FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 7 avril 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous procédons à une étude de la situation en Ukraine.
Nous allons entendre quelques témoignages aujourd'hui. Malheureusement, l'un de nos témoins de l'Ukraine ne s'est pas encore manifesté à l'écran, mais il est sept heures plus tard qu'ici là-bas, donc c'est peut-être l'heure qui pose un peu problème.
Mme Janice Stein est cependant parmi nous. Elle est directrice de la Munk School of Global Affairs. Bienvenue. Nous sommes très heureux que vous vous joigniez à nous aujourd'hui. Merci d'avoir accepté de reporter votre témoignage en raison des conflits survenus au cours des deux ou trois dernières semaines.
Madame Stein, comme vous êtes la seule personne à témoigner pour l'instant, nous allons vous céder la parole. Vous avez une déclaration préliminaire à faire. Je vous préviendrai si l'autre témoin se manifeste. J'encouragerais aussi les députés à s'adresser aux témoins lorsqu'ils poseront des questions.
Madame Stein, merci d'avoir pris le temps de venir. Nous avons hâte d'entendre votre témoignage. Je vous cède la parole.
Merci beaucoup. Tout le plaisir est pour moi.
Je n'ai pas de déclaration préliminaire en tant que telle, mais j'aimerais formuler quelques observations pour établir le contexte et je vous inviterai ensuite à me poser des questions pour que je puisse parler des enjeux qui vous préoccupent le plus.
Pour revenir brièvement sur les événements des dernières semaines, nous devons admettre certains faits indéniables, le plus important étant le fait que les frontières de l'Ukraine ont été modifiées unilatéralement par le gouvernement de la Russie. C'est un fait avec lequel nous devons tous composer.
Ce qui est litigieux, ce sont les motifs qui ont poussé le gouvernement russe à annexer unilatéralement la Crimée à la Fédération de Russie. Je pense qu'il est important d'admettre que nous ne pouvons que formuler des hypothèses. Pour l'instant, rien de bien solide ne permet de distinguer des interprétations assez bénignes des motifs de la Russie d'interprétations plus sombres. À mon avis, cela fait en sorte qu'il est très difficile d'aborder de façon optimale le problème auquel nous faisons face.
Vu cette incertitude, je pense qu'il est important que nous mettions au point des stratégies faisant place à un éventail d'interprétations des motifs de la Russie et que nous ayons la capacité de réagir rapidement et habilement aux événements au fur et à mesure qu'ils surviendront.
Ce matin, de nouveaux événements clairement préoccupants sont survenus dans la région de Donetsk, des événements qui rappellent beaucoup ce qui s'est passé en Crimée. Dans ce contexte, il y aurait clairement lieu de s'alarmer, mais je tiens à répéter que nous n'avons pas pour l'instant de preuve fiable nous permettant d'affirmer que nous connaissons les motifs du comportement de la Russie à l'égard de l'Ukraine.
Je vous inviterais maintenant à me poser des questions.
Merci beaucoup.
Je voudrais dire aux membres du comité que, si notre témoin de l'Ukraine se manifeste en ligne, nous allons lui donner la possibilité de présenter une déclaration préliminaire. Je demanderais maintenant aux députés de poser leurs questions à Mme Stein en commençant par se présenter.
Je vais commencer par M. Dewar. Vous avez la parole, monsieur.
Merci, madame Stein. J'ai eu le bonheur d'être accueilli à votre école il y a un peu plus d'une semaine, avec des amis allemands. J'ai apprécié l'occasion qui m'a été offerte de discuter de politique étrangère là-bas.
Vous avez parlé des dernières activités. Il est difficile de comprendre le fonctionnement interne de la chose, si vous me passez l'expression, de ce qui motive les actes posés. Vous avez soulevé la question clé: comment réagir?
Pourriez-vous parler de certains des outils diplomatiques, si on veut, qui sont à notre disposition? Nous rédigeons un rapport, et nous aimerions avoir des recommandations à présenter au gouvernement. Ce que nous essayons tous de faire, c'est d'amener Moscou à revenir sur sa position, en ce qui concerne la Crimée, évidemment, mais, comme vous venez de le mentionner, il y a aussi des préoccupations découlant des événements d'hier.
Pouvez-vous puiser dans votre expertise pour nous parler de certains des outils diplomatiques que nous avons à notre disposition et que nous devrions envisager d'utiliser?
Merci beaucoup, monsieur Dewar, et c'est avec plaisir que nous vous avons accueilli à notre école. Nous sommes toujours heureux de recevoir la visite de députés.
Je pense que nous disposons d'un assez grand éventail d'outils que nous devrions utiliser à bon escient pour transmettre à la Russie le message très clair selon lequel le Canada s'oppose à toute modification unilatérale des frontières, ce qui est essentiellement ce qui a eu lieu en Crimée. Le référendum qui y a été tenu ne constituait pas en réalité un processus que les Canadiens considéreraient comme étant légitime, et je pense qu'il s'agit là d'une position concordant avec l'ensemble des interprétations possibles à l'heure actuelle.
Que pouvons-nous faire, dans ce cas? Eh bien, nous devrions préserver notre capacité de prendre des mesures et d'accroître les sanctions si les événements empirent de notre point de vue. Le point de départ que nous avons choisi est donc le bon. C'est ce que nous appelons maintenant les sanctions intelligentes ou ciblées. Nous avons beaucoup appris au cours des 10 dernières années en ce qui concerne la façon d'imposer des sanctions intelligentes. La caractéristique fondamentale des sanctions intelligentes, c'est qu'elles servent à punir les personnes qui, selon nous, prennent des décisions illégitimes, mais que nous essayons d'éviter le plus longtemps possible de punir la population en général. Pourquoi? Il y a deux raisons. La première, c'est que nous avons constaté que les sanctions de nature générale punissent souvent les gens les plus vulnérables au sein d'une société, et je pense que ce n'est pas ce que la plupart des Canadiens souhaitent faire. La deuxième raison, c'est que, lorsque nous procédons ainsi, nous venons en fait renforcer le soutien de la population au gouvernement assiégé.
Les sanctions très larges et les embargos à grande échelle ne sont pas des outils efficaces en politique étrangère. Comme la plupart de nos alliés, nous avons commencé par imposer un ensemble de sanctions très étroit. Si les événements survenant à Donetsk, par exemple, empiraient au cours des 24 à 48 prochaines heures de façon alarmante, nous aurions d'abord la capacité d'allonger la liste des personnes sanctionnées. Nous pourrions par exemple inscrire le nom de nombreux chefs de société d'État sur une liste de sanctions ciblées. Il est raisonnable de s'attendre à ce que ces gens qui font beaucoup d'affaires à l'extérieur des frontières de la Russie et qui ont besoin d'une monnaie forte pour le faire seraient de plus en plus troublés par la politique étrangère de leur gouvernement.
Premièrement, nous pouvons élargir la portée de la liste. Deuxièmement, nous pouvons l'allonger. Ce sont toutes des possibilités que nous n'avons pas encore utilisées et qui s'offrent à nous. Il y a toute une série de mesures que nous pourrions prendre.
Je pense que le message que nous devrions transmettre au gouvernement russe, c'est que nous allons réagir à son comportement et que nous avons la capacité de le faire, pas seuls, évidemment, mais avec nos alliés, et surtout nos alliés américains et européens.
Par ailleurs, si la situation empire beaucoup, il y a une série de sanctions politiques possibles aussi. On a parlé de certaines d'entre elles. Nous n'en avons pas encore imposé. Il y a évidemment la question de l'appartenance au G7/G8. Il y a en fait des sanctions diplomatiques que nous pourrions imposer. Des sanctions de ce genre seraient imposées beaucoup plus tard.
Nous devrions poursuivre les démarches diplomatiques le plus longtemps possible, puisque notre objectif devrait être de communiquer le même message à répétition au gouvernement russe, par tous les moyens qui sont à notre disposition, c'est-à-dire que l'enjeu clé, pour nous, c'est le respect de l'intégrité du territoire et de la souveraineté de l'Ukraine, et que l'époque de l'histoire européenne où les frontières étaient modifiées unilatéralement ou par des moyens illégitimes est révolue.
J'ai deux ou trois questions à vous poser rapidement.
Il y en a une qui concerne le contact dont vous parlez. Je suis d'accord pour dire qu'il s'agit au fond d'une question d'équilibre. Il s'agit d'imposer les sanctions intelligentes — et je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de ce que nous avons appris et des raisons pour lesquelles nous devrions imposer ces sanctions comme vous l'avez proposé —, mais aussi de trouver les façons de maintenir le contact.
Renverriez-vous notre ambassadeur à Moscou pour maintenir le contact et pour nous faire entendre directement auprès du gouvernement russe?
Vous avez dit récemment que vous voulez éviter d'acculer un ours au mur, ce qui est une bonne métaphore. Qu'entendiez-vous par là?
Il y a aussi cet équilibre dont j'ai parlé entre, d'une part, un message très clair, une clarté absolue en ce qui concerne les transgressions inadmissibles, mais, d'autre part, cette forme de discussion dont nous avons besoin.
Vous avez tout à fait raison de dire que nous cherchons à en arriver à un équilibre délicat.
En ce qui a trait à votre première question, c'est-à-dire celle de savoir si le moment est venu de renvoyer notre ambassadeur à Moscou, nous voulons clairement le faire dans un contexte où nous récompenserons un comportement du gouvernement russe, où nous aurons constaté des progrès, une volonté à admettre qu'il faut trouver une solution politique au problème de la Crimée, et que nous voulons qu'il y ait un processus référendaire, un processus électoral véritablement ouvert et équitable et qui ne se déroule pas sous la menace des armes. D'après ce que j'ai entendu dans les actualités hier soir et ce matin, je ne pense pas que le moment soit venu. En fait, les événements semblent aller dans l'autre sens.
S'il m'appartenait de prendre la décision, je ne renverrais probablement pas notre ambassadeur maintenant, parce que je crois que le message serait mal interprété.
Je crois cependant que l'on risque de provoquer l'ours, comme je l'ai déjà dit. Pour parler de cela, il faut interpréter les motifs de la Russie. Comme je le disais, certaines interprétations possibles sont très sombres, et parmi celles-ci, il y en a qui sont crédibles, franchement, et elles ont trait au groupe de gens qui sont les plus proches conseillers du président Poutine à l'heure actuelle. Bon nombre d'entre eux sont issus des services de sécurité, ont une expérience similaire et ne sont pas particulièrement ouverts à l'Occident, et voilà ce qui est une source de préoccupations.
Il y a aussi un second thème — et nous essayons de composer avec les deux —, et c'est celui de l'humiliation qu'a subie la Russie lorsqu'elle a perdu l'Union soviétique. L'intervention de l'ONU en Libye est venue aggraver les choses, car le gouvernement estime, à raison ou à tort, avoir été trompé, et il y a à cet égard un malaise profond, malgré tous les efforts qui ont été déployés pour rassurer les Russes, dont l'extension de l'OTAN presque jusqu'aux frontières de la Russie.
Ces deux explications ne sont pas mutuellement exclusives; en réalité, les deux peuvent être vraies.
À mes yeux, une bonne stratégie permettrait d'accomplir deux choses. D'abord, elle viserait à éviter toute nouvelle humiliation de la Russie, parce que les gouvernements réagissent de façon très semblable aux gens: lorsqu'ils sont humiliés, ils réagissent violemment. Mais nous devons aussi envoyer un message très clair, un message ferme selon lequel la situation est inacceptable pour les Canadiens, peu importe leur allégeance, que le comportement de la Russie, peu importe ses motifs, est tout simplement inadmissible, et que ce pays peut défendre ses intérêts, en protégeant la population russophone de l'Ukraine par des moyens pacifiques.
Merci, madame Stein de vous être jointe à nous aujourd'hui.
Je suis content que vous ayez commencé à parler un peu des motifs. J'allais vous demander quel serait le motif bénin justifiant ce qui revient essentiellement au chambardement d'un pays, à son annexion, à son invasion et au recours au parlement du pays envahisseur pour déclarer que le territoire en fait maintenant partie. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de motifs bénins. Nous pourrions parler un peu de la protection de la langue russe là-bas, mais je ne pense pas que quiconque ici présent laisse entendre que celle-ci justifie des actes du genre de ceux que la Russie a posés.
