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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 037 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 27 novembre 2014

[Enregistrement électronique]

(0850)

[Traduction]

    Nous nous réunissons conformément au paragraphe 108(2) du Règlement pour étudier la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions religieuses et aux bouleversements perpétrés par l'État islamique en Irak et au Levant.
    Je tiens à remercier tous nos témoins et invités d'être là aujourd'hui. Je vais tous vous présenter, puis, en commençant à ma gauche, vous allez pouvoir présenter votre déclaration préliminaire. Nous terminerons avec notre invité de Londres, en Angleterre, avec qui nous nous entretenons par vidéoconférence. Une fois que vous aurez tous présenté votre déclaration préliminaire, les membres des deux côtés vous poseront tour à tour des questions au cours des deux ou trois prochaines heures.
    Encore une fois, merci à vous tous d'être là.
    Je vais commencer les présentations. Nous accueillons le révérend Majed El Shafie, fondateur et président de One Free World International. Merci beaucoup. C'est très agréable de vous voir là.
    Nous accueillons aussi le révérend Niaz Toma de la Caldean Iraqui Church in Canada. Bienvenue, monsieur. Nous sommes aussi heureux que vous soyez là.
    Ensuite, nous accueillons son éminence Sotirios Athanassoulas, archevêque de la Métropole orthodoxe grecque de Toronto. Bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux que vous soyez là.
    Nous accueillons aussi à titre personnel un témoin avec qui nous nous sommes déjà entretenus: Mokhtar Lamani, ex-ambassadeur de l'Organisation des Nations Unies – Ligue des États arabes, du Bureau du représentant spécial conjoint pour la Syrie, à Damas. Si je me souviens bien, la dernière fois que nous avons parlé, vous étiez à Damas et vous avez comparu par vidéoconférence. Bienvenue. Nous sommes heureux de vous revoir.
    Et par vidéoconférence de Londres, en Angleterre, nous accueillons aussi, à titre personnel, Payam Akhavan, professeur à la Faculté de droit de l'Université McGill et au Kellogg College de l'Université d'Oxford. Bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux de pouvoir vous parler par vidéoconférence.
    Je vous céderai maintenant la parole, monsieur. Bienvenue, la parole est à vous. Vous avez huit minutes.
    Merci, monsieur le président, de m'avoir invité ici.
    Je suis le révérend Majed El Shafie. Je suis le fondateur et président de One Free World International, qui lutte pour les droits de la personne. Nous ciblons la liberté de religion partout dans le monde.
    J'ai été prisonnier, chez moi, en Égypte avant de venir au Canada. Je suis arrivé à titre de réfugié. Vous comprendrez donc que, pour moi, ce que je fais n'est pas seulement un travail, c'est ma vie.
    Je me suis rendu à deux reprises en Irak, une fois en septembre 2011 et à nouveau en septembre, cette année. J'étais accompagné de parlementaires canadiens — M. Brad Butt, M. Russ Hierbert et M. Leon Benoit — à titre d'observateurs. Ils m'ont accompagné durant mon voyage. Nous avons visité le Kurdistan, nous nous sommes rendus sur le front, à Erbil et Dohuk. Nous avons visité trois camps de réfugiés — un camp de réfugiés chrétiens, un camp de réfugiés pour les yézidis et un camp de réfugiés mixte qui accueillait des chrétiens, des yézidis, des musulmans et d'autres membres de groupes minoritaires.
    Nous avons constaté que, actuellement, pendant que nous discutons, il y a plus de 1,6 million de réfugiés et de personnes déplacées. Pour ce qui est de la situation sur le terrain, nous avons été témoins de ce que nous croyons être le début d'un génocide. Des membres des minorités chrétiennes et yézidies sont assassinés, massacrés et crucifiés. On traque leur famille, et on leur donne très peu d'options: essentiellement, se convertir ou mourir.
    J'ai été ému par le récit d'une petite fille âgée de 14 ans qui s'appelle Rahma. Elle a été témoin de l'assassinat de ses deux parents. Nous avons aussi entendu l'histoire d'une mère yézidie, qui s'est retrouvée bloquée sur le mont Sinjar. Pour sauver son enfant, puisqu'il n'y avait ni nourriture ni eau, elle a dû se couper le doigt afin de nourrir son enfant avec son propre sang. Nous avons entendu de nombreux témoins, de nombreuses femmes, dire qu'elles étaient nombreuses à avoir été vendues sur le marché pour 20 $. Nous avons rencontré certaines de ces femmes qui ont été secourues après avoir été violées et torturées.
    Nous avons constaté que deux des principales choses qui manquent vraiment à l'heure actuelle, ce sont des médicaments et des logements. Bien sûr, c'est l'hiver là-bas, et la situation est très difficile en raison des pluies et des forts vents. Les tentes ne sont pas la solution. Ce sont les deux principaux besoins que nous avons constatés, des logements et des médicaments.
    Monsieur le président, je sais que nous en sommes à huit minutes, et que nous avons huit minutes plutôt que dix pour présenter notre déclaration préliminaire. J'essaie d'accélérer le rythme.
    Je me demande si c'est huit minutes en temps canadien ou en temps égyptien, mais ça, c'est une autre histoire.
    Des voix: Oh, oh!
(0855)
    Si vous dépassez un peu les huit minutes, nous ne vous en tiendrons pas rigueur.
    En ce qui concerne la recommandation, actuellement, même si One Free World International appuie la décision du gouvernement au sujet des frappes aériennes militaires... Nous appuyons ces frappes, parce que nous croyons que ces deux éléments, l'aide humanitaire et l'intervention militaire, doivent peser tous les deux dans la balance. Sans sécurité, on vient en aide à des morts. C'est aussi simple que cela.
    Même si une intervention militaire est très importante, les frappes aériennes militaires ne régleront pas le problème et n'élimineront pas une fois pour toutes le problème de l'État islamique. On ne veut pas vaincre une idéologie avec des balles. La solution, c'est l'éducation. Un point, c'est tout.
    Qui pourra vaincre l'État islamique? Selon moi, premièrement, nous devons interrompre son financement. Nous devons le bloquer. Nous devons contrôler les gouvernements qui les appuient financièrement — des gouvernements comme celui du Qatar, de l'Arabie saoudite, et surtout de la Turquie — et les tenir responsables. Ces endroits deviennent des pouponnières de combattants étrangers qui vont rejoindre l'État islamique.
    Deuxièmement, il faut favoriser la réconciliation au sein du gouvernement irakien lui-même. Selon nos sources, lorsque l'État islamique est entré en Irak, il y avait de 1 500 à 1 800 combattants. C'est impossible, avec ce nombre de combattants, seulement 1 500 soldats de l'État islamique, de prendre le contrôle de 40 % du pays, y compris la deuxième ville en importance, Mossoul. En réalité, après 10 ans du régime Maliki, les chiites ont tellement persécuté les sunnites et d'autres minorités qu'ils ont dû coopérer avec l'État islamique pour survivre.
    Le gouvernement central irakien doit favoriser la réconciliation avec les minorités — chrétienne, yézidie, musulmane, sunnite, kakaï, ou peu importe — et il doit conclure un accord de paix et leur donner le droit à l'autogouvernance.
    En conclusion — je termine mes huit minutes — nous avons été témoins de l'holocauste. Nous avons été témoins du Rwanda, de la Bosnie et du Darfour. J'espère que la conscience canadienne et notre conscience internationale ne se tairont pas. Sans lumière, c'est l'ombre qui l'emporte. Nous sommes la conscience de notre monde, et le Canada est un grand défenseur des droits de la personne.
    Je vous remercie de votre temps.
    Je vous remercie beaucoup.
    Nous allons maintenant passer au révérend Niaz Toma.
    Honorables membres du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, chers amis et Votre Grâce, j'ai le bonheur et l'honneur d'être parmi vous ce matin et j'ai aussi l'honneur, aujourd'hui, de représenter l'une des plus anciennes civilisations de la terre, la civilisation babylonienne. Mes ancêtres ont inventé l'écriture cunéiforme, comme vous le savez, et ont rédigé les premiers textes de loi. La roue a été inventée, même si les Grecs affirment que c'est eux qui l'ont inventée. Ne les croyez pas. C'était nous.
    Des voix: Oh, oh!
    Rév Niaz Toma: L'Irak est non seulement le berceau de la civilisation, comme vous le savez, mais aussi le berceau du monothéisme; c'est là où Dieu a demandé à Abraham de tout quitter et de suivre sa voix jusqu'à la terre promise. Cela s'est produit à la ville de Ur, en Chaldée.
    La chrétienté est entrée en Irak au premier siècle. Nous remontons à l'évangélisation de St. Thomas, qui était l'un des apôtres de Notre Seigneur Jésus. Peu de gens savent que la première église en Irak a été construite en l'an 80 — c'est bien 80 — parce que parfois les gens sont surpris d'apprendre qu'il y a des chrétiens en Irak.
    Cependant, la réalité de la persécution a accompagné l'Église durant les 2 000 ans de chrétienté en Irak. Au cours de 500 premières années, nous avons été persécutés par les Perses. La persécution par les tenants de l'islam était sporadique, puis l'invasion mongole a marqué une autre étape de notre persécution, à tel point que notre église s'appelait et s'appelle encore l'« Église des apôtres et des martyrs ».
    Aujourd'hui, c'est à nouveau notre réalité. Encore une fois, nous subissons la persécution. On dirait que pas plus tard qu'hier notre patriarche, Simon bar Sabbae, a été décapité en compagnie de centaines de milliers de chrétiens au IVe siècle. Ce genre d'événement s'est répété au XVIe siècle. Entre ces deux événements, nous avons été persécutés de façon sporadique par les mêmes musulmans.
    Les chrétiens de Mésopotamie ont toujours représenté une belle mosaïque. Il s'agit principalement de Chaldéens, qui sont des descendants des premières civilisations sur terre, et d'Assyriens aussi, qui habitaient dans le nord de l'Irak. Puis il y a les Syriaques, des gens de Syrie. Cependant, en raison de la montée de l'islam, les choses ont changé, nous sommes devenus moins nombreux en raison de trois facteurs: les conversions forcées, l'immigration et les massacres.
    Permettez-moi de faire un saut dans le temps jusqu'à 1991 pour parler du changement majeur qui s'est produit pour les chrétiens en Irak. Des 1,5 million de chrétiens qui étaient là, le nombre est passé à 800 000, et, aujourd'hui, on estime qu'il reste 250 000 — chrétiens en Irak.
    En 2003, l'Église en Irak s'est courageusement opposée à la guerre menée par les États-Unis. On comprend clairement maintenant que cette opposition n'avait rien à voir avec les chrétiens, et visait plutôt à assurer la stabilité dans toute la région et à éviter les scènes de violence tragiques et les massacres que nous commençons à voir au quotidien et qui sont une insulte à la dignité de la personne humaine.
    Nous croyons fortement que ce qu'on a appelé printemps arabe était en fait un hiver froid et misérable qui a jeté toute la région dans la noirceur et qui perpétuera des conflits sans fin entre groupes islamiques au Moyen-Orient, où les chiites bénéficient du soutien du régime islamique fanatique d'Iran, et les sunnites, de celui des fanatiques parmi les Saoudiens. La richesse due au pétrole et le mouvement djihadiste radical, qui est fondamental, alimentent malheureusement toute une culture de la recherche du pouvoir pour écraser les autres.
(0900)
    Tous sont victimes, y compris les chiites et les sunnites, mais surtout les minorités paisibles, comme les chrétiens, les mandéens et les yézidis, qui ne comptent ni sur un système tribal, ni sur une milice et ne bénéficient pas non plus de l'appui de partis politiques puissants et efficaces.
    Alors que plus de 150 000 chrétiens de Mésopotamie sont encore exilés et loin de leur terre et de leur foyer, vivant dans des tentes et des caravanes en attendant de voir la lumière au bout du tunnel, les gens commencent à douter de vraiment vouloir retourner à Mossoul, par exemple, la deuxième ville en importance d'Irak, ou dans quelque autre ville ou village. Évidemment, ils ne font pas confiance au gouvernement irakien, ils ne font pas non plus confiance à leurs voisins musulmans qui ont accueilli l'État islamique et appuyé ses actes.
    Les frappes aériennes militaires menées par les États-Unis pour mettre fin à l'État islamique n'arriveront pas, selon nous, à éliminer ce mal intrinsèque. Il est surprenant de constater que plus les frappes sont fréquentes, plus l'État islamique fait des percées sur le terrain.
    On peut éliminer l'État islamique de deux façons: à court terme ou à long terme. La solution à court terme consiste à envoyer des forces militaires sur le terrain, tandis que la solution à long terme consiste à aider le gouvernement irakien à mettre sur pied une armée forte loyale à l'Irak, et non à une affiliation religieuse ou aux pays voisins et à exercer des pressions pour qu'il le fasse.
    Une solution à long terme au problème du mal que représente l'État islamique ou tout autre mouvement pouvant naître rapidement consiste à mettre sur pied une initiative internationale de sensibilisation pour aider ceux qui vivent dans la noirceur. Il faut en faire plus au niveau international pour obliger plusieurs gouvernements à modifier leurs programmes d'éducation primaire et secondaire qui enseignent souvent la haine, le racisme et la culture du meurtre.
    Cependant, on ne peut pas mettre en place une démocratie par la force. Tout doit commencer à la maison et à l'école, ce qui favorisera une culture de la vie. C'est pourquoi on dirait bien qu'il s'agira d'un long processus. Mais ce n'est pas impossible.
    Au niveau du Canada, et à la lumière des deux attaques récentes contre nos soldats, il faut vraiment rappeler que l'État islamique n'a pas été inventé récemment. Ce n'est pas nouveau. Il a toujours été là, avec la mentalité et l'idéologie de ceux qui sont prêts à tuer tous ceux qui ne pensent pas comme eux. C'est une mentalité intrinsèquement mauvaise du meurtre — on assassine la dignité des humains, on élimine la diversité — et, par conséquent, il s'agit d'une culture complètement en contradiction de l'essence même de nos grandes valeurs canadiennes.
    Je me fais l'écho de certains représentants du Canada, et je les remercie de leur grand témoignage; ils croient que dans une aucune circonstance le Canada ne devrait laisser tomber ses valeurs liées aux droits de la personne pour des considérations religieuses ou culturelles.
    Pour ce qui est de l'Irak, une solution à la situation semble quasi impossible à trouver. Par exemple, même si nous apprenons que le nouveau premier ministre irakien est très éduqué, et qu'il y a une différence et qu'il veut mener une réforme, il appartient au même parti au pouvoir qui subit une influence absolue de l'Iran. D'un autre côté, la scène politique est beaucoup plus complexe qu'elle ne l'était avant en raison de la montée des groupes sectaires et du système tribal.
    Même si c'est l'Action de grâce américaine, je me dois d'exprimer au nom de mon peuple notre plus profonde gratitude et nos remerciements au gouvernement canadien pour ce que le pays a fait jusqu'à présent. Notre gouvernement canadien a pris les devants lorsque le reste du monde a décidé de garder le silence. Les millions de dollars que le Canada a fournis, les visites du ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, en Iraq aussi et le suivi actif fait par l'ambassadeur canadien en Irak, qui a visité il y a de cela tout juste trois jours le village chrétien d'Irak le plus éloigné à la frontière entre l'Irak et la Turquie: tout cela fait savoir clairement que le Canada est une véritable lueur d'espoir dans le monde.
    Cependant, le Canada peut en faire beaucoup plus tant au niveau local qu'au niveau international. J'aimerais terminer ma déclaration en formulant certaines de mes préoccupations et certaines suggestions.
(0905)
    Grâce aux millions de dollars promis et versés par le gouvernement canadien à l'appui des personnes déplacées, nous avons tout de même entendu des bénévoles et des bénéficiaires qu'ils n'ont rien reçu, du moins, rien du gouvernement du Canada. Je sais que les dons canadiens sont habituellement remis à des organismes internationaux, mais je crois qu'il est important pour le Canada d'agir directement sur le terrain pour être plus près des gens dans le besoin.
    Nous avons appris que des représentants du ministère des Affaires étrangères ont rencontré certains représentants d'organismes irakiens pour discuter des contributions et des dons canadiens récemment. La plupart des participants représentaient des organismes musulmans irakiens et kurdes, et les groupes persécutés n'étaient pas bien représentés. Les chrétiens irakiens n'ont jamais été politisés, et l'Église continue donc d'être leur unique représentation, surtout en raison de l'échec de tous les partis politiques chrétiens, qui ne font que suivre les principaux partis dominants sur la scène politique irakienne.
    Les grands efforts héroïques du comité, qui était composé des cinq archevêques représentant les principales confessions apostoliques chrétiennes, ont offert à nos frères et soeurs persécutés et expulsés un vrai refuge. Cela ne se serait pas fait sans le soutien du Vatican et de certaines des principales organisations de l'Église catholique comme Caritas et Kirche in Not, d'Allemagne.
    L'hiver étant proche en Irak, il y a d'importantes préoccupations au sujet de l'hygiène et de l'état de santé des personnes déplacées. La peur des maladies et des épidémies est vraiment très présente. Il y a aussi des préoccupations liées à la prostitution, parce que, lorsqu'il y a de la pauvreté et de l'instabilité, on constate tous ces phénomènes.
    L'interruption et l'arrêt de l'éducation des enfants et des jeunes représentent une autre importante préoccupation, surtout en raison de l'incapacité des écoles de la région du Kurdistan d'accueillir le grand nombre d'étudiants déplacés. Puisque l'éducation est quelque chose de fondamental pour les chrétiens d'Irak, il devient très frustrant pour les familles de devoir constater que leurs enfants ne peuvent pas aller à l'école.
    À la lumière des préoccupations mentionnées ci-dessus, je crois que le Canada peut jouer un grand rôle et être un intervenant important à ce moment dans le domaine du développement. Les services d'hébergement, d'éducation et de santé doivent être la priorité. Si le Canada accepte cette mission, il pourra vraiment sauver une nation d'un vrai génocide.
    Merci beaucoup.
(0910)
    Merci beaucoup, révérend.
    Nous allons maintenant passer à Son Éminence. La parole est à vous, monsieur.
    Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
    Je crois que le message que je vous apporte est un peu différent. Les Croisades ont-elles apporté des avantages à l'humanité et fait avancer le christianisme? L'Inquisition a-t-elle apporté des avantages à l'humanité et fait avancer le christianisme? La vérité, c'est que ces événements historiques ont nui immensément au christianisme, notamment le pillage de Constantinople et la dévastation de l'empire byzantin durant la quatrième Croisade. La vérité, c'est que ces événements historiques étaient des écarts par rapport au christianisme authentique et aux enseignements de Jésus-Christ, le vrai Messie, le seul rédempteur et sauveur du monde, le seul vrai Dieu. Ces péchés ont été reconnus et arrêtés. Gloire à Dieu.
    Le mal fait au nom de la religion ne sert qu'à blesser et à miner la religion en question. L'expérience de ces événements est-elle applicable aujourd'hui? Pouvons-nous en tirer des leçons? Comment pouvons-nous, en tant que Canadiens, nous joindre aux peuples pacifiques de partout dans le monde pour combattre le fanatisme arrogant qui, tragiquement, prévaut dans un si grand nombre de régions de la planète? N'est-il pas vrai que, de concert avec la démocratie de la Grèce antique, le christianisme a établi des sociétés pacifiques et prospères, notamment les pays démocratiques occidentaux? Comment un peuple pacifique aurait-il raisonné, par exemple, avec un djihadiste né au Canada qui a dit avant sa mort cette année: « Nous tuons, et nous prions pour être tués afin de rejoindre Allah au paradis »?
    N'est-ce pas la mentalité de terroristes qui croient farouchement, mais à tort, qu'ils ont raison et que nous avons tort, qu'ils sont les vrais croyants et que nous sommes des non-croyants, des infidèles? Pouvons-nous décrire les actes commis par Al-Qaïda, Al-Shabaab, Boko Haram et à l'État islamique, par les djihadistes en général, sans utiliser des termes comme « le mal absolu »? Comment pouvons-nous nous attaquer, par exemple, à la pratique égyptienne selon laquelle il est illégal pour des musulmans de se convertir au christianisme, mais qui forcent des filles chrétiennes à se convertir à l'islam? Ou au Pakistan, où on abuse des lois relatives au blasphème pour persécuter et tuer des chrétiens? Comment pouvons-nous mettre un frein aux horribles violations du droit à la dignité et à la liberté des hommes, des femmes et surtout des enfants qui sont commises par l'État islamique?
    Selon un rapport des Nations Unies publié en novembre 2014, intitulé « Rule of Terror: Living under ISIS in Syria », l'État islamique a exécuté des femmes, de même que des hommes, pour avoir eu des contacts non approuvés avec un membre du sexe opposé, et l'État islamique utilise en priorité les enfants comme moyen d'assurer la loyauté à long terme et le respect de son idéologie et comme groupe de combattants dévoués qui considèrent la violence comme un mode de vie. Ces exemples, et tellement d'autres actes connexes sont tellement haineux que les gouvernements, y compris celui du Canada, doivent défendre et protéger leurs citoyens contre tous ses ennemis ainsi que défendre et protéger les innocents du monde entier qui souffrent aux mains des terroristes islamiques.
    Est-il raisonnable de croire que, dans notre monde, l'une des plus grandes menaces à notre mode de vie, à notre liberté et à l'égard de toutes les personnes n'est pas l'extrémisme fondé sur l'islam? Comment réagissons-nous à un fanatique imbu de lui-même qui massacre systématiquement et sans considération des chrétiens ainsi que divers adeptes de l'islam au nom de Dieu? Comment répondons-nous à la notion perverse selon laquelle les terroristes djihadistes sont innocents ou, autrement dit, ne sont pas responsables de leurs actes parce qu'ils ne font qu'exécuter la volonté de Dieu? Ces personnes sont mal avisées et doivent être réhabilitées.
    Nous devrions souligner que les terroristes ne sont pas tous musulmans et, même si certains se sont eux-mêmes radicalisés, les terroristes musulmans ne sont-ils pas entraînés hors du droit chemin par les enseignants fanatiques dans leurs usines? Par conséquent, ne devrions-nous pas déployer tous les efforts pour réformer les enseignants et les usines à terroristes afin qu'ils produisent des artisans de la paix?
(0915)
    Si notre seul but est de tuer les terroristes, nous savons d'expérience qu'ils deviendront comme l'hydre de Lerne de la mythologie grecque. Nous savons qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Nous savons également que la prévention coûte moins cher que le remède, tant du point de vue humain que du point de vue financier.
    N'est-il pas de la plus haute importance que tous les gouvernements, mais surtout ceux des pays à prédominance musulmane, parrainent et préconisent l'observation de principes moraux appropriés parmi leurs citoyens, y compris le respect des droits et libertés de la personne? La réponse du Canada à l'État islamique — comme tous les gouvernements, mais surtout ceux des pays à prédominance musulmane — devrait être axée sur la réforme des usines à terroristes — les djihadistes — et qui parrainent et préconisent la radicalisation.
    À eux seuls, toutefois, les gouvernements ne pourront pas réussir. Ils doivent mobiliser les dirigeants et les adeptes de l'islam. Tous les gouvernements et toutes les personnes de bonne foi ayant de bons principes moraux ont l'obligation de défendre les innocents contre les terroristes islamiques — les djihadistes — et de travailler à la réforme des usines à terroristes pour en faire des usines à artisans de la paix. Ce n'est que de cette manière que nous pourrons défaire le noeud gordien de l'extrémisme islamique qu'ont créé l'État islamique et d'autres organisations terroristes semblables.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à l'ancien ambassadeur Lamani.
    Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner et à présenter certaines idées, mais très, très brièvement; je ne sais pas ce que je pourrai approfondir en huit ou dix minutes.
    J'ai été deux fois l'envoyé spécial en Irak et une fois, en Syrie. En Irak, c'était immédiatement après la guerre de 1991; c'était principalement pour l'aspect humanitaire et l'échange de prisonniers de guerre; puis j'y suis retourné en 2006 et en 2007. J'ai noué une autre relation avec toutes les parties — tout le monde, sauf Al-Qaïda, qui était la seule exception parce qu'elle a un programme qui s'étend au-delà de l'Irak — jusqu'à ce que je présente ma démission au début de 2007, pour protester contre la désignation des programmes. Ensuite, j'ai été en Syrie de septembre 2012 jusqu'au mois de mai dernier et, encore une fois, j'ai remis ma démission pour protester contre la désignation au sujet de ce qui avait été fait, même si cela avait été fait au nom de l'ONU.
    Je peux dire, très brièvement, qu'il faut tenir compte du fait que les crises en Irak et en Syrie ont certains points communs. Les deux doivent faire l'objet d'interventions à trois échelons: l'échelon local, l'échelon régional et l'échelon international, parce qu'il y a tellement d'acteurs.
    Le deuxième commentaire que je formulerais, c'est que les deux sociétés ont des problèmes très profonds, mais principalement les deux problèmes suivants: il s'agit de sociétés extrêmement fragmentées, tellement que je ne peux pas vous dire combien d'acteurs il y a dans les deux cas; et le deuxième problème, c'est le très haut degré de méfiance entre les gens eux-mêmes, entre Irakiens ainsi qu'entre Syriens. Ils ne font même pas la distinction entre un dialogue et une négociation. Alors il faut dialoguer sans même connaître le cadre, et c'est très difficile. Je peux témoigner de beaucoup de choses au sujet de la période que j'ai passée là-bas et des pourparlers. J'ai noué des relations avec tout le monde, et je suis encore en train d'en nouer. Pas plus tard que la semaine dernière, j'était à Istanbul pour rencontrer les oppositions syrienne et irakienne et pour voir la direction que prennent les choses.
    Il y a également certaines différences qui sont historiques. Ibn Khaldun a parlé d'asabiyya et de la distinction entre la mentalité tribale et la mentalité commerciale, c'est-à-dire entre la Syrie et l'Irak. La façon dont c'est abordé... J'ai même été témoin de la création de Daech. Ce que j'ai à dire au sujet de l'État islamique, avant cela, c'est qu'Al-Qaïda n'est pas une organisation; Al-Qaïda est une idéologie qui est en train de devenir comme une franchise. C'est comme un McDonald. L'idéologie est là, et il y a tellement de groupes qui en revendiquent une partie et qui visent les mêmes objectifs.
    Comment devrions-nous nous attaquer à ce problème, à l'échelon international? Comment le Canada devrait-il prendre part à des interventions visant très sérieusement à régler ce problème? Ce n'est pas qu'une question de sécurité. Je pense que l'un des intervenants qui m'a précédé a parlé de l'éducation.
    Je pense qu'une chose qui manque — j'ai vraiment essayé de faire quelque chose à cet égard quand j'étais en Irak — ce sont des changements dans la constitution; c'est-à-dire que, lorsqu'on discute de la constitution, dans cette partie du monde, elle devrait principalement être fondée sur deux principes: la citoyenneté égale et le respect du pluralisme. Ces éléments sont de grands absents dans les constitutions.
    De la façon dont on est intervenu, surtout à l'époque du président Bush, on a commis tellement d'erreurs. Lorsqu'on m'a demandé de rencontrer le secrétaire James Baker, ainsi que le comité de Hamilton, à Bagdad, je leur ai dit que la façon dont ils travaillaient là-bas me rappelait ce que Winston Churchill avait dit dans ses mémoires: que les Américains, avant de faire la bonne chose à faire, doivent épuiser toutes les autres possibilités. Malheureusement, encore une fois, c'est le cas dans la façon dont ils combattent l'État islamique. Si nous ne pouvons pas créer une culture de respect, et si nous ne pouvons pas régler des problèmes qui causent de la frustration chez beaucoup de gens... Si nous avons un, deux ou trois garçons dans la vingtaine qui se font exploser pour tuer d'autres personnes, c'est peut-être anormal, mais, si cela se répète, il y a quelque chose qui cloche. Nous devons nous y prendre très en profondeur pour régler toutes sortes de problèmes.
    Quand j'étais en Irak, en 2006 et en 2007, c'était le début de l'État islamique, quand ce n'était que les Irakiens et... et Al-Zarqaoui a été tué en 2006. Ensuite, quand j'ai déménagé en Syrie, Al-Nosra, qui est la section d'Al-Qaïda — Jabhat Al-Nusra, en Syrie — s'est fait demander par Daech, le peuple irakien, étant donné qu'elle était en Irak, de venir en Syrie afin d'établir une section d'Al-Qaïda. Elle est venue, mais elle ne l'a pas fait de la façon irakienne, de la façon tribale; elle l'a fait de la façon syrienne, ou de la façon commerciale.
(0920)
    Je peux vous donner certains exemples. Au début, dans la région qui était contrôlée par Al-Nosra, c'était comme si on appliquait la politique des Frères musulmans, en Égypte. On tentait d'aider les gens, d'amener des médecins et de travailler avec d'autres groupes armés, même les plus laïques; on considérait que l'ennemi, c'était le gouvernement, et on ne ciblait que les services du renseignement et les immeubles militaires... jusqu'à ce qu'arrive la section irakienne d'Al-Qaïda. Elle est venue avec un autre objectif en tête. Elle devait contrôler deux choses: le pétrole dans la partie est et les régions de contrebande, surtout le long de la frontière avec la Turquie. Elle a eu des problèmes.
    Il s'agit de l'époque qui a suivi immédiatement la rencontre de la France et de la Syrie à Marrakech, à laquelle Mouaz al-Khatib, dirigeant de l'opposition syrienne à cette époque, a condamné les Américains pour avoir mis Al-Nosra sur la liste des terroristes parce que, vous le savez, ce sont nos frères. C'était très compliqué, et de nombreuses personnes n'étaient pas au courant. Quand les problèmes sont survenus entre Al-Nosra et la section irakienne d'Al-Qaïda, c'est là que les combats ont commencé.
    L'idéologie est la même, mais c'est l'approche... comme le dit le proverbe français:

[Français]

     « Le plus important, ce ne sont pas les ingrédients qu'on met dans la gamelle, mais le tour de main du chef ».
    Le tour de main du chef

[Traduction]

les deux organisations étaient totalement différentes.
    Je me souviens aussi, puisque les intervenants qui m'ont précédé sont des chefs religieux — je n'en suis pas un — que j'ai rédigé un rapport lorsque j'ai démissionné de l'Irak et que je suis rentré chez moi, au Canada. Je me suis joint au CIGI, le plus important groupe de réflexion à Waterloo. J'y ai reçu beaucoup d'appuis, et j'ai rédigé un rapport que j'ai intitulé « Minorities in Irak: The Other Victims », ou les Minorités en Irak: Les autres victimes.
    Je l'ai fait en réaction au rapport qui avait été publié par un collègue du Congrès, dans lequel il déclarait que nous devons mettre la pression sur le gouvernement irakien pour qu'il fasse venir trois représentants: un chez les chrétiens, un chez les yézidis et un chez les kakaïs. J'étais foncièrement contre cette mesure. Il doit y avoir une citoyenneté égale. Chaque Irakien a le droit d'être premier ministre ou président. C'est très difficile — c'est comme un rêve, maintenant — mais il n'y a pas d'autre solution.
    J'ai aussi présenté ce rapport au Parlement britannique. Malheureusement, maintenant, la situation empire. Je me souviens d'une chose qui était très choquante pour moi quand je rédigeais ce rapport. De nombreuses personnes ont déménagé, en 2006 et en 2007, de l'Irak vers Amman, et je suis allé rencontrer beaucoup de gens. Certains retournaient chez eux parce qu'ils n'avaient pas d'argent et que personne ne les aidait. Je vérifiais auprès de l'UNRRA et du Représentant spécial des Nations Unies pour voir ces gens qui revenaient de... et quand je parle de minorités, je ne veux pas dire seulement les minorités religieuses; je parle aussi des minorités ethniques; c'est un énorme problème, ça aussi. Aucune personne appartenant à une minorité n'est retournée en Irak, et c'était très, très triste; très triste.
    Comment devrions-nous nous y prendre pour régler ces problèmes? Il y a une énorme différence entre les sections irakienne et syrienne de l'État islamique. Bien des gens ne pourraient même pas comprendre quelles sont les différences. Pourquoi l'État islamique était-il en Syrie? Tout le monde était contre son arrivée; même l'autre branche d'Al-Qaïda se battait contre cette section; le Front islamique — tout le monde. Personne n'était de son côté. En Irak, non, elle comptait très fortement sur les six provinces sunnites. Ce que je sais au sujet de ces provinces, c'est que, avec un gouvernement sectaire, surtout durant la période Maliki, qui était très fortement sectaire... Personnellement, j'ai eu beaucoup de problèmes avec lui au sujet de ces questions lorsque j'y étais.
    L'armée irakienne à Mossoul, quand Daech est arrivé, avait été perçue dans ces six provinces comme une armée d'occupation. Personne ne considérait l'armée irakienne comme une armée nationale. Certains très haut gradés de l'armée m'ont dit — c'est très difficile à vérifier — que l'armée actuelle, même avec la pression des Américains après que les Sahwa ont vaincu Al-Qaïda dans cette région en 2006 et en 2007, compte moins de 5 % de sunnites et moins de 2 % de kurdes. Elle est appuyée par des milices chiites qui sont au moins aussi dangereuses que l'État islamique. Maintenant, elles se battent ensemble contre l'État islamique. Nous l'avons vu après les Sahwa, quand les Américains tentaient de pousser Maliki à intégrer à l'armée irakienne les 150 combattants qui se sont battus contre — et ont vaincu — Al-Qaïda à ce moment-là. Maliki a tout simplement refusé, car, pour lui, avant d'être des combattants contre Al-Qaïda, ils étaient des sunnites, et il n'en voulait pas.
    Par conséquent, si nous ne retournons pas en arrière, ce que je disais aux Américains... Pas plus tard qu'en juin dernier, j'ai été invité à Washington, et j'ai insisté: « N'envisagez pas le train qui est parti en pensant que vous pouvez ordonner ce qu'on appelle la “réconciliation nationale” dans l'une des gares qui viennent; cela ne va pas fonctionner. Et nous l'avons constaté. Après 11 ans, cela ne fonctionne pas; le train doit faire marche arrière; il faut s'entendre sur la constitution, s'entendre à ce sujet.
(0925)
    Les Irakiens ne peuvent pas le faire seuls. Il faut qu'on les aide et qu'on les force, à l'échelle internationale. Sinon, cela va tout simplement aller de...
    Je sais que mon temps est presque écoulé, monsieur le président.
    Peut-être que le Canada dirigeait également le volet humanitaire des catastrophes ainsi que certaines approches politiques. La semaine dernière, quand j'étais à Istanbul, j'ai rencontré certains des membres du conseil militaire de l'Irak. Il s'agit de l'ancienne résistance contre l'occupation américaine. Je ne parle pas d'Al-Qaïda: il s'agit d'Irakiens qui étaient contre l'occupation et qui ont pris les armes. Maintenant, beaucoup de choses ont changé. Soudainement, ils se préoccupent vivement de deux choses qu'ils haïssent: un gouvernement sectaire qu'ils combattent, et, de l'autre côté, surtout dans leur région parce qu'il y a de nombreux sunnites, l'État islamique.
    Ils ont dit: « Eh bien, vous devez être très clair au sujet de l'État islamique. » Il s'agit d'un problème humain, et il faut le condamner. Ils ont ajouté: « Ils sont en train de nous tuer, mais personne ne nous parle, et nous ne voulons pas répéter l'expérience des Sahwa. Quand les Américains ont demandé à notre tribu de se battre contre Al-Qaïda, et que nous l'avons fait, Al-Maliki et les Américains nous ont rejetés. »
    Je pense que nous pouvons aider ces parties à parler à tout le monde, à établir un dialogue. Le Canada peut être un chef de file et être utile. Je sais que certains des pays nordiques le font. Ils invitent des gens, écoutent tout le monde et tentent d'étudier certaines possibilités de propositions de réconciliation nationales ainsi que de soulever certaines questions auprès du Conseil de sécurité, de Washington. Je pense qu'il est grand temps pour le Canada de faire quelque chose. Je ne veux pas que le Canada soit un prisonnier lorsqu'il s'agit de signer un chèque ou d'activités humanitaires ou de quoi que ce soit.
    Je pense qu'il y a beaucoup de choses à dire, mais je vais m'arrêter ici et m'efforcer de répondre à toutes les questions.
    Merci beaucoup.
(0930)
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant accueillir notre collègue de Londres, M. Akhavan.
    Vous avez la parole, monsieur.

[Français]

     Monsieur le président, distingués membres du comité, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. J'aimerais remercier également le Haut-commissariat du Canada à Londres d'avoir rendu possible cette vidéoconférence.

[Traduction]

    Mon témoignage, aujourd'hui, portera principalement sur le contexte dans lequel l'État islamique a vu le jour et visera à déterminer les politiques qui sont requises pour mettre en oeuvre une solution significative à long terme aux calamités affligeant les peuples de la région.
    À l'heure actuelle, nous connaissons tous bien les décapitations des otages occidentaux transformés en spectacle par l'État islamique dans les médias sociaux. Nous avons aussi été témoins de la tuerie, pas seulement de populations chrétiennes, yézidies et chiites, mais aussi de tribus sunnites rebelles. Le fait que pas même les enfants sont épargnés témoigne de la nature génocidaire de ces tueries fondées uniquement sur l'identité religieuse des victimes. Les personnes qui sont épargnées, les femmes et les filles, sont vendues en esclavage. On rapporte que le prix d'une chrétienne ou d'une femme yézidies est de 43 $, si elle a entre 40 et 50 ans, 86 $, si elle a entre 20 et 30 ans, 129 $, si elle a entre 10 et 20 ans, et que le prix le plus élevé — 172 $ — est appliqué aux filles de neuf ans et moins. On appelle, avec raison, l'État islamique le «califat du barbarisme », ou simplement un culte de la mort. Sa cruauté à l'égard des innocents dépasse l'entendement, et ces atrocités ont encore lieu au moment où on se parle, aujourd'hui.
    Dans ces circonstances, il n'est pas difficile de déclarer que l'État islamique est l'ennemi. Il n'est pas difficile de le bombarder, tellement il nous dégoûte. Il y a peut-être l'objectif rationnel d'affaiblir ses capacités militaires, mais il y a aussi l'aspect émotionnel, une certaine clarté morale, de cette micro-croisade contre la sauvagerie qui s'est faite relativement sans effort. C'est là que se situe le danger de l'aveuglement, de l'amnésie historique, si nous n'évaluons pas les circonstances qui ont donné lieu à ce cauchemar. Si nous ne comprenons pas ce contexte, il ne pourra y avoir aucune solution significative à long terme.
    La bataille de Kobani a montré qu'on ne peut pas sous-estimer la volonté de combattre de l'État islamique. Il est clair que, au bout du compte, on ne pourra le vaincre que par une transformation des politiques à courte vue et de la situation qu'il a réussi à exploiter pour imposer son idéologie extrémiste. C'est dans le passé historique récent que d'importants experts et décideurs occidentaux ont parlé de l'arc de crise islamiste comme d'une occasion de mettre un frein à l'expansion soviétique dans la région et de susciter la furie djihadiste contre Moscou parmi les musulmans soviétiques.
    L'extrémisme était considéré comme une arme de la guerre froide, et on a pu le constater dans des pays comme l'Afghanistan, où les moudjahidines se sont révélés être un instrument utile jusqu'au retrait des soviétiques, en 1989, après quoi un pays regorgeant de djihadistes a été abandonné parce qu'il avait cessé d'avoir une valeur géopolitique, et ce, jusqu'au 11 septembre 2001.
    On a pu le constater en Iran, où de nombreuses personnes rêvaient que l'ayatollah Khomeini devienne le Ghandi iranien présidant un gouvernement pragmatique... jusqu'à la crise des otages américains.
    On a pu le constater dans l'Irak de Saddam Hussein, qui a reçu le soutien inconditionnel de l'Occident tout au long de la guerre entre ce pays et l'Iran, même durant le génocide de civils kurdes au moyen de gaz toxiques, jusqu'à ce que Saddam Hussein décide d'envahir le Koweït. Aujourd'hui, ce sont les mêmes forces peshmergas kurdes, que l'Iran appuyait à l'époque, qui sont les forces au sol en train de se battre contre l'État islamique. Il s'est avéré facile de renverser Saddam Hussein après l'invasion de 2003 menée par les Américains, mais des politiques mal avisées, comme l'inclusion du partage sectaire du pouvoir et la corruption endémique parmi les leaders politiques, ont contribué dans une mesure importante à l'aliénation et à l'insurrection armée.
(0935)
    Dans le contexte de la rivalité régionale entre l'Iran et l'Arabie saoudite, le vide laissé par le départ de Saddam a été comblé par une violence sectaire, les deux parties s'affrontant par milices extrémistes interposées le long du fossé idéologique qui divise les chiites et les sunnites. C'est sur cette toile de fond que Zarqawi, le chef d'Al-Qaïda en Irak, a défié son maître, Zawahiri, en encourageant les guerres sectaires contre les chiites, et aujourd'hui, c'est al-Baghdadi qui dirige le mouvement qui s'est étendu et que d'autres forces de la région ont rejoint, y compris le débordement sur le conflit en Syrie.
    N'oublions pas que Badr, soutenu par l'Iran, et d'autres milices chiites réagissent en commettant des atrocités de même nature contre les sunnites.
    En Syrie, pendant ce temps, l'assassinat massif de protestataires pacifistes par les forces loyales à Bashar al-Assad, qui utilisent entre autres des armes chimiques, de même que l'extermination de sunnites par la célèbre milice shabiha alaouite s'inscrivait dans une politique d'incitation délibérée à la violence sectaire en tant que stratégie de survie. Pendant que l'Iran et le Hezbollah combattaient pour préserver le régime d'Assad, la Turquie et l'Arabie saoudite soutenaient les rebelles islamiques. On raconte même que Damas a favorisé l'essor rapide de l'État islamique en libérant des prisonniers et en prenant d'autres mesures. Apparemment, cela s'est révélé une stratégie fructueuse, qui présentait Assad comme le moindre de deux maux et en en faisant le bénéficiaire plutôt que la cible des frappes aériennes de l'Occident.
    Pour compliquer davantage les choses, le bombardement de l'État islamique par ses alliés militaires tacites que sont l'Occident et le régime d'Assad a valu aux extrémistes une hausse de leur capital de sympathie et de nouvelles recrues, venant même parfois des rangs de l'Armée syrienne libre, auparavant principal mouvement des rebelles et rivale de l'État islamique. Dans ce contexte, affirmer que la politique forge d'étranges alliances serait un euphémisme. Une dialectique de l'extrémisme est en jeu. L'instrumentation cynique et à courte vue de l'identité religieuse, par des régimes qui ont adopté des idéologies fondées sur la haine et la discrimination, continuera à déchirer la région et à fournir un terreau fertile à la violence sectaire, qu'elle soit l'oeuvre de l'État islamique ou d'autres forces qui ne commettent pas de moindres atrocités contre les civils, même si elles maîtrisent moins l'informatique quand il s'agit de diffuser leurs crimes.
    Au-delà des frappes militaires et de la nécessité d'un renouvellement du processus de paix en Syrie ou de l'aide humanitaire à offrir aux réfugiés, le Canada devrait envisager un engagement significatif à long terme dans la région. En particulier, le Canada, de concert avec les pays qui ont des vues similaires, devrait mettre à contribution son influence diplomatique et ses autres ressources pour dissuader, et décourager les puissances régionales de se servir de l'extrémisme comme d'un instrument du pouvoir. Le Canada pourrait également déployer des efforts, de concert avec d'autres pays, pour contrebalancer ses intérêts commerciaux avec des mesures visant à contrer la corruption endémique, laquelle est un autre terrain propice à l'extrémisme.
    Enfin, le Canada pourrait investir dans des programmes visant à consolider la société civile, les médias indépendants et les ressources éducatives qui facilitent la promotion du pluralisme et de la tolérance, et je sais que le gouvernement a pris certaines mesures à ce sujet. Le monde n'a constaté l'existence de l'État islamique que l'an dernier, mais son évolution dure depuis longtemps. Toute solution durable exigera une nouvelle vision du Moyen-Orient fondée sur le pluralisme et l'interdépendance. Il est inacceptable de penser que cette région serait la seule à conserver une immunité quelconque contre les forces d'intégration historiques qui ont façonné toutes les autres régions du globe.
(0940)
    La création d'un nouveau Moyen-Orient unifié pourra se faire, soit grâce à un engagement soutenu et à des décisions courageuses des leaders, soit après encore plus de calamités inimaginables qui ne nous laisseront aucun autre choix.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Akhavan.
    Nous allons maintenant commencer notre première série de sept minutes, qui sera suivie par une série de cinq minutes.
    J'aimerais demander aux députés d'adresser leurs questions à quelqu'un de précis, qui saura ainsi qu'il devra y répondre.
    Monsieur Dewar, vous avez la parole pour sept minutes, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à tous nos témoins, les exposés étaient vraiment superbes. J'aurais aimé que nous ayons plus de temps. Peut-être qu'un jour nous allons pouvoir modifier les règles des comités de façon à pouvoir explorer les questions un peu plus en profondeur, mais, hélas, je ne dispose que de sept minutes.
    J'aimerais lire quelque chose pour que ce soit inscrit au compte rendu, monsieur le président. Il s'agit d'un rapport sur les yézidis, qui « ont à choisir entre la conversion, l'expulsion ou l'exécution » et sur des militants qui s'en prennent aux yézidis, tirant sur un autobus pour faire 23 morts et bombardant plusieurs villages pour faire des centaines de morts. Vous pensez peut-être que ces événements sont survenus au cours de l'année, au cours des six derniers mois. Mais, pour le compte rendu, il s'agit d'un document concernant le travail de l'ex-ambassadeur Lamani en 2007.
    La raison pour laquelle je veux que cela figure dans le compte rendu, c'est que, comme M. Akhavan vient de nous le dire, les racines de ce phénomène et les signaux précurseurs remontent à un certain nombre d'années. J'ai l'impression que, ce que M. Akhavan nous dit, c'est que nous semblons toujours faire la même chose, nous ne tenons pas compte des faits jusqu'à ce qu'ils nous sautent au visage, et on dirait bien que nous sommes en train de retomber dans ces mêmes ornières.
    Monsieur Lamani, vous avez parlé entre autres, dans votre exposé, de la nécessité de s'engager sur le plan diplomatique. J'aimerais vous parler de cela, de votre expérience. Vous êtes récemment allé à Istanbul. Vous avez discuté avec les membres de certains groupes qui actuellement n'appartiennent pas à la « coalition », c'est le terme que je lui donne, ni du moins à l'engagement. De qui peut-il s'agir? Quels autres pays pourraient s'engager avec le Canada dans ce processus diplomatique? Et quels seraient les critères de cet engagement?
    Autrement dit, avant de nous engager et d'entamer des pourparlers, nous devrions établir un certain cadre de travail. Je pense en particulier à la résolution des Nations Unies au sujet de l'État islamique, ou de l'État non islamique. Vous pourriez peut-être nous renseigner à ce sujet.
    Merci, Paul.
    C'est... eh bien, je crois que la discussion concerne tout le monde, sauf Al-Qaïda. Quand j'étais envoyé spécial dans la région, je l'ai dit très clairement; il faut discuter avec tout le monde, sauf avec les pays qui avaient pour objectif de dépasser les frontières de l'Irak, ou plutôt dont le programme vise maintenant tant l'Irak que la Syrie. Ils sont en lutte, ils sont en lutte contre le monde entier. Le Conseil de sécurité a pris tellement de résolutions, établi tellement de listes. Je crois fermement que ce travail doit se poursuivre. Nous devons continuer ce travail.
    Je parle des ordres qui sont donnés à des gens qui n'ont pas le choix. Vous vous souviendrez qu'en 2003, lorsque le président Bush a décidé d'envahir l'Irak sans voir obtenu une résolution du Conseil de sécurité, la façon dont cela s'est déroulé a profondément divisé la société irakienne. Il faut mentionner également les erreurs, je suis désolé d'avoir à le dire, de l'ambassadeur Bremer, en particulier, qui a démobilisé l'armée et dissous toutes les institutions en disant aux gens, vous n'avez plus assujetti aucune autorité, vous pouvez aller vous battre contre Assad. Je me souviens, quand je suis arrivé là-bas, c'était une pagaille épouvantable. C'était une pagaille épouvantable, mais on pouvait voir en parallèle un groupe d'Irakiens qui se soumettaient au processus politique et à l'occupant, et aux ordres — il est impossible d'accepter quoi que ce soit — et à l'opposition; c'était le véritable problème que j'ai rencontré quand j'ai tenté de participer à la réconciliation nationale.
    Je disais constamment à nos alliés — l'ambassadeur américain du moment, et aussi quand on avait l'habitude de m'inviter à Washington — que nous faisions des choses; il semble qu'on ait décidé de faire la guerre, mais qu'on n'ait rien prévu pour après la guerre. C'est la raison pour laquelle vous avez, ou que vous ne parlez pas...
    Ils ont essayé. Ils ont même demandé mon aide, à l'époque. J'essayais d'organiser une réunion entre l'ambassadeur Khalilzad et Harith al-Dari, le dirigeant de l'Association of Muslim Ulama, pour tout simplement préparer le terrain à ce type de dialogue, mais les problèmes étaient tellement nombreux que c'était presque impossible. De plus, les occupants suscitaient une grande méfiance.
    Voilà pourquoi je pense que le Canada, la façon dont ça se passe au Canada, et aussi dans les pays nordiques... les pays nordiques sont très actifs. Je reçois toujours beaucoup d'invitations au sujet de réconciliation nationale et je travaille à préparer bien des choses. Je crois que ces groupes, tous ces groupes, personne ne leur parle, sauf quelques Européens. Je connais ces groupes ou certains intellectuels qui sont très respectés dans ces groupes. Ils ont récemment été reçus par la présidence européenne, de même qu'en Norvège et en Suède. Si cela vous intéresse, nous pourrions aussi vous présenter nos homologues des pays nordiques qui pourraient vous parler de leurs expériences et de ce que le Canada pourrait prendre en charge, en particulier pour travailler auprès des Américains et pour déployer des efforts.
    Paul se souviendra qu'en 2009 ou en 2010, j'ai moi-même accepté de participer à certaines activités, immédiatement après l'élection du président Obama, en collaboration avec Ellen Laipson et le Centre Stimson de Washington, et nous avons organisé quatre séances au sujet de l'Irak. Il y avait deux séances de nature politique — une qui portait sur la politique et une autre, sur la sécurité — à Washington, et, avec l'aide de Paul, il y en a eu deux qui se sont tenues ici, au Parlement d'Ottawa, une qui portait sur les institutions fédérales et une autre sur l'aide humanitaire et les minorités.
    Je pense à ce type de travail; si c'est le Canada qui s'en charge, si c'est avec l'image du Canada, même si celle-ci change un peu, maintenant, c'est un créneau qu'il est possible d'exploiter à fond par les voies diplomatiques.
(0945)
    Monsieur Akhavan, je vais vous poser une question très rapidement, car il me reste littéralement une seule minute.
    Vous connaissez certainement la résolution 2178 de l'ONU, dont je cite ici un extrait:
… que les États Membres doivent veiller à ce que les mesures qu’ils prennent pour combattre le terrorisme soient conformes à toutes les obligations que leur fait le droit international… soulignant que les mesures antiterroristes efficaces et le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’état de droit sont complémentaires et se renforcent mutuellement, et que tous sont des éléments essentiels au succès de la lutte contre le terrorisme…
La résolution poursuit en établissant que tous les États membres doivent respecter le droit international et s'y conformer.
    En tant qu'expert du domaine du droit international, pourriez-vous parler de l'importance de s'assurer que la réaction du Canada aux actes de l'État islamique est conforme à nos obligations juridiques internationales et nous dire ce que nous pourrions faire de plus pour réussir à réunir les éléments de preuve dont nous avons besoin pour traduire les coupables en justice?
    Eh bien, outre le fait que le Canada est tenu de se conformer aux lois internationales, nous devons réaliser que nous nous sommes engagés dans une lutte qui touche le coeur et l'esprit, et que la fin ne justifie pas les moyens. J'estime que la façon dont le Canada et les autres démocraties occidentales vont se comporter aura d'énormes répercussions dans la région.
    En ce qui concerne les poursuites contre les criminels, bien sûr, c'est une situation très difficile étant donné les problèmes auxquels a déjà fait face la Cour pénale internationale. Je crois qu'en plus de les traduire en justice, nous devrions réfléchir à la façon dont nous pourrions promouvoir la réconciliation, par exemple par le truchement de commissions de vérité, qui pourraient fournir un moyen de panser les blessures, les blessures sectaires qui ont déchiré ces sociétés.
    Nous devrions garder à l'esprit l'expérience de la Commission Vérité et Réconciliation, en Afrique du Sud, et celle d'autres pays qui ont dû traverser des périodes de transition. L'avantage d'un tel processus c'est qu'il permet aux membres du public d'y participer largement, ce qui est impossible dans le cas de procès au criminel.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Dewar.
    Nous passons maintenant la parole à M. Anderson pour sept minutes, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier tous les témoins d'être venus ici aujourd'hui.
    J'aimerais revenir rapidement sur cette dernière question. J'aimerais avoir votre opinion sur le rôle que joue l'armée. Devons-nous attendre jusqu'à ce qu'une armée professionnelle ait été mise sur pied en Irak avant de penser qu'il sera possible de gagner le combat contre l'État islamique?
    Monsieur Akhavan, vous parlez de toucher le coeur et l'esprit, de commissions de vérité et de choses du même genre, mais qu'est-ce qui doit être fait avant cela? Quelle est l'importance de la mise sur pied d'une armée professionnelle en Irak pour assurer une conclusion heureuse ici?
    Merci, monsieur.
    Évidemment, je ne suis pas un expert des questions militaires. Je dirais qu'il est clair que l'armée a un rôle important à jouer pour empêcher l'État islamique de commettre d'autres atrocités. J'essayais tout simplement de souligner que la solution militaire est une solution à court terme quand on cherche à prévenir les pires excès et qu'elle n'est certainement pas la solution à ce problème.
    Alors, même s'il est impératif d'empêcher l'État islamique de continuer à commettre des atrocités contre des minorités vulnérables, nous devons réfléchir au-delà de ce réflexe, si vous voulez, aux atrocités commises et chercher à élaborer une solution bien adaptée aux problèmes de la région.
(0950)
    Pensez-vous que le problème peut se régler sans un très solide contingent militaire?
    Eh bien, cela fait maintenant des années qu'un solide contingent militaire se trouve dans cette région du monde, et il semble qu'il n'a réussi qu'à exacerber les problèmes. L'Irak a-t-il besoin d'une armée nationale solide et non sectaire? Absolument. Il est malheureux qu'après toutes ces années, il n'ait pas été possible de créer une telle armée, comme certains autres témoins l'ont expliqué.
    À long terme, la participation des militaires occidentaux ne représente qu'une petite partie de la solution. Nous devons créer des institutions nationales fortes, en Irak et aussi chez son voisin, en Syrie, mais ce n'est pas tout, nous devons investir beaucoup plus dans l'aide et la reconstruction pour recréer des institutions et des espaces politiques qui aideront ces sociétés à tourner le dos à la violence sectaire.
    Monsieur Lamani, vous avez parlé rapidement de l'importance de la citoyenneté et du sentiment d'appartenance à titre de citoyens d'un pays. J'aimerais savoir si vous avez des suggestions sur la façon dont nous pourrions encourager cette perception de la citoyenneté, vu ce qui se passe actuellement? Que pourrions-nous faire à ce sujet à partir d'ici?
    Laissez-moi, à titre de praticien, vous donner un exemple concret. Quand ils discutaient de la constitution, nous leur demandions d'inviter des experts d'autres pays qui ont une formidable expérience dans ce domaine, et nous tentions d'expliquer qu'il s'agit de protéger tout le monde, tant les membres de la majorité que les membres des minorités. Quand nous avons présenté cette idée...
    Je me souviens de discussions auxquelles j'ai participé, en Irak, sur l'égalité des citoyens. Ils disaient qu'ils ne ressemblaient pas aux Occidentaux. Je leur ai répondu de regarder ce qui se faisait en Inde. Il est déjà arrivé en Inde, que le premier ministre soit issu d'une minorité, étant musulman, et que le président était issu d'une autre minorité: il était sikh. Mais personne n'a prétendu qu'ils n'étaient pas indiens. Alors, si cela fonctionne là-bas, pourquoi est-ce que cela ne fonctionne pas au Moyen-Orient?
    Je crois fermement que, si nous ne faisons pas inscrire cela dans la constitution et si nous n'y consacrons pas nos efforts, il sera impossible de trouver quelque autre solution que ce soit. Ce sur quoi je ne suis pas d'accord en général, mais en particulier quand il s'agit de l'Occident, c'est que notre position est davantage axée sur la réaction que sur l'action. Nous le voyons partout. Aujourd'hui, on apprend qu'ils décapitent des Occidentaux. Vous savez, le jour même où ils ont décapité un Occidental, l'État islamique a tué plus d'un millier de musulmans, surtout des sunnites appartenant aux collectivités mêmes qu'ils prétendaient vouloir développer.
    Alors, si nous ne nous attaquons pas au fond de tous ces problèmes et si nous ne les aidons pas à remettre sur pied leurs institutions, cela ne fonctionnera tout simplement pas.
    Révérend Toma, révérend El Shafie, une des choses sur lesquelles nous insistons est la liberté de religion, et nous avons mis un bureau sur pied. Nous essayons de faire valoir trois principes. Les gens doivent avoir certains droits fondamentaux: la liberté de croyance, la liberté de pratique et la liberté de changer de croyance.
    J'aimerais savoir comment nous pourrions arriver à mettre ces principes en oeuvre dans cette région ou si le moment n'est pas bien choisi pour penser pouvoir le faire, de façon réaliste.
    Merci, monsieur Anderson, de cette question.
    Pour commencer, il est bien sûr important que le Canada mette sur pied, ici, un bureau de la liberté de religion, qui est dirigé par Andrew Bennett. C'est un grand pas en avant, non seulement sur le territoire du Canada, mais sur la scène internationale, également. Cependant, je crois qu'un des principaux problèmes que nous devons aborder à ce chapitre, en Irak, c'est l'éducation. Je crois vraiment que c'est une partie du problème avec lequel nous devons actuellement composer.
    Au début du Printemps arabe... et nous avons déjà indiqué que le Printemps arabe a été remplacé par un hiver froid et mortel, pour les minorités. Permettez-moi d'affirmer que nous sommes tous contre les dictatures — Moubarak en Égypte, Ali Abdullah Saleh au Yémen, Khadafi en Libye, et ainsi de suite — mais le problème, quand vous vous débarrassez d'une dictature, c'est que vous créez un vide politique. Ce sont les extrémistes musulmans qui profitent de ce vide politique, et nous voyons la même chose arriver dans de nombreux pays, la Libye, l'Égypte, et ainsi de suite.
    Parlons de la société égyptienne, par exemple; il faut savoir que de 30 à 40 % des Égyptiens sont analphabètes. Ils ne savent ni lire, ni écrire leur propre nom. Nous aurions beau réformer la constitution, ils ignorent à quoi leur vote servira. Ils vont suivre tout individu barbu qui leur dira de l'écouter, afin de pouvoir aller au ciel. C'est ici qu'un bureau de la liberté de religion peut entrer en scène, en faisant la promotion de la liberté de religion. Il n'y aura jamais de véritable démocratie au Moyen-Orient si elle ne repose pas sur deux fondements: la liberté de religion est un premier fondement, la séparation de la religion et de l'État est le second fondement. Il n'y aura jamais de démocratie au Moyen-Orient si la religion et l'État ne sont pas distincts.
    Je pense que le bureau de la liberté de religion peut, au Canada et à l'étranger, être un instrument efficace en matière d'éducation, quand on parle de la prochaine génération, quand on parle de consacrer nos efforts à effectuer une séparation entre la religion et l'État et d'instaurer une véritable liberté de religion avec votre aide et vos encouragements.
    Merci.
(0955)
    Révérend Toma, auriez-vous des commentaires à formuler?
    Merci beaucoup d'avoir posé la question.
    Je crois que la clé est l'intégration entre les principes et les valeurs des droits de la personne et les valeurs de chaque religion. Lorsque l'intégration se fait, il cesse d'y avoir des problèmes.
    Le problème au Moyen-Orient, surtout avec l'islam, c'est qu'il y a un précepte, largement accepté parmi les musulmans, voulant que, si vous êtes musulman et vous convertissez à une autre religion, vous êtes condamné à mort. C'est le principal obstacle.
    Si nous regardons la situation au Canada, nous sommes inquiets; la liberté de religion est en vigueur, mais nous craignons qu'un jour quelqu'un dise: « Eh bien, nous sommes dans une société multiculturelle et multiconfessionnelle où règne la liberté de religion; je crois en ceci et en cela, et ma religion me dit de faire ceci et cela. » En vertu de la Charte des droits de la personne, nous dirons: « Oh, oui, nous approuvons cela. C'est votre religion, et nous sommes dans un pays libre. »
    Nous craignons beaucoup d'arriver à une telle situation ici au Canada. Au Moyen-Orient, l'obstacle est celui que je vous expliqué. Selon un précepte islamique largement accepté, quiconque se convertit à une autre religion est condamné à mort. Alors, nous sommes devant ce dilemme. Il faudra beaucoup de temps avant que...
    Chez moi, en Irak — je me considère encore comme un nouvel arrivant, bien que je sois venu au Canada il y a 12 ans — j'avais des amis qui se sont convertis à l'islam, mais en secret — dans le secret le plus total — parce qu'ils avaient peur. Même ici, lorsqu'ils ont des familles, de la parenté, les gens ressentent encore une crainte et une pression sociales.
    Nous devons travailler, une étape à la fois, à promouvoir les valeurs de liberté de religion.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Anderson.
    Nous allons clore la première série avec M. Garneau. Vous avez sept minutes, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup de votre témoignage. Si je vous interromps, je vous prie de ne pas vous en formaliser. Je n'ai que sept minutes aujourd'hui, et je veux poser trois questions. Ma première question s'adresse à M. Akhavan.
    Bien des gens ont parlé du moteur de financement de l'État islamique — je ne parle pas du pétrole clandestin — provenant de pays comme l'Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et d'autres. Est-il réaliste de penser qu'on pourrait couper les vivres? Savez-vous si les gouvernements de ces pays font quelque chose pour essayer d'y mettre fin? Il s'agit certes d'un élément important.
    Merci, monsieur Garneau.
    Je crois savoir qu'il y a eu certaines divergences au sein de la classe politique saoudienne quant au rôle régional de l'Arabie saoudite, et certaines mesures ont été prises pour essayer de contrôler l'acheminement d'argent, et il faut en faire beaucoup plus. Une partie de la solution, comme je l'ai expliqué, est de décourager l'instrumentalisation de l'extrémisme religieux comme levier pour acquérir le pouvoir dans la région. Bien sûr, cela répond aussi aux besoins de l'Iran, qui utilise aussi l'extrémisme religieux à ses propres fins. C'est pourquoi j'ai expliqué qu'il y avait, en quelque sorte, une dialectique de l'extrémisme, mais les sources de financement sont très importantes.
    Toutefois, le danger est que l'État islamique, contrairement à Al-Qaïda, est un État qui a des ressources qu'il peut utiliser pour amasser des fonds sur le marché noir. Alors, en plus de mettre fin au financement des pays du Golfe, il s'agit d'un autre problème qu'il faut régler. Le régime Al-Assad aurait même acheté du pétrole à l'État islamique dans les premiers mois de son avènement, pour aider, semble-t-il, l'État islamique à se renforcer et à prendre de l'expansion. Comme je l'ai expliqué d'un point de vue stratégique très cynique, le régime Al-Assad est le moindre des deux maux.
(1000)
    Merci.
    Révérend Toma, j'ai eu l'occasion d'aller en Irak, jusqu'à Erbil, en septembre, et j'ai rencontré des membres du clergé chaldéen, dont l'évêque de Mossoul. Nous avons parlé du fait que l'État islamique avait pris possession de Mossoul, deuxième ville en importance en Irak, maintenant peuplée de deux millions de personnes, ou probablement moins car beaucoup ont pris la fuite. Mais j'aimerais savoir si vous avez une idée de la puissance de ce contrôle? Il s'agit de la plus grande ville sous la dominance de l'État islamique, à ce qu'on nous a dit. Exerce-t-il un contrôle complet sur la population? Est-il intégré, ou l'emprise est-elle faible?
    À vrai dire, toutes nos sources d'information de Mossoul confirment qu'il a le contrôle absolu, surtout vu la sympathie exprimée par les gens de Mossoul.
    Pour revenir un peu en arrière, une tension a toujours régné entre les musulmans de Mossoul et les chrétiens, bien qu'elle n'ait pas été palpable au premier abord, en raison du régime de Saddam et de la transition qu'a connue l'Irak au cours du dernier siècle. Pourtant, vu toute l'information fournie, je peux dire qu'il a le plein contrôle. En outre, il a accès à de la technologie de pointe. Un témoin m'a dit que, lorsque Abou Bakr al-Baghdadi a prononcé son discours à la mosquée vendredi, il était très calme. L'événement était si sécurisé que même les ondes cellulaires étaient interrompues. Qui possède cette technologie? On ne s'achète pas cette technologie au magasin du coin.
    Encore à titre d'exemple, lorsque les Américains ont commencé les frappes aériennes, il y avait un énorme établissement qui servait d'établissement militaro-industriel durant le régime de Saddam. L'État islamique s'est servi de cet établissement pour y installer ses quartiers généraux à Mossoul et dirigeait ses opérations de là. La nuit avant le bombardement et la destruction totale de cet immeuble, l'État islamique a évacué les lieux, alors...
    Très rapidement, pour M. Malmani. L'État islamique a particulièrement bien réussi dans des provinces à prédominance sunnite, comme Anbar. Dans quelle mesure rallie-t-il des sunnites à sa cause au fur et à mesure qu'il gagne du territoire? Est-ce plutôt que les sunnites se disent simplement: « Eh bien, nous allons coopérer parce que nous avons peur »?
    Je crois que la population de ces provinces réagit beaucoup plus contre le gouvernement Al-Maliki et le gouvernement sectaire — l'ennemi de mon ennemi ne peut être mon ami — mais j'ai entendu beaucoup de gens dire qu'ils ne font pas confiance et refusent... La population a vécu une mauvaise expérience avec les mêmes groupes qui ont poussé les Américains à s'allier aux forces du Réveil en 2007-2008 et les ont vaincues. Elle aimerait maintenant se joindre à la tribu, mais elle ne veut pas vivre la même expérience et mettre sa vie en péril pour rien. Elle demande ce que cela suppose de faire partie de l'Irak.
    Si vous le permettez, j'aimerais préciser une chose par rapport à la mention de la déclaration de l'ONU sur la liberté de religion; il s'agit de la liberté de religion et de croyance. Il est autant question d'être libéré de tout préjudice imposé par la religion que de la liberté de choisir sa religion.
(1005)
    Nous allons maintenant commencer notre deuxième série par M. Hawn.
    Vous avez cinq minutes, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie tous d'être venus.
    Je conviens de la distinction entre solution à court terme et solution à long terme. À court terme, une solution consiste bien entendu à assurer la sécurité et à freiner l'État islamique; mettre fin aux tueries et ce genre de choses.
    Alors, pour commencer, monsieur El Shafie, je suis aussi d'avis que la campagne aérienne est une contribution importante, mais elle ne saurait suffire en elle-même, sans une présence sur le terrain. À mes yeux, et je crois que la plupart des Canadiens partagent mon point de vue, cette présence ne devrait pas être occidentale, à savoir américaine, canadienne, britannique ou je ne sais quoi. Le Canada a beaucoup d'expérience et est très apte en matière d'instruction. Des gens qui ont de l'expérience à ce chapitre nous disent qu'il y a un groupe d'environ 20 000 militaires irakiens très aptes à l'instruction qui évoluent ou évoluaient à un niveau assez élevé et qui en six mois, grâce à environ 350 instructeurs professionnels, cette division pourrait être fonctionnelle dans un théâtre des opérations.
    Avez-vous des idées à ce chapitre?
    Je suis d'accord avec vous pour dire que la présence sur le terrain ne peut pas être occidentale. Cependant, j'aimerais vous raconter une histoire vécue qui est très importante. Je suis allé en Afghanistan avant et j'ai vu l'instruction de notre armée. Il va sans dire que les soldats canadiens ont fait un merveilleux travail en ce qui concerne l'instruction militaire là-bas. Le seul problème est que, bien souvent, lorsque nous offrons une instruction à l'armée comme ça... Les États-Unis sont en Irak depuis 10 ans et instruisent l'armée irakienne, et où est l'armée irakienne maintenant?
    Je vais être honnête avec vous. Je ne vais pas être politiquement correct ici, car j'en ai vraiment raz-le-bol de la rectitude politique. Je vais simplement dire les choses comme elles sont. Les Américains ont soutenu, par exemple, ben Laden à l'époque des moudjahidines, puis il s'est tourné contre eux; ils ont soutenu Saddam Hussein durant la guerre contre l'Iran, puis il s'est retourné contre eux; ils ont soutenu les rebelles libyens, qui ont tué l'ambassadeur américain trois mois plus tard.
    Quelle est la définition de folie? Répéter le même geste et attendre des résultats différents.
    Avec tout le respect que je vous dois, ce n'est pas de cela dont je parle, monsieur. Je parle de la viabilité des forces d'instruction qui permettront aux forces locales d'assurer une présence sur le terrain.
    Oui, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'une bonne étape. Toutefois, nous devons trouver un partenaire de confiance.
    Je suis tout à fait d'accord.
    J'aimerais maintenant parler de l'avenir à long terme. Nous avons parlé de l'éducation et de la réconciliation et, votre éminence, vous avez parlé des écoles au Canada, des usines à terroristes, et du fait d'essayer de trouver une façon de les abolir. Pourriez-vous parler un peu plus de cela? Où se trouvent les usines à terroristes dans cette partie du monde? Où sont-elles au Canada ou en Occident?
    Je suis certain que nous comprenons tous que les gens ne se radicalisent pas tous seuls. Il y a des enseignants et des écoles radicales qui le font. On a mentionné plus tôt que, au Moyen-Orient, tout le monde craint même de changer d'allégeance. Il n'y a aucune liberté.
    Qu'en est-il des endroits dirigés par des gens qui enseignent l'islam? Le gouvernement devrait mieux les connaître que moi. Le gouvernement a le devoir — pas seulement au Canada, mais partout dans le monde — de les trouver et de corriger la situation, car c'est la seule manière de trouver des solutions à long terme.
    Cette jeune fille, Malala, par exemple, qui ne pouvait pas retourner à l'école... Ces choses devraient être corrigées. Ce sont les endroits et les usines qui produisent des djihadistes. Je ne peux pas énumérer une série d'endroits, tout d'abord parce que je ne les connais pas, mais aussi parce que je ne crois pas que cela soit nécessaire. Tout le monde comprend de qui il s'agit.
    Effectivement, et je souhaiterais que la rectitude politique nous permette d'être un peu plus ouverts à ce chapitre. Peut-être que le temps viendra. Je crois que le gouvernement devrait être actif à cet égard. Que ce soit au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou je ne sais où, nous ne pouvons pas permettre que ces choses continuent clandestinement et nous fermer tout simplement les yeux. J'espère que nous atteindrons ce stade.
    Nous avons aussi parlé des organisations qui arrivent avec la meilleure des intentions — en apparence — pour faire de bonnes choses: les Frères musulmans, le mouvement taliban et d'autres organisations comme ça. Comment amenons-nous les gens à lever le voile — c'est peut-être impossible — et voir les intentions réelles d'organisations comme celle des Frères musulmans, pour qu'ils n'acceptent pas aussi facilement ou ne croient pas aussi rapidement ces gens lorsqu'ils arrivent dans leur quartier, pour ainsi dire?
(1010)
    On a mentionné ici plus tôt que, à certains égards, le printemps arabe, soutenu par les Occidentaux, n'a pas entraîné les meilleurs résultats.
    Je parlais à certaines personnes, surtout des coptes, qui disent qu'ils étaient beaucoup mieux lorsque Moubarak était au pouvoir, même aujourd'hui, qu'au moment où un gouvernement démocratique a été mis en place. Comment devons-nous interpréter cela? Ce n'est pas facile. Mais, en revanche, nous savons que les enseignants de l'islam sont organisés. J'ai mentionné plus tôt que nous, les chrétiens, avons aussi fait des erreurs. Il est temps qu'ils s'aperçoivent que leurs actes nuisent plus à l'islam qu'à n'importe qui d'autre. Ils nuisent davantage à leur peuple qu'au reste du monde.
    J'ignore si je respecte le sujet, mais j'aimerais dire autre chose. En Angleterre, si vous vous souvenez bien, on a relaté aux nouvelles le cas de musulmans qui ont dit: « Nous nous fichons de vos lois. Nous devons obéir aux lois de Dieu ». Dieu n'est pas seulement celui en qui ils croient. Nous devons nous poser la question suivante: croyons-nous en un faux Dieu lorsque nous enseignons des choses comme ça? Et quelles mesures devrions-nous prendre pour respecter la liberté de la personne? Personnellement, je crois que la liberté est l'élément qui rend l'être humain parfait. Sans liberté, un homme ou une femme n'est pas un être humain parfait.
    Nous devons penser à ces choses. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous devons trouver la solution à long terme plutôt que la solution du jour, parce que, si nous ne changeons pas le raisonnement des gens — surtout des musulmans — nous ne pourrons rien faire. C'est ce que je crois.
    Merci beaucoup.
    Nous allons donner la parole à Mme Laverdière, pour cinq minutes, s'il vous plaît.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les gens qui sont venus nous livrer aujourd'hui des témoignages fort intéressants. Il y a eu également des commentaires dont j'ai pris bonne note, notamment sur un appui à plus long terme en matière d'aide humanitaire, mais aussi concernant la gouvernance et l'éducation, qui sont des sujets très importants.
    Quand à la situation et à la réaction actuelles, certains d'entre vous ont mentionné que les bombardements pouvaient alimenter une certaine radicalisation. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, après les premiers bombardements américains, il y a eu davantage de recrues au sein de l'EIIL.
    Révérend Toma, vous avez fait un commentaire lors de votre présentation et j'aimerais savoir si je l'ai bien compris. J'ai cru comprendre que plus les attaques étaient fréquentes, plus les progrès de l'EIIL étaient importants.
     Est-ce que je vous ai bien compris? Si c'est le cas, pourriez-vous nous donner plus de détails à propos de cette situation?

[Traduction]

    Merci beaucoup d'avoir posé la question.
    Oui, malheureusement, comme l'a mentionné le révérend Majed, l'État islamique n'avait que 1 500 combattants à ses débuts, et, maintenant, on estime qu'il en a 30 000. Il faut comprendre la mentalité de ces gens. Ces gens arrivent prêts à mourir, à n'importe quel prix. Ils vont mourir d'une façon ou d'une autre, pour pouvoir aller au paradis rejoindre les 72 vierges, et tout cela et toutes les récompenses promises. Cela explique pourquoi leur nombre augmente et chaque action suscite une réaction. Lorsqu'ils ont vu la coalition internationale, ils sont devenus agressifs.
    Oui, ils gagnent du terrain. La seule solution — je dois le dire — c'est que, lorsqu'il y a une force militaire sur le terrain et qu'elle est organisée, ils disparaissent en très peu de temps. Ils sont là pour mourir, alors il n'y a aucune tactique, aucune capacité militaire... Leur défense sera chaotique, mais ils profitent de l'absence d'une véritable armée irakienne. Il n'y a pas d'armée.
    Paul Bremer a récemment fait un commentaire. Il répondait à des critiques selon lesquelles il est responsable de la décision de dissoudre l'armée irakienne, qu'il a préparé le terrain. Je lui ai posé la question suivante en personne: « S'agissait-il d'une décision personnelle ou s'agissait-il d'une décision du gouvernement américain? » Il n'a pas répondu en ces termes. Il m'a dit qu'une décision de cette ampleur ne saurait être de nature personnelle; je dois le dire. Il a répondu à la critique relative à la dissolution de l'armée irakienne en faisant valoir qu'il n'y avait aucune armée irakienne à dissoudre, puisqu'elle avait déjà disparu. Nous ne saurons jamais si cela est vrai, car, lorsque la sécurité nationale est en jeu, je crois que tous les anciens officiers de l'armée irakienne répondraient à l'appel pour défendre leur propre pays.
    L'État islamique gagne du terrain et tire profit de l'absence de l'armée irakienne et de l'absence de combattants terrestres. Leurs nombres augmentent, et l'approche devient de plus en plus agressive.
(1015)

[Français]

     Je vous remercie.
    Il y a aussi la question de l'argent qui alimente l'EIIL. C'est de l'argent qui provient souvent d'autres pays, quoique certains experts nous disent que cette source de revenus diminue. Cet argent provient aussi de la vente de pétrole qui passe par la Turquie et de l'achat d'armes qui passent par ce même pays. On entend dire que la frontière entre la Turquie et l'Irak est très poreuse parce que ces pays sont occupés, davantage à cause de la situation en Syrie, avec les réfugiés.
    Monsieur Lamani, croyez-vous qu'une option pour essayer d'asphyxier l'EIIL serait d'aider la Turquie à renforcer sa frontière un peu plus à l'Est?

[Traduction]

    Le plus rapidement possible, s'il vous plaît. Notre temps est écoulé, mais nous allons entendre la réponse.

[Français]

    Il y a beaucoup de programmes et de travail que font des gouvernements, des services secrets et d'autres. Voici quelle est la logique des choses.
     La Turquie est un pays membre de l'OTAN. Je sais que tous les services secrets du monde entier, de l'Occident et de l'OTAN sont à la frontière. D'un autre côté, les djihadistes ne viennent pas par parachute. Ils viennent de quelque part. Il y a tellement de programmes, de non-dits et de secrets.
    La Turquie a beaucoup plus de choix que le Tchad ou le Mali qui n'a pas les moyens de contrôler sa frontière. Il y a beaucoup plus de choix dans ce cas-ci.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous allons terminer cette deuxième série par M. Menegakis, s'il vous plaît.
    Bienvenue, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos témoins d'être des nôtres aujourd'hui. Nous vous sommes assurément reconnaissants de vos commentaires et de vos déclarations préliminaires.
    Votre éminence, j'aimerais commencer par vous, si vous le permettez. Les chrétiens et les minorités religieuses de la région sont victimes de persécution depuis des siècles. Certes, les orthodoxes grecs ont aussi fait les frais d'une telle persécution. Pouvez-vous nous donner une idée des effets à long terme sur une communauté exposée à de tels préjugés et à une telle haine, surtout les conséquences sur les enfants et leur avenir?
    Si nous prenons, par exemple, la Turquie, nous pouvons constater que toutes les minorités sont presque disparues. En 1917 ou en 1922, il y avait des millions de membres de minorités. Maintenant, il y en a 100 000 tout au plus. N'est-ce pas toutefois une façon de dire, comme la volonté des dirigeants est imposée au peuple: « Assimilez-vous à nous ou mourez, ou partez »? Voilà la situation. À mon avis, à ces endroits, dans ces pays, à moins d'un changement radical, il n'y a aucun espoir pour les minorités.
(1020)
    Merci.
    Monsieur El Shafie, vous avez dit: « Sans lumière, c'est l'ombre qui l'emporte ». Ce commentaire est très puissant. Comme vous le savez, le Canada s'est joint à des partenaires partageant ses idées pour déployer un effort militaire contre l'État islamique. Voyez-vous une possibilité de mettre fin aux activités barbares de l'État islamique dans la région sans intervention militaire?
    Pour être honnête, non. En Irak seulement, beaucoup d'éléments peuvent aider. Je crois que si le gouvernement central irakien concluait un accord de paix avec les groupes tribaux sunnites, cela aiderait beaucoup, et il en va de même pour le respect des droits des minorités comme les chrétiens et les yézidis, notamment. Je crois que tous ces éléments aideraient. Toutefois, sans intervention militaire par une armée locale instruite à l'occidentale qui respecte les valeurs occidentales, je ne crois pas que ce soit possible. Je ne vois pas comment on pourrait arriver à une conclusion.
    Merci.
    Révérend Toma, pouvez-vous nous donner une estimation du nombre de chrétiens irakiens et d'autres minorités religieuses toujours sous le joug de l'État Islamique? Que sait-on de leur sort aujourd'hui?
    Selon nos renseignements, il n'y a aucun chrétien irakien sous l'emprise de l'État islamique, bien que nous ayons entendu dire dans les médias qu'il y a un prix offert pour les femmes chrétiennes. D'après un témoignage, seules trois personnes sont des aînés. L'un d'entre eux a reçu une visite à l'hôpital. Il n'avait pas pu quitter la ville et s'était fait convertir de force à l'islam. Les deux autres personnes sont deux femmes très âgées. Il y a seulement trois personnes, selon les renseignements que nous avons.
    Apparemment, les membres de l'État islamique ont bel et bien reçu des instructions. Ils ont traité les yézidis très différemment des chrétiens. Il semble qu'on leur avait seulement ordonné de chasser les chrétiens de leur ville, de leur village, de leur maison et de tout confisquer — ils ont même pris les médicaments pour le coeur d'une personne âgée. À l'égard des yézidis, ils avaient plutôt comme instructions de les torturer, de les tuer sauvagement.
    On leur a demandé la raison de ces traitements différents. En voici la raison: dans le Coran — le livre que les musulmans croient avoir été dicté par Dieu à Mahomet —, les chrétiens sont décrits comme « les gens du Livre », et il y a un verset qui dit qu'on doit bien les traiter: « Aaamiloo houm husna. » Ils appliquent donc littéralement le Coran. À leurs yeux, les yézidis sont des blasphémateurs; ils ne croient pas en Dieu.
    Alors, selon nos renseignements, il n'y a aucun chrétien sous l'emprise de l'État islamique.
    Merci.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Menegakis.
    Voilà qui conclut notre deuxième série de questions.
    Nous allons en commencer une troisième. La parole ira d'abord à M. Goldring.
    Vous avez cinq minutes, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. C'est une discussion très intéressante.
    Votre éminence, nous avons récemment eu une discussion sur l'Assemblée interparlementaire de l'orthodoxie. Cette organisation qui regroupe des députés d'environ 25 pays. Je pense qu'elle offre un bon lieu de discussion; c'en est certainement un pour les préoccupations liées à l'orthodoxie, qui sont surtout présentes en Europe, de nos jours. Mais elle compte aussi des sous-comités qui ont le mandat de se pencher sur les politiques, l'éducation et nombre d'autres sujets à l'égard desquels il peut y avoir une collaboration. Le Canada n'en fait pas partie, mais notre collègue, M. Menegakis, a assisté à une séance. Je crois que le Canada devrait être officiellement représenté dans cette organisation et prendre part aux discussions.
    Voici ma question, monsieur l'ambassadeur. La structure de cette organisation ne pourrait-elle pas servir de modèle pour les pays où il y a des parlementaires musulmans, qui pourraient se regrouper et travailler de concert sur divers enjeux? Nous avons parlé de l'importance de la tenue de discussions sur l'éducation et d'autres sujets où des pays — pas comme aux Nations Unies, où il s'agit de pays arabes, mais des pays ayant une population musulmane, comme le Canada, les États-Unis et bien d'autres — pourraient avoir une discussion et des consultations plus modérées et, peut-être, s'attaquer ensemble à ces enjeux.
(1025)
    Je ne crois pas que je pourrais répondre à votre question à la place de certains États, mais je pense qu'ils ont aussi des associations interparlementaires. Je sais qu'il y en a deux à l'échelon arabe et un à l'échelon de l'Islam. Il existe une organisation interparlementaire. Je ne sais pas où se trouvent ses bureaux centraux; je sais que les Iraniens souhaitent qu'ils soient aménagés dans son parlement.
    À mon avis, certains enjeux devraient faire l'objet d'une discussion internationale. Les droits de la personne, par exemple, n'ont rien à voir avec les croyances religieuses. Quand les droits d'une personne sont brimés, cela n'a rien à voir avec sa religion. Il pourrait s'agir d'un musulman, d'un juif, d'un chrétien, etc. Il y a donc certains enjeux qui devraient être abordés à l'échelle internationale avec beaucoup de fermeté, car ce sont des principes qui s'appliquent à tous les humains.
    Pourriez-vous nous donner un peu d'information sur cette organisation? Je ne la connais pas.
    Oui. Je pense que ces associations ont des sites Web. Je suis certain que celle des pays islamiques en a un en arabe, en anglais et en français.
    Je crois que ce serait une bonne tribune pour ce type de dialogues et de discussions. Je sais que l'Association interparlementaire de l'orthodoxie en est une bonne — certes — pour discuter de situations problématiques touchant diverses régions du monde.
    Votre éminence, pourriez-vous me dire, selon ce que vous avez constaté, dans quelle mesure cette association est efficace et ce qu'on pourrait faire pour améliorer son efficacité dans l'avenir?
    Je ne sais pas grand-chose à ce sujet. J'ai parlé au président en Grèce. C'est un député de ce pays, et il a participé à une réunion là-bas avec quelques-uns de ses collègues. C'est tout ce que je sais. Je sais que l'association a collaboré très étroitement avec tous les pays d'Europe en ce qui concerne la situation liée à l'orthodoxie et les problèmes existants. C'est une organisation très amicale qui fait de son mieux pour améliorer les choses. Je pense que c'est une excellente chose que ses membres discutent ensemble de leurs idées.
    Il serait très utile que les députés musulmans — surtout ceux de ce pays, de ce continent, de l'Occident et de l'Orient — puissent débattre ensemble de leurs idées et voir que la liberté de tous serait respectée.
    Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avions.
    La parole va à M. Dewar. Vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais commencer mon intervention par informer tous les témoins d'une chose qu'ils devraient savoir et que j'aurais dû mentionner dès le début. Nous étudions cette question, et nous allons ensuite produire un rapport. S'il y a quoi que ce soit qui n'a pas été mentionné ou si vous souhaitez nous faire part d'une réflexion après coup, n'hésitez pas à transmettre vos recommandations, vos rapports ou vos observations à la compétente équipe qui nous épaule dans notre travail.
     Je veux commencer par le révérend Toma. J'étais avec M. Garneau ainsi qu'avec le ministre Baird, et nous avons tous été très troublés par ce que nous avons vu. J'étais allé dans la même région en 2007, alors que c'était un havre de stabilité, de sécurité et de diversité; c'était donc très choquant pour moi de voir cela. Je veux revenir sur un commentaire que vous avez fait, car il y a certains points de vue du gouvernement que nous ne partageons pas. Il y en a certains avec lesquels nous sommes d'accord et qui font consensus: nous devons prendre part aux efforts, et il est absolument impératif que nous dispensions une aide humanitaire. M. Garneau conviendrait certainement que tout le monde à qui nous avons parlé — dont notre ambassadeur — a insisté sur le besoin d'aider immédiatement les gens touchés, et que l'aide fournie à ce jour n'est pas suffisante.
    J'aimerais brièvement entendre vos commentaires à ce sujet. Vous avez dit que des contributions ont été annoncées, mais que l'intervention — l'aide — n'a pas été dispensée. Clairement, il faut se demander avec qui le Canada devrait dialoguer. Nous avons rencontré des représentants du groupe de Barzani, une ONG. Est-ce avec ce groupe que nous devrions coordonner nos efforts? Il y a bien les églises, évidemment, mais vous devez nous aider, car, selon moi, il est crucial que nous obtenions un soutien sur place et que nous livrions les denrées et le matériel nécessaires pour aider les populations touchées. Vous pourriez peut-être nous aider à ce chapitre. Comment pouvons-nous accélérer les choses?
(1030)
    Je vous remercie beaucoup pour cette question.
    Je pense que l'accent a été mis sur les yézidis. Comme je l'ai expliqué, ils ont été traités différemment. Ils ont subi plus de dommages. Ils ont beaucoup souffert. Les chrétiens qui ont fui vers Erbil, Duhok et Slemani ont été accueillis par les organismes cléricaux. L'Église n'avait pas la capacité de répondre à tous les besoins, mais la situation était très différente pour eux. Je pense que l'accent a été mis sur les yézidis.
    Nous avons déjà rencontré certains représentants. Ils nous ont dit que le gouvernement canadien avait passé un contrat avec la Croix-Rouge, et nous avons demandé pourquoi, car 30 % des fonds que reçoivent de tels organismes internationaux sont consacrés à l'administration. On nous a dit: « Non, nous nous sommes entendus avec elle pour que le ratio soit de 10 % plutôt que 30 %, et nous estimons que c'est raisonnable. » Et ensuite, on nous a dit: « Oh, 50 % des fonds iront à la Croix-Rouge, et les autres 50 % seront dépensés par l'intermédiaire d'autres organismes. Avez-vous des suggestions? » Nous avons proposé certains organismes comme la CNEWA, car, au moins, c'est un organisme réputé et fiable qui est enregistré au Canada. Nous avons également suggéré Caritas Canada ainsi que Développement et Paix.
    Ces organismes travaillent tellement de près avec les personnes déplacées que nous serons en mesure de montrer que ces dons et cette aide viennent du gouvernement canadien. Notre peuple n'a jamais entendu parler d'une aide fournie par le gouvernement de ce pays.
    Je ne sais pas. Nous sommes coincés dans cette situation.
    Voilà qui est très éclairant. Je vous encouragerais à penser à d'autres noms et à d'autres partenaires. Ce serait merveilleux.
    Avec le temps qu'il me reste, j'aimerais recueillir vos commentaires, monsieur Akhavan, et peut-être ceux de M. Lamani. La situation nous inquiète, et nous n'avons pas encore discuté de cela. Dans le cadre de la mission de combat militaire à laquelle s'est engagé le gouvernement canadien, il est possible — et, certes, nous posons actuellement des questions sur ce dossier à la Chambre des communes — que le Canada réalise des frappes aériennes en Syrie. Pour faire suite à certaines de vos observations, j'aimerais connaître votre analyse des périls que cela pourrait impliquer, surtout vu la façon dont Al-Assad se comporte.
    Monsieur Akhavan, vous pourriez me répondre en premier.
    Comme je l'ai expliqué, le régime Al-Assad a réussi à passer pour un moindre mal, et il y a maintenant une alliance militaire en vigueur entre l'Ouest et ce régime. Un des points à considérer, bien sûr, c'est qu'il faut aller plus loin dans notre réflexion que de simplement considérer l'État islamique comme l'ennemi: il faut penser au résultat final. Quel résultat final la communauté internationale souhaite-t-elle atteindre en ce qui a trait à l'Irak et au régime en général? Si nous ne faisons pas cela, nous allons seulement éteindre un petit feu au milieu d'un immense brasier.
    On n'a pas encore trouvé comment relancer un processus de paix en Syrie ni comment réagir aux crimes très graves que le régime Al-Assad a commis à l'endroit de la population. Tant que ces problèmes sous-jacents ne seront pas réglés, il ne saura y avoir de stabilité ni de solution valable à long terme.
    Je veux toutefois clore mon intervention par ce commentaire: bien que j'estime que la solution militaire soit insuffisante, il est évidemment très important, par exemple, de priver l'État islamique d'un accès à un barrage hydroélectrique, à des installations pétrolières… Pour vaincre ce groupe, il est important de l'empêcher d'utiliser de telles installations par des moyens militaires.
    Nous devons aussi reconnaître que la plupart des progrès réalisés sur le terrain sont l'oeuvre des Peshmergas, qui travaillent conjointement avec les soldats de la Garde révolutionnaire iranienne. Comme je l'ai dit, la politique donne lieu parfois à des alliances contre nature, et il y a un réalignement majeur des forces qui se déroule actuellement au Moyen-Orient.
(1035)
    Monsieur Lamani?
    Les frappes m'inquiètent, car nous avons eu de très mauvaises expériences. Quand j'étais ambassadeur à l'ONU, j'ai participé à la séance du Conseil de sécurité après que la communauté internationale a décidé d'intervenir en Afghanistan. Je me rappelle qu'on nous avait dit que les Américains auraient une forte présence à Kaboul et que, si les talibans étaient dans les montagnes, ils mèneraient des frappes. J'étais une des personnes qui s'opposaient à cette idée, et j'ai dit: « Non, ce n'est pas ce qu'il faut faire, car si vous menez une frappe là-bas, vous allez tuer des innocents et vous rendrez les talibans plus populaires. »
    C'est une pente très glissante. Ce doit être fait d'une façon qui… On a parlé plusieurs fois de l'importance d'avoir des combattants sur le terrain; des combattants locaux, mais les bons… Ce sera très, très long. Je ne suis pas convaincu que ce qui est fait actuellement avec l'armée irakienne — une armée sectaire — soit la solution.
    Mais devrions-nous mener des frappes aériennes en Syrie?
    C'est une excellente question. Je ne sais pas vraiment si… En Syrie, de nouvelles propositions ont été faites, mais il y a beaucoup de cynisme. J'ai moi-même parlé à plusieurs occasions de « la crise en Syrie ». Je fais ce travail de médiation depuis plus de 30 ans. La situation est tout simplement kafkaïenne. L'absurdité n'a pas de limites. Comme on l'a dit, les Peshmergas travaillent maintenant avec l'Iran de l'autre côté de la frontière, et l'État islamique, avec ce gouvernement ou l'autre…Tout peut arriver. Je ne suis pas certain de la réponse.
    Merci, Paul.
    M. Anderson sera le dernier intervenant. Vous avez cinq minutes.
    Je veux aller un peu plus loin dans la réflexion amorcée par M. Dewar. Il a parlé de la Syrie, mais j'aimerais savoir comment, selon vous, les intérêts nationaux de la Turquie, de l'Arabie saoudite et de l'Iran entrent également en jeu dans ce conflit. Nous avons seulement cinq minutes, alors je sais qu'il est ridicule d'attendre une explication en si peu de temps, mais vous pourriez peut-être essayer, M. Akhavan, et M. Lamani aussi. Comment les intérêts nationaux de ces trois pays influeront-ils sur le conflit ?
    Eh bien, une grande partie de ce qui s'est produit en Syrie ainsi qu'en Irak s'explique par une lutte de pouvoir régionale entre l'Iran et l'Arabie saoudite. La ligne de fracture est la division entre les sunnites et les chiites. Le régime Al-Assad ce serait clairement effondré si l'Iran et le Hezbollah au Liban n'étaient pas intervenus.
     Selon moi, quand Al-Assad a franchi la « ligne rouge » en utilisant des armes chimiques et qu'il n'y a pas eu d'intervention militaire subséquente de l'Occident, cela a marqué un grand tournant. Maintenant, bien sûr, l'Armée syrienne libre est déroutée de voir que la seule intervention militaire de l'Occident appuie le régime Al-Assad.
    Je crois que ces contradictions doivent être comprises et qu'un plus grand rapprochement doit être fait entre l'Iran et l'Arabie saoudite pour trouver une solution durable à ce problème régional.
    Enfin, le régime Al-Assad est — bien entendu — indispensable pour le maintien des liens entre l'Iran et le Hezbollah au Liban, de même que pour l'équilibre général des forces entre l'Iran et Israël, alors tous ces éléments doivent s'emboîter d'une façon ou d'une autre.
    J'ai une autre question pour vous avant d'écouter les observations de M. Lamani: selon vous, quel est le rôle de la Turquie à cet égard? Nous avons eu des comptes rendus divergents au sujet de ses intérêts et de l'approche que ce pays pourrait adopter.
    Je suis d'accord avec lui: la Turquie n'est pas un pays comme le Tchad ou le Mali. Il est doté d'immenses ressources sur le plan du renseignement de sécurité militaire. De nombreuses sources m'ont expliqué, par exemple, comment les membres du front al-Nosra franchissaient librement des points frontaliers turcs.
    Ce n'est donc pas un secret: la Turquie a essayé d'établir sa propre sphère d'influence au nord de la Syrie en se servant de ces éléments islamistes, mais ces éléments sont extrêmement complexes, et les alliances changent beaucoup. Alors, ce que nous appelons l'État islamique pourrait lui-même se transformer de nombreuses fois selon les nouvelles alliances qui seront conclues. Pour trouver une solution efficace, outre les frappes militaires, il faudrait entre autres fournir un incitatif qui amènerait ces éléments à quitter les rangs de l'État islamique et à jouer un autre rôle — un rôle constructif — dans l'avenir de la Syrie.
(1040)
    Merci.
    Monsieur Lamani, pourriez-vous aussi parler du Qatar, si possible?
    Durant la guerre froide, les pays les plus extrémistes en temps de crise étaient les superpuissances, soit l'Union soviétique et les États-Unis. Les pays voisins essaient toujours de trouver une solution par crainte de se retrouver avec des problèmes, sauf dans ce cas-ci. Bien plus que les Russes et les Américains, ce sont les pays voisins de la Syrie — l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie — qui préconisent des mesures extrêmes. Ils sont allés trop loin.
    Je suis peut-être un peu en désaccord avec le professeur en ce qui a trait à la situation intérieure, que je surveille depuis deux ans. Premièrement, il n'y a pas d'Armée syrienne libre en Syrie. Pour être exact, il faudrait ajouter un « s » à la fin de chaque mot, en ce sens qu'il y a plutôt des armées syriennes libres. J'ai moi-même tenté d'obtenir des renseignements concernant les groupes armés. Imaginez: ils se qualifient de brigades, mais, bien sûr, ce mot n'a aucune définition militaire. Il peut s'agir tout aussi bien de cinq que de 30 000 personnes. Selon mon calcul, le nombre de brigades est supérieur à 2 000.
    Deuxièmement, on parle de la coalition ou de l'opposition politique, mais il y a un énorme problème à ce chapitre. Quel est leur impact sur les groupes armés? Il est très limité; et je ne parle pas seulement des extrémistes d'al-Nosra, d'Ahrar al-Sham et de l'État islamique. Les choses deviennent très compliquées, je suis d'accord avec le professeur: il faut trouver une solution qui inclurait même les gens que vous considérez comme une partie du problème. Cela exige une volonté politique qui n'est pas encore là.
    Je voulais d'ailleurs revenir là-dessus tout à l'heure, et vous avez parlé un peu de ce que nous pouvons faire pour contribuer à cette approche politique. Voudriez-vous nous donner un peu plus de détails à ce sujet? À votre avis, quels rôles pourrait jouer le Canada pour encourager cette approche? Vous avez parlé d'un dialogue avec les pays scandinaves, mais avez-vous d'autres suggestions?
    La Syrie et l'Irak sont dans des situations différentes. Commençons par l'Irak. Selon moi, si on forme un comité ou qu'on mandate une fondation, une université ou une autre organisation du genre à encourager et à établir une sorte de dialogue — d'abord séparément, avec les gens — on devrait éviter certaines erreurs commises en 2006 et en 2007, surtout par les pays nordiques. Je me rappelle avoir déjà été invité par le gouvernement norvégien, qui essayait de contribuer au processus de réconciliation nationale en Irak. À mon arrivée à Oslo, il y avait seulement des députés, car tout était bloqué au parlement à cette époque. J'ai dit alors que ces gens n'avaient pas à coeur la réconciliation nationale. Ce mot doit inclure tout le monde: ceux qui acceptent le processus politique pendant l'occupation et ceux qui s'y opposent par les armes.
    Pour ce genre de situations — et c'est d'autant plus vrai dans ce cas-ci en raison des complications actuelles — il faut avoir un objectif. Il s'agit d'isoler l'État islamique en attirant les autres sunnites. C'est ce qui est différent dans le cas de la Syrie. Dans ce pays, toute la population s'oppose à ce groupe, sauf si on a recours à des manoeuvres cyniques pour manipuler les gens; et c'est d'ailleurs ce qui se produit là-bas.
    Si on invitait ces groupes, si on invitait les députés du gouvernement et des autres partis, puis qu'on organisait un genre de séminaire axé sur la réconciliation nationale; si on développait cela et qu'on mobilisait des experts canadiens — car je crois que les gens là-bas ont grandement besoin d'aide parce qu'ils ne savent pas beaucoup de choses — pour parler des institutions, du fédéralisme et de changements constitutionnels… Je suis convaincu que le Canada peut jouer un rôle important dans ce genre de dialogue.
    Je vous remercie.
    Merci.
    Mesdames et messieurs, merci beaucoup. Cette séance été très éclairante et productive. Merci à tous.
    Sur ces mots, la séance est levée.
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