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À l'ordre, s'il-vous-plaît.
Nous allons commencer la séance et je souhaite la bienvenue à Stephen Stewart qui est le propriétaire de Stewart Mussel Farms, de l'île du Prince-Édouard. Il a sa propre entreprise à l'île du Prince-Édouard.
Nous sommes heureux de vous avoir avec nous, Stewart. Vous avez une heure, entre 13 et 14 h00 , ou prenez le temps qu'il vous faut. Vous pouvez prendre une demi-heure, quarante-cinq minutes, ou même une heure. Vous avez jusqu'à une heure si vous le désirez.
Je sais que vous avez une déclaration à faire, alors allez-y.
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Très bien. J'ai une certaine expérience du programme concernant les travailleurs étrangers temporaires. J'ai rédigé quelques pages sur cet état de choses et ce qui est arrivé à mon entreprise.
Le 6 mai 2007, je suis allé à Halifax pour accueillir onze travailleurs temporaires du Sri Lanka venus à l'île du Prince-Édouard pour combler une pénurie de main-d'oeuvre sur nos fermes de moules. Nous avions dépensé 20 000 $ pour rénover une maison voisine où ils allaient loger, et nous avions accepté d'acheter une fourgonnette à 12 passagers pour les transporter au travail, à la banque, à l'épicerie, etc. Nous avons commencé à faire venir ces travailleurs étrangers au Canada en décembre 2006. On nous a dit que nous devions leur fournir le billet d'avion de retour pour un total de 21 000 $. En échange, ils ont signé un contrat d'emploi dans lequel ils s'engageaient à travailler pour Stewart Mussel Farms Inc. pour une période de huit mois.
On a eu quelques difficultés à surmonter, comme des problèmes de barrières linguistiques et les changements de température et de culture, mais tout semblait bien aller. Nous prenions la peine d'aller les voir tous les soirs pour nous assurer qu'ils comprenaient tout et pour répondre à des questions qu'ils pourraient avoir. Nous nous sommes assurés qu'ils aient des comptes bancaires et des numéros d'assurance sociale, pour pouvoir envoyer de l'argent à leurs familles. Ils m'ont dit que ce qu'ils gagnaient en moins d'une semaine à travailler pour ma compagnie était plus que ce qu'ils pourraient gagner dans leur pays en un mois.
Le vendredi 8 juin, un mois après leur arrivée, aucun des travailleurs sri lankais ne s'est présenté au travail. Ils avaient tous disparu. Après que j'ai eu alerté la GRC de leur disparition, des agents sont venus fouiller ma propriété. Ils ont fait venir des chiens policiers pour détecter des drogues et explosifs. Après leur départ, j'ai appelé des entreprises de taxi locales et j'ai découvert que vers 3 h 00 du matin, ces onze travailleurs avaient quitté dans deux fourgonnettes taxis, sans passeports, avec les seuls vêtements qu'ils avaient sur le dos, en route vers Ottawa.
L'entreprise de taxi m'a dit qu'ils s'étaient enquis du coût de ce voyage deux semaines avant leur départ. Ils ont laissé leurs bagages, leurs vêtements, et leurs photos de famille derrière eux. Plus tard, le même jour, nous avons découvert qu'ils se trouvaient dans l'ouest de Montréal en parlant à l'entreprise de taxi. Quand nous avons indiqué où ils se trouvaient à la GRC et à Citoyenneté Immigration, on nous a dit qu'ils n'enfreignaient aucune loi. Leur visa de travail stipulait qu'ils ne pouvaient travailler que pour Stewart Mussels Farms Inc., mais qu'ils pouvaient voyager librement où ils voulaient jusqu'en avril 2008, date d'expiration de leur visa. Tout irait bien tant qu'ils ne travailleraient pas pour quelqu'un d'autre.
J'ai demandé s'ils seraient détenus et interrogés, et on m'a dit que non. Je commençais à être agacé et j'ai posé. la question « et s'ils s'en allaient faire sauter le Parlement à Ottawa? ». On m'a répondu que quelqu'un alors aurait des problèmes.
Quand Citoyenneté et Immigration s'est penchée sur le dossier, on nous a dit que ce genre de choses se produit tout le temps. Les travailleurs étrangers disparaissent, sans qu'on les retrouve. Ce fut toute une surprise pour nous. Si c'était bel et bien le cas, quelqu'un au gouvernement aurait pu au moins nous dire à l'avance que cela se produit régulièrement. Nous ne comprenons pas comment cela peut être possible. Ils ont signé un contrat avec nous, mais les lois canadiennes sont rédigées de telle façon que ces travailleurs étrangers peuvent se déplacer librement au pays pendant toute la durée de leur visa, et nous nous retrouvions dans une situation pire qu'avant leur arrivée. Non seulement nous manquait-il onze travailleurs mais aussi 50 000 $ que nous avions dépensé pour les faire venir ici, les loger, les transporter, et ainsi de suite.