Je ne sais pas si vous avez quelque chose à dire là-dessus.
L'autre question que j'allais vous poser, c'est si nous devrions agir différemment selon que les motifs sont bénins ou qu'ils sont beaucoup plus agressifs que cela.
Permettez-moi de préciser qu'absolument rien ne justifie les actes que la Russie a posés à l'endroit de l'Ukraine. Je pense qu'il faut que ce constat soit le point de départ de toute stratégie que nous mettrons au point avec nos alliés. Le comportement du gouvernement russe à l'endroit de la Crimée et de l'Ukraine en général est tout simplement inadmissible et illégitime. Nous le considérons comme étant illégitime et inadmissible, peu importe ce qui a motivé la décision. C'est pour cette raison que j'ai commencé par parler du comportement et non des motifs.
Est-il crédible, monsieur Anderson, qu'il y ait en réalité...? Dans le milieu universitaire, nous nous penchons sur ce genre de comportements, et nous parlons de motifs défensifs et de motifs offensifs. Et oui, c'est crédible. Je ne peux pas vous dire que c'est vrai, et cela ne justifie pas le comportement, mais c'est crédible.
Nous avons entendu le gouvernement de la Russie dire, surtout après l'opération en Libye, qu'il se sentait trompé, qu'il avait autorisé une opération qui est allée beaucoup plus loin que ce qui était autorisé, qu'il trouvait que les promesses faites n'avaient pas été tenues. C'est un thème qui revient constamment, et cela s'ajoute au fait qu'une proportion importante de l'élite russe se souvient avec nostalgie de l'Union soviétique et déplore son éclatement.
Ces courants sont présents en Russie; cela ne fait aucun doute. Encore une fois, ils ne justifient pas le comportement adopté, mais, une fois que nous avons compris qu'ils existent — ils se manifestent dans la presse, ils se manifestent chez les gens qui conseillent le président actuel de la Russie — je pense qu'il est important que nous évitions toute humiliation superflue lorsque nous imposerons des sanctions, si la Russie continue de se comporter ainsi. C'est ce que j'essaie de vous dire.
Il semble entre autres qu'il y ait une capacité d'humilier le peuple ukrainien ou un désir de le faire, et l'annexion d'une partie de son territoire s'inscrit assurément dans cette catégorie. Je comprends ce que vous dites, mais je ne voudrais pas non plus que, pour une raison ou pour une autre, nous pensions que le fait d'affronter l'agresseur revient à l'humilier.
Vous avez parlé tout à l'heure de la nécessité d'avoir la capacité de réagir rapidement. Vous avez parlé un peu, en réponse aux questions de M. Dewar, des choses qu'il serait possible de faire. Quelle forme prendrait une intervention rapide dans cette situation? Je pense qu'il y a eu une certaine frustration chez les gens ou chez les pays, qui auraient peut-être dû être un peu mieux préparés à régler ce problème. Pourriez-vous simplement me dire quelle forme une intervention rapide prendrait selon vous?
Permettez-moi de répéter que l'Ukraine est la victime dans cette situation, c'est-à-dire que ce sont les Ukrainiens qui en paient le prix, et que ce qui se passe en Ukraine est illégitime, mal, alarmant et constitue un précédent terrible pour l'Europe, alors que nous pensions que cette période de l'histoire européenne avait pris fin. Comme je l'ai dit, je crois que c'est indiscutable.
La coordination avec nos alliés... les sanctions ne fonctionnent que lorsqu'elles sont imposées de façon très concertée avec d'autres. Aucun pays, même s'il est beaucoup plus puissant que le nôtre, ne peut produire un effet en imposant des sanctions s'il agit seul. Le grand défi, c'est de définir avec les États-Unis et l'Union européenne une série de sanctions dont la portée et l'ampleur s'accroîtront si les événements deviennent encore plus inadmissibles qu'ils ne l'ont été jusqu'à maintenant.
Franchement, je crois que, s'il y avait un quelconque mouvement russe dans l'est ou dans le sud de l'Ukraine, un référendum organisé en deux semaines, encore une fois sous prétexte de protéger les Russes, ce serait un événement alarmant de ce genre, un problème si clair que l'OTAN, les États-Unis et l'Union européenne trouveraient probablement plus facilement une façon de collaborer que jusqu'à maintenant, malheureusement.
Il y a cependant des différences au sein de l'Union européenne, comme vous le savez bien, et c'est surtout l'Allemagne qui est importante dans ce cas-ci. L'Allemagne est un important partenaire commercial de la Russie: elle importe du gaz, et elle exporte de la machinerie lourde vers la Russie. Ces deux pays entretiennent des liens profonds sur le plan économique. C'est la chancelière Merkel qui a fait preuve de retenue après la première série de sanctions. Elle est en communication constante avec le président Poutine. Mais, jusqu'ici, franchement, ses efforts visant à convaincre les alliés de faire preuve de retenue à l'égard du gouvernement russe, de trouver une solution diplomatique, n'ont pas été efficaces. Le gouvernement critique devra donc collaborer avec celui d'Angela Merkel.
Selon vous, à quel moment les pays vont-ils se rallier malgré leurs intérêts divergents? Est-ce qu'il faudra attendre que la Russie s'approprie d'autres territoires qui appartiennent à l'Ukraine puisqu'elle essaie clairement de provoquer des bouleversements dans l'est du pays à l'heure actuelle, surtout la fin de semaine. À quel moment l'Occident, l'OTAN et l'Union européenne se rallieront-ils? Croyez-vous qu'ils vont le faire?
Madame Stein, veuillez répondre rapidement, parce que le temps est écoulé, mais je veux que vous répondiez à la question.
Je pense assurément qu'il y a une préoccupation grandissante en Europe et à Washington, et que je suis sûre que nos diplomates collaborent en ce moment très activement avec ces gouvernements, dans le but d'être prêts à imposer des sanctions de plus grande portée et de plus grande ampleur que celles qui ont été imposées jusqu'à maintenant, et ce, rapidement, si l'une ou l'autre des choses dont nous avons parlé se produit. Et s'ils ne sont pas en train de le faire, ils devraient certainement l'être.
Merci.
Merci, monsieur Anderson.
Nous allons passer à M. Garneau pour les sept prochaines minutes s'il vous plaît.
Bonjour, madame Stein. Je m'appelle Marc Garneau, et je suis député du Parti libéral.
Je comprends ce que vous dites au sujet de la Libye. Je crois que les Russes se sont sentis trompés, et je pense que cela a assurément influencé la position qu'ils ont adoptée à l'égard de la Syrie. Je ne suis pas tout à fait sûr que cela s'applique aussi à l'Ukraine, mais ce qu'il importe évidemment de découvrir, comme vous l'avez dit, c'est ce qui les a motivés à faire ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée que cela puisse être attribuable en partie à l'aspiration de M. Poutine d'accroître la sphère d'influence de la Russie, et que, dans un sens, il envisage l'Ukraine comme une épreuve dans laquelle il doit se montrer fort aux yeux des autres pays qui l'intéressent, comme la Moldavie et le Bélarus ainsi que d'autres pays adjacents.
Merci beaucoup de la question, monsieur Garneau.
C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre, comme je le disais. Permettez-moi de dire encore une fois que nous n'avons aucune preuve. Les preuves comptent, et nous n'en avons pas.
Permettez-moi simplement de dire qu'il y a une interprétation sombre qui est possible, puis une autre qui est encore plus sombre. Celle que vous venez de proposer est sombre, en ce sens qu'elle suppose que le président Poutine n'a jamais accepté la perte de l'Ukraine et du Bélarus subie par la grande sphère d'influence russe et qu'il saisit l'occasion qui se présente pour réaffirmer l'influence russe, pour accroître la zone économique, et surtout, pour empêcher l'Ukraine de se joindre à l'Union européenne ou de s'y affilier, et qu'il a saisi cette occasion lorsqu'elle s'est présentée clairement.
Une version encore plus sombre que celle que vous venez de proposer, c'est celle qui concerne les gens qu'on appelle les eurasianistes, qui prennent de plus en plus de place dans les médias russes — et si vous prenez de la place dans les médias russes à l'heure actuelle, c'est que le gouvernement vous permet de le faire. Il existe un groupe qui avance que la Russie doit réaffirmer et rétablir ses frontières. Selon ces gens, la Russie doit tourner le dos à l'Occident, au modèle occidental de gouvernement démocratique et de respect des droits de la personne, car il s'agit là de stratégies servant de sphères dont l'utilité est de miner le gouvernement russe et d'affaiblir encore davantage la Russie. Ce sont des choses que nous entendons dire. Il ne fait aucun doute que des choses de ce genre se disent en Russie.
La grande question est la suivante: quelle est l'influence de ces gens, dans quelle mesure ont-ils accès au président, et est-ce vraiment la stratégie qu'il a adoptée?
Quant à nous, au Canada, je crois que nous devons continuer de nous concentrer sur ce que la Russie fait, plutôt que sur les raisons pour lesquelles elle le fait. Nous devons ne laisser aucun doute à la Russie lorsque nous démontrons notre résolution et insistons sur le fait que cette modification unilatérale des frontières de la Russie est inacceptable, que tout autre démembrement de l'Ukraine, du sud et de l'est de l'Ukraine, entraînera une nouvelle série de sanctions de portée et d'ampleur beaucoup plus grande que les premières, et que tous les partis du Canada sont d'accord là-dessus.
Merci.
Vu ce qui s'est passé à Donetsk, et, dans une moindre mesure, à Louhansk et à Kharkiv au cours des 24 dernières heures, dans quelle mesure croyez-vous que ce soit le fait de gens d'origine russe vivant dans l'est de l'Ukraine qui, encouragés peut-être par ce qui s'est passé en Crimée, expriment leur désir de se joindre à la Russie eux aussi, et dans quelle mesure croyez-vous que la Russie alimente ce sentiment?
Une chose que nous savons, par exemple pour avoir étudié l'histoire récente même de la Yougoslavie, dans les années 1990, c'est que ce sont parfois ses amis qu'on a le plus de difficulté à contrôler. Il n'est donc pas inconcevable que les gens dont vous parlez qui vivent dans l'est de l'Ukraine voient une occasion, comprennent qu'ils peuvent créer une déstabilisation et créer la possibilité que la pression à l'intérieur de la Russie sur le président Poutine exercée par certains des groupes dont j'ai parlé s'accroîtra et qu'ils [Note de la rédaction: inaudible]. Vous savez, il est possible de contraindre un gouvernement de cette façon, et c'est quelque chose que nous avons déjà vu. C'est assurément ce qui s'est passé dans la partie serbe de la Bosnie relativement au gouvernement de la Serbie, et donc ce que vous décrivez est déjà arrivé.
Je pense que dans ce cas-ci, cependant, il s'agit d'une action concertée qui commence par l'intervention des Russes. Quelque 150 personnes réclament actuellement un référendum à Donetsk, et ce qu'il faut vraiment que nous fassions... Encore une fois, le message qu'Angela Merkel doit transmettre et que nous devons tous livrer, c'est que tout référendum de ce genre est inadmissible; ces référendums ne sont pas légitimes, le processus n'est pas équitable, les référendums sont tenus dans l'insécurité, et nous en rejetterions clairement les résultats. Je crois sincèrement que nous pouvons affirmer cela sans attendre. Je pense que c'est ce que les gouvernements des pays occidentaux disent.
Pour ce qui est des sanctions économiques, croyez-vous que, si le besoin se fait sentir, l'Union européenne et l'Allemagne en particulier devront se résoudre à imposer des sanctions plus strictes?
Je l'espère. Je comprends qu'Angela Merkel fait face à certains dilemmes. Je sais que notre premier ministre a discuté de cela avec elle. Elle aura un rôle vraiment crucial à jouer à la prochaine étape. Je pense qu'elle est sous le choc, en raison des événements survenus. Je pense sincèrement que quiconque a regardé les actualités au cours des 24 dernières heures doit s'inquiéter de ce qui pourrait se produire au cours des 48 à 72 prochaines heures. Malheureusement, plus la situation deviendra alarmante, plus il est probable que l'Union européenne fasse front.
