:
Je pense que nous devrions peut-être ouvrir la séance. Il est 10 heures passées. Nous avons le quorum.
Nous accueillons notre premier groupe de témoins — en fait, le terme « groupe » n'est pas exact; à mon avis, on ne peut pas dire que deux personnes constituent un groupe. Nous accueillons donc aujourd'hui Mme Jenna Hennebry, professeure adjointe aux départements de communication et de sociologie de l'Université Wilfrid Laurier. Jenna, si je ne m'abuse, nous vous avons rencontrée à Toronto la première fois.
De plus, nous accueillons François Crépeau, professeur de droit international. M. Crépeau devait participer à notre vidéoconférence la semaine prochaine, mais cela n'a pas marché. Je suis désolé. Ce n'était certainement pas de votre faute. Je crois que c'est à notre bout que le problème s'est posé. Nous ne savons même pas ce qui l'a causé. Quoi qu'il en soit, nous ne prévoyons pas de difficultés aujourd'hui — Dieu merci.
Bienvenue donc à tous les deux.
Nous sommes lundi, et les députés prévoient généralement de prendre leurs vols et de voyager le lundi. Donc, il y en a qui vont peut-être arriver un peu en retard, mais je pense qu'on peut commencer quand même, étant donné que nous avons le quorum.
Je vous cède donc la parole. J'imagine que vous avez tous les deux des exposés liminaires à faire. Si l'un d'entre vous veut commencer, je vous cède la parole pour présenter vos vues sur la partie VI du .
Vous avez la parole.
:
Merci infiniment de m'avoir invitée à comparaître. Même si je voudrais vous faire part de diverses préoccupations au sujet du projet de loi — et, notamment la partie VI, bien sûr — je vais me concentrer sur une population au sujet de laquelle j'ai fait beaucoup de recherches et sur une série de questions liées à la migration, et surtout la migration temporaire. Si je tiens à vous en parler, c'est parce que, selon moi, le projet de loi C-50 est susceptible d'avoir des conséquences majeures pour les programmes de travailleurs étrangers temporaires et pour la migration temporaire en général. J'ai plusieurs préoccupations à cet égard, mais je vais vous les présenter rapidement, et ensuite nous aurons l'occasion de revenir sur des éléments particuliers, si vous souhaitez obtenir un complément d'information.
Selon moi, le budget prévu pour Citoyenneté et Immigration et les modifications que le gouvernement propose d'apporter à la LIPR encourageront la migration temporaire au lieu d'éliminer l'arriéré. Si cela risque de se produire, à mon avis, c'est parce que cela prend moins longtemps de faire venir des travailleurs étrangers temporaires, par opposition aux immigrants, et cela permet de contourner le système des points. À mon avis, ça augmente la possibilité que l'on fasse de la discrimination fondée sur la race, le pays d'origine, le sexe — étant donné que la majorité des travailleurs étrangers sont des hommes — l'affiliation politique, l'identité sexuelle, etc. des demandeurs.
Si le projet de loi est adopté, un plus grand nombre d'employeurs sont susceptibles de recourir au Programme des travailleurs étrangers comme solution de rechange, encore plus que le nombre qui y a eu recours au cours de la dernière année. J'aurai l'occasion d'y revenir. Je crois que les employeurs auront recours à ce programme plutôt que d'attendre, surtout qu'ils en ont déjà assez d'attendre que le gouvernement admette au Canada des travailleurs très qualifiés et peu qualifiés dont la demande n'est toujours pas traitée et fait partie de l'arriéré, comme on dit, alors que bon nombre d'entre eux sont des parents d'immigrants déjà établis au Canada. Je trouve intéressant, étant donné les pénuries de main-d'oeuvre qui existent et sur lesquelles on insiste beaucoup, que l'on considère l'arriéré des demandes comme un problème, au lieu d'y voir une ressource potentielle pour l'économie canadienne.
Je trouve également intéressant que, en 2007, nous n'ayons pas atteint nos objectifs en ce qui concerne le nombre d'immigrants permanents admis au Canada, alors que le nombre de personnes admises en vertu du Programme des travailleurs étrangers temporaires a augmenté en flèche. Au cours de cette période, plus de 150 000 travailleurs étrangers ont été admis au Canada.
Ce qu'il y a de vraiment inquiétant, me semble-t-il, c'est que le nombre de travailleurs étrangers admis par l'entremise du Programme des travailleurs étrangers n'est pas plafonné, et il est évident qu'il ne peut y avoir d'arriéré, étant donné que tout dépend de la demande des employeurs. Il s'agit d'un programme entièrement axé sur les besoins des employeurs. Selon Ressources humaines et Développement social Canada, entre 2005 et 2007, la demande de travailleurs peu spécialisés a augmenté de 122 p. 100, alors que la demande de travailleurs très spécialisés a augmenté de 39 p. 100. Cette pression va certainement augmenter et, si notre régime incite les employeurs à chercher des travailleurs étrangers, au lieu d'attendre que les demandes d'autres travailleurs soient traitées, il est évident que ce nombre va augmenter.
Je suis également convaincue que le permet aux intérêts privés et économiques d'influencer davantage la politique d'immigration. Comme je l'ai déjà dit, pour moi, cette mesure législative encourage le recours aux travailleurs étrangers, ce qui finit par créer un système d'immigration axé sur les besoins des employeurs. De même, ce projet de loi crée la possibilité qu'il y ait un plus grand nombre d'organismes de recrutement et de bureaux de placement tiers, alors que ces derniers jouent déjà un rôle important pour ce qui est de trouver des travailleurs étrangers et d'établir leurs contrats. On s'inquiète déjà beaucoup du fait que ces organismes ne sont pas réglementés, ce qui présente un potentiel d'exploitation accrue des travailleurs et même de comportements criminels. Dans la plupart des provinces, ces organismes ne sont pas réglementés. En tout cas, c'est certainement le cas de l'Ontario.
