FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 4 décembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions religieuses et aux bouleversements par l'État islamique en Irak et au Levant.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins qui se joignent à nous aujourd'hui.
M. Rabea Allos témoignera à titre personnel. Bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux que vous soyez avec nous ici, à Ottawa. M. Matteo Legrenzi, de l'Université de Venise, se joint à nous par vidéoconférence depuis Oxford, au Royaume-Uni. Bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux que vous participiez à la séance. M. Andrew Tabler, agrégé supérieur du Washington Institute for Near East Policy témoignera lui aussi par vidéoconférence, depuis Milwaukee, au Wisconsin. Bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux aussi que vous participiez à la séance.
Nous allons commencer par vos déclarations préliminaires, selon l'ordre dans lequel je vous ai présentés. Ensuite, les députés vont vous poser des questions tour à tour.
Nous allons commencer par M. Allos.
Honorables membres du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, bonjour à vous tous.
Je voudrais vous remercier d'avoir eu la gentillesse de m'inviter. Je suis honoré de témoigner aujourd'hui à titre de représentant des chrétiens d'Irak, qui forment une des plus vieilles églises et des plus vieilles civilisations du monde.
Je suis venu témoigner à titre de personne faisant du bénévolat depuis quelques années auprès des réfugiés irakiens qui se réinstallent au Canada dans le cadre des programmes de parrainage privés, par l'intermédiaire du Bureau des réfugiés, lequel est affilié à l'archidiocèse catholique de Toronto.
Je travaille surtout auprès de chrétiens d'Irak qui ont fui l'Irak vers des pays voisins, principalement la Syrie, la Jordanie et le Liban. Le programme a été lancé par l'honorable Jason Kenney, l'ancien ministre de l'Immigration, en 2009, et, jusqu'à maintenant, plus de 20 000 Irakiens se sont réinstallés au Canada. Il s'agit de réfugiés qui souhaitent pouvoir faire un nouveau départ, commencer une nouvelle vie, et leur avenir ne pourra être que meilleur ici.
La situation en Irak est pire qu'avant depuis juillet dernier, c'est-à-dire depuis que l'État islamique a pris le contrôle de la ville de Mossoul et des villages voisins de la plaine de Ninive, où vivent la majorité des chrétiens d'Irak. En quelques jours, un bassin chrétien qui existait depuis le premier siècle dans cette région a disparu. Sauf une poignée d'entre eux, tous les chrétiens se sont enfuis pour protéger leur vie et leur foi. Ils ont décidé d'abandonner la vie qu'ils menaient là-bas, leur emploi et leurs économies pour s'enfuir et préserver leur foi. Malheureusement, ce genre de choses se produit encore au XXIe siècle.
La principale cause de la montée de l'État islamique et de groupes similaires, c'est la politisation de l'islam; des groupes qui représentent une minorité de musulmans et qui imposent leurs idées au reste des musulmans ainsi qu'aux non-musulmans, aux chrétiens, aux yézidis, aux mandéens et aux autres minorités. Certains musulmans appellent les gens qui politisent l'islam des islamistes. Nous devrions établir une distinction claire à cet égard: ce ne sont pas tous les musulmans qui sont des islamistes, mais, chose certaine, les islamistes devraient être considérés comme étant des groupes qui commettent des crimes haineux au même titre que les nazis. Ces groupes ne menacent pas seulement la région du Moyen-Orient, ils menacent le monde entier. Il y a au Canada des membres du clergé qui sont wahhabites, qui font partie des Frères musulmans ou d'autres groupes semblables et qui enseignent aux jeunes qu'il faut haïr les gens qui sont différents d'eux. On dit qu'il y a des centaines de jeunes du Canada, des États-Unis et de nombreux pays européens qui se joignent à l'État islamique afin de l'appuyer dans sa lutte pour instaurer son régime.
D'après le Coran, sous le régime de l'État islamique, les gens du Livre, c'est-à-dire principalement les chrétiens et les juifs, peuvent garder leur foi pour autant qu'ils paient la djizya, le tribut. Les athées et les membres des autres religions ont cependant le choix de se convertir à l'islam ou de périr par l'épée. Essentiellement, sous le régime de l'État islamique, les athées, les hindouistes, les sikhs, les bouddhistes et les autres font face à la mort.
Il faut assurément arrêter l'État islamique, ce qui exigera la collaboration de nombreuses parties, dans la région et à l'échelle internationale. La coalition, dirigée par les États-Unis et dont le Canada est membre, est assurément nécessaire, comme le sont les frappes aériennes et le soutien stratégique à l'armée irakienne et à l'armée régionale kurde. Les forces de l'État islamique doivent être affaiblies au moyen des frappes aériennes, tandis que les armées irakienne et kurde leur livrent combat sur le terrain. Parallèlement, il faut que des pressions internationales soient exercées sur certains des intervenants de la région afin qu'ils cessent de soutenir l'État islamique sur les plans financier et logistique, que le soutien vienne directement du gouvernement ou de particuliers. Pour vaincre l'État islamique rapidement, il faut obtenir le soutien des forces terrestres de l'Égypte, de la Jordanie et de la Turquie, pays qui sont dominés par les musulmans sunnites. Il faut que le monde voie des forces composées de sunnites modérés livrer bataille aux groupes dissidents extrémistes sunnites, et non des musulmans chiites, et certainement pas des croisés.
Il faut imposer des limites aux membres du clergé qui prêchent la haine, et nous devons mettre fin à la diffusion des fatwas sur Internet. Ces membres du clergé et leurs fatwas poussent des jeunes de partout dans le monde à s'engager sur la voie de la terreur et vont continuer de le faire.
Quant à la réaction du Canada face à la crise en Irak, chose certaine, il faut qu'il se joigne à la coalition. Nous ne vaincrons pas l'État islamique sans rien faire. La lutte contre celui-ci doit faire intervenir les forces régionales, mais elle doit être dirigée par une coalition internationale afin que toutes les parties de la région soient rassurées. Les tensions entre les chiites et les sunnites et leurs sensibilités sont exacerbées, et seule une intervention internationale pourra empêcher que la situation ne dégénère.
En ce qui a trait à l'aide humanitaire, le gouvernement canadien se montre très généreux dans son soutien aux personnes déplacées à l'intérieur de l'Irak. L'ambassadeur canadien assure une présence sur le terrain dans la région kurde, en effectuant un suivi personnellement et en s'assurant que l'aide est bel et bien fournie aux gens qui en ont besoin. Malheureusement, nous entendons dire que les chrétiens vivent dans des églises, des monastères et des écoles et ne reçoivent pas d'aide. Toutefois, l'ambassadeur du Canada a récemment rendu visite aux évêques de l'Irak pour obtenir directement auprès d'eux plus de renseignements sur l'aide nécessaire. Les gens auront besoin d'aide continuellement, surtout maintenant que l'hiver a commencé. Il faut ouvrir des écoles et des centres médicaux, et il faut aussi fournir un soutien psychologique aux femmes et aux enfants qui ont souffert pendant la crise.
Je crois que le Canada devrait envisager d'admettre quelques milliers de réfugiés venant directement d'Irak, surtout ceux qui ont de la famille au Canada. S'ils sont admis dans le cadre du programme de parrainage privé, le coût que devront assumer les contribuables du Canada sera réduit au minimum.
Une dernière suggestion concernant ce que le Canada peut faire pour aider: il devrait tenir une conférence internationale et inviter les ministres des Affaires étrangères de la région ainsi que les principaux membres du clergé chrétien et musulman à venir discuter de la situation, et que les membres du clergé et les muftis musulmans déclarent que la persécution des chrétiens et des autres minorités est inacceptable et interdite.
Merci beaucoup de m'avoir invité à venir témoigner.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant écouter M. Legrenzi, qui se joint à nous depuis Oxford.
Monsieur.
Merci beaucoup. Je suis toujours content de revenir à Ottawa, où j'ai vécu pendant pas mal d'années.
J'aimerais commencer par dire que la solution au problème de l'État islamique ne sera pas exclusivement militaire, car, à court terme, il se peut très bien qu'une intervention militaire soit nécessaire pour prévenir la chute du gouvernement central irakien ainsi que du gouvernement régional kurde, mais, à long terme, il faut trouver une solution politique.
Les frappes militaires exercées par les forces de la coalition, quoiqu'elles soient nécessaires, fournissent des recrues à l'État islamique, puisqu'il y a inévitablement des victimes civiles. Le problème politique fondamental qui se pose en Irak, c'est la nature du régime imposé par le gouvernement précédent pendant cinq ou six ans, disons. Le fait que al-Maliki n'est plus premier ministre est assurément un pas dans la bonne direction. Néanmoins, il y a encore beaucoup de choses à faire pour que le gouvernement irakien actuel mérite le soutien des alliés.
En termes simples, le régime sectaire et fondé sur l'exclusion qu'impose le gouvernement central à Bagdad rend une grande partie de la population vivant dans les zones contrôlées par l'État islamique réceptive à un message de libération, si trompeur et violent que soit ce message. Il faut que ces gens soient convaincus du fait qu'ils seraient en sécurité si un gouvernement central reprenait le contrôle du pays.
Le personnel militaire de l'État islamique compte de nombreux anciens officiers baasistes qui se sont montrés très efficaces sur le terrain, assurément plus efficaces que la majeure partie de l'armée irakienne stationnée à Mossoul, dans le nord du pays. Demandons-nous pourquoi trois divisions de l'armée irakienne se sont tout simplement dissoutes. C'est en grande partie parce que les soldats n'étaient pas là. Il y a plus de 50 000 soldats fantômes dans cette armée, et il s'agit là de l'estimation du gouvernement irakien. Pourquoi les soldats qui travaillent là-bas n'ont-ils pas combattu ni même saboté leur équipement avant de fuir devant l'ennemi?
Le problème exige donc une solution politique à long terme et une révision en profondeur du régime du gouvernement central irakien, ainsi qu'une marginalisation des groupes sectaires qui s'alignent sur le gouvernement. Il y a ceux qui, paradoxalement, ont été amenés du sud pour empêcher que Bagdad ne soit prise. Ce sont les soldats sur lesquels on pouvait compter pour se battre, et pourtant, ils exacerbent le problème.
Nous ne devrions pas oublier non plus que tout ce qui se passe exige une intervention de développement et d'éducation soutenue. À cet égard, le Canada devrait être très fier du rôle qu'il a joué jusqu'à maintenant.
Tout cela se passe dans le contexte du fait que nous n'avons pas réussi à empêcher une autre génération de conflit, pour reprendre l'expression qu'utilise dans son livre David Malone, mon ami qui est maintenant à Tokyo. Il nous faut tenir compte du complexe sécurité et développement sans négliger l'un ou l'autre aspect.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Legrenzi.
Monsieur Tabler, je crois que vous avez témoigné lorsque nous avons parlé de la Syrie. Bienvenue encore une fois. Nous sommes heureux que vous participiez à la séance.
Je vous cède la parole.
Je suis heureux de me joindre à vous aujourd'hui, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés. Il est toujours plus facile d'être le dernier à prendre la parole, mais j'espère pouvoir contribuer à la discussion, qui sera probablement longue aujourd'hui et qui s'inscrira dans une série de discussions qui auront lieu au cours des mois et des années à venir au sujet de la menace que pose l'État islamique. Il s'agit peut-être de la menace la plus complexe à laquelle le Canada et ses alliés font face à l'étranger, et ce sera certainement le cas pendant bien des années encore.
Pour reprendre ce que j'ai déjà dit, je pense que les bombardements ne suffiront pas à régler le problème. C'est à cet égard, je crois, que, jusqu'à récemment... c'est-à-dire les campagnes de bombardement très médiatisées en Irak et en Syrie, combinées à l'armement de certains groupes en Irak, notamment les Kurdes. Cela a à voir avec l'aspect des mesures prises pour contenir l'État islamique.
On en a parlé entre autres par rapport à la protection des minorités, qui est une grande préoccupation non seulement pour vous au Canada, mais pour les États-Unis et le reste du monde, et à juste titre. Les tactiques employées par l'État islamique sont extrêmes. Elles posent non seulement une menace existentielle pour les minorités en question, mais aussi un défi au reste du monde, qui doit décider s'il va tolérer de telles atrocités.
Le problème tiendra à cette solution politique dont on a parlé déjà — comment elle va être apportée et quelle forme elle va prendre. Tous ces groupes, l'État islamique et les autres groupes djihadistes qui se trouvent en Irak et en Syrie sont le produit des guerres à l'intérieur de l'Irak, et, tout récemment en Syrie, déclenchées par l'éclatement de ces États, principalement parce que les autorités centrales de ces pays n'incluaient pas les majorités de chacun des pays. C'est la raison pour laquelle, jusqu'à maintenant, la stratégie des États-Unis, mais aussi du Canada, je crois, a été d'essayer d'habiliter le nouveau gouvernement irakien sous la direction du premier ministre al-Abadi pour que le gouvernement inclue davantage les sunnites, les Kurdes et les autres groupes du pays, plutôt que d'être un gouvernement dominé par les chiites et bénéficiant de l'appui de la République islamique d'Iran.
