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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent du patrimoine canadien


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 3 décembre 2002




¿ 0905
V         Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.))
V         M. Martin Mittelstaedt (président, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier)
V         M. Peter Murdoch (vice-président, Médias, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier)
V         Le président
V         M. Peter Murdoch

¿ 0910

¿ 0915
V         Le président
V         M. Martin Mittelstaedt
V         Le président
V         M. Peter Murdoch
V         Le président
V         M. Martin Mittelstaedt

¿ 0920
V         Le président
V         Mme Anne-Marie Des Roches (directrice des affaires publiques, Union des artistes)
V         Le président
V         Mme Claire Samson (présidente-directrice générale, Association des producteurs de films et de télévision du Québec)

¿ 0925
V         Mme Anne-Marie Des Roches

¿ 0930
V         Mme Francine Bertrand Venne (directrice générale, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec)
V         Mme Solange Drouin (vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo)

¿ 0935
V         Mme Francine Bertrand Venne
V         Mme Claire Samson
V         Le président

¿ 0940
V         Mme Betty Hinton (Kamloops, Thompson and Highland Valleys, Alliance canadienne)
V         Le président
V         M. Peter Murdoch
V         M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Alliance canadienne)

¿ 0945
V         M. Peter Murdoch
V         M. Jim Abbott
V         M. Peter Murdoch
V         Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ)
V         Mme Anne-Marie Des Roches

¿ 0950
V         Mme Francine Bertrand Venne
V         Mme Solange Drouin

¿ 0955
V         Le président
V         Mme Solange Drouin
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.)

À 1000
V         M. Peter Murdoch
V         M. John Harvard
V         M. Peter Murdoch
V         M. John Harvard
V         M. Peter Murdoch
V         M. John Harvard
V         M. Peter Murdoch
V         M. Martin Mittelstaedt

À 1005
V         M. Dennis Mills (Toronto—Danforth, Lib.)
V         M. Martin Mittelstaedt
V         M. Dennis Mills
V         M. Martin Mittelstaedt
V         M. Dennis Mills
V         M. Martin Mittelstaedt
V         M. Dennis Mills
V         M. Martin Mittelstaedt
V         M. Dennis Mills

À 1010
V         Le président
V         Mme Solange Drouin
V         M. Dennis Mills
V         Le président
V         Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD)

À 1015
V         M. Martin Mittelstaedt
V         Mme Francine Bertrand Venne
V         Le président
V         M. Jim Abbott

À 1020
V         Mme Claire Samson
V         M. Jim Abbott
V         M. Peter Murdoch

À 1025
V         Le président
V         Mme Anne-Marie Des Roches
V         Le président
V         Mme Liza Frulla (Verdun—Saint-Henri—Saint-Paul—Pointe Saint-Charles, Lib.)

À 1030
V         M. Peter Murdoch
V         Mme Liza Frulla
V         M. Peter Murdoch
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon

À 1035
V         Mme Solange Drouin
V         Mme Christiane Gagnon
V         Mme Solange Drouin

À 1040
V         Mme Wendy Lill
V         Mme Francine Bertrand Venne
V         M. Peter Murdoch
V         Le président
V         Mme Liza Frulla

À 1045
V         Mme Solange Drouin
V         Le président
V         M. John Harvard
V         M. Martin Mittelstaedt
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         M. Peter Murdoch

À 1050
V         M. Jim Abbott
V         M. Martin Mittelstaedt
V         M. Jim Abbott
V         M. Martin Mittelstaedt
V         M. Dennis Mills
V         Le président
V         Mme Anne-Marie Des Roches
V         Le président
V         Mme Anne-Marie Des Roches
V         Le président
V         Mme Anne-Marie Des Roches
V         Le président
V         Mme Anne-Marie Des Roches
V         Le président
V         M. Peter Murdoch

À 1055
V         Le président










CANADA

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 008 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 3 décembre 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent du patrimoine canadien.

[Français]

Le Comité permanent du patrimoine canadien se réunit aujourd'hui pour continuer son étude de l'état du système de radiodiffusion canadien.

[Traduction]

    Il poursuit son étude de l'état du système de radiodiffusion canadien. Nous allons aborder aujourd'hui deux questions: la propriété croisée et la propriété étrangère.

    Nous sommes très heureux d'accueillir, dans cet ordre, M. Martin Mittelstaedt, président du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, et Peter Murdoch, vice-président pour les médias.

[Français]

    Nous recevons aussi, de l'Union des artistes, Mme Anne-Marie Des Roches, directrice des affaires publiques; de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, Mme Claire Samson, présidente-directrice générale; de l'ADISQ, l' Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, Mme Solange Drouin, vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale; de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, Mme Francine Bertrand Venne, directrice générale.

[Traduction]

    Bienvenue.

    Nous allons commencer par vous, monsieur Mittelstaedt.

+-

    M. Martin Mittelstaedt (président, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier): Je vais laisser Peter commencer.

+-

    M. Peter Murdoch (vice-président, Médias, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier): D'après ce que j'ai compris de votre façon de procéder, nous allons d'abord faire une déclaration...

+-

    Le président: Nous vous suggérons de faire une déclaration de 10 minutes au plus—et moins si vous le souhaitez—pour que les membres du comité aient le temps de vous poser des questions.

+-

    M. Peter Murdoch: Je vais commencer et je passerai ensuite la parole à M. Mittelstaedt.

    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de discuter avec vous au nom du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier. Notre syndicat représente 150 000 membres, dont 20 000 dans les médias. Nous représentons des travailleurs d'à peu près tous les médias au Canada, des quotidiens nationaux et réseaux de radiodiffusion aux hebdomadaires et aux petites stations de radio.

    Je suis accompagné de Martin Mittelstaedt, président de notre plus grosse section syndicale de journalistes à Toronto. Il vous parlera tout à l'heure, notamment de la question de la propriété étrangère. Je commencerai par quelques mots sur la propriété croisée.

    Au risque de proférer une évidence, je tiens à vous dire que la notion de propriété croisée n'a pas la moindre crédibilité auprès des journalistes, des organisations qui les représentent et du public. Elle nuit à la qualité du travail des journalistes, à leur santé, à leur compétitivité et à leur sens du professionnalisme.

    Notre syndicat a fait un sondage cet été, que certains d'entre vous ont certainement vu. Il a démontré de façon flagrante que les Canadiens étaient profondément préoccupés par la concentration de la propriété au Canada et souhaitaient que le gouvernement intervienne. La propriété croisée est un volet essentiel de cette concentration et c'est un des motifs d'inquiétude des Canadiens.

    Quand on s'est rendu compte qu'il fallait trouver plus de ressources face à un marché mondial, on s'est servi de la question de la propriété pour précipiter les organismes gouvernementaux et leurs actionnaires dans l'étude du scénario de la propriété croisée. À l'époque, nous avons dit que ce n'était pas une bonne chose, et nous le disons toujours. Malheureusement, nos craintes et celles des Canadiens sont de plus en plus confirmées.

    On a abondamment signalé et prouvé la présence d'influence nuisible sur les politiques et pratiques des rédactions à la suite des concentrations de ces dernières années. Naturellement, ceux d'entre vous qui vivent et travaillent ici à Ottawa connaissent bien le scénario du Ottawa Citizen. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de revenir sur toutes ces preuves que vous avez certainement.

    Notre syndicat a organisé au début du mois de juin une réunion à laquelle ont participé des représentants d'école de journalisme et d'organisation de journalistes, l'ancien commissaire à l'industrie des journaux, Tom Kent, des groupes d'intérêt public, un représentant de l'ancienne haute direction de Southam et d'autres syndicats représentant des journalistes. Tous ont exprimé leur inquiétude face à la concentration de la propriété et à la propriété croisée. Cette réunion a été unique dans l'histoire du journalisme au Canada. Tous se sont entendus pour exprimer leur profonde inquiétude face à la propriété croisée et à la concentration de la propriété.

    Il ne faut pas prendre à la légère cette rencontre exceptionnelle de journalistes canadiens. Il y avait là un éventail impressionnant de personnes concernées par le journalisme au Canada qui partageaient une profonde inquiétude sur l'avenir de notre secteur d'activité au Canada.

    Si un groupe de médecins se réunissaient pour discuter de l'assurance médicale, on les écouterait. Quand les enseignants parlent du système d'éducation, on les écoute. Quand les infirmières et infirmiers parlent des soins de santé, on les écoute. Dans notre cas, il y avait des journalistes qui représentaient tous les horizons de la profession. Ils s'inquiètent tous profondément de la concentration de la propriété, qui sert naturellement de couverture à la propriété croisée.

    Ce qui est tout aussi malsain que la concentration et la propriété croisée des médias, c'est le coût pour les employés et les consommateurs de l'énorme dette accumulée par ces entreprises dans leur hâte à se constituer ces empires tentaculaires. À cause de cet endettement, les ressources disponibles pour tous les médias d'information du Canada se sont taries, de sorte que les Canadiens ont désormais moins d'information. C'est maintenant plus en fonction de l'avis des comptables et des rapports annuels que de la qualité des informations qu'on fait maintenant fonctionner les salles de nouvelles. Ce sont les communautés qui en ont été le plus victimes, car les grands radiodiffuseurs sont revenus sur les engagements qu'ils avaient pris à l'époque où on leur a octroyé leur licence.

    Ce qui est tragique, c'est que cette réduction du service a été opérée en dépit du fait que les stations et les journaux étaient souvent extrêmement rentables. Il n'y a aucune raison que ces petites stations et ces journaux soient victimes de telles coupures alors que leur bilan individuel est excellent.

¿  +-(0910)  

    Aujourd'hui, évidemment, ces entreprises essaient de se faire renflouer grâce à des capitaux américains. Notre syndicat estime que cela ne ferait qu'aggraver les erreurs commises quand le gouvernement a autorisé cette concentration des médias et accélérer l'érosion de notre souveraineté culturelle.

    Si l'on s'oriente vers la déconvergence, comme on le dit dans les questions que vous suggérez, ce ne sera pas parce qu'on est moins déterminé à exploiter au maximum des technologies nouvelles et prometteuses, mais plutôt parce que des sociétés excessivement endettées seront obligées de vendre leurs actifs pour réduire leur dette et faire augmenter leurs actions. Nous sommes convaincus que, plus le monde de ce que l'on appelle «l'ordivertissement» va se raffiner et devenir plus convivial, plus il va y avoir convergence des technologies.

    Toutefois, cela ne se fera pas du jour au lendemain ni au rythme que prévoyaient les fanatiques illuminés du point-com il y a quelques années. Mais cela arrivera, et ce jour-là, il faudra que cette convergence soit réglementée par le gouvernement, notamment en ce qui concerne le contenu et la distribution. Les jeux d'ordinateur, les émissions de télévision et même les travaux d'archives pourront effectivement passer tous par la même entreprise de télécommunication, mais il importera de protéger le contenu, notamment le contenu des informations, des influences abusives de ces entreprises et préserver la concurrence pour encourager la diversité des points de vue. Les gouvernements doivent veiller à ce que le marché de l'information ne soit pas endigué par quelques puissants conglomérats.

    Que peut faire le gouvernement pour remettre nos médias sur la bonne voie? Nous avons quelques recommandations à faire. Premièrement, qu'on fixe des limites claires à la concentration des médias et à la propriété croisée dans nos villes, nos régions et l'ensemble du pays. Qu'on donne aux sociétés une période de cinq ans pour établir ces limites. Nous constatons que les représentants des Amis de la radiodiffusion canadienne vous ont suggéré de vous inspirer du gouvernement britannique à cet égard, et nous vous suggérons la même chose, mais simplement à titre de point de départ.

    Deuxièmement, nous proposons la création de conseils de contrôle officiels, des sortes de syndics, constitués de membres du public, de journalistes et d'employeurs et sans lien de dépendance avec le gouvernement. Ces conseils pourraient servir à examiner les plaintes du public, des journalistes et des consommateurs. Ils pourraient recommander l'annulation des allégements fiscaux consentis aux entreprises dont la propriété ne serait pas conforme aux décisions de ces conseils.

    Troisièmement, nous lancerions immédiatement une enquête indépendante sur les répercussions de la propriété croisée et de la concentration de la propriété.

    Quatrièmement, qu'on prenne des mesures pour obliger les radiodiffuseurs à s'acquitter de leurs obligations envers les collectivités en apportant un soutien satisfaisant aux émissions d'information et à contenu local.

    On peut parfaitement réaliser ces recommandations sans menacer la santé financière des sociétés ou de leurs actionnaires. En revanche, ce qui menace les Canadiens, c'est la raréfaction des points de vue et des informations—surtout au niveau local—qui résulte de la propriété croisée. C'est un régime qui est en train d'anémier progressivement toute notre société démocratique. J'en prends pour symptôme le taux de participation de plus en plus faible des électeurs au processus démocratique, qui vous tient à coeur, je crois.

    Je vais maintenant laisser M. Mittelstaedt ajouter quelques remarques et je conclurai ensuite.

¿  +-(0915)  

+-

    Le président: Vous me permettez une petite intervention?

    Monsieur Mittelstaedt, comme le temps est compté, et pour pouvoir donner à tous une chance d'intervenir—car nous devons quitter cette salle à 11 heures, bon gré mal gré—je vous invite à faire ces quelques commentaires maintenant s'ils sont très brefs, sinon nous pourrons revenir à vous plus tard.

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Très bien.

+-

    Le président: Vous pouvez simplement nous donner le résumé.

    Monsieur Murdoch, auriez-vous l'obligeance de communiquer à nos attachés de recherche et à la greffière les résultats du sondage dont vous avez parlé? Vous pourriez nous l'envoyer?

+-

    M. Peter Murdoch: Certainement.

+-

    Le président: Merci.

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je vais vous parler de propriété étrangère.

    Je suis président de la Section 87M du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier. C'est la plus importante section en Amérique du Nord qui représente des employés de journaux. Nous comptons parmi nos membres des milliers de rédacteurs en chef et de journalistes ainsi que de responsables de la publicité et du tirage qui travaillent pour certaines des publications canadiennes les mieux connues comme le Globe and Mail, le Toronto Star, le Hamilton Spectator, Maclean's et le London Free Press. Nous représentons des groupes d'employés dans presque toutes les grandes chaînes—CanWest, Osprey, Rogers, Torstar et Bell Globemedia.

    Je travaille moi-même comme journaliste au Globe, mais je veux bien insister sur le fait que je suis ici aujourd'hui pour présenter les vues, non pas de mon employeur, mais de mon syndicat. Mon patron, dans un discours qu'il a prononcé récemment, a d'ailleurs préconisé tout le contraire de ce que je vais recommander aujourd'hui.

    L'assouplissement des restrictions à la propriété étrangère nous cause de graves inquiétudes. Je tiens à vous dire d'entrée de jeu que je suis scandalisé que les propriétaires et les dirigeants de beaucoup des entreprises où travaillent nos membres incitent fortement le gouvernement à éliminer les limites à la propriété étrangère. Nous sommes d'avis que ces limites devraient être maintenues. Il n'y a aucun objectif gouvernemental impérieux qui en justifierait l'élimination. En fait, nous avons autant besoin d'assurer la propriété canadienne des médias maintenant que lorsque les règles sur la propriété étrangère ont été rédigées par le législateur.

    Les médias canadiens—presse, radiodiffusion et câblodistribution—sont un des seuls secteurs de notre économie qui sont toujours sous le contrôle d'intérêts canadiens. Le niveau élevé de propriété canadienne n'est attribuable qu'à une seule raison, à savoir les règles strictes que nous avons imposées sur la propriété, qu'il s'agisse des seuils de propriété imposés au secteur de la radiodiffusion ou du traitement fiscal favorable de la publicité. C'est là un des principaux obstacles qui empêchent les étrangers de prendre le contrôle de la presse écrite.

    Ces restrictions ont été établies pour une raison seulement: protéger la capacité des Canadiens à avoir une culture qui leur appartient en propre. Ces règles sont plus nécessaires au Canada que dans bien d'autres pays à cause des fortes chances que les entreprises médiatiques américaines en viennent à dominer notre culture et notre système de collecte de nouvelles si on leur donnait un accès illimité à notre marché.

    Si l'on élimine les règles, il est probable que la plupart des câblodistributeurs, des radiodiffuseurs et des services de nouvelles tomberont sous l'emprise d'intérêts étrangers. Je parie que la CBC ne tarderait pas à devenir la seule institution d'envergure à offrir des produits culturels et un service de collecte de nouvelles qui resteraient sous la propriété des Canadiens au Canada anglais.

    Nous sommes d'avis qu'il y a une raison bien simple qui explique l'appel de beaucoup de membres de l'industrie en faveur de la propriété étrangère. C'est que beaucoup des propriétaires et des dirigeants des empires médiatiques canadiens ont fait preuve de négligence financière. Ils ont montré un manque flagrant de savoir-faire financier. Ils ont gaspillé des milliards de dollars pour bien se positionner sur le marché ou dans l'espoir mal avisé de réaliser une convergence et des synergies médiatiques—ces mots qui étaient tellement à la mode il y a quelques années que c'en était gênant et que nous n'entendons plus beaucoup heureusement. Ils ont alourdi le niveau d'endettement de leurs entreprises à coups de milliards de dollars, et maintenant ils s'inquiètent du bourbier dans lequel ils se sont eux-mêmes enlisés et vous demandent en votre qualité de décideurs de venir à leur rescousse.

    Ces propriétaires veulent que le marché soit ouvert aux investisseurs étrangers pour qu'ils puissent essayer de revendre ces intérêts qu'ils ont achetés récemment à un prix trop élevé, intérêts qu'ils ont achetés en sachant très bien quelles étaient les limites qui existaient au Canada sur la propriété étrangère.

    À notre avis, le principal problème des dirigeants de l'industrie qui sont venus témoigner devant vous tient au fait qu'ils ont si lourdement endetté leurs entreprises. L'industrie a donc attiré trop de capitaux, et ces capitaux excessifs ont eu pour effet pervers d'affaiblir les entreprises en question.

    Ainsi, les câblodistributeurs nagent dans une mer de capitaux, comme l'attestent leurs niveaux d'endettement et leurs importantes activités d'investissement dans l'Internet à haute vitesse. CanWest et Québécor ont toutes deux pu emprunter des milliards de dollars pour leurs acquisitions. Ce ne sont pas là des industries qui sont en mal de capitaux, comme certains des dirigeants vous l'ont dit, je crois. L'argument voulant que l'industrie manque de capitaux n'est tout simplement pas valable. L'industrie serait peut-être même en meilleur état si elle n'avait pas eu aussi facilement accès à ces capitaux. Elle aurait ainsi été obligée d'investir de façon plus responsable.

    Nous croyons que l'industrie est entrée ou est sur le point d'entrer dans une période d'instabilité. De nouvelles chaînes canadiennes de journaux ont vu le jour et pourraient encore voir le jour—témoin les activités d'Osprey ou de GTC Transcontinental. Pourquoi CTV ou Global ne pourraient-elles pas redevenir des entreprises indépendantes, ou encore des compagnies de fiducie de revenu?

    La solution aux plaintes dont vous ont fait part les câblodistributeurs la semaine dernière serait peut-être de leur permettre de fusionner avec leurs rivaux du secteur des télécommunications. Les deux industries évoluent en parallèle dans la même direction et il vaudrait peut-être mieux qu'elles se retrouvent sous la même structure de propriété.

    L'autre solution, celle de la propriété étrangère des médias, serait catastrophique à mon avis pour la culture et la démocratie canadiennes. Nous avons du mal à croire, par exemple, que si le radiodiffuseur américain ABC était autorisé à prendre le contrôle de CTV, il se soucierait d'inclure du contenu canadien dans ses journaux télévisés. Dépêcherait-il une multitude de correspondants canadiens à l'étranger qui chercheraient à interpréter le monde pour les Canadiens alors que ses correspondants américains pourraient facilement envoyer leurs reportages au Canada? Le New York Times, s'il était propriétaire du Globe, voudrait-il maintenir les journalistes canadiens en poste à New York, à Moscou ou à Washington quand il a déjà des dizaines de journalistes dans ces endroits? J'en doute fort. Je pense que nous serions sacrifiés dès la première série de mesures de dégraissement de l'entreprise.

¿  +-(0920)  

    Je ne pense pas que les Américains voient le monde de la même façon que nous; pourtant, nous risquerions constamment de devoir nous en tenir à leurs interprétations de la réalité. La tentation de recourir aux émissions de divertissement américaines est toujours très présente et ne ferait sans doute que devenir plus grande.

    Nous craignons aussi que la propriété étrangère n'incite encore plus à la concentration des médias. Certaines des grandes entreprises étrangères pourraient, si elles le voulaient, créer des conglomérats d'une taille écrasante sur un marché comme le Canada. Qu'est-ce qui empêcherait par exemple un acheteur étranger d'acquérir CanWest et Torstar, et de créer chez nous un conglomérat de la presse et de la radiodiffusion qui serait d'une taille vraiment alarmante et qui ne verrait sans doute jamais le jour s'il ne s'agissait que d'intérêts canadiens?

    Individuellement, la plupart des entreprises médiatiques canadiennes sont solides. Ce sont des entreprises rentables à qui leurs propriétaires actuels ont imposé un niveau d'endettement trop élevé. Les stations de télévision ne manquent pas de téléspectateurs. Je pense que si les entreprises payent trop cher pour leurs acquisitions et qu'elles doivent les vendre à perte afin de réduire leur niveau d'endettement, il faut les laisser se débrouiller et laisser leurs actionnaires en subir les conséquences. Notre industrie culturelle ne devrait pas être sacrifiée à cause des problèmes que les propriétaires ont créés. Nous travaillons pour ces gens-là. Nous savons qu'il ne vaut pas la peine de modifier les limites à la propriété étrangère pour eux.

    Merci.

+-

    Le président: Merci.

[Français]

    Avant de donner la parole à Mme Anne-Marie Des Roches de l'Union des artistes, je voudrais souhaiter la bienvenue à une collègue qui se joint à nous, Mme Liza Frulla, qui a une grande expérience en matière de culture puisqu'elle a été ministre de la Culture au Québec.

[Traduction]

Elle a été pendant plusieurs années animatrice à Radio-Canada. Elle nous arrive donc avec une vaste expérience du domaine qui nous intéresse ici. Nous sommes heureux d'accueillir Mme Frulla parmi nous.

    Merci.

[Français]

    Madame Anne-Marie Des Roches de l'Union des artistes, c'est à vous.

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches (directrice des affaires publiques, Union des artistes): C'est Claire Samson qui parlera d'abord. Les quatre associations ont fait une présentation conjointe.

+-

    Le président: Madame Samson.

+-

    Mme Claire Samson (présidente-directrice générale, Association des producteurs de films et de télévision du Québec): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité permanent du patrimoine canadien.

    Conjointement avec trois autres associations professionnelles, c'est-à-dire l'Association des réalisateurs et des réalisatrices du Québec, la SARTEC et l'APFTQ, nous vous présentions, en avril dernier, une position commune touchant plusieurs aspects de la Loi sur la radiodiffusion. Les représentants de ces trois associations n'étaient malheureusement pas disponibles pour cette audience, mais ils tiennent à indiquer au comité qu'ils appuient la position que nous allons réitérer et développer aujourd'hui avec vous.

    Je vous rappelle que nos sept associations regroupent pratiquement tous ceux qui conçoivent, créent, réalisent, interprètent, produisent et distribuent les oeuvres canadiennes à la radio et à la télévision de langue française au pays.

    Nous sommes donc de retour devant vous aujourd'hui pour aborder de façon plus précise la question de la propriété des entreprises de radiodiffusion. D'entrée de jeu, nous voulons réitérer que le principe de la propriété et du contrôle effectif du système par des Canadiens constitue la pierre angulaire sur laquelle repose tout l'édifice de la radiodiffusion canadienne. En effet, sans propriété canadienne des entreprises de radiodiffusion, il serait impossible de préserver l'intégrité du système et sa mission fondamentale, qui est de servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique au Canada.

    Nous pensons qu'il faut démystifier l'argument de la mondialisation. Ceux qui demandent un assouplissement des règles de propriété étrangère font valoir que le Canada doit entrer dans le train de la mondialisation s'il veut progresser. Nous croyons que la mondialisation peut en effet favoriser l'essor de nos industries culturelles, mais à la condition qu'on s'y prenne de la bonne façon. Il ne faut pas, en matière culturelle, envisager la mondialisation comme un simple phénomène de libéralisation des échanges sans égard aux conditions dans lesquelles les oeuvres musicales, les émissions de télévision et les autres oeuvres sont produites et distribuées. Une conception strictement économiste des échanges de biens culturels serait au détriment des dimensions fondamentales de la culture et de la société.

    Si on laisse faire le marché sans poser de balises, il sera pratiquement impossible de produire et de diffuser des contenus qui reflètent les diverses cultures. La mondialisation doit s'envisager de manière à assurer les conditions qui permettent de maintenir et de faire progresser la diversité culturelle, et cela suppose le maintien dans chaque pays de conditions permettant de produire des oeuvres originales.

¿  +-(0925)  

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: Voici quelques mots sur la Loi sur la radiodiffusion.

    La Loi sur la radiodiffusion vient répondre à l'impératif du maintien et de la valorisation de l'identité nationale et de la souveraineté culturelle. Dans le contexte actuel, cet impératif est toujours pertinent. Le défi est de rechercher les moyens de garantir les conditions pour que notre système de radiodiffusion continue à répondre aux besoins des Canadiens. L'un de ces moyens est la propriété canadienne.

    Au Québec, le public montre une nette préférence pour les produits culturels auxquels il s'identifie. Lorsqu'elles sont disponibles, les oeuvres qui reflètent l'univers culturel du public remportent de réels succès. Ainsi, les émissions qui obtiennent les meilleures cotes d'écoute à la télévision francophone sont des émissions d'ici.

    À la radio, les pièces musicales québécoises et canadiennes constituent une part importante de la programmation musicale des stations MF francophones. Ce type de programmation attire un auditoire de plus en plus important. La croissance des revenus publicitaires des stations de radio en est une preuve éloquente.

    J'aimerais maintenant faire un aparté. On a reçu les résultats du box-office pour le film Séraphin: Un homme et son péché. Il a récolté un million de dollars au guichet en trois jours. Il a battu Harry Potter et James Bond, qui en étaient à leur troisième semaine de diffusion. Donc, en trois jours, il a réussi à faire cela dans un petit marché comme le Québec, en seulement une langue. C'est assez phénoménal. Je pense que cela prouve que la culture de la télévision est populaire parce que c'est enraciné. Elle vient du cinéma, de l'art vivant, du spectacle, de la musique, de l'humour, etc. C'est cet enracinement qu'il ne faut pas toucher.

    Pour contribuer à la diversité culturelle, le Canada doit maîtriser son espace de création et de diffusion. Ce défi passe par une stratégie cohérente de régulation. Il faut éviter que les infrastructures de communication ne soient que des relais pour l'acheminement des produits culturels étrangers.

    Maîtriser notre espace de création et de diffusion suppose de renforcer les équilibres mis en place par la Loi sur la radiodiffusion. C'est le CRTC qui est chargé de gérer cet équilibre délicat entre l'atteinte d'objectifs sociaux et culturels et l'appui à une industrie des communications économiquement solide et concurrentielle. Les équilibres à assurer sont donc étroitement liés aux exigences en matière de contenu canadien et à la propriété des entreprises.

    La politique de contenu canadien repose sur un ensemble de mesures visant à promouvoir l'essor d'un milieu culturel capable d'assurer l'émergence et la viabilité des talents créateurs sans lesquels il n'y a pas de radiodiffusion canadienne.

    Le contenu canadien n'est pas conçu comme devant s'appuyer uniquement sur les quotas de diffusion. Les politiques visant à promouvoir le contenu canadien à la radio et à la télévision se sont appuyées dès le départ sur la mise en place d'une structure industrielle contrôlée au Canada. En plus d'être contrôlée par des Canadiens, cette structure industrielle doit être diversifiée afin d'assurer la qualité des productions. Une poignée d'entreprises intégrées verticalement ne favoriseraient pas l'émulation nécessaire à l'innovation et au développement de productions originales et de qualité.

    Au cours des deux dernières décennies, on a mis en place un cadre régulateur favorisant la diversification des lieux de création. On a fait en sorte qu'il existe une saine concurrence et une bonne complémentarité entre les entreprises intégrées de diffusion et de production et les entreprises se consacrant principalement à la production. Par exemple, l'industrie de la production audiovisuelle indépendante au Québec, qui regroupe plus d'une centaine d'entreprises, contribue à la diversité des lieux de création et a permis des productions dont la qualité est reconnue tant à l'échelle nationale qu'internationale.

    La tendance lourde du marché rend plus faciles la diffusion et la distribution d'oeuvres étrangères, surtout américaines. C'est pourquoi il faut continuer de faire en sorte qu'il y ait suffisamment de productions canadiennes de qualité dans les environnements de plus en plus abondants de diffusion. Pour y arriver, il faut assurer que les ressources dégagées par les activités de distribution de contenus canadiens ou étrangers soient réinvesties dans la production.

¿  +-(0930)  

+-

    Mme Francine Bertrand Venne (directrice générale, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): L'une des composantes majeures du caractère canadien du système de radiodiffusion est le fait que le Canada constitue un marché spécifique au plan des droits nécessaires à l'exploitation des oeuvres. Le maintien d'un marché des droits au Canada prévient les inconvénients susceptibles de découler d'une continentalisation du marché des droits sur les contenus de la radio et de la télévision.

    Si les droits relatifs aux oeuvres américaines pouvaient être transigés en dehors des entités à contrôle canadien, il pourrait devenir difficile d'assurer la viabilité des entreprises canadiennes, qui ne compteraient que sur les oeuvres canadiennes pour assurer leur suivie.

    Par conséquent, c'est à des entreprises qui détiennent spécifiquement les droits pour le Canada que revient la possibilité de présenter des contenus. Cela permet de faire en sorte que les revenus découlant de la présentation de contenus étrangers soient captés par des entreprises qui ont l'obligation de contribuer à l'accomplissement des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.

    Si cette politique devait être abandonnée, des entreprises de diffusion et de distribution basées à l'étranger seraient en mesure de rendre des contenus disponibles au public canadien sans devoir respecter les exigences imposées aux entreprises canadiennes. Il serait beaucoup plus difficile d'exiger de telles entreprises qu'elles apportent une contribution significative à la production et à la diffusion d'une programmation canadienne. En poursuivant une politique par laquelle est maintenu un marché canadien distinct pour les droits de diffusion et de distribution des oeuvres destinées à la radiodiffusion, le Canada se donne un levier essentiel pour maîtriser son espace de radio et de télévision.

+-

    Mme Solange Drouin (vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo): Le contrôle de la propriété des médias est une mesure appliquée par plusieurs pays dans une optique de défense de la diversité de l'expression de leur culture.

    Les politiques relatives à la propriété portent sur la nationalité de ceux qui exercent le contrôle effectif des entreprises. Elles visent à garantir l'efficacité de la réglementation. Il y a aussi des conditions auxquelles sont soumises les acquisitions donnant lieu à des situations de propriété mixte et de propriété multiple des entreprises de médias. On vise par là à protéger le pluralisme.

    Pour assurer leur souveraineté, plusieurs pays prévoient que les entreprises de radiodiffusion ou de télécommunication doivent être sous le contrôle d'une majorité d'administrateurs canadiens nationaux.

    Face au phénomène de la mondialisation, il devient plus important que jamais de s'assurer que le contrôle de la radiodiffusion canadienne s'exerce effectivement au Canada. Il s'agit de maintenir une prise sur un secteur clé de l'économie. À ce propos, nous savons tous que les travaux de ce comité sont intimement liés à ceux qu'entreprendra le Comité de l'industrie sur la propriété des entreprises de télécommunication. M. John Tory, de Rogers, qui a comparu devant vous la semaine passée, ainsi que d'autres personnes dont on a vu en abondance les citations dans les journaux l'ont avoué très clairement. C'est non seulement de l'avenir du secteur clé de la radiodiffusion et de la distribution qu'on discute ici, mais aussi, par ricochet, de celui d'un autre secteur clé de notre économie, soit celui des télécommunications.

    Pour appliquer les exigences réglementaires que requiert la politique de radiodiffusion, il faut que les entreprises auxquelles on impose des obligations soient contrôlées au Canada. Par exemple, si on laisse s'implanter des entreprises de distribution américaines, elles pourraient baisser artificiellement leurs tarifs, adopter des pratiques de dumping et se prétendre ensuite incapables de réinvestir dans la production canadienne. Cela aurait un effet d'entraînement sur les autres entreprises et pourrait mettre en péril plusieurs mesures exigeant le réinvestissement dans la production canadienne.

    La Loi sur la radiodiffusion comporte plusieurs références au caractère canadien du système. Il y a bien sûr, au premier chef, la nécessité que le système soit réellement la propriété des Canadiens et qu'il demeure sous leur contrôle.

    La promotion du caractère canadien de la radio et de la télévision est assurément la finalité la plus fondamentale de la politique de radiodiffusion. Les règles exigeant la propriété canadienne ont permis la création d'entreprises canadiennes dont nous sommes très fiers. Ces entités sont capables d'agir et de contribuer efficacement à la promotion de notre culture. Ce n'est sûrement pas le temps de les affaiblir en les laissant devenir des filiales d'entreprises étrangères.

    Pour assurer le caractère canadien du système, il demeure essentiel que le contrôle des composantes fondamentales, les entreprises de diffusion et de distribution, soit au Canada et entre des mains canadiennes.

    Plusieurs moyens existent afin de doter les entreprises canadiennes des niveaux nécessaires de capitalisation sans en céder le contrôle effectif, et je vois aujourd'hui qu'on partage tout à fait les vues de nos collègues à ce sujet.

    Par exemple, une entreprise comme BCE n'éprouve sûrement pas de difficulté à se procurer, au Canada ou ailleurs, les capitaux requis pour son développement. D'ailleurs, BCE a rendu publique son intention d'acheter la part étrangère restante de sa compagnie, soit 16,5 p. 100 d'une compagnie texane, et de se la réapproprier. On peut donc constater que BCE n'éprouve pas de difficulté à obtenir des capitaux étrangers.

    Nous voulons souligner la faible crédibilité de l'argument selon lequel les entreprises canadiennes ont un besoin pressant de capitalisation étrangère pour assurer leur croissance, une capitalisation qui ne pourrait être obtenue sans l'abandon des exigences de propriété.

    Depuis quelques années, un nombre considérable de transactions de grande envergure sont survenues dans le secteur canadien des communications, de la radiodiffusion ou encore des médias.

¿  +-(0935)  

+-

     Or, toutes les entreprises canadiennes impliquées dans ces transactions ont réussi à trouver aisément les milliards de dollars nécessaires, quelquefois les millions, pour les financer. De plus, la majorité d'entre elles ont obtenu ce financement entièrement au Canada, sans même se prévaloir du niveau de propriété étrangère déjà autorisé, soit 33,33 p. 100 pour les sociétés mères et 20 p. 100 pour les titulaires de licences.

    Les radiodiffuseurs étrangers et les cartels médiatiques qui souhaitent jouer un rôle dans l'évolution du système canadien de radiodiffusion doivent le faire selon des règles claires, et ces règles doivent être établies dans le seul souci de favoriser l'accomplissement des objectifs énoncés par le Parlement.

+-

    Mme Francine Bertrand Venne: La diversité des moyens de radiodiffusion et, de façon générale, des sources d'information sont des conditions essentielles à l'exercice de la liberté de création, et cette liberté de création est essentielle à l'existence de contenus originaux. Nous croyons fermement que si les entreprises sont détenues par une pluralité de propriétaires, elles seront mieux à même d'assurer la diversité des points de vue.

    La tendance à la convergence des entreprises oeuvrant dans le domaine de la radiodiffusion porte à revoir les approches en matière de propriété. Il faut mettre en place les conditions nécessaires pour procurer les avantages découlant de l'agglomération de ressources que rend possible la propriété mixte, tout en assurant les conditions d'une programmation diversifiée.

    Par exemple, il ne serait pas acceptable qu'une entreprise de radio ou de télévision liée à un groupe possédant à la fois des intérêts en radiodiffusion, en édition, en production et dans diverses activités connexes se mette à exclure des artistes ou des oeuvres qui sont produites par une entreprise qui n'est pas du groupe. Dans cet esprit, il faut s'assurer que l'ensemble des créateurs et des producteurs aient un accès équitable à la diffusion. Plus on accepte de concentrer la propriété et les pouvoirs de décider des productions qui seront diffusées, plus il faut garantir que les décisions à cet égard seront prises suivant des critères et une éthique d'équilibre conformes à la Loi sur la radiodiffusion.

    Il faut donc imposer des exigences de transparence. Il faut que les entreprises à propriété mixte soient obligées de rendre compte périodiquement de leur pratique et ce, pas seulement lors de l'échéance de leur licence. Des mécanismes efficaces et publics d'examen des plaintes doivent garantir que la plus grande concentration ne va pas engendrer de déficit au plan du pluralisme des sources de création.

+-

    Mme Claire Samson: Il nous faut donc reconnaître que le Canada a su, au cours des récentes décennies, mettre en place une politique assurant que des Canadiens exerceraient le contrôle effectif des entreprises de radiodiffusion. Cela a permis de créer les conditions pour assurer l'efficacité des mesures afin de canaliser des ressources vers la production de contenus canadiens. La mise en place d'un organisme de régulation doté des moyens d'intervenir aussi bien à l'égard des entreprises de radiodiffusion que des entreprises de télécommunications a permis au Canada de prendre le virage de la convergence de ces deux univers, de manière à garantir un espace pour les contenus qui reflètent nos valeurs et notre culture.

    Nous vous remercions de votre attention. Il nous fera plaisir de participer aux échanges.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

¿  +-(0940)  

[Français]

    Avant que nous passions aux questions, je voudrais demander l'attention des membres du comité pour deux choses.

[Traduction]

    Tout d'abord, beaucoup de membres du comité ont demandé quand nous tiendrions une réunion pour discuter de nos travaux d'ici au congé.

[Français]

    Madame Gagnon, ne faites pas la moue. On va vous expliquer.

[Traduction]

    Je voulais simplement vous informer que nous nous réunirons demain de 15 h 30 à 17 h 30. Puis, jeudi, nous nous réunirons de nouveau, de 9 heures à 11 heures, sur la propriété croisée des médias. Vous serez heureux d'apprendre que Tom Kent, qui a publié un rapport très important sur le sujet, sera là, de même que Wilson Southam et, de l'Université Ryerson, John Miller.

    Vous voudrez donc bien me faire savoir d'ici à la fin de la réunion si vous voulez que nous discutions de nos travaux futurs aujourd'hui, ou si vous préférez laisser faire. Je m'en remets à vous.

[Français]

    On va passer aux questions.

    Madame Hinton.

[Traduction]

+-

    Mme Betty Hinton (Kamloops, Thompson and Highland Valleys, Alliance canadienne): Bonjour.

    Comme toujours, les exposés ont été très intéressants. J'aime toujours demander à nos témoins comment ils définissent la culture. D'après ce que nous ont dit les deux messieurs aujourd'hui, la culture, c'est ce qui se passe au Canada et dont la couverture est faite par des Canadiens. Je vous demanderais donc de dire quelques mots à ce sujet après. Ce qui m'a frappée encore plus cependant, c'est que vous demandez qu'on crée un conseil indépendant de surveillance des médias. Je trouve assez extraordinaire d'entendre ça de la part d'un journaliste, et je voudrais que vous m'en disiez un peu plus à ce sujet, si vous le voulez bien, parce que j'ai toujours été préoccupée par l'idée que le gouvernement ait une trop grande influence sur les médias, ce qui nuit à la diversité des voix. J'ai donc été surprise de vous entendre réclamer la création d'un conseil de surveillance des médias. J'aimerais bien entendre vos arguments à ce sujet.

+-

    Le président: Monsieur Murdoch.

+-

    M. Peter Murdoch: C'est une proposition qui vient en quelque sorte de la commission Kent, et vous voudrez peut-être interroger aussi Tom Kent sur le sujet. Nous avons quelque peu retravaillé la proposition, qui a été adoptée à notre congrès.

    L'idée serait que les divers journaux et entreprises de radiodiffusion aient chacun un de ces conseils. Il y aurait un contrat entre le rédacteur en chef et le propriétaire où les responsabilités seraient explicites. Le contenu et l'orientation de la politique rédactionnelle relèveraient uniquement du rédacteur en chef, et non pas de l'éditeur; il n'y aurait aucune ingérence de la part du propriétaire. Les conseils seraient composés de représentants de l'employeur, du public et d'associations de journalistes.

    Ils n'auraient aucun lien de dépendance avec le gouvernement. Leur seul vrai pouvoir serait lié, d'après ce que nous proposons, au crédit d'impôt, à savoir que le propriétaire pourrait perdre son crédit d'impôt s'il ne se conformait pas aux décisions du conseil. Il s'agirait de conseils publics entièrement transparents qui donneraient suite aux plaintes des citoyens, et le journal ou le radiodiffuseur serait tenu de publier ou de diffuser le rapport annuel du conseil.

    Nous proposons également que, dans le cas des réseaux nationaux ou des chaînes de journaux nationales, il y ait des conseils à l'échelle nationale pour surveiller le rendement à l'échelle nationale. Voilà essentiellement ce que nous proposons.

    Le président: Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Alliance canadienne): Monsieur Murdoch, vous êtes journaliste si j'ai bien compris. Je trouve absolument extraordinaire qu'en votre qualité de journaliste, vous soyez pour un système de surveillance de l'information. Je tenais simplement à faire cette affirmation. Franchement, je trouve épouvantable que des journalistes soient de cet avis.

    Mais permettez-moi de vous demander quelles seraient les sanctions. Autrement dit, s'il y avait de ces organismes de surveillance des médias, quelles seraient les sanctions? Il faut qu'il y ait des mesures d'application. Allons-nous maintenant nous retrouver avec des lois qui vont maintenant régir l'activité du marché?

    Je crois que votre collègue vient de dire qu'il serait pour la révocation par le gouvernement des crédits d'impôt. J'ai du mal à imaginer pire dictature.

¿  +-(0945)  

+-

    M. Peter Murdoch: J'ai deux ou trois choses à dire en réponse à votre intervention. D'abord, la SRC est essentiellement un organe de l'État, et pourtant les nouvelles n'y sont pas présentées par un colonel en uniforme. Le service des nouvelles y est très professionnel et très bien géré. Je ne pense pas que le fait d'être soumis à une certaine réglementation de l'État soit nécessairement mauvais en soi. Cela entre dans les fonctions du gouvernement de protéger le public et d'assurer des services.

    Ensuite, il me semble que les faits indiquent tout le contraire. L'inquiétude tient plutôt, comme on a pu le constater au cours des deux dernières années, à l'influence des propriétaires. Ce sont eux qui font problème, et ce qui inquiète, ce sont surtout les abus de pouvoir que pourraient commettre les propriétaires.

    Enfin, nous sommes d'avis que ces conseils devraient être, non pas des organes du gouvernement, mais des conseils tripartites où seraient représentés les employeurs, les journalistes et le public.

+-

    M. Jim Abbott: Mais le pouvoir de révoquer les crédits d'impôt vient du gouvernement. Le gouvernement interviendrait donc.

    Deuxièmement, en ce qui concerne la Société Radio Canada, il ne faut pas oublier que le contribuable canadien y verse chaque année 800 millions de dollars. Allons-nous maintenant lui imposer de payer aussi la note de surveillance des nouvelles?

    C'est là une pente extrêmement savonneuse d'après moi.

+-

    M. Peter Murdoch: Tout ce que l'on a vu jusqu'à maintenant montre que le danger vient d'abord et avant tout, non pas du secteur public, mais du secteur privé. Qu'il s'agisse du Ottawa Citizen, de la Montreal Gazette, ou du Regina Leader Post, ce dont nous avons été témoins montre amplement que ce dont il faut s'inquiéter, ce sont des abus de pouvoir des entreprises et que nous devons faire quelque chose pour protéger notre société démocratique.

    Le président: Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je suis assez d'accord avec vous, monsieur Murdoch. Dans le cadre de la concentration de la presse, quelqu'un doit veiller à ce que l'information diffusée soit de qualité et traitée avec un bon sens analytique. En fait, si on laisse cette responsabilité aux grands consortiums, à mon avis, n'importe quel journaliste peut être mis à la porte demain matin pour le motif qu'il n'a pas traduit l'idéologie du propriétaire de ces grands conglomérats.

    J'aimerais poser une question concernant la levée de la limite de la propriété étrangère sur les entreprises de câblodistribution. Vous avez entendu des interventions de certains représentants de ce secteur la semaine dernière; elles portaient sur la protection du contenu. À l'unanimité, ils nous ont dit qu'il n'y avait aucune crainte à y avoir concernant le contenu. Ils se sont comparés à des autoroutes n'ayant aucun effet sur le contenu et m'ont laissé entendre que je ne m'adressais pas aux personnes pertinentes, précisant alors que je devrais peut-être vous soumettre mes questions.

    Pour ces raisons, je suis heureuse de vous voir. Ces propos m'ont laissée un peu perplexe, et je crois qu'il faudrait expliquer davantage quel est le lien entre l'autoroute et le contenu qui, selon leurs dires, sont des entités différentes. À cela, j'ai répondu qu'ils cohabitaient, en quelque sorte, et qu'une certaine idéologie de contrôle pouvait par le fait même se propager.

    J'aimerais aussi soulever une deuxième question. Étant donné que les règles sur la propriété étrangère dans le secteur de la câblodistribution relèvent de la Loi sur la radiodiffusion et que la téléphonie relève de la Loi sur les télécommunications, s'il y a une levée de la protection à l'égard des télécommunications, qui relèvent du ministère de l'Industrie, les câblodistributeurs vont se retrouver désavantagés. Bref, est-ce que vous souhaiteriez que cette politique soit appliquée également au ministère de l'Industrie et au ministère du Patrimoine pour la radiodiffusion?

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: Je vais commencer, mais je suis certaine que d'autres personnes pourront compléter mes propos. Nous sommes d'avis que les tuyaux que sont les câblodistributeurs et le contenu sont intimement reliés. C'est un peu comme la façon de voir le journalisme fait par des journalistes canadiens; il s'agit de personnes mais aussi, néanmoins, d'une certaine perspective. Or, la façon dont les câblodistributeurs procèdent pour mettre en valeur certains contenus ne se résume pas uniquement à un tuyau; l'amalgame de la présentation d'un portail, de la programmation, de la grille, tout cela a une influence directe sur le contenu .

    Solange a sans doute plus de choses à dire à ce sujet, mais je vais ajouter qu'en termes de téléphonie, ce qui me dérange, c'est que les traités de l'OMC, à l'égard des services, indiquent que la téléphonie n'est qu'un transfert de banques de données et de conversations privées. À ce compte-là, où se situe la marge qui sépare cette définition et le courriel?

    Que le courriel soit acheminé par Sympatico ou Vidéotron, qu'on franchisse le portail de Bell ou celui de Vidéotron, où est la différence, et qu'est-ce qu'on télécharge? On reçoit les nouvelles de TVA ou de CTV, on télécharge tel reportage ou telle émission. On se retrouve dans quelle catégorie exactement? Est-on encore dans le privé du fait que c'est du one to one?

    On est, en fait, dans une marge complètement mouvante qui se situe entre la téléphonie et la radiodiffusion, et si on ouvre les télécommunications à la propriété étrangère--on a effectivement pris l'engagement, auprès de l'OMC, d'ouvrir nos services--, ça pose un autre problème: qu'advient-il de l'engagement du gouvernement qui, dans un souci de préserver la diversité culturelle, a dit qu'il ne mettrait pas la culture sur la table dans le cadre des accords commerciaux?

    On a déjà ouvert la porte au domaine de la téléphonie et progressivement, on s'apprête à le faire pour les câblodistributeurs. Il y a, à cet égard, un danger flagrant de glissement. Si on ouvre le domaine de la téléphonie, à mon avis, d'ici sept ans environ, soit la durée d'une licence du CRTC, tout va nous échapper. Il faut dire que la pression n'est pas engendrée seulement par les capitaux étrangers; elle vient aussi de tous les accords de libre-échange et, à ce sujet, aucun engagement ferme n'a encore été pris.

    Le traité va-il être conclu sous les auspices de l'OMC ou de l'UNESCO? S'agira-t-il d'une entente parallèle? Tous ces facteurs comptent et exercent des pressions énormes. Pour ma part, je ne vois pas comment nous pourrions, en ouvrant le domaine de la téléphonie, prétendre que nous protégeons nos câblodistributeurs et la radiodiffusion.

¿  +-(0950)  

+-

    Mme Francine Bertrand Venne: Madame Gagnon, j'ai une anecdote là-dessus. Les câblodistributeurs ont traîné jusqu'en Cour suprême les auteurs, compositeurs et éditeurs musicaux au Canada, prétextant qu'ils n'étaient que des carriers et qu'ils ne violaient donc pas la Loi sur le droit d'auteur. Ils nous ont traînés en cour pendant 10 ans, jusqu'à la Cour suprême, pour décider que finalement, quand ils offraient un bouquet de services, ils offraient du contenu culturel canadien. À partir de ce moment-là, ils sont devenus des industries culturelles. Ils se sont protégés sous le vocable «industrie culturelle» et demandent ensuite au ministre de les défendre à l'international sous le vocable «industrie culturelle».

    On leur souhaite la bienvenue dans le milieu culturel, mais on veut leur rappeler qu'ils ont été considérés comme des violeurs de droit d'auteur dans le sens du contenu. Donc, ils sont intimement liés à nous. Ce n'est pas vrai qu'ils ne sont que des carriers.

    Quant à l'Internet, nous sommes venus vous dire, la dernière fois que nous avons comparu devant vous, qu'il était essentiel--et on nous a conjuré de le dire lors de notre audience au CRTC sur la Loi sur la radiodiffusion--de réglementer l'Internet, pour les raisons que vous venez de décrire, puisque dans cette convergence des genres, il y a effectivement énormément d'inquiétude chez nous que tout cela soit intimement relié.

+-

    Mme Solange Drouin: Je pense que c'est important. Peut-être que les câblodistributeurs ne mettent pas l'accent là-dessus, et on comprend sûrement pourquoi, mais ce sont eux qui contrôlent l'accès du public au contenu. Alors, quand ils disent qu'ils sont tout simplement des carriers, il ne faut pas oublier qu'ils sont la porte d'entrée du public. Pour nous, c'est évident: si les portes d'entrée du public sont contrôlées par des étrangers, quelle place aurons-nous? Quelle place auront les services de télévision canadiens et les producteurs de disques que je représente? Quelle porte aurons-nous? Quel accès aurons-nous au public? Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable et se dire qu'on n'est que des carriers. Ce n'est pas vrai. Ils sont ceux qui rendent un système accessible au public, et je pense que c'est très important.

    Pour illustrer un peu l'importance de contrôler cette porte d'entrée du public, j'aimerais vous donner un exemple qu'on a vécu dans le secteur du disque au Québec et qui illustre bien l'importance de ne pas devenir dépendant des étrangers dans quelque secteur que ce soit.

    Avant 1980, au Québec, il y avait évidemment de la musique. La musique n'a pas commencé en 1980; il y en avait avant cela. Mais la plupart des grands artistes, comme Félix Leclerc et Beau Dommage, étaient sous étiquette multinationale. C'était les multinationales qui produisaient les disques avant 1980. Donc, au niveau de la production de disques, on était totalement dépendants des producteurs étrangers, qui n'étaient pas seulement américains, mais aussi japonais, etc. Cette dépendance nous a joué un très vilain tour au début des années 80. Qu'est-il arrivé? Comme tout le monde s'en rappelle, en 1980-1982, il y a eu une récession, et les multinationales du disque, à l'époque, se sont fait dire par leur siège social, qui était à Los Angeles ou ailleurs sur la planète, d'arrêter de produire des produits domestiques et de se concentrer seulement sur la distribution de produits étrangers, de distribuer Michael Jackson. C'est ce qu'elles se sont fait dire , et c'est ce qu'elles ont fait. Elles se sont complètement retirées du marché, et les artistes québécois de l'époque qui commençaient, Paul Piché et les autres de ce monde, ne trouvaient plus preneur. Les multinationales s'étaient fait dire de ne plus produire de produits domestiques. Il y a donc eu un vide. De 1980 à 1985, ce fut l'âge noir de l'industrie du disque au Québec. Petit à petit, une industrie de la musique indépendante a été construite, tant et si bien qu'aujourd'hui, les producteurs de disques indépendants contrôlent à peu près 95 p. 100 de la sortie des artistes étrangers.

    Je vous explique tout cela parce que je pense qu'il est important de voir que l'état de dépendance dans lequel on était dans un secteur clé nous a finalement conduits à un âge noir. Il nous a fallu 20 ans pour reconstruire.

    Dans un contexte où on est en train de poursuivre l'édification de l'infrastructure de demain de l'économie du savoir, si on se met dans une position de dépendance envers des étrangers encore une fois, qu'arrivera-t-il quand AOL et d'autres se retireront? On devra encore tout recommencer, et je pense qu'on ne peut pas se permettre cela en tant que Canadiens.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Je vais donner la parole à M. Harvard, mais auparavant, je veux une précision de votre part. Vous avez dit que dans les années 80, les gens de Los Angeles avaient dit de mettre un terme aux productions domestiques. Je croyais que c'était plutôt le contraire, qu'ils avaient dit de mettre un terme aux productions étrangères. N'est-ce pas le cas?

+-

    Mme Solange Drouin: Non, les multinationales se sont fait dire carrément, parce que c'est plus risqué de faire de la production domestique, de se concentrer seulement sur la distribution de produits américains. Par exemple, distribuer Michael Jackson est beaucoup moins risqué que faire le prochain disque de Paul Piché.

+-

    Le président: Oui, c'est ça. Je comprends ce que vous dites.

[Traduction]

    M. Harvard, suivi de M. Mills, puis de Mme Lill.

    Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Mes remarques s'adressent à M. Murdoch.

    Monsieur Murdoch, contrairement à M.  Abbott, je ne pense pas que nous devrions rejeter du revers de la main votre idée de créer un conseil sans lien de dépendance. D'après ce que j'ai compris de votre proposition, le conseil serait composé de représentants de l'employeur, du public et des journalistes. Il me semble que ce serait là une façon d'avoir une meilleure reddition de comptes.

    Après tout, ces grandes entreprises sont justement très grandes. Dans certains cas, leur taille atteint celle de nos gouvernements, qui ont eux des mécanismes de reddition de comptes. Nous avons notre vérificateur général, nous avons notre commissaire à l'information, notre commissaire à la vie privée, et les provinces ont leurs protecteurs du citoyen, etc.

    Il pourrait donc être dans l'intérêt public d'avoir un conseil qui pourrait faire des observations assez bien senties sur le rendement des entreprises privées. C'est une possibilité que nous devrions explorer.

    Permettez-moi de vous poser une question sur la propriété croisée et la concentration des médias ainsi que sur la propriété étrangère. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, tout cela est intimement lié et difficilement dissociable. Il est difficile, par exemple, de dissocier la propriété croisée de la concentration ou de la convergence, et quand on ajoute aussi la propriété étrangère, cela devient très compliqué.

    Ma question concerne en fait les limites. Vous proposiez d'établir une limite, qui s'apparenterait peut-être à celle qui s'applique déjà à la propriété étrangère, de limiter en quelque sorte la concentration ou la convergence.

    Par ailleurs, toute réflexion sur ces questions nous amène à penser à des entreprises comme BCE, Rogers et CanWest. Pensez-vous que ces entreprises ont pris tellement d'envergure que nous devrions, en tant que gouvernement, nous demander s'il n'y aurait pas lieu de les morceler en des unités plus petites qui correspondraient peut-être aux limites auxquelles vous pensez?

À  +-(1000)  

+-

    M. Peter Murdoch: On pourrait certainement envisager de les morceler à mon avis.

+-

    M. John Harvard: Je vous demande pardon?

+-

    M. Peter Murdoch: Oui, certainement...

+-

    M. John Harvard: Mais ce n'est pas le terme que vous avez utilisé. C'est...

+-

    M. Peter Murdoch: Ce que nous proposons—de manière un peu arbitraire—c'est de leur donner cinq ans pour que ces sociétés se départissent de certains biens surtout lorsqu'il y a concentration, ce qui est, je pense, un risque pour une société démocratique. Comme vous le savez sans doute, c'est le cas à Vancouver.

    Alors, oui, ce serait notre première suggestion, mais sans nuire aux intérêts des actionnaires, bien entendu. Il faut leur laisser le temps de le faire. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais je pense que c'est une bonne idée de les prévenir qu'elles seront obligées de se départir de certains de leurs biens.

+-

    M. John Harvard: Pouvez-vous me donner un exemple concret d'un tel dessaisissement? Donnez-moi juste un exemple. Est-ce que vous commenceriez par Rogers en les obligeant à se départir de leurs entreprises de câblodistribution, de presse écrite ou de télédiffusion? Que feriez-vous?

+-

    M. Peter Murdoch: Je vais vous donner l'exemple de Vancouver où CanWest a une position dominante dans les secteurs de la télédiffusion et de la presse écrite. Vous diriez que ce ne serait plus permis. Que ce n'est pas dans l'intérêt des Canadiens, des Vancouvérois, ni des Britanno-Colombiens. Vous leur diriez qu'ils ont un certain temps—nous suggérons cinq ans—pour se départir de ces biens. Pour une chaîne nationale, vous pourriez peut-être fixer un pourcentage maximal de propriété ou de lectorat. Nous vous avons mentionné l'exemple britannique. Il ne faut pas que le pourcentage dépasse un certain niveau dans une ville donnée, dans une province ou à l'échelle nationale. Je pense que le calcul mathématique n'est pas trop difficile alors que les risques pour la société de l'information vont augmenter.

    Je vais demander à Martin de vous parler un peu des conseils. Cette idée a été affinée par M. Kent et sa commission, mais c'est la section locale de Martin qui l'a formulée.

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je voudrais parler de propriété étrangère et du démembrement des chaînes avant que nous passions à un autre sujet. Je pense que le marché essaie de démanteler ces chaînes de toute manière. Je pense que cela est destiné à se produire parce que les niveaux d'endettement sont si élevés que les propriétaires sont poussés à se départir de certains biens. Je pense que les décideurs, qui voient que cela va arriver aux médias, devraient établir des règles strictes pour éviter que se reproduise une telle situation où les médias sont largement dominés par deux ou trois entreprises. Je pense que l'union de la presse écrite et de la télévision au sein d'une même entreprise ne fonctionne pas, car les synergies dont ils aiment les entretenir n'existent pas. Je ne pense pas que Bell ait profité de synergie du fait qu'elle est propriétaire de CTV et du Globe and Mail tout comme je ne pense pas que l'affiliation de Global et de Southam en ait procuré à CanWest.

    Pour ce qui est des conseils, nous avons élaboré cette idée en nous fondant sur les travaux de la commission Kent parce que nous trouvions fondamentalement inacceptable que des journalistes canadiens soient menacés par leurs propriétaires. Les journalistes et les rédacteurs en chef qui ont dit franchement ce qu'ils pensaient des décisions que prenaient leurs propriétaires à l'égard du journal qu'ils produisaient ont été menacés de congédiement. Nous avons trouvé inacceptable que CanWest agisse ainsi.

    Nous pensions que les médias ont un rôle plus noble à jouer dans la société que de simplement gagner de l'argent pour leurs propriétaires. Nous avons un rôle culturel et démocratique à jouer et ce rôle doit être protégé. Nous avons pensé que la meilleure solution serait d'établir un contrat entre le rédacteur en chef et la collectivité desservie par le journal. Le contrat préciserait quels sont les objectifs du journal, de quelle manière il a l'intention de couvrir l'actualité de la collectivité et les ressources qui seront affectées à cette activité. Ce contrat serait surveillé par un genre de conseil où seraient représentés les journalistes et les rédacteurs en chef, la collectivité et les propriétaires. Pour nous il ne s'agissait pas que l'État contrôle les médias ou que le gouvernement surveille le journal local—loin de là. Lorsque la commission Kent a proposé ses idées pour la première fois pendant les années 80, l'industrie de la presse a essayé de dire que c'était une tentative de contrôle gouvernemental, ce qui était faux et un peu malhonnête, je pense. En réponse à cette proposition, ils ont créé des postes d'ombudsman et des conseils de presse locaux pour essayer d'éviter qu'on leur impose des normes plus élevées. C'est ainsi qu'ils ont fait échec à ces propositions. Ils ont mis en place quelque chose d'insuffisant. Étant donné ce qui s'est passé au Canada au cours des dernières années, je pense qu'il est temps de réexaminer cette question.

    Le président: Monsieur Mills.

À  +-(1005)  

+-

    M. Dennis Mills (Toronto—Danforth, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Tout d'abord, je tiens à m'excuser d'avoir manqué les deux dernières réunions. Je visitais le pays pour discuter de diverses questions avec les Canadiens. J'ai été vraiment surpris, mais pas sidéré, de constater que la question qui inquiète le plus les Canadiens aujourd'hui est la propriété étrangère. En lisant les journaux et en regardant la télévision, on pourrait croire que c'est Kyoto ou le système de soins de santé. Mais la propriété étrangère, même si nous n'en voyons que la pointe de l'iceberg, est une question qui interpelle et préoccupe particulièrement les jeunes.

    À l'heure actuelle, la propriété étrangère au Canada s'élève à 38 p. 100, son niveau le plus élevé depuis l'adoption de la Loi sur l'examen de l'investissement étranger. Le moment est critique en ce qui concerne la propriété étrangère. Beaucoup de jeunes me disent: «Si vous n'accomplissez qu'une seule chose d'ici la fin de votre carrière politique, que ce soit de vous attaquer sans relâche à la question de la propriété étrangère».

    À mon avis, cette idée très claire d'un plan en quatre points s'impose, avec ses limites strictes et son échéancier de cinq ans, la création de conseils de surveillance, une enquête indépendante sur la question de la propriété étrangère et l'obligation pour les diffuseurs de remplir leur mandat. Je vais insister auprès de mes collègues pour que ce plan fasse partie des recommandations du comité.

    En fait, monsieur le président, je pense qu'on pourra comparer votre leadership dans ce comité et sur cette question à celui de Kent et Davey, si la propriété étrangère est l'un des éléments clés de nos recommandations.

    Dans tout ce périple que je viens de terminer récemment, ce sont les journalistes canadiens qui m'ont déçu.

    Ma question s'adresse à M. Mittelstaedt. Combien de membres comptez-vous dans votre syndicat?

    M. Martin Mittelstaedt: [Note de la rédaction: Inaudible]

    M. Dennis Mills: Est-ce que la plupart de vos 3 200 membres sont des journalistes de la presse écrite?

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Oui, presque tous. Les journalistes du Toronto Star, du Hamilton Spectator, de Maclean's et du London Free Press sont censés être membres de notre syndicat. Nous représentons également les rédacteurs en chef, les employés du service de publicité et de la distribution.

+-

    M. Dennis Mills: Aidez-moi, monsieur Mittelstaedt. Je voudrais vous demander pourquoi les journalistes sont devenus si blasés sur la question de la propriété étrangère. Je sais qu'il y a des exceptions comme Linda McQuaig et Jim Travers et deux ou trois autres. Mais pourquoi les Canadiens ont-ils une telle longueur d'avance sur les journalistes et, franchement, sur la Chambre des communes, en ce qui concerne la propriété étrangère? Avez-vous des idées?

+-

    M. Martin Mittelstaedt: J'ai discuté avec bon nombre de mes collègues. Certains employés du Globe and Mail pensent que si on supprimait les restrictions relatives à la propriété, une chaîne étrangère de qualité comme le New York Times achèterait leur journal et en ferait une meilleure publication. Je pense que c'est absurde, car il pourrait tout aussi bien être acheté par Rupert Murdoch.

+-

    M. Dennis Mills: C'est triste.

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je trouve étrange que mon éditeur se fasse le champion de la propriété étrangère. C'est ce qu'il préconisait récemment dans un discours devant des gens d'affaires.

    Cela s'explique peut-être par le fait que les journalistes et les rédacteurs en chef pensent que n'importe qui ferait mieux que leurs propriétaires et directeurs actuels qui ont si mal géré leurs journaux et les ont laissés péricliter. Mais je pense que c'est un faux espoir.

+-

    M. Dennis Mills: Ce n'est pas du tout par peur, n'est-ce pas? Il faut beaucoup de courage pour parler de cette question étant donné la façon dont nous sommes maintenant dominés...

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je pense qu'il y a de la crainte dans l'industrie, surtout à CanWest où le propriétaire a menacé ses employés de congédiement de façon beaucoup plus agressive. Je n'ai pas constaté cette peur dans d'autres salles de nouvelles.

+-

    M. Dennis Mills: Merci, monsieur le président.

À  +-(1010)  

[Français]

+-

    Le président: Madame Drouin, allez-y. Veuillez être brève pour donner à tout le monde la possibilité d'intervenir.

+-

    Mme Solange Drouin: Je vais faire être brève.

    Monsieur Mills, je suis heureuse d'apprendre que

[Traduction]

    la propriété étrangère est la première préoccupation des Canadiens. Je n'ai pas visité le Canada d'un océan à l'autre, mais je suis sûre que vous l'avez fait. Je suis ravie de l'entendre. Je pense que ce comité est bien placé pour donner le ton puisque le comité de l'industrie n'a pas encore commencé ses travaux.

    Je ne sais pas quand vous pensez rendre public votre rapport, mais je pense qu'il fera la différence. Je pense que vous pouvez influencer les choses car si vous avez une position très ferme sur la question de la propriété étrangère, vous pourrez peut-être faire des suggestions au comité de l'industrie. Je pense que vous devrez en discuter avec vos collègues de ce comité tôt ou tard. Je pense que vous êtes bien placés pour donner le ton.

+-

    M. Dennis Mills: Je pense qu'il faudrait attirer l'attention du comité de l'industrie sur le fait que nous avons vendu près de 500 milliards de dollars d'actifs canadiens au cours des sept à dix dernières années—la pire liquidation d'actifs canadiens de toute notre histoire. Je ne m'attends pas à ce que ce comité change d'attitude.

+-

    Le président: Madame Lill.

+-

    Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.

    Je pense qu'on nous presse, qu'on nous oblige à examiner un aspect très important de ce problème en très peu de temps, mais, croyez-moi, ce n'est pas le cas. Ce que vous nous dites aujourd'hui est très important pour tous les membres du comité.

    La semaine dernière, nous avons reçu des représentants de BCE, de CanWest Global ainsi que Matthew Fraser de l'école de journalisme. Essentiellement, leur position officielle est que nous n'avons plus du tout besoin de réglementation puisque le marché a évolué. Il existe maintenant des milliers de produits médiatiques et il est possible d'entendre une diversité de voix provenant de partout. Ils ont cité en exemple Internet. Matthew Fraser a dit qu'il lit The Guardian et Le Monde sur Internet. Il dit que tous ses étudiants sont constamment en mode multitâche.

    C'est intéressant. Je pense qu'Internet est très utilisé, mais je ne pense pas que ce soit pour consulter différents médias pour obtenir une diversité d'opinions. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'ai des adolescents. Ils utilisent des systèmes multitâches, mais c'est pour regarder les sports et pour clavarder avec leurs amis. L'an dernier, nous avons reçu des témoins qui nous ont dit que la plupart des gens se servent d'Internet pour trouver de la pornographie. Je pense que nous aurions tort de nous faire une trop haute idée de l'usage que les gens font d'Internet.

    J'aimerais que nous tournions notre attention vers nos voisins du Sud. J'ai ici un article de Paul Krugman du New York Times qui parle des intérêts économiques des médias et qui explique que ces objectifs les empêchent de couvrir l'actualité de façon objective. Voici une citation de Roger Ailes, président du réseau de Fox News: «C'est grâce à notre couverture qu'il a gagné les élections à mi-mandat»—en parlant de Bush. Il a dit: «Les gens nous regardent et ils se fient à nous pour savoir comment voter». Cela fait peur.

    Aux États-Unis, les restrictions sur la propriété ont été tellement relâchées—je parle des États-Unis, nous sommes très petits en comparaison—qu'il est tout à fait possible que les grandes chaînes commencent à s'acheter les unes les autres.

    Nous avons une poignée d'entreprises qui sont essentiellement des moteurs économiques, et non pas des défenseurs de la démocratie. Leur rôle n'est pas d'assurer l'expression d'un grand nombre d'opinions différentes. Je ne le conteste pas. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de cas où les intérêts économiques des médias les empêchent de couvrir l'actualité de façon objective? Nous devons être mis au courant de ce genre d'incidents. Nous avons entendu bien sûr des anecdotes, mais ce serait formidable si nous pouvions avoir des exemples concrets.

    La commission dirigée par Roy Romanow vient de terminer ses travaux et elle a mis le secteur privé au défi de prouver qu'il est capable de fournir des soins de santé de façon aussi efficace et efficiente que le secteur public. Est-ce que nous ne devrions pas exiger la même chose des radiodiffuseurs privés? Pouvez-vous nous prouver que vous remplissez vraiment la mission que nous vous avons confiée et qui consiste à protéger le droit des Canadiens de s'exprimer de façon démocratique?

À  +-(1015)  

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je peux vous citer le London Free Press, un journal que nous avons syndicalisé vers 1990, comme exemple d'un cas où les intérêts économiques l'ont emporté sur les intérêts journalistiques. Au moment où nous l'avons syndicalisé, nous avons recruté des membres uniquement dans le service de l'éditorial qui a fait l'objet de notre première campagne de recrutement. Nous avions 150 membres dans ce service et il n'en reste plus maintenant que la moitié.

    Si vous regardez la liste des membres de la tribune de la presse à Ottawa, vous constaterez qu'il n'y a aucun journaliste du London Free Press. Il n'y a aucun journaliste du London Free Press à Queen's Park. Lorsque la famille Blackburn dirigeait le London Free Press, il y avait plusieurs bureaux locaux dans la région de London; il y en avait un à Sarnia et un autre à Woodstock. Ils couvraient très bien la région où le journal est distribué.

    Le journal a été vendu à quelques reprises et il fait maintenant partie du groupe Québécor. Les pressions économiques sont intenses. Pour des raisons évidentes de service de sa dette, le journal a réduit de moitié le nombre de ses journalistes et je pense que dans ces conditions la qualité du journalisme ne peut qu'en souffrir grandement.

    Comme il n'y a plus de journaliste de London ici, les gens de cette région ne reçoivent aucune couverture. Les journalistes de la tribune de la presse qui travaillent pour les grands journaux régionaux interprètent ce qui se passe ici en tenant compte des répercussions sur leur région, mais plus personne ne fait cela pour London.

[Français]

+-

    Mme Francine Bertrand Venne: Je voulais vous suggérer de regarder du côté de la propriété croisée. De ce point de vue, on a des compagnies qui sont effectivement privées et des compagnies qui sont soumises à des systèmes publics. Je pense à la Loi sur la radiodiffusion et au CRTC. On avait décrété, comme Canadiens, que les ondes étaient publiques. Dans la propriété croisée, on a la problématique d'entreprises qui étaient soumises à certaines règles de contenu culturel et d'encadrement du législateur par la voie du CRTC et par le fait que le CRTC relève du Cabinet, et on est maintenant en propriété croisée avec des entreprises.

    Il fallait voir M. Péladeau à l'audience du CRTC quand il voulait acheter TVA. Cet homme d'affaires tellement habitué de faire des affaires tout seul dans son bureau était étonné de devoir passer plusieurs jours à écouter tous les groupes de pression qui voulaient parler de sa démarche pour acheter une compagnie.

    Donc, on fait réagir les gens d'affaires, mais quand les gens d'affaires viennent nous dire ça, j'aimerais qu'on leur rappelle qu'ils ne sont pas tout à fait privés au Canada. Quelque part, on a voulu réglementer les ondes et, donc, apporter des notions politiques et culturelles à ces industries.

    Deuxièmement, il faut se rappeler que ces gens-là nous doivent quelque chose jusqu'à un certain point, puisqu'on leur a permis d'atteindre une expertise mondiale intéressante qui leur permet maintenant de se faire vendre--disons-le bien franchement--à des intérêts internationaux. Est-ce que ces gens-là auraient eu la même expertise si nous n'avions pas, comme peuple, décidé que nous mettions ces compagnies entre nos mains?

    Je veux vous dire que dans le cas des journalistes, la dynamique est la même que dans le cas de la culture. Si on jette un regard économique sur la situation, on constate qu'il y a des milliers de personnes au Québec qui travaillent dans le secteur du disque et de la télévision dont les emplois dépendent des thèmes dont nous parlons aujourd'hui. Certains ne font peut-être pas des ventes mondiales extraordinaires, mais les gens qui sont devant vous ne sont pas des citoyens vivant de l'assistance sociale; ce sont des gens qui vivent de leur métier, et c'est aussi cela qui est en péril. Donc, autant c'est le cas chez les collègues journalistes en ce qui a trait à la démocratie, autant c'est le cas pour la variété culturelle. Il faut se demander si on ne veut entendre que du Michael Jackson pour le reste de nos jours. C'est la question fondamentale. C'est la démocratie qui est en jeu, mais c'est aussi la diversité culturelle. Cela fait partie d'un tout. On veut vous sensibiliser au fait qu'on vit de notre art bien qu'on ne le vende peut-être pas dans 185 pays du monde. Par contre, on a des succès. Donc, je veux que vous compreniez qu'il y a des citoyens canadiens qui vivent de leur art et que cela n'est pas négligeable.

+-

    Le président: Je vous donnerai la parole plus tard, madame Des Roches.

[Traduction]

    Allez-y, monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: J'aimerais beaucoup entendre ce que nos amis ont à dire au sujet de la programmation en français.

    Je signale aux membres du comité et aux témoins que la programmation étrangère, particulièrement la programmation américaine, finance le contenu canadien. Radio-Canada reçoit 800 millions de dollars par année et il y a un montant à peu près égal qui est versé dans le cadre d'autres programmes de subvention pour le contenu canadien. Mais les radiodiffuseurs privés n'ont pas d'autre moyen d'offrir des émissions à contenu canadien qu'en diffusant les émissions américaines que les Canadiens veulent regarder. Ce sont ces émissions qui attirent les messages publicitaires, qui produisent les bénéfices bruts qui peuvent ensuite être réinvestis dans le contenu canadien.

    J'aimerais que vous nous expliquiez si cela se passe ainsi au Québec également.

À  +-(1020)  

+-

    Mme Claire Samson: Monsieur Abbott, vous parlez d'une situation qui est nettement différente au Québec qu'au Canada anglais. Je dirais qu'il y a une quinzaine d'années les émissions les plus populaires sur les réseaux francophones étaient probablement des traductions d'émissions américaines comme Dallas, Little House on the Prairie, et Three's Company. Grâce à une certaine volonté de la part du gouvernement d'offrir des incitatifs et des programmes d'ordre culturel, le Québec a réussi à établir un vedettariat grâce auquel aujourd'hui les productions québécoises représentent 19 des 20 émissions de télévision les plus populaires sur les réseaux TVA, TQS, ou sur le réseau français de Radio-Canada—mais il fallu 15 ans pour y parvenir.

    Je sais que cette situation est tout à fait particulière au Québec. Nous avons de la chance à ce niveau-là. La situation est plus difficile au Canada anglais en raison bien entendu de la proximité des émissions américaines. Et il est vrai que les radiodiffuseurs locaux et privés ont besoin de ces émissions américaines pour obtenir des recettes commerciales leur permettant d'acheter des émissions canadiennes.

    Il faut que le Canada anglais consacre le même genre d'efforts aux émissions locales afin que les Canadiens puissent découvrir la qualité de ce qui peut se faire au Canada. Je crois que c'est tout à fait possible; c'est une question de politique et de volonté, mais si pour une raison quelconque ces entreprises canadiennes devaient appartenir à des intérêts américains, cela ne sera plus jamais possible.

+-

    M. Jim Abbott: Je crois que nous divergeons peut-être d'opinion à cet égard car je considère que cela peut se faire et est en train de se faire grâce à la réglementation. Je ne suis pas vraiment sûr que la propriété en soi ait une influence.

    Tout entrepreneur canadien qui n'est pas motivé par les résultats financiers sera remplacé. C'est aussi simple que cela; c'est la nature même des affaires. Qu'il s'agisse d'une entreprise canadienne ou d'une entreprise américaine, s'il existe des règlements canadiens, les entreprises sont tenues de s'y conformer. Je dirais donc, sauf votre respect, que nous divergeons d'opinion à ce sujet.

+-

    M. Peter Murdoch: J'aimerais simplement ajouter brièvement quelque chose à propos du côté anglophone et dire qu'un certain nombre de syndicats des milieux de la production télévisuelle et cinématographique se sont réunis pour constituer ce que nous appelons une coalition des syndicats canadiens de l'audiovisuel qui représente environ 50 000 travailleurs dans les secteurs de la télévision et du cinéma. Mme Des Roches et moi-même sommes les coprésidents de cette organisation.

    Nous avons entre autres fait de la recherche sur cette question précisément, monsieur Abbott. Nous avons constaté qu'en fait dans des pays comme l'Australie, leurs 10 émissions les plus populaires sont des émissions indigènes; en Allemagne, ce sont les émissions indigènes qui sont les plus regardés. C'est un aspect sur lequel nous formulerons des recommandations à l'intention du CRTC et dans le cadre de l'étude sur le contenu canadien. Il y a quelque chose qui est allé de travers dans la façon dont nous avons tâché d'encourager les radiodiffuseurs et les producteurs indépendants, surtout les radiodiffuseurs, à diffuser et à encourager les émissions dramatiques canadiennes, surtout les séries dramatiques canadiennes, ce dont vous êtes en train de parler. C'est donc une autre voie à explorer.

    Croyez-moi, il est tout à fait possible pour un pays de créer un système indigène de production télévisuelle et cinématographique et de le faire avec beaucoup de succès. Le Québec en est un exemple, mais je crois qu'il y a encore certains aspects que le Québec aimerait probablement améliorer également.

À  +-(1025)  

[Français]

+-

    Le président: Si vous avez des recommandations à faire au Comité d'orientation sur le contenu canadien et l'identité culturelle, faites-les à notre comité aussi.

[Traduction]

Nous vous assurons que nous en tiendrons compte. Si vous avez quoi que ce soit à nous communiquer, assurez-vous de le transmettre à notre greffière.

[Français]

    Madame Des Roches.

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: En fait, je vais répondre un peu à M. Abbott et un peu à Mme Lill.

    Les radiodiffuseurs disent que ce qui compte, c'est le bottom line. C'est une des raisons pour lesquelles la réglementation ne fonctionne plus. Les entreprises viennent vous dire qu'il y a beaucoup de diversité de voies. La tendance veut qu'on aille se cacher dans des secteurs non réglementés comme les journaux ou Internet. Ils vont se cacher là-dedans et y faire leur argent, et font le minimum possible dans la réglementation. Toutes les choses qui peuvent un peu déséquilibrer le système, notamment les annonces, se font hors réglementation. Cela rejoint un peu ce qu'on disait, à savoir que lorsqu'il y a une diversité de voies et qu'on s'en va vers des choses non réglementées, on perd le contrôle. Ça ne fonctionnera pas pendant plus de cinq ans.