Dans les mois qui ont suivi leur départ, il y a eu de nombreux messages du Sri Lanka laissés sur le téléphone à la maison où ils logeaient. L'épouse d'un des hommes pleurait au téléphone, car elle ne savait pas où il était. L'un d'entre eux est resté en contact avec nous assez régulièrement. Il vit à Toronto, et travaille comme plongeur. Il sait où se trouvent les autres et ce qu'ils font. Un autre nous a appelé car il voulait ses feuillets T4. Il nous dit très fièrement que maintenant qu'il vit au Canada, il doit payer des impôts.
Nous avons entendu plusieurs histoires expliquant leur départ, mais cela se résume au fait qu'ils ne veulent pas retourner au Sri Lanka une fois que leur visa aura expiré. Nous avons même reçu des appels du Shri Lanka nous demandant si nous avions besoin de plus de travailleurs. Quand j'ai raconté cela à un des gars qui a quitté, il a ri et dit « oui, tout le monde veut venir au Canada maintenant » En d'autres mots, il est trop facile de venir ici et d'y rester. Pour eux, l'immigration canadienne est une vaste blague.
Nous avons été critiqués chez nous pour avoir fait venir des travailleurs étrangers. Certains nous ont même dit que nous méritions ce qui nous était arrivé. Cela nous semblait être la seule façon de répondre à la pénurie de travailleurs. S'il y avait des gens ici qui voulaient travailler, nous les embaucherions. Certaines personnes ne sont tout simplement pas faites pour le travail manuel, et d'autres ne veulent tout simplement pas en faire.
Notre avis relatif au marché du travail, que nous avons obtenu au prix de beaucoup de travail, est tombé à échéance, et nous devons reprendre le processus dès le début si nous voulons faire venir des travailleurs. Ce que j'essaie de dire c'est que nous avons des fermes de moules qui ont besoin de travailleurs qui veulent travailler et qui se présenteront.
Je ne suis pas contre l'immigration. Je crois que notre pays a besoin de plus de main-d'oeuvre pour les travaux manuels. Je pense que les Canadiens doivent se rendre compte à quel point il est facile pour les travailleurs étrangers de venir au Canada, de quitter l'entreprise pour laquelle ils sont censés travailler, et se déplacer librement au Canada sans soucis. Tant qu'ils ne travaillent pas légalement pour quelqu'un d'autre, ils n'enfreignent pas la loi. Cette situation est inacceptable pour des employeurs comme moi qui dépensent des milliers de dollars pour faire venir des travailleurs ici, ou pour les Canadiens dont les impôts aident à soutenir les travailleurs lorsqu'ils vivent ici au Canada.
Pour conclure, le système de travailleurs étrangers comporte selon moi de sérieuses lacunes qu'il faudra combler. Notre pays a été construit avec les rêves d'immigrants qui sont venus ici pour travailler et faire une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs familles. Voilà ce que devrait être le système de travailleurs étrangers, au lieu d'être une fumisterie pour les gens dans leurs pays qui cherchent une façon rapide de contourner le processus normal d'immigration.
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Cela soulève donc une autre question. Il me semble que ces gens ont des compétences et sont aptes à travailler dans d'autres secteurs de l'économie. Nous avons tendance à mettre des gens dans des postes pour lesquels ils sont beaucoup trop qualifiés.
Cela me fait penser à Tim Hortons qui a récemment embauché 100 personnes des Philippines, tous des diplômés universitaires, et ils travaillent chez Tim Hortons en Alberta pour 12 $ de l'heure. Je me suis demandé si ça en valait vraiment la peine. Si j'exploitais un Tim Hortons, pourquoi voudrais-je employer des diplômés universitaires pendant un an, quand je sais pertinemment que je vais les perdre à la fin de l'année? Si ce n'étaient pas des diplômés universitaires, j'aurais sans doute de meilleures chances de les garder à mon emploi.
Je le soulève car nous avons besoin de travailleurs manuels, ce qui nécessite certaines compétences, mais lorsque l'on exige des qualifications trop élevées, c'est le type de situation qui pourrait se produire.
Pourriez-vous faire parvenir au comité un exemplaire du contrat que vous aviez signé avec eux? J'aimerais bien le lire. Je pense que cela pourrait aider le comité dans son étude et ses recommandations.
Ces gens là ont donc presque fait en sorte qu'une fois leur visa expiré, ils iront dans la clandestinité ou quitteront le pays.
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Merci, monsieur le président.
Pour compléter ce que mon collègue a dit, j'aimerais vérifier autre chose. Certaines des questions qu'Andrew vous a posées vous touchaient personnellement, et portaient sur ce qui vous est arrivé.
J'ai travaillé avec des réfugiés et j'ai travaillé avec des gens du Sri Lanka, mais c'est la première fois que j'entends une histoire pareille. J'aurais dû m'en douter, la nature humaine étant ce qu'elle est, mais c'est vraiment la première fois que j'entends une telle histoire. Pourrait-on demander aux recherchistes de vérifier auprès d'Immigration Canada s'ils font un suivi de ce type d'abus — car c'est de l'abus, de l'abus de la part de ces employées qui se servent du système pour obtenir ce qu'ils veulent, et nous savons que beaucoup de personnes profitent du système.
Je me demande si Immigration Canada conserve un dossier de sorte que si une personne qui a travaillé pour M. Stewart, par exemple, disparaît et décide ensuite de demander le statut de réfugié — eh bien, attendez, il existe un dossier, et nous savons qu'il... Voilà une possibilité. On pourrait aussi vérifier le dossier si cette personne essaye de travailler pour un autre employeur deux ou trois ans plus tard. Conserver son nom au dossier nous permettrait de savoir s'il a déjà fait quelque chose qui n'est peut-être pas contraire à la loi, mais qui est assurément contraire aux règles telles que nous les comprenons tous.
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Nous étions très surpris qu'ils quittent sans même prendre des vêtements de rechange. Ils n'ont rien pris. Nous avions leurs passeports et toutes leurs informations personnelles dans un coffre-fort, pour que ces documents soient en sécurité.
Immigration nous a dit que c'était sans doute leur plan, et que si on ne les avait pas retrouvés en parlant avec les chauffeurs de taxi, les bureaux d'Immigration à Ottawa et ailleurs ne se seraient même pas attendu à ce que ces gens quittent leur emploi avec moi.
Des responsables m'ont dit que dans ce genre de situation, ils viennent au bureau pour se plaindre et le font sous une fausse identité pour que leurs noms ne se retrouvent pas dans le système. On m'a dit que l'histoire typique qu'ils racontent est qu'ils sont venus de l'Ouest, où ils avaient fait l'objet de mauvais traitements, et qu'ils sont partis et demandent maintenant le statut de réfugié.
Ce n'est que parce que nous avons décidé d'agir et essayer de les retrouver, car nous étions réellement inquiets de leur sort...
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Monsieur Stewart, c'est quelque chose qu'ils ne savent pas, mais j'ai travaillé avec la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et je peux vous dire qu'on ne peut pas se présenter en disant qu'on est réfugié. Ça ne prend pas.
Certaines personnes peuvent profiter du système, c'est vrai, mais pour votre gouverne, si un de ces travailleurs était venu et avait dit qu'il avait travaillé pour un employeur qui ne se comportait pas comme il le devrait envers un employé — en matière de conditions de vie, par exemple — on procéderait à une vérification. On demanderait le nom de l'employeur et l'on ferait ce type d'enquête. Si le travailleur se présente sous un autre nom, eh bien il faut essayer de rassembler toutes les pièces du casse-tête, et ce n'est pas toujours facile.
Vous voyez, il existe une troisième personne entre vous et l'employé. On appelle cette personne un intervenant en français. C'est cette personne qui a embauché ces gens en votre nom, qui est allée les chercher en votre nom. J'ai l'impression, après en avoir rencontré quelques-uns, que lorsque les employés sont sur la ferme ou ailleurs, cela met fin aux responsabilités de l'intervenant. Si vous pouviez entrer en contact avec l'intervenant pour lui dire que ces gens vous avez laissé tomber et pour demander à l'intervenant de ne plus faire affaire avec eux s'ils demandaient à revenir, je ne suis même pas certaine que ça en vaudrait la peine.
Je pense que si Immigration Canada était au courant, cela ferait beaucoup plus de tort à ces gens. Je vous suggérais même d'écrire une lettre au ministre ou au président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Ottawa. Vous pourriez indiquer les noms de ces gens et mentionner que vous avez entendu dire qu'ils cherchent à obtenir le statut de réfugié, et vous pourriez expliquer la situation. Leurs noms se retrouvaient donc au dossier et quelque chose apparaîtrait à l'écran s'ils essayaient de présenter une demande. Voilà ce que je vous suggère.
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Ce qui m'étonne, c'est que c'est la première fois qu'on nous signale cela depuis que je suis au comité. Or, les représentants du ministère nous ont parlé de plusieurs problèmes. Je suis content que vous soyez venu nous parler de votre cas. Je pense que l'étonnement est général. Maintenant, il faudra voir s'il s'agit d'un problème commun, et j'ai bien hâte d'entendre les réponses du ministère.
Le plus surprenant, c'est que vous dites que cela arrive tout le temps. Comment se fait-il qu'on n'ait pas essayé de trouver une solution?
De façon plus générale, cela montre que lorsqu'un système ne fonctionne pas, qu'il est pourri, comme le nôtre l'est actuellement, disons-le, que les délais sont extrêmement longs et que la façon de faire les choses n'a aucun sens, les gens cherchent par n'importe quel moyen à contourner la loi ou le système.
Des gens sont venus témoigner et nous ont dit que certaines personnes demandaient le statut de réfugié plutôt que de faire une demande d'immigration, tout simplement parce que le traitement d'une demande de réfugié est plus rapide que celui d'une demande d'immigration standard. On voit aujourd'hui que certaines personnes utilisent ce programme pour entrer au pays, et une fois qu'ils sont là, ils partent à l'extérieur.
Je n'ai pas d'autres questions, mais ce n'est pas parce que je ne trouve pas cela intéressant. C'est tellement nouveau. Nous avons entendu votre témoignage et j'ai maintenant hâte d'entendre ce que les représentants du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ont à dire à ce sujet.
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Sans vouloir être trop négative, je vous dirais que le ministère de l'Immigration n'est pas responsable de ce dossier, comme vous le diraient sans hésitation les fonctionnaires du ministère. Tout ce qu'il font, c'est apposer un tampon sur les visas, indiquant ainsi qu'une personne peut travailler au Canada pendant un certain laps de temps, pour le compte de telle ou telle personne.
Ainsi, le contrat n'a rien à voir avec le ministère de l'Immigration. Il vise trois parties: l'employeur, c'est-à-dire vous, monsieur Stewart, en l'occurrence; l'employé et l'entrepreneur, ou l'intermédiaire — c'est le mot que je cherchais tout à l'heure — avec qui, de toute évidence, vous avez fait affaire. Vous pensiez que quelqu'un d'autre allait pouvoir répondre à vos besoins sans que vous soyez obligé de passer par tout le tralala.
Par conséquent, le ministère n'a aucune responsabilité légale. Peut-être qu'on voudrait qu'il en ait, mais pour le moment ce n'est pas le cas.
De toute évidence, nous n'avons pas de réponse à vos questions, monsieur Stewart, à titre individuel. Par contre, votre comparution de cette après-midi est importante en ce sens que vous avez soulevé un problème en montrant que ces gens disparaissent effectivement dans la nature, sans qu'on fasse quoi que ce soit.
J'aurais cru, par exemple, que la GRC se serait intéressée au sort d'un certain nombre de Sri lankais étant venus au Canada et ayant par la suite disparus, étant donné ce que j'ai lu dans le journal ce matin je pense sur le raid effectué par la GRC à Montréal d'une organisation qui recueillait des fonds pour les tigres tamoul. Nous savons qu'il y a un grand nombre de personnes qui sont impliquées dans ce genre de choses. J'aurais cru que la GRC s'y serait intéressée. Vous dites que les travailleurs en question doivent recevoir une cote de sécurité; je n'en suis pas convaincue.
Ce qui est important, c'est que vous avez identifié un problème. Nous allons donc nous y intéresser, de notre côté. Nous allons mettre la main sur les statistiques pertinentes, comme l'a suggéré M. Telegdi, pour tenter d'élaborer des recommandations à l'intention du gouvernement afin de mieux protéger les employeurs. En effet, c'est le rôle de notre comité de rédiger des recommandations pour le gouvernement.
Par le passé, nous nous sommes intéressés à la protection à accorder aux employées, parce que dans bien des cas ils en ont besoin, et maintenant, vous avez soulevé le point de vue contraire en démontrant que les employeurs ont besoin de protection également. J'estime que c'est une question qui mérite notre attention.
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Comme l'a souligné ma collègue, avant que vous ne veniez témoigner, nous n'avions pas entendu parler de l'autre côté de la médaille.
En vous écoutant, j'ai eu une idée: peut-être pourrions-nous accorder des visas assortis de conditions. Si quelqu'un entre au pays pour travailler, c'est ce qu'il devrait faire. Bien sûr, si le travailleur tombe malade ou qu'il prend un congé légitime, ça va, mais ces étrangers ont obtenu un visa pour travailler au Canada. On devrait peut-être modifier les conditions des visas pour faire en sorte que ces travailleurs respectent la raison de leur visite au Canada.
Si un étranger affirme vouloir entrer au Canada comme touriste, on délivrera un visa en conséquence. Les agents de visas tentent de s'assurer que les étrangers qui entrent au Canada peuvent subvenir à leurs besoins pendant leur séjour ici et qu'ils ne deviennent pas des assistés sociaux.