.
Cela peut-il se faire efficacement dans les deux pays ou serait-il bon de se concentrer plus sur l'un que sur l'autre; que proposez-vous?
En termes de stratégies politiques, il est évidemment plus facile d'intervenir en Irak, parce qu'en Irak, nous avons l'autorisation du gouvernement central. Nous avons confié la plus grande partie de ce travail aux tribus irakiennes — du moins c'est la façon dont la coalition a décrit la situation — parce que cela revient en pratique à faire fi de la souveraineté de la Syrie. Nous pouvons bien détester le régime d'Assad, mais selon le droit international, c'est encore le souverain légitime.
Cela veut dire former des groupes locaux. Je ne pense pas que nous ayons cessé de former l'ASL, mais nous n'avons pas vraiment bien fait ce travail. Il y a maintenant un problème, parce que l'ASL a perdu une grande partie de sa force.
Parlons donc du rôle que jouent la Turquie et les Kurdes dans cette situation, parce que je pense qu'il faudrait également les amener à participer à tout cela. Ils semblent constituer une des forces militaires les plus efficaces dans la région.
Oui, les Kurdes ont une armée impressionnante, les peshmergas. Ils se sont toujours battus. Il faudrait effectivement leur donner des moyens.
Une partie du problème que posent les peshmergas, qui se trouvent dans la région kurde de l'Irak, est d'obtenir la permission de la Turquie, ce qui n'est pas facile à faire, et de comprendre que ce pays doit donner aux peshmergas accès à son territoire pour contourner le fait que la plus grande partie du territoire de l'EIIL empêche ce passage.
Concrètement, l'EIIL contrôle l'immense désert qui sépare le KRG, la région kurde, et les secteurs de confrontation, mais cela peut être résolu.
Il faut donner quelque chose aux Kurdes et nous ne l'avons pas fait, peut-être de façon détournée. Il faut donner quelque chose aux Kurdes qui leur montre que de lutter contre l'EIIL a un sens, non pas seulement à Kobani, ce qui est évidemment important pour des raisons historiques, mais surtout il faut que la lutte contre l'EIIL ait un sens pour eux. Les Kurdes ne veulent qu'une chose, c'est la reconnaissance de leur autonomie pour préparer l'indépendance.
Je sais que nous sommes allergiques à l'idée qu'ils pourraient devenir indépendants. Je le comprends, mais cela est vraiment important. Je comprends parfaitement pourquoi les Kurdes vont privilégier la défense et ne passeront jamais à l'offensive tant qu'on ne leur aura pas garanti qu'ils en retireront quelque chose.
On nous a dit que la radicalisation reflétait les investissements dans l'éducation qui ont été faits par un certain nombre de gens de la région. C'est un aspect que nous devrions probablement examiner.
Que pouvons-nous faire? Est-ce là une question pour le long terme? Vous hochez la tête. Vous ne pensez pas que l'investissement qui a été fait dans l'éducation est à l'origine d'une bonne partie des problèmes que nous connaissons là?
Non, parce que franchement, les soldats de l'EIIL viennent du monde entier. Ils viennent de partout. Il en vient de la Tunisie. Il en vient même du Canada, si je puis le dire. Ils viennent de Belgique. Ils ne viennent pas seulement d'Irak et de Syrie. Ils viennent de tous les pays parce que cette idéologie radicale est en ligne.
Cela ne passe pas nécessairement par le système scolaire. Ce n'est pas que j'approuve le système scolaire actuel, mais une bonne partie de cette auto-radicalisation se fait en ligne et nous devons en tenir compte.
Merci, monsieur le président et merci à nos deux invités aujourd'hui.
Madame Momani, vous avez parlé de la nécessité de gagner les coeurs et les esprits et vous avez parlé d'une garde nationale. Vous avez dit que l'aspect militaire était également très important. J'aimerais centrer mes questions sur l'autre partie, qui est le fait que l'EIIL a besoin de trois choses: il a besoin de soldats, il a besoin d'argent et il a besoin d'armes.
M. Sanjabi a parlé du fait que la reprise de Baiji allait sûrement avoir un effet sur ses revenus parce qu'il n'aura plus accès à ce pétrole. Je me pose beaucoup de questions au sujet des revenus pétroliers. Qui achète tout cela? On nous a parlé de camions qui passaient par la Turquie. Il y a bien évidemment des gens qui l'achètent et c'est une source de revenus. Il y a également un financement qui, nous l'avons entendu dire, vient de certains pays. Je ne vais pas les nommer, mais ils semblent également financer l'EIIL.
J'aimerais vous entendre tous les deux au sujet de ces choses. J'aimerais également vous poser des questions au sujet des armes. Il faut des armes. Oui, ils en ont pris beaucoup à l'armée irakienne et à d'autres, mais à un moment donné, il n'y aura plus suffisamment d'armes. Où peuvent-ils avoir accès à ces armes? Est-ce sur le marché noir?
J'aimerais que vous abordiez tous les deux ces questions, en commençant peut-être par Mme Momani.
On a beaucoup parlé du pétrole. La première source de financement de l'EIIL ce sont les rançons que versent les entreprises et les gouvernements occidentaux. C'est vraiment important. Vous savez, le prix du pétrole a été très exagéré. En fait, il y a eu une réévaluation; ce revenu de 1 million de dollars par jour, provenant du pétrole, a été en réalité recalculé parce qu'il était fondé sur un baril de pétrole à 100 $, ce qui n'est pas le prix réel. Ce prix est beaucoup plus proche de 20 $ le baril, parce que ce n'est pas du pétrole raffiné. C'est du pétrole brut et on peut l'utiliser pour certaines voitures bon marché, mais ce n'est pas vraiment un bon carburant.
Pour ce qui est de savoir où va ce pétrole, il est principalement vendu à des intermédiaires kurdes. Cela fait une dizaine d'années que les intermédiaires kurdes achètent du pétrole sur le marché noir; ce n'est donc pas quelque chose de nouveau. Ce sont peut-être les gens qui pompent ce pétrole qui sont nouveaux. La plus grande partie de ce pétrole est dirigée vers le Kurdistan ou vers la Turquie. N'oubliez pas qu'il est difficile de le suivre à la trace, parce que d'après certains rapports, une partie de ce pétrole est directement versé dans les réservoirs des véhicules. Ils n'utilisent pas nécessairement un oléoduc sophistiqué; le pétrole est transféré de véhicule en véhicule. Il est donc difficile de savoir ce qui se passe si l'on observe tout cela d'en haut, et c'est de là que vient le problème.
Pour ce qui est des combattants, il est certain que les combattants viennent de tous les pays et le processus de recrutement en ligne — du moins d'après les rapports que j'ai vus et les conversations que j'ai eues avec certaines personnes qui comprennent bien la façon dont on recrute ces combattants — a pour effet de radicaliser ces gens en ligne. C'est une attraction énorme.
Je n'aime pas imposer des stéréotypes, mais ce sont principalement des hommes jeunes, marginalisés, qui sont très attirés par toute cette violence. La coutume moyenâgeuse de trancher des gorges est très attirante en ligne pour un certain secteur de la société qui est devenu cynique et qui n'est plus sensible au type de violence que nous voyons. Je ne dirais pas que c'est la faute des jeux vidéos, mais je dirais qu'il y a beaucoup de facteurs qui expliquent pourquoi ils arrivent à recruter tous ces jeunes.
L'armement —, vous avez raison, une bonne partie de ces armes proviennent de l'armée irakienne, de l'armée syrienne. Il y a des gens qui sont prêts à renoncer à une grande cause pour nourrir leur famille, de sorte qu'il y a beaucoup de gens qui sont prêts à faire ce commerce. Oui, je crois qu'il y a une partie des armes qui arrivent en contrebande par la Turquie. C'est une frontière très longue et poreuse. Les Turcs ont été vivement critiqués sur ce point, mais ce n'est pas vraiment leur faute. Ils n'ont pas le personnel ni la capacité de vraiment surveiller ces 800 kilomètres ou... j'ai perdu un peu les chiffres, une frontière de près de 800 kilomètres. C'est une frontière très longue, poreuse et montagneuse, ce qui complique encore les choses.
Il est bon de noter que les revenus du pétrole devaient principalement compenser la perte du financement versé par l'Arabie Saoudite et les États du Golfe, parce qu'avec toute cette attention internationale, les particuliers envoient moins de fonds à l'EIIL.
Pour revenir à ce que je faisais remarquer il y a un instant et qui touche la question du recrutement, il s'agit d'investissements sur plusieurs générations qui visent à radicaliser le monde sunnite, tous les pays sunnites. Mais pour l'immédiat, oui, effectivement, le recrutement se fait principalement en ligne et je crois qu'il n'y a pas grand-chose à faire pour l'arrêter.
Je mentionnerais également qu'outre ce que Mme Momani a signalé, il y a beaucoup de petites raffineries en Syrie qui sont sous le contrôle de l'EIIL et elles ont été ciblées par les frappes aériennes américaines, si j'ai bien compris. Je ne sais pas quelle est la capacité de ces raffineries, mais je crois qu'il est bon de le mentionner.
Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas le contrôle de certains puits de pétrole, mais s'il n'est pas raffiné, ce pétrole est pratiquement invendable. C'est une remarque peut-être un peu trop générale, mais cela va définitivement réduire les revenus de l'EIIL. Comme je l'ai dit, cela va probablement amener l'EIIL à exercer davantage de pression sur les minorités et sur les étrangers qui se trouvent dans des secteurs contrôlés par l'EIIL.
Merci.
