SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Comité permanent de la sécurité publique et nationale
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 24 mars 2009
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Nous allons commencer la séance.
Soyez les bienvenus à la 11e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, qui poursuit son étude des rapports Iacobucci et O'Connor.
Nous accueillons aujourd'hui M. Warren Allmand, porte-parole de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, Mme Shirley Heafy, administratrice de la British Columbia Civil Liberties Association, M. James Kafieh, avocat conseil de la Fédération canado-arabe, M. Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale, et Mme Kerry Pither, militante pour les droits de la personne et écrivaine.
Je vous remercie tous d'avoir accepté notre invitation. Nous avons bien hâte de vous entendre.
On m'a dit que vous aviez décidé que ce serait Alex qui commencerait et qu'on suivrait ensuite l'ordre de la rangée.
Je vous demanderais de vous présenter, car il se peut que j'aie mal prononcé votre nom. Parlez-nous un peu de vous-mêmes. Vous disposerez d'environ 10 minutes pour faire votre exposé. Je ne surveille pas le temps de très près, à condition que vous nous transmettiez des renseignements pertinents.
Allez-y, monsieur.
Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Alex Neve. Je suis le secrétaire général d'Amnistie internationale.
Amnistie internationale occupe un rôle clé dans le travail qui a porté sur les quatre cas dont vous êtes saisis, et ce, depuis le début, c'est-à-dire lorsque Maher Arar a été arrêté aux États-Unis. Notre expérience est donc longue. En novembre 2003, après que Maher Arar eut décrit ses souffrances lors d'une conférence de presse nationale, j'ai reçu un appel d'un homme en détresse qui m'a parlé de son fils, Ahmad El Maati, emprisonné en Syrie et en Égypte depuis deux ans déjà et qui était toujours sous écrou. Il m'a dit que les représentants du Canada avaient insisté sur le fait qu'il ne devait pas parler publiquement de son fils. Or, il avait bien vu que Monia Mazigh avait raconté son histoire dans les médias et que son mari, Maher Arar, était rentré au pays. Ce père, au bord des larmes, m'a raconté au téléphone qu'il avait eu tort de garder le silence et il m'a supplié à maintes reprises pour que je lui dise ce qu'il pouvait ou devrait faire afin que les droits de son fils soient respectés.
Il y a eu des moments semblables à bien des égards dans chacun des quatre cas que vous étudiez. Chaque fois, c'était la même question: vers qui se retourner pour s'assurer que les droits d'une personne seraient protégés. C'était scandaleux de constater que ni ces victimes, ni leurs proches, ne savaient à qui faire appel afin de faire respecter les droits de la personne les plus élémentaires. Nous espérons que, grâce à ces audiences et à l'intérêt suscité, le comité aidera à rétablir l'importance des droits de la personne dans les pratiques de la sécurité nationale du Canada. Les droits de la personne sont la clé de la sécurité nationale et non un obstacle à celle-ci. Cette affirmation a été soulignée dans deux rapports internationaux récents.
Le premier rapport, publié le mois dernier, est celui de M. Martin Scheinin, rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Il fait référence à l'affaire Maher Arar et souligne l'importance d'une surveillance musclée et d'une véritable reddition de comptes en ce qui concerne les violations des droits de la personne découlant de mesures antiterroristes.
Le deuxième rapport est le fruit volumineux et remarquable du travail d'un comité d'éminents juristes constitué par la Commission internationale de juristes qui, après presque quatre années de recherche, d'enquêtes et d'audiences menées partout au monde, y compris au Canada, a conclu que la violation des droits de la personne depuis le 11 septembre représente « peut-être l'un des plus grands défis jamais posé » à l'intégrité du système international de défense des droits de la personne. Le comité souligne que la défense des droits de la personne ne constitue pas un relâchement à l'égard du terrorisme. C'est tout le contraire: les États sont tenus de défendre les droits de leurs citoyens et de les protéger d'actes terroristes, une obligation qui s'étend autant aux victimes possibles du terrorisme qu'aux auteurs présumés d'actes terroristes.
Les cas de Maher Arar, d'Abdullah Almalki, d'Ahmad Abou El Maati et de Muayyed Nureddin ont fait l'objet de deux enquêtes judiciaires approfondies. Le tableau inquiétant qui en ressort en est un de mépris pour les préceptes élémentaires de la primauté du droit, de l'application régulière de la loi et de la défense des droits de la personne. Dans chaque cas, les propos exagérés et inflammatoires des représentants du Canada, comme le fait de qualifier ces hommes « d'extrémistes liés à l'al-Qaida », n'ont pas été étayés par les éléments de la preuve et ont joué un rôle crucial dans les événements qui ont mené à la détention et à la torture illégales des victimes. Le juge de la Cour d'appel de l'Ontario, Dennis O'Connor, et l'ancien juge de la Cour suprême du Canada, Frank Iacobucci, éminents juristes canadiens, ont énuméré une longue liste de lacunes qui ont causé ou facilité les graves violations des droits de la personne subies par ces quatre hommes.
La plupart des Canadiens présument probablement qu'une fois l'enquête menée et le rapport rédigé, les problèmes et leurs causes ont tous été réglés. Ceci est d'autant plus vrai que la plupart des Canadiens sont au courant des excuses officielles ainsi que des réparations offertes à Maher Arar en début de 2007. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour s'assurer, d'une part, qu'il y a véritablement justice et reddition de comptes pour ces quatre hommes et, d'autre part, que les réformes juridiques, institutionnelles et politiques nécessaires pour empêcher d'autres violations de droits de la personne semblables sont mises en oeuvre.
Je vais vous décrire rapidement l'important travail qu'il reste à faire afin de répondre aux grandes préoccupations concernant ces violations tragiques des droits de la personne.
Tout d'abord, il y a la question de la surveillance et du droit de regard. Pour assurer une protection contre les violations des droits de la personne par la police ou les agences de la sécurité, quel que soit le pays ou le contexte, il faut à tout prix qu'il y ait une surveillance et un droit de regard qui soient efficaces, indépendants et impartiaux. Pendant l'enquête sur l'affaire Arar, le juge O'Connor a consacré beaucoup de temps et de ressources à étudier cette question à fond. Il a conclu que les mesures prévues pour surveiller les agences qui participent aux enquêtes en matière de sécurité nationale au Canada étaient complexes, lourdes, incomplètes et insuffisantes. Il a proposé un nouveau modèle intégré, complet et bien articulé. Deux ans plus tard, cependant, nous attendu toujours un signe indiquant que ce modèle serait adopté et mis en oeuvre.
Nous, c'est-à-dire les témoins réunis ici aujourd'hui, avons demandé au gouvernement d'agir sans tarder et de mettre en oeuvre le modèle proposé par le juge O'Connor et rien de moins. Une fois que le Canada sera doté d'un mécanisme efficace permettant de passer en revue les activités concernant la sécurité nationale de la GRC, du SCRS et d'autres agences, nous pourrons enfin répondre à la question qui a tourmenté le père de M. Elmaati ainsi que les autres victimes et leurs familles, et nous aurons un mécanisme de recours et de protection des droits de la personne.