En Syrie, ce genre de possibilités ne s'offrent pas à nous. Le gouvernement syrien, le régime dirigé par le président Bashar al-Assad, est à la base un régime inflexible et entièrement composé d'une minorité. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de sunnites majoritaires qui y soient liés, mais ce gouvernement a prouvé qu'il est à la base un des moins efficaces de la région lorsqu'il s'agit de procéder à quelque réforme que ce soit, de nature politique, économique ou autre. Il est très difficile d'imaginer que ce régime va réformer quoi que ce soit dans ces circonstances et dans un avenir proche.
Cela fait en sorte qu'il sera beaucoup plus difficile de régler le problème en Syrie. Je pense que vous avez pu observer récemment les efforts déployés par le représentant de l'ONU, Staffan de Mistura, visant à obtenir un cessez-le-feu, ou plutôt un gel, autour de la ville d'Alep, où le gouvernement s'apprête encore une fois à encercler et à assiéger une ville, cette fois-ci une ville qu'on pourrait considérer à certains égards comme étant la plus grande ville du pays. Ce gel est une idée pour l'instant. Il n'y a pas vraiment de projets importants qui y soient liés, quoiqu'il y ait beaucoup d'autres idées. Comme tous les efforts de ce genre, ils vont prendre beaucoup de temps à être déployés. Dans l'intervalle, malheureusement, beaucoup de populations minoritaires des régions contrôlées par l'État islamique vont souffrir.
Il est particulièrement difficile pour la communauté internationale de saisir la complexité de la solution qui doit être trouvée en Syrie. C'est à cet égard que nous devons en réalité faire deux choses qui semblent incongrues. La première, c'est de vaincre l'État islamique. L'autre, c'est de transformer d'une manière ou d'une autre le régime de Bashar al-Assad en un régime qui tienne compte de la majorité sunnite du pays. Les sunnites comptent pour environ 75 % de la population syrienne — la proportion dépend de la répartition qu'on fait et du sondage sur lequel on se fonde — qui est la base de l'État islamique.
La seule façon de vraiment régler le problème au moyen d'une solution politique et de miner l'État islamique politiquement, c'est d'éloigner les gens qui soutiennent cette organisation ou qui sont forcés de le faire, les sunnites, de celle-ci et des djihadistes pour les orienter vers un autre type d'ententes politiques dans les régions en question, ou en ce qui concerne l'État central de la Syrie. Cela exige un règlement politique à l'intérieur du pays, et, malheureusement, cet objectif est encore très loin d'être atteint.
Je vous encouragerais tous à suivre les actualités, à lire les travaux d'universitaires comme ceux qui témoignent ici aujourd'hui et à collaborer pour trouver une vraie solution politique qui ne soit pas simplement fondée sur l'intervention militaire. Nous devons trouver une solution qui aille au-delà des efforts actuels des pays occidentaux et qui puisse apporter la paix dans ces pays très troublés.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Nous allons commencer notre premier tour, et chacun des partis disposera de sept minutes.
Je vais commencer à ma gauche par M. Dewar. Vous avez sept minutes, s'il vous plaît.
Merci à nos témoins. Je crois que certains des points qui ont été soulevés aujourd'hui l'ont déjà été dans le cadre de notre étude.
Je devrais commencer par informer nos témoins du fait que notre étude s'assortira de recommandations. S'il y a des choses que vous avez oubliées, n'hésitez pas à communiquer ce que vous avez à préciser et vos recommandations à notre équipe.
Monsieur Tabler, j'aimerais commencer par vous. Vous nous avez beaucoup éclairés lorsque nous avons fait notre étude sur la Syrie, ce dont je vous suis reconnaissant, et cela est lié à d'autres choses qui ont été dites aujourd'hui au sujet de la solution politique au problème. Je pense qu'il y a un léger désaccord au Canada au sujet des mesures prises tout récemment, des frappes aériennes. Si on exclut cela, je pense que la plupart des gens sont d'accord pour que nous fournissions une aide humanitaire efficace, que nous protégions les minorités et que nous nous occupions des gens qui ont subi des actes de violence sexuelle.
Je pense que tout le monde ici présent et, en fait, tout le monde au pays qui s'intéresse à la question sait que la solution militaire ne permettra pas en soi de régler la crise. Cela nous pousse à nous demander — et notre comité est celui des affaires étrangères — comment nous pouvons prendre part à une démarche diplomatique en Irak. Concentrons-nous sur l'Irak pour l'instant, même si vous avez tout à fait raison de parler de la Syrie.
Il y a des groupes participant à l'éveil sunnite qui n'ont pas encore été appelés à participer. Je pense que certains des dirigeants se trouvent en Turquie à l'heure actuelle. Il y a des groupes qui n'ont pas encore été intégrés. Je sais qu'il y a un nouveau premier ministre, et il faut que nous lui accordions du temps, mais nous devons aussi être vigilants et veiller à ce que ce soit une vraie une transition vers un gouvernement vraiment inclusif.
Que pensez-vous de l'idée de réunir certains de ces dirigeants? Une personne qui est venue témoigner devant nous ici, à Ottawa, nous a parlé de l'idée de réunir certains des intervenants clés pour les aider à se faire confiance mutuellement, à établir des relations, que ce soit à Ottawa ou ailleurs. Si cela se fait, quels devraient être les objectifs? Nous avons déjà été témoins de tentatives de ce genre, et parfois, le programme est trop ouvert et pas suffisamment ciblé.
J'aimerais simplement connaître votre opinion là-dessus.
En ce qui concerne l'Irak — et je suppose que cela pourrait également s'appliquer au processus engagé en Syrie — je vous dirai qu'il s'agit de rapprocher les divers intervenants. Dans le cas de l'Irak, il est malaisé de dire cela, mais, en fait, la situation s'est nettement améliorée, dans la mesure où un semblant d'État est maintenant en place, et on peut soutenir que le gouvernement exerce une plus grande emprise sur son territoire que ne le fait le gouvernement syrien sur le sien. Bien entendu, tout est une question de point de vue. Vu qu'il est possible de changer de gouvernement en Irak et que les Irakiens ont la possibilité d'élire de nouveaux dirigeants, nous disposons dans le cadre du processus d'une marge politique d'une nature semblable à celle à laquelle nous sommes habitués ici, en Occident, et dont nous pouvons pour ainsi dire tirer parti.
Je crois que le fait de rapprocher les intervenants est une excellente idée. Il s'agit de quelque chose que l'on a fait de temps à autre non seulement au Moyen-Orient dans son ensemble — par exemple au moment du processus de paix ou même avant cela — mais également ailleurs. Le fait de réunir les gens est une bonne chose. Cela fait plus de 20 ans que je m'occupe de questions liées au Moyen-Orient et que j'écris des choses là-dessus, et je peux vous dire que, en fait, bien souvent, on mène de telles initiatives simplement pour la forme. Ce que l'on oublie souvent, ce sont ces éléments qui rendent nécessaire pour chaque partie de faire de véritables concessions.
J'ai vécu longtemps au Moyen-Orient. Ce que ces années — et peut-être aussi simplement l'âge — m'ont appris, c'est que les gens ne changent pas vraiment de façon fondamentale s'ils ne sont pas contraints de le faire. Je crois que cela s'applique aussi aux régimes politiques et aux gouvernements. Les gens et les gouvernements ne changent que lorsqu'ils sont obligés de faire un choix entre deux choses équivalentes ou qu'ils doivent opter pour le moindre mal. Pour ce qui est du coeur de votre question, à savoir la nature des mesures que nous devons prendre pour rendre cela plus efficace, je vous dirai que, selon moi, nous pourrions réfléchir à ce que nous pouvons faire pour qu'il devienne nécessaire pour la communauté internationale que les diverses parties prennent des décisions difficiles. C'est peut-être à ce chapitre qu'il pourrait être le plus avantageux de recourir, à certains moments clés, à l'ensemble des solutions offertes par la diplomatie et l'intervention militaire, plutôt que de simplement tenter d'attaquer ou d'affaiblir un groupe, et ce, comme un témoin l'a mentionné plus tôt, en bombardant des endroits remplis de civils et en aggravant considérablement la situation.
Je crains que c'est ce que nous faisons bien souvent en Syrie et en Irak, même si, dans les faits, nous tentons de vaincre des organisations dont les intérêts sont diamétralement opposés aux nôtres.
S'il me reste du temps, monsieur le président, j'aimerais entendre ce qu'ont à dire là-dessus le témoin de l'Université de Venise et notre invité qui se trouve ici, à Ottawa.
Je vous dirai très brièvement que je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit. Si j'avais un conseil stratégique concret à prodiguer, ce serait d'être très dur à l'égard du gouvernement de l'Irak, vu que, en ce moment, des vies canadiennes sont en jeu. Ce gouvernement ne peut pas se réfugier derrière l'excuse de la souveraineté. Nous avions vu ça venir — ces gens ne sont pas surgis subitement du désert, comme les médias semblent parfois le laisser entendre. Nous savions que cela allait arriver. Nous les avions avertis. Ils nous ont dit de ne pas nous inquiéter, que tout était sous contrôle, et puis on a assisté à la débandade de leur armée.
Comme des vies canadiennes sont en jeu, vous avez le droit de vous montrer intraitables et d'exiger du gouvernement irakien qu'il prenne des mesures précises.
À coup sûr, je ne suis pas en faveur de la guerre, mais dans l'immédiat, il faut que les personnes déplacées ou réfugiées à l'intérieur de leur propre pays puissent entrer chez elles et reprendre une vie normale, et le seul moyen d'y arriver, c'est de vaincre immédiatement l'État islamique. Parallèlement à cela, nous devons nous atteler à un processus de réconciliation, de même qu'à un processus de construction de nation. Hélas, au Moyen-Orient, les pays du tiers monde en général, et l'Irak en particulier, sont dotés de sociétés tribales. Les gens sont loyaux à l'égard de leur tribu et de leurs chefs religieux, mais certainement pas à l'égard de l'État.
Comme je commence à manquer de temps, j'aimerais, si vous le permettez, souligner que j'aime bien l'idée que vous venez d'évoquer, à savoir celle de la participation du Canada à une certaine forme de processus de réconciliation, et j'ajouterais, conformément à ce que vous ont dit les témoins que nous avons entendus précédemment, qu'il s'agit d'engager non pas seulement un dialogue, mais également un processus très spécifique de manière à ce que l'on puisse obtenir de véritables résultats sur le terrain.
L'un des témoins a fait allusion aux soldats fantômes. En septembre, lorsque j'étais à Istanbul, quelques-uns de mes collègues qui revenaient d'Irak m'ont mentionné cette question. Il y a assurément plus de 50 000 soldats fantômes.
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'une personne qui souhaite devenir général doit verser un pot-de-vin à des membres des échelons supérieurs, et il peut s'agir de l'échelon le plus élevé, à savoir le cabinet du premier ministre. Le montant de ce pot-de-vin peut aller jusqu'à 1 million de dollars, et pour récupérer cette somme, la personne recrutera des soldats, leur dira de rester chez eux, leur versera la moitié de leur solde et conservera l'autre.
Je souligne au passage que cette question des 50 000 soldats fantômes est importante. Ce chiffre provient de sources irakiennes. Il s'agit donc d'une observation pertinente.
Tout à fait.
C'est la raison pour laquelle les soldats — même ceux qui se trouvaient dans des bases militaires — n'ont pas reçu une formation adéquate — même à l'époque, ils faisaient partie de ce stratagème de pots-de-vin, de sorte qu'ils ne faisaient rien et qu'ils n'ont pas été entraînés.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'être ici.
Vous avez tous évoqué la nécessité d'une intervention militaire, mais vous avez aussi souligné, bien entendu, que cela ne suffisait pas.
Monsieur Legrenzi, vous avez fait allusion aux 50 000 soldats fantômes. Je suis porté à croire qu'il y a environ 20 000 soldats en chair et en os qui disposent d'une capacité raisonnable et que l'on pourrait entraîner de manière à ce qu'ils se joignent à une division adéquate, moyennant un soutien approprié.
Le Canada possède une vaste expérience en matière d'entraînement de forces étrangères de cette nature. Cette expérience a été acquise notamment en Afghanistan. Croyez-vous que le Canada pourrait envisager de faire cela? Des gens qui ont participé à des initiatives de ce genre m'ont dit qu'une équipe de quelque 350 personnes pourraient en six mois environ entraîner de façon très adéquate plus ou moins 20 000 soldats irakiens de manière à ce qu'ils puissent jouer un rôle plus important.
Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?
Personne ne met en doute le professionnalisme des Canadiens qui participent au processus, mais le problème tient à la volonté de combattre.
Nous entraînons des soldats, sinon les soldats fantômes qui se trouvent là-bas... Nous investissons beaucoup de fonds publics dans l'instruction des forces irakiennes. On nous a dit que ll'instruction d'un soldat chargé d'un système d'armes particulier exigeait des années, et cette formation a été financée au moyen de deniers publics. Et puis, il y a les forces du groupe État islamique en Irak et en Syrie, qui sont en mesure de mettre la main sur ces armes et de les retourner contre l'armée irakienne en moins de une semaine.
Personne ne doute de leur professionnalisme, mais avant de déployer des Canadiens là-bas et d'investir des ressources, on doit s'assurer que ces soldats étrangers ont la volonté de combattre, et surtout, qu'ils ne se mettront pas à terroriser leur propre population, comme cela a souvent été le cas dans les régions qui sont en présence ou sous l'emprise du groupe État islamique.
Ce sont les soldats irakiens qui ont mis en place des postes de contrôle pour surveiller la population, et ils l'ont probablement fait dans le but de payer le général qui les avait recrutés au départ.
Le professionnalisme des Forces canadiennes ne fait pas l'ombre d'un doute, mais nous devons utiliser cette ressource à bon escient.
D'accord.
La débâcle de l'armée américaine peut-elle être attribuée en partie au fait qu'elle était composée principalement de soldats sunnites auxquels on avait intimé l'ordre de combattre des sunnites pour le compte d'un président chiite impopulaire et très faible? Est-ce que cela a pu être un facteur?
Eh bien, j'estime qu'on accorde souvent une importance excessive au sectarisme. Je vous dirai que les mesures incitatives économiques, la corruption généralisée et le fait que bon nombre de ces soldats croyaient que leur emploi au sein de l'armée était une sinécure constituent des raisons beaucoup plus susceptibles d'expliquer pourquoi ils ont décidé de ne pas prendre les armes pour combattre.
Comme j'observe la situation depuis longtemps, je suis désabusé, mais j'ai tout de même été très surpris de constater qu'ils ne se sont même pas donné la peine de saboter leur matériel, de sorte qu'il a pu changer de mains et être utilisé contre l'armée irakienne.
Merci.
Monsieur Tabler, je souscris sans réserve à votre observation selon laquelle même si on rapproche les gens, ils ne changeront pas, à moins qu'ils soient contraints de le faire. Les gens ne changent que si l'on parvient à leur faire croire qu'il est dans l'intérêt de leur pays ou dans leur intérêt personnel de le faire.
Nous pouvons appliquer ce principe à M. Poutine en Russie — si nous ne le convainquons pas qu'il est dans l'intérêt national de la Russie de mettre fin à sa campagne contre l'Ukraine, rien ne changera.
Je sais qu'il s'agit d'une question complexe à laquelle vous ne pourrez pas répondre en quelques mots, mais je vous la pose tout de même: comment doit-on s'y prendre pour convaincre les gens en Irak, en Syrie, en Turquie et dans d'autres pays du Moyen-Orient qu'il est dans leur intérêt national et personnel de mettre fin à tout cela?
Eh bien, tout dépend du processus qu'on utilise à cette fin.
Tout d'abord, je mentionnerai que je suis d'accord avec les observations de M. Legrenzi — il est absurde de faire des investissements dont le caractère judicieux est douteux. En l'occurrence, le problème tient au fait que l'Irak et la Syrie sont sens dessus dessous sur le plan politique, et que, bien souvent, les mesures prises par ces pays sont déraisonnables au regard non seulement des normes occidentales, mais également de normes mondiales. La corruption représente assurément une grande partie du problème, et je pense que quelqu'un a indiqué qu'il s'agissait là de l'une des raisons de l'inefficacité de ces États.
En ce qui concerne plus précisément votre question, je vous dirai que, à mon avis, nous devons instaurer en Irak et en Syrie un processus qui permet véritablement de régler cela et qui tient compte de l'ensemble des communautés présentes dans les deux pays. Nous avons besoin d'un processus qui procure une certaine sécurité à ces populations, qui permet de veiller au respect des droits de la personne et qui tient compte des aspirations politiques des gens. Comme je l'ai mentionné, en Irak, il sera un peu plus facile de le faire, vu qu'un gouvernement est en place, et qu'il est possible, dans une certaine mesure d'influer sur sa composition. Ce gouvernement est sensible aux pressions de l'extérieur, non seulement celles du Canada et des États-Unis, mais également celles du pays voisin, à savoir l'Iran.
C'est en Syrie que l'on se heurte toujours à un véritable problème, et je pense que ce problème persistera probablement pendant des années, vu qu'il n'est pas possible de changer de gouvernement là-bas. Ce pays est dirigé par des membres de la famille Al-Assad depuis 1970, depuis plus longtemps que je ne suis au monde.
C'est à ce chapitre que le gouvernement ne fait pas vraiment de concession, et j'estime que c'est à ce chapitre que la communauté internationale devra parvenir à un règlement en vue d'essayer, conjointement avec le pays voisin, l'Irak, de reconstruire la Syrie. Ou alors, à un moment donné, nous allons devoir réfléchir aux modalités concrètes de la partition de ces pays, bien qu'il s'agira strictement de réflexions de fait, car sur le plan du droit... je ne crois pas qu'il s'agisse d'un état final; je pense qu'il serait préférable qu'ils puissent se reconstruire.
Dans l'intervalle, nous allons devoir envisager ces pays comme des entités divisées, des États morcelés, et nous allons devoir réfléchir à des solutions à court terme. À mes yeux, l'unique chose à faire à court terme, c'est de réunir les parties pour voir s'il est possible d'en arriver à un accord qui permettra à tout le moins d'endiguer la violence. À cette fin, il faut que les deux camps de la communauté internationale — et j'entends par là les États-Unis et la Russie — aient la volonté politique de convaincre les parties de faire de véritables concessions. Toutefois, je ne suis pas certain qu'elles aient la volonté ou la capacité de le faire. Nous verrons ce qui se produira au cours des prochains mois, à mesure que l'on accordera davantage d'attention à tous les échelons afin de trouver une solution diplomatique au problème posé par l'État islamique.
Merci.
Merci, monsieur Hawn.
Nous allons passer à M. Garneau.
Vous avez sept minutes. Allez-y, s'il vous plaît.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma première question s'adresse à M. Legrenzi, et j'aimerais que M. Tabler y réponde lui aussi par la suite.
Partons du principe que l'objectif consiste à vaincre l'État islamique. À l'heure actuelle, selon la manière dont les choses se déroulent, à tout le moins à mes yeux, les frappes aériennes permettent d'endiguer l'adversaire. Pendant ce temps, les mouvements sur le terrain des forces irakiennes sont limités, et les peshmergas mènent quelques opérations défensives. Nous contribuons à les entraîner et à leur procurer le matériel requis de manière à ce que l'on puisse, à un certain moment en 2015, mener une opération offensive conjointe. Combien de temps faudra-t-il pour expulser l'État islamique de l'Irak? Je ne suis pas parfaitement certain de la réponse à donner à cette question. Je pense que les choses seront difficiles aux endroits où ce groupe s'est ancré, par exemple à Mossoul.
Cela dit, supposons, dans une perspective optimiste, que l'on parvient à expulser l'État islamique du territoire actuel de l'Irak. Que se passera-t-il ensuite? Voilà la question que je me pose. De toute évidence, l'État islamique demeurera en Syrie, et même si la coalition a bombardé la Syrie, je ne crois pas que l'on puisse envisager que des troupes terrestres puissent entrer dans ce pays.
Le seul plan consiste-t-il à expulser l'État islamique hors de l'Irak? Si l'on y parvient, que se passera-t-il ensuite?
J'aimerais entendre les réflexions de M. Legrenzi sur cette question, de même que celles de M. Tabler.
Eh bien, je vous dirai tout d'abord que le cas de la Syrie pose de sérieuses difficultés. Selon le scénario le plus optimisme, les troupes irakiennes parviendront à reconquérir l'ensemble du territoire de l'Irak en 2015. Que feront-elles une fois qu'elles considéreront avoir la mainmise sur le territoire actuellement occupé par le groupe État islamique? Si elles recommencent à faire ce qu'elles faisaient avant l'entrée en scène du groupe État islamique, à savoir terroriser la population locale, la marginaliser sur le plan politique et lui extirper de l'argent aux points de contrôle, il ne s'agira peut-être pas de la solution idéale, et on peut être certain que, dans deux ou trois ans, un autre groupe d'insurgés fera son apparition.
Je suppose qu'il s'agit là de la partie la plus facile de la réponse, mais elle est très importante, vu que, comme je l'ai mentionné, des vies canadiennes sont en jeu et des fonds canadiens sont investis dans l'opération.
En ce qui a trait à la Syrie, la situation est beaucoup plus complexe, comme l'autre témoin l'a souligné à juste titre. Des décisions difficiles devront être prises en ce qui concerne le point jusque auquel on est prêt à aller afin d'en arriver à un accord politique avec un régime que tout le monde — non pas au sein de ce régime lui-même, mais à coup sûr, au Canada et aux États-Unis — souhaitait voir s'effondrer dans les plus brefs délais, mais qui a plutôt fait la preuve d'une grande résilience. Je n'ai assurément pas de réponse claire à donner à cette question, mais il s'agit là d'un choix beaucoup plus épineux que l'on devra faire dans l'avenir.
Pour répondre à votre très bonne question concernant les mesures que nous devrons prendre si notre stratégie en Irak est couronnée de succès et que l'on parvient à expulser l'État islamique hors du territoire irakien de façon au moins temporaire, ou peut-être à moyen terme. Je suis un peu sceptique à cet égard — je crois que d'autres groupes feront leur apparition, comme l'a mentionné M. Legrenzi.
À l'heure actuelle, le plan — pour autant qu'il y en ait un — envisagé par Washington consiste à affaiblir l'État islamique sur le territoire syrien au moyen d'une intervention militaire des États-Unis pour permettre au régime Al-Assad de tenter de renforcer quelques-unes de ses régions dans le cadre d'une mesure générale d'endiguement. À Washington, dans les cercles politiques, on appelle cela une « harmonisation non coordonnée » des forces américaines et de celles du régime Al-Assad, en vertu de laquelle l'armée américaine peut survoler le territoire syrien sans être inquiétée par les forces du régime Al-Assad.
Le problème tient réellement aux capacités de ce régime. S'il était plus rassembleur et s'il n'avait pas tenté de réprimer le plus important soulèvement qu'ait connu la Syrie en utilisant les armes et en faisant plus de 200 000 morts, en emprisonnant d'innombrables personnes et en en torturant d'autres de façon sanglante, je pense qu'il pourrait espérer déplacer ses forces dans l'est du pays pour vaincre l'État islamique.
Je ne crois pas que quiconque s'attende à ce que le régime fasse cela. En fait, pendant qu'elles progressent vers le Nord, ses forces sont expulsées du sud du pays. Cela illustre la complexité de la situation. C'est là, au fin fond de l'est de la Syrie, que l'unité d'« instruction et d'équipement » censée être entraînée par les États-Unis, ses alliés et ses alliés provenant de quatre sites de la région est supposée s'attaquer à l'État islamique à un moment indéterminé dans l'avenir.
La difficulté, bien entendu, tient au fait de convaincre les rebelles qui se trouvent dans les pays voisins de se joindre à ces forces et de combattre d'abord l'État islamique plutôt que le régime Al-Assad, lequel a tenté d'une manière ou d'une autre d'anéantir l'opposition. On se retrouve aux prises avec un problème assimilable à celui de la quadrature du cercle. À la lumière des mesures que les États-Unis ont prises jusqu'à présent — et je ne peux parler que d'un point de vue américain — cela ne sera pas suffisant pour convaincre les acteurs ou les alliés locaux qui soutiennent l'opposition de combattre l'État islamique et de déplacer leurs forces dans l'est de la Syrie.
Le fait de permettre au régime Al-Assad de reconquérir l'ensemble de son territoire serait une autre solution inadmissible, et ce, pour deux raisons, à savoir, d'une part, la nature du combat que cela suppose et le fait que le régime Al-Assad n'ait aucune légitimité à cause des gestes qu'il a posés au cours des dernières années, et, d'autre part, le fait que le régime Al-Assad a conclu une alliance avec la République islamique d'Iran et ses forces armées, dont les rangs sont plus garnis que jamais et dont l'influence en Syrie est inouïe en raison du soutien qu'elles ont offert au régime pendant le soulèvement. Cela risque de déstabiliser l'équilibre établi dans l'ensemble du Moyen-Orient entre les gouvernements et les forces armées soutenues par l'Iran, et de façon générale, les gouvernements composés de sunnites ou soutenus par ces derniers, et cela rend la situation beaucoup plus explosive.
