Tout d'abord, j'aimerais remercier les honorables députés de nous avoir invités à discuter du rôle du Canada en Afghanistan. Il s'agit là d'un enjeu important. Je suis désolée de ne pas pouvoir m'adresser à vous en français, mais mon collègue, Emmanuel Reinert, répondra à toutes vos questions en français.
Le Conseil Senlis est un groupe de réflexion sur la sécurité et le développement spécialisé dans les politiques relatives à la drogue. Nos bureaux sont situés à Paris, Londres et Kaboul, et nous avons des bureaux locaux à Herat, Helmand, Nangahar et dans la province de Kandahar, ce qui intéressera particulièrement le comité.
Je vis et travaille en Afghanistan depuis janvier 2005 et j'ai passé beaucoup de temps, au cours des derniers mois, à notre bureau de Kandahar ainsi que dans les régions rurales de cette province. Nous avons publié un rapport intitulé « L'Afghanistan, cinq ans après : le retour des talibans ». Ce rapport fait état de la situation qui prévaut notamment dans le sud de l'Afghanistan cinq ans après les attentats du 11 septembre.
Ce que nous avons vu nous a surpris. J'ai été étonnée de voir même qu'au cours des huit à dix derniers mois, la sécurité à Kandahar s'est détériorée de façon spectaculaire et de constater la pauvreté et la crise alimentaire qui affligent les communautés rurales.
Kandahar est devenue entièrement une zone de guerre. Les talibans gagnent les batailles militaires, mais surtout la faveur de la population afghane.
La pauvreté qui frappe Kandahar et le reste du sud de l'Afghanistan est attribuable à trois facteurs. Nous avons demandé aux villageois ce qui était à l'origine de la création des camps de réfugiés et des problèmes de malnutrition et de famine.
En premier lieu, ces gens ont perdu leur gagne-pain à cause de l'éradication de la culture du pavot imposée au printemps dernier par les Américains. Comme vous le savez sans doute, l'économie de Kandahar repose essentiellement sur la culture du pavot.
Il y a ensuite les déplacements des populations à cause des bombardements et de la violence localisée, particulièrement à Panjwai, ainsi que la sécheresse récurrente. La région est maintenant un désert aride. Et pour ceux d'entre vous qui ont vu à quoi ressemblaient les sécheresses dans les Prairies, la situation est très semblable, d'après ce que m'ont dit mes parents.
Les camps de fortune pour les réfugiés se sont multipliés et une crise alimentaire menace la survie de beaucoup d'Afghans, surtout des enfants et des personnes âgées. Des enfants meurent de faim, même tout près de la base militaire canadienne établie à Kandahar. Les gens qui vivent dans ces camps n'ont reçu aucune aide, ni des Canadiens, ni de l'ONU.
Il était évident que j'étais la première étrangère qu'ils voyaient. Ils nous ont demandé de la nourriture et nous ont dit qu'ils n'avaient reçu aucune aide alimentaire des étrangers, pas plus que des Afghans.
L'extrême pauvreté alimente l'insurrection; la population éprouve de plus en plus de colère et de ressentiment à l'égard de la communauté internationale et tend à se ranger du côté des talibans. Les gens se sentent abandonnés par les Canadiens et tous les intervenants internationaux, qu'ils pensaient être là pour les aider. Les troupes canadiennes à Kandahar luttent contre l'insurrection des talibans et doivent en même temps faire face à une population locale de plus en plus hostile.
L’éradication forcée de la culture du pavot a fait en sorte d'intensifier le soutien aux talibans. De nombreux cultivateurs ont perdu leur gagne-pain et ont de plus en plus de mal à nourrir leur famille. Les Afghans ne peuvent faire la distinction entre les soldats américains et canadiens; ils ne voient aucune différence entre les Américains, les Canadiens, les Britanniques et les Néerlandais. Ils n'arrivent pas non plus à distinguer les militaires des mercenaires menant des opérations dans la région.
Il est facile pour nous de faire la différence entre un soldat canadien ou américain et un mercenaire, mais à leurs yeux, et pour cause, nous sommes tous des étrangers. Nous sommes donc perçus comme des complices.
Cette année, environ 3 000 hectares de pavot ont été détruites. Ce sont souvent les agriculteurs les plus pauvres qui en sont victimes car ils sont incapables de payer des pots-de-vin pour empêcher la destruction de leurs cultures.