J'aimerais poser une question au sujet d'Haider al-Abadi et de sa volonté d'équilibrer son cabinet. Je sais qu'il y a beaucoup plus que cela. Mme Momani, vous avez parlé de la nécessité de motiver toutes les tribus sunnites et bien sûr, il y a différentes factions également chez les chiites. Comment pensez-vous qu'il s'en tire comparé à ce qu'a fait Maliki avant lui? Pensez-vous que nous puissions espérer en arriver à un meilleur équilibre pour ce qui est de la composition de ce gouvernement et des autres efforts de sensibilisation?
Il est certain qu'il a déjà fait beaucoup mieux. Il dit ce qu'il faut dire. Il a sans aucun doute une meilleure conception de ce qu'est l'Irak. Mais la difficulté vient du fait, et c'est ce que l'on peut tout à fait comprendre, que les chiites d'Irak ont été opprimés pendant la plus grande partie de leur histoire. Historiquement, ils ont déjà beaucoup souffert, de sorte qu'aider toutes ces tribus sunnites leur paraît être une injustice.
C'est là que nous avons besoin de l'appui de l'Iran. Abadi a réussi à prendre le pouvoir parce que Khamenei a clairement indiqué que Maliki avait fait son temps. C'est un aspect très important. Je pense qu'ils recherchent toujours l'appui de l'Iran. Les Iraniens pourraient jouer un rôle très utile pour veiller à ce qu'Abadi réussisse et pour que s'atténuent les différents sectaires.
Tout cela vient du fait que les chiites irakiens sont ceux qui ont le plus souffert sous la férule de Saddam Hussein, de sorte que je comprends qu'ils se disent maintenant qu'ils ont toujours été la majorité, qu'ils ont toujours été traités horriblement par le gouvernement précédent et que, maintenant, ils doivent bénéficier de toute cette aide internationale. Il y a aussi le fait que la plus grande partie du gouvernement d'Abadi est composée d'anciens notables qui attendent toujours le même chèque de paie et qui veulent toujours profiter du système. C'est un homme tout à fait honnête et respectable, mais il doit faire face à la réalité, savoir qu'il est entouré par toute une bande de personnages énigmatiques.
Je vous remercie.
Nous allons commencer notre deuxième tour de cinq minutes en donnant la parole à M. Hawn.
Merci, monsieur le président et merci à nos deux témoins.
Madame Momani, j'aimerais poursuivre un peu sur le volet formation. Tout d'abord, je reconnais avec vous que les frappes aériennes sont nécessaires. Je reconnais également tout comme vous qu'il ne faut pas de « soldats occidentaux sur place », ce qui veut dire que nous avons besoin de soldats régionaux sur place, ce qui veut dire la formation.
Le Canada et d'autres pays ont enregistré d'assez bons succès en Afghanistan pour ce qui est de la formation des forces de sécurité nationale afghanes; nous avons donc beaucoup d'expérience dans ce domaine. Il y a des gens qui ont été dans la région et qui m'ont dit qu'il y a environ une division de soldats irakiens ou de l'armée irakienne qui seraient relativement faciles à former — et c'est un terme relatif — pour en faire une force bien soudée. Il faudrait un groupe de formateurs composé d'environ 350 Canadiens ou à peu près ou de personnes ayant de l'expérience dans ce domaine, pour faire ce travail et peut-être qu'en six mois, ces soldats pourraient apporter une solide contribution à tous ces efforts.
Je vais vous poser une question très précise pour laquelle vous n'avez peut-être pas de réponse, mais pensez-vous que c'est là un aspect sur lequel le gouvernement du Canada doit faire enquête, prendre un engagement supplémentaire, un engagement autre que de combat, mais un engagement supplémentaire à l'égard de cette opération?
Oui, absolument. Je crois que nous avons beaucoup à donner dans ce domaine et je ferai également remarquer que c'est dommage parce que les Américains ont déjà fait ce genre de travail une fois pour aider à professionnaliser l'armée irakienne. Comment gérer une armée sophistiquée dans une société multiculturelle? C'est là un de nos grands avantages comparatifs dont nous ne nous parlons pas suffisamment.
J'espère que l'armée canadienne pourra apporter ces capacités vraiment fantastiques qui lui permettent de comprendre et d'expliquer les techniques tactiques et logistiques qu'elle a réussi à perfectionner, mais surtout qu'elle pourra montrer comment l'on peut avoir une armée inclusive dans une société tout à fait multiculturelle. Ce sont là des facteurs très importants dans un pays qui a été déchiré par le sectarisme. Il y a un exemple, l'armée libanaise. Les Américains ont investi beaucoup d'argent dans l'armée libanaise pour faire exactement ce genre de choses; pour gommer les dimensions sectaires de cette armée et former les soldats pour qu'ils parlent d'abord et surtout de défendre la nation et pour qu'ils ne s'accrochent pas à leurs identités locales comme les identités sunnite, chiite, chrétienne et kurde.
Cela n'est pas facile, mais il faut passer par la formation et je crois que nous sommes vraiment l'armée au monde qui est la mieux placée pour le faire à cause de notre avantage comparatif, notre société multiculturelle.
Je vous remercie.
Nous avons parlé de financement, d'armes et de ce genre de choses. À l'heure actuelle, l'EIIL ou quel que soit le nom que nous voulons lui donner, a besoin de financement et il doit à l'heure actuelle dépenser beaucoup d'argent. Nous avons vu qu'il se faisait du recrutement au Canada et ailleurs parce qu'il offre beaucoup d'argent aux personnes qui se radicalisent ou qui viennent lutter pour lui. Si l'on arrivait à réduire sensiblement ses sources de financement, pensez-vous que cela se ferait sentir sur le niveau de radicalisation que ces gens semblent montrer?
L'EIIL verse environ 1 000 $ par mois aux groupes locaux et il y a tout... les montants sont moindres si vous ne faites pas partie d'un groupe à haut risque. Il y a des soldats qui peuvent être appelés à faire des attentats suicides à la bombe ou de faire un travail de sape. Ils sont beaucoup mieux payés que les fantassins qui jouent davantage un rôle administratif et de soutien.
Je crois qu'il y a deux parties à la réponse. Ce montant de 1 000 $ par mois ne va pas attirer un Occidental que l'on invite à lutter pour l'EIIL. Cela ne va pas le convaincre. C'est l'idéologie radicale ou les images monstrueuses qui l'attirent. C'est l'auto-radicalisation. Mais si vous voulez savoir si 1 000 $ par mois est une somme suffisante pour convaincre un soldat local, je répondrais que oui. C'est pour cela qu'il faut bien les payer. Il faut utiliser le marché pour en profiter et verser aux membres locaux de la garde nationale une somme suffisante pour que cette somme les attire davantage.
Encore une fois, il s'agit d'une situation où les gens ont vraiment besoin d'argent. Ce n'est pas seulement de l'idéologie; il s'agit bien souvent tout simplement de subvenir aux besoins de sa famille.
Les fonds vont baisser parce qu'ils y auront moins facilement accès. Les pays occidentaux ont finalement décidé de ne plus verser de rançon et cet aspect a été examiné de très près. Nous devons encore exercer des pressions sur les Français qui, je le signale en passant, continuent à payer sous la table. C'est la principale source. Les Français et certains autres pays européens paient les rançons pour libérer leurs ressortissants.
Ils ont également recours à l'extorsion et à l'enlèvement de personnes qui ont de la famille au Canada ou aux États-Unis. Il faut faire quelque chose à ce sujet. La principale source de fonds, ce sont les rançons et non pas le pétrole. Cela doit faire partie, à mon avis, d'une stratégie à long terme, si nous voulons vraiment mettre fin à ces activités.
Je mentionnerais également qu'effectivement, il y avait des sympathisants des pays du Golfe qui leur envoyaient de l'argent, mais ce n'étaient pas les États. Je crois qu'il faut bien le préciser. Ce n'était pas le gouvernement saoudien ni le gouvernement des EAU qui envoyaient de l'argent. C'étaient des individus principalement au Koweït, même pas en Arabie Saoudite, qui envoyaient des fonds. Cela était souvent lié aux vidéos affichées sur YouTube. Cet argent servait concrètement à financer les campagnes en ligne qui consistaient à démontrer aux donateurs que leur argent était bien utilisé, pour tuer, par exemple, telle ou telle personne qui était qualifiée d'ennemi.
Une grande partie de tout cela peut se faire en ligne. Il y a des stratégies de lutte contre les discours haineux, par exemple, le musée de l'holocauste à Washington a fait de l'excellent travail dans ce domaine. Comment contrer le discours haineux diffusé en ligne?
Il y a une technique et une façon de le faire. Elle fait appel à de nombreuses choses aussi bien à des annonces publicitaires qu'à des vidéos sur YouTube. Avant de voir cette horrible décapitation sur la vidéo de YouTube, vous pouvez acheter de l'espace publicitaire pour parler de... Vous pouvez demander à un imam bien connu, et il y en a beaucoup qui luttent contre cette ferveur religieuse, qui dit: « C'est tout à fait contraire à l'éthique. Vous n'irez pas au paradis. Vous irez en enfer. » Il faut que cela soit affiché. Cela exige des fonds.
J'ai en fait parlé à quelqu'un qui fait ce genre de choses et qui le fait de façon très efficace dans d'autres pays. Cela donne de bons résultats; il existe donc des techniques pour lutter contre ce genre de violence comme tous ces messages, mais il faut du financement.
Merci aux deux témoins pour leurs exposés et leurs commentaires très intéressants. Je crois que j'ai déjà pris plusieurs pages de notes, notamment sur la façon de lutter contre les discours haineux.
J'aimerais poursuivre sur des sujets abordés dans les questions précédentes et très brièvement, madame Momani, vous nous avez dit qu'il était très difficile de surveiller la frontière turque à la fois pour contrôler l'importation de pétrole et l'exportation d'armes vers l'Irak. Existe-t-il des façons de renforcer la protection de la frontière, et cela serait-il vraiment utile?