Comme M. Legrenzi, j'aimerais avoir une solution à proposer. À mes yeux, au bout du compte, c'est une combinaison de mesures diplomatiques et de mesures militaires qui permettra aux États-Unis, au Canada et à leurs alliés de régler la question, surtout si ces mesures sont avisées, éclairées et fondées sur une véritable démarche politique. Toutefois, à ce moment-ci, je crains que nous ne sommes pas près d'en arriver à une telle solution, et que nous le serons probablement pas avant un certain temps.
Merci.
Merci, monsieur Garneau.
Nous allons maintenant commencer la deuxième série. Les intervenants auront chacun cinq minutes pour poser leurs questions.
Nous allons commencer par Mme Brown.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Votre témoignage me fait beaucoup de peine parce qu'il semble n'y avoir aucun espoir. S'il y a une chose que nous voulons tous, c'est pouvoir croire en l'avenir.
Monsieur Allos, je vais vous poser une question qui m'aidera peut-être à mieux comprendre. Vous avez dit quelque chose qui me semble contre-intuitif. Vous avez parlé des juifs et des chrétiens qui devraient payer un tribut. Cette idée me semble tellement contre-intuitive: s'ils tuent ces gens, ils n'auront plus de financement.
Est-ce un montant tellement insignifiant que ça ne fait aucune différence dans les coffres de l'État islamique? Ou est-ce simplement qu'ils veulent passer un message au monde en détruisant ces groupes ethniques?
Lorsque l'État islamique est arrivé à Mossoul, ses représentants ont commencé par appeler tous les archevêques, ceux de l'Église catholique chaldéenne syriaque et ceux de l'Église syriaque orthodoxe. Ils les ont rencontrés afin de trouver une solution. Essentiellement, les évêques ont refusé parce qu'ils avaient déjà quitté Mossoul.
Quelques jours après, les membres de l'État islamique ont lancé la fatwa selon laquelle les gens devaient se convertir à l'islam ou partir.
Ensuite, après quelques semaines, ils sont revenus sur leur décision et ont dit que les chrétiens pouvaient revenir s'ils payaient la djizya. Mais le mal était déjà fait, et les gens étaient partis.
Cependant, selon la doctrine islamique, essentiellement, les gens du Livre peuvent payer la djizya et rester.
D'accord.
Monsieur Tabler, puis-je vous poser ma prochaine question parce que je n'ai pas beaucoup de temps?
Vous avez dit que le gouvernement central n'a pas inclus les minorités, et qu'il faut davantage d'inclusion. J'ai examiné la page Web, et je constate qu'il y a huit sièges réservés à des représentants des groupes minoritaires d'Irak. Nous avons parlé, récemment, à Vian Saeed, une parlementaire. C'est une jeune femme de 31 ans, si je m'abuse, et elle est membre de la minorité religieuse yézidie.
Pouvez-vous nous dire ce que devrait être l'organisation afin d'être plus inclusive et de façon à inclure plus de membres de minorités ethniques et de minorités religieuses au sein du gouvernement?
Je ne suis pas vraiment un spécialiste de l'Irak, mais je crois que, en ce qui concerne la question de la représentation au sein des structures officielles du gouvernement, comme le parlement et ce genre d'institutions, c'est très important. Cependant, ces membres n'ont pas nécessairement à être réellement représentatifs de leur communauté ni à être appuyés par celle-ci depuis longtemps. Ils ont peut-être tout simplement été convaincus de conclure des arrangements avec un quelconque gouvernement chiite qui représente la majorité irakienne. Je crois que c'est un sujet dont pourraient peut-être vous parler M. Legrenzi et l'autre témoin.
Le vrai problème — je crois que c'est une autre chose qu'on apprend lorsqu'on vit au Moyen-Orient — c'est que les gouvernements du Moyen-Orient ne sont souvent que des façades qui cachent la vraie structure du pouvoir, qui elle, est centrée autour du leadership, et en particulier les services de sécurité et les forces armées. C'est là où, au cours des dernières années, beaucoup d'employés et de chefs non chiites ont dû abandonner les rangs militaires et leur poste au sein des services de sécurité pour être remplacés par des membres de la population chiite majoritaire. Le premier ministre Al-Maliki a été accusé d'en être responsable, mais c'est une tendance qui le dépasse. C'est là où on commence à exclure officiellement des membres des principales minorités d'un pays comme l'Irak, les Kurdes ou les sunnites, qui devraient participer à un processus qui permet d'assurer la cohésion au sein de l'État, et de façon à ce que l'intérêt de tout un chacun soit représenté au même endroit plutôt que de partir dans toutes les directions.
Malheureusement, cela ne s'est pas produit. En fait, si je ne m'abuse, ça s'est produit après que les États-Unis, surtout, mais aussi le Canada, ont donné beaucoup d'argent à l'Irak pour assurer la stabilisation du pays et gérer les répercussions de la guerre là-bas. Je crois que, à l'avenir, il sera essentiel de regarder aller ce processus et d'exercer plus de pressions sur le gouvernement irakien afin qu'il soit plus inclusif. Mais ça ne doit pas uniquement être une représentation parlementaire; il doit y en avoir aussi au sein de l'armée et des services de sécurité. Si l'on veut discuter de ces sujets, il faut le faire de façon très sérieuse et avec les chefs irakiens et avec les pays qui les appuient, particulièrement la République islamique d'Iran.
Merci.
Monsieur Legrenzi, M. Tabler a mentionné que je devrais aussi vous poser la question. Qu'en pensez-vous?
Très rapidement.
Je suis d'accord à 100 %
C'est une chose que de choisir des représentants purement symboliques qui sont parfois choisis pour donner une impression d'inclusion. Les gens qui ont le contrôle sur le terrain, qui sont sur le terrain, en sont une autre. Demandez-vous toujours qui sont les hommes avec les fusils? Qui sont ceux qui contrôlent vraiment le territoire irakien? Regardez qui ils sont, et vous comprendrez qui exerce le pouvoir dans le pays.
[Français]
Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie tous pour vos présentations, qui sont très intéressantes.
Monsieur Legrenzi, vous avez mentionné dans votre présentation que les frappes aériennes posaient certains problèmes, qu'il y avait des pertes civiles, et tout le reste. Or à titre de porte-parole en matière de développement international et de porte-parole adjointe en matière d'affaires étrangères, je rencontre de nombreux groupes qui font du travail humanitaire sur le terrain, en Irak.
Ils trouvent que les frappes aériennes ont un effet négatif sur leur travail. D'abord, cela met en danger leur propre personnel. Ensuite, ils observent sur le terrain une réaction très négative ou, à tout le moins, de la confusion au sein de la population. En effet, les gens leur disent ne pas comprendre pourquoi on les bombarde, d'une part, et on les nourrit, d'autre part. Les bombes détruisent leurs maisons, mais on les aide ensuite à les reconstruire.
Selon vous, comment ces frappes aériennes sont-elles perçues par les gens sur le terrain?
Cela risque-t-il d'alimenter un sentiment anti-occidental?
[Traduction]
Absolument. Les frappes aériennes ont les répercussions que vous venez de décrire. Tout ce qu'ont pu voir les responsables humanitaires sur le terrain et tout ce que vous avez décrit est exact. D'un autre côté, en tant que mesure temporaire, elles se sont révélées nécessaires, par exemple, pour prévenir la prise de Souleymaniye et d'Erbil, dans les régions contrôlées par le gouvernement régional kurde. Ce sont des parties de l'Irak qui sont quasiment fonctionnelles, où il y a un semblant de vie normale. J'ai bien peur qu'il n'y ait pas de réponse facile parce que toutes les répercussions négatives que vous venez de décrire sont bien réelles et exactes. Vous avez absolument raison, mais d'un autre côté, lorsque l'heure de vérité a sonné, il y a quelques semaines, ces frappes aériennes ont calmé la nervosité, par exemple, des combattants peshmergas et kurdes qui étaient aussi sur le point de s'enfuir.
Je crois que la question plus générale — et, selon moi, tout le monde est d'accord à ce sujet — c'est qu'il y a place à l'interprétation. Les frappes aériennes peuvent être vues comme des mesures provisoires d'urgence, et c'est exactement pour cette raison qu'elles poussent certaines personnes à grossir les rangs des groupes d'insurgés, que ce soit l'État islamique ou d'autres. Elles doivent être accompagnées d'un processus politique qui envisagera peut-être de mettre une pression extrême sur le gouvernement irakien, qui sera peut-être quasiment un empiétement. Sinon, on se retrouve dans un cercle vicieux. Oui, il faut dire que, d'un point de vue militaire, les frappes ont empêché la prise d'Erbil, par exemple.
Merci.
J'ai une brève question pour M. Allos. Vous avez mentionné le problème du financement, de la façon dont ces groupes sont financés. Selon vous — et, s'il reste du temps, les autres témoins pourront aussi se prononcer — que peut-on faire pour réduire le financement de l'État islamique?
On peut le réduire grâce à des pressions politiques, des pressions diplomatiques sur l'Arabie saoudite, le Qatar et, dans une certaine mesure, la Turquie. Ces pays doivent arrêter. Il ne fait aucun doute que le Qatar finance l'État islamique, et que des personnes en Arabie saoudite le font aussi.
Je crois que c'est justement lorsque nous tentons de nous attaquer au financement que l'État islamique est particulièrement menaçant, parce que c'est probablement l'un des groupes les plus autonomes que nous avons vu naître, surtout, mais non seulement, au sein de la communauté sunnite dans le Moyen-Orient général, mais, peut-être de tout pays ou de tout proto-État dans la région. Je crois qu'il y a eu des efforts pour essayer de limiter les profits qu'ils tirent de la vente illicite de pétrole et qu'on a aussi essayé de mettre fin aux virements de fonds. C'est un peu difficile parce que, même si les États sunnites dans la région affichent un intérêt, je crois que couper le financement de l'État islamique ne signifie pas nécessairement que toute la société sunnite voit les choses de la même manière. C'est malheureusement le sous-produit de l'autoritarisme. Les États et leurs dirigeants ont des intérêts différents de ceux des populations générales. Et c'est dans cette optique que des virements de fonds privés à certains groupes djihadistes en Syrie, pas seulement à l'État islamique, mais au groupe Jabhat Al-Nusra et d'autres groupes, se sont révélés très importants.
Dans le cas de l'État islamique, ces fonds ont été très substantiels au départ. Ce n'est plus nécessairement le cas maintenant. Afin d'éviter d'avoir à envoyer des soldats directement sur le terrain ou d'opter pour une intervention militaire plus directe des États-Unis ou du Canada ou encore d'autres pays, à l'avenir, il faut encourager les pays sunnites qui appuient l'opposition en Syrie. Ce sont aussi les sunnites qui constituent le fondement sectaire de l'État islamique. Nous devons les convaincre d'utiliser tous les moyens à leur disposition pour vaincre l'État islamique. Pour ce qui est de l'Irak, il y a plus ou moins une entente. Dans le cas de la Syrie, ils veulent que le président Al-Assad parte dans le cadre d'une transition dans ce pays, et ils ne le cachent pas. Jusqu'à maintenant, l'administration Obama, en particulier, n'a pas voulu donner suite à l'engagement du président Obama en août 2011. La menace militaire n'a pas été mise à exécution. C'est exactement ce que ces pays veulent pour vaincre l'État islamique. Je soupçonne que ces pays participeront à la coalition pour vaincre l'État islamique, mais ne feront pas tout en leur pouvoir pour le vaincre jusqu'à ce qu'on fasse une telle concession.
Je vous remercie beaucoup de votre témoignage, ici, ce matin.
Des gens me disent qu'on devrait mettre une clôture autour de la zone et laisser les différentes factions lutter, puis travailler avec celle qui l'emporte. Qu'en pensez-vous?
Eh bien, j'aimerais vous signifier respectueusement mon désaccord, parce que, à un certain moment, durant la crise syrienne, comme notre témoin pourrait vous le dire, nous avons essayé, d'une certaine façon, d'adopter ce que nous avons appelé une approche de « négligence pernicieuse ». Nous estimions que puisque le Hezbollah appuyé par l'Iran luttait contre les groupes d'Al-Qaïda en Irak, les choses allaient s'arranger d'elles-mêmes. On se disait ce qui suit à Washington: « Eh bien, après tout, ce n'est pas si mal parce qu'Al-Qaïda lutte contre le Hezbollah et ce genre de choses. Cependant, dans le cas, par exemple, de la Corée du Nord et de la péninsule coréenne, cette stratégie de négligence pernicieuse n'a pas fonctionné, et l'État islamique a ensuite envahi rapidement l'Irak. Donc, malheureusement — je le dis avec beaucoup d'émotion — nous n'avons pas le choix que de maintenir notre engagement. J'ai aussi peur que, d'un point de vue stratégique général, ce ne soit probablement pas là que résidera l'intérêt national canadien ou américain dans de 20 à 25 ans. Tout le monde tente de mettre l'accent sur l'Asie-Pacifique, mais, en même temps, la négligence pernicieuse n'a pas fonctionné, et je doute qu'elle fonctionne à l'avenir. Malheureusement, nous devons maintenir notre engagement, et pas seulement pour les motifs humanitaires, mais aussi pour des raisons stratégiques.