Les talibans, très habiles sur le plan politique, ont profité du mécontentement contre les forces de l'OTAN sur place qu'a suscité l'éradication forcée de la culture du pavot pour obtenir le soutien de la population dans le sud du pays. Les militaires canadiens doivent donc mener leurs opérations sur un terrain très hostile. En tant que Canadienne, je dois vous dire que j'étais très fière de voir nos militaires oeuvrer dans des zones de combats intenses. Il y a des bombardements et des combats tous les jours. Les troupes britanniques — particulièrement les parachutistes, sans doute les meilleurs militaires au monde —, situées tout près à Helmand, où nous effectuons également des recherches, nous ont dit qu'il s'agissait des combats les plus violents jamais vus en 30 ans. Je vous assure que nous avons de quoi être fiers du travail de nos compatriotes à Kandahar.
Dans le cadre de nos recherches, il nous arrive de filmer dans les villages. Nous allons donc vous présenter une courte vidéo sur la situation des villages que nous avons visités. Nous allons vous montrer des photos que j'ai prises et un film tourné par mes collègues afghans, après quoi je concluerai mon exposé. Je suis consciente du fait que nous n'avons pas beaucoup de temps.
[Projection de la vidéo]
Mme Norine MacDonald :
Étant donné la gravité de la situation, que pouvons-nous faire pour aider les gens de Kandahar tout en rendant possible la mission de nos troupes? J'aimerais vous faire part de nos recommandations visant à conquérir les coeurs et les esprits des Afghans.
Nous proposons de créer un groupe d'intervention d'urgence et de prendre une série de mesures immédiates pour que nos troupes puissent obtenir davantage le soutien de la population à Kandahar. Le groupe d'intervention relèverait d'un envoyé spécial nommé par plusieurs parties et aurait pour mandat de coordonner et d'intégrer des initiatives de développement militaire. On devrait également former un groupe d'organisations et d'experts canadiens pour appuyer le travail de l'envoyé spécial. Ce groupe vous permettrait de mettre en oeuvre immédiatement trois mesures qui amélioreraient concrètement les conditions de vie à Kandahar.
Premièrement, nous proposons que le Canada prenne les devants, au sein de la communauté internationale et de l'OTAN, et établisse une nouvelle approche politique pour l'Afghanistan, particulièrement les régions du sud, là où la rébellion est la plus active. Cette approche devrait permettre de gagner la confiance des populations. Le Canada devrait convoquer immédiatement les pays membres de l'OTAN à une réunion d'urgence au cours de laquelle on redéfinirait l'approche visant à mater l'insurrection en Afghanistan.
Le Canada devrait appuyer le lancement de projets pilotes destinés à délivrer des permis pour la culture du pavot en Afghanistan en vue de produire des médicaments analgésiques très en demande, comme la morphine et la codéine — vous devriez d'ailleurs avoir un document en français et en anglais sur cette initiative dans vos dossiers. La création d'une marque afghane pour le commerce équitable de morphine et de codéine permettrait à l'Afghanistan d'aider les pays en développement dans le traitement de la douleur et d'assurer un gagne-pain durable et légal aux agriculteurs afghans.
En plus d'élaborer un plan d'urgence économique, le Canada devrait, dans les semaines à venir, offrir une aide alimentaire et médicale d'urgence pour calmer l'insurrection et préparer les populations locales à affronter l'hiver.
Le Canada devrait également organiser une série de jirgas, assemblées communautaires traditionnelles, afin de comprendre les besoins de la population afghane. De cette façon, les initiatives de développement répondraient aux problèmes réels.
Le groupe d'intervention d'urgence devrait mettre en place toutes les infrastructures nécessaires pour permettre aux citoyens et aux organismes canadiens d'aider la population de Kandahar de manière très pratique, c'est-à-dire la prendre sous son aide, en quelque sorte. Cette ville compte environ 800 000 habitants. Grâce à l'acquisition de l'expertise nécessaire — savoir-faire agricole, systèmes d'irrigation, programmes de soutien communautaire —, je crois que les Canadiens, autant les citoyens que les organismes, voient notre engagement à Kandahar et seront prêts à appuyer nos troupes. Mais pour ce faire, nous devons fournir les infrastructures nécessaires.
Notre engagement ne consiste pas qu'à intervenir à Kandahar ou en Afghanistan, mais aussi à nous découvrir en tant que Canadiens. Nous devons immédiatement adopter une nouvelle approche. Si la communauté internationale quitte Kandahar ou échoue dans sa mission, elle fera un cadeau à Al-Qaïda en lui offrant un refuge géopolitique pour les terroristes extrémistes.
Nous avons maintenant une responsabilité envers l'Afghanistan. L'hiver approche à grands pas et, à Kandahar, la population doit faire face à un hiver beaucoup plus rigoureux que le nôtre. Jusqu'à maintenant, on n'a établi aucun plan d'aide, que ce soit pour les camps de réfugiés situés dans la ville de Kandahar ou les régions rurales.