En deuxième lieu, il faut à tout prix donner suite aux rapports découlant des deux enquêtes. Le juge O'Connor a proposé des recommandations détaillées, conformément à son mandat. Le juge Iacobucci ne l'a pas fait, puisque son mandat ne le prévoyait pas. Toutefois, ses conclusions quant à ce qui n'a pas fonctionné et pourquoi mènent tout naturellement à des recommandations implicites dont certaines qui ressemblent à celles qui ont été émises après l'enquête sur l'affaire Arar, et encore d'autres qui s'ajoutent aux recommandations du juge O'Connor.
Nous attendons toujours, plus de deux ans et demi après la publication du premier rapport sur l'affaire Arar, des indications claires quant à la mise en oeuvre des recommandations. M. Arar lui-même n'est pas plus renseigné.
Cinq mois après la publication du rapport du juge Iacobucci, nous avons seulement eu droit à une déclaration indiquant que les conclusions étaient semblables à celles qui ont été émises après l'enquête sur l'affaire Arar, que le rapport sur l'affaire Arar a été pleinement mis en oeuvre et qu'en fin de compte, il n'y a rien de plus à faire.
C'est insuffisant. L'heure est venue de mettre pleinement en oeuvre les recommandations du rapport sur l'affaire Arar et d'effectuer une analyse publique afin de déterminer quelles sont les recommandations supplémentaires nécessaires pour répondre aux conclusions du juge Iacobbuci. Il faudrait également que le gouvernement s'engage à émettre des rapports réguliers quant au progrès réalisé au chapitre de la mise en oeuvre. Dans une lettre envoyée à Amnistie internationale plus tôt ce mois, le ministre de la Sécurité publique, M. Peter Van Loan, a décrit les dix mesures prises par le gouvernement à la suite des recommandations découlant de l'enquête sur l'affaire Arar. C'était une première. Malheureusement, la lettre soulève davantage de questions qu'elle ne fournit de réponses. Par exemple, on indique que la GRC se sert maintenant des rapports sur les droits de la personne des Affaires étrangères avant d'échanger des renseignements avec un pays qui a des pratiques douteuses en matière de droits de la personne, mais on n'indique pas quelle serait l'approche suivie et quels seraient les facteurs qui entreraient en ligne de compte avant que l'on ne décide d'échanger ou non des renseignements.
En troisième lieu, il faut qu'il y ait une reddition de comptes suivant les graves violations des droits de la personne survenues dans ces quatre cas. Des acteurs au Canada, aux États-Unis, en Syrie, en Égypte et en Jordanie ont pris des décisions ou ont agi de façon à contribuer aux violations des droits de la personne de ces hommes. Jusqu'à maintenant, à ma connaissance tout au moins, pas un seul acteur n'a été tenu responsable dans aucun de ces pays. Nous vous exhortons à vous renseigner sur les mesures prises à l'égard des représentants du Canada qui ont occupé des rôles clés dans ces cas. Qu'a-t-on fait pour voir si des chefs d'accusation criminelle s'imposaient? Quelles mesures ont été prises pour infliger des mesures disciplinaires appropriées?
Lorsque personne n'est tenu responsable de violations des droits de la personne, le seul message qui est transmis en est un d'impunité, ce qui ne fait qu'encourager d'autres violations. Outre la responsabilité des représentants du Canada, nous vous encourageons également à demander ce qu'a fait le gouvernement du Canada pour exiger des comptes des acteurs d'autres pays. Malheureusement, le gouvernement maintient qu'en vertu de la Loi sur l'immunité des États, il est impossible d'actionner des représentants de gouvernements étrangers devant les tribunaux canadiens. C'est la raison pour laquelle les tentatives déployées par Maher Arar en vue de traîner en justice des représentants de la Jordanie et de la Syrie ont échoué.
Nous ignorons avec quel enthousiasme le Canada a cherché à obtenir des enquêtes indépendantes et une véritable reddition de comptes dans les pays concernés.
La lettre du ministre Van Loan indique que les ambassadeurs de la Syrie et de l'Égypte au Canada ont reçu des exemplaires du rapport Iacobucci et ont été priés d'enquêter sur les événements et d'en faire rapport. Or, il aurait fallu exiger que les personnes responsables de la torture de quatre citoyens canadiens soient tenues responsables. Tout au moins, il nous faudrait l'attestation que des protestations diplomatiques officielles ont été déposées auprès des deux gouvernements concernés.
En quatrième lieu, il faut offrir des réparations à ces hommes. Maher Arar, bien sûr, en a obtenu. Cinq mois après la publication du rapport Iacobucci, cependant, il n'y a toujours rien pour les autres victimes. La lettre du ministre Van Loan est muette à ce sujet, puisque les tribunaux sont saisis de l'affaire, mais on note cependant que le commissaire Iacobucci ne devait pas se pencher sur la question d'éventuelles réparations. Je vous signale respectueusement que là n'est pas la question. Le commissaire Iacobucci a recensé de nombreuses lacunes qui ont contribué à l'emprisonnement et à la torture de ces trois hommes. Des réparations s'imposent en raison du rôle joué par des représentants du Canada dans ces violations des droits de la personne. Nous vous exhortons à faire comparaître des représentants du gouvernement qui vous témoigneront des mesures prises afin d'aboutir à un prompt règlement, de préférence à la suite de négociations ou de médiation, soit des excuses officielles sincères et des réparations appropriées pour ces trois victimes.
Enfin, les conclusions tirées de ces quatre cas doivent donner lieu à une nouvelle approche qui guidera le Canada dans des situations semblables. Malheureusement, il suffit de prendre le cas d'un autre Canadien, Abousfian Abdelrazik, pour constater que très peu a changé. Ce Canadien a été emprisonné à deux reprises au Soudan et il a été torturé pendant la période de détention. Nous savons avec quasi-certitude que c'était à la demande de représentants du Canada. Depuis presque un an, M. Abdelrazik prend refuge dans l'ambassade du Canada à Khartoum. Plutôt que de prendre des mesures rapides et décisives afin de redresser les torts commis, le gouvernement canadien ne cesse d'obstruer le retour au Canada de M. Abdelrazik et le respect de ses droits.
Cela nous ramène au père d'Ahmad Elmaati, qui ne savait pas à qui s'adresser pour protéger les droits de son fils. Six ans plus tard, à la lumière de ce qui se passe au Soudan, le refrain n'a tristement pas changé.
Merci.
Monsieur le président et membres distingués du comité, je suis le représentant de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, une coalition pancanadienne constituée après le 11 septembre 2001 dont le mandat est de surveiller l'incidence des nouvelles lois antiterroristes sur les droits de la personne et de défendre ces droits. Nous avons également témoigné devant les commissions O'Connor et Iaccobucci.
J'ai à mon actif 31 années d'expérience à titre de député, dont quatre années comme solliciteur général, ainsi que cinq années à la présidence du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique.
Aujourd'hui, je vais me pencher sur les recommandations prévues dans les deux rapports portant sur l'affaire Arar.
Dans son premier rapport, le juge O'Connor a enquêté sur l'affaire du citoyen canadien, Maher Arar, afin de comprendre comment et pourquoi il a été arrêté à New York le 26 septembre 2002 et ensuite envoyé en douce en Syrie, où il a été emprisonné et torturé pendant environ un an.