Cela serait très utile et je ferai simplement remarquer que la Turquie est membre de l'OTAN. C'est un aspect très important. C'est un lien très utile.
Cela touche évidemment énormément les Turcs, davantage sur leur frontière occidentale avec la Syrie, parce que c'est la partie la plus peuplée, pour ce qui est des Turcs et des Syriens. Vous pouvez constater qu'ils ont surtout investi dans la surveillance de la partie occidentale de leur frontière. Leur frontière orientale est pratiquement un no man's land et les gens la franchissent très facilement, en particulier les habitants de la région. Ces personnes, des deux côtés de la frontière — encore une fois des Kurdes et des Turcs — sont des complices dans ce commerce, ils en profitent. Il y a beaucoup d'intermédiaires et beaucoup de chefs de guerre qui font de l'argent avec cela.
Il me paraît important de comprendre que les Turcs seraient prêts à... Cela n'est pas dans leur intérêt et je ne pense pas, malgré la couverture très défavorable que les médias accordent au gouvernement d'Erdogan, qui est justifiée pour d'autres raisons, qu'il soit dans l'intérêt d'Erdogan ou dans celui de Davutoglu que cette frontière soit aussi poreuse. La difficulté est de la faire garder. Ils n'ont pas les ressources pour le faire et surtout, ils craignent énormément l'arrivée de deux ou trois millions de réfugiés syriens qui vont franchir leur frontière et cela se passe du côté occidental. C'est l'aspect qui les intéresse davantage.
Les Turcs ont demandé que l'on établisse une zone tampon à l'intérieur de la Syrie. Cela me paraît une idée vraiment excellente. Nous devons faire davantage pour que les Syriens aient des zones sécuritaires dans leur propre pays, ce qui me paraît vital si nous voulons parler de sécurité à long terme. Je me souviens avoir témoigné sur ce même sujet. Il faut établir des zones tampons humanitaires à l'intérieur des frontières de la Syrie. À long terme, cela stabilisera non seulement la Turquie, mais également le Liban et la Jordanie qui, de plus en plus — et je le dis parce que je suis revenue de cette région il y a quelques semaines seulement — connaissent de vives tensions. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ces trois alliés.
Je vous remercie. Voilà qui est fort intéressant.
J'aimerais poser une brève question si j'ai le temps.
Quels seraient, d'après vous, les dangers que pourrait poser l'extension possible en Syrie de la mission militaire canadienne?
Voici comment je vois les choses. Il faut faire attention à ce qu'on dit, car vous avez le régime Assad qui a tué 200 000 personnes. Il est responsable, je pense, des 200 000 morts ou peut-être qu'il a du sang sur les mains pour au moins 150 000 d'entre eux. En réalité, beaucoup de gens de la région sont très sceptiques vis-à-vis de l'intervention occidentale contre l'EIIL. « Comment se fait-il que vous arriviez ici précipitamment à cause de la décapitation regrettable, atroce et horrible de deux journalistes occidentaux alors que vous n'avez accordé aucune importance à la mort de 150 000 musulmans arabes?», demandent-ils.
L'EIIL a tué 1 200 personnes. Certes, ce sont 1 200 personnes qui comptent, mais dans l'ensemble, les gens considèrent le régime Assad comme le vrai méchant. Vous ne réussissez donc pas à conquérir leur coeur et leur esprit et nous devons veiller à ne pas l'oublier. Je suis tout à fait pour une aide militaire visant à contrer l'EIIL, mais il ne faut pas présenter la chose dans un langage sectaire. Nous n'avons aucun intérêt à parler de nous attaquer à l'EIIL parce qu'il s'en prend aux minorités. Non. Si vous le faites, vous perpétuez le mythe voulant qu'il s'agisse d'une guerre contre l'Islam sunnite, ce qui n'est pas vrai. Nous devons parler de l'EIIL comme d'une horrible organisation moyenâgeuse qui risque d'embraser la région. Comme je suis originaire de la région, celle qui s'étend du Golfe jusqu'au Levant, on me dit souvent: « À mes yeux, la menace ce n'est pas l'EIIL, mais plutôt le régime Assad car il envoie deux à trois millions de réfugiés dans notre direction. »
C'est un sentiment très palpable si nous parlons de la réputation du Canada dans la région.
Merci beaucoup.
Merci, madame Laverdière.
Nous allons terminer par M. Anderson, qui dispose de cinq minutes.
Merci, encore une fois, monsieur le président.
Un des thèmes que nous avons abordés ce matin est notre désir d'affaiblir l'EIIL avec le temps.
Je me demande si vous pourriez nous donner une idée de la façon de mesurer et d'évaluer cet affaiblissement. S'il a lieu, à quoi ressemblera-t-il? Comment pourrons-nous le mesurer et l'évaluer?
À quoi ressemblerait l'affaiblissement de l'EIIL? Bien entendu, cela voudrais dire l'anéantissement de ses forces militaires. Il a des troupes de 30 000 à 40 000 hommes, ce qui n'est pas énorme, tout bien considéré. Il faut stopper le recrutement visant à les renforcer car c'est le recrutement, en bonne partie à l'étranger, qui augmente constamment le nombre de combattants. Selon les récentes estimations de la CIA, l'EIIL dispose maintenant d'environ 50 000 hommes, dont la plupart ont été recrutés par Internet. Il faut donc faire cesser le recrutement.
Je pense qu'il faut aussi renverser la tendance dans la région et cela en comblant le vide politique. Je dirais qu'il y a encore des gens qui méprise l'idéologie, la façon dont l'EIIL exerce sa suprématie, mais qui disent: « Si nous nous débarrassons de l'EIIL demain, qui prendra sa suite? Qui va collecter les ordures ou fournir de l'électricité? Mais surtout, cela veut-il dire que nous serons gouvernés à la fois par le gouvernement Abadi et le gouvernement Assad? » Comme ce n'est pas forcément envisageable non plus, vous devez leur offrir une solution de rechange. Il est vraiment important d'en tenir compte pour présenter les choses et offrir une véritable option politique pour la suite.
La question primordiale est la suivante: que se passera-t-il lorsque l'EIIL sera affaiblie. Si vous n'apportez pas des institutions viables pour combler le vide, un nouvel acronyme viendra le combler.
Je voudrais parler un peu des institutions outre que l'armée. En Irak, la police et le pouvoir judiciaire ont-ils les moyens d'assurer une protection efficace? Vous dites que le problème ne concerne pas les minorités religieuses, mais il est certain que les communautés minoritaires sont visées et touchées. La police et le système judiciaire ont-ils les moyens de faire face?
J'aimerais aussi que vous parliez des institutions syriennes qui existeront si l'EIIL est affaibli.
Il ne reste pas beaucoup d'institutions syriennes dans le secteur. Elles ont disparu depuis quatre ans, et je dirais qu'elles ont beaucoup négligé la région lorsqu'elles étaient en place.
À propos de l'Irak, vous avez demandé ce qu'il en est de la police et du système judiciaire. Je pense qu'il ne s'agit vraiment pas de forces professionnelles dans un cas comme dans l'autre. La police ainsi que le pouvoir judiciaire sont largement dominés par les chiites irakiens. C'est l'oeuvre de Maliki et non pas d'Abadi qui a bien essayé, je pense, de s'y opposer. Cette domination est bien assurée parce que, pendant quatre ou cinq ans, Maliki a veillé à ce que seuls ses partisans, ceux qui partageaient son orientation idéologique au sein de la communauté chiite… Il y a de nombreux chiites centristes et laïques qui n'appuient pas le point de vue de Maliki. Il y a même certaines personnes qui ne sont pas centristes, comme les sadristes, qui ne partagent pas les opinions de Maliki. C'est une autre ressource inexploitée en Irak, qui serait tout à fait disposée… dans une perspective plus nationale. Maliki passe pour un pantin du régime iranien, même en Irak, aux yeux de certaines des forces chiites plus radicales, qui sont très arabes et non pas persanes.
Je vais laisser mon collègue, l'autre témoin, vous en parler, car il est beaucoup plus expert que moi en ce qui concerne les Iraniens, comme je l'ai mentionné.
Je ne sais pas exactement quelles sortes de ramifications politiques cela peut avoir. C'est assez paradoxal et intéressant. C'est précisément ce que Mme Momani a souligné, à savoir qu'en réalité, les religieux chiites les plus politisés ont tendance à être plus ouverts à une coopération avec les forces sunnites. Les traditionalistes, les religieux chiites quiétistes qui rejettent peut-être le rôle du clergé ou même le rôle de la religion dans le gouvernement ont tendance à être plus anti-sunnites. C'est une chose à ne pas oublier.
Je ne sais pas exactement comment cela peut se refléter dans la politique, mais il vaut certainement la peine de souligner que certaines des forces qu'on penserait plus radicales et qui ont peut-être même joué un rôle dans la radicalisation de la population sunnite en Irak, pourraient bien devenir des cobelligérants utiles à l'avenir.
Je remercie infiniment nos deux témoins d'aujourd'hui, Mme Momani et M. Sanjabi, pour le temps qu'ils nous ont consacré.
Nous allons suspendre la séance pendant un bref instant afin de nous préparer pour la prochaine vidéoconférence.
Nous sommes de retour.
Je tiens à souhaiter la bienvenue au père Mallon, qui se joint à nous par vidéoconférence, à partir de New York. Il représente la Catholic Near East Welfare Association dont il est l'agent des affaires extérieures.
Bienvenue, père Mallon, et merci infiniment d'être des nôtres aujourd'hui.