Oui, je me ferai l'écho de ce que M. Legrenzi a dit. Nous avons essayé de confiner la situation. Nous avons essayé de contenir la crise syrienne. Nous avons constaté qu'il s'agissait d'un échec après la percée de l'État islamique à Mossoul, parce que la guerre en Syrie n'a jamais été qu'un simple soulèvement. Il y avait un conflit sectaire sous-jacent dans la région. Déjà, près de la moitié de la population syrienne est déplacée, et les deux tiers déplacés se trouvent dans des pays voisins. Je dirais que le confinement a failli il y a longtemps. Nous pouvons bien souhaiter que les choses aient été différentes, mais ce n'est pas le cas.
La meilleure chose à faire, la voie la plus sécuritaire pour le Canada et les États-Unis, c'est l'adoption d'une politique d'affirmation, pas d'agression, mais d'affirmation. L'affirmation, cela signifie un engagement, comme M. Legrenzi l'a dit. Cela signifie aussi un engagement qui n'est pas purement diplomatique, mais qui prévoit aussi l'utilisation intelligente de la force militaire au bon moment pour faire avancer les choses dans une direction ou une autre afin d'en venir à une entente finale.
Ce n'est pas la première fois ni probablement la dernière que les États-Unis, le Canada ou l'Europe et leurs alliés participent à de tels efforts. C'est un travail complexe, mais le jeu en vaut la chandelle parce que, sans ça, comme M. Legrenzi l'a mentionné, nous n'arrivons pas à défendre nos intérêts à long terme.
Au contraire, nous serons de plus en plus exposés à toutes sortes d'événements, depuis des attaques terroristes jusqu'aux répercussions d'une guerre sectaire régionale sur les prix de l'énergie et l'économie. Sans compter le mauvais exemple moral que nous avons donné en restant sur la ligne de touche pendant que tant de personnes étaient massacrées par des gouvernements supposément légitimes alors que nous disions que nous ne pouvions pas vraiment faire grand-chose... nous aurions pu en faire tellement plus.
Selon moi, le pire incident — et le plus honteux — c'est probablement l'absence de frappe en septembre 2013, lorsque les États-Unis ont mis leur pied à terre en Syrie concernant l'utilisation d'armes chimiques pour ensuite revenir sur ce qu'ils avaient dit. Je ne nie pas le fait qu'une bonne partie de l'arsenal chimique de la Syrie a été éliminée, mais il en manque encore beaucoup et, au bout du compte, cela n'a pas permis de régler le conflit. On n'a pas nécessairement rendu la situation plus sécuritaire pour les Syriens. On a plutôt donné au régime Al-Assad d'autres options afin de mater avec violence le soulèvement qui constitue, jusqu'à présent, le principal défi du pays et du régime.
On ne peut pas le contenir. Il y a eu deux attaques terroristes au Canada au cours des six dernières semaines. Selon des rapports, il y a de 100 à 200 Canadiens qui sont allés en Irak et en Syrie pour combattre. Si ces personnes ne peuvent pas y aller, il y aura peut-être plus d'attaques au Canada, alors on ne peut définitivement pas contenir cette situation. Il faut réagir de façon dynamique.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos invités d'être là aujourd'hui.
Je ne sais pas quelle solution nous trouverons en dernier lieu, mais nous avons de nouvelles notions assez créatives. J'essaie encore de bien dire et de bien comprendre la notion de'« harmonisation non coordonnée » que vous avez utilisée. Il va falloir y revenir un peu, j'imagine.
Monsieur Legrenzi, vous avez dit que nous avons le droit d'exiger la prise de mesures précises au gouvernement irakien. Pouvez-vous nous donner une idée de ce que pourraient être les trois ou quatre principales choses que nous avons le droit d'exiger de lui? Si possible, j'aimerais que vous mettiez l'accent sur des choses à court ou moyen terme qui pourraient avoir un impact à court terme. Nous parlons de ces solutions politiques à long terme. Selon vous, qu'a-t-on le droit de demander au gouvernement irakien à court terme?
Assurément, à court terme, nous devons lui demander de faire preuve de beaucoup plus de responsabilités en ce qui concerne les comportements de ses services de sécurité, de l'armée et des responsables de la sécurité en général. Nous ne pouvons pas donner de l'argent pour ensuite nous faire dire, lorsque nous leur demandons des comptes et la prise de mesures précises, qu'il faut respecter leur souveraineté.
De ce point de vue, comme vous l'avez dit, le processus politique à plus long terme est une entreprise de bien plus longue haleine. Mais, tant que nous sommes engagés sur le terrain, tant que nous fournissons un soutien aérien essentiel pour prévenir la chute des principales villes irakiennes, avec tous les problèmes que cela crée à long terme et qu'un autre intervenant a soulignés, le gouvernement irakien doit rendre des comptes.
Je tiens à souligner encore une fois que nous savions qu'il y avait un soulèvement qui se préparait dans les régions qui sont maintenant contrôlées par l'État irakien. C'était très évident. Il y avait beaucoup de personnes sur le terrain et ainsi de suite. Lorsque nous avons confronté le gouvernement irakien à ce sujet et lui avons fourni l'information, nous lui avons demandé ce qu'il envisageait de faire, on nous a dit de ne pas nous en faire et que tout était sous contrôle. C'est inacceptable, si nous devons ensuite intervenir et, essentiellement, l'empêcher de disparaître.
Il y a un très bon livre écrit par Toby Dodge de la London School of Economics. C'est un livre assez court qui décrit le passage en Irak de l'occupation à l'autocratie et fournit des détails — c'est un livre très court alors il est facile à lire et vraiment axé sur les politiques — on y apprend de quelle façon le gouvernement irakien, sous Al-Maliki, a adopté une position beaucoup plus autoritaire.
À court terme, il faut lui demander de rendre des comptes. Si nous envoyons des gens pour former 20 000 combattants dans une nouvelle division, nous devons pouvoir nous assurer que ces combattants ne deviennent pas des soldats fantômes, qu'ils sont bien là et qu'ils répondent aux ordres. Sinon, très rapidement, on en reviendra à la situation précédente.
D'accord. Merci.
Je ne sais pas si l'un d'entre vous se considère comme un expert en la matière — je crois que M. Tabler a dit qu'il n'était pas un expert de l'Irak — mais je veux parler un peu plus du rôle politique et militaire des Kurdes. Je ne sais pas si l'un d'entre vous peut nous en parler
Il semble que les Kurdes ont conclu un nouvel accord en matière de ressources avec le gouvernement irakien. Je me demande en quoi cela change le portrait et quelles en sont les répercussions.
Allez-y, s'il vous plaît.
Oui, je peux aborder cet aspect.
Malheureusement, nous nous faisons parfois des idées fausses. Nous avons tous commencé à étudier le Moyen-Orient — ou, du moins, les gens qui sont assez vieux — à l'époque où les Peshmergas étaient considérés comme une force militaire formidable, à l'époque de Moustapha Barzani et tout cela, qui remonte jusqu'au règne du shah. C'était notre idée préconçue. Mais, malheureusement, les Peshmergas d'aujourd'hui sont des jeunes de 20, 21 ou 23 ans qui n'ont pas l'expérience militaire de leurs prédécesseurs. C'est pourquoi même ces célèbres combattants n'étaient pas vraiment bien placés pour contenir l'avancée de l'État islamique sans les frappes aériennes qu'ils ont demandées.
Le gouvernement régional kurde se comporte maintenant lui-même, de fait, comme une entité autonome, et vous avez indiqué à très juste titre que l'aspect clé de cette souveraineté effective est le fait qu'il peut dicter les conditions d'accords relatifs à l'énergie, quelque chose que le gouvernement central de l'Irak avait toujours empêché auparavant. Mais, maintenant, le gouvernement kurde est en position de le faire, parce que, même à Bagdad, les gens luttent pour leur vie; voilà donc ce qui en est.
Cela nous ramène au dilemme précédent. Il est certain que les frappes aériennes s'avèrent importantes pour rassurer les gens, mais le gouvernement régional kurde lui-même doit se ressaisir du point de vue de l'instruction et de l'efficience militaires, puisqu'il ne s'agit plus des Peshmergas d'il y a 20 ans.
Merci.
Je veux poursuivre sur ce point, sur la relation entre le gouvernement régional kurde et Bagdad.
Nous espérons — sans trop nous faire d'attentes — que nous allons voir Al-Abadi s'engager davantage. Lorsque M. Garneau, le ministre Baird et moi-même avons rencontré des représentants en septembre — y compris le président et le ministre des Affaires étrangères, de même que Barzani — le message à tous était uniforme: nous voulons l'inclusion. Je pense que ce message est bon, pour des raisons que nous connaissons tous. Mais, ce qui était intéressant, c'est que, pas si longtemps auparavant, Barzani songeait à la séparation.
Nous pouvons donc voir que les cartes se jouent. Vous avez mentionné l'énergie; nous étudions également la menace de séparation du gouvernement kurde, mais nous avons maintenant des gens qui s'unissent. Malheureusement, c'est autour de l'État islamique, mais il s'agit d'une occasion.
Nous devons observer un renforcement de la confiance, évidemment. L'accord sur le pétrole — si c'est vrai — est utile. Cependant, si c'est seulement perçu comme le gouvernement régional qui profite d'un vide politique, je pense que cela pourrait poser un problème. Je crois savoir ce que vous dites, et je suis d'accord avec vous.
Mais qu'en est-il de la question du transfert des pouvoirs? Un élément qui a été soulevé, et il concerne toute cette notion des soldats fantômes et le problème lié aux forces militaires, c'est que nous voyons des entités régionales s'occuper de la sécurité, de toute évidence avec le soutien de la gouvernance. L'idée d'une sorte de « garde nationale » a été évoquée. J'essaierais d'éviter ce genre de termes, car ils ont tout simplement l'air d'une importation américaine, mais c'est l'idée de s'assurer que la sécurité sera fondée sur un reflet de la population, mais aussi d'attribuer à ces entités une certaine responsabilité dans la région qu'elles tentent de protéger afin que nous n'assistions pas à une répétition de la catastrophe de Mossoul.
Quelles sont vos réflexions à ce sujet? S'agit-il d'une garde nationale, ou bien aussi d'un service de police? Manifestement, la sécurité peut prendre diverses formes.
Cette question s'adresse à vous, monsieur Legrenzi.
Je pense que vous avez tout à fait raison. Par contre, la situation là-bas est tellement urgente; elle l'était également dans le passé. Regardez toute la corruption sur laquelle nous fermons les yeux dans les régions contrôlées par le gouvernement régional kurde parce que, essentiellement, ce sont les seules qui fonctionnent et qui offrent un niveau de sécurité décent aux personnes qui y vivent. De ce point de vue, c'est un dilemme, et je n'ai pas la solution. Ce n'est pas que cette partie de l'Irak soit moins corrompue, mais, au moins, elle est fonctionnelle pour ce qui est d'assurer la sécurité de base des gens qui y vivent, et cette situation dure depuis un moment.
De façon plus générale, on ne peut pas voler le rêve d'indépendance d'un grand nombre de Kurdes. C'est quelque chose qui est transmis de père en fils. Ayant vécu au Canada et étant tous Canadiens, vous savez de quoi je parle, je suis certain. Du point de vue de ce rêve ou du soutien de certaines formes de la culture — la littérature et le reste — ils ne vont pas s'en débarrasser.
Toutefois, il faut dire qu'il est très difficile de changer les mythes. Ils n'ont pas intérêt à le faire, et ils l'ont montré, d'une part, en créant ce que vous avez décrit à juste titre comme un gouvernement de fait, et, d'autre part, en essayant d'avoir la plus grande influence possible à Bagdad. Ils réussissent plutôt bien à cet égard. Ils peuvent maintenant jouer sur deux fronts. C'est une technique qui est également employée dans d'autres régions du monde.
Voilà la situation. Si vous me demandez si le gouvernement régional kurde est moins corrompu que le gouvernement central irakien, la réponse est: « non ». Il est corrompu. Cela dit, il a été en mesure d'assurer à sa population un niveau de sécurité et, de certaines manières, un bien-être inégalé dans le reste du pays.
Voici une question rapide pour notre invité, M. Allos; c'est un changement de sujet.