Le juge O'Connor, après avoir étudié tous les éléments de la preuve à la fois à huis clos et en séance publique, a conclu que la GRC avait faussement qualifié M. Arar et son épouse d'extrémistes islamistes soupçonnés d'entretenir des liens avec al-Qaida. Le juge O'Connor a souligné qu'il n'y avait absolument aucune preuve pour étayer ces propos. Cela s'ajoutait à d'autres renseignements inexacts, erronés et médisants que la GRC a transmis aux autorités américaines de façon irresponsable.
À la page 20 de son rapport, M. O'Connor a indiqué: « Les étiquettes ont tendance à coller aux personnes, les réputations sont facilement ternies et, lorsque les étiquettes sont inexactes, des personnes peuvent subir une grave injustice. »
À la page 26, il poursuit: « Le Projet A-O Canada a fourni aux organismes américains une bonne quantité d’informations à propos de M. Arar qui étaient inexactes; une partie de cette information était incendiaire et injustement préjudiciable envers lui. »
Dans l'analyse générale portant sur les éléments de preuve déposés contre M. Arar, le juge O'Connor en est arrivé aux conclusions suivantes. Tout d'abord, la GRC n'avait pas vérifié les renseignements portant sur M. Arar pour en déterminer l'exactitude, la pertinence et la fiabilité. Deuxièmement, les renseignements erronés avaient été transmis aux États-Unis en violation des politiques existantes et des conditions gouvernant ce genre de transmission. Troisièmement, les échelons supérieurs de la GRC n'ont pas suffisamment dirigé ni surveillé l'équipe chargée de l'enquête. Quatrièmement, l'unité d'enquête de la GRC n'était pas suffisamment formée ni expérimentée pour mener ce genre de travail lié à la sécurité et au renseignement. Cinquièmement, la GRC se retrouvait de nouveau chargée d'opérations liées à la sécurité et au renseignement, contrairement aux recommandations du rapport de la Commission McDonald de 1981.
Par conséquent, dans la première partie de son rapport, le juge O'Connor avance 23 recommandations visant à corriger les lacunes décrites précédemment afin que des situations comme celle de M. Arar ne se reproduisent plus. Ce sont des recommandations précises portant, entre autres, sur le mandat des responsables, les dispositions visant les échanges de renseignements, la formation, une surveillance centralisée, une direction en matière de politique, la vérification des renseignements pour en déterminer l'exactitude et la pertinence, les opérations conjointes et le profilage racial. Il faudrait que le gouvernement donne suite à chacune de ces 23 recommandations précises.
Le ministre d'alors, M. Stockwell Day, a affirmé le 21 octobre 2008 que les recommandations avaient été mises en oeuvre, ce qui ne nous renseigne aucunement sur les mesures prises. C'est inacceptable.
Il en va de même pour la lettre datée du 9 mars 2009 du ministre Peter Van Loan à M. Alex Neve, dans laquelle il déclare que le gouvernement a mis en oeuvre 22 des 23 recommandations du juge O'Connor. C'est inacceptable que les exemples de mise en oeuvre fournis dans la lettre ne soient pas directement liés aux recommandations numérotées du rapport O'Connor et qu'ils soient de nature générale plutôt que spécifique.
Le ministre parle de démarches formelles, de changements à la politique et de cadres partagés, sans fournir de détails pour autant. Compte tenu des circonstances, comment les parlementaires et les citoyens peuvent-ils déterminer si ces réponses sont conformes aux recommandations et si elles sont suffisantes ou non?
Si le gouvernement souhaite sincèrement redresser les torts infligés à M. Arar, il faut impérativement que le ministre comparaisse devant le comité pour fournir par écrit le suivi fait à chacune des recommandations du premier rapport sur l'affaire Arar. Ce n'est que forts de ce renseignement que vous-même, ainsi que les citoyens, pourrez juger si on a donné suite aux recommandations du juge O'Connor ou s'il reste davantage à faire.
Cela m'amène au deuxième rapport du juge O'Connor daté du 12 décembre 2006, dans lequel il propose la mise sur pied d'une nouvelle agence de surveillance pour la GRC ainsi qu'un nouveau processus d'examen pour les cinq autres organismes fédéraux chargés d'activités liées à la sécurité et au renseignement. Dans le cadre de son enquête, le juge O'Connor a découvert que 24 organismes fédéraux canadiens participaient directement ou indirectement aux activités liées à la sécurité et au renseignement, notamment le SCRS, la GRC, le Centre de la sécurité et des télécommunications du Canada, l'Agence des services frontaliers, Transports Canada, les Affaires étrangères, la Défense nationale, Citoyenneté et Immigration, le Bureau du Conseil privé, le ministère de la Justice et la Garde côtière.
Il a également appris que 247 ententes gouvernent les échanges de renseignements entre pays et au Canada. De plus, il a su qu'il y avait un nombre croissant d'opérations conjointes du renseignement menées par des EISN, c'est-à-dire des équipes intégrées de la sécurité nationale, constituées de membres du SCRS, de la GRC, de la PPO et du Service de police d'Ottawa. Ce sont là uniquement quelques exemples parmi d'autres.
Compte tenu des échanges et de toutes les opérations conjointes, on comprend aisément comment les erreurs de la part de la GRC et d'autres organismes pourraient échapper à la surveillance et passées inaperçues. Le problème, c'est que les organismes de surveillance actuels, c'est-à-dire la Commission des plaintes du public contre la GRC, le comité de surveillance des activités de renseignement et de sécurité et le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada, ont des pouvoirs et des mandats différents qui ne visent qu'un seul organisme. Par exemple, la Commission des plaintes du public contre la GRC est seulement chargée de la GRC, et le CSARS ne s'occupe que du SCRS. Comment peut-on surveiller les opérations conjointes et les ententes visant les échanges de renseignements?
Certains de ces organismes peuvent faire comparaître des témoins, alors que d'autres n'y sont pas habilités. Certains encore, mais pas tous, peuvent faire des vérifications. Certains, comme l'Agence des services frontaliers du Canada, n'ont aucun organisme de surveillance. La situation est donc impossible et les lacunes sont telles que tous genres de problèmes peuvent survenir.
Au chapitre 10 du deuxième rapport, le juge O'Connor demande si le statu quo est suffisant. La réponse est un « non » on ne peut plus catégorique. Le juge O'Connor indique que les contrôles internes prévus par la GRC sont insuffisants, tout comme les contrôles ministériels et judiciaires. Les pouvoirs de la Commission des plaintes du public contre la GRC ainsi que des autres organismes de surveillance ne sont pas assez musclés. Il propose donc un nouvel organisme qui remplacerait la CPP et qui surveillerait la GRC et l'Agence des services frontaliers du Canada en bénéficiant d'un pouvoir accru de vérifications et d'enquêtes en cas de plaintes. Il propose également que le SCARS soit doté de pouvoirs supplémentaires pour surveiller les opérations liées à la sécurité et au renseignement de Citoyenneté et Immigration, des Affaires étrangères, des Transports et du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, en plus de celles du SCRS. Le commissaire du CSTC continuerait à surveiller les activités du centre. Cependant, le juge propose la création d'un comité de coordination intégré chargé de l'examen de la sécurité nationale qui coordonnerait les activités de ces trois organismes de surveillance, passerait en revue toutes les pratiques nationales en matière de sécurité et accueillerait les plaintes pour ensuite les rediriger à l'organisme indiqué. Les lacunes seraient ainsi comblées.