Ici, à Ottawa, nous recevons M. Hétu, le directeur national pour le Canada de la Catholic Near East Welfare Association.
Monsieur Hétu, bienvenue ici aujourd'hui.
Nous allons commencer par notre ami à New York, le père Mallon. Nous vous donnons la parole pour votre déclaration préliminaire.
La région du monde que nous désignons comme le Moyen-Orient est probablement beaucoup plus complexe que nous n'en sommes conscients, pour la plupart d'entre nous. Pour commencer, sa situation n'a pas évolué naturellement. Après la chute de l'Empire ottoman, qui avait la haute main sur la quasi-totalité du Moyen-Orient, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, ont décidé, lors de l'accord Sykes-Picot de 1916, je crois, de diviser le Moyen-Orient en zones d'influence. C'est principalement sur cette base que ces pays ont vu le jour.
Si vous regardez la carte, il est frappant de voir le nombre de frontières qui suivent une ligne droite au Moyen-Orient. Un grand nombre de ces pays sont artificiels. Par exemple, les Turcs ottomans avaient eu la sagesse de diviser ce que nous appelons maintenant l'Irak en trois sections. Au nord, il y avait Mossoul, où se trouvent les Kurdes; au milieu, il y avait le vilayet de Bagdad où se trouvent les Arabes sunnites; et ensuite, il y avait le vilayet de Basra, où se trouvent les Arabes chiites.
Les Ottomans savaient que ces peuples étaient différents. Quand les Européens ont redivisé le territoire, ils ont mis toutes ces populations ensemble et ont déclaré que cela formait un pays, pensant sans doute créer un pays comme l'Italie, la France, l'Allemagne, le Canada ou les États-Unis alors qu'en fait ces pays n'ont pas d'histoire commune. Ils sont artificiels et foncièrement instables. Quand on voit ce qui se passe en Irak entre les chiites au sud, les sunnites dans la province d'Anbar au nord de Bagdad et les Kurdes, dans la région de Mossoul, si l'on connaît l'histoire de la région, cela n'a rien d'étonnant. Ce qui est étonnant, c'est que ce ne soit pas arrivé avant.
En outre, en Occident — du moins aux États-Unis — nous parlons de deux guerres du Golfe. Les gens de là-bas parlent de trois guerres du Golfe, la première étant la Guerre Irak-Iran, qui s'est déroulée de 1980 à 1988 et lors de laquelle au moins un demi-million de personnes ont été tuées, et peut-être même un million. Environ deux ans plus tard, il y a eu ce que nous appelons la première guerre du Golfe, qui visait à chasser les troupes Irakiennes du Koweït. Enfin, il y a eu, pour l'Occident, la deuxième — ou pour les Irakiens, la troisième — guerre du Golfe, qui a débuté en 2003 et qui, selon nous, a pris fin en 2011. Ce n'est plus aussi clair. Cela fait des années qu'il n'y a aucune stabilité dans ce secteur.
Puis, en 2010, à la surprise de tous, un homme du nom de Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu en Tunisie et le printemps arabe a commencé. J'ai publié quelques écrits sur le printemps arabe et une des choses qui m'ont le plus gêné est qu'on ait appelé ça le « printemps arabe ». Je sais, pour avoir vécu au Moyen-Orient, que le printemps n'est pas une bonne saison. C'est la période où la pluie s'arrête, où la température devient extrêmement chaude et où la nature meurt. En Europe et en Amérique du Nord, le printemps est le moment où tout fleurit et tout est beau si bien que le printemps est une période chargée d'optimisme. Je me demande si le fait d'avoir qualifié de « printemps arabe » ce qui s'est passé au Moyen-Orient n'était pas annonciateur de ce qui allait arriver, même si les gens qui ont parlé de « printemps » ne s'en sont pas rendu compte.
Ce qui s'est produit, c'est une situation foncièrement instable avec des pays artificiels, des divisions artificielles et presque pas de sentiment d'unité nationale.
Vous avez tout à coup trois grandes guerres en Irak et en Iran. Vous avez ensuite la déstabilisation des pays d'Afrique du Nord, de l'Égypte et finalement, la déstabilisation… Je ne sais pas si l'on peut parler encore de guerre civile en Syrie. Tout cela formait un contexte artificiel et une fois que cette chose artificielle a éclaté, toutes sortes d'opportunistes qui avaient plus ou moins toujours été là, ont pu venir combler le vide.
Jusqu'à récemment, en Syrie, on parlait d'une zone centrale — elle n'est pas vraiment centrale, mais c'est la zone autour de Damas — qui était sous la coupe du gouvernement Assad, grâce à une aide considérable des Russes, d'après ce que j'ai entendu dire. La plupart des autres ambassades avaient quitté Damas.
L'ouest de la Syrie était sous le contrôle de nombreuses factions d'opposition. Des groupes d'opposants qui changeaient constamment de camp, qui se battaient parfois entre eux, certains étant laïques, d'autres modérés — je ne suis pas certain de ce que cela signifie — d'autres encore, comme le Jabhat al-Nusra, plus extrémistes, mais ils étaient identifiés.
Dans le nord-est de la Syrie et la région de Jazira, personne ne savait qui avait la situation en main. C'est dans cette région, autour de la ville de Raqqa, que tout à coup — je ne dirais pas que l'EIIL est apparu — mais qu'il s'est constitué. Ceux qui se sont regroupés pour former l'EIIL étaient déjà dans la région depuis un certain temps.
Ils ont commencé à se réunir et à s'organiser comme aucun des autres opposants syriens ne l'avaient fait ou ne le font encore. Ils ont pu, pas plus tard que l'année dernière, prendre la ville de Raqqa dont ils ont fait leur base. À partir de là, ils sont allés dans le nord-ouest de l'Irak, la région de Mossoul, les plaines de Nineveh et ils n'ont pas cessé d'y faire des ravages depuis.
À la fin de juin 2014, qui coïncidait avec le premier jour du Ramadan, Ibrahim Abu Bakr al-Baghdadi s'est proclamé le calife de l'État islamique, l'EIIL ou Daesh, en tout cas un groupe de gens très bien organisé et incroyablement brutal.
Je ne pense pas qu'au cours de son histoire, le Moyen-Orient ait connu ce genre de destruction gratuite depuis l'invasion des Mongols au XIIIe siècle qui a éliminé le califat à Bagdad et détruit la majeure partie de la culture arabo-musulmane pendant des siècles.
Nous voyons de nouveau des bibliothèques, des monastères et des manuscrits se faire détruire et des gens se faire tuer simplement parce qu'ils ne font pas partie du groupe. Je ne me souviens pas exactement des dates, mais à peu près à l'époque de l'invasion mongole qu'il y avait un groupe nommé les Assassins, qui était une secte musulmane au comportement très similaire à celui du Daesh ou de l'EIIL, mais de façon plus limitée. Ce groupe détruisait et tuait aussi gratuitement, mais n'était pas aussi organisé et les Mongols ont fini par l'anéantir.
Je crois que je vais m'arrêter là.
Pour les personnes qui connaissent bien le Moyen-Orient, ce n'est pas vraiment une surprise. Tout peut sembler évident, a posteriori, mais nous aurions dû nous y attendre un peu. Nous aurions dû voir que les conditions propices ou la possibilité que cette situation se produise existaient bel et bien au Moyen-Orient. Nous sommes maintenant confrontés là-bas à une influence déstabilisante comme il n'en a probablement pas existé depuis l'invasion mongole.
Par le passé j'avais une certaine idée, peut-être illusoire, de ce qui se passait au Moyen-Orient et de l'avenir de cette région. Pour le moment, je ne sais plus vraiment où elle se dirige, mais je suis certain que l'Empire ottoman a maintenant complètement disparu.
Merci infiniment.
Nous allons donner la parole à M. Hétu, qui est ici, pour sa déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.
Merci beaucoup, monsieur le président, de votre invitation à comparaître devant le comité. Je vais m'exprimer en anglais afin que mon collègue, à New York, sache ce que je dis. Il comprend le français, mais comme il est loin d'ici, à New York, qui sait s'il pourra entendre tout ce que je vais dire en français, et il n'y a pas d'interprétation simultanée à New York. Je vais faire mon discours, mais s'il y a des questions en français, j'y répondrai en français.
Ce que le père Elias nous a décrit, je pense, est une région caractérisée par une grande diversité et de multiples confessions. Il n'y a aucun autre endroit au monde où il y a une aussi grande diversité, où vous avez des musulmans chiites, des musulmans sunnites et divers groupes comme les Yazidis dont la religion date d'avant Jésus-Christ. Vous avez un grand nombre de tribus, de clans, de chrétiens de différentes cultures et régions. La population est très diversifiée et c'est un endroit unique au monde qui est le berceau des religions monothéistes, le berceau de la civilisation, la grande civilisation de Mésopotamie, etc. Par conséquent, la diversité du Moyen-Orient est ce qui en a fait, dirais-je, une région unique en son genre. Il est remarquable que des populations aussi diverses aient pu vivre ensemble au cours des siècles.
Nous assistons maintenant à la destruction de cette diversité, du caractère multiconfessionnel de la région. Dans un monde qui devient de plus en plus proche par divers moyens, ce qui se passe actuellement en Irak est une forme d'antimondialisation, si vous voulez. C'est la destruction de la diversité. Un des groupes de victimes… Bien entendu, comme le père l'a mentionné, quiconque ne pense pas comme l'EIIL ou ne partage pas ce genre d'idéologie est éliminé sauvagement. Toute la population est certainement en danger, comme nous l'avons constaté.