Depuis quelques mois, nous perdons en grande partie la bataille pour les coeurs et les esprits, mais si nous agissons vite, nous avons encore une chance de les regagner. Nous exhortons les membres de ce comité à recommander des mesures urgentes pour que le peuple de Kandahar voie que les Canadiens sont prêts à respecter leur promesse là-bas.
Je vous remercie beaucoup.
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Pour commencer, le voisin de Kandahar est le Helmand et il y a aussi l'Ourouzgan. Nous avons Kandahar, Les Britanniques ont le Helmand, et les Nééerlandais, l'Ourouzgan. Nous avons tous trois les mêmes problèmes, exactement les mêmes. Lorsque nous parlons aux gens de ces pays, nous avons les mêmes conversations. Si le Canada dit à l'OTAN qu'il faut vraiment résoudre tel problème, nous avons tous le même, et il faut voir si nous pouvons travailler ensemble. Je pense que c'est très utile.
Je comprends le concept des silos, le fait que l'armée soit séparée du développement et de l'aide. Je comprends d'où vient ce système, mais il ne fonctionne pas. Lorsque nous disons qu'il devrait y avoir une force opérationnelle spéciale et un envoyé spécial, nous essayons de trouver une solution, parce que le système de silos doit disparaître. Il ne fonctionne pas. Il n'est pas fonctionnel. Nous devons innover. La réponse ne peut pas être que ce sont deux choses séparées. Nous ne gagnerons pas cette guerre seulement par des moyens militaires. Nous devons innover. Si l'ACDI n'est pas conçue pour offrir cette aide, il faut nous réorganiser. Nous ne pouvons pas dire que nous allons perdre Kandahar parce qu'il y a l'armée ici et l'ACDI là, il est donc temps d'innover pour nous adapter aux circonstances et respecter notre engagement.
Pour ce qui est du nombre de talibans, environ, la réponse est que leur nombre est infini. Leur bassin de recrutement est infini. Il y a deux types de talibans. Il y a les talibans liés à al-Qaïda, ainsi que les éléments arabes, tchétchènes et pakistanais, qui financent et organisent les opérations en plus d'en faire la promotion. Il y a aussi les petits gars du village qui tirent avec un AK-47, qui ne sont jamais allés dans la grande ville de Kandahar et qui se battent pour de l'argent. Nous les avions de notre côté et nous les avons perdus, mais nous pouvons les regagner. Ce groupe hiérarchiquement inférieur est sans fin, parce que le taux de chômage des hommes va de 80 à 90 p. 100 et que ce que la plupart de ces garçons savent faire, c'est de tirer. Il y a 800 000 personnes à Kandahar, et la plupart vit dans une extrême pauvreté. La plupart de ces personnes sont fâchées contre nous. Il y a un million de personnes au Helmand. Il y en a beaucoup plus de l'autre côté de la frontière, au Pakistan. On appelle l'Ourouzgan la chambre de la mort.
Pendant la guerre russe, deux millions d'Afghans sont morts en train de se battre contre des étrangers. Deux millions. Les Russes avaient dix fois plus de soldats en Afghanistan que l'OTAN en ce moment. Les Afghans vont se battre et ils se battent. La situation est exceptionnelle. Les talibans sont très intelligents dans la façon dont ils mènent leur campagne politique populaire et dans la façon dont ils se battent pour les coeurs et les esprits. Ils sont chez eux. Ils parlent la langue. Beaucoup sont de la même tribu. Nous devons être très rusés pour gagner cette bataille, et comme je vous l'ai dit, je ne pense pas que nous puissions accepter l'idée de perdre.
Je veux d'abord vous féliciter de votre présentation, parce qu'une image vaut souvent mille mots et que ce que nous venons de voir vaut plusieurs présentations théoriques.
J'aimerais m'entretenir avec vous de quelques sujets. Je veux d'abord apporter une précision. Vous pourrez répondre éventuellement à quelques-unes de mes questions. Je ne veux pas vous accorder trop de temps, parce que je veux poser mes questions. Vous y répondrez ensuite rapidement.
Il me semble qu'il y a une différence entre la guerre que les Russes ont menée et celle que les forces internationales mènent actuellement. À mon sens, la guerre russe était une guerre d'occupation de territoire, alors que celle de l'OTAN et de la communauté internationale — même si des faux pas sont commis — est une guerre de libération. Ils veulent améliorer le sort des Afghans. Peut-être s'y prennent-ils mal, mais je pense quand même que ces deux interventions sont de genres différents.