Il y a également eu beaucoup de discussion au sujet de la possibilité d'exécuter le Programme des candidats des provinces de concert avec le Programme des travailleurs étrangers. Même si cela permet aux travailleurs de pouvoir obtenir éventuellement le statut de résident canadien, ce sont toujours des intérêts privés qui décident qui deviendra immigrant canadien. De plus, ce système n'apporte aucune régularisation ou normalisation des procédures comme, par exemple, le fait d'établir un délai de trois ans pour tous les travailleurs. Les critères varient selon le programme, mais en général, il n'y a pas de filière directe pour les travailleurs étrangers. Cela veut donc dire qu'un travailleur étranger peut travailler au Canada pendant deux ou trois ans et, au moment de conclure son contrat, s'il souhaite rester au Canada en permanence — peut-être a-t-il un conjoint canadien ou un fiancé canadien, comme moi, ou peut-être a-t-il reçu une offre d'emploi — aux termes du projet de loi , le ministre ne serait aucunement obligé d'examiner sa demande. Voilà qui me semble problématique, et ce pour plusieurs raisons.
À mon avis, le projet de loi aggrave la vulnérabilité des travailleurs étrangers à cause de ce problème justement, à savoir qu'il ne sert à rien, si on est travailleur étranger temporaire, de demander à devenir résident permanent car une demande est examinée uniquement si le ministre juge approprié de le faire — voilà mon interprétation du projet d'article 87.3, qui prévoit que le ministre peut décider d'examiner ou non la demande d'un travailleur étranger.
Il convient de noter à ce chapitre que bon nombre de travailleurs étrangers demandent le statut de réfugié après avoir travaillé au Canada pendant plusieurs années, et c'est notamment le cas des travailleurs étrangers peu qualifiés. De plus, bon nombre d'entre eux, s'ils peuvent bénéficier d'un autre statut, restent au Canada sans papiers ou dépassent le délai prévu du séjour, d'après ce que nous avons appris, et cela crée un vrai problème en ce sens que, étant donné qu'il n'y a pas de contrôle et que des statistiques ne sont pas établies sur ces personnes, nous ne savons pas vraiment où se trouvent les membres de ce groupe-là ni quel genre de risques ces derniers peuvent présenter en matière de santé. S'agissant de travailleurs étrangers, il existe différentes méthodes d'évaluation et de contrôle de leur état de santé — notamment dans le cadre des programmes de travailleurs étrangers temporaires — par rapport à celles prévues pour les immigrants permanents. Tout dépend de la durée du séjour et, bien entendu, rien ne permet de garantir que ce séjour ne finira pas en réalité par être beaucoup plus long que prévu.
S'agissant de santé, je voulais également vous faire part de mon inquiétude du fait que la ministre, ou plutôt le projet de loi , ne tient aucun compte des éventuelles conséquences que peuvent avoir les mesures proposées pour le contrôle et l'évaluation de l'état de santé des personnes qui présentent une demande dans le cadre des programmes d'immigration et de travailleurs étrangers. Il faut reconnaître, à mon avis, que les travailleurs étrangers, et tout particulièrement ceux qui sont peu qualifiés, auront nécessairement travaillé dans d'autres pays avant d'arriver au Canada. Leur situation est donc différente de celle de la population immigrante, si bien que les risques en matière de santé sont différents et nécessitent que l'on soit sensible à d'autres considérations en matière de santé.
Dans l'ensemble, le présente des défis de taille pour ce qui est du multiculturalisme canadien et de la cohésion sociale. Comme je l'ai déjà dit, les programmes de travailleurs étrangers favorisent un régime hiérarchique fondé sur le pays d'origine et, bien souvent, sur le sexe du demandeur et, de toute façon, établir un système qui favorise de plus en plus le recours aux travailleurs étrangers temporaires me semble problématique. Je ne pense pas non plus que ce soit idéal de créer un système où les membres de différents groupes travaillent ensemble, c'est-à-dire des travailleurs étrangers, des immigrants et des citoyens canadiens qui briguent tous les mêmes emplois et qui ont tout du mal. Dans une situation où on empêche un immigrant de parrainer un membre de sa famille, alors qu'il constate que des travailleurs étrangers sont admis temporairement pour combler des postes, selon moi, cela crée des conditions qui favorisent le conflit, le racisme et des difficultés potentielles en ce qui concerne le multiculturalisme canadien.
:
Je parlerai en français.
[Traduction]
Mais je peux répondre aux questions et aux commentaires en anglais, si vous préférez.
[Français]
J'ai eu l'avantage de lire la lettre que vous a écrite le Barreau du Québec ainsi que celle de l'Association du Barreau canadien. Je fais partie du Comité consultatif en droit de l’immigration et de la citoyenneté du Barreau du Québec. Je n'ai pas participé à ses travaux parce que j'étais à l'étranger, mais je partage ses préoccupations. Les gens du Barreau du Québec vont comparaître cet après-midi, je crois. Je vais donc les laisser parler des points qu'ils ont soulevés.
Puisque vous m'avez invité à intervenir à titre personnel, je vais le faire. Je voudrais parler du contexte et du principe des droits des migrants. À l'heure actuelle, une tendance lourde amène les gens à considérer que les étrangers ont moins de droits que le reste de la population, qu'ils méritent moins de voir leurs droits respectés. Cela vaut pour le Canada ainsi que pour la plupart des pays qui accueillent des immigrants. On observe cette tendance lourde dans les politiques gouvernementales et les discours médiatiques ainsi que dans la société. Je pense qu'il faut en discuter.
Les étrangers sont titulaires de droits. Selon la Charte canadienne des droits et libertés, les étrangers ont les mêmes droits que les autres personnes protégées par la Charte, sauf celui de voter, d'être élu, d'être instruit dans la langue de la minorité, d'entrer et de rester au Canada. La totalité des autres droits s'applique à tous, et ça inclut toute personne qui se trouve au Canada, y compris les étrangers. L'étranger n'est pas moins un être humain que nous du point de vue de la protection des droits de la personne, des droits fondamentaux. À cet égard, l'absence de droit d'entrer et de rester au Canada ne signifie pas qu'on peut faire n'importe quoi de leur dossier. On ne peut pas les traiter n'importe comment du fait qu'il s'agit d'une question d'immigration.