En Irak, depuis que l'EIIL a commencé à prendre forme, il y a eu environ 1,8 million de personnes déplacées. Nous oublions qu'en Syrie, la guerre dure depuis trois ans, qu'elle entre dans sa quatrième année et qu'elle a causé beaucoup de souffrance. Nous savons tous que deux à trois millions de personnes sont réfugiées en dehors de la Syrie. Il y en a environ 1,5 million au Liban, un autre million en Jordanie et c'est en plus des Irakiens. Entre 2003 et 2010, environ un million d'Irakiens avaient déjà fui l'Irak pour aller en Syrie. Ils quittent maintenant la Syrie pour le Liban. Prenons ensuite la Jordanie. Entre 2003 et 2010, un demi-million d'Irakiens s'étaient déjà réfugiés en Jordanie. Ces personnes restent là même si l'Irak s'est doté d'un gouvernement de coalition ces dernières années, mais certaines sont rentrées au pays.
Néanmoins, des gens qui souffrent beaucoup sont les chrétiens. Notre organisme s'intéresse surtout à eux. Nous aidons les chrétiens. C'est notre principale mission. Bien entendu, cela ne veut pas dire que nous n'aidons pas les autres groupes, mais nous centrons nos efforts sur les chrétiens, car ils sont devenus la cible et les victimes de tous ces crimes et haines au cours des 10 à 15 dernières années. Il y a 10 ans, en 2003, il y avait environ un million de chrétiens en Irak. Selon les chiffres que nous avons nous-mêmes obtenus des églises locales, il n'y en a plus qu'environ 200 000, peut-être 150 000. Cela veut dire que toute la population chrétienne est évacuée d'Irak.
Quand on y pense, la chrétienté a commencé avec saint Thomas, à l'époque des apôtres et de Jésus, lorsque la Mésopotamie était prospère et les gens qui ont adhéré à cette nouvelle religion au fil du temps ont créé quelque chose de très puissant, de très positif dans la région. En effet, le rôle que les chrétiens y ont joué a été excellent sur le plan de l'éducation, de la création d'emplois et des services sociaux à la disposition de tous. C'est pourquoi, sous de nombreux régimes, les chrétiens ont toujours trouvé moyen de survivre, de prospérer et de participer pleinement à la société. Leur contribution, leurs connaissances et les liens qu'ils ont avec nous en Occident en tant que membres de la grande communauté chrétienne mondiale ainsi que les valeurs occidentales sont éliminés. C'est parce que souvent, les factions comme l'EIIL voient dans les chrétiens l'Occident, l'influence occidentale, la théologie occidentale, l'idéologie occidentale, la façon occidentale de faire les choses et les chrétiens sont donc ciblés. Ils n'ont aucun moyen de se défendre. Ils n'ont pas, comme les autres, des armes et des tribus, etc. Nous constatons maintenant que sur les 200 000 chrétiens d'Irak, environ 150 000 fuient le pays. C'est ce qui se passe. Ils sont en train de fuir.
Pour que vous le sachiez, depuis 1949, notre organisme a eu trois bureaux: un au Liban, qui dessert l'Irak, la Syrie, l'Égypte et le Liban; un à Jérusalem pour couvrir Israël et la Palestine et un à Amman, pour l'Irak et la Jordanie.
Ces bureaux sont constitués de personnel local et de chrétiens qui travaillent, bien sûr, avec une majorité de musulmans.
Au fil des années, en travaillant avec les chrétiens, nous avons dû modifier tout notre programme pour passer du développement et des services aux interventions d'urgence et de crise. Nous avons déployé toutes nos ressources pour aider la population à survivre, si vous voulez, en attendant que les choses s'améliorent. Comme le père Elias vient de nous le dire, nous ne savons pas quand cela s'arrêtera.
En Syrie, il y a eu, à un certain moment, ce que nous appelons l'Armée syrienne libre avec laquelle nous pouvions dialoguer, entre le régime Assad et l'Armée syrienne libre. Elle a été battue — par qui? — par l'EIIL et par al-Nusra, des groupes qui désobéissent à Al-Qaïda.
Alors à qui peut-on parler en Syrie? Vous ne pouvez plus parler à qui que ce soit. Depuis les pourparlers de Genève de janvier dernier, il n'y a eu aucune discussion entre le régime syrien, le régime Assad et qui que ce soit d'autre pour parvenir à un règlement pacifique en Syrie. En attendant, il y a davantage de chaos, davantage de destruction et davantage de civils qui sont tués; et davantage de chrétiens, qui sont minoritaires, s'apprêtent à fuir ou fuient la région. Cette dernière pourrait perdre une partie de sa diversité.
Pour vous donner un exemple, il y a environ quatre ans, j'ai parlé avec l'ancien ambassadeur d'Irak au Canada, avec qui j'ai déjeuné. Il m'a dit qu'il était né dans un petit village d'Irak et qu'il avait fréquenté l'école des Frères dominicains. C'est là que ses yeux se sont ouverts sur le monde, sur toutes les grandes choses que le monde pouvait lui apporter. Au lieu de rester coincé dans son petit univers où seuls son clan et sa tribu seraient importants, il s'est rendu compte, grâce aux pères dominicains, que le monde avait beaucoup plus à lui offrir. Il a dit: « Je vais travailler toute ma vie pour faire en sorte que les chrétiens restent en Irak, car ils ont donné aux gens comme moi la possibilité de comprendre certains concepts de respect, de dignité, de compassion et de pardon qui sont tellement importants dans le contexte actuel ».
Donc, notre organisme travaille fort pour essayer de garder les chrétiens en Irak, mais ils partent. À l'heure actuelle, les chrétiens d'Irak, une nouvelle vague de réfugiés, partent pour le Liban ou pour la Jordanie. Je peux vous dire que j'ai communiqué avec nos bureaux le mois dernier. Nous avons eu une réunion d'urgence à New York et deux choses se passent actuellement. Il y a le désintérêt des donateurs, car nous menons de nombreuses campagnes de financement aux États-Unis et au Canada. Au départ, les gens ont été très généreux. Ils donnaient beaucoup d'argent. Nous avons reçu de l'argent comme de nombreux autres organismes. Mais maintenant, quand nous demandons aux mêmes donateurs: « Pouvez-vous de nouveau nous aider? », après trois ans de guerre, ils nous disent: « Pendant combien de temps allons-nous devoir le faire? » Le problème est que les gens souffrent plus maintenant qu'il y a trois ans, alors que pouvons-nous faire?
C'est pourquoi je pense que le rôle du gouvernement est très important car cette aide serait cruciale non seulement pour permettre aux gens de tenir, mais combien de temps cela va-t-il durer? N'oublions pas qu'il reste des problèmes non résolus au Moyen-Orient, dont l'un est la question israélo-palestinienne. Il y a actuellement près d'un demi-million de réfugiés palestiniens qui sont encore dans des camps et dans de nombreuses villes du Liban. Il y a encore 1,5 million de réfugiés palestiniens dans des camps de Jordanie, en plus du million de réfugiés syriens et maintenant d'un autre demi-million d'Irakiens. Comment un pays de six millions d'habitants peut-il absorber cela?
La même chose se passe au Liban. N'oublions pas que le Liban est une démocratie, peut-être pas comme la nôtre, mais qui dessert bien la diversité multiconfessionnelle du Liban. Malgré la violence, les Libanais tiennent le coup. Le Liban pourrait tomber. Il y a beaucoup d'incursions. Il y a beaucoup de combats — pas plus tard que le mois dernier — et chaque fois, les Libanais s'efforcent de ne pas tomber dans une nouvelle guerre civile. Ils sont conscients du danger et ils ne veulent pas y retomber.
Voilà pourquoi je crois essentiel que notre gouvernement joue un rôle sur divers plans. Bien entendu, comme l'a dit le père Elias, l'EIIL ne veut pas négocier. Il est brutal et doit être arrêté, mais ce n'est pas la solution en soi. C'est juste un moyen de l'arrêter. Notre gouvernement devrait, je crois, centrer vraiment ses efforts et prévoir, en plus de l'action militaire qu'il a entreprise, une solide composante d'aide humanitaire pour permettre aux gens de tenir, oui, mais aussi pour les aider à rentrer chez eux.
Le mois dernier encore, des habitants d'Erbil au Kurdistan qui ont essayé de rentrer chez eux ont été vraiment laissés pour compte par la coalition. Ils ont trouvé leurs maisons complètement détruites. Tout avait disparu — leur église, leur maison, leur parc, leur école — tout avait été détruit. L'EIIL avait planté des mines dans le peu qui restait. En rentrant dans leur maison, certains ont été tués par des explosifs.
Ce que j'essaie de vous dire c'est qu'il n'y a pas de solution facile. Où est l'espoir quand les gens ont même de la difficulté à rentrer chez eux? Nous devons penser à la manière d'aider les gens à retourner chez eux pour qu'ils puissent reprendre un semblant de normalité.
En Syrie, c'est la même chose. De nombreuses familles retournent à Homs, mais les infrastructures de la ville ont complètement disparu — l'eau, l'électricité, l'hygiène, la distribution des aliments. Ils ne peuvent même plus se nourrir en Syrie tellement les choses sont chaotiques en ce moment. Beaucoup de quartiers connaissent une véritable famine. Qu'allons-nous faire face à une telle situation?
Je conclurais en disant que l'autre composante importante que vous devez envisager, c'est l'activité diplomatique. Il faut comprendre la complexité de cette région. Nous devons absolument trouver nos meilleurs diplomates, notre meilleure façon de travailler avec les Nations Unies, avec d'autres pays, pour en arriver vraiment à une solution diplomatique, car s'il n'y a pas de paix, s'il n'y a pas de discussions diplomatiques ou de solution, il y aura encore plus de guerre et de destruction. Et vous savez quoi? Parfois il y a un effet boomerang, et tout cela pourrait revenir nous hanter.