Plus de deux ans après la parution du rapport, les parlementaires et les citoyens sont en droit de savoir quelles sont les intentions du gouvernement relativement à cette proposition importante et quand elle sera mise en oeuvre.
Encore une fois, la lettre datée du 9 mars du ministre Van Loan reste muette à ce sujet. Je cite: « En ce qui concerne la partie II du rapport du commissaire O'Connor, le gouvernement réalise des progrès relativement à l'amélioration des mesures d'examen des activités liées à la sécurité et au renseignement. » Or, deux ans plus tard, la question reste entière. Cependant, nous sommes en droit de le savoir.
En terminant, permettez-moi de souligner que le juge O'Connor a consacré presque trois ans au dossier de Maher Arar. Le juge Iacobucci, quant à lui, a mené son enquête pendant près de deux ans, ce qui a coûté des millions de dollars aux contribuables canadiens. Ces commissions d'enquête se sont penchées sur des questions cruciales des droits de la personne et des libertés fondamentales qui préoccupent grandement tous les Canadiens. Par conséquent, leurs recommandations ne devraient pas être mises de côté ou reléguées aux oubliettes; elles devraient être mises en oeuvre le plus tôt possible, de sorte que personne d'autre ne connaisse le même sort que MM. Arar, Almalki, Elmaati et Nureddin.
Merci beaucoup.
Je m'appelle James Kafieh et je suis l'avocat-conseil de trois intervenants dans l'enquête Iacobucci, c'est-à-dire la Fédération canado-arabe, la Canadian Muslim Civil Liberties Association et le Conseil sur les relations américano-islamiques du Canada. Ces organisations interviennent activement depuis très longtemps dans les dossiers dont vous êtes saisis. Je les représente toutes les trois aujourd'hui.
En 1991, pendant la guerre du Golfe, les activités du SCRS ont manifestement ciblé la communauté arabe, y compris la Fédération canado-arabe. La brochure que voici intitulée « Quand le SCRS appelle » est une brochure qu'a publiée la fédération durant la guerre. Elle se veut un guide des libertés civiles s'adressant aux Canadiens d'origine arabe, ainsi qu'aux Canadiens en général, afin que ceux-ci connaissent leurs droits et savent comment mieux contribuer à la sécurité nationale sans toutefois compromettre le tissu social de leur communauté ni menacer leur propre sécurité.
La Canadian Muslim Civil Liberties Association traite des questions de profilage racial depuis sa création il y a 10 ans.
Le Conseil sur les relations américano-islamiques du Canada est actif dans le dossier de Maher Arar depuis le 12 octobre 2002, c'est-à-dire depuis le tout début, lorsque les premières histoires sont parues dans The New York Times et The Globe and Mail. Ce jour-là, le conseil a joué un rôle de premier plan en indiquant clairement que si Maher Arar était extradé en Syrie, il risquerait la torture, et en essayant activement de confirmer le lieu où il se trouvait.
Nous sommes près de un million de Canadiens d'origine arabe et musulmane. Ces institutions que je représente veillent aux intérêts et aux préoccupations de ces communautés. Prises séparément ou ensemble, les communautés arabe et musulmane figurent parmi les plus grandes communautés au Canada dont la croissance est la plus rapide. Leur population est répartie dans les centres urbains du Canada, mais surtout en Ontario et au Québec.
Les questions qui nous préoccupent aujourd'hui ont eu une incidence profonde sur la communauté canado-arabe. Nous nous intéressons particulièrement aux résultats des enquêtes O'Connor et Iacobucci, mais nous ne serons pas satisfaits tant que les recommandations ne seront pas mises en oeuvre. Nous comprenons le Moyen-Orient plus que n'importe quelle communauté au pays, puisque nous parlons la langue du monde arabe, nous suivons ses émissions et lisons ses publications, puis nous nous y rendons. De toute évidence, nous avons des liens avec cette partie du monde. Nous sommes donc les plus à risque lorsque nous voyageons là-bas.
Nous sommes les plus susceptibles d'être étiquetés extrémistes, un terme qui, selon le juge Iacobucci, n'a pas de véritable définition. Cela a pris le sens que l'auteur a voulu lui donner, sans qu'il n'y ait de critères alors que cela revêt une grande importance, où cette étiquette peut vous... En fait, cela a joué pour beaucoup dans l'incarcération des Canadiens dans des cahots et leur torture.
Nous courons un danger accru en raison du manque de sécurité et de la façon dont les organismes de sécurité effectuent leur travail. La communauté canado-arabe a perdu confiance en les organismes canadiens de sécurité, et ce, principalement depuis l'histoire de Maher Arar. Et quand nous avons appris le traitement qu'ont subi Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et de Muayyed Nureddin, nous avons compris, à ce moment-là, qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé, mais plutôt d'une tendance. Et nous sommes conscients des abus dont sont victimes d'autres Canadiens d'origine arabe aujourd'hui ailleurs dans le monde — il en a déjà été question — et de leur incapacité, sans l'aide du gouvernement canadien, à rentrer au pays.
Cela remet sérieusement en question la qualité et le sens de la citoyenneté canadienne pour les Canadiens d'origine arabe ou musulmane. Pouvons-nous compter sur notre gouvernement? Pouvons-nous nous attendre à ce que nos organismes de sécurité nous protègent au même titre que tous les autres Canadiens?
Notre communauté a besoin de voir concrètement la mise en oeuvre des 23 recommandations énoncées dans le rapport O'Connor. C'est primordial. Ce n'est pas quelque chose qui devrait être fait en secret. Il est important que le Canada reparte à neuf et établisse des liens avec des communautés avec lesquelles il est essentiel, à l'heure actuelle, d'entretenir de bonnes relations, afin qu'une confiance mutuelle règne, par exemple, entre les communautés arabe et musulmane et les organismes de sécurité canadiens.
La sécurité, c'est l'affaire de tous. Nous devons collaborer ensemble, mais cela rend les choses encore plus difficiles lorsqu'il n'y a aucun facteur de reddition de comptes.
Nous ne voyons aucun remord. Il est particulièrement important pour les communautés arabe et musulmane que les recommandations de la Commission d'enquête O'Connor — surtout les recommandations 17, 19, 20 et 22 — soient mises en oeuvre.
N'empêche que la mise en place d'un mécanisme de surveillance est probablement la mesure la plus importante à prendre car, en l'absence d'un tel processus, à qui les Canadiens d'origine arabe peuvent-ils s'adresser pour rectifier les choses? Auprès de qui peuvent-ils obtenir des réponses? Comment s'y prennent-ils pour protéger leur citoyenneté? Devons-nous mettre sur pied une commission royale chaque fois que cela se produit? S'agit-il de la procédure normale pour traiter ce genre de questions? Pour des raisons évidentes, je dirais que ce n'est pas pratique. Ce n'est pas ainsi qu'une administration responsable devrait se conduire. Nous devons adopter une approche systématique. Cela a fait l'objet d'une étude et nous savons exactement ce qui doit être établi. Le juge O'Connor l'a énoncé clairement, et nous ne comprenons pas pourquoi rien n'a encore été fait. Chose certaine, cela nous fait douter du sérieux du gouvernement canadien et de son engagement à agir selon ce qui a été convenu.