Depuis les années 1950, le droit administratif, dont fait partie le droit de l'immigration, s'est sophistiqué à un point tel qu'il est aujourd'hui au moins aussi susceptible de violer les droits fondamentaux que le droit criminel. Quand je faisais mes études il y a 30 ans, on parlait de duty of fairness et de procedural justice. Les garanties juridiques comprises dans le droit administratif étaient établies en faveur de l'administré. Avec l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés en 1984, on a mis en oeuvre la notion de justice fondamentale, qui s'applique évidemment au droit à la vie, à la sécurité et à la liberté pour tous, qu'il s'agisse d'étrangers, de citoyens ou de résidents permanents, notamment.
En vertu d'une conception progressiste des droits et libertés, nous avons établi pour nous-mêmes, au Canada, un ensemble de garanties individuelles qui obligent l'État à rendre compte de ses actions. C'est le devoir de motiver les décisions; c'est l'ensemble des recours que le système juridique a offert aux administrés, citoyens ou étrangers, de manière à faire réviser des décisions administratives qui les concernent, qui affectent leurs droits. La Charte, entre autres, oblige donc l'État à justifier chacune des décisions susceptibles d'affecter les droits des administrés.
Or, on a tendance à considérer que les étrangers n'ont pas droit à ce traitement en matière d'immigration. On a tendance à fragiliser, à précariser leur statut juridique. On constate dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés que le droit de l'immigration est en effet le seul domaine du droit fédéral où pratiquement tous les recours d'appel ont disparu. Il n'y en a plus. Il y a de la révision judiciaire, mais seulement sur autorisation. Les appels de droit sur des questions de fait ont disparu. En revanche, dans le domaine de la protection des réfugiés, les questions de fait sont fondamentales. Il n'y a jamais de révision.
En droit criminel, on estime normal qu'il y ait deux degrés d'appel, mais en droit de l'immigration, on n'en offre même pas un. Le fait que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'ait toujours pas de division d'appel est lui aussi représentatif de cet état de choses. Il n'y a pas de recours d'appel sur les faits, et pourtant, il s'agit de la seule décision au Canada qui puisse mener à la mort, à la torture, à la détention arbitraire d'une personne. Au cours des 20 dernières années, on n'a pas considéré qu'il serait normal de créer un niveau d'appel pour s'assurer que l'appréciation des faits était adéquate.
Le projet de loi contient également plusieurs dispositions qui vont dans le même sens. Une disposition permet de ne pas rendre de décision, ni positive ni négative, ce qui a pour effet, a priori — on verra si les tribunaux acceptent le mécanisme —, d'interdire la révision judiciaire. Puisqu'il n'y a pas eu de décision, il n'y aura pas de révision judiciaire. On estime que l'intéressé n'a pas droit à la révision judiciaire.
C'est la même chose en ce qui concerne la possibilité pour le ministre de ne pas rendre de décision sur des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire faites hors du Canada, et celle pour l'agent de ne pas délivrer de visa en ne prenant pas de décision.
Il y a également la possibilité, pour le ministre, de prendre des instructions qui vont donner, entre autres, un ordre de priorité quant aux décisions à prendre concernant les dossiers. Cependant, ces instructions ne vont pas passer par les processus normaux de délibération et de consultation — comme c'est le cas de votre comité lorsqu'il étudie des projets de loi ou de règlement —, lesquels ont été mis en place pour s'assurer qu'ils tiennent compte de l'intérêt public. Ces instructions ne passeront pas par le mécanisme normal de reddition de comptes.
Selon la prémisse qui sous-tend toutes ces questions, l'étranger n'a pas droit aux mêmes garanties que les citoyens, il n'est pas digne de la même protection de ses droits, il peut être traité avec discrétion, voire arbitrairement, d'une manière que nous considérerions inacceptable pour nous-mêmes. Je suis ici pour contester cette prémisse.
L'étranger a le même droit à la dignité que nous. Dans le traitement des dossiers qui le concernent, il devrait avoir droit aux mêmes garanties procédurales. Il n'a certes pas le droit d'entrer et de rester au Canada. Mais dans la manière dont on arrive à des décisions d'expulsion, de renvoi, de refus de visa et de refus du statut de réfugié, il devrait avoir le même genre de garanties procédurales que nous exigerions pour nous-mêmes dans des circonstances similaires. Pourquoi? Parce que ces garanties procédurales assurent la crédibilité du système envers les administrés et tous les citoyens. On peut croire au système parce que celui-ci prévoit un mécanisme d'appel pour des décisions individuelles et un processus de consultation, comme celui-ci sur des directives.
[Traduction]
Que la justice soit non seulement rendue, mais qu'il soit évident qu'elle est rendue.
[Français]
Il faut reconnaître que c'est une question de justice et pas uniquement de commodité administrative, d'autant plus que l'étranger est déjà dans une situation où il est beaucoup plus vulnérable, en raison de son statut, à des violations de droits fondamentaux. Ma collègue en a parlé plus tôt.
C'est ce que la Cour suprême a rappelé dans l'affaire Charkaoui, après que plusieurs ministres successifs nous aient dit que les dispositions de la loi respectaient la Charte. Je trouve dommage, particulièrement en matière d'immigration, même si ce n'est pas le seul domaine, qu'on laisse le soin aux tribunaux de rappeler l'importance de la protection des droits fondamentaux, comme ce fut le cas pour les Autochtones, les détenus, les gais et lesbiennes.
C'est aujourd'hui le cas pour les immigrants. Ce sont les tribunaux qui vont dire aux parlementaires, au gouvernement, ce qu'il faut faire. Cela envoie une image du Canada dans le monde qui est, à mon avis, extrêmement contre-productive et certainement contraire à son image des 30 dernières années.