Voilà comment nous voyons la situation. Notre propre organisation est débordée et nous ne sommes pas les seuls. Nous rencontrons d'autres organismes du monde entier qui sont eux aussi assez débordés.
Je vous remercie une fois de plus de m'avoir donné l'occasion de témoigner.
C'est nous qui vous remercions, monsieur.
Nous allons commencer par M. Dewar, pour sept minutes, s'il vous plaît.
Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins.
Avant de commencer, je voudrais dire que j'aimerais proposer une motion à la fin du débat sur les prévisions budgétaires. Je voulais en parler au début de la séance, car nous devons nous occuper des prévisions. Je pourrais peut-être y revenir une fois que nous aurons entendu nos témoins avant la fin de la séance d'aujourd'hui.
Je tiens à remercier nos deux invités. Vous nous avez donné un très bon contexte. J'étais en fait à Erbil en 2007. C'était un endroit sûr à l'époque. La diversité dont vous et nos invités précédents avez parlé était extraordinaire, et il est vraiment important de se rappeler de l'incroyable diversité qui existe dans la région.
Il se passait des choses intéressantes également en 2009 ici, à Ottawa. J'avais coorganisé un débat sur les événements en Irak et sur l'aide que le Canada pouvait apporter, en particulier face à la crise des groupes minoritaires qui quittaient le pays. C'était, bien entendu, à cause du nouveau phénomène appelé Al-Qaïda en Irak qui ciblait certains des groupes dont nous avons parlé aujourd'hui.
Certains observateurs ont dit qu'il existait des signes avant-coureurs. On n'a pas prévu les agissements de l'EIIL, mais en réalité, il se passait déjà des choses depuis un certain temps, depuis 2003. Oui, il y a eu une prise de conscience utile. Le problème, pour le dire franchement, c'est le changement de gouvernement à Washington, le manque de compréhension qu'il fallait s'en tenir au plan.
Mon collègue, M. Garneau, et moi-même nous avons accompagné le ministre Baird à Bagdad et à Erbil. Les visites les plus impressionnantes ont été nos rencontres avec les représentants catholiques et les gens dans les camps de réfugiés.
On nous a parlé notamment du cas de — je crois que c'est à propos des yézidis. Malheureusement, leur religion leur interdit de quitter la région; il me semble que vous en avez parlé. Leur foi est enracinée dans leur géographie. En tout cas, ils ont dit qu'ils ne pouvaient pas retourner dans des endroits comme Mosul. Ils ont beaucoup insisté sur le fait qu'ils tiennent à demeurer dans la région. Ils y sont depuis des milliers d'années. Ils voulaient que le Canada et d'autres donateurs et bailleurs de fonds les aident à reconstruire, non pas pour des camps de réfugiés, mais pour se réinstaller dans la région. Je crois que ce serait sage; nous ne voulons pas voir ces peuples historiques quitter la région.
La première question que j'aimerais vous poser à tous les deux est la suivante. Depuis quand surveillez-vous ce qui se passe depuis 2003? En plus de ce que je viens de dire, auriez-vous d'autres recommandations? Je crois qu'il faut faire davantage que de construire des camps de réfugiés comme solution provisoire, ce qui est important à court terme, certes, mais nous devons commencer à envisager des stratégies plus globales à long terme.
Et que dire de la réinstallation? Si ces gens ne peuvent pas retourner chez eux dans des villes comme Mosul, devrions-nous en attendant ou peut-être à moyen terme, envisager de les aider à construire de nouvelles localités où se réinstaller?
Oui, je crois que c'est très important. Un des problèmes au Moyen-Orient, c'est qu'il faut effectivement construire, mais avant tout, il faut que naisse une société civile. Autrement, on ne fera que passer de camps de réfugiés mobiles à des camps de réfugiés permanents. Actuellement, toute la région vit sous l'emprise de gouvernements autoritaires et est essentiellement dépourvue des structures d'une société civile. S'il est vrai que les besoins matériels doivent être satisfaits — c'est évident — il faut également développer un cadre socio-politique si l'on veut que ces pays en arrivent à une stabilité pluraliste.
Dans l'immédiat, nous avons une équipe qui est allée là-bas la semaine dernière. Nous y allons régulièrement pour travailler avec l'église locale. Il y a en fait deux choses.
Premièrement, le Kurdistan — comme vous y êtes allé, je suis sûr que vous savez de quoi je parle — est un monde en soi. C'est une société totalement distincte et étrangère, mais à l'intérieur de l'Irak. Cela veut dire que les gens qui y sont réfugiés actuellement ne sont pas des Kurdes. Ils ne parlent pas le kurde. Ils ne connaissent même pas la culture du Kurdistan. Ils ne peuvent pas s'intégrer à la société du Kurdistan. En fait, les Kurdes ne veulent pas nécessairement de leur présence non plus. Nous commençons à remarquer quelques tensions.
Nous l'avons constaté clairement la semaine dernière. Ils étaient très hospitaliers au début. Entre 120 000 et 150 000 personnes se sont présentées à leur porte. C'était toute une affaire que d'héberger tous ces gens. Pensez simplement à l'hygiène. Pensez simplement au besoin de se laver, de laver les vêtements. Les gens sont arrivés là-bas avec absolument rien. En 30 minutes, leur vie a été détruite, le 7 août dernier. Ils ont dû prendre la fuite sans rien emporter, sans même une chemise ou un sous-vêtement de rechange. Voilà à quel point la situation était grave.
Au début, les gens étaient prêts à les accueillir. Il y a un centre commercial encore en construction. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le visiter. De nombreuses églises et écoles étaient prêtes à les accueillir. Mais maintenant, les Kurdes disent que s'ils ne peuvent pas fréquenter leurs écoles, et ils ne le peuvent pas parce qu'ils ne parlent pas le kurde et n'ont pas le même programme scolaire, ils doivent partir pour que l'école puisse commencer. Des milliers de gens doivent donc trouver un autre endroit où s'installer.
Dans ce centre commercial, on leur a dit après trois mois qu'ils devaient partir à la fin novembre. Voilà encore quelques milliers de personnes qui doivent trouver un autre endroit parce que les Kurdes veulent terminer la construction du centre commercial et faire des affaires. C'est ainsi.
Ensuite, il y a beaucoup de privilèges parmi les Kurdes. Ils aident les leurs et leurs amis. Pour les autres, eh bien, ils n'ont qu'à se débrouiller. Ils sont aidés par des organismes comme le nôtre ou d'autres qui sont là pour apporter une aide par d'autres moyens. Il y a donc déjà des tensions. Nous le remarquons sur le terrain.
L'autre question, c'est que les gens veulent retourner chez eux. En même temps, ils savent qu'ils ne le peuvent pas. Avec l'hiver qui arrive, il va y avoir de nouveaux besoins. Bien entendu, les hivers là-bas ne sont pas comme ici. Mais quand vous êtes habitué à des chaleurs de 40 degrés et que vous passez à zéro, c'est dur. Les gens n'ont pas de vêtements. Ils n'ont rien et nous devons les équiper. C'est donc un besoin temporaire.
Voulez-vous que je...?
Merci, monsieur le président.
J'aimerais simplement connaître votre réaction. Quelqu'un a dit que les activités de l'EIIL n'ont pas pour but la persécution des communautés minoritaires. Que pensez-vous de cette affirmation?
Je ne crois pas qu'il s'agisse de persécuter les minorités. Il s'agit de persécuter tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Malheureusement, la situation semble bien pire pour les minorités parce qu'elles n'ont pas les moyens de se défendre. Quand on n'a pas les moyens de se défendre, il faut prendre la fuite. C'est ce qui est arrivé à Mosul. C'est ce qui est arrivé à Qaraqosh en août quand ces 120 000 personnes sont parties. Elles n'avaient aucun moyen de se protéger. Cela fait mauvais effet. Ils ont l'air d'attaquer les minorités simplement parce qu'elles sont là. Mais ce sera bientôt le tour d'autres groupes. Même de nombreuses tribus sunnites qui appuyaient l'EIIL deviennent des victimes à leur tour. Leurs mosquées sont détruites. Cela ne faisait pas partie de l'entente.
Comment faire, selon vous, pour les empêcher de continuer? Nous avons parlé dans la dernière heure de la nécessité d'établir une sorte de force de combat fiable contre eux. Nous avons parlé ce matin de tenter de rétablir la société civile, ce qui ne peut se faire sans rétablir l'ordre. Il est difficile d'organiser une police et un système judiciaire décents sans avoir quelques structures.
Comment pensez-vous que la situation pourrait se dérouler dans la région? D'où viendra le leadership et quelle sera la composition du groupe qui sera en mesure de repousser ces forces dans la région?
Il faudra un effort concerté et pas seulement de la part du peuple irakien. Il y a trois ans, quand Maliki a pris le contrôle du gouvernement irakien, il a fondé toute sa politique sur la vengeance contre les Arabes sunnites qui avaient persécuté les chiites depuis si longtemps. Cela a contribué à créer la situation chaotique actuelle.
Maintenant qu'il y a un nouveau gouvernement, les gens sont conscients qu'une plus grande menace pèse sur eux, ce qui pourrait les obliger à se parler pour en arriver à une sorte de cohésion. Ce sera peut-être difficile. S'il y a une solution à trouver et une société civile à mettre sur pied, c'est eux qui doivent le faire. Nous pouvons peut-être les aider, mais pas en imposant une approche occidentale sur une façon de faire historique très moyen-orientale.