Je pense que nous avons l'obligation de respecter la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU à l'égard de la section irakienne de l'État islamique. Un aspect que vous avez abordé, c'était le fait de s'occuper de choses qui se passent ici, chez nous, de l'incitation.
Comment régleriez-vous ce problème? Je remarque que, récemment, nous avons apporté des modifications aux lois relatives au discours haineux. Un projet de loi d'initiative parlementaire a été déposé et appuyé par le gouvernement. Mais que faudrait-il privilégier dans notre boîte à outils? À ce moment-là, certains d'entre nous étaient préoccupés — personne n'a vu venir l'État islamique, je tiens à le préciser — par la possibilité que, lorsque nous aurions retiré ces dispositions, il serait plus difficile de poursuivre les gens qui font de l'incitation. Je pense que vous savez à quoi je fais allusion... la surveillance et la boîte à outils relativement aux tribunaux des droits de la personne.
Quel outil pouvons-nous utiliser? Devons-nous remettre cet outil dans la boîte à outils, ou avez-vous une autre idée pour régler le problème de l'incitation et de l'extrémisme, ici, au Canada?
L'extrémisme n'est assurément pas un reflet de l'ensemble de l'Islam, mais il y a certains groupes dans l'Islam... Le Wahhabisme et, dans une moindre mesure, les Frères musulmans. Ce sont certainement des groupes terroristes, et ce sont des groupes haineux. Il faudrait les arrêter. Nous recevons beaucoup de soutien financier provenant de l'Arabie saoudite pour l'établissement de mosquées ici, et ce pays nous envoie aussi ses propres membres du clergé, qui enseignent l'Islam wahhabite aux jeunes enfants. Ils les incitent à s'engager dans le terrorisme, que ce soit ici ou à l'étranger. Bien entendu, un grand nombre de ces jeunes voyagent à l'étranger, mais deux incidents sont survenus ici. Alors, il faut contrer cela.
Comprenez-vous ma question concernant la boîte à outils? On en a retiré un récemment, relativement à l'incitation et au discours haineux. Recommanderiez-vous qu'on le remette dans la boîte à outils? Avez-vous une opinion à ce sujet?
Pouvons-nous y revenir? Il y aura une autre série d'interventions. Nous venons tout juste de dépasser le temps qui vous était alloué.
Monsieur Hawn, vous avez cinq minutes. Allez-y je vous prie.
Merci beaucoup, monsieur le président.
En fait, je veux continuer cette discussion. C'est un aspect dont j'allais parler, mais davantage du point de vue... Monsieur Allos, vous avez beaucoup d'expérience en ce qui concerne l'établissement des réfugiés irakiens, entre autres choses, au Canada. Un peu dans le même ordre d'idées que ce dont M. Dewar parlait, est-ce que l'un des outils dans la boîte à outils pourrait être de les utiliser pour raconter aux Canadiens l'histoire de la radicalisation de l'islam comme moyen de les informer de ce qui se passe? Les réfugiés irakiens au Canada qui sont de bonne foi ont-ils un rôle à jouer à cet égard?
Oui, mais, dans certains cas, en raison de ce qu'ils ont vécu, ils pourraient vous brosser le tableau extrême. Il faut une approche plus équilibré. Il est certain que des gens ont été forcés de quitter leur pays et de venir ici. Ils ne vont pas vous brosser un portrait équilibré. Il y a sans doute beaucoup de haine.
Mais ils ont certainement un rôle à jouer. J'ai vu des gens dans des églises se disputer au sujet du fait de parrainer ou non des familles musulmanes. Dans une église de la région de Toronto, par exemple, on a parrainé une famille. Il s'est avéré qu'elle était musulmane, et les gens se sont indignés lorsqu'ils l'ont découvert; et ce sont des gens décents, de bonnes personnes.
Bien sûr.
Monsieur Tabler, je suis entièrement d'accord avec le fait que la politique échoue lorsqu'on trace une ligne rouge, puis qu'on refuse de faire quoi que ce soit quand quelqu'un la franchit. Selon moi, une fois que les gens ont perçu cette faiblesse au chapitre du leadership, manifestement, ils n'ont plus aucune raison d'arrêter de faire ce qu'ils font. Nous avons parlé de l'action militaire. Nous avons abordé les frappes aériennes ainsi que leurs aspects positifs et potentiellement négatifs. Nous avons parlé des soldats sur le terrain, et je crois que tout le monde convient que les combattants sur le terrain doivent être amicaux, mais, la question, du moins au Canada et à certains autres endroits, c'est le pays duquel ces soldats devraient provenir.
Je pense que la plupart des gens ici n'ont pas l'impression que les soldats sur le terrain devraient être des Occidentaux, c'est-à-dire des Canadiens, des Américains, des Britanniques, etc. Quelles que soient leurs intentions et peu importe ce qu'ils feraient, ils seraient mal reçus par les populations locales. Venir entraîner des soldats sur le terrain, c'est une chose, mais venir pour se battre, c'en est une autre...
Quel est votre point de vue sur la participation de troupes occidentales par rapport à la nécessité de compter sur des troupes régionales?
C'est une très bonne question.
Comme vous, je pense qu'il vaut beaucoup mieux que les troupes sur le terrain soient locales plutôt qu'occidentales en ce qui a trait au rôle de combat en général. Selon moi, nous devons éviter à tout prix de faire cela pour contrer la menace de l'État islamique et l'ensemble des menaces dans la région.
Le problème, alors, de la mobilisation de troupes régionales sur le terrain — ou du fait de se battre en coulisse ou de diriger en coulisse, ou quel que soit le slogan qu'on insiste pour utiliser au sujet du style du président américain en ce qui a trait à ces questions — c'est que, afin d'inciter et de motiver ces pays à prendre part au combat contre l'État islamique en Irak et en Syrie, il faut leur faire des concessions à l'égard de ce qu'ils veulent voir se produire dans ces pays et de l'équilibre général dans la région. C'est là que le bât blesse. Ils veulent le départ du président Al-Assad. Nous voulons qu'il parte également, mais, pour eux, c'est un enjeu beaucoup plus important, avec des ramifications politiques. Je crois que, si nous voulons les motiver et les inciter à former une alliance qui pourra vraiment vaincre l'État islamique, il faudra que nous trouvions une solution en ce qui concerne la Syrie.
Comme je l'ai dit — et nous en avons parlé aujourd'hui — un processus est en train de prendre forme en Irak. Nous ne connaissons pas encore le résultat final, mais c'est la base de quelque chose.
En Syrie, je pense que la seule solution est que le président Al-Assad et ses cousins abandonnent le pouvoir à un certain moment. Comment nous y arriverons et comment nous allons motiver tout un chacun à faire ce qu'il a à faire à un moment donné, c'est une question qui suscite un débat enflammé. Mais je ne vois tout simplement pas de solution. Après toute cette violence, après que le gouvernement a tenté de se sortir de ce soulèvement qui s'est transformé en une horrible guerre civile en tirant sur la population, je ne vois pas d'issue. Plus le président Al-Assad restera longtemps, plus il sera probable que la Syrie reste divisée et que de grandes parties de son territoire ne soient pas contrôlées par le gouvernement central.
Je pense que nous devons dresser un plan pour écarter le président Al-Assad du pouvoir. C'est un sujet qui fait l'objet de beaucoup de discussions, et je crois qu'il vaut la peine d'en parler. Avec un tel plan, je pense qu'on verrait les partis régionaux s'asseoir à la table et se montrer disposés à en faire beaucoup, beaucoup plus pour vaincre l'État islamique et à travailler avec nous dans l'avenir pour ce qui est de stabiliser le Moyen-Orient.
D'accord.
J'ai une question rapide pour M. Allos. Les autres peuvent également intervenir.
Parmi les partis régionaux d'autres endroits où notre leadership est tombé, où le départ d'un régime a laissé un vide politique, il y a les Frères musulmans, qui ne figurent pas encore sur la liste des organisations terroristes du Canada.
Monsieur Allos, pensez-vous que les Frères musulmans devraient figurer sur la liste des organisations terroristes au Canada?
Je le pense, oui. Les Émirats arabes unis les ont certainement ajoutés à leur liste, il y a quelques semaines.
Non, je pense que ce serait contre-productif. Ce n'est pas en inscrivant sur la liste des organisations qui ont de nombreux adeptes à des endroits comme l'Égypte, par exemple, qu'on se débarrassera du problème.
Je veux également faire une remarque plus générale qui, selon moi, est très importante. Je serais très méfiant des politiciens irakiens lorsqu'ils se mettent à blâmer des forces extérieures. Prenez le discours de démission décousu prononcé par Al-Maliki, à Bagdad, où il blâmait des forces extérieures. C'est un signe qu'il tente de se disculper de toute responsabilité.
En général, une fois que des intervenants régionaux entrent en jeu dans une situation, ils ont leurs propres motifs. La question n'est plus: « Comment pouvons-nous nous sortir de cette situation, et comment trouverons-nous une solution irakienne? » Ils risquent alors de prolonger le conflit.
Une chose, c'est de faire venir des gens pour entraîner les forces irakiennes, par exemple, sous des conditions strictes, afin que nous évitions de répéter les erreurs du passé. Mais l'idée selon laquelle des forces égyptiennes ou jordaniennes pourraient se joindre au combat est non seulement fantaisiste, parce que cela n'arrivera pas, mais ce serait aussi très dangereux. Nous avons également observé ce phénomène en Syrie, lorsque des intervenants extérieurs sont arrivés avec leurs propres motifs. Cela complique ensuite encore plus les choses pour ce qui est de trouver une solution.
Non, je ne suis pas en faveur de l'inscription des Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes. Toutefois, il est important de souligner que les membres des Frères musulmans, et certains aspects de cette organisation, selon moi, ont des liens avec les salafistes et d'autres groupes et membres djihadistes ainsi qu'avec des extrémistes.
Je pense qu'il vaudrait toutefois mieux tenter de travailler avec eux pour isoler ces membres extrêmes et travailler avec cette organisation dans l'avenir, de façon générale. Nous devrions peut-être nous concentrer davantage sur les personnes et moins sur les organisations dans leur ensemble lorsque nous nous attaquons à ce problème.
Pour nos invités, je veux revenir sur une question. Plus tôt, nous avons parlé de l'idée d'organiser une conférence internationale qui viserait à rassembler diverses parties, formant — avouons-le — un groupe hétérogène. Nous avons maintenant un facteur rassembleur, ce qui n'était pas le cas auparavant, et Al-Maliki faisait certainement partie du problème.
Je veux vraiment souligner cet aspect pour mes collègues. L'État islamique n'est pas tout simplement tombé du ciel. Il profitait de l'aliénation de certains groupes, et Al-Maliki et les milices chiites ont pris part à des crimes horribles. Il convient de le souligner, mais je veux insister sur cette idée selon laquelle nous pouvons rassembler les gens. L'occasion se trouve maintenant juste devant nous. Je suis un peu préoccupé par le choix du moment parce que nous avons certains groupes qui, auparavant, ont été rejetés par Bagdad.
Une nouvelle occasion se présente parce qu'il y a un nouveau premier ministre qui — encore une fois je l'espère — changera les choses, et certains éléments indiquent que ce changement est déjà en train de se produire. Vous avez mentionné les Frères musulmans, mais qu'en est-il des autres groupes irakiens que nous pourrions inviter, et les groupes associés aux sunnites, bien entendu, qui pourraient envisager de prendre de nouveau part au dialogue national? Je remarque que certains d'entre eux se trouvent maintenant en Turquie. Ils ne font pas partie de l'État islamique; ils ont été rejetés par Al-Maliki.
De qui pourrait-il s'agir? Pouvez-vous me le dire? Deuxièmement, serait-il opportun, en ce moment, pendant que l'occasion se présente, de mobiliser les parties, et probablement pas au moyen d'une conférence? Nous ne sommes pas encore prêts à en organiser une, mais, très certainement, par des démarches diplomatiques individuelles... C'est peut-être en train d'avoir lieu, je ne sais pas, mais est-ce que ce serait la première étape du renforcement de la confiance?
Je demanderai d'abord à notre ami de Venise de répondre à cette question.
Oui, en principe, c'est une bonne idée. Je ne pense pas que ce soit le bon moment pour tenir une conférence. Vous avez absolument raison.
Mon seul conseil serait de s'occuper le plus possible des gens sur le terrain. Les groupes exilés — je m'en souviens — élaborent rapidement leur propre programme, et il est ensuite très difficile de tenter de déterminer ce qu'ils contrôlent exactement sur le terrain, en Irak, surtout dans les régions qui sont sous l'emprise de l'État islamique. Donc, il faut le plus possible travailler avec les gens sur le terrain.
Je me rappelle que, avant la chute de Saddam Hussein, des gens à Oxford prétendaient représenter la vraie opposition irakienne en exil et nous assuraient que, en cas de changement de régime, ils prendraient les choses en main. Ils affirmaient qu'ils dirigeaient de nombreux groupes d'opposants, puis regardez ce qui est arrivé tout de suite après.
C'est un effort qui en vaut la peine. C'est la bonne chose à faire, mais il faut toujours se montrer très sceptique et réaliste au sujet des groupes exilés qui n'interagissent pas directement avec les gens qui sont sur le terrain.
C'est une remarque très judicieuse.
Monsieur Tabler, j'aimerais discuter avec vous de la Syrie, de nos rapports avec Al-Assad. J'ai vu que Brahimi avait tenté de lui donner la possibilité de partir, plus tôt, lorsque M. Brahimi se trouvait à Damas, mais, malheureusement, cette tentative a échoué.
En ce qui concerne les frappes aériennes en Syrie, nous, les membres de l'opposition officielle, sommes préoccupés par le fait qu'il faudrait obtenir une permission pour aller en Syrie, parce que nous devrons d'abord aller à Damas, avec l'aide d'Al-Assad.
Pourriez-vous nous dire si ce serait une sage décision? Nous pensons que ce ne serait pas une sage décision, tout simplement pour les raisons que vous avez données qui ont trait à la façon dont les choses sont organisées, sur le terrain, en Syrie.
Je ne le conseillerais pas. Je crois que l'actuelle politique d'harmonisation non-coordination — ou peu importe comment on l'appelle —veut essentiellement dire que nous survolons la Syrie et que le président Bashar el Assad fait semblant que cela ne le dérange pas. La raison pour laquelle il agit ainsi, bien sûr, c'est que les opérations sont menées en collaboration avec le gouvernement irakien, une entité avec laquelle nous collaborons énormément. Le gouvernement irakien a parlé avec le régime de la Syrie, il discute constamment de cette question avec lui. C'est que, jusqu'ici, le président Assad a profité énormément des frappes aériennes américaines sur la Syrie.
Cela veut dire en effet que nous faisons mal à l'État islamique, mais nous rendons également une solution en Syrie — une véritable solution au problème, qui ne génère pas davantage de terrorisme, d'extrémisme ni de souffrance — d'autant plus difficile.
Je dirais que, pour l'instant, il semble sage de concentrer nos activités sur l'Irak tout en examinant la situation en Syrie, sans se limiter à ce que nous y faisons. Je crois qu'il est important, en même temps, de protéger les gens, mais nous devons protéger tous les gens, autant de civils que nous le pouvons, les minorités comme les majorités.
Le problème auquel font face les États-Unis, en particulier, et les autres pays occidentaux, c'est que leurs politiques ont été prises pour cible par les extrémistes qui soutiennent que, si on y pense bien, depuis le 11 septembre 2001, les Occidentaux ont tué uniquement des arabes sunnites. Tous ceux qui ne sont pas sunnites vont voir les portes s'ouvrir devant eux, ils vont même recevoir une aide militaire directe en échange d'une alliance de fait avec l'Occident.
Des politiques de ce genre ne profitent pas aux habitants de la région, et elles ne profitent pas non plus aux pays occidentaux. Ce serait une chose, si le ratio sunnites-chiites ou sunnites-minorités au Moyen-Orient était de 50:50. Mais on est loin de cela. Nous devons comprendre bien mieux l'équilibre politique dans ces pays et proposer une solution véritable qui protégera les majorités et les populations majoritaires.
En Syrie, malheureusement, jusqu'ici, je constate que le bombardement auquel l'État islamique est soumis n'a fait que le renforcer ce régime et éloigner la possibilité d'une solution qui pourrait vraiment résoudre le problème.
Merci, monsieur le président.
Je voudrais prendre une direction légèrement différente de celle que nous avons prise ce matin. Je crois que c'est M. Tabler qui a dit que les gens et les gouvernements ne changent pas sans raison et qu'il faut créer ce besoin de changement.
Il y a deux façons d'y arriver. On peut d'une part faire des pressions, et, d'autre part, offrir des récompenses. Je me demandais s'il n'y aurait pas des aspects financiers que certains États et gouvernements pourraient prendre en considération et qui les amèneraient à cesser les hostilités ou, du moins, à les réduire. J'aimerais le savoir. Y a-t-il quelque chose qui serait suffisamment avantageux pour certains intervenants de la région que ceux-ci se diraient qu'ils doivent trouver des solutions de façon à pouvoir profiter d'un avantage auquel ils n'ont pas accès maintenant?
Répondra qui voudra.
Je vais seulement faire un commentaire. En ce qui concerne les arrangements financiers, une mesure qui a été prise au début du conflit en Syrie, mais à laquelle on n'a pas véritablement donné suite, est l'imposition de sanctions au régime Al-Assad. Il y a eu des sanctions, et en même temps, des sanctions accrues contre la République islamique d'Iran. Bien que ces deux régimes de sanctions aient réglé le problème concernant les marchés sur lesquels la Syrie en particulier vendait son pétrole, les sanctions, en réalité, n'ont eu aucune incidence sur le fait que l'Iran et la Syrie font un très grand commerce de produits pétroliers et d'autres produits, également, et que ces pays se soutiennent l'un l'autre.
Je crois que nous devrions réfléchir un petit peu sur la façon dont nous pourrions mettre fin à cette aide mutuelle, réfléchir au moment qui serait opportun et chercher à savoir à quel point il serait utile de le faire. Nous discutons, bien sûr, avec les Iraniens sur la question de savoir ce qu'il convient de faire en Syrie, mais la véritable question consiste à savoir si ces discussions vont dans la bonne direction.
Jusqu'à récemment — ou jusqu'ici — je ne crois pas que les Iraniens aient songé s'allier avec personne d'autre qu'Al-Assad. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'un mariage, mais ils ne voient pas la nécessité de se débarrasser de lui en plein milieu de la crise et en face de la menace de l'État islamique; mais comment pourrait-on encourager cela?
Si les négociations avec l'Iran échouent, nous devrons chercher des mesures plus énergiques pour isoler le régime Al-Assad ainsi que la République islamique, mais cela n'est pas pour demain, et cela suppose un très long travail de notre part, je le crains.
Je poursuis sur ce dernier commentaire. Je crois qu'une entente avec la République islamique d'Iran serait très utile à court terme et à moyen terme, d'un point de vue pratique. J'aime bien le mot « entente ». Je n'aime pas beaucoup le mot « accord », parce que les gens peuvent s'en prendre à l'accord et l'attaquer, par exemple. À tout le moins, quand on discute de la situation en Irak et en Syrie, je crois qu'il serait avantageux de conclure une entente avec la République islamique d'Iran.
Je sais que la question est beaucoup plus large, parce que c'est surtout là que le bât blesse. Il n'y a pas de prolifération, c'est un enjeu stratégique mondial, et nous n'avons pas encore commencé à en discuter. Nous devrions consacrer toute une... Si vous voulez, nous pouvons en discuter la semaine prochaine, peut-être, en Iran, en particulier. J'aimerais insister sur le fait que ce serait vraiment avantageux, car, sinon, nous arriverons à une formule assez fantaisiste, comme celle que... Un grand conflit, peu importe, et une harmonisation sans coopération. Ce qui fait que, même quand nos intérêts sont compatibles, nous ne pouvons pas collaborer à la vue de tous. C'est un peu pervers.
Alors, je sais que la question est beaucoup plus large, mais j'aimerais lancer un message: nous sommes à un point critique dans les négociations, actuellement, avec la République islamique d'Iran, et, sans entrer dans le dossier de la prolifération, une entente avec la République islamique d'Iran, ou même un accord, permettrait à coup sûr une amélioration de la situation en Syrie et en Irak.
Alors, il semble que nous soyions encore très loin d'une telle entente, ou pensez-vous qu'il serait raisonnable de penser qu'on pourrait en arriver à une entente à court terme?
Eh bien, je suis plutôt pessimiste, mais c'est peut-être parce que j'y réfléchis depuis trop longtemps. C'est bien que les négociations aient été prolongées. Mais nous ne devons surtout pas nous attendre à un moment du type « Nixon en Chine », où on en vient à un accord technique menant à une relance du commerce, par exemple. C'est beaucoup plus complexe. C'est une longue histoire, mais, si nous en arrivons à un accord, ou même si nous n'arrivons pas à un accord, mais que nous poursuivons les négociations et que nous pouvons nous entendre sur la question de la Syrie et de l'Irak, ce serait très avantageux.
Combien de pays essayons-nous de contenir? Il nous faut vraiment commencer à trouver un terrain d'entente. Cela va au-delà de notre portée et de nos capacités. Nous envoyons nos soldats sur le terrain, nos hommes et nos femmes dans les airs.
Merci. J'ai une autre question. Je suis d'accord avec M. Legrenzi sur le fait que l'armée irakienne a déjà terrorisé les citoyens de l'Irak, dans le passé, qu'elle a commis certaines de ces atrocités. Je siège également au Comité des droits de la personne. Je pense à d'anciens camps, le camp Ashraf et le camp Liberty: la situation atroce dans ces camps, comme l'absence d'installations hygiéniques, ou du moins, pas des installations ordinaires, pas de nourriture, pas d'arrivées régulières de nourriture, pas de carburant, pas de soins médicaux; les barrières de protection étaient démontées, et l'armée faisait feu sans discrimination dans les camps, faisant de nombreux morts au fil des ans. Il s'agissait d'anciens réfugiés iraniens en Irak qui avaient reçu la protection des Américains, quand les Américains étaient là. Une fois les Américains partis, c'est là que ces atrocités ont eu lieu.
Pensez-vous qu'un nouveau gouvernement aura la volonté ou le désir de changer la façon dont il soutient ou protège les groupes minoritaires sans la supervision, disons, d'une force comme la force de maintien de la paix de l'ONU, ou quelque chose du même type?
Je crains que non. J'aurais aimé qu'il l'ait, mais je crains qu'il ne l'ait pas. Je ne suis pas certain de savoir de quelle façon l'ONU pourrait y contribuer. Je crois que cela ne ferait qu'ajouter au désordre. Mais je crois que vous avez tout dit. Tout ce que vous avez dit est absolument exact, et vous avez bien décrit quel a été l'effet du retrait de forces de sécurité américaines sur la vie de ces réfugiés.
C'est pourquoi je crois qu'il est très bien que vous siégiez également au Comité des droits de la personne et que vous entendiez les témoignages à ce chapitre. Nous devons garder espoir, mais nous devons également faire preuve d'une grande diligence et d'un grand scepticisme de façon à ne pas en revenir au modèle des six dernières années, où nous dépensions en grande partie l'argent des contribuables pour subventionner ces situations d'extorsion et d'atteinte aux droits de la personne que vous avez si bien décrites.
Il y a une chose qui me dérange un peu. Vous avez dit que l'Iran et la Syrie avaient conclu une entente, ou qu'ils font des affaires ensemble, des choses comme ça. Il n'y a pas d'entente de ce type avec l'Irak, n'est-ce pas?
Eh bien, l'Irak et la Syrie faisaient des affaires ensemble déjà sous le régime de Saddam Hussein, surtout pendant les dernières années de son règne. C'était un commerce illégal qui contrevenait aux sanctions imposées par l'ONU. Par la suite, il y a eu quelques activités commerciales entre Bashar Al-Assad en Syrie et le nouveau gouvernement de l'Irak. De plus, la Syrie était un point de transit pour les fournitures envoyées en Irak pendant la reconstruction de ce pays.
Depuis le début du soulèvement, bon nombre de ces réseaux officiels et régularisés ont disparu, et aujourd'hui, c'est simple, il y a beaucoup de commerce transfrontalier entre l'Irak et la Syrie parce que la frontière entre l'Irak et la Syrie n'existe plus. Cela complique en outre tout effort pour étrangler ou isoler ou l'État islamique ou pour décourager ou encourager le gouvernement syrien ou le gouvernement irakien à l'égard de régions contrôlées par l'État islamique.
Je pensais au départ qu'il n'y avait pas d'échanges commerciaux entre l'Iran et l'Irak. Est-ce vrai ou est-ce qu'il y en a, disons, par l'entremise de la Syrie?
Oh, non, il y a beaucoup d'échanges commerciaux entre l'Iran et l'Irak et aussi entre l'Iran et la Syrie.
La question que bien des gens se posent, c'est comment en sommes-nous arrivés là, comment est-ce que c'est arrivé? La situation, au-delà des soulèvements et des motifs locaux ou démographiques des soulèvements, se résume au fait que la République islamique a étendu son influence dans la région, sur le plan militaire et sur le plan des investissements, pendant des décennies et qu'il s'est installé lentement, par à-coups. Cela a parfois eu pour conséquence d'irriter les élites, dans les milieux traditionnels sunnites, mais aussi dans les pays sunnites. Donc, dans le contexte des soulèvements, l'Iran s'est impliqué militairement dans ces milieux grâce à des milices et à la force Al-Qods dans le but de soutenir des régimes qui, souvent, ont peu de légitimité, mais ont une légitimité juridique aux yeux de la communauté internationale.