Si on considère la démocratie comme une relation complexe entre la représentation politique, la protection des droits fondamentaux et l'État de droit, la rule of law, c'est-à-dire l'accès à des recours, on voit bien que les immigrants, qu'il s'agisse de travailleurs temporaires ou de clandestins, ne bénéficient pas de la représentation politique.
Que leur reste-t-il? La protection des droits fondamentaux et les recours en vertu de l'État de droit. Si on leur enlève ces recours, les discussions et les délibérations sur les instructions qui les concernent, il n'y a plus de garantie démocratique qui les protège. De ce point de vue, je pense qu'il faudrait offrir à chacun, et particulièrement aux populations vulnérables que sont plusieurs catégories d'immigrants, un statut qui comporte des garanties juridiques précises.
En somme, nous avons créé pour nous-mêmes une société qui s'efforce de respecter toujours plus l'État de droit. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié est le premier tribunal administratif au Canada en termes de nombre de cas traités. C'est un groupe important. Je trouve très préoccupant de voir que, pour une catégorie qui comprend plusieurs personnes au Canada, nous prévoyions un traitement que nous n'accepterions pas pour nous-mêmes dans des circonstances similaires et qui nous fait faire, en matière de droit administratif, un recul de plusieurs décennies.
Je vous remercie.
J'apprécie beaucoup vos observations au sujet de droits fondamentaux et de la nécessité de recourir aux tribunaux en fin de compte pour qu'ils établissent les normes à suivre concernant le processus de certificat de sécurité. Comme vous le savez, ce processus a été créé pour les personnes qui n'ont pas de statut officiel. Il a été créé pour les immigrants. Ensuite, on a cherché à établir un processus de certificat de sécurité pour les citoyens également. Il s'agissait du projet de loi C-16 ou C-18.
Je doit dire que l'idée de faire venir de plus en plus de travailleurs étrangers temporaires au lieu de permettre aux gens de venir au Canada comme citoyens pouvant apporter leur contribution au pays, me trouble beaucoup. Le fait est que ce pays a été édifié par des gens ayant des niveaux de compétences différents. Il y a longtemps, moins on avait de compétences, plus on était intéressant. Je me rappelle des hommes qui portaient des manteaux en peau de mouton qu'on a fait venir au Canada pour établir l'ordre dans les Prairies. Maintenant, évidemment, si vous êtes comme ça, on ne veut pas de vous — sauf si vous êtes prêt à travailler dans des conditions d'esclavage.
Et, s'agissant de l'évolution qui s'est produite depuis l'époque de l'esclavage… Quand vous êtes lié à un seul employeur, quand vous êtes défavorisé sur le plan économique et quand votre pays d'origine ne vous offre plus aucune possibilité, vous êtes essentiellement dans un état de servitude. Cela me dérange beaucoup de penser que nous, Canadiens, voudrions créer ce genre de société chez nous. Je trouve tout à fait inadmissible que l'on ait recours de plus en plus à cette solution-là, au lieu de faire venir au Canada des immigrants qui vont nous aider à édifier une nation.
Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
:
D'abord, comme vous nous l'avez rappelé, ce pays a été édifié par toutes sortes de personnes différentes. Pour ma part, j'ai toujours pensé qu'il nous faut beaucoup plus de réfugiés que nous n'en avons actuellement, et si telle est ma conviction, c'est parce que les réfugiés seront reconnaissants d'avoir été sortis de leur situation difficile dans leur pays d'origine ou dans des camps quelque part et seront ravis d'avoir l'occasion de recommencer leur vie ici avec leurs enfants. Pour moi, c'est un bon point de départ. Même si on ne les qualifiait pas de « réfugiés » par le passé et qu'ils sont venus comme colons, plutôt que comme réfugiés, les doukhobors étaient très contents de pouvoir vivre dans un pays où ils pourraient pratiquer librement leur religion. C'est un élément tout à fait primordial, selon moi.
Je pense qu'il faut être prêt à répondre à une diversité de besoins. Entrer au pays comme travailleur temporaire n'a rien de mal en soi, si les conditions sont telles que le travailleur étranger ne finit pas dans un état de servitude, comme vous le disiez. Cela signifie peut-être que certaines conditions doivent être remplies: premièrement, il faut leur donner un statut juridique assorti de garanties juridiques, pour qu'ils puissent se protéger contre les conditions de vulnérabilité que l'on associe au travail temporaire et, deuxièmement, il faut leur accorder un statut qui leur permet d'espérer.
Voilà donc deux éléments clés. Premièrement, il leur faut des garanties juridiques; nous devons nous assurer qu'ils ne sont pas à la merci d'un employeur capricieux. Nous avons déjà vu des cas de ce genre.
De plus, dans le cadre du processus décisionnel, il y a lieu, selon moi, d'écouter davantage les sociologues — alors que je suis avocat. Selon moi, les sociologues pourront nous parler du degré de vulnérabilité de ces personnes. Les sociologues nous ont appris, par exemple, que beaucoup de personnes qui gardent les enfants à domicile ne se plaignent jamais, par exemple; elles serrent les dents et attendent de pouvoir obtenir leur statut de résidente permanente et de passer à autre chose.
Nous en sommes tout à fait conscients au Barreau. Nous avons eu un problème semblable au Barreau du Québec au cours des dernières années. Le problème, c'est que les immigrants ne se plaignent pas quand leur avocat fait quelque chose de mal. Ils ne le font pas. Ils s'arrangent pour obtenir 2 000 $ de plus et ils trouvent un autre avocat, à qui ils donnent leur 2 000 $. Ils ne se plaignent pas. Le mécanisme prévu pour traiter les plaintes contre les avocats ne marche pas chez les immigrants, parce qu'ils sont vulnérables, ils sont convaincus qu'ils ne vont pas gagner et ils préfèrent ne pas trop se faire remarquer. C'est un gros problème, et il importe de comprendre cette vulnérabilité et leur fournir les garanties nécessaires, y compris une procédure de recours et la possibilité d'interjeter appel. Il faut aussi que les ONG aient les outils nécessaires pour défendre les gens individuellement. Voilà la premier élément.