Une chose qui est bien malheureuse, dans la vie, c'est que l'Union européenne est composée de 27 gouvernements et qu'il lui faut du temps pour se coordonner. Cela peut être plus que frustrant dans un contexte où les choses évoluent rapidement.
Merci.
Merci, monsieur Garneau.
Nous allons commencer le second tour de questions, et je pense que nous avons assez de temps pour faire un tour complet.
Nous allons commencer par Mme Brown. Vous avez cinq minutes.
Merci, madame Stein, de nous faire part de vos idées sur le sujet.
Pour donner suite à la question que M. Garneau vous a posée, vous avez parlé un peu des sanctions politiques, du G7, du G8. Je sais que nous devrions éviter de provoquer l'ours, comme vous le disiez, mais y a-t-il un point que nous ne pourrons pas franchir?
Je n'ai pas beaucoup de temps pour poser des questions, mais j'ai quand même une deuxième question à vous poser.
Ces derniers temps, le Canada envoie des observateurs lorsque des élections sont tenues à l'étranger. À la dernière élection tenue en Ukraine, nous avons envoyé 500 observateurs. Je me demande si vous pourriez nous parler un peu des préparatifs que nous faisons. Je ne sais pas combien d'observateurs nous allons envoyer cette fois-ci, mais je suis sûr que ce sera un bon contingent. Au fond, ma question est la suivante: comment préparons-nous ces observateurs à accomplir leur tâche? La situation là-bas est si complexe maintenant que c'est peut-être devenu une question de qualité plutôt que de quantité. Y a-t-il des choses que nous devrions faire pour préparer les observateurs en vue de l'élection de mai?
Il y a deux questions. Y a-t-il un point que nous allons refuser de franchir? Je pense que ce point sera atteint si la Russie autorise la tenue de référendums dans les régions de l'est ou du sud de l'Ukraine portant sur la séparation d'avec l'Ukraine et l'intégration à la Russie.
Autrement dit, si un référendum du même genre que celui qui a été tenu en Crimée devait être tenu ailleurs en Ukraine, nous dirions à la Russie que c'est assez. Nous prendrions des mesures beaucoup plus sévères relativement au G7 et au G8, par exemple. Comme vous le savez, pour l'instant, la Russie est suspendue, mais pas exclue. Encore une fois, je suis en faveur d'une stratégie nous permettant de procéder étape par étape.
En ce qui concerne la formation de nos observateurs d'élections, ceux-ci sont très qualifiés. Ils reçoivent une formation donnée par Élections Canada. Notre rendement a été excellent jusqu'à maintenant, et je suis sûre que nous allons envoyer un [Note de la rédaction: difficultés techniques].
J'ai l'impression que nous avons été déconnectés.
Comme je le disais, en ce qui concerne les observateurs d'élections, ils sont formés par Élections Canada. Il y a une grande communauté de gens qui parlent l'ukrainien et qui vont jouer le rôle d'observateur. Je pense que nous allons envoyer là-bas une équipe des plus compétente. Je n'ai absolument pas d'inquiétude quant à la qualité des observateurs que nous allons envoyer en Ukraine.
Merci encore, madame Stein.
J'aimerais reparler des sanctions. L'une des questions qu'il est important de soulever, simplement pour connaître votre point de vue, c'est que, si nous imposons des sanctions, comme nous en convenons tous, elles doivent être ciblées. Elles doivent être orientées. Elles doivent être intelligentes, comme vous le disiez, mais il faut aussi qu'elles soient assorties d'objectifs. Si on ne précise pas quels sont les objectifs des sanctions, cela devient une grande source de confusion, non seulement pour soi, mais aussi pour les gens auprès desquels on essaie d'intervenir.
Selon vous, quels devraient être nos objectifs en matière de sanction? Devrait-il s'agir de faire sortir les Russes de Crimée? Devrions-nous les inciter à négocier? Quel est le meilleur message à envoyer selon vous, dans le contexte où, en toute franchise, le message est peut-être un peu en train de se perdre vu l'ampleur des événements? Je ne critique personne, mais il y a des gens qui veulent savoir quels sont les objectifs des sanctions. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.
C'est une excellente question.
Si nous revenons en arrière pendant un instant, le gouvernement ukrainien est en droit de se sentir profondément trahi, puisque, lorsqu'il a accepté de ne plus avoir d'armes nucléaires — pour remettre les choses dans le contexte général des enjeux de sécurité mondiaux —, la Russie, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont garanti son intégrité dans le Mémorandum de Budapest de 1994.
La raison pour laquelle je vous en parle, monsieur Dewar, c'est qu'il est très important que nous comprenions tous l'incidence de la chose lorsque nous demandons à d'autres puissances de ne pas se doter d'armes nucléaires. À de nombreux égards, c'est une affaire qui est évidemment importante pour les Ukrainiens, mais dont l'importance dépasse largement les frontières de l'Ukraine, étant donné les garanties internationales qu'elle a reçues. Cela joue ensuite sur mon opinion concernant les objectifs adéquats des sanctions.
Je pense que le premier objectif est d'amener la Russie à négocier et à entreprendre des démarches diplomatiques auprès du gouvernement ukrainien, avec l'aide d'autres intervenants, afin qu'ils en arrivent à une entente concernant un processus politique équitable et adéquat pour recueillir l'opinion des Criméens, selon lesquels le processus que nous avons vu se dérouler était inacceptable. À mes yeux, c'est un objectif important, puisque, dans un sens, nous avons donné notre parole au gouvernement ukrainien. Nous ne pouvons tout simplement pas changer d'avis et légitimer le démembrement de quelque partie de la Crimée que ce soit, en l'absence d'un processus politique équitable. Pour moi, il s'agit d'un objectif fondamental.
Évidemment, les événements des 24 dernières heures sont alarmants. À cet égard, nous pouvons encore une fois envoyer un message clair selon lequel tout nouveau référendum truqué ailleurs en Ukraine ferait déraper la situation au-delà du point de non-retour. Plus nous affirmons cela clairement au cours des 48 heures qui viennent — non seulement nous, mais les États-Unis et les dirigeants de l'Union européenne —, plus nous serons susceptibles de contrer un comportement qui pousserait les gens au-delà du point de non-retour.
Merci.
Nous venons de recevoir de l'information selon laquelle les diplomates ou les représentants de la Russie se voient refuser l'accès aux quartiers généraux de l'OTAN. Cette information vient d'être diffusée. Je le précise pour le compte rendu, pour que les gens en soient informés.
J'aimerais aborder la question de l'importance du rôle des observateurs de la période précédant les élections. Nous avons parlé ici de la présence d'observateurs d'élections, et le gouvernement a donné son soutien dans le passé et fourni des sommes importantes pour l'assurer. Croyez-vous qu'il soit avantageux et nécessaire d'envoyer des observateurs chargés d'examiner ce qui se passe avant les élections? Quel serait l'avantage, vu ce qui se passe en ce moment?
Chose certaine, si nous pouvions déployer des observateurs 10 jours ou deux semaines avant l'élection, ils pourraient se faire une meilleure idée de ce qui se passe sur le terrain. Les observateurs établissent un contact avec les gens avec qui ils doivent communiquer. Ce que je ne recommanderais pas, pour l'instant, vu l'incertitude qui règne dans le sud et dans l'est de l'Ukraine, ce serait que nous déployions du personnel civil dans un milieu qui est franchement explosif, où il ne serait en mesure d'assurer sa propre sécurité. Je crois que ce n'est pas quelque chose que le gouvernement du Canada devrait faire.
Je pense qu'il est important que nous ne placions pas nos Canadiens dans une situation où ils seraient vulnérables, car, si leur sécurité était compromise, le gouvernement du Canada se retrouverait dans une position extrêmement difficile, je crois.
Vous recommanderiez donc l'adoption d'une démarche multilatérale dans le cadre de laquelle nous conviendrions de la marche à suivre avec l'ensemble de nos partenaires?
Plus nous assurerons une bonne coordination avec nos alliés, plus notre intervention aura une grande incidence. Cela ne fait aucun doute.
Merci d'être venue témoigner, madame Stein.
D'après ce que j'ai appris au cours de mes nombreuses visites en Ukraine, il y a autour de 80 % d'Ukrainiens qui, dit-on, déclarent être assez religieux ou très religieux. Nous savons que l'une des grandes Églises de l'Ukraine est l'Église orthodoxe russe. Il y a un conseil oecuménique des Églises à Kiev au sein duquel sont représentées toutes les grandes Églises, juives, russes et toutes les autres. Ce conseil est présidé par une personne qui appartient à l'Église orthodoxe russe.
Vu le scénario qui se déroule et la situation actuelle, surtout dans la région de la frontière et de la Russie, et vu les bouleversements dans cette région, est-ce que les Églises auraient un rôle à jouer? Je me dis que, si le conseil des Églises — s'il a le pouvoir et l'influence nécessaires — pouvait publier une proclamation pour chacune des Églises, chacune des paroisses, à l'appui de l'idée d'inclusivité linguistique et culturelle... Je crois que cela pourrait avoir un effet apaisant. En outre, vu l'élection présidentielle qui s'en vient, si cela était fait, cela permettrait aux candidats... d'insister et d'être appuyés par la Rada peu importe qui remporte l'élection.
Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que les Églises puissent jouer un rôle si ce que j'ai dit pouvait être organisé?
Le rôle de tout groupe plurireligieux, pluriconfessionnel ou multilingue est tout à fait crucial dans des situations de ce genre. Ce qui se produit normalement dans ces conditions — et nous le voyons partout — c'est une polarisation qui fait que des collectivités capables de cohabiter en paix se scindent lorsque la sécurité est menacée et que les passions sont exaltées. Des voisins qui étaient auparavant capables d'aller à l'église ensemble se dévisagent tout à coup avec méfiance. Les divisions de type « nous » et « eux » s'approfondissent.
À Kiev, en ce moment, il est encore temps pour le conseil des Églises de faire preuve de courage et d'adopter une position claire. Ce serait quelque chose de très rassurant, surtout pour les gens qui se retrouvent dans une minorité. L'Ukraine compte des minorités dans diverses régions du pays, alors ce serait très rassurant, je crois si le conseil des Églises arrivait à trouver le moyen de donner l'exemple.
Les dirigeants des Églises d'ici, du Canada, ont-ils un rôle à jouer en communiquant avec leurs homologues ukrainiens pour les exhorter à poser un geste de ce genre? Oui, vraiment.
Nous voyons d'ordinaire les diverses Églises accompagner les candidats de leur choix aux élections, et les Églises font campagne là-bas. Nous savons que l'Église orthodoxe russe appuie surtout le bleu et blanc, et que les autres orthodoxes y appuient divers autres candidats aussi.
Donc si les Églises font campagne avec les candidats là-bas, je crois que, dans les paroisses, leur message visant à désamorcer la situation ou à prôner l'apaisement serait pris très au sérieux et serait rassurant dans les régions elles-mêmes.
Encore une fois, ce qui est important, c'est d'éviter que les dirigeants de l'Église orthodoxe russe ne fassent campagne que dans les quartiers russes, auprès des populations russes seulement, car, si cela se produit, le message sera exactement l'inverse de ce que vous venez de dire: il provoquera la division et fera correspondre Église, langue et groupe ethnique.
Ce qu'il faut préserver, c'est ce lieu d'échange plurireligieux et multilingue où tout le monde est le bienvenu, et où les dirigeants religieux de l'Ukraine communiquent le message selon lequel l'avenir de l'Ukraine est selon eux multilingue, plurireligieux et multiethnique. Voilà un message rassurant.
Merci.
Madame Stein, merci beaucoup d'avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd'hui. Nous vous remercions aussi d'avoir accepté de reporter votre témoignage de quelques semaines.
Merci beaucoup.
Vous êtes tous invités à venir visiter la Munk School à Toronto et à y passer du temps avec nos étudiants. Ceux-ci profitent toujours de leur rencontre avec des députés.
Merci de l'invitation.
Je vais suspendre la séance le temps de préparer les prochains témoignages. Nous allons reprendre dans cinq minutes environ.
Je souhaite de nouveau la bienvenue à tous.
Bienvenue à nos deux témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence depuis Washington.