Je crois que de manière générale, c'est ce qui cause tout cela et a entraîné les soulèvements et la réaction extrême de l'État islamique qui représente, en partie du moins, la réaction de la société sunnite à cet empiètement sur les territoires arabes.
Merci.
Merci, monsieur Schellenberger.
Nous passons maintenant la parole à M. Garneau, qui pourra poser deux ou trois questions.
Merci.
J'ai deux petites questions pour M. Allos. Il est très clair qu'Al-Maliki n'a pas réussi à unifier l'Irak, lorsqu'il est arrivé au pouvoir. Nous connaissons tous cette histoire. Nous savons que Haider Al-Abadis a fait des efforts en ce qui concerne les chiites, les sunnites et les Kurdes, mais savez-vous s'il a tendu la main aux minorités chrétiennes en Irak?
Oui.
De fait, Al-Maliki a toujours consulté le patriarche chaldéen, alors il n'y avait pas de problème. Les chrétiens ont toujours été marginalisés, et ils acceptaient cette situation.
Avec Al-Abadi, les choses vont assurément mieux. Les parties discutent. Le premier ministre, le président de l'assemblée et le président du pays discutent tous avec les chefs religieux chrétiens.
Merci.
Je reviendrais sur la description exacte que M. Schellenberger a faite de la situation des réfugiés iraniens du camp Ashraf et du camp Liberty. C'est une situation très difficile pour eux, principalement parce que Al-Maliki et l'influence exercée en quelque sorte sur lui par l'Iran ne laissent pas vraiment de place à la délicatesse ou à un désir de fournir une aide à ce chapitre.
D'ailleurs, j'ai écrit au ministre de l'Immigration pour lui demander que le Canada accueille certains des réfugiés du camp Liberty. Malheureusement, le gouvernement a refusé. Cela m'amène à la question que je vais vous poser; vous avez laissé entendre dans votre déclaration préliminaire qu'il serait bien que le Canada accepte quelques réfugiés venus directement d'Irak. Est-ce que votre organisation ou les membres de la diaspora qui se trouve ici au Canada ont approché le gouvernement à ce propos? Le cas échéant, quelle a été sa réponse?
Oui, des membres de notre communauté ont rencontré le ministre Alexander pour discuter du cas des chrétiens et des yézidis, et le ministre s'est montré ouvert aux suggestions, surtout si cela ne suppose pas de dépenser l'argent des contribuables. Nous allons rencontrer de nouveau le personnel d'Immigration Canada.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Cette question s'adresse à chacun de vous, messieurs. J'ai dit plus tôt à quel point la situation me semblait sans issue, et vous avez tous parlé de la durée de ce conflit. Il ne semble pas y avoir de solution en vue, et ce que nous observons, en ce qui concerne l'aide humanitaire nécessaire, c'est que les donneurs ont perdu de leur enthousiasme. Nous voyons déjà les résultats de cette tendance: par exemple, le Programme alimentaire mondial a annoncé l'autre jour qu'il n'avait plus beaucoup de fournitures. Le véritable problème, à son avis, c'est que les pays qui avaient promis de donner de l'argent n'ont en fait rien versé; ils n'ont pas donné ce qu'ils avaient promis de donner, et cela témoigne peut-être d'une perte d'enthousiasme des donateurs.
Si aucune solution n'est en vue, le problème s'intensifie avec chaque mois, chaque année qui passe, et les besoins humanitaires sont criants. Jusqu'ici, le Canada a payé. Nous sommes le troisième donateur en importance du Programme alimentaire mondial, et nous donnons ce que nous promettons. Notre contribution a été faite en entier. Ma question est la suivante: comment pouvons-nous encourager les autres pays à maintenir leurs contributions, si le conflit semble sans fin?
Monsieur Legrenzi, vous avez parlé de certains des enjeux que nous voulons voir se régler. Pensez-vous qu'il y a un enjeu central, sur lequel nous devrions nous concentrer, et qui pourrait favoriser un règlement? Qu'en pensez-vous?
Oui, l'enjeu central, c'est la réforme du secteur de la sécurité en Irak. Sans une réforme du secteur de la sécurité en Irak, nous en serons encore au même point dans deux ou trois ans, même si l'État islamique est expulsé d'Irak. Il y a cet enjeu central là. Pour le reste, je suis d'accord avec vous. Le Canada a donné l'exemple, et je crois que c'est l'un des plus généreux pays et aussi, comme vous l'avez avec raison souligné, un des pays qui paient ce qu'ils doivent, lorsqu'ils ont promis quelque chose.
La crise humanitaire, en particulier pour les pays voisins, est d'une ampleur gigantesque, et c'est pourquoi je recommande — j'ai dit la même chose aux Italiens et aux Britanniques — que, lorsque nous discutons de sécurité, comme nous tendons à le faire lorsqu'il s'agit d'une urgence, nous prenions également le temps, en prévoyant les ressources nécessaires, de discuter des besoins au chapitre de l'aide humanitaire et du développement qui doivent être traités en parallèle.
Les bombes et les conflits coûtent beaucoup d'argent, alors nous devons toujours garder à l'esprit le fait qu'il y a en parallèle une catastrophe humanitaire. En même temps, j'hésiterais à utiliser le mot « désespoir ». Je crois que nous devons faire preuve de réalisme, et c'est pourquoi nous devons nous montrer très fermes et déterminés dans nos échanges avec le gouvernement irakien. Nous n'avons pas à les laisser revenir à la situation, qui nous a menés à la situation et à l'intervention d'urgence actuelles. Le terme « désespoir » est peut-être trop fort, même si la situation est extrêmement grave, et c'est la raison pour laquelle nous en sommes là.
Le gouvernement a de l'argent qu'il peut consacrer aux personnes déplacées à l'intérieur du pays, et on devrait le pousser à en dépenser davantage et à essayer de le faire en s'appuyant sur des organismes internationaux plutôt que sur le gouvernement irakien, car il est certain qu'une bonne partie de cet argent aboutit dans les poches de fonctionnaires ou de membres de leur famille.
Bien que je croie que la réforme de la sécurité est la clé en Irak, la solution générale à la menace de l'État islamique tient à un véritable règlement en Syrie. Il importe de reconnaître qu'il y a de véritables règlements, puis il y a de l'artifice. Je vous encouragerais à ne pas investir d'argent et d'efforts dans des sommets ou des accords artificiels, où on essaie, en quelque sorte, de couper la poire en deux. Je crains que, dans le cas de la Syrie, les deux parties ne doivent faire de réelles concessions, l'opposition comme le gouvernement syrien. À mon avis, outre cela, si on fixe un objectif, vous constaterez que, lorsque les gens voient qu'un véritable règlement est possible, ils sont prêts à investir.
Mais, encore une fois, cela montre que le simple fait de souhaiter qu'un problème disparaisse et d'accroître l'isolationnisme ne fonctionne pas. Cela ne contribue pas à notre sécurité ni ne réduit la souffrance humaine; pas seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde. Nous avons plutôt nui à la sécurité à l'échelle mondiale. Je nous encouragerais — ceux qui vivent dans des démocraties aux vues similaires, mais aussi les alliés régionaux — à travailler ensemble à trouver une solution commune et durable pour mettre fin au conflit syrien.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Allos, j'aimerais parler encore un peu de la situation au pays. Selon notre engagement à l'égard des résolutions 2170 et 2178 du Conseil de sécurité de l'ONU, nous sommes censés, à titre d'État-nation, réagir au problème de l'incitation à l'extrémisme et au terrorisme, et, pour contrer ce problème, nous devrions mobiliser les établissements d'enseignement et les institutions culturelles et religieuses. Nous avons une obligation à cet égard, en notre qualité de membre responsable des Nations Unies et aux termes de ces deux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.
J'aimerais savoir — selon vous — ce que le gouvernement devrait prendre comme mesure sur ce front à l'heure actuelle. Je sais qu'on adopte des dispositions au chapitre de la sécurité et que davantage de pouvoirs sont conférés à la police et au SCRS, mais c'est une autre question. Il s'agit de communication avec les communautés. Vous avez abordé ce point plus tôt. Comment peut-on parvenir à ce résultat, selon vous? Avez-vous des idées? Vous avez parlé de rassembler les gens.
J'ai assisté à un atelier ici, à l'Université d'Ottawa. Il y avait des policiers, des représentants de la sécurité publique, des fonctionnaires, des membres de la communauté musulmane et d'autres dirigeants. On parlait de méthodes de déradicalisation. Comment réagir à l'incitation? Mais, vous savez, en vérité, cette initiative provenait de la base, ce qui est fantastique, mais il n'y avait ni soutien ni participation du gouvernement.
Je crois que c'est un dossier à l'égard duquel il faut intervenir. J'aimerais seulement connaître vos idées au sujet du rassemblement des gens pour nous attaquer aux enjeux ici, au Canada.
Oui. Les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU que je viens de citer engagent le Canada à se pencher sur sa situation intérieure, au chapitre de la radicalisation et de l'incitation, et vous avez abordé cette question. J'aimerais connaître vos recommandations sur les manières dont nous pouvons faire cela. C'est une de nos responsabilités, et j'aimerais seulement connaître vos idées à ce sujet.
Eh bien, certes, il devrait y avoir des rencontres entre différents groupes religieux — ou même des groupes non confessionnels — et une campagne de sensibilisation relative aux différentes religions. L'islam n'est assurément pas une religion qui préconise la haine, mais, à cause des perceptions, les gens commencent à se dire: « Eh bien, si vous croyez que je suis un terroriste, alors je deviendrai un terroriste.»
Alors, oui, il devrait y avoir plus de sensibilisation.
Et rassembler les gens, comme vous l'avez dit...
Si vous avez d'autres idées à cet égard, y compris des noms et des groupes, veuillez les transmettre à notre équipe. Ce serait fantastique. Je crois que c'est l'autre volet de nos obligations. De toute évidence, il y a le financement, mais il y a aussi la sensibilisation et la communication ici au Canada. Tous ces autres enjeux, dont l'aspect géopolitique, sont très importants. Pour ce qui est des efforts diplomatiques, il y a des choses que nous pouvons faire à l'échelle internationale, mais, bien entendu, nous avons nos propres obligations chez nous. Si vous avez d'autres idées à ce sujet, il serait fantastique que vous les transmettiez.
Vu l'heure, plutôt que de poser ma question, je vais demander à chacun des témoins de présenter un résumé d'une minute, ou de 30 secondes, des derniers conseils qu'ils donneraient au comité pour récapituler tout ce que nous avons entendu aujourd'hui.
Il ne fait aucun doute que nous devons continuer dans la voie militaire, tout en poursuivant les efforts diplomatiques visant à rassembler les pays. Certes, si l'Arabie saoudite et l'Iran entamaient un dialogue, il y aurait beaucoup de changements. Il y aurait un nouveau président au Liban, et peut-être qu'on s'entendrait pour se débarrasser de Bashar Al-Assad et installer quelqu'un d'autre à titre de compromis. Les efforts diplomatiques sont assurément utiles.
Soyez très exigeants dans vos rapports avec le gouvernement irakien. Exigez une réforme du secteur de la sécurité. Exigez du changement en échange de votre soutien et du fait que vous avez sauvé la mise. En outre, soyez très sceptiques à l'égard des politiciens irakiens et, plus généralement, des politiciens du Moyen-Orient lorsqu'ils commencent à blâmer des forces externes. Plus souvent qu'autrement, ils essaient de dissimuler leurs propres méfaits et responsabilités.
Mon résumé, ou ma plus grande contribution à la discussion, serait que, à mon avis, on ne peut contrer la menace de l'État islamique sans en arriver à un règlement en Syrie, et un véritable règlement en Syrie doit avoir pour résultat l'expulsion des familles Al-Assad et Maklouf de la Syrie et de l'actuel gouvernement de la Syrie.
La manière d'y parvenir — le processus que cela suppose et les mesures qu'il faut prendre pour le déclencher — est le sujet du débat. Tant et aussi longtemps que ces personnes resteront, je crois que la Syrie sera déchirée. Tant et aussi longtemps qu'elle sera déchirée, les espaces non gouvernés seront un terreau fertile pour l'extrémisme et généreront des extrémistes qui compromettent la sécurité du monde, pas seulement pour les Syriens, les Irakiens et les gens de la région, mais aussi pour nous en Europe, au Canada et aux États-Unis.
Merci beaucoup.
J'aimerais remercier nos témoins d'avoir pris le temps de venir nous présenter leurs idées aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de contribuer à notre travail dans le cadre de cette étude, qui se poursuit.
C'est tout pour aujourd'hui, alors à la semaine prochaine. Merci.
La séance est levée.
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