Ils doivent créer leur propre système de sécurité et je crois qu'ils se rendent compte que la lutte historique entre les Kurdes, les chiites et les sunnites doit prendre fin. Il faut un règlement, mais l'EIIL les en empêche. Ils ont donc besoin d'aide, et je crois fermement au rôle des Nations Unies. De nombreux mécanismes peuvent être mis en place pour au moins accueillir ces discussions et pourparlers. Nous avons l'intervention militaire, mais il faut des pourparlers en attendant pour trouver un moyen durable d'établir une société civile. Je ne sais pas si d'autres ont quelque chose à dire à ce sujet, mais voilà mon opinion.
Vous avez parlé un peu de financement et il a été question tout à l'heure d'un financement des établissements d'enseignement, sur plusieurs générations, d'où la radicalisation, et ensuite de l'utilisation d'Internet pour la collecte de fonds, mais aussi pour la radicalisation. Je me demandais simplement si vous pouviez nous parler un peu du rôle de l'éducation. Quel serait votre rôle? Vous avez parlé de gens qui sont plus ouverts sur le monde après avoir fréquenté vos séminaires et écoles. Quel sera le rôle de l'éducation dans les 5 à 10 prochaines années pour faire face à la radicalisation, ou bien la radicalisation vient-elle essentiellement des pays occidentaux et, dans ce cas, il ne sera pas possible de la contrer en travaillant uniquement au Moyen-Orient?
C'est une très vaste question car, dans un milieu normal, l'éducation fait son travail. Vous savez... « Je veux être médecin, infirmière ou ingénieur. Je veux aider la société, je veux contribuer, et je veux que ma famille vive bien, que mes enfants aillent à l'école, que mon enfant handicapé reçoive les services dont il a besoin ». C'est ce à quoi tout le monde aspire. En Irak, c'est la même chose. C'est ce que veulent la plupart des familles.
Quand ces droits vous sont refusés, c'est là que vous pensez à un autre moyen de trouver l'argent et les ressources pour combler vos aspirations. Il arrive parfois que vous finissiez par rejoindre les rangs de groupes qui vous promettent toutes sortes de choses. C'est un fait bien connu. Un groupe comme l'EIIL promet monts et merveilles à certains villages, en particulier aux Arabes sunnites qui n'ont pas été très bien traités par le gouvernement chiite de l'Irak.
Quand l'EIIL arrive et promet une certaine liberté, davantage de ressources et davantage d'aide pour les familles, les gens sont tentés. Ils ne veulent pas nécessairement devenir des terroristes; ils ne veulent pas nécessairement aller tuer des gens. Ils veulent simplement une vie meilleure pour leur village, une vie qui leur a été refusée par un autre régime. Ils se retrouvent pris dans cette situation sans trop savoir comment. Tout cela devient plus important que leur propre personne et ils se perdent dans ce qui est en train de devenir un groupe extrêmement brutal nommé l'EIIL.
En ce sens, c'est plutôt ce qui se passe actuellement. Comment contrer la situation? Eh bien, une fois de plus, il faut des discussions, des ressources et de l'aide. À l'heure actuelle, les enfants réfugiés qui ont quitté Mosul, Nineveh et Qaraqosh ne vont pas à l'école. Il n'y a pas du tout d'école pour eux. Ce sera la perte de tout un groupe de gens qui n'auront pas d'éducation et qui en subiront les conséquences.
Il ne me reste pas beaucoup de temps, mais je me demandais si vous pouviez nous donner une idée de l'accès actuel des organismes d'aide humanitaire aux populations dans le nord et l'est de la Syrie et dans le nord et l'ouest de l'Irak. Je me pose la question.
Nous avons déjà parlé ici de l'ingérence du gouvernement dans la distribution des secours, qui sont détournés et réacheminés, et je me demande comment vous accédez aux populations et dans quelle mesure il vous est facile de livrer les secours là où ils sont nécessaires.
D'accord. Traditionnellement, notre aide est acheminée par l'intermédiaire des églises locales. Nous leur faisons confiance. Nous leur faisons confiance sur le terrain. Ce sont des entités locales. Elles connaissent tout le monde dans leur localité. Tout le monde les connaît. On leur fait confiance et les églises ont un excellent système pour évaluer les besoins de chaque famille car elles connaissent les familles.
Ce système, que ce soit en Syrie ou en Irak, a toujours eu un très bon taux de réussite et aide ceux qui sont vraiment dans le besoin. Donc rien ne tombe dans de mauvaises mains. Les musulmans et les chrétiens reçoivent des parts égales. Nous avons un excellent groupe de personnes extrêmement bien coordonné sur le terrain et nous en sommes vraiment très fiers.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais commencer par remercier nos deux témoins de leur présence ici.
Père Mallon, vous avez parlé des raisons historiques pour lesquelles cette région est dans la tourmente en ce moment, en remontant jusqu'à l'accord Sykes-Picot, et vous avez fini par avouer que vous ne savez pas trop où tout cela peut nous mener.
Bien entendu, nous sommes en train d'intervenir dans cette région et cela veut dire que nous devons avoir un plan. Comment aimeriez-vous que les choses se passent pour que nous aboutissions à quelque chose de vraiment durable au lieu de devoir nous contenter de quelques années de paix en attendant un nouveau conflit? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Je crois que ce que vous avez dit est extrêmement important. J'ai souvent l'impression que nous nous acharnons un peu trop à vouloir rétablir l'ancien statu quo. Ce n'est pas viable.
Ce qui doit être fait... et je dois dire aussi que nous devons être extrêmement prudents. Lors d'une entrevue récente, j'ai utilisé l'expression « solution militaire » et puis je me suis ravisé en me disant que c'était une contradiction dans les termes. Il n'y a pas de solution militaire. L'action militaire peut fournir un espace, un peu de tranquillité et une occasion à saisir, mais les solutions viendront des infrastructures, de la société civile et de l'éducation.
Par exemple, une des choses qui font gravement défaut partout au Moyen-Orient, c'est le concept de citoyen, qui est justement le fondement même d'une société pluraliste. En attendant, nous parlons de démocratie, mais la démocratie sans la notion de citoyenneté peut finir par devenir la tyrannie de la majorité, comme nous l'avons vu ailleurs.
Je pense donc qu'avant tout, nous devons nous rendre compte que le contrôle que nous exerçons sur cette région est plutôt modeste. Nous devons assurer la sécurité — c'est clair — et cela peut exiger une action militaire, mais en sachant que ce n'est pas la solution.
Une fois que nous aurons un lieu sûr où la société peut se développer, il nous faut une société civile dans laquelle tous les citoyens sont égaux et participent de la même façon, ce qui n'est pas le cas actuellement au Moyen-Orient. C'est chacun pour soi. Les choses doivent donc changer. Il n'y a rien de traditionnel dans tout cela. Ce n'est pas comme la France après la Deuxième Guerre mondiale, qui a connu une terrible déstabilisation, mais qui a pu retourner à une société qui avait déjà existé. Ce n'est pas le cas au Moyen-Orient. Nous commençons à partir de rien.
On ne doit pas présumer simplement non plus que les pays dont nous avons hérité au Moyen-Orient vont demeurer les mêmes. Il est fort possible que nous assistions à une reconfiguration des frontières et des entités politiques. Nous ne devons pas nécessairement l'encourager — non, ce n'est pas notre travail — mais nous devons savoir que les choses pourraient très bien se passer ainsi.
Merci.
Lors de mon séjour en Irak au début septembre, avec le ministre Baird et mon collègue Paul Dewar, nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec le sous-ministre des Affaires étrangères avec qui nous avons eu une conversation assez intéressante. Je fais ici une observation. Il s'est dit intéressé par le concept de fédéralisme. Il a dit qu'ils savaient très bien qu'il y avait un système fédéral au Canada. J'ai trouvé intéressant qu'ils envisageaient ce genre de système du fait que, comme vous l'avez dit tout à l'heure, il y a des Kurdes, des chiites, des sunnites et bien d'autres minorités. J'ai trouvé cela encourageant.
Toujours pendant mon séjour, nous sommes allés à Erbil, et le ministre Baird, Paul et moi avons rencontré des chrétiens chaldéens. Je dois dire que l'évêque chaldéen a été extrêmement éloquent et a beaucoup insisté sur leurs besoins d'aide, car ils avaient fui la région de Mosul et se trouvaient en situation précaire. Je ne suis pas sûr qu'il s'agissait du centre commercial dont vous avez parlé, mais nous sommes allés dans un bâtiment qui était en face de l'église où nous nous étions donné rendez-vous et nous y avons rencontré des gens qui étaient manifestement en grande détresse. Ils ne se trouvaient même pas dans les écoles, qui étaient temporaires à ce moment-là.
Ensuite, nous sommes allés dans le camp des Nations Unies à Baharka où nous avons pu nous faire une idée de l'étendue des problèmes. Il faut en effet beaucoup plus de camps et ils ne sont même pas encore financés. Oui, nous avons parlé du long terme au début, mais à court terme, que pensez-vous, monsieur Hétu, du besoin d'aide humanitaire pour cette population déplacée dans la région kurde de l'Irak?
Merci.
Il y a plusieurs aspects. Le gouvernement du Kurdistan et le gouvernement de l'Irak sont en train de distribuer beaucoup d'aide alimentaire. Or, les paquets ne contiennent pas toujours exactement ce dont les gens ont besoin. Il n'y a pas de nourriture pour bébé, pas de lait en poudre, des choses qui aideraient les jeunes. J'ai parlé d'une école. Des milliers d'enfants n'ont pas d'école élémentaire ou secondaire où aller, c'est pourquoi nous versons des fonds en ce moment pour établir un système d'écoles temporaires dans la région du Kurdistan pour toutes ces personnes.