Vous insistez beaucoup aussi sur l'OTAN. Vous est-il possible de nous fournir plus d'instruments de ce type, par exemple des documents comme cela ou même, éventuellement, la cassette?
Mes collègues et moi devons nous rendre à une réunion de l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN à Québec. D'ailleurs, j'aimerais que nous nous parlions tantôt. Si vous pouviez faire un petit détour, j'aimerais vous présenter des gens là-bas. Ça aura lieu du 13 au 17 novembre. Si nous avions des instruments, ce pourrait être intéressant pour les parlementaires qui seront là représentant l'ensemble des nations.
Il y a eu des discussions intéressantes à l'OTAN — j'y participe depuis plusieurs années — sur la substitution de la culture. Vous dites que l'industrie pharmaceutique pourrait peut-être prendre une partie de la production de pavot. Il y a actuellement des discussions entre l'OTAN et l'Union européenne en vue de substituer la culture là-bas. L'Union européenne assurerait aux Afghans une part de marché. Le problème, lorsqu'on change de culture, est qu'on peut bien faire pousser des patates, mais si on n'arrive pas à les vendre, on est pris avec ses patates. Mais si l'Union européenne s'engageait à faire un effort pour acheter ces patates et ces carottes, cela pourrait fonctionner.
Je voudrais aussi avoir votre opinion sur l'aide à la démocratie. Par exemple, un pays comme le Canada pourrait-il apporter une contribution au Parlement afghan en envoyant des députés pour expliquer comment se vit ici la vie parlementaire démocratique? La Commission de la fonction publique pourrait peut-être aider la bureaucratie civile afghane en parlant de la fonction civile.
Je considère l'ensemble des domaines auxquels nous pourrions participer et j'aimerais que vous nous parliez particulièrement du pavot et de l'aide à la démocratie que nous pourrions apporter.
J'ai lu votre document et je suis d'accord avec vous: si nous ne changeons pas la tactique militaire actuelle et si nous ne nous concentrons pas davantage sur la reconstruction et l'aide humanitaire, cela risque de déraper encore plus. Pourtant, le général Richards, que j'ai rencontré lors de mon dernier séjour en Afghanistan, est d'accord là-dessus. Il dit que si nous voulons gagner la guerre des coeurs et des esprits, ce n'est pas militairement que nous y arriverons. C'est plutôt en apportant une aide concrète sur le terrain que les gens verront que leurs conditions s'améliorent enfin.
Je m'excuse, mais j'avais plusieurs questions à vous poser. Je vais vous laisser le reste du temps pour y répondre. J'espère que ce sera suffisant.
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Je vais reprendre vos questions l'une après l'autre.
À propos de la différence entre l'intervention russe d'il y a une quinzaine d'années, ou même une vingtaine d'années maintenant, et la situation des troupes de l'OTAN en Afghanistan — et plus particulièrement celle du Canada à Kandahar —, je pense que ce que vous dites était vrai il y a cinq ans. Il y avait effectivement, alors, un contexte qui laissait présager une collaboration positive entre la communauté internationale et une démocratie islamique naissante. Mais ce contexte a changé, et les troupes, il faut bien l'avouer même si c'est effectivement une vision assez sombre, sont maintenant vues comme des troupes d'occupation. C'est une conclusion que nous avons tirée des interviews que nous avons effectuées auprès de milliers de personnes qui habitent à Kandahar ou à Helmand, dans le sud de l'Afghanistan. On parle en fait de perception, de la réalité de la perception locale.
Bien sûr, la communauté internationale ne se voit pas comme une force d'occupation. Ce n'est pas du tout l'esprit dans lequel nous sommes intervenus en Afghanistan. Mais c'est lettre morte, si on ne prend pas en considération la façon dont les Afghans sur place nous perçoivent. Une grande majorité d'entre eux nous perçoivent maintenant comme une force d'occupation ou — et c'est ce qu'on entend le plus souvent — comme des croisés. Encore une fois, c'est une des nations les plus importantes du monde islamique, et il s'en faut de peu pour que nous soyons à nouveau considérés comme des armées de chrétiens envahissant un pays musulman. L'équilibre était extrêmement précaire, et il a été rompu il y a deux ou trois ans par la machine militaire américaine et par la priorité qui a été donnée aux actions militaires sur la campagne pour gagner le coeur et l'esprit des Afghans.