Nous allons entendre le témoignage de M. David Kramer, président de Freedom House. Bienvenue, David. Nous sommes heureux que vous puissiez témoigner aujourd'hui.
Également par vidéoconférence depuis Washington, nous allons entendre le témoignage de M. Kurt Volker, directeur général du McCain Institute for International Leadership.
Bienvenue à vous également, monsieur.
Nous pourrions peut-être commencer par vous, Kurt. Nous allons commencer par écouter votre déclaration préliminaire. Ensuite, une fois que vous aurez tous les deux présenté votre déclaration, les députés vont vous poser des questions.
Monsieur Volker, nous vous cédons la parole. Vous avez 10 minutes.
Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître. C'est un honneur pour moi d'être ici.
Je veux vous expliquer en quelques points généraux comment, selon moi, nous devons aborder la situation en Ukraine et comment nous devons chercher des solutions en tant que communauté transatlantique et démocratique.
Premièrement — et j'avais l'intention de vous dire cela avant d'avoir appris la nouvelle ce matin, mais cela rend mon affirmation encore plus pertinente —, il est très clair que la crise en Ukraine et en Europe de l'Est n'est pas terminée.
Au cours de la dernière semaine, on a eu tendance à se dire: « Bon, nous avons perdu la Crimée; mais voilà, c'est ainsi, et il y aura maintenant un retour au calme. » À mon avis, c'est plutôt le contraire qui va se produire.
Je pense que le président Poutine en Russie a mis beaucoup d'outils sur la table à l'heure actuelle. Il a eu recours à l'armée. Il a déployé ses forces d'opérations spéciales afin qu'elles attisent des manifestations. Il s'est immiscé en Transnistrie dans l'Est de l'Ukraine, en Crimée — bien entendu —, en Ossétie du Sud en Géorgie, et même dans une manifestation pro-Russie à Tblissi, ce qui aurait été inconcevable il y a un an. Il a mis beaucoup de jetons sur la table, et je ne pense pas qu'il les retirera très facilement, surtout s'il estime qu'il ne risque rien en exerçant de telles pressions. Cette crise que nous sommes en train d'analyser n'est pas une chose du passé: elle continue à se développer devant nos yeux.
Deuxièmement, l'approche que nous avons adoptée en tant que communauté occidentale — par l'intermédiaire du G7, des États-Unis, de l'Union européenne — a été d'imposer des sanctions de plus en plus strictes ou des interdictions de voyager en réaction aux actes de la Russie. Jusqu'ici, le niveau de sanctions ou de douleur que nous avons été disposés à infliger à la Russie n'a pas été proportionnel aux gestes qu'elle a posés et est loin d'avoir un pouvoir dissuasif suffisant.
D'ailleurs, je pense qu'il serait judicieux de faire exactement l'inverse, c'est-à-dire d'imposer immédiatement des interdictions de voyage et de lourdes sanctions — y compris aux entreprises, aux divers secteurs d'activité et aux compagnies énergétiques — avant que la Russie aille plus loin, afin de convaincre ce pays et le président Poutine de négocier pour mettre fin à ces sanctions et à ces pénalités au lieu de se dire: « Il n'y a rien qui m'empêche d'agir ainsi actuellement. Je vais aller un peu plus loin; voyons ce qui va se passer. » Il peut toujours faire marche arrière à l'égard de sa dernière mesure, quoique nous lui avons laissé chaque centimètre de terrain qu'il a pris jusqu'ici.
Troisièmement, il ne s'agit pas seulement de l'Ukraine. Il s'agit de l'ordre européen que nous avons contribué à façonner ensemble après la chute du mur de Berlin. Il y a déjà des tensions qui se font jour dans la région du Caucase, dans les pays baltes, en Ukraine — évidemment —, en Moldavie et même dans les Balkans. Tous les efforts que nous avons déployés pour défendre la liberté, la démocratie, l'économie de marché, la primauté du droit et les droits de la personne dans une zone sécurisée pour une communauté transatlantique élargie sont actuellement mis à l'épreuve afin de vérifier à quel point nous sommes résolus à réaliser cette vision — et Poutine se dit maintenant que nous n'y sommes pas résolus — ou même à préserver nos réalisations. Je pense que nous devons être très conscients de cela.
Quatrièmement, nous ne devrions pas écarter une intervention militaire. Poutine a déjà mobilisé et utilisé son armée. Il l'a utilisée pour acquérir des terres, et l'absence de toute résistance a fait en sorte que cela s'est fait relativement en douceur: un seul soldat ukrainien a été tué aujourd'hui, et je pense qu'un autre a été blessé plus tôt, mais il n'y a eu aucune résistance militaire concrète.
Tant que le président Poutine ne se butera pas à une opposition militaire ou qu'il n'aura pas l'impression qu'il y en aura une, il verra un déséquilibre dans les forces en présence: d'un côté, il y a les sanctions économiques ou les interdictions de voyager que nous sommes peut-être prêts à imposer, qu'il verra comme des mesures temporaires et négociables qui finiront par être levées; et de l'autre, il y a l'ajout concret et permanent de terres dans l'empire russe qui apporteront des avantages à long terme à la Russie. Poutine est prêt à risquer l'imposition de sanctions temporaires pour faire des gains à long terme. Nous devons l'inciter à penser qu'en fait, il y aura peut-être une opposition militaire à un moment donné.
En ce qui concerne la question militaire, je la séparerais en deux catégories: la défense et la dissuasion.
Au chapitre de la défense, nous devons être d'une fermeté absolue. Aucun empiètement sur le territoire d'un membre de l'OTAN ne sera toléré, et nous devrions mettre en œuvre tous les mécanismes dont dispose l'OTAN à l'heure actuelle pour faire savoir clairement que nous protégerons ce territoire et ce pays.
Nous avons déjà pris certaines mesures en ce sens. Je veux souligner les efforts déployés par l'OTAN jusqu'ici, mais nous devons aller plus loin.
Nous devons achever tous les plans d'urgence pour la défense de chaque État membre de l'OTAN, car nous ne l'avons pas encore fait. Nous devons accroître la défense aérienne dans la région attenante à la Russie, surtout dans les pays baltes. Nous avons réalisé des progrès pour ce qui est de surveiller le trafic aérien dans ces pays, mais nous devons aussi avoir une défense aérienne basée au sol.
Nous devons mener des manœuvres avec les pays attenants aux territoires de l'Ukraine et de la Russie, en particulier avec la Pologne et la Roumanie. Ces manœuvres doivent inclure des forces terrestres prêtes à être déployées, si c'est ce que nous décidons, afin que Poutine sache que nous sommes capables d'intervenir là-bas, car, en ce moment, il doute que nous ayons la capacité et la volonté de le faire.
Nous devons imposer un embargo sur les armes à la Russie. Nous devons aussi faire tout en notre pouvoir pour appuyer le ministère de la Défense de l'Ukraine et les forces armées ukrainiennes, par exemple en leur communiquant des renseignements, en prodiguant des conseils au ministre de la Défense, en leur fournissant de l'équipement — peut-être même sur la base de garanties de prêt —, afin d'accroître les répercussions éventuelles que la Russie sentirait si elle faisait une incursion militaire en Ukraine et de semer le doute en ce qui a trait à la façon dont l'Occident réagirait en pareille situation.
Il y a une longue liste de mesures qui pourraient être prises dès aujourd'hui; certaines ne sont pas militaires — comme les sanctions —, d'autres le sont. À ce stade, je pense que le président Poutine estime qu'il ne s'expose à aucune conséquence ni opposition réelles et que la plupart des mesures que je viens de décrire ne seront pas mises en œuvre. Tant qu'il en sera ainsi, je crois qu'il y aura un grand risque que Poutine, après avoir mis toutes ces pièces sur la table, décide de les utiliser pour voir jusqu'où il peut aller avant d'être vraiment obligé de battre en retraite. Je pense que, jusqu'ici, il s'est dit qu'il pourrait aller très, très loin.
Je vais m'arrêter là. Je serais ravi de répondre à vos questions.
Merci beaucoup, monsieur Volker.
La parole va maintenant à David Kramer, de la Freedom House.
La parole est à vous, monsieur Kramer.
Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un honneur pour moi de comparaître devant le comité. Je veux féliciter le gouvernement canadien pour les gestes qu'il a posés en réaction à la crise en Ukraine impliquant la Russie et je vous remercie de m'avoir invité à comparaître. Nous l'apprécions beaucoup.
Cette menace à la communauté démocratique internationale, selon moi, est la pire depuis la fin de la Guerre froide, et il faudrait peut-être même remonter à la crise des missiles de Cuba pour en trouver une aussi grave que celle qui pèse sur elle actuellement avec la Russie de Poutine et l'invasion et l'annexion de la Crimée. Maintenant, il y a des tensions non seulement dans les régions orientales de l'Ukraine, mais aussi à l'extérieur des frontières de ce pays: il y a celles dont Kurt a parlé en Moldavie et en Transnistrie; il y a les problèmes que la Russie est capable de causer en Lettonie avec la population d'origine russe qui vit là-bas, et il en est de même en Estonie. Les deux derniers pays que j'ai mentionnés sont membres de l'OTAN, alors l'article 5 serait invoqué si la situation empirait.
Tout comme Kurt, je suis d'avis que Poutine n'a pas été suffisamment dissuadé jusqu'ici de mettre fin au genre de politiques et d'actions qu'il a menées. Je dirais aussi que c'est maintenant une erreur de la part de l'Occident de s'abstenir d'imposer à la Russie d'autres sanctions qui seraient levées seulement si les troupes russes cessaient leur mouvement dans les régions frontalières de l'Est et du Sud de l'Ukraine.
Le but devrait être d'empêcher en amont toute possibilité que Poutine envoie des troupes encore plus loin de l'autre côté de la frontière ukrainienne et non pas de réagir à une telle éventualité. Donc, à mon avis, l'Occident devrait adopter dès que possible ce qu'on appelle des « sanctions de niveau trois » qui, entre autres, viseraient des proches de Poutine. Cela inclurait des entreprises d'État, des banques russes. Il faut commencer par s'en prendre à l'économie russe elle-même. Il m'apparaît improbable que des sanctions de portée moindre attirent l'attention de M. Poutine.
Si vous le voulez bien, je vais vous faire part de certaines de mes réflexions au sujet de la Russie de Poutine, car je pense que c'est d'un intérêt crucial pour cette étude et pour ce qui est de savoir, d'une part, comment réagir à la menace posée par ce pays à l'heure actuelle et, d'autre part, comment nous devrions aider l'Ukraine. Je vais essayer de faire des observations complémentaires à celles de Kurt, car je suis d'accord avec pratiquement tout ce qu'il a dit.
À mon sens, Vladimir Poutine dirige un régime autoritaire fortement corrompu et présente une combinaison paradoxale, voire dangereuse, de paranoïa et d'insécurité en plus d'être arrogant, sûr de lui et plein de confiance en soi. Nous avons vu cette paranoïa se manifester après les révolutions de couleur qui ont eu lieu d'abord en Géorgie en 2003, puis en Ukraine en 2004.
Ensuite, si on se penche sur les événements survenus dans le monde arabe en 2011, on constate qu'encore une fois, Poutine a été plutôt effrayé par ces mouvements populaires qui demandaient et exigeaient une meilleure gouvernance et plus de transparence, de primauté du droit, de dignité et de respect des droits de la personne, autant de notions étrangères au régime gouvernemental mis en place par Poutine en Russie.
Si on revient sur la période de novembre 2013 à aujourd'hui, on voit que ce qui s'est produit en Ukraine constitue une autre menace pour Poutine. En effet, en plus de frustrer ses efforts et ses désirs de créer une union économique eurasienne, l'Ukraine pourrait servir d'exemple pour les peuples slaves qui exigent un gouvernement plus responsable et plus transparent fondé sur la primauté du droit. C'est une menace non seulement pour le genre de gouvernement que Poutine voudrait voir à Kiev, mais aussi pour la Russie elle-même, dans l'éventualité où la population russe déciderait de suivre l'exemple ukrainien et d'exiger les mêmes choses de son gouvernement.
Paradoxalement, Poutine a justifié ses actions en Crimée en disant qu'il voulait se porter à la défense des populations russophones là-bas. En réalité, Poutine ne se montre ni intéressé ni préoccupé par le bien-être des Russes qui vivent en Russie, alors il ne fait qu'utiliser ce prétexte à des fins politiques pour y envoyer des troupes. N'oublions pas que Poutine voit le monde de façon très tranchée: ce qui est bon pour l'Ukraine ou pour l'Occident doit nécessairement être mauvais pour la Russie et pour lui. Il essaie d'entraver les efforts d'occidentalisation et de démocratisation de l'Ukraine, de la Géorgie, de la Moldavie et d'autres pays parce qu'il perçoit ces tendances et ces mouvements comme une menace pour ce qu'il essaie d'instaurer en Russie.
À mon avis, sa politique étrangère est, à de nombreux égards, le prolongement de ses politiques intérieures.
Essentiellement, il essaie de justifier sa façon de gouverner la Russie en perpétuant l'idée absurde que l'Occident — tout particulièrement les États-Unis — représente une menace pour ce pays.
Voyons les choses en face: les frontières de la Russie sont des plus stables et des plus sécuritaires, car elles sont partagées avec la Lituanie, l'Estonie, la Lettonie et la Pologne, tous des pays membres de l'OTAN et de l'UE. Par conséquent, l'élargissement de l'OTAN ne représente en réalité aucune menace concrète pour la Russie, même si Poutine aime faire croire le contraire.
N'oublions pas non plus ceci: même si j'ai beaucoup parlé de Poutine, il faut aussi attribuer une grande part du blâme à Viktor Ianoukovitch pour ce qui est arrivé en Ukraine.
J'étais là-bas lors des élections de janvier et de février 2010. Il a été élu démocratiquement, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il est investi d'une légitimité permanente. Je dirais qu'au cours des mois et des années qui ont suivi son élection, il a perdu cette légitimité en poussant la corruption un degré bien plus élevé que ce que nous avons vu en Ukraine par le passé, en bafouant la constitution et — surtout — en ayant eu recours à la force pour contrer des manifestants pacifiques, d'abord le 30 novembre et le 1er décembre derniers, sans parler — bien entendu — de la mort de près d'une centaine de personnes en février.
Comment les pays occidentaux devraient-ils réagir? Selon moi, il est bien que l'Occident ait imposé des sanctions assez rapidement. L'augmentation des sanctions a été très utile. Cependant, je suis d'accord avec Kurt: nous ne pouvons pas nous contenter de réagir; nous devons être proactifs et essayer d'empêcher Poutine d'agir de façon agressive et confiante. C'est pourquoi je pense qu'il est important de prendre tout de suite d'autres sanctions au lieu de simplement attendre que les forces russes dépassent les bornes en pénétrant dans le territoire ukrainien.
Je dirais que l'économie russe est vulnérable à des sanctions sévères. Nous avons vu la valeur du rouble chuter et le marché boursier s'effondrer, et nous avons vu aussi la fuite des capitaux atteindre un niveau bien supérieur à celui de l'an dernier, avec un montant perdu estimé à quelque 70 milliards de dollars. La Russie est bien plus intégrée qu'auparavant aux économies mondiale et occidentale, et elle est donc plus vulnérable et exposée à des mesures sévères prises par l'Occident.
Je félicite le Canada, les États-Unis et l'UE pour ce qu'ils ont fait, mais ils doivent en faire beaucoup plus, et ce, dès maintenant.
Enfin, il y a évidemment la question de l'aide accordée à l'Ukraine. Outre les mesures dont Kurt a parlé, je dirais qu'il y a quelques éléments sur lesquels nous devons nous concentrer.
Tout d'abord, nous devrions continuer de refuser de reconnaître l'annexion par la Russie de la Crimée. Nous ne devrions pas simplement l'accepter comme un fait accompli et nous dire que nous ne pouvons rien faire à cet égard. Nous avons vivement réagi à l'absorption des pays baltes par la Russie dans les années 1940, et cette intervention s'est avérée judicieuse. Nous ne devrions pas simplement abandonner la Crimée et dire que tout est perdu.
Nous devons agir le plus rapidement possible et engager des fonds pour améliorer la piètre situation économique de l'Ukraine. Je me réjouis de constater la progression rapide des négociations entre le FMI et l'Ukraine ainsi que l'aide dispensée par les gouvernements occidentaux.
J'ajouterais qu'il est tout aussi important d'aider l'Ukraine à recouvrer les biens volés et emportés à l'extérieur du pays par Ianoukovitch et son cercle de relations, dont la valeur estimée se chiffre à des dizaines de milliards de dollars.
Il faut également aider l'Ukraine à réaliser ses réformes énergétiques. L'Occident doit aussi réexaminer sa dépendance énergétique à l'égard de la Russie: je crois qu'on exagère son importance et qu'on pourrait changer la situation assez rapidement.
Nous devrions veiller au bien-être des Tartares de Crimée et des Ukrainiens de souche dans cette région. Essentiellement, près de 800 000 personnes là-bas sont privées de leurs droits à cause de l'annexion par la Russie de la Crimée, et je pense que nous devrions continuer à nous soucier de leur bien-être.
Nous devrions insister pour que les élections présidentielles en Ukraine aient lieu le 25 mai. Certaines forces politiques, de même que la Russie, tentent de retarder les élections afin que la Russie puisse affirmer que le gouvernement en Ukraine est encore — à ce qu'elle croit — illégitime. La date visée pour les élections est le 25 mai, et elles devraient avoir lieu ce jour-là. Nous devrions continuer à faire tout notre possible pour aider l'Ukraine à tenir des élections libres et équitables pour qu'un président légitimement élu puisse diriger ce pays dans l'avenir.
Nous devrions également travailler avec les médias indépendants de l'Ukraine et les groupes de la société civile, qui ont vraiment joué un rôle fondamental dans les événements des derniers mois et, même, des dernières années. À mon avis, quand tout espoir semblait perdu, la société civile ukrainienne s'est mobilisée et a montré qu'il y a une force très puissante là-bas.
Enfin, je dirais que nous devons faire tout en notre pouvoir pour favoriser la création d'institutions réellement démocratiques en Ukraine afin que ce pays ne laisse pas passer une autre occasion d'améliorer son sort. Nous avons vu cela après la révolution orange de 2004, quand les forces orange ont gaspillé une occasion de vraiment solidifier l'Ukraine en lui donnant une orientation plus démocratique et occidentale. Nous devons faire tout notre possible pour nous assurer que les Ukrainiens ne manqueront pas une autre occasion de cette nature.
En conclusion, monsieur le président, il m'apparaît remarquable qu'autant d'Ukrainiens manifestent dans les rues de Kiev et ailleurs au pays pour revendiquer la démocratie, la dignité, la primauté du droit, le respect des droits de la personne et l'adoption d'une orientation occidentale, sans rompre les liens solides entre ce pays et la Russie. Un très grand nombre d'Ukrainiens ont décidé de manifester de nouveau — et malgré des conditions météorologiques très difficiles — après l'avoir fait il y a près de 10 ans. Je suis impressionné par le fait qu'ils persévèrent et qu'ils continuent à exiger cela pour leur pays. Et il incombe donc à tous les pays de l'Occident de les aider le plus possible.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur Kramer.
Nous allons commencer les questions, et c'est M. Dewar qui partira le bal, pour sept minutes, s'il vous plaît.
Merci à nos deux invités.
Je vais commencer par vous poser une question à tous les deux. J'ai demandé à un autre témoin aujourd'hui quels objectifs visent les sanctions. Comme vous le savez, nous avons tous appuyé des sanctions — le Canada, les États-Unis et l'UE —, et nous voulons qu'elles soient judicieuses et ciblées, mais, à mon avis, il faut surtout se demander à quelle fin. À votre avis, que devraient viser les sanctions? L'objectif est-il le retrait immédiat de la Crimée? Vise-t-on à amener les Russes à la table de négociation? Selon vous, quel devrait être le message clair relativement aux sanctions et à ce que nous cherchons à accomplir grâce à elles? Parfois, le message se perd.
Je vais commencer par M. Kramer, puis M. Volker.
Monsieur, je crois que les sanctions doivent être à la fois punitives et préventives: punitives pour les mesures qu'ont déjà pris Poutine et la Russie, comme l'intervention en Crimée et son annexion, mais aussi préventives, afin d'éviter une autre agression russe, d'autres ingérences et d'autres efforts pour déstabiliser la situation en Ukraine. Je ferais valoir que ces deux aspects doivent faire partie de l'objectif. Le retour au statu quo, bien que cela semble aujourd'hui difficile et presque impossible, doit demeurer notre objectif, à mon avis.
Enfin, je dirais que l'aspect psychologique des sanctions est tout aussi important que les autres. J'ai travaillé au département d'État, avec Kurt, pendant un certain nombre d'années, et j'ai participé à l'imposition de sanctions au Bélarus. Si Loukachenko savait que d'autres sanctions seraient imposées s'il ne libérait pas des prisonniers politiques, il était plus susceptible d'au moins libérer des prisonniers politiques. Nous avons graduellement augmenté certaines sanctions contre Loukachenko au Bélarus. La Russie est beaucoup plus intégrée que le Bélarus; par conséquent, elle est beaucoup plus vulnérable aux sanctions. Si les gens se demandent s'ils seront les prochains, cela peut influencer leur comportement et leurs actes.
Monsieur Dewar, merci de la question.
Je crois que votre question est d'une importance fondamentale, parce que, comme vous, je n'ai entendu ni le gouvernement des États-Unis, ni les gouvernements du G7, ni l'Union européenne énoncer un objectif clair. Qu'essayons-nous d'accomplir? Comme le dit David, nous sommes en mode réaction et essayons peut-être de pénaliser, mais nous devons avoir nous-mêmes un objectif clair quant à ce que nous voulons accomplir.
Comme David, je crois que l'objectif devrait être le retour à la situation précédant l'annexion de la Crimée par la Russie. Nous devons mettre en place des sanctions suffisantes pour amener la Russie à vouloir négocier en ce sens. Pour y arriver, il faudra un ensemble de sanctions contraignant, et cela va prendre beaucoup de temps, car Poutine croit qu'il pourra tenir bon, qu'il pourra nous essouffler.
Je crois que — entre nous — nous reconnaîtrons peut-être la possibilité de ne pas obtenir ce résultat. Peut-être que nous devrons accepter la perte de la Crimée et nous contenter de prévenir quoi que ce soit d'autre. Mais je ne crois pas que ce devrait être le point de départ. Je crois que nous devrions commencer par avoir un objectif clair selon lequel il faut revenir en arrière. Ce faisant, nous aurions au moins l'effet de freiner l'élan que s'est donné Poutine. Songez à où nous en étions en février, avec les manifestations en Crimée; aujourd'hui, le territoire a été occupé, puis annexé, et des manifestations éclatent maintenant ailleurs en Ukraine, et on parle de référendums en Transnistrie. Nous devons viser un retour en arrière, refréner l'élan, puis être prêts à négocier une issue.
Vous avez tous deux fait allusion à l'importance de la société civile. Je ne saurais vous dire à quel point je suis d'accord. Si vous regardez qui étaient les agents du changement là-bas et qui ont fait preuve de bravoure, vous constatez que ce sont les membres de la société civile. Les gens à qui j'ai parlé n'étaient pas membres d'un parti politique proprement dit. Il s'agissait de véritables acteurs qui voulaient mettre un terme à la corruption. Ils voulaient ouvrir la voie aux libertés et à la participation démocratique.
Selon vous, qui étaient les principaux acteurs de la société civile? Si vous n'avez pas ces données aujourd'hui, nous vous saurions gré de les envoyer au comité. Nous formulons des recommandations, comme vous le savez, dans notre rapport, et il serait utile que vous nous disiez qui, à votre connaissance, sont les principaux acteurs de la société civile qui cultivent et appuient la croissance démocratique et la stabilité en Ukraine.
Si je le peux, je vais vous envoyer une liste suggestions d'organisations.
Freedom House offre des programmes aux journalistes en Ukraine. Nous travaillons avec différentes organisations pour aider les journalistes à se pencher sur des enjeux touchant la corruption, mais aussi à déterminer comment faire leur travail de façon professionnelle et en toute sécurité. Les journalistes ont aussi joué un rôle primordial au cours des événements qui se sont déroulés ces derniers mois.
Il existe un certain nombre d'organisations très valables que nous pouvons vous énumérer pour faire suite à la séance.
Si je puis ajouter quelque chose à ce qu'a dit David, c'est que j'inclurais, dans votre liste, des organisations russes et tous les partis politiques, y compris le Parti des régions, parce que, selon moi, une des choses que nous voulons cultiver en Ukraine, c'est l'unité: une Ukraine pour tous les Ukrainiens.
Merci.
Sur ce dernier point, les élections s'en viennent. Vous avez mentionné vouloir qu'elles aient lieu. Quelle est votre position sur l'envoi d'observateurs durant la période préélectorale? Êtes-vous en faveur de cette mesure, et, le cas échéant, pourquoi? Autant que vous sachiez,les États-Unis comptent-ils faire de même, et, le cas échéant, qui enverraient-ils?
Cette question s'adresse à vous deux.
Je crois qu'il est essentiel d'envoyer des observateurs à long terme et à court terme. C'est surtout la responsabilité de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et de son Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme, le BIDDH. Ils organisent des missions d'observation.
Je sais que les États-Unis participeront. Je sais que certaines de nos organisations soeurs — l'Institut démocratique national et l'Institut républicain international — enverront des observateurs pour les élections afin de s'assurer que le processus est crédible et conforme aux normes internationales, car il y aura des efforts visant à miner ces élections, et ils viendront en grande partie de la Russie. La Russie prendra tous les moyens possibles pour discréditer ces élections. Le fait d'avoir des observateurs crédibles sur le terrain qui signalent soit leur approbation, soit leur désapprobation — je ne veux pas juger les élections d'avance — est, selon moi d'une importance cruciale.
Merci, messieurs, d'être des nôtres aujourd'hui.
Monsieur Volker, vous avez dit qu'il pourrait aller très, très loin. Vous parliez de l'enthousiasme de Poutine à l'égard de sa démarche. Une des choses que nous n'avons pas beaucoup abordées, c'est le fait qu'il ne s'agit pas de la première... Il a exercé son influence dans d'autres régions, y compris le sud-est et le Bélarus, la Géorgie... Il s'agit d'une étape de plus. Je me demande seulement — sans vouloir crier au loup — où vous croyez qu'il ira ensuite, faute de mesures concertées pour l'arrêter.
Par ailleurs, sur le plan des sanctions, plusieurs pays veulent en imposer, mais il semble que tout le monde veut imposer des sanctions qui se répercutent sur l'économie d'un autre. Si votre secteur bancaire est vigoureux, vous voulez vous en prendre à l'aérospatiale, et si votre secteur de l'aérospatiale est vigoureux, vous voulez vous en prendre à la technologie ou je ne sais quoi. Je me demande seulement s'il est possible que des intérêts que je qualifierais de disparates s'unissent pour imposer des sanctions efficaces.
Je vous pose ces deux questions pour commencer, puis nous passerons à autre chose.
D'accord. Je vais présenter mes idées à cet égard, puis David, je suis certain que vous interviendrez.
Tout d'abord, pour répondre à votre première question, monsieur Anderson, en ce qui concerne jusqu'où il veut aller, je ne crois pas que Poutine envisage un territoire géographique particulier qui correspond à sa limite maximale ou minimale. Je crois qu'il se donne comme but à long terme de reconstruire l'empire russe. Je crois qu'il est motivé par certains objectifs, cependant. L'un d'eux est d'amener les populations russes de souche, les russophones, dans le giron russe. Un autre est d'exercer une influence déterminante sur tout autre État qui faisait partie de l'ancienne Union soviétique et qui partage une frontière avec la Russie. Ensuite, il veut être en mesure de brandir le pouvoir de l'empire russe qu'il a reconstruit en Europe, au Moyen-Orient et en Asie du Sud, partout où il estime promouvoir les intérêts de la Russie. Je ne crois pas qu'il y ait une ligne définie sur une carte où il est prêt à dire « ça oui, ça non », mais ce sont les objectifs qui le motivent.
Nous voyons des choses comme les manifestations, en fin de semaine, dans le sud de l'Ukraine, où se trouvent des communautés russes. Nous avons vu le même phénomène en Transnistrie. Nous voyons la même chose, ce type de propagande adressée aux populations russophones des pays baltes. Comme je l'ai mentionné ici plus tôt, nous avons vu au cours de la dernière semaine une manifestation pro-Russie en Géorgie — chose que nous n'aurions jamais vue il y a un an —, et ces gens ne sont pas particulièrement renommés pour leurs positions pro-Russie. Je crois que, encore une fois, vous pouvez voir des signes que la Russie tente de monter les enjeux et d'exercer son influence de différentes façons dans l'espace postsoviétique élargi.
Je crains aussi que des gouvernements tentent de s'accommoder en quelque sorte d'une relation avec la Russie, peut-être parce qu'ils voient de la faiblesse ou de l'indifférence chez l'Occident, et peut-être parce qu'ils considèrent que leurs perspectives seront meilleures s'ils se joignent à l'union eurasienne ou s'ils s'alignent sur la Russie d'une façon ou d'une autre.
Voilà la portée des enjeux, selon moi, en ce qui concerne la Russie, si nous ne faisons rien. C'est pourquoi je crois qu'il est d'une importance primordiale que nous n'attendions pas comme nous l'avons fait dans le cas de la Syrie. Nous devons agir promptement pour freiner cette ambition de Poutine, qui fait insidieusement son chemin.
En ce qui concerne votre question sur les sanctions — et je serai bref ici —, je crois que c'est une question de volonté. Vous avez tout à fait raison de dire que quelqu'un sera blessé quelque part si des sanctions économiques sont mises en place. Les dirigeants des pays devront déterminer ce qui importe le plus pour leur pays et l'avenir de leur peuple: conserver les avantages économiques dont ils jouissent aujourd'hui ou vivre avec une Russie agressive et expansionniste, en Europe de l'Est, qui risque d'engloutir plus de territoire, et, éventuellement, de déclencher une guerre. Je crois que, pour éviter le résultat que je viens de décrire, nos dirigeants doivent entamer une discussion sérieuse afin de s'allier pour établir dès aujourd'hui les mesures les plus rigoureuses possible.
Merci.
Croyez-vous, à la lumière des perturbations dans l'est de l'Ukraine, qu'il croit véritablement pouvoir envahir l'Ukraine? Selon vous, croit-il pouvoir en fait s'en emparer pour envahir le territoire suivant? À votre avis, où croit-il que l'Occident va lui dire « non »?
Je crois que, à l'heure actuelle, il ne croit pas que l'Occident va lui dire « non ». Nous avons entendu divers hauts représentants ou dirigeants de gouvernements occidentaux dire qu'il n'y a pas d'option militaire, qu'il n'y a pas de solution militaire et qu'il n'y a donc pas lieu de parler d'intervention militaire à ce chapitre. Tant et aussi longtemps que Poutine entendra ce message — et je sais qu'en plus de l'entendre, il le croit —, alors il estime pouvoir faire ce qu'il veut.
Bon, il va prendre des précautions. Je crois qu'il a peut-être tiré des leçons de son invasion de la Géorgie, il y a six ans. Il cherche à créer une impression de légitimité à l'aide de référendums, de mouvements populaires, de gens qui réclament des missions russes de maintien de la paix ou accusent le gouvernement de Kiev d'être fasciste. Il cherche à créer ce vernis de légitimité et de légalité pour qu'on réclame l'intervention de troupes russes.
Je crois aussi qu'il va tenter — et cela ressemble beaucoup aux tactiques de la Deuxième Guerre mondiale — un mouvement de tenailles, la Transnistrie, à l'ouest, dira vouloir se joindre à la Fédération de Russie, les provinces orientales de l'Ukraine diront vouloir se joindre à la Fédération de Russie, et vous verrez probablement des manifestations agitées à Odessa, où s'imposera une forme de présence russe pour assurer la sécurité. Je crois qu'on pourrait voir se former très rapidement une coalition des forces russes pour, comme le dirait la Russie, restaurer l'ordre et protéger les droits des minorités russes en Ukraine.
Puis-je passer à autre chose? Je ne crois pas qu'il me reste beaucoup de temps.
[Note de la rédaction: difficultés techniques]
Messieurs, il me reste très peu de temps ici, mais je voulais demander quelle est l'influence des leaders de la place Maïdan en Ukraine à l'heure actuelle?
Du reste, et vous en avez parlé un peu, croyez-vous que nous pouvons offrir une aide technique particulièrement utile pour offrir de la formation aux partis politiques et, peut-être, aux médias indépendants en Ukraine, compte tenu des restrictions auxquelles ils font face à l'heure actuelle?
L'un ou l'autre ou les deux peuvent répondre.
Monsieur Anderson, je dirai que les joueurs de la place Maïdan jouent un rôle à la fois positif et négatif.
Pour ce qui est du négatif, les forces du Praviy Sektor, le Secteur droite, et certains éléments de Svoboda, le Parti de la liberté, se sont vu confier chacun trois postes gouvernementaux. Je crois que les préoccupations concernant le rôle de ces partis sont exagérées. Ils récoltent très peu d'intentions de vote et sont peu susceptibles de faire bonne figure dans les élections à venir, mais il y a lieu de garder l'oeil ouvert, surtout pour assurer que les déclarations incendiaires et les mesures extrêmes sont dénoncées le plus rapidement possible.
Pour ce qui est du positif, je crois que nous avons vu le gouvernement intérimaire faire du bon travail dans des circonstances très difficiles. N'oublions pas qu'il a hérité du pouvoir de façon plutôt inattendue; Ianoukovitch a quitté ses fonctions assez rapidement, puis, dans la semaine qui a suivi, le pays était aux prises avec une invasion russe. Alors, le défi à relever était double.
Je crains bel et bien que les partis ukrainiens s'accrochent davantage aux personnalités qu'aux programmes politiques. C'est à ce chapitre que je crois que le Canada, les États-Unis et les Européens pourraient offrir de l'aide.
C'est tout le temps qu'il reste. Nous devrons y revenir.
Monsieur Garneau, pour sept minutes, s'il vous plaît.
J'aimerais revenir, peut-être de façon plus précise, sur ce que M. Volker a dit — et je crois que M. Kramer était d'accord — au sujet du maintien des options militaires.
J'aimerais aborder un point précis. Évidemment, il y a des pays de l'OTAN — et c'est dans ce contexte que vous en avez parlé — qui sont à proximité, mais l'Ukraine à proprement parler n'est pas un pays de l'OTAN. À quoi faisiez-vous illusion exactement lorsque vous avez parlé des messages qui semblent avoir été exclus et qu'on devrait réintroduire? Va-t-on jusqu'à dire que, si les Russes envahissent l'est de l'Ukraine, une forme d'intervention des pays de l'OTAN pourrait être déclenchée? J'aimerais avoir plus de détails à ce sujet.
Nous pourrions peut-être commencer par M. Volker, puis passer à M. Kramer, s'il vous plaît.
Sachez que je fais effectivement une distinction très nette entre les alliés de l'OTAN et les autres pays. Dans le cas des alliés de l'OTAN, la position doit être ferme: nous nous défendrons les uns les autres. Dans le cas des autres pays, je crois qu'il est raisonnable de dire que nous avons intérêt à ce qu'ils conservent leur souveraineté et leur intégrité territoriale et que nous allons leur venir en aide parce que nous croyons que cela profite à la stabilité et à la sécurité à long terme de l'Europe.
Pour que le deuxième volet de cet énoncé soit crédible et pour avoir un effet dissuasif — et c'est là le deuxième volet, la défense des alliés et la prévention des agressions russes ailleurs —, nous devons prévoir des interventions militaires. À l'heure actuelle, ce n'est vraiment pas le cas. Nous avons commencé à en mettre quelques-unes en place, mais pas beaucoup.
Poutine assure une présence militaire très imposante: des dizaines de milliers de soldats à la frontière est de l'Ukraine, des forces d'opération spéciales en Crimée et, à l'heure actuelle, probablement en Ukraine aussi. Alors, il a déployé beaucoup de monde. Ce que nous devons faire sur le plan politique — et nous devons être prêts à mettre nos menaces à exécution —, c'est de signifier clairement que nous ne sommes pas indifférents aux agressions territoriales ultérieures de la Russie et que nous nous réservons le droit d'exercer des représailles.
En outre, nous devons établir les forces nécessaires pour mettre cette menace à exécution, et c'est pourquoi j'ai suggéré un exercice terrestre en Pologne ou en Roumanie ainsi que des ressources de défense aérienne supplémentaires, peut-être dans les pays baltes ou en Roumanie. On a déjà prévu un exercice naval avec la Roumanie. Nous pourrions l'élargir. Nous pourrions mettre en branle un certain nombre de mesures en périphérie de la zone pour illustrer notre capacité.
L'autre chose que je ferais, c'est d'offrir une aide immédiate et substantielle aux forces armées et au ministère de la Défense de l'Ukraine, afin de mieux les outiller pour se défendre contre la Russie, ce qui hausserait directement les coûts pour la Russie. On ferait en sorte que les Ukrainiens défendent leur propre territoire, jusqu'à un point où la Russie pourrait en venir à interrompre ses activités. Et, si un tel conflit éclatait parce que la Russie serait allée jusqu'à envahir l'Ukraine, je crois qu'il faudrait alors discuter des mesures ultérieures que nous voulons prendre pour offrir de l'aide supplémentaire à l'Ukraine.
Très rapidement, je dirais que le secrétaire d'État Kerry avait raison, le 2 mars, lorsque, dans le cadre de débats télévisés, ici, il a dit que toutes les options étaient étudiées.
Aucun d'entre nous ne veut l'option militaire. Je ne la défends pas, et je constate qu'il ne faut pas faire naître chez les Ukrainiens de faux espoirs en leur laissant croire que les États-Unis, ou le Canada, ou l'Europe voleront à leur secours par la force militaire. Mais je pense également que nous ne devrions pas télégraphier nos limites à Poutine. Nous ne devrions pas tirer un trait en disant que nous n'irons pas au-delà de cette limite. Autrement, honnêtement, je ne vois pas pourquoi nous enverrions des navires sur la mer Noire si nous disons déjà à Poutine que nous n'allons pas les utiliser. Il me semble que ce que nous voulons, c'est de faire en sorte que Poutine continue d'essayer de deviner ce que nous pourrions faire, afin de ne pas aggraver la situation, mais, bien au contraire, de la désamorcer afin qu'il pense que nous pourrions réagir d'autres façons.
Merci.
Encore une fois, j'ai une question pour vous deux. Je vais commencer par M. Kramer.
En ce qui concerne la question des sanctions économiques et le fait d'agir de manière non seulement réactive, mais également proactive, il me semble que la ressource qui est, de façon disproportionnée, la plus importante dans tout cela, c'est ce dont les gens parlent, c'est-à-dire le pétrole et le gaz qui proviennent de la Russie. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une source de revenu très importante pour l'économie russe. Manifestement, cela serait également très douloureux pour bon nombre de pays européens, dont quelques-uns en dépendent à 100 % à ce stade-ci.
Pensez-vous que, si l'Union européenne, puisque c'est elle qui sera concernée, a la volonté de se montrer ferme, et que la situation évolue au point d'entraîner l'interruption de l'approvisionnement, la Russie pliera avant l'Union européenne? Pensez-vous qu'il peut y avoir un gagnant? Il me semble que cette sanction-ci, malgré les autres dont nous avons parlé, est le plus gros éléphant dans la pièce. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
Il y a un certain nombre de choses.
Dans un premier temps, la Russie a déjà presque doublé le prix du gaz qu'elle vend à l'Ukraine, qui fait désormais face à une crise en raison des tactiques d'extorsion de la Russie.
Deuxièmement, la Russie a besoin que le prix du pétrole soit de 108 à 110 $ le baril. Si nous arrivons à augmenter l'approvisionnement en pétrole de la communauté mondiale, mais particulièrement de l'Europe, et faire baisser le prix, cela entraînera des problèmes économiques pour la Russie. La Russie éprouve déjà des difficultés sur le plan économique, dont j'ai parlé, et donc, je pense qu'elle est vulnérable à cet égard.
De plus, nous pouvons aider l'Ukraine à réduire sa dépendance énergétique à la Russie. L'Ukraine a un énorme problème d'inefficacité énergétique. Je pense qu'elle consomme environ six à huit fois plus d'énergie que l'Allemagne, même si l'Allemagne a une population deux fois plus nombreuse et est beaucoup plus productive. Nous pouvons également travailler de concert avec un certain nombre de pays européens qui, comme vous l'avez indiqué, sont fortement dépendants de la Russie afin de trouver d'autres solutions.
Aucune de ces mesures ne sera prise rapidement, mais il s'agit de mesures que nous aurions dû prendre avant et que nous devons absolument prendre maintenant.
Le dernier point que j'aimerais mentionner, c'est que, trop souvent, on dit que la Russie a un ascendant sur l'Ouest parce qu'il dépend d'elle sur le plan énergétique. Si l'Ouest réduit sa dépendance à la Russie à ce chapitre, le pétrole et le gaz que l'Europe n'achètera plus n'aura plus aucune valeur pour la Russie. Celle-ci ne peut tout simplement pas appuyer sur un bouton et envoyer tout le pétrole et le gaz vers l'Est. Cela exige beaucoup d'investissement. La Chine en reçoit déjà beaucoup du Turkménistan. La Chine pourrait également être en mesure d'exploiter du gaz de schiste, donc, nous avons un atout si nous choisissons de l'utiliser.
Comme Kurt l'a indiqué plus tôt, c'est une question de volonté politique, et je pense que les Européens en particulier, comment vous l'avez dit, monsieur, sont les acteurs clés dans cette affaire.
Merci.
Monsieur Volker, j'aimerais entendre votre opinion, et je vais peut-être poser une autre question, qui est...
Non, pas d'autres questions, mais c'était un bel essai, tout de même.
Monsieur Volker, je vais vous donner la chance de répondre à la question rapidement.
Merci. Je serai très bref.
Je suis d'accord avec David Kramer, mais j'aimerais insister sur un point en particulier, et c'est que, tandis que les gouvernements de l'Europe de l'Ouest sont, de façon naturelle, sensibles aux pressions économiques parce que leurs démocraties et leurs populations les ressentiraient, la Russie est prête à jouer le jeu parce qu'elle est dirigée par un État autoritaire.
Cela dit, l'Europe dispose de plus d'options en ce qui concerne la diversification de l'approvisionnement en pétrole, et, si elle prend sans plus attendre des mesures en ce sens, je pense que cela pourrait lui permettre de survivre à une impasse avec la Russie au chapitre de l'énergie. La Russie dispose de beaucoup moins d'options, donc, même si, oui, ce serait douloureux, je pense que l'Europe pourra également sortir gagnante.
Merci, monsieur Garneau.
Nous allons commencer notre deuxième série de questions avec cinq minutes pour chaque député. Nous allons commencer par Mme Grewal, pour cinq minutes, s'il vous plaît.
Monsieur Volker et monsieur Kramer, merci beaucoup pour vos exposés.
Monsieur Volker, il y a actuellement plusieurs types de situations de troubles politiques extrêmes dans le monde qui exigent notre attention, comme la Syrie et, bien sûr, l'Ukraine. Dans quelle mesure croyez-vous que le Canada et ses alliés devraient réagir à cette situation, en Ukraine? Quel type de conséquences à court terme et à long terme découleront, selon vous, des divers niveaux d'intervention?
Si vous me le permettez, je voudrais remettre la situation dans un contexte très général, puisque je suis d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'une situation qui touche le monde entier, et je suis heureux que vous ayez mentionné la Syrie, puisque c'est aussi fondamentalement important.
Ce que nous avons fait au cours des 60 dernières années — le Canada, les États-Unis, l'Europe de l'Ouest —, c'est que nous avons bâti une communauté des nations mondiale, démocratique, axée sur l'économie de marché et sécuritaire. Elle n'est pas universelle, même si ce serait formidable si elle l'était, mais elle est certainement importante et elle a procuré d'énormes avantages et une grande valeur à des centaines et des centaines de millions de personnes partout dans le monde.
Ce que nous observons, aujourd'hui, c'est le recul délibéré des limites de ce système; qu'il s'agisse de la Russie qui cherche à réinstaurer un régime autoritaire à l'intérieur du pays, à dominer ses voisins et à acquérir du territoire en faisant l'usage de la force, ou bien qu'il s'agisse d'extrémistes religieux, comme dans le cas d'al-Qaïda et de ce que nous voyons au Sahel, ou encore qu'il s'agisse de dictateurs mesquins, comme Assad, qui se bat pour contrôler son territoire et qui, en fait, stimule certains des contrecoups religieux que nous recevons.
Tout cela constitue des attaques contre le type de développement humain que nous avons tous parrainé et dont nous avons tous bénéficié depuis de nombreuses années. Je ne pense pas que quiconque parmi nous puisse rester assis les bras croisés tandis que ces affronts à ce mode de vie, cet ordre qui s'est établi dans le monde, sont affligés actuellement. Nous pouvons ajouter à cela le capitalisme autoritaire de la Chine, ou même les économies nationalistes démocratiques, comme celles du Brésil, avec, par exemple, une approche néo-mercantiliste à l'égard de certaines industries. Je pense donc que nous devons investir dans cet ordre mondial et en faire la promotion.
Cela dit, la crise la plus grave, aujourd'hui, puisqu'elle se déroule en ce moment, parce qu'elle met peut-être en cause un très grand nombre de forces militaires et qu'elle concerne tous nos alliés européens, est la crise en Ukraine, parce qu'elle peut prendre de l'expansion, comme nous en avons parlé plus tôt, étant donné les ambitions de Poutine.
La deuxième crise en importance est celle de la Syrie. Je pense qu'elle est bien plus grave et bien pire sur le plan humanitaire: plus de 140 000 personnes tuées, le tiers de la population du pays sont désormais des réfugiés, ce qui donne lieu à un conflit régional et qui alimente la haine idéologique qui nous accompagnera pendant une génération. C'est également une chose dont il faut tenir compte. De jour en jour, je m'inquiète toujours plus de ce qui se passera en Ukraine le lendemain, tandis que le feu, en Syrie, s'épuise, mais nous ne pouvons pas faire fi de cette situation, non plus.
Monsieur Kramer, à mesure que notre société mondiale devient de plus en plus étroitement liée, nous savons que des décisions politiques prises dans des régions distantes du monde peuvent tout de même avoir un impact profond sur nous, ici, au Canada. De quelle façon, selon vous, l'agression de la Russie à l'égard de l'Ukraine peut-elle avoir un impact sur ses différents voisins, y compris le Canada?
Si je ne m'abuse, le Canada compte la première population d'origine ukrainienne en importance à l'extérieur de l'Ukraine elle-même, donc, ce qui se passe en Ukraine est évidemment d'un énorme intérêt pour votre population et vos électeurs, comme c'est le cas pour bon nombre de gens ici, aux États-Unis et en Europe.
Cela constitue une attaque non seulement contre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, mais également contre la liberté, contre les droits de la personne et contre les valeurs universelles. Poutine essaie de redessiner la carte de l'Europe qui a été entérinée au moment de l'effondrement de l'Union soviétique, de la dissolution du pacte de Varsovie, et cela se trouve essentiellement au coeur de l'Europe. En ce qui concerne la vision exprimée il y a plusieurs décennies d'une Europe unie, libre et en paix, ce que Poutine fait à l'Ukraine en ce moment est extrêmement préoccupant.
Je pense qu'il est d'une importance capitale que le Canada, les États-Unis et l'Europe joignent leurs forces. Je pense que le fait de prendre le parti de la chancelière allemande, comme l'a fait votre premier ministre, a été très utile, étant donné qu'il y avait eu certaines tensions, comme vous le savez peut-être, entre les États-Unis et l'Allemagne au cours des derniers mois. Je pense qu'il s'agit d'une mise à l'épreuve pour le G7, pour la communauté démocratique des nations, pour voir comment nous allons réagir à cette menace, et il s'agit bien d'une menace. Maintenant, ce que nous pouvons, à tout le moins, cesser de faire, c'est de prétendre que nous avons la possibilité de créer un partenariat stratégique avec la Russie, que nous pouvons vraiment travailler ensemble et que nous avons des valeurs communes. Rien ne pourrait être aussi loin de la vérité.