L'aspect médical est un problème majeur, car outre les traumatismes, les gens tombent malades comme partout ailleurs. Nous les envoyons vers tous les médecins qui se trouvaient dans l'autre endroit. Ils travaillent bénévolement, mais ils doivent avoir un endroit où prodiguer les soins. Nous accordons beaucoup d'attention à l'aspect médical, mais également au logement et à la préparation pour l'hiver: chauffage, couvertures, vêtements, meilleurs abris. Ce sont les principaux aspects que nous ciblons à court terme.
Merci beaucoup.
Nous allons accueillir notre deuxième série de témoins. Nous aurons du temps pour deux interventions rapides. Nous commencerons par M. Van Kesteren et nous finirons par Mme Laverdière.
Monsieur Van Kesteren.
Merci, monsieur le président, et merci au comité pour l'occasion qui m'est donnée de témoigner. J'ai déjà siégé à ce comité mais cela fait quelque temps déjà. C'est une discussion fascinante.
Cette question s'adresse à l'un ou l'autre d'entre vous. Je m'interroge. Vous avez parlé de la situation: le conflit, l'histoire et comment nous en sommes arrivés là. Il me semble — c'est évident pour nous tous — qu'il ne s'agit pas principalement d'un problème moyen-oriental. Les choses ont peut-être explosé là-bas, mais nous voyons des problèmes en Afrique du Nord, en Afrique occidentale, en Afrique orientale et au Soudan, bien entendu. Il semble y avoir autre chose. Je me demande souvent si nous nous attaquons au véritable problème, et c'est justement ceci.
J'ai eu l'occasion de parcourir la Turquie où j'ai noué d'importants contacts. Je travaille pour une association parlementaire Canada-Turquie. La raison pour laquelle je me passionne pour ces questions, c'est que la Turquie joue un rôle prépondérant. Le pays avait la capacité à un moment donné, et je crois qu'il l'a toujours, étant la seule autre démocratie dans la région à part le Liban, dans une certaine mesure, et bien entendu, Israël. Mais quand je voyageais avec un de mes amis turcs, il me parlait de l'Occident chrétien et des pays musulmans. Je lui ai dit qu'il faisait erreur et qu'il fallait parler de l'Occident laïc. Nous avons établi il y a longtemps que notre société devait se fonder sur la laïcité. N'est-ce pas en réalité un conflit entre cette lutte, la lutte pour le contrôle, et l'ouverture? Bien sûr, l'islam est une religion inclusive, mais ne s'agit-il pas au fond de la prise de conscience par les musulmans que s'ils permettent à la laïcité de s'insinuer dans leur société, ils vont perdre ce contrôle? Je me demande si l'un de vous deux peut me dire ce qu'il en pense.
Je n'en suis pas certain. Je pense que vous avez mis le doigt sur un point important; il se passe en effet quelque chose dans le monde musulman. Et pas seulement au Moyen-Orient, bien que cette région a tendance à être une locomotive qui exerce une forte traction.
Il s'agit davantage, à mon avis, d'un conflit de perceptions que d'une guerre entre le monde musulman et le monde occidental séculier, parce qu'à de nombreux égards, le monde occidental est parfois beaucoup plus piétiste que, par exemple, la famille Assad ou Saddam Hussein qui sont ou était plutôt séculaire. Je pense que c'est davantage une guerre de perceptions. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que le dialogue des civilisations, comme l'ONU a l'habitude de l'appeler, est rompu et que nous sommes inondés d'images reflétant le pire de l'autre. Les gens sont submergés, et parfois manipulés, par des images qui reflètent la pire facette de la civilisation occidentale. De notre côté, nous sommes aveuglés par les pires actes commis par des musulmans. Le dialogue des civilisations doit vraiment reprendre parce qu'on assiste actuellement à une diabolisation mutuelle qui ne mène nulle part autre qu'à une escalade de la violence.
Je m'étonne que nous soyons toujours aussi prompts — et à juste titre, je pense — à séparer l'Église de l'État, tandis que dans les sociétés musulmanes, cela fait partie de leur... malgré cela, nous ne reconnaissons pas encore que cela pose problème.
Pour une raison ou une autre, aussi complexe soit-elle, la vie intellectuelle au Moyen-Orient, au Pakistan et ailleurs dans le monde islamique, n'a pas eu la chance de s'épanouir à cause du colonialisme ou du totalitarisme.
Il y a quelques années, j'ai participé à une réunion durant laquelle cette question de l'Église et de l'État a fait surface. Dans l'islam, il existe un principe appelé din wa dawla; l'islam est à la fois une religion et une nation. Le débat est devenu très houleux. Je me suis en quelque sorte mis en retrait, puis j'ai dit: « Excusez-moi, d'accord, il y a le din wa dawla de l'islam, mais que pensez-vous, vous musulmans, de l'expression din watan? »Watan voulant dire nation-État. Ils étaient tout d'accord pour dire que le din wa dawla n'était pas négociable, en revanche, pour le din watan, ils ne savaient pas.
Cet exemple amène à réfléchir sur le fonctionnement de l'Islam dans la nouvelle conjoncture du monde moderne, mais ils n'ont pas encore eu l'occasion de faire le travail intellectuel sur les plans philosophique, politique, scientifique ou autre, pour définir comment être musulman dans une société moderne pluraliste.
Merci, Père. Je vais devoir vous arrêter. C'est une question courte qui appelle une très longue... Nous avons besoin de temps pour cela.
Nous allons maintenant entendre Mme Laverdière pendant quelques minutes. Par la suite, M. Dewar souhaite déposer sa motion.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie également les deux témoins de leur présence parmi nous.
[Traduction]
Merci beaucoup pour votre très intéressant exposé.
[Français]
Je n'ai que quelques minutes et j'aimerais poser une question à M. Hétu.
Vous fournissez beaucoup d'aide humanitaire. Y a-t-il une quelconque coordination avec d'autres organismes humanitaires sur le terrain, que ce soit avec la Croix-Rouge ou avec un autre organisme?
On est une organisation d'églises. À Rome, il y a un regroupement d'une vingtaine d'organisations catholiques oeuvrant partout dans le monde qui discutent de ce qui se passe en Irak, en Syrie et partout au Moyen-Orient. Nous nous partageons le travail.
Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons trois bureaux sur le terrain. Les bureaux ne travaillent pas isolément, mais en collaboration avec le mouvement Caritas, qui est l'un des plus grands mouvements internationaux. Nous travaillons également avec les Nations Unies, la Croix-Rouge, le Croissant-Rouge et plusieurs autres organisations. On ne se marche pas sur les pieds. On se connaît et on se parle. Parfois, on lève les coudes et il y a des malentendus mais, en général, il y a une très bonne coordination.
On comprend très bien les défis auxquels vous faites face sur le plan du financement. On semble oublier parfois les crises plus anciennes, notamment celle de la Syrie. C'est très difficile.
J'aimerais savoir d'où provient essentiellement votre financement?
Que ce soit aux États-Unis ou au Canada, nos campagnes s'adressent complètement aux populations canadiennes et américaines.
Au Canada, mon travail est de sensibiliser le mieux possible la population et d'aller chercher des fonds auprès de fondations, de diocèses, d'individus et de groupes. Jusqu'à présent, on a amassé environ 400 000 dollars pour l'Irak.
Notre organisme a recueilli entre 800 000 et 900 000 dollars aux États-Unis. Déjà, 500 000 dollars provenant de nos deux pays ont été envoyés en Irak. Environ 1,9 million de dollars a été envoyé pour la Syrie au cours des deux dernières années. On fait ce qu'on peut avec les moyens dont on dispose.
Presque 80 millions de dollars provenant de l'Église catholique ou d'organisations dites catholiques ont été envoyées en Syrie seulement au cours des trois dernières années. Notre contribution est un grain de sel parmi toute l'aide qui provient d'autres organisations qui se disent catholiques en Europe et aux États-Unis.
Évidemment, on ne parle pas des autres. Il y a aussi toute l'aide gouvernementale, celle des Nations Unies et de tous les autres groupes. On parle, en particulier, de plusieurs centaines de millions de dollars d'aide en Syrie. Le même phénomène est en train d'arriver aussi en Irak, mais la question est de savoir combien de temps cela va durer. On ne le sait pas. Les gens hésitent. On ne veut pas bâtir des choses et que, par la suite, tout le monde retourne à la maison. On aurait alors fait cela pour rien. Tout cela est très difficile à évaluer.
[Traduction]
Merci.
Je remercie également nos témoins d'être venus ici à Ottawa, de même que le père Mallon, qui est à New York. Messieurs, merci beaucoup. Je vais maintenant vous donner congé.
Très brièvement, M. Dewar souhaite déposer une motion, ensuite nous terminerons.
Merci, monsieur le président, et merci également aux membres du comité pour leur compréhension.
Ma motion concerne le Budget supplémentaire des dépenses, qui relève de notre responsabilité, en tant que comité.
Je propose :
Que le Comité invite l'honorable John Baird, ministre des Affaires étrangères, et l'honorable Christian Paradis, ministre du développement international, à comparaître devant le comité à propos du Budget supplémentaire des dépenses (B) 2014-2015 avant le 5 décembre 2014 et que cette séance soit télévisée.
Voilà ma motion.
Je remarque que le Budget des dépenses porte la date du 5 décembre 2014 ou celle du dernier jour désigné qui tombe trois jours avant. Je ne sais pas exactement quand est le dernier jour désigné. Le 3 décembre peut-être. Je ne sais pas.
Je propose cette motion pour obtenir l'appui du gouvernement pour inviter les ministres à cette fin.
Merci.
Nous sommes toujours disposés à inviter des ministres. La décision leur appartient. L'avis est plutôt court. C'est dans deux semaines. Je ne sais pas si leur calendrier est déjà établi, mais je vais leur transmettre l'invitation. Le comité doit voir s'il peut trouver un moment pour eux.
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