Quand nous parlons d'agir convenablement, il est important d'éprouver des remords pour le rôle que les Canadiens ont joué dans la détention et la torture de ces hommes. C'est une nécessité qu'a nettement recommandée le juge O'Connor en ce qui a trait à Maher Arar, mais que le juge Iacobucci n'était pas autorisé à recommander. Son rôle consistait à tirer des conclusions et non pas à formuler des recommandations sur les mesures que devrait prendre le gouvernement. Toutefois, nous savons ce qu'il y a lieu de faire. On doit des excuses à ces trois hommes, et surtout, on doit les indemniser. Sans indemnisation, compte tenu des épreuves qu'ils ont traversées, des excuses ne veulent pas dire grand-chose.
En outre, il est important que le Canada proteste auprès de la Syrie et de l'Égypte et déplore le fait qu'elles n'ont rendu aucun compte pour ce que leurs administrations ont fait subir à ces Canadiens. Cependant, nous ne sommes pas très crédibles lorsque nous faisons des reproches à ces gouvernements alors que nous n'avons même pas mis en oeuvre les recommandations qui sont ressorties de nos propres enquêtes. Il faut remédier à cette situation en prouvant qu'on a donné suite aux 23 recommandations du juge O'Connor et qu'on a appliqué les mêmes mesures — par exemple, des excuses et une indemnisation — aux trois hommes visés par l'enquête Iacobucci.
[Français]
Bonjour, monsieur le président et membres du comité.
Ce matin, je représente l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Je suis présentement directrice des plaintes du public à la Commission de police de Calgary, en Alberta.
Je vous transmettrai aujourd'hui des connaissances professionnelles, des connaissances de première main. J'ai passé cinq ans à mener des enquêtes sur la sécurité nationale, alors je connais très bien le service de sécurité et sa façon de fonctionner ainsi que les difficultés auxquelles les membres sont confrontés quotidiennement en faisant ce travail.
Pendant huit ans, soit jusqu'en 2005, j'ai été présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Je connais très bien la culture de la GRC. C'est une culture qui oblige les membres à préserver le prestige de la GRC à tout prix, certainement au prix d'être redevable au public que doit servir la GRC.
[Traduction]
Le gouvernement précédent a eu le courage d'ordonner la tenue d'une enquête concernant l'extradition de Maher Arar. Je tiens à signaler qu'avant que cette enquête ne soit lancée, j'avais porté plainte en tant que présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC relativement au dossier de M. Arar. Des mois plus tard, j'ai reçu une lettre de deux ou trois pages en réponse à la tenue de l'enquête dans laquelle on indiquait qu'effectivement, il y avait eu quelques petits problèmes administratifs, mais que dans l'ensemble, tout avait été fait dans l'ordre. Maintenant que nous savons à propos de cette enquête, je pense que nous pouvons nous interroger sur la capacité de la GRC à se regarder dans le miroir et à régler ses propres problèmes.
Le gouvernement actuel a également fait preuve de beaucoup de courage en demandant à M. Brown de mener des études et de se pencher sur la culture et la structure de la GRC. Celui-ci a d'ailleurs déclaré que la GRC était gravement déficiente. Ce sont ses mots.
J'ai parlé du courage qu'ont démontré les derniers gouvernements en prenant des mesures destinées à faire la lumière sur les problèmes de la GRC et des autres organismes liés à la sécurité nationale. Toutefois, il est temps de voir si le gouvernement, y compris les partis de l'opposition, sont suffisamment courageux pour faire descendre la légendaire GRC de ses grands chevaux et d'exiger qu'elle rende des comptes sur l'exercice de ses pouvoirs extraordinaires, ses lacunes en matière de formation, ses politiques désuètes ainsi que son arrogance et son attitude de supériorité.
Comme vous pouvez le constater, après avoir passé de nombreuses années à essayer de faire de la GRC une organisation responsable — en tant que présidente pendant huit ans et membre à temps partiel pendant deux ans, j'ai été liée à la GRC pendant 10 ans —, je n'y vais pas de main morte lorsqu'il s'agit de donner mon opinion, puisque j'ai moi-même vécu une expérience très frustrante. Comme tout le monde, en scrutant la GRC, j'ai été confrontée à la réalité. Jour après jour, semaine après semaine, j'ai vécu beaucoup de déceptions.
Mais ce qui me dérange le plus, ce sont les membres subalternes de la GRC qui ont été traités d'une manière inéquitable et impitoyable. C'est un dossier sur lequel je me suis penchée, et cela n'avait d'ailleurs pas été très bien accueilli par les dirigeants à l'époque. Les membres — et vous l'avez probablement constaté d'après l'enquête effectuée à Vancouver — font une erreur et sont réaffectés ailleurs dans l'espoir que le problème se règle. C'est injuste. Je pense que s'il y avait une plus grande responsabilisation, les agents de première ligne, que j'admire énormément, seraient certainement mieux traités.
Je siège au conseil d'administration de la BCCLA depuis que j'ai quitté la Commission des plaintes, et je continue d'intervenir dans les activités de la GRC puisque nous avons déposé des plaintes à propos des décès qui sont survenus en détention au cours des trois dernières années. Nous avons également porté plainte au sujet de l'enquête de la GRC dans le dossier des fiducies de revenu durant les élections. Nous sommes également intervenus dans l'enquête Braidwood à Vancouver sur le décès de M. Dziekanski, mort après avoir reçu une décharge d'un pistolet Taser. Notre participation à ces dossiers a certes suscité des réactions arrogantes et condescendantes. Nous n'avons rien entendu de bien concret, et en fait, les réactions les plus malheureuses venaient du commissaire lui-même.
Malgré les promesses de changement qu'a faites la GRC, d'après ce que nous avons vu, rien n'a changé. De par les réactions et la collaboration que nous obtenons lorsque nous déposons une plainte, rien n'indique qu'on a apporté des changements. Notre but est de collaborer avec eux et de faire de notre mieux. Notre association essaie de travailler avec la police, en vain. Jusqu'à présent, cela ne fonctionne pas avec la GRC.
Je ne parle pas ici des membres subalternes, car ceux-ci sont des plus dévoués. Il n'en est pas du tout question. Par contre, les nouveaux membres doivent s'adapter à la culture qui règne à la GRC. Ils doivent à tout prix préserver sa culture et son prestige. Ils se considèrent comme... En ce moment, je collabore avec la commission de police de Calgary. La GRC travaille avec la police de Calgary. J'ai participé à quelques enquêtes conjointes en tant qu'observatrice, et il est évident qu'il y a une approche de supériorité qui offense réellement la plupart des services de police, et je le remarque encore aujourd'hui.