    Quant à la diversité des voies, il est prouvé que la télévision conventionnelle est celle qui attire le plus d'auditeurs. Même si Internet existe, on constate que ce sont les journaux--je lis au moins trois journaux, dont Le Monde, je regarde la BBC et ainsi de suite--, et la télévision traditionnelle qui attirent les gens. TVA attire un million d'auditeurs et c'est la même chose à TQS. C'est là qu'est la masse des gens; c'est ça qui regroupe les gens. Donc, quand on dit qu'on a une diversité de voies parce qu'on a Internet, on joue un peu à la mystification d'Internet. Ce sont les journaux, la radio et la télévision qui attirent les gens et qui façonnent les mentalités.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Frulla.

[Français]

+-

    Mme Liza Frulla (Verdun—Saint-Henri—Saint-Paul—Pointe Saint-Charles, Lib.): Merci, monsieur le président.

À  +-(1030)  

[Traduction]

    Je vous remercie.

    Je vous remercie de m'avoir invitée. Je me replonge dans des sujets dont nous avons discuté à maintes et maintes reprises au Québec. Nous avons tenu ce genre de discussions, pris des mesures, et réussi à accomplir certaines choses.

[Français]

    On me connaît tous et on sait qu'on parle à une convaincue. Ici, on parle d'abord et avant tout de la protection de la culture canadienne. Et quand je parle de la protection de la culture canadienne, je mets surtout l'accent sur la protection de la culture canadienne anglophone. Au niveau francophone, même si c'est très, très fragile, on a quand même la langue pour nous aider. Ce dont on discute aujourd'hui, je l'ai non seulement observé, mais aussi vécu. J'ai vu de grandes corporations acheter des stations de radio à des prix de fou. On savait qu'elles payaient ces stations trois ou quatre fois leur prix réel pour dominer un marché. Ce sont ces mêmes personnes qui viennent nous voir maintenant pour nous demander de les aider parce que ces stations ne sont plus vendables. C'est assez difficile à accepter.

    Il y a un autre problème, et je veux savoir si vous êtes d'accord avec moi là-dessus. Il y a toute la question du Bureau de la concurrence. Le Bureau de la concurrence va étudier la situation en se demandant si cette entreprise possède plusieurs stations de radio ou la majorité des stations de radio au Canada. Or, le Bureau de la concurrence ne regarde pas si une entreprise a quelques stations de radio, une station de télévision, quelques journaux et quelques revues, ce qui fait en sorte qu'on se retrouve avec de la propriété croisée, mais croisée de façon verticale, dans le genre de Quebecor, par exemple, où le même contenu est diffusé à la télévision, à la radio, dans les journaux et ensuite dans les revues. C'est ça, le problème. Je ne sais pas si vous êtes d'accord, mais bien souvent, il y a peu de diversité d'opinion et d'information. Pourquoi? Parce que c'est la même information qui, dans une même entreprise, va de haut en bas. Il me semble que c'est un très gros problème.

    On a discuté de cette question en fin de semaine à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Je m'adresse à M. Murdoch et à M. Mittelstaedt. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a demandé qu'on ait un Conseil de presse qui soit beaucoup plus puissant, qui ait des dents et qui puisse agir. Aujourd'hui, le Conseil de presse peut faire certaines recommandations, mais n'a aucun pouvoir. Oui, il y a l'organisme que vous suggérez,

[Traduction]

qui est un organisme de réglementation à plusieurs niveaux—pas de réglementation, je n'aime pas ce terme—

[Français]

mais je me demande si un conseil de presse composé de journalistes de la profession, lequel aurait suffisamment de pouvoir pour dénoncer certaines situations spécifiques ayant trait à l'information, saurait vous satisfaire. Est-ce que la suggestion faite par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec vous satisfait, monsieur Murdoch, ou si vous soutenez qu'on devrait aller encore plus loin?

[Traduction]

+-

    M. Peter Murdoch: Tout d'abord, les conseils de presse, tels qu'ils existent à l'heure actuelle, certainement dans la plupart des provinces, sont simplement dans un certain sens des organismes de l'employeur, financés par l'employeur et à certains égards contrôlés par l'employeur, et les seuls pouvoirs qu'ils ont, c'est d'imprimer à l'occasion les résultats des décisions. Nous devons donc trouver un autre mécanisme un peu plus efficace et influent, et c'est pourquoi nous avons proposé la création de ces conseils consultatifs, avec l'avantage des crédits d'impôt.

+-

    Mme Liza Frulla: Vous êtes en train de parler de cet organisme consultatif...

[Français]

    Le président: Il faudrait penser aux autres.

    Mme Liza Frulla: Puis-je ajouter un petit quelque chose?

[Traduction]

    J'approuve toutes les recommandations; vous m'avez convaincue. Je suis du même avis que Dennis, nous allons nous battre et insister pour l'obtenir. Mais la seule chose qui me déranger en ce qui concerne le conseil consultatif, où vous avez les propriétaires puis les journalistes, c'est le risque qu'il soit contrôlé par les propriétaires, étant donné qu'ils ont le pouvoir. N'avez-vous pas l'impression que ce pourrait être une tendance?

    Lorsque vous me dites que les journalistes n'ont pas peur, j'ignore quelle est la situation de votre fédération mais je sais qu'au Québec, les journalistes ont peur. Certains d'entre eux ont peur. Ils ont peur de parler, parce que le marché est encore plus petit. C'est ce qui m'inquiète.

+-

    M. Peter Murdoch: Je pense qu'il y a un climat de peur qui règne dans de nombreuses salles de nouvelles, pas dans toutes, mais il existe certainement un malaise dans certaines d'entre elles et on se demande comment dissiper ce malaise—ce qui est sans doute ce que nous tâchons de faire et ce que vous tâchez de faire ici. Mais ce malaise existe, cela ne fait aucun doute. Il existe dans les médias anglophones autant que francophones.

    Quant à savoir ce que nous pouvons faire à ce sujet, je vais m'écarter un peu de la question, mais l'une des choses que nous avons l'intention de faire comme syndicat, c'est de préparer un code de conduite, un code de principe à l'intention des journalistes, et comme les employeurs n'ont d'aucune façon répondu aux universitaires, aux organisations de journalistes, aux syndicats—les employeurs n'ont absolument rien fait pour donner suite aux préoccupations exprimées—nous allons devoir nous asseoir à la table de négociation et négocier ces choses, et nous allons mettre sur la table de négociation à l'intention de ces employeurs un code de conduite qu'ils devront respecter. Le pouvoir réside peut-être dans le processus de négociation collective, mais malheureusement cela réduit légèrement la contribution du public, et c'est pourquoi nous envisageons la création de ces conseils consultatifs, parce qu'il s'agit du public, des consommateurs, des lecteurs dans une société démocratique qui ont le plus à perdre, à certains égards.

    Les journalistes ont l'obligation de fournir au public la meilleure information, et les Canadiens sont en droit de s'y attendre.

+-

    Le président: Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Je pense que c'est effectivement un droit fondamental. Il y a la liberté de presse, mais aussi la liberté d'être bien informé. C'est l'un des droits fondamentaux de la liberté de presse.

    Je suis un peu irritée quand on me dit que les francophones du Québec jouissent de la protection de leur langue. Je pense qu'il faut faire autant d'efforts, parce qu'il n'y a pas seulement la protection de la langue qui est importante; la capacité de produire l'est aussi. On peut diffuser en français des émissions achetées aux États-Unis et dire que la langue est protégée. Le public écoute ces émissions parce qu'elles sont diffusées en français, mais il faut peut-être arrêter d'invoquer cet argument. Si le Canada anglais veut protéger sa diversité culturelle, qu'il le fasse, mais le fait qu'on parle français n'est pas une barrière qui nous protège de tout.

    Vous dites que vous lisez beaucoup, y compris Le Monde . J'ai justement lu un article dans Le Monde diplomatique dans lequel Ignacio Ramonet fait des mises en garde en ce qui a trait à la concentration des médias. Il dit que la venue de joueurs comme Internet et les satellites a amené des entreprises des secteurs de l'eau, de l'électricité et de l'armement à acquérir des parts importantes d'entreprises de communications. Ces entreprises sont devenues les acteurs principaux, du moins en termes d'actions, dans des entreprises de communications. Si, par exemple, il y avait la guerre en Irak, imaginez-vous ce que feraient ceux qui produisent les armes. Il y aurait peut-être lieu de contrôler ce genre de contrôle de l'information. Il faut être diligent et prudent et voir qui possède ces grandes entreprises. Je vous invite à lire cet article de décembre 2002 d'Ignacio Ramonet. Est-ce le genre de craintes que vous anticipez?

À  +-(1035)  

+-

    Mme Solange Drouin: Je comprends vos préoccupations et je les partage. Vous soulevez une chose que je trouve très intéressante: ce sont les véritables motifs des entreprises de télécommunications, parce qu'il faut en parler ici aussi, et des entreprises de câblodistribution lorsqu'elles demandent une relaxation des règles de propriété.

    Quand cela faisait leur affaire et que cela aidait leur bottom line, les entreprises de télécommunications et de distribution ne remettaient pas en question les règles de propriété. Aucune ne l'a fait. Je pense que leur bottom line est encore très bon. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la personne que Mme Lill a citée, Matthew Fraser, que je lis toujours avec intérêt car je trouve que c'est quelqu'un d'intelligent. Je ne partage pas du tout ses vues, mais il est quand même intelligent et on doit le reconnaître. Ian Morrison, le représentant des Friends of Canadian Broadcasting, est d'habitude totalement en désaccord avec Matthew Fraser, mais ces deux personnes sont d'accord sur une chose. Qu'est-ce qui motive en ce moment les entreprises de télécommunications à demander une relaxation des règles de propriétés? C'est qu'elles veulent briser le monopole de Bell. C'est très clair et je ne suis pas la seule à le dire. Il y a plein de gens qui le disent.

    Dans le domaine de la câblodistribution, qu'est-ce qui motive les entreprises de câblodistribution à demander une relaxation? Des compagnies telles que Shaw, Rogers et COGECO, qui sont des compagnies familiales et qui ont peut-être un problème de succession, veulent se faire belles afin d'être achetées par des intérêts étrangers, parce que leurs dirigeants veulent se retirer et avoir des revenus suffisants pour jouir d'une retraite intéressante.

    Ce que je vais dire est un peu rude, mais est-ce que les entreprises de télécommunications et les câblodistributeurs s'intéressent vraiment à la culture canadienne? Je pense que personne ne s'y intéresse, ni du côté des câblodistributeurs ni de celui des entreprises de télécommunications.

    Je pense que la motivation qu'il y a derrière cela nous dicte d'être très, très prudents.

+-

    Mme Christiane Gagnon: Je ne sais plus si j'ai lu cela dans votre rapport ou dans un autre, mais vous allez peut-être pouvoir me répondre. En ce qui a trait aux 20 p. 100 de propriété étrangère, on n'est même pas allé chercher ce capital à l'étranger pour développer ce qu'on avait à développer.

    Quand les gens de l'Association canadienne de télévision par câble sont venus, ils nous ont dit que la large bande était à développer, étant donné la venue d'Internet et le fait qu'on allait avoir la télévision avec les émissions sur demande. Si on n'est pas allé chercher ces 20 p. 100 à l'étranger, on n'est pas allé chercher le maximum. Pouvez-vous nous donner plus d'information là-dessus et nous dire où vous avez trouvé ces chiffres?

+-

    Mme Solange Drouin: L'exemple que je citais dans la présentation était celui des entreprises de télécommunications. À l'heure actuelle, Bell est détenue à 16,5 p. 100 par une société texane, et Bell a annoncé son intention de récupérer ces 16,5 p. 100 de propriété étrangère pour quelques milliards de dollars. Elle ne devrait pas avoir de problèmes de liquidités à ce niveau-là.

    Pour ce qui est des grands câblodistributeurs, d'après les analyses qu'on a faites, personne n'est à ce niveau. Il faut voir que l'effet combiné des deux règles de propriété, à savoir 33 p. 100 de la société-mère et 20 p. 100 des entreprises, représente un contrôle effectif de 47 p. 100.

    Nous pensions que vous nous demanderiez s'il était possible d'augmenter cela de 20 à 25 p. 100 pour donner un peu de flexibilité à ces entreprises. Pour nous, il est très clair que s'il y avait ne serait-ce qu'une faible augmentation, on pourrait passer très rapidement à la majorité étant donné l'effet combiné de ces deux règles, qui représente 47 p. 100. Donc, pour nous, il est très clair que les règles doivent rester telles qu'elles sont présentement.

À  +-(1040)  

[Traduction]

+-

    Mme Wendy Lill: Les grands conglomérats nous ont entre autres dit qu'il est possible de séparer le contenu et la distribution. Je n'arrive absolument pas à comprendre comment cela est possible. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. Est-ce un scénario possible et réaliste, selon votre expérience?

+-

    Mme Francine Bertrand Venne: Il ne faut jamais oublier que pour AOL et Time Warner, la valeur de la compagnie réside dans Time Warner, pas dans AOL.

[Français]

    Finalement, en ce qui concerne le contenu et le contenant, il doit y avoir une raison pour que ce soit une valeur ajoutée. Je vous disais tout à l'heure que les câblodistributeurs nous avaient fait la guerre pour dire qu'ils n'étaient que des carriers. Comme par hasard, les compagnies de radiodiffusion ont essayé d'arrêter iCraveTV et Junk TV parce qu'ils faisaient une réutilisation de leurs signaux. C'est de la foutaise quand on dit que le contenant et le contenu se dissocient puisque, quelque part, on a vu des compagnies vouloir qu'il y ait une valeur ajoutée à leur entreprise. Ceux qui étaient des carriers ont voulu aller chercher le contenu.

    Avec le temps, on s'aperçoit que ce sont les compagnies de contenu qui ont la valeur économique la plus intéressante.

[Traduction]

+-

    M. Peter Murdoch: Je ferai un bref commentaire.

    Il est tout à fait possible pour les distributeurs d'influer sur le contenu. Par exemple, si vous mettez votre station sur la liste de 1 à 134, il s'agit d'un très important positionnement de votre contenu. AOL peut certainement restreindre l'accès à la toile, et compte une majorité d'abonnés. Le distributeur a donc une énorme influence sur le contenu et peut, à mon avis, dicter le contenu qu'il préfère.

    J'encourage le comité à ne pas laisser entendre qu'il existe un compromis et que nous pouvons jusqu'à un certain point atténuer la règle de la propriété étrangère en échange d'un ensemble quelconque d'avantages en matière de contenu canadien. C'est un aspect qui nous préoccupe beaucoup à savoir que vous décidiez d'atténuer les règles concernant la propriété étrangère et que cet argent s'accompagnera d'un certain coût. Il ne faut pas y compter.

+-

    Le président: Il nous reste 15 minutes. Je dois faire savoir aux membres, en ce qui a trait à la réunion pour discuter de nos travaux, que nous ne pourrons pas la tenir puisqu'il y a trop de membres du comité qui ont d'autres réunions de comité à 11 heures. Ce ne serait pas juste pour eux. Nous allons simplement devoir trouver un autre moment.

    Il reste 15 minutes, et je voudrais me réserver au moins deux minutes pour poser moi-même une question. Je vais donc accorder une petite question à Mme Frulla, à M. Harvard et à M. Abbott, et une réponse d'un des témoins seulement à chaque question.

[Français]

+-

    Mme Liza Frulla: Merci, monsieur le président.

    Je ne disais pas que c'était une protection, mais simplement a special incentive. Maintenant, les gens du Canada anglais bénéficient aussi des mêmes avantages, et je pense qu'ils s'en servent très bien. Autrement, on donnerait raison à Mme Lemieux, qui disait qu'il n'y a pas de culture canadienne, ce qui est tout à fait faux. Mais, cela dit, je pense qu'ils ne le font pas avec autant de succès.

    Je reviens à ce que vous disiez. Projetons-nous dans le futur et parlons des prochaines étapes. Le CRTC a permis beaucoup de choses ces dernières années en se disant qu'il ne pouvait peut-être pas tout contrôler, qu'il ne pouvait pas contrôler les ondes et les télécommunications. Donc, le CRTC a accordé des permis. À quoi vous attendez-vous maintenant du CRTC? Qu'est-ce que vous lui demandez et qu'est-ce que vous nous demandez de contrôler quant à cette problématique qui nous inquiète tous énormément ici, sauf peut-être quelques-uns?

À  +-(1045)  

+-

    Mme Solange Drouin: Pour nous, la Loi sur la radiodiffusion, telle qu'elle est rédigée à l'heure actuelle, contient tous les principes que le CRTC peut appliquer. On demande au CRTC d'appliquer sa loi constitutive jusqu'à ce qu'elle soit modifiée par le Parlement. Selon ce que je comprends, ce n'est pas à l'ordre du jour. Donc, pour nous, si on n'ouvre pas la loi, on doit l'appliquer. La directive sur la propriété est là et on ne la change pas. La politique de la radiodiffusion est claire. Appliquons-là.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard: Monsieur Mittelstaedt, vous et votre collègue avez indiqué que ces grandes entreprises médiatiques sont en train de se noyer dans une mer d'encre rouge. Où est l'erreur qui a conduit à ce surendettement? Les modèles de convergence et de propriété croisée des médias auraient dû vraisemblablement produire des économies d'échelle. Ou ont-elles mal calculé, si tant est qu'elles aient mal calculé, de façon que certaines de ces entreprises vont faire faillite plutôt que de devoir simplement assumer un endettement élevé pendant une courte période et de réussir finalement à tirer leur épingle du jeu? Où se sont-elles trompées?

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je crois qu'elles ont surestimé ce qu'elles pourraient obtenir de la fusion d'une chaîne de journaux, par exemple, avec un réseau de télévision. Il n'y a pas beaucoup d'économies à faire à combiner ces deux types d'entreprises. Je pense qu'elles croyaient qu'il y en aurait. Je pense qu'elles croyaient également pouvoir accroître leurs revenus en les combinant, mais cela ne s'est pas concrétisé. Je crois qu'elles se sont laissées emporter par la bulle spéculative. Elles pensaient pouvoir acheter une entreprise et la revendre aussitôt en faisant un profit énorme, mais elles se sont trompées. Je pense qu'elles ont acheté les intérêts en question en sachant quelles étaient les règles sur la propriété, et elles s'attendent maintenant à ce qu'on vienne à leur rescousse.

    L'étape suivante sera sans doute pour ces entreprises de convertir une partie de leur dette en actions afin de devenir rentables. Ce sera peut-être douloureux pour les actionnaires actuels et pour les familles qui possèdent ces entreprises, mais ce n'est pas là une raison suffisante pour sacrifier les intérêts culturels canadiens ni pour sacrifier les moyens qui nous permettent de protéger l'accès démocratique aux médias.

    Les principaux exemples sont Québécor et CanWest. Ce sont les deux entreprises qui se sont le plus laissées emporter par la vague spéculative et qui souffrent le plus maintenant.

+-

    Le président: Monsieur Abbott, allez-y.

+-

    M. Jim Abbott: Je serais curieux de savoir comment le syndicat verrait les modalités exacts du morcellement dont M. Harvard parlait. Je crois que c'est M. Mittelstaedt, ou c'était peut-être M. Murdoch, qui a dit que l'on pourrait démanteler les conglomérats, et j'ai noté textuellement vos propos «sans risque pour les actionnaires».

    Ainsi, le gouvernement viendrait s'ingérer dans l'entreprise privée, et les investisseurs étrangers qui voudraient peut-être venir investir au Canada, ou même les investisseurs canadiens qui souhaiteraient investir chez nous, ne vont pas se préoccuper de cela. «Sans risque pour les actionnaires», c'est un peu rêver en couleur, n'est-ce pas?

+-

    M. Peter Murdoch: Tout d'abord, les actionnaires de beaucoup de ces entreprises médiatiques ont déjà été très malmenés sans quelque ingérence que ce soit de la part du gouvernement. Le blâme peut carrément être rejeté sur les principaux dirigeants des entreprises.

    Ce que je proposais, c'est que cela se fasse graduellement. Si les entreprises avaient un certain temps pour effectuer ce morcellement, le marché boursier n'en serait pas traumatisé. Il y aurait, comme cela se fait à l'heure actuelle, des appels de propositions, puis il y aurait un certain temps pour que les propositions ou les soumissions soient faites. Je ne pense donc pas que le cours des actions dégringolerait aussitôt.

    N'oubliez pas—et il est important de ne pas l'oublier, monsieur Abbott—que les actions de ces entreprises ont considérablement chuté à la suite de cette course effrénée et mal avisée aux acquisitions. Les Canadiens en payent déjà le prix non pas seulement, à notre avis, à cause de l'affaiblissement de la presse démocratique, mais en espèces sonnantes et trébuchantes.

    Je ne pense pas qu'il y aurait quelque risque que ce soit au démantèlement si nous leur donnions un préavis assez long. Nous l'avons déjà fait par le passé. Les États-Unis l'ont fait dans le cas de AT&T. Si les Américains ont pu le faire pour AT&T, nous pouvons certainement le faire pour une entreprise comme CanWest. Il suffit de leur donner du temps pour le faire afin que ce ne soit pas traumatisant.

À  +-(1050)  

+-

    M. Jim Abbott: Ainsi, le gouvernement peut défaire les mauvaises décisions des entreprises?

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Je pense que le marché va défaire ces décisions.

+-

    M. Jim Abbott: Tout à fait. C'est justement ce que j'essaie de faire comprendre.

+-

    M. Martin Mittelstaedt: Mais je vous incite fortement à guider un peu le marché pour que nous ne nous retrouvions pas dans une situation telle que les rajustements qui se feront aggraveront encore plus le problème de la concentration.

+-

    M. Dennis Mills: Intervenir avec doigté...il faut que nous reprenions en main la conduite des affaires.

+-

    Le président: Il y a un commentaire intéressant que j'ai retenu d'une des audiences que nous avons tenues dernièrement. Un des témoins que nous avons entendus, M. Geoffrey Elliot, a notamment invoqué comme raison d'assouplir les limites à la propriété étrangère le fait que ces entreprises et d'autres pourraient ainsi être plus en mesure d'investir aux États-Unis. J'ai trouvé cela très intéressant.

[Français]

    Madame Des Roches, j'ai bien aimé votre commentaire. Il m'a frappé parce que c'était nouveau pour nous; on l'entendait pour la première fois.

    Sur la question de la propriété étrangère, par rapport à l'OMC et à la Convention sur la diversité culturelle, que Mme Copps a poussée sur la scène internationale, pouvez-vous nous préciser pourquoi vous estimez que la question de la propriété étrangère va se retrouver à l'OMC, ce qui porterait atteinte à toute possibilité d'avoir une convention sur la diversité culturelle dans le cadre de l'UNESCO?

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: La première étape sera au mois de mars 2003, alors qu'on verra les premiers engagements de tous les pays en matière de services. Ce sont les engagements pris à la suite du Sommet de Doha.

+-

    Le président: Vous parlez de l'OMC, n'est-ce pas?

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: Oui, de l'OMC. Les pays vont soumettre leurs dossiers à cet égard. Les services audiovisuels ne sont pas encore retirés. Le Canada ne les a pas mis sur la table, mais il y a encore de la pression, notamment de la part des Américains, pour qu'on mette les services audiovisuels sur la table.

+-

    Le président: Mais le Canada a bien expliqué que tous les produits culturels ne seraient pas inclus, n'est-ce pas?

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: En effet. Cependant, les télécommunications le sont, tout comme les services d'assurances et de voyage. Donc, les télécommunications et les assurances sont déjà sur la table. Déjà, on a commencé à mettre la table pour les télécommunications, et je pense que le Canada n'a pas encore dit non. Il y a deux semaines, on a entendu le ministre Rock pousser pour qu'on revoie les règles de propriété étrangère en matière de télécommunications. Selon nous, cela ouvre la porte à ce glissement éventuel.

    L'autre élément, c'est que le gouvernement canadien n'a pas encore pris l'engagement ferme de ne pas mettre à l'extérieur de l'OMC l'instrument qui va traiter de la diversité culturelle, qui serait notre protocole de Kyoto en matière de culture. Cette chose est à l'UNESCO, mais c'est encore ouvert, et on dit toujours que les États-Unis ont un très grand rôle à jouer dans la définition de cet instrument.

    Je ne veux pas crier au loup, mais tous ces éléments sont inquiétants. Il faut examiner l'ensemble du secteur des télécommunications, l'ensemble des services, et leurs incidences directes ou indirectes--parce qu'à long terme il va y en avoir--sur les services audiovisuels et sur notre capacité de créer. C'est une vision globale que je vous soumets à cet égard, parce qu'au mois de mars, quand les télécommunications seront ouvertes, les pressions viendront de là. On va ouvrir la question de la propriété des actions en télécommunications, et ce sera le début du glissement, d'après mon évaluation et d'après les discours que j'entends.

+-

    Le président: Allez-vous vous faire entendre devant le Comité de l'industrie?

+-

    Mme Anne-Marie Des Roches: Oui, notre coalition de francophones s'y prépare.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Murdoch.

+-

    M. Peter Murdoch: Notre syndicat représente aussi les employés des compagnies de téléphone. Nous avons des membres chez Manitoba Tel, chez SaskTel, chez Bell, ici en Ontario, chez Bell au Québec et chez Aliant.

    J'étais à une conférence à Halifax il y a à peine deux semaines où la question de la propriété étrangère et celle de préparer des instances à soumettre au Comité de l'industrie alimentaient beaucoup la discussion.

    Comme Mme Des Roches, je dirais que nous pensons que ce serait une pente savonneuse. Je le répète, il ne semble pas a priori y avoir de nécessité pour ces capitaux étrangers. Les grands acteurs ont déjà accès à des capitaux. Nous pensons que ce sont des gens d'affaires capables. S'il y a des possibilités d'accroître leurs profits, je suis sûr qu'ils vont se débrouiller pour les trouver. Mais nous sommes très inquiets de ce que cela pourrait être une pente savonneuse qui permettrait de prendre le contrôle des médias. Dès qu'une de ces petites entreprises, comme AT&T et Rogers, aura trouvé le moyen d'attirer plus de capitaux, nous aurons les CanWest de ce monde sur les bras qui crieront à l'avantage concurrentiel injuste.

À  -(1055)  

-

    Le président: Je crois que nous devrions permettre aux collègues qui ont une réunion à 11 heures de partir maintenant.

    Je tiens à vous remercier tous de votre présence ici aujourd'hui. La séance a été très intéressante et nous avons pu discuter des deux côtés de la médaille, grâce à M. Abbott. Nous aimons bien pouvoir entendre les deux points de vue divergents.

    Merci beaucoup d'être venus témoigner.

    M. Peter Murdoch: Je remercie le comité.

    Le président: La séance est levée.