Vous avez parlé de l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN qui va se réunir à Québec à la mi-novembre. Comme le disait Mme MacDonald, il est vrai que l'OTAN a un rôle extrêmement important à jouer en Afghanistan. Il joue d'ailleurs, en quelque sorte, son avenir en tant qu'organisation internationale. C'est le renouveau du rôle de l'OTAN après la guerre froide. Nous serons donc absolument ravis de vous envoyer toute la documentation nécessaire pour informer vos collègues parlementaires de l'association.
Vous avez abordé la question de la substitution. Depuis que nous sommes en Afghanistan, soit depuis 2005, on nous a expliqué et exposé de façon très détaillée tous les programmes de substitution qui devraient être mis en place, et on nous a montré les tableaux de financement et les programmes qu'ont mis en place les consultants. Le seul problème est que, sur le terrain, quand nous allons dans le sud ou dans l'est de l'Afghanistan, dans les provinces d'Angar, d'Helmand et de Kandahar, et que nous demandons aux gens s'ils ont vu quelque chose, ils nous répondent qu'ils n'ont rien vu. Et nous-mêmes, nous constatons qu'il n'y a rien en place.
Tout cela, ce sont des projets qui témoignent de beaucoup de bonne volonté, mais qui ne se sont pas traduits concrètement sur place. Cela fait aussi partie des raisons pour lesquelles nous avons perdu la guerre des coeurs et des esprits. Nous avons beaucoup promis mais nous n'avons rien tenu, et cela, les Afghans l'ont bien en mémoire. Cela a aussi créé cette crise de la pauvreté que les images que nous avons montrées tout à l'heure illustrent malheureusement parfaitement.
Il est évident que la substitution et la diversification de l'agriculture afghane sont essentielles. Mais nous ne pouvons pas demander aux paysans afghans d'éliminer d'abord leur culture, leur seule source de revenu et leur seule source de subsistance, et de commencer ensuite autre chose. C'est comme si vous disiez à un entrepreneur d'ici qui a une activité florissante et qui décide de diversifier son activité qu'il ne peut le faire que s'il ferme boutique. Cela ne peut pas fonctionner. Or, c'est exactement ce qu'on demande aux paysans du fin fond de l'Afghanistan qui cultivent des terrains extrêmement arides où il n'y a qu'une chose qui pousse jusqu'à présent, l'opium.
Justement, ce programme de régulation de la culture de pavot pour la production de morphine et de codéine est une forme, en fait, de développement alternatif. On prend la même plante et on la développe autrement. Cela devrait permettre à l'agriculteur afghan de diversifier sa production par la suite.
Je parlerai rapidement de votre troisième point, celui du développement de la démocratie et de l'aide que le Canada pourrait apporter au développement de la démocratie.
C'est un point extrêmement important que cette notion de légitimité. Toutes les institutions démocratiques qui ont été construites depuis 2 000 ans en Afghanistan sont sur le point de rendre l'âme à cause de la montée en puissance des talibans. Il est donc très important de renforcer les institutions, et le Canada a des traditions bien connues en la matière qui pourraient être extrêmement utiles.
J'ai visité des villages de l'extérieur de Kandahar. J'ai visité des camps de réfugiés informels autour de Kandahar, dans le Panjwai. Je pense que vous connaissez la région, c'est là où la plupart des combats ont lieu.
C'est en périphérie de Kandahar. Quand Kandahar se termine, on tourne vers le sud et l'on continue jusqu'au Panjwai. C'est environ 15 minutes de route. J'ai visité des camps de réfugiés informels dans la ville de Kandahar, là où je vis. Depuis le début, jour après jour, semaine après semaine, ils n'ont jamais reçu la visite d'un étranger ni l'aide de quiconque.
Je ne vois aucune manifestation des projets de l'ACDI dans ces villages et ces camps informels où se trouvent les personnes les plus pauvres.
Lorsque nous y sommes allés, nous avons ouvert la porte du véhicule et des hommes sont venus nous voir pour nous demander si nous avions de la nourriture parce qu'il y avait des enfants qui mourraient de faim. Nous avons donc commencé à apporter de la nourriture. Ils nous ont demandé de leur apporter de la nourriture et de leur amener des médecins, parce qu'il y avait des bébés, des enfants et des vieillards très malades. C'est ce que nous avons commencé à faire, tout en poursuivant nos recherches et en tournant des vidéos.
Je pense que vous avez vu dans ces vidéos des personnes avec du pain dans les mains. Nous arrivions avec du pain, et ils venaient immédiatement le prendre. Ils prenaient un bout de pain... Un homme adulte se dépêchait de prendre un bout de pain et de le mettre dans sa bouche. Ils ont faim.