Cela peut comprendre les aides familiaux résidents, pour citer un exemple de personnes vulnérables. Bon nombre d'ONG rejettent d'office ce programme, même s'il est utile, car beaucoup de familles sont très contentes d'avoir une personne à domicile qui garde les enfants. Par contre, il faut beaucoup plus de contrôle. Il est vrai que cela suppose certaines dépenses, mais il faut des contrôles beaucoup plus stricts et il faut aussi que les lois soient applicables. Cela me choque chaque fois que je dois faire remarquer que les lois québécoises sur la sécurité au travail ne s'appliquent pas aux personnes qui travaillent à domicile, et je trouve que c'est vraiment dommage. Il nous faut beaucoup plus de garanties qui les protégeront tant qu'ils seront au Canada.
Deuxièmement, il faut leur donner une porte de sortie — vers le haut, et non pas vers le bas. Il ne s'agit pas simplement de leur dire qu'ils peuvent retourner chez eux avec le peu d'argent qu'ils auront gagné. Le Programme des aides familiaux résidants pourrait être un modèle dans ce contexte. Par exemple, nous pourrions établir une règle visant les travailleurs étrangers temporaires qui serait semblable à celle qui s'applique aux personnes qui demandent la citoyenneté: autrement dit, si vous avez travaillé au Canada comme travailleur temporaire pour une période correspondant à trois ans en tout — c'est-à-dire, environ 1 093 jours — au cours des cinq ou six dernières années, vous pouvez demander le statut de résident permanent. Il faut nécessairement subir les vérifications de sécurité, examens médicaux et d'autres contrôles qui sont prévus, mais vous pourriez présenter une demande. Vous aurez permis à notre pays d'être plus concurrentiel et vous l'aurez rendu plus riche et plus prospère, et en conséquence, nous allons reconnaître votre contribution. Vous n'avez pas enfreint des lois, vous avez été bon citoyen, et nous allons vous permettre d'améliorer votre situation au sein de la société, parce que vous avez fait la preuve que vous êtes un bon citoyen. Ce genre de formule renforcerait l'autonomie de ces migrants, qui pourraient se dire: « Je peux devenir citoyen canadien. S'il existe des contrôles appropriés, je vais m'assurer que mon statut est respecté. »
Je suis très heureuse de vous accueillir tous les deux au comité.
En tant que députés représentant des zones à forte densité de population, nous avons beaucoup d'immigrants, si bien que nous avons déjà vécu personnellement le genre de situations que vous nous avez décrites. Mais, vous l'avez fait de façon beaucoup plus éloquente que je n'aurais pu le faire…
Si le me déplaît — et je vous invite à me dire ce que vous en pensez — c'est parce qu'il donne plus de pouvoir aux bureaucrates. On a beau parler du « ministre »; nous savons tous qu'il est question des bureaucrates, plutôt que du ministre. Nous qui avons traité directement avec les bureaucrates les avons déjà entendu faire des commentaires racistes, et je peux même vous en citer quelques-uns.
J'ai appelé au sujet de Jalandhar, et on m'a dit que, si un aussi grand nombre de demandes venant de Jalandhar est rejeté, c'est parce qu'il s'agit de Punjabis, et que les Punjabis sont plus susceptibles de mentir que d'autres. Si ce n'est pas un cas flagrant de discrimination ouverte, je ne sais pas ce que c'est. Nous avons un avocat à Hamilton qui nous a parlé des remarques racistes qu'il a lues dans la correspondance qu'il a reçue de la part des bureaucrates.
Je ne suis pas en train de vous dire que tous les bureaucrates sont racistes. Il s'agit probablement d'un infime pourcentage. Mais, s'agissant de la Commission du statut de réfugiés… dans le magazine The Walrus, nous avons appris qu'il y avait eu des incidents d'intervention politique. Et là, je ne parle pas d'interventions de la part des élus; je parle de l'intervention des bureaucrates, qui avaient une prévention très claire contre les Roms.
Le fait est qu'en conférant plus de pouvoir au ministre, nous conférons en réalité plus de pouvoir à la bureaucratie. Quand on décide d'ignorer l'égalité, la première victime est la justice.
Je voudrais parler à M. Crépeau d'accommodement raisonnable et connaître ses vues sur la question, car j'estime qu'il s'exprime avec beaucoup de véhémence sur la question de l'assimilation et le traitement des immigrants.
Voilà ce que je voudrais savoir: à votre avis, la Charte a-t-elle eu pour effet de créer des politiciens paresseux? Souvent nous adoptons un projet de loi nous disant: s'il y a un problème, la Charte va le régler. Mais, quand tout le monde qui se présente devant nous est du même avis que vous, pourquoi ne le ferions-nous pas? Y a-t-il un inconvénient?
:
Vous me posez une question qui pourrait faire l'objet de tout un colloque pour les étudiants de deuxième et de troisième cycles: l'effet de la Charte sur le système politique au Canada.
Un élément qui me semble primordial, et c'est également un élément de réponse aux autres observations qui ont été faites… En réalité, la Charte exige que le gouvernement justifie chaque décision qui peut influer sur les droits et libertés d'une personne. Cela signifie que, au cours des deux ou trois années qui ont suivi l'adoption de la Charte, par exemple, le gouvernement a dû réexaminer toutes les lois actuellement en vigueur afin de s'assurer qu'elles étaient conformes à la Charte.
De nos jours, cela veut dire que, bien souvent — et c'est sans doute normal, étant donné qu'il s'agit d'une norme — les gens jouent à une sorte de jeu qui consiste à voir ce que signifie cette norme et comment on peut l'éviter — pas nécessairement la contourner, mais l'éviter — ou encore comment on peut arriver à faire ce qu'on veut faire tout en respectant la norme. Voilà ce que font les avocats fiscalistes tous les jours. En soi, cela ne pose pas problème.
Par contre, cela a pour résultat de toujours mettre le gouvernement, et les bureaucrates, comme vous le disiez, sur la défensive. Pour en revenir à la question des certificats de sécurité, par exemple — il me semble que c'est un cas très instructif — plusieurs ministres d'affilée, représentant différents partis politiques et différents gouvernements, nous ont dit: « Il n'y a pas de problème. Nous avons fait les vérifications nécessaires auprès de nos avocats, et il n'y a pas de conflit avec la Charte. » Et nous avons entendu cette même affirmation au sujet de nombreuses lois du Parlement.
Mais, lorsqu'on s'adresse aux tribunaux par la suite, ces derniers nous disent: « Non, vous vous trompez. Encore une fois vous vous trompez, et nous allons vous expliquer pourquoi. » La balle est donc renvoyée dans le camp politique, et c'est le régime politique qui doit répondre et proposer un deuxième mécanisme, pour voir s'il est satisfaisant. Ensuite, on s'adresse à la Cour suprême, et ce mécanisme est accepté, ou peut-être pas.
La nature de ma préoccupation, notamment en ce qui concerne les immigrants… et il suffit de voir le nombre d'affaires jugées par la Cour suprême dernièrement qui concernaient des questions d'immigration ou de multiculturalisme touchant des gens récemment arrivés au Canada, etc. Nous avons tendance à croire que les étrangers devraient avoir moins de droits. C'est une croyance courante. Lorsque j'étais jeune, on ne voyait pas d'Autochtones nulle part — ils n'avaient pas de droits — les gens tenaient cela pour acquis. Il a donc fallu modifier de fond en comble notre schéma conceptuel à cet égard, et je pense que nous avons atteint ce même point en ce qui concerne les immigrants. Il faut commencer à réfléchir — et les gouvernements surtout doivent commencer à réfléchir de façon proactive à ce qu'ils peuvent faire pour protéger les droits de ces personnes. En quoi consistent les problèmes? Le fait est qu'en essayant constamment de limiter leur accès à la justice — et surtout à des recours — nous nous mettons devant une bombe à retardement en attendant qu'elle explose; les tribunaux vont finir par nous dire: « Non, vous ne pouvez pas faire cela. Nous vous l'avons déjà dit à maintes reprises. » Dans une démocratie, cela me semble problématique.
:
Non, pas du tout. Ce n'est pas la règle. Nous avons parlé de cette règle à plusieurs reprises, mais ce n'est pas la règle qui s'applique actuellement.
Ai-je raison de dire cela, monsieur le greffier?
[Note de la rédaction: Inaudible] … une limite de temps de cinq minutes pour chaque tour de questions, et qu'aucun membre soit autorisé à intervenir plus d'une fois à chaque tour de questions, à moins qu'un autre membre ne lui accorde son temps de parole. Comme nous ouvrons un nouveau tour de questions, il ne devrait pas y avoir de problème.
M. Komarnicki, suivi de M. Bevilacqua.
M. Carrier n'a pas levé la main. Voulez-vous intervenir? Très bien. C'est donc à M. Carrier.
J'essayais de donner un tour à M. Bevilacqua, étant donné qu'il avait, lui aussi, levé la main, mais M. Carrier est le prochain membre sur la liste, d'après la liste que j'ai sous les yeux et d'après mon interprétation des règles. Mme Beaumier vient d'avoir un tour.
Monsieur Carrier, vous avec la parole.
Une voix: C'est complètement fou, ça.
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Merci, monsieur le président.
Si vous me permettez, je voudrais vous faire un bref historique de l'état du droit dans ce domaine. Selon moi, il est important de comprendre l'objectif de la partie VI.
Avant l'adoption de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la délivrance de visas relevait du pouvoir discrétionnaire des agents. Même des personnes qui répondaient aux conditions se voyaient refuser un visa. La LIPR nous a permis d'établir la même politique que dans d'autres pays en établissant le principe de la primauté du droit dans notre système d'immigration, afin d'éviter les difficultés que le Canada a connues par le passé en ce qui concerne l'admission de membres de divers groupes.
Au moment où elle a été adoptée, la LIPR constituait une loi cadre. Bon nombre d'entre vous étiez membres du comité au moment où il en a été question. Comme c'est le cas de la Loi actuelle et des lois récentes, cette loi cadre établissait de vastes pouvoirs de réglementation. Il serait désormais possible d'établir des règlements très généraux, et le comité avait reçu beaucoup de témoignages au sujet de la transparence du nouveau règlement d'application qui devait suivre l'adoption de la LIPR.
Donc, comment peut-on s'assurer qu'il existe un certain contrôle en ce qui concerne l'application du Règlement? L'article 5 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés répond à cette question. Cet article prévoit le contrôle rigoureux des pouvoirs du ministre de prendre des règlements. Il prévoit que chaque Chambre reçoit une copie des règlements en question, et que ces derniers soient étudiés par les comités appropriés.
Quelle est donc la situation à l'heure actuelle? À mon avis, le contrôle du Parlement de l'utilisation du pouvoir réglementaire du ministre est suffisant par rapport aux principes du gouvernement responsable et ceux qui sous-tendent notre démocratie. Notre système est transparent. Il permet aux citoyens d'avoir voix au chapitre et d'être consultés, par l'entremise de la publication dans la Gazette du Canada, et on n'a pas l'impression que les règlements qui sont adoptés ont un caractère arbitraire. Par contre, tout cela change dans la partie VI du projet de loi. Il prévoit la possibilité de donner des instructions sur tous les aspects de la délivrance des visas, en dehors du processus de sélection des réfugiés à l'extérieur du Canada. Il fournit des instructions pour toutes les catégories: celles du regroupement familial, de l'immigration économique, des travailleurs temporaires et des personnes admises pour des raisons humanitaires. Toutes les catégories sont touchées.
Et quel est le résultat de ces instructions? Eh bien, pour être franc avec vous, des instructions seront données sans qu'il y ait le moindre contrôle. Contrairement aux règlements qui, à mon humble avis, sont extrêmement puissants, puisqu'ils nous indiquent comment il convient d'interpréter la Loi, ces instructions qui sont données ne feront l'objet d'aucune contrôle.
Quels sont les dangers d'une telle approche? Qu'elles en seront les conséquences? À notre humble avis, l'un des éléments les plus dangereux est sans doute la possibilité pour les gens de faire pression sur le gouvernement au pouvoir concernant les instructions qui seront élaborées et données aux personnes appropriées. Tout cela sera secret. Personne ne sera au courant. On nous a dit qu'il y aura des rencontres avec des syndicats et divers autres organismes, mais tout cela va se faire à huis clos. Les citoyens ne sauront pas pourquoi ces instructions ont été données.
S'agissant de révision judiciaire et de la possibilité de réexaminer la décision d'un agent des visas à l'étranger, on nous dit, dans la partie VI, que la décision de retourner ou de ne pas traiter une demande n'est pas une décision. Donc, comment sera-t-il possible de contrôler le travail des agents des visas si nos tribunaux n'ont pas la possibilité de réexaminer la décision d'un agent de retourner une demande si, d'après la partie VI du projet de loi, cette décision n'en est pas une?
Nous avons beaucoup entendu parler de l'accumulation de demandes. Précisons bien à ce sujet que la partie VI n'aura aucune incidence sur les demandes accumulées. À notre avis, elle n'aura aucun effet sur l'arriéré. À l'heure actuelle, il existe des mécanismes qui permettent de s'attaquer au problème de l'accumulation des demandes, mécanismes qui sont actuellement utilisés par le gouvernement actuel, ce qui est tout à fait à son honneur. Les demandes de personnes ayant un permis de travail sont traitées sur une base accélérée, qui est de l'ordre de quatre à six mois dans certains pays, et ainsi elles peuvent être admises comme immigrantes. Il y a également le programme des candidats des provinces en vertu duquel des visas d'immigration sont délivrés — encore une fois, dans un délai de six mois. Il y a en outre les équipes spéciales envoyées par le gouvernement dans certains bureaux de visas en vue de s'attaquer au problème actuel. Donc, selon nous, il n'est pas nécessaire d'adopter ce nouveau projet de loi pour s'attaquer à cette difficulté-là. Le ministre ou le gouvernement au pouvoir pourrait simplement augmenter le nombre de points exigés, en vertu du système de sélection en ce qui concerne les ressortissants étrangers de la composante économique, de façon à réduire le nombre de personnes qui finissent par être admises.
En ce qui nous concerne, si ce projet de loi est adopté, il va ramener le Canada à la période sombre d'antan du point de vue de notre système de sélection et de traitement des demandes d'immigration. Il permettra au ministre de mener ses activités sans contrôle aucun, et donc de laisser entrer par la porte arrière les membres de nombreux groupes d'intérêt. Il y a d'autres initiatives que le gouvernement a prises afin d'accélérer le traitement des demandes. Nous avons entendu parler de la nouvelle catégorie « expérience canadienne ». Il y a eu des consultations à ce sujet. C'est ainsi qu'il faut faire les choses, et nous avons hâte de voir les résultats, lorsqu'ils seront diffusés.
Voilà qui termine mon exposé sur la situation actuelle.
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Pour moi, il y a deux éléments importants. Premièrement, quand la LIPR a été adoptée, le Canada a complètement éliminé cette idée que si vous êtes ingénieur, vous êtes sur la liste, et un emploi vous est garanti. Nous avons plutôt opté pour le modèle du capital humain, qui nous amène à tenir compte de votre âge, des études que vous avez faites et de vos antécédents de travail et, nous espérons que, étant donné vos atouts et vos compétences, vous réussirez à trouver du travail au Canada.
On entend toutes sortes d'histoires au sujet de gens qui sont ingénieurs mais doivent travailler comme chauffeurs de taxi. À mon avis, le nouveau système a changé cette réalité; il a introduit le concept du capital humain. Peut-être devriez-vous travailler comme chauffeur de taxi au départ, mais il n'était pas prévu que vous travailliez nécessairement comme ingénieur. Le nouveau concept est bien clair, étant donné que nous avons éliminé cette liste.
Donc, nous avons recours à ce nouveau concept qu'est le capital humain. De plus, il y a les gens qui ont déjà décroché un emploi au Canada et qui ont obtenu un permis de travail, et dont nous pouvons extraire les demandes de l'arriéré actuel. Pour moi, ce système a permis de régler le problème des personnes dont les compétences sont requises de toute urgence au Canada.
Par contre, il y a le débat habituel sur la définition du terme « urgent ». Est-ce qu'un délai de cinq mois est trop long pour l'admission d'un immigrant? Il faut s'assurer de faire toutes les vérifications nécessaires, de faire faire l'examen médical… Je ne sais pas. Peut-être pourrions-nous les faire venir plus rapidement s'ils ont un permis de travail, s'ils ont déjà décroché un emploi au Canada et veulent simplement obtenir… Mais, à mon avis, la catégorie « expérience canadienne » va nous aider sur ce plan-là également.
Dans les années 1970, nous parlions de volets et de bassins, et de certaines occupations qui étaient en demande, si bien qu'on pouvait dire aux gens qu'un emploi les attendait au Canada.
À mon avis, il faut examiner tous ces éléments, mais en même temps, il est très difficile de trouver une solution. Les gouvernements actuel et antérieurs ont tous été confrontés à ces problématiques. Pour moi, il est temps de réfléchir ensemble pour… Le Canada est un pays merveilleux qui offre des possibilités merveilleuses et il y a des gens merveilleux à l'extérieur du Canada qui voudraient nous aider; donc, que faut-il faire pour trouver une solution qui réunit tous les différents éléments? J'estime qu'il faut cesser de faire l'autruche et chercher sérieusement à élaborer une solution démocratique et responsable.
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S'agissant du respect de la Charte, il a fallu attendre 2006 pour obtenir un jugement de la Cour suprême sur les certificats de sécurité, qui les a déclarés inconstitutionnels. C'était 25 ans après l'adoption de la Charte. Donc, monsieur le secrétaire parlementaire, j'espère que vous allez trouver une autre méthode pour ce qui est de respecter la Charte, car il est tout à fait possible d'enfreindre pendant très longtemps les droits que protège la Charte, en attendant que les tribunaux se prononcent là-dessus.
J'étais là en 2002 quand ils ont adopté ce truc-là, et je peux vous affirmer que le comité était tout à fait contre. Je me fiche complètement de l'opinion des ministres de l'Immigration à ce sujet car, depuis que je suis là, ils sont tous assez incompétents, selon moi. Ce sont les bureaucrates qui dirigent le ministère. Donc, quand on parle du pouvoir d'un ministre, on devrait plutôt parler du pouvoir des bureaucrates.
Tout ce système est une véritable catastrophe. Il est vrai qu'il existe une grande accumulation de demandes, mais imaginez ce que ce serait s'il n'y avait pas d'accumulation. Quelle impression cela donnerait-il du Canada? Le fait est que l'arriéré actuel compte les demandes de personnes dont nous avons désespérément besoin pour faire marcher l'économie. C'est à ce niveau là que se situe la crise actuelle. Et nous l'avions prévue en 2002; nous avions dit à ce moment-là que les immigrants « cols bleus », les travailleurs, n'arriveraient plus à se faire accepter.
En réalité, ce sont le système des points et l'attribution des points qui posent vraiment problème. Si nous voulons conserver le système des points, qui nous a valu les félicitations de tous les pays que nous avons étudiés, que ce soit l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne ou les États-Unis, qui ont mené eux-mêmes des études à ce sujet pour en arriver à une évaluation objective et claire, je pense qu'il y a lieu de rectifier ce système en modifiant la façon d'attribuer les points.
Vous avez mentionné la possibilité d'en attribuer davantage pour les gens qui font partie de la catégorie du regroupement familial. Pour moi, c'est logique. En donner davantage pour quelqu'un qui a déjà une offre d'emploi me semble également logique. Notre système des points est tout à fait détraqué, comparativement à celui d'autres pays, pour ce qui est de sa capacité de répondre aux besoins.
Donc, si nous décidons de conserver le système des points parce que nous aimons son caractère objectif, il faudra adapter le système des points pour qu'une offre d'emploi soit beaucoup plus valorisée pour ce qui est de se mettre dans la file d'attention. Une fois qu'on est dans la file d'attente, il y a moyen d'extraire des demandes — par exemple, s'il nous faut une centaine de soudeurs, nous pouvons aller chercher les demandes de ces 100 soudeurs parmi les demandes accumulées. Pour le moment, il n'y a pas de demandes de soudeurs parmi celles qui sont en attente de traitement, et c'est justement cela le problème. Le gouvernement s'adresse donc aux travailleurs étrangers temporaires, alors que, selon moi, ce n'est vraiment pas la bonne méthode si nous souhaitons combler les lacunes du système actuel des points.
Si nous voulons améliorer ce système tout en conservant ses aspects positifs, il faudra qu'on soit beaucoup plus efficace pour ce qui est de faire adapter le système des points aux besoins économiques du pays. Nous avons besoin d'ouvriers au Canada, et la seule façon d'en obtenir consiste à les admettre comme réfugiés qui sont en même temps des ouvriers… Mais pour ce qui est de la catégorie économique, la seule façon de les faire entrer au Canada consiste à passer par le Programme des travailleurs étrangers temporaires, ce qui crée toutes sortes d'autres problèmes, étant donné que ces personnes travaillent dans des conditions de servitude et d'exploitation, etc.
Je vous dis simplement que le système des points doit beaucoup mieux réagir aux besoins de l'économie, afin qu'on puisse traiter rapidement les demandes des personnes dont nous avons besoin. Le traitement d'une demande n'est pas si long. Si nous avons cette accumulation, c'est parce que, quand nous recevons 500 000 demandes, nous en acceptons seulement 250 000. Qu'est-ce que cela veut dire au juste? Eh bien, cela veut dire que l'arriéré augmente de 250 000. À ce moment-là, on a une accumulation. Mais le vrai problème, en ce qui concerne les demandes accumulées, c'est que nous n'avons pas de soudeurs ni d'ouvriers.
Les gens s'attendent, s'ils connaissent la langue et sont munis d'un diplôme, à obtenir un emploi qui correspond à leur expérience. Or nous avons reçu des témoignages en comité concernant la situation d'ingénieurs qui viennent au Canada, ne peuvent pas trouver d'emploi et sont très malheureux. Entre-temps, il y a des briqueteurs qui arrivent, qui trouvent un emploi et sont très contents.
Je vous invite à réagir.
Notre temps est à peu près écoulé.
Monsieur Green, madame Froc, je voudrais vous remercier de votre présence aujourd'hui. Comme vous le savez, nous allons rédiger un rapport, et j'espère que certaines de vos recommandations s'y trouveront.
Je voudrais faire une observation au sujet de la façon d'organiser la période des questions en comité. Nous n'en avons pas discuté depuis un moment, mais tout me semble clair maintenant.
Le problème, Andrew, me semble-t-il, c'est que vous voyez cela au niveau individuel, alors qu'on parle bien ici du « parti ». Dix minutes, ou parfois sept minutes, sont accordées aux témoins et, durant l'interrogation des témoins, sept minutes sont accordées au premier intervenant de chaque parti et, par la suite, cinq minutes aux autres intervenants, jusqu'à ce que chacun soit intervenu, dans l'ordre suivant — et vous avez sur la feuille l'ordre qui doit être suivi.
J'ai donné la parole à Nina, par exemple, parce qu'elle n'avait pas encore eu de tour, mais elle était tout à fait libre de donner ses cinq minutes à Ed, si elle le voulait.