Sous Poutine, la Russie a commis les pires violations des droits de la personne depuis l'effondrement de l'Union soviétique, et la situation s'aggrave. Elle ne s'améliore pas. Tant et aussi longtemps que ce sera le cas... la façon dont un régime traite son propre peuple est souvent révélatrice de la façon dont il agira dans le domaine de la politique étrangère, et, comme Poutine ne fait montre d'aucun respect à l'égard des droits de la personne de son propre peuple, nous ne devrions pas présumer qu'il démontrera quelque intérêt que ce soit pour les droits de la personne des autres. C'est pourquoi, par exemple, Poutine a non seulement bloqué les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU en Syrie, mais il a fourni en armes, aidé et assisté Assad dans le cadre de son massacre du peuple syrien.
Merci encore une fois à nos invités.
Je voudrais, pendant quelques secondes, aborder le sujet des problèmes énergétiques. J'ai trouvé intéressant que, il y a tout juste une semaine, quelqu'un a contacté mon bureau et a proposé de façon très sérieuse de faire en sorte que le Canada et d'autres pays aident à investir dans l'efficacité énergétique, en Ukraine. Il est intéressant de vous entendre parler de l'importance de l'énergie, en raison — eh bien, il y a le lien évident avec la Russie — de la disparité entre l'Allemagne et l'Ukraine. Nous voulons des recommandations. Cela vous paraît-il logique de faire certains investissements clés dans l'efficacité énergétique, tout en cherchant, évidemment, d'autres sources d'approvisionnement? Est-ce une chose que l'on a abordée aux États-Unis quant à savoir comment vous pouvez aider l'Ukraine?
À l'époque où Kurt et moi étions au département d'État, les États-Unis avaient accordé beaucoup d'importance au fait de conseiller le gouvernement orange Iouchtchenko et Timochenko, sur la réforme énergétique, et j'ai le regret de dire que cela n'a mené nulle part. Je pense que le fait d'investir en Ukraine peut être très utile et positif, mais cela doit être accompagné d'une réforme authentique du secteur de l'énergie, qui est le secteur le plus corrompu de l'économie ukrainienne.
Maintenant, il est sous l'influence de la Russie. Il y a une société intermédiaire, RosUkrEnergo, qui a joué un rôle lié aux exportations russes vers l'Ukraine. Un des dirigeants de la société, M. Firtash, a récemment été arrêté, en Autriche. L'Ukraine doit vraiment éliminer l'énorme corruption qui sévit dans le secteur de l'énergie de sorte que des entreprises canadiennes, américaines et européennes puissent faire des affaires là-bas. Ce n'est pas le manque d'intérêt, c'est plutôt la frustration découlant du fait d'essayer de faire des affaires en Ukraine qui, selon moi, a constitué le plus important problème.
Je suis entièrement d'accord avec David à ce sujet. Comme il l'a dit, nous avons un peu travaillé là-dessus ensemble. Il y a un mot qu'il n'a pas mentionné et sur lequel je veux insister, et c'est transparence. Je ne crois pas que l'Ukraine puisse avoir un bon gouvernement efficace sans transparence dans le secteur de l'énergie, puisque c'est là où toutes les élites ukrainiennes, qui ont gouverné l'Ukraine depuis son indépendance, ont pris un mauvais tournant. Elles n'ont pas pu résister au fait de tirer profit de l'industrie énergétique, ce qui a compromis leur intégrité et les a liées à la Russie, et ce qui a empêché l'Ukraine de vraiment se développer à l'instar de la Pologne, par exemple. Je pense que tant l'efficience, comme vous le dites, que la transparence dans le secteur de l'énergie seront essentielles.
Je vais formuler une hypothèse, qui n'est pas populaire dans les pays occidentaux libéraux: il se peut que le secteur ait besoin d'être nationalisé à nouveau et d'être réorganisé afin de susciter la confiance et de faire preuve de transparence, ainsi que d'aider à libérer l'Ukraine.
Ma dernière question porte sur la Russie. Étant donné les commentaires concernant le fait que Poutine veut exercer une mainmise sur la population, commentaires qui ont été dûment consignés, il a certainement inscrit mon nom sur une liste, et le président et moi ne sommes plus les bienvenus en Russie. Je me suis montré critique à l'égard des lois homophobes par le passé, donc, je pense que ce n'est pas une surprise.
La question concernant la population et la société civile... on a dit que des Russes étaient sortis dans les rues pour manifester contre les mesures de Poutine, en Ukraine. Pouvez-vous nous dire quoi que ce soit concernant ce que vous entendez de la part de la société civile, en Russie? Évidemment, nous n'en entendons pas beaucoup, et ce serait apprécié si vous aviez quelque information que ce soit concernant la société civile et les manifestations contre Poutine, en Russie.
Tout d'abord, félicitations. C'est tout à votre honneur de figurer sur cette liste, je dirais.
En ce qui concerne la société civile, il y a environ deux ou peut-être trois semaines, il y a eu une manifestation considérable à Moscou contre les avancées russes en Crimée. Et si on pense aux risques auxquels les Russes s'exposent s'ils participent à ce qui est jugé comme étant une manifestation illégale — être arrêtés, battus —, c'est impressionnant. Je pense que cela a surpris Poutine, de même que bien d'autres gens.
L'appui à Poutine a augmenté à environ 80 %, donc les gens disent que ce qu'il a fait a reçu un accueil favorable par la grande majorité. Je dirais que cela est attribuable au fait que ce qu'il a fait en Crimée s'est révélé plutôt facile. Si du sang avait coulé, je ne suis pas certain que les appuis à Poutine auraient été à la hausse. Je pense également que cette augmentation subite du nombre de personnes qui l'appuient est plutôt éphémère. Je ne pense pas qu'elle durera. Je pense que ce que Poutine essaie de faire, c'est détourner l'attention des gens de ce qui a été une économie stagnante et qui est maintenant susceptible de devenir une récession. Donc, les gens ne se concentrent pas sur les problèmes nationaux. Il dévie leur attention et se concentre sur les menaces en provenance du monde extérieur.
Encore aujourd'hui, soit dit en passant, il a fait allusion aux organismes non gouvernementaux et aux menaces qu'ils peuvent présenter à l'intérieur de la Russie. Cela me laisse croire que nous allons assister à l'envenimement de ce qui est déjà une situation lamentable dans la société civile, et cela apportera de mauvaises nouvelles pour nous tous.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur Dewar.
Nous allons terminer avec Mme Brown. Je crois que vous allez partager votre temps avec M. Goldring.
C'est cela, monsieur le président.
Je ne dispose pas de beaucoup de temps, messieurs, et j'aurais souhaité avoir plus de temps pour aborder toute cette question de la Syrie, parce que M. Poutine s'est montré absolument belliqueux, je pense que c'est le bon mot, dans cette situation et est, selon moi, l'un de ceux qui empêchent les choses d'avancer par rapport à cela.
Messieurs, je me demandais si vous pouviez parler davantage de la situation économique. Je ne peux pas croire que M. Poutine, qui est très calculateur, n'a pas pris en compte les sanctions dans son plan d'action. Pour lui, où se trouve son marché? Il doit vendre son gaz et son pétrole pour maintenir l'économie de la Russie. Selon lui, où est son marché s'il ne peut pas vendre cela à l'Europe? Devra-t-il se tourner vers l'Est? Va-t-il aller en Chine? Elle exploite ses propres ressources et pourrait donc ne pas en avoir besoin, mais où le marché se trouvera-t-il, pour lui?
Je vais juste dire la chose suivante rapidement, il ne croit pas que l'Europe de l'Ouest appliquera vraiment des sanctions très sévères contre la Russie. Il pense donc que son marché est l'Europe, mais qu'elle est tellement dépendante de la Russie et tellement lâche ou faible sur le plan de la volonté politique qu'elle ne prendra pas les mesures qui s'imposent pour exercer une véritable pression, et que, si elle le fait, il peut négocier avec elle tout en conservant la Crimée et tout ce sur quoi il aurait mis la main à ce moment-là. Je pense qu'il calcule cela, comme vous le dites, mais de façon très agressive.
Je suis d'accord pour dire qu'il compte sur un manque de volonté de la part de l'Occident, qu'il a le sentiment de nous tenir par ses barils. Nous devons lui montrer qu'il a tort, très, très rapidement.
Merci beaucoup.
Merci de comparaître ici, aujourd'hui, messieurs.
J'aimerais également aborder la question du gaz et du pétrole, et particulièrement celle des réserves de gaz de schiste. Je crois comprendre que l'Ukraine dispose d'une quantité considérable de réserves et que, possiblement, certains des autres pays européens en possèdent également. Cependant, comme ils peuvent trouver une façon d'éliminer la corruption et de faire régner la transparence au sein de l'industrie, ne devraient-ils pas faire de cela une priorité le plus rapidement possible?
À un moment où j'ai visité l'Afrique, le Ghana, j'ai pu voir ce qu'ils en faisaient. Ils ont pratiquement hypothéqué leurs réserves pour bâtir des infrastructures aujourd'hui, en espérant que cela... Parce que les réserves... Je pense qu'il s'agit d'argent dans le sol et qu'il y a des façons de déterminer avec certitude la valeur de cet argent.
J'ai deux questions. Ne peut-on pas l'utiliser et l'hypothéquer à des fins de financement maintenant, et avec quelle rapidité cela peut-il être mis en place? Aussi, les réserves sont-elles suffisantes pour préoccuper la Russie? En d'autres termes, ils n'auraient plus à importer du pétrole de la Russie, ils pourraient le produire eux-mêmes.
Il y a une théorie selon laquelle les possibilités de l'Ukraine et le potentiel du gaz de schiste faisaient partie de ce qui a motivé Poutine à entrer en Ukraine. Je ne suis pas certain que ce soit le cas. Je pense que cela était davantage lié à la chute de Ianoukovitch qu'à quoi que ce soit d'autre, ainsi qu'à la crainte que cela se répercute sur la Russie.
L'exploitation du gaz de schiste présente un énorme potentiel en Ukraine et en Pologne, et dans d'autres pays d'Europe. Comme vous l'avez indiqué, monsieur, je pense qu'il y a un véritable potentiel et que cela pourrait passablement nuire à l'économie russe. Je ne veux pas porter préjudice à l'économie de la Russie, sauf si elle menace l'Occident. Actuellement, sous Poutine, je dirais que c'est le cas.
J'aimerais seulement ajouter quelque chose, rapidement. Je pense que, pour que l'Europe... L'Europe n'a pas participé à la révolution mondiale du pétrole. Les prix, ici, en Amérique du Nord, ont considérablement baissé. Nous en bénéficions. Nous passons davantage au gaz naturel. Nous importons et exportons le GNL, tout comme d'autres régions du monde. L'Europe n'a pas vraiment tiré avantage de cela. Cela exigerait la construction de terminaux de GNL aux fins de l'importation, de même que la création de réservoirs de pétrole à l'intérieur de l'Europe, comme vous le laissez entendre, au moyen de la fracturation.
La solution du GNL pourrait être mise en oeuvre assez rapidement. Je pense qu'il pourrait s'agir, dans deux ou trois ans, potentiellement, de deux ou trois nouveaux terminaux de GNL qui seraient mis en place en Europe. Puis, cela exige l'interconnexion des oléoducs dans l'ensemble de l'Europe afin de relier l'Europe de l'Est, l'Europe centrale et l'Europe de l'Ouest de façon plus efficace qu'elle ne le font actuellement. C'est un projet qui a été contrecarré par la Russie au cours des dernières années puisqu'elle a pu manipuler la confiance des investisseurs en vue de les empêcher d'investir dans ces oléoducs. Donc, la deuxième chose, c'est de mettre en place les oléoducs.
Ensuite, ce qui prendrait probablement le plus de temps, c'est, en fait, l'exploitation du gaz de schiste qui se trouve en Ukraine. La Pologne a déjà une longueur d'avance, mais, à cet égard, je pense qu'il faut probablement prévoir cinq ans, et ce, après avoir réformé le secteur de l'énergie, comme l'a déjà dit David.
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