Nous avons commencé à leur offrir de l'aide alimentaire, et c'est la première qu'ils reçoivent. Nous avons commencé à leur offrir de l'aide alimentaire parce que nous voulions mener nos recherches, et tout comme vous, nous pouvions apporter de la nourriture, donc nous en avons apportée. Nous pouvions amener des médecins, donc nous nous sommes organisés pour en amener et apporter des médicaments. Mon personnel est toujours là-bas, il visite toujours ces camps et il n'y a toujours pas d'aide.
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Je crois que j'ai rapidement mentionné cela tout à l'heure en répondant à votre collègue. À mon avis, c'est une solution d'urgence, et nous sommes présentement dans une situation d'urgence, tant vis-à-vis des Afghans que des troupes canadiennes.
L'éradication n'est pas une solution, d'abord parce qu'elle est inefficace. On l'a vu, malgré les opérations d'éradication qui ont lieu depuis deux ou trois ans, les chiffres de la production n'ont pas fléchi, bien au contraire, et elle est totalement contre-productive, puisqu'elle alimente la machine à recrutement des talibans.
D'autre part, la mise en place de cultures alternatives est évidemment l'une des meilleures solutions, mais elle prend trop de temps à mettre en place et il n'est tout simplement pas possible de la mettre en place dans les conditions actuelles, surtout dans le sud de l'Afghanistan, qui est totalement désertique et où seul l'opium pousse.
Il s'agit donc d'une solution pragmatique. Quelles sont les ressources de l'Afghanistan actuel, le vrai, le réel Afghanistan? D'une part il y a l'opium et, d'autre part, des villages où il y a des règles très fortes auxquelles doivent obéir les communautés locales.
Faisons le meilleur usage de ce qui existe, afin de divertir une partie de la production d'opium au niveau local vers la production de médicaments antidouleur. Il s'agit simplement d'un élément qui doit casser la machine infernale, le cercle vicieux du marché illégal. Cela permettra de développer d'autres cultures. Encore une fois, en permettant aux fermiers de maintenir leur source de liquidités et leur source de subsistance, on peut leur permettre de développer d'autres cultures, que ce soit le blé, les pommes de terre, les agrumes ou que sais-je encore.
Depuis que notre première étude de faisabilité a été rendue publique, un groupe d'experts de la question afghane en provenance de Grande-Bretagne s'est rendu sur place pour étudier la situation dans chacun des villages. Un peu comme c'est le cas dans les Prairies canadiennes, chacun sait combien de jeribs ou d'hectares de terres tous les autres fermiers du village possèdent. Chacun sait vraiment combien de kilogrammes d'opium peuvent être produits à partir de chaque jerib. Donc, chaque fermier a une assez bonne idée de la production que peut avoir son voisin. Nous proposons donc — en reprenant en quelque sorte votre concept des microcrédits, de telle sorte que nous puissions nous entendre au moins sur quelque chose — qu'une licence commune soit accordée au village, à la jurga. On dit à ces gens: « Vous avez une licence pour produire X kilogrammes d'opium parce que votre collectivité possède X hectares de terres. Vous devez donc produire la quantité prévue, sans quoi vous allez tous perdre votre licence. » De cette manière, toute la collectivité est mobilisée de telle sorte qu'aucune diversion ne soit possible.
Vous pouvez penser par exemple à une petite localité de Saskatchewan — disons Yorkton, mon village natal — où tous les agriculteurs, mon père et mes oncles, savent combien d'hectares chacun possède, quelle en est la production et comment se situe la récolte de chacun. Chacun a donc une idée assez précise des revenus de son voisin pour chaque année. C'est un peu la même chose; la licence est octroyée à l'ensemble de la collectivité et si l'un des agriculteurs cède à la pression, tout le monde est perdant.
Mais, pour l'instant, la démocratie n'en est qu'à ses premiers balbutiements là-bas et les efforts à ce chapitre doivent être appuyés et maintenus. Nous ne pouvons pas nous en remettre à la démocratie et à la primauté du droit pour soutenir la mise en oeuvre d'un système de licences, mais ce genre de discipline à l'échelle du village existe dans la communauté agricole de Kandahar, comme c'est le cas au Canada, et c'est le type de mécanisme d'application dont nous voulons faire l'essai. Nous avons donc indiqué notre intention de réaliser et de financer des projets pilotes dans la région de Kandahar pour voir si cela peut fonctionner et pour répondre aux questions tout à fait justifiées des gens qui s'interrogent sur la possibilité d'arriver à gérer ces cultures de pavot pour produire des médicaments sans qu'il y ait diversion et sans que les insurgés ne s'en emparent. Nous ne le savons pas vraiment. Nous sommes des universitaires et des stratèges. Nous voulons faire un essai concret sur place à Kandahar.
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Certainement, il y a de bonnes nouvelles dans beaucoup de parties de l'Afghanistan, dans le nord en particulier. Il y a beaucoup moins de combats. Il y a des indications d'une résurgence des talibans dans la province de Badakhchan.
À Kaboul, il y a beaucoup de développement économique. Si vous écoutez les plaintes des gens, il y a un nouveau riche, mais les pauvres sont encore pauvres. Alors, il y a là-bas un écart énorme dans le revenu.
Pour une raison quelconque, le Canada a hérité de l'une des trois pires provinces. Il y a Helmand, Oruzgan et nous avons eu Kandahar. La plupart des gens de Kaboul refusent de se rendre à Kandahar. La partie sud est la région qui est maintenant considérée comme un no man's land par les talibans. Vous pouvez vraiment diviser le pays de cette façon.
Le problème du pavot est un problème qui touche la totalité de l'Afghanistan. Les programmes de subsistance de rechange ne durent pas assez longtemps. Un grand nombre des écoles qui ont été construites dans le sud ont été brûlées.
Pour toute histoire agréable, il y a une histoire vraiment abominable. L'Afghanistan est un peu comme les montagnes russes. Un jour, vous pouvez penser qu'il se fait des choses merveilleuses là-bas, que c'est un merveilleux pays habité par un peuple merveilleux, et que d'une façon ou d'une autre, nous allons finir par passer à travers. Le lendemain, tout ce que vous voyez, ce sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés et vous pensez que vous n'y arriverez jamais, que la situation a toujours été un problème et qu'elle le sera pour toujours. Vous avez envie de lancer la serviette.
Lorsque nous sommes allés là-bas après le 11 septembre, nous avons fait quelque chose de remarquable. Ces gens nous ont accueillis à bras ouverts. Ils croyaient que nous étions des combattants de la liberté. C'était une occasion fantastique pour le monde occidental d'établir une relation vraiment étroite avec une nation islamique. Nous voilà maintenant rendus à la croisée des chemins, à un point tournant, concernant le virage que tout cela prendra. C'est la raison pour laquelle je défends si vigoureusement l'idée de maintenir le cap là-bas et de trouver de nouvelles initiatives.
Je peux marcher librement dans les rues de Herat, de Kondoz, de Mazar et de Jalalabad, mais pas dans les rues de Kandahar ou de Lashkar Gah. Vous pouvez vraiment avoir deux histoires différentes en ce moment. Malheureusement, nous sommes responsables d'une partie de la région où c'est le plus difficile.
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Merci, monsieur le président.
Merci de votre exposé jusqu'ici.
Sur la question du trafic de la drogue en Afghanistan, nous pouvons tous être très fiers du travail que les Forces canadiennes font là-bas. Elles ont réussi à saisir neuf tonnes de marijuana. Dans le sud, 55 kg d'opium ont été saisis. C'est une quantité importante de drogue qui ne viendra pas empoisonner la jeunesse de nos pays. Les profits de ces saisies ne seront pas utilisés pour payer des insurgés qui viendront tuer nos soldats. C'est quelque chose que nous pouvons célébrer.
J'applaudis votre sens de la philanthropie. J'aurais aimé que vous ayez été là pour aider nos gens des Maritimes lorsque des pays étrangers se sont ligués contre eux à un moment où ils luttaient pour leur survie et qu'ils ont perdu un de leurs moyens de subsistance.
On m'a demandé durant la présente discussion si le simple fait de faire un chèque aiderait les gens affamés en Afghanistan. Au cours de la fin de semaine, le gouvernement canadien a signé un chèque d'environ 40 millions de dollars -- 18,5 millions de dollars au cours des quatre prochaines années. Espérons que cela aidera à soulager la famine. Au comité des affaires étrangères, je crois que le ministre a fait une déclaration sur l'importance de la distribution alimentaire qui a lieu dans ce pays. Nous allons probablement avoir ces détails dans quelque temps.
Vous pourrez également être heureuse d'apprendre que le ministre de la Défense du Canada a témoigné devant le présent comité il y a une semaine pour dire que quelle que soit la solution que l'OTAN et le gouvernement afghan adoptent pour mettre fin à la protection de la drogue, il doit y avoir une manière de compenser légitimement les agriculteurs. C'est là la position du présent gouvernement. Le ministre nous a également informés qu'à l'heure actuelle, c'est le Royaume-Uni qui est responsable, au sein de l'OTAN, de tenter d'éradiquer la production de l'opium.
J'ai des questions.
Vous prétendez que les Afghans qui vivent à proximité des troupes canadiennes sont affamés. Le ministre de la Défense, qui y est actuellement en train de témoigner devant le comité des affaires étrangères, vient juste de confirmer que nos troupes ont ratissé la région autour de Kandahar et qu'elles ont distribué des vivres à plus de 8 500 personnes. La ministre responsable de l'ACDI vient juste d'annoncer une somme additionnelle de 5 millions de dollars pour un programme alimentaire d'urgence, somme qui vient s'ajouter à l'argent annoncé par le premier ministre plus tôt cette année.
Pouvez-vous être plus précise et dire au présent comité où exactement se trouvent les personnes affamées que vous avez vues?
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Je pense que quiconque vit et travaille en Afghanistan a une connaissance de première main de cela. Il s'agit d'une économie qui, comme nous l'avons dit, repose presque à 80 p. 100 sur le trafic de la drogue, mais cela devrait nous concerner tout le monde.
Si vous êtes policier ou fonctionnaire et que vous êtes payés très peu, et il arrive souvent qu'ils ne sont pas payés à temps, et que quelqu'un vient vous offrir l'équivalent de trois ans de salaire pour participer à une pratique corrompue quelconque, et qu'on vous dit que si vous refusez de participer, votre famille en paiera le prix, vous allez vous retrouver avec une force policière, une armée et des gens corrompus pour faire la lutte contre les stupéfiants. C'est un fait de la vie quotidienne, dans l'Afghanistan d'aujourd'hui, que la corruption existe du bas de l'échelle jusqu'à assez haut.
Je ne pense pas qu'il soit bien de notre part de pointer immédiatement du doigt tout Afghan qui est mêlé à cela et de dire que ce qu'il fait est mal et qu'il devrait cesser de le faire. Parce que si vous étiez dans cette situation... Vous ne savez pas quels sont leurs choix lorsque leurs familles sont en danger.
Je ne veux pas dire que, oui, il y a de la corruption et que ce soit perçu comme une condamnation du peuple afghan. C'est ce qu'ils endurent parce qu'ils ont une économie fondée sur les stupéfiants. Nous sommes occupés à enregistrer notre organisme et à faire diverse choses avec le gouvernement afghan, et il y a de la corruption jusqu'en haut de l'échelle. Si vous refusez de payer des pots-de-vin, et nous refusons de le faire, vous pouvez attendre longtemps avant que l'on fasse du travail pour vous là-bas. Et nous refusons et nous attendons, parce que ce que nous voulons faire, c'est contribuer à une démocratie qui fonctionne de manière appropriée.
C'est très frustrant. Je sais que beaucoup d'organismes internationaux et d'entreprises qui travaillent là-bas versent des pots-de-vin. Alors, nous sommes aspirés dans ce système et nous en devenons les complices.
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Vous n'êtes pas la première personne à me poser la question, alors je pense que c'est une idée sur laquelle on réfléchit.
Il est beaucoup plus facile de se rendre dans ces villages si vous portez des vêtements que ces gens considèrent comme ordinaires, le genre de vêtements que vous voyez à l'écran. Lorsque nous travaillons là-bas, nous nous habillons comme les Afghans. Je porte des vêtements masculins afghans, comme le font les autres collègues non-Afghans qui sont avec moi et qui sont d'anciens militaires.
Lorsque j'ai dit que c'était une zone de guerre, c'est une région où les armes sont omniprésentes et où les gens portent des armes en tout temps. Alors, la plupart des gens qui se promènent dans la rue portent des armes et les jeunes hommes portent des armes. Alors, vous devez être à l'aise dans cet environnement.
Une idée qui, je pense, pourrait être explorée, c'est qu'une partie des militaires portent des vêtements locaux -- et vous devez porter la barbe, parce qu'ils se font tous repousser la barbe -- dans lesquels on est à l'aise de porter une arme, dans le cadre de la distribution de l'aide alimentaire, parce que dans les images que vous avez vues, lorsque nous apportons de l'aide alimentaire, il y a des armes autour de nous. Vous devez trouver un équilibre et une façon de gérer cette situation et de gérer le risque. La deuxième ou la troisième fois que vous retournez dans le village, vous pouvez être plus à l'aise parce qu'ils commencent à vous protéger.
Je n'en sais pas suffisamment sur la façon dont les forces militaires sont structurées, si c'est un obstacle insurmontable que de les sortir de leurs uniformes. Je ne connais pas suffisamment cette question. Si c'était possible... Si les militaires apportent de l'aide, je peux voir que s'ils le font sans leur uniforme, cela les aiderait à avoir plus de succès et à gérer le risque pour ceux qui participent à cette activité.