D'après mon expérience, le manque de responsabilisation de la GRC n'aide pas à sa cause. Pendant l'enquête sur l'affaire Arar, le directeur adjoint du SCRS, M. Jack Hooper, a fait preuve de résistance. Surtout lorsque le CSARS a été créé, il était mon pire cauchemar. J'étais la première enquêteuse à examiner leurs dossiers. Aucun autre civil n'y avait jeté un coup d'oeil auparavant. Il était responsable de la liaison, et il a résisté pendant presque un an et ne m'a causé que des problèmes. Durant l'enquête, il a confirmé qu'il avait été réticent, mais qu'il avait réalisé un an après qu'ils étaient devenus une meilleure organisation grâce à la surveillance civile. Je pense que cela en dit long. Il est même allé plus loin que cela en ajoutant que la GRC serait une meilleure organisation si elle avait un mécanisme adéquat de surveillance civile.
Le juge O'Connor a proposé une formule de reddition de comptes non seulement pour la GRC, mais aussi pour tous les autres organismes qui mènent des activités relevant de la sécurité nationale. Le président actuel de la Commission des plaintes du public contre la GRC, M. Paul Kennedy, a comparu récemment. Dans son témoignage, il a mentionné son incapacité à surveiller les activités de la GRC et tout ce qui faisait l'objet d'une plainte. Tout cela était en quelque sorte du déjà vu pour moi, étant donné que je l'ai vécu alors que j'étais à la commission. En fait, à l'époque, dans mes rapports annuels, j'ai souvent demandé l'aide du Parlement, et je me suis entretenue avec des ministres car je n'arrivais pas à obtenir l'information pour donner suite à ces plaintes. Les députés étaient déjà saisis de nombreux dossiers, et j'imagine que celui-ci n'était pas urgent, alors rien ne s'est concrétisé.
J'ai même consulté la Cour fédérale à deux reprises, à défaut de n'avoir personne vers qui me tourner. La Cour fédérale a rendu deux décisions, et je peux vous fournir les renvois. Vous verrez que le tribunal de première instance et la cour d'appel ont tous deux statué qu'il nous était impossible de faire notre travail, compte tenu des lois dépassées, des nombreuses difficultés auxquelles nous sommes confrontés et du fait que c'est la GRC qui décide de l'information qu'elle nous fournit. C'est comme confier au loup le soin de s'occuper de la bergerie.
Les deux tribunaux se sont entendus pour dire qu'il revenait au Parlement de faire avancer les choses car, ils ont beau interprété la loi et être d'accord avec nous, ils ne sont pas des législateurs. C'est pourquoi nous devons faire appel au Parlement.
Je m'appelle Kerry Pither. Je travaille à ces dossiers depuis plus de six ans maintenant, et ce n'est pas terminé. J'ai commencé à m'intéresser à cette affaire quand Monia Mazigh m'a demandé de l'aider dans sa campagne pour faire libérer son mari, Maher Arar. C'était en mai 2003.
Je ne me doutais pas, quand toute cette histoire a commencé... On se questionnait au sujet de la participation des organismes canadiens, mais à ce moment-là, on croyait surtout au Canada que tout était de la faute des États-Unis. Plusieurs années plus tard, nous savons que ce sont les actions des autorités canadiennes qui ont mené à la décision des États-Unis d'envoyer Maher Arar en Syrie, où il s'est fait torturer; et il n'y avait pas que lui, il y en avait trois autres: Ahmad El Maati, Abdullah Almalki et Muayyed Nureddin. Il a fallu des années et deux enquêtes judiciaires pour découvrir la vérité, après que ces quatre hommes aient pris la courageuse décision de raconter leur histoire publiquement et de demander des réponses.
Voici ce qui s'est passé. Quatre Canadiens, tous visés par la même enquête de la GRC et du SCRS, ont été interrogés et torturés par la même équipe d'interrogation syrienne; dans le cas de M. Almalki, c'était une équipe d'interrogation égyptienne. Les quatre hommes ont été emprisonnés à la division palestinienne des services de renseignements militaires de la Syrie.
Ils nous ont décrit avec d'horribles détails comment ils ont été fouettés avec des câbles. M. El Maati a même subi des chocs électriques. Et ce ne sont là que quelques-unes des atrocités indescriptibles qu'ils ont dû traverser. M. Almalki nous a raconté qu'on l'avait immobilisé dans un pneu de voiture pour le fouetter avec des câbles. Il nous a décrit comment il a survécu à une détention de 17 mois plongé dans l'obscurité d'une cellule souterraine qui ressemblait à une tombe: trois pieds de large, six pieds de long et sept pieds de haut. M. El Maati a passé presque la totalité de ses deux ans et deux mois d'emprisonnement en isolement cellulaire et dans des conditions épouvantables. Les mains attachées derrière le dos, il a parfois été forcé de manger à même le sol, comme un animal. M. Nureddin nous a raconté que ses interrogateurs syriens arrêtaient périodiquement de le fouetter pour lui tremper les pieds dans l'eau froide, de façon à ce que ses nerfs soient à vif et que la douleur soit intense.
Les quatre hommes devaient répondre sous la torture à des questions fournies par les autorités canadiennes ou basées sur des renseignements donnés par ces dernières. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui, six ans après m'être impliquée dans ce dossier, et sept ans et quatre mois après le début des séances de torture pour M. El Maati, afin de réclamer des changements pour qu'une telle situation ne se reproduise jamais.
J'implore le comité de demander au gouvernement du Canada de faire deux choses. Je suis d'accord avec les témoins qui m'ont précédée pour dire que le gouvernement du Canada doit présenter un compte rendu public expliquant comment a été mise en oeuvre chacune des recommandations formulées dans le rapport factuel de l'enquête sur le cas Arar. J'incite par ailleurs le comité à examiner comment ces recommandations pourraient être renforcées à la lumière des conclusions de l'enquête Iacobucci, qui n'avait pas le mandat de formuler des recommandations, et de veiller à ce que ces mesures supplémentaires soient appliquées.
Par exemple, l'enquête Iacobucci a déterminé qu'il n'y avait pas que la GRC qui avait fourni des questions aux interrogateurs syriens, le SCRS aussi. Vu les conclusions du rapport Iacobucci, il faut prendre doublement au sérieux la consigne du juge O'Connor qui veut que le SCRS étudie ces recommandations pour déterminer si elles s'appliquent aux agissements de ses intervenants.
Dans sa recommandation no 21, le juge O'Connor demandait au gouvernement canadien de retirer les avis de surveillance à la frontière émis pour Mme Mazigh et ses enfants. Aujourd'hui, la famille de M. Almalki a les mêmes problèmes que ceux qu'ont traversés Mme Mazigh, M. Arar et leurs enfants. Il semble que cette famille fait aussi l'objet d'avis de surveillance. Le 4 mars, le fils de 14 ans de M. Abdullah Almalki a été soumis à une fouille corporelle alors qu'il s'apprêtait à quitter le Canada pour visiter le pays natal de sa mère, la Malaisie. L'épouse de M. Almalki a également subi une fouille corporelle.
On les a informés qu'ils étaient sur une liste d'interdiction de vol. L'épouse et le fils de M. Almalki avaient apporté avec eux — et c'est un document assez lourd à transporter en plus de son passeport — le rapport Iacobucci. Ils ont convaincu les autorités de les laisser prendre l'avion après leur avoir fait lire une section du rapport qui expliquait que les accusations portées contre M. Almalki étaient inexactes, non fondées et incendiaires. Les autorités ont alors accepté de les laisser monter dans l'avion.
La 22e recommandation du juge O'Connor prévoit deux choses très importantes. On incite le gouvernement du Canada à présenter une plainte officielle au gouvernement des États-Unis. Une plainte officielle devrait également être présentée au gouvernement de la Syrie. À la lumière des conclusions du rapport Iacobucci, des plaintes officielles doivent être présentées aux gouvernements de la Syrie et de l'Égypte pour la torture qu'ils ont infligée à trois Canadiens.
Le juge O'Connor indique également dans sa recommandation 22 que la GRC devrait informer les autorités américaines avec lesquelles elle partageait de l'information que celle-ci était assujettie à des réserves limitant sa communication, ce qui n'a pas été fait. En outre, la GRC devrait rectifier toute information inexacte au sujet de M. Arar qui a été communiquée à des organismes américains.
Dans les cas de MM. Elmaati, Almalki et Nureddin, le juge Iacobucci a relevé de nombreuses occurrences d'informations inexactes et diffamatoires sur ces Canadiens qui ont été communiquées non seulement par la GRC, mais aussi par le SCRS. Et ces renseignements n'ont pas seulement été diffusés aux États-Unis, en Syrie et en Égypte, mais aussi dans plusieurs autres pays, et beaucoup ne sont même pas mentionnés dans le rapport du juge Iacobucci. Aujourd'hui, évidemment, il est devenu très risqué, voire impossible, pour ces hommes de voyager en toute sécurité.
En résumé, le juge O'Connor dit de l'information diffusée à propos de M. Arar que les « inexactitudes devraient être corrigées et que des réserves devraient être rattachées à l'information ». Cette recommandation vaut aussi pour les accusations portées contre MM. Elmaati, Almalki et Nureddin.
Étayée par les conclusions du rapport du juge Iacobucci, la recommandation 23 du juge O'Connor demande au gouvernement du Canada d'évaluer la demande de dédommagement de M. Arar à la lumière des constatations de ce rapport, et d'y répondre en conséquence. Je suis d'accord. La même chose devrait être faite pour MM. lmaati, Almalki et Nureddin. Il proposait de recourir à une approche un peu plus créative pour négocier un règlement, et peut-être conclure une entente de dédommagement qui pourrait impliquer des excuses.
Je prie les membres de ce comité de recommander au gouvernement du Canada d'offrir des excuses officielles à M. Elmaati, à M. Almalki et à M. Nureddin, comme il l'a fait pour Maher Arar, pour le rôle qu'il a joué dans leur incarcération et leur torture. Des excuses signaleraient à ces hommes, à tous les Canadiens et au monde entier que quelqu'un quelque part est désolé de ce qui s'est passé, et que le Canada dit regretter officiellement, à tout le moins, le rôle qu'il a joué dans la torture de ses propres citoyens.
La troisième mesure, et peut-être la plus importante, que le comité doit encourager le gouvernement du Canada à prendre, c'est de reconnaître que les recommandations factuelles du juge O'Connor viennent compléter le mécanisme d'examen qu'il a recommandé dans son rapport sur l'examen de la politique. Voici ce qu'il dit au début des recommandations dans son rapport factuel:
Les recommandations sont d'une nature opérationnelle et viennent compléter celles présentées dans le rapport sur l'examen de la politique, lesquelles visent à assurer la présence d'un solide mécanisme indépendant d'examen des activités de la GRC liées à la sécurité nationale. Un tel mécanisme est essentiel pour garantir que ces activités respectent les valeurs et principes de la société canadienne.
Il répète à plusieurs reprises que la GRC, de même que les autres intervenants prenant part à des enquêtes relatives à la sécurité nationale, doit s'attendre à ce que « la légalité de son action puisse être soumise à examen ». Même si la GRC a pris des mesures actives pour rester dans les limites de son mandat de service policier et de respecter le rôle distinct du SCRS, il est du devoir de l'organisme d'examen, comme le mentionne le juge O'Connor dans sa première recommandation, de s'assurer que cela demeure le cas.
Le juge O'Connor recommande de mettre en place plus de directives ministérielles internes pour orienter les enquêtes relatives à la sécurité nationale. Il affirme que ces directives devraient être largement diffusées. Rien n'indique que beaucoup de directives de ce genre aient été élaborées, et c'est peut-être ce qui explique que tout le monde a compris le rôle que le mécanisme d'examen doit jouer pour veiller à ce que les directives ministérielles soient respectées.
La GRC dit avoir suivi la recommandation du juge O'Connor d'assurer un contrôle centralisé du partage de l'information. Le contrôle centralisé du partage de l'information peut aider à garantir « un niveau adéquat de responsabilisation, ce qui facilite l'examen ». Mais cet examen n'a pas lieu.
La recommandation 10 est probablement le meilleur exemple. Elle se lit comme suit: « Les pratiques et ententes de la GRC en matière de partage d'information devraient être sujettes à examen par un organisme indépendant. » C'est peut-être là qu'entre en jeu la mystérieuse recommandation 23, qui n'a pas encore été formulée, puisqu'aucun organisme indépendant n'a encore été créé à cette fin.
En résumé, je vous dirais qu'on ne peut pas faire les choses à moitié. Je suis persuadée que si le juge O'Connor avait su que sa recommandation sur l'examen ne serait pas appliquée, il aurait rédigé toute une série de nouvelles recommandations pour son rapport factuel.
Les autres témoins ont parlé de l'importance de ce mécanisme. Je reviens au cas de M. Abdelrazik et réitère les préoccupations de M. Neve: vers qui peut se tourner cet homme à son retour à la maison s'il veut comprendre ce qui lui est arrivé?
Monsieur le président, membres du comité, cette série d'événements a commencé il y a sept ans, quatre mois et dix jours. Ahmad Abou Elmaati a été incarcéré, fouetté avec des câbles et interrogés d'après des renseignements fournis par le gouvernement du Canada. Il est plus que temps que le Canada mette en place des mesures qui éviteront que de telles situations se reproduisent.
Merci beaucoup.
Merci à tous de vos témoignages.
Comme nous le faisons habituellement, nous donnons la parole à l'opposition officielle pour sept minutes.
Monsieur Holland, nous vous écoutons.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous nos témoins d'avoir accepté notre invitation aujourd'hui.
Je tiens d'abord à remercier les victimes du fiasco dont il est question aujourd'hui, celles qui sont ici et les autres, d'avoir eu le courage de briser le silence. Je suis sincèrement désolé de savoir que M. Elmaati, M. Almalki, M. Nureddin et M. Arar aient eu à subir de pareils traitements. Mme Pither, je vous remercie de nous avoir parler des implications personnelles de toute cette histoire, parce qu'on peut facilement se perdre dans des concepts théoriques et oublier les conséquences réelles sur la vie des citoyens canadiens qui ont souffert de ces horreurs qu'on peine à imaginer.
J'aimerais commencer par la question de la surveillance. M. Kennedy est venu témoigner devant notre comité et il nous a dit qu'il avait les deux mains liées. Je poserais d'abord ma question à Mme Heafey, si vous me le permettez, car en tant que président de deux organismes ayant cette responsabilité, particulièrement la commission des plaintes du public, M. Kennedy est restreint d'un côté par les contraintes légales auxquelles vous faisiez référence, et de l'autre par un manque de financement et de ressources. En fait, non seulement le gouvernement ne met-il pas en pratique les recommandations formulées par le juge O'Connor pour renforcer les mécanismes de surveillance, recommandations qu'a accentuées M. Iacobucci, mais voilà qu'on assiste aussi à des compressions financières. Les fonds supplémentaires qui avaient été accordés au bureau de M. Kennedy ont été réduits de façon substantielle.
Pouvez-vous nous dire quelles répercussions auront ces compressions selon vous? Je crois que vous avez clairement défini les contraintes législatives, mais j'aimerais aussi vous entendre à propos des contraintes financières qu'implique cette perte de fond. Quelles sont les difficultés que pose l'aspect financier?
Le manque de fonds est un problème auquel toutes les organisations font face, alors je ne m'attarderai pas sur le sujet. À mon avis, si la GRC avait coopéré, si elle ne m'avait pas autant compliqué la tâche... Je vous ai dit plus tôt que j'avais dû me présenter en cour deux fois. Pouvez-vous imaginer le temps, l'énergie et les ressources qu'il a fallu engager pour ça? Si on m'avait permis de faire mon travail sans me mettre de bâtons dans les roues, je ne me plaindrais pas autant de notre manque d'argent aujourd'hui. Une grande partie de nos dépenses ont servi à faire tomber les barrières de façon à ce que je puisse faire mon travail.
Du financement, on n'en a jamais assez. Jamais. Je crois seulement qu'il aurait été beaucoup plus simple, et je ne me plaindrai pas du financement aujourd'hui, si j'avais pu faire mon travail sans être constamment obligée de me battre, d'engager des ressources et de négocier jour après jour pour obtenir ce dont j'avais besoin.
J'aimerais revenir au commentaire de M. Neve. Je crois que c'est vous qui avez parlé des difficultés qu'amène un manque de surveillance collective, un manque de collaboration entre les organismes. Nous avons reçu un représentant du CSARS — pour être juste à son endroit, cet organisme était assez loin dans la chaîne alimentaire, alors il n'avait peut-être pas le loisir de s'exprimer en toute liberté — qui nous a affirmé que ce n'était pas vraiment un problème pour eux.
Cela me paraît insensé que la commission des plaintes publiques, qui a vu son financement réduit de 40 p. 100, n'ait pas le mandat légal lui permettant de recueillir de l'information et de travailler de façon proactive; de plus, elle doit souvent recourir à des enquêtes publiques qui impliquent des coûts faramineux. Je me demandais si vous pouviez nous parler de ce problème, monsieur Neve, de ne pas pouvoir sortir des limites de son propre organisme. Et je ne parle pas de toutes les autres contraintes auxquelles vous pourriez être soumis, simplement du fait de ne pas pouvoir suivre le processus d'un organisme à l'autre, de façon à relever toutes les anomalies ou toutes les erreurs qui auraient pu se produire.
Absolument. En plus des lacunes qui étaient déjà bien évidentes, selon moi, avant que le juge O'Connor ne dépose son rapport (le fait, par exemple, que la Commission des plaintes publiques ne détenait pas suffisamment de pouvoirs), je crois que la leçon la plus flagrante et la plus importante qui est ressortie de l'étude de ces quatre cas et du rapport O'Connor, c'est qu'il nous faut adopter une méthode de travail intégrée et globale.
Ce genre de travail se fait de façon coordonnée entre les corps de police et les organismes de sécurité. Ils travaillent coude à coude. Les Canadiens veulent qu'ils collaborent et s'attendent à ce qu'ils le fassent. Pourquoi ne pourrions-nous donc pas avoir un mécanisme d'examen qui fonctionne de la même manière? Il est contradictoire de continuer de recourir à une approche en vase clos qui examine séparément chacun des nombreux organismes concernés — M. Allmand a énuméré les différents ministères et organismes participant aux enquêtes liées à la sécurité nationale au Canada. C'est une façon de faire qui entraîne invariablement des guerres de clocher et qui laisse filer entre les mailles toutes sortes de détails. Nous ne pouvons tout simplement pas prendre ce risque.
Amnistie Internationale, de même que bien des organisations ayant contribué à l'enquête Arar, avait pressé le juge O'Connor d'aller plus loin dans son rapport en recommandant au gouvernement d'établir une institution officielle qui agirait comme organisme d'examen intégré pour toutes les entités en question. Il ne l'a pas fait et a plutôt décidé de conserver des organismes d'examen distincts. Toutefois, et c'est important, il a recommandé qu'un comité puisse coordonner et intégrer globalement la façon dont ces organismes sont examinés. C'est primordial, à notre avis.
M. Kafieh a parlé de l'incidence de l'absence de cette surveillance et du fait de n'avoir personne à qui s'adresser. Il a parlé de l'incidence, particulièrement, sur les Canadiens d'origine arabe et les musulmans qui ont l'impression de n'avoir personne vers qui se tourner. Ils ont de la difficulté à faire confiance à ces institutions. Ils n'ont pas cette surveillance indépendante.
Mais il y a le revers de cette médaille, et j'aimerais revenir avec des observations que vous avez faites, monsieur Heafey, qui me semblent extrêmement importantes et dont on ne parle pas assez — c'est-à-dire les avantages que présente l'organisme lui-même. Quand on parle de confiance du public dans une institution, s'il n'y a pas d'organe indépendant de surveillance, doté du plein pouvoir législatif de faire ce qu'il doit faire pour fouiller certains de ces dossiers de manière proactive, cela fait du tort à ces organismes, non? Vous avez parlé à propos du CSARS, mais il y a aussi la GRC.
Pensez-vous que si la GRC avait ce pouvoir, elle serait beaucoup plus solide en tant qu'organisme, et que l'opinion qu'en a le public serait beaucoup plus favorable? Peut-être pourriez-vous seulement en parler un peu.
Je crois sincèrement que la GRC serait un bien meilleur service de police si elle devait rendre des comptes.
Je vis actuellement l'expérience d'être la conseillère et la directrice des plaintes du public à la Calgary Police Commission. Je n'ai jamais besoin de perdre du temps à me débattre pour pouvoir faire mon travail. Ils sont là. Ils rendent des comptes. Il y a peu de temps, par exemple, nous avons fait un sondage, qui a conclu que le service de police de Calgary jouissait d'un taux d'approbation de 89 p. 100 de ses citoyens. Je trouve que ce constat en dit long. Je pense que n'importe quel service de police du pays aimerait beaucoup obtenir ce genre de résultat.
C'est le genre d'incidence qu'aurait l'obligation de rendre compte. Si on sait qu'on va être surveillé... et c'est ce qui est arrivé avec le SCRS. Quand ils ont compris que nous allions être là, que nous allions examiner leurs dossiers, que nous allions faire des vérifications, tout a changé. Je l'ai observé sur une période de cinq ans. Au moment où je suis partie, c'était un organisme tout à fait différent.
À mon avis, il ne fait aucun doute que la GRC serait un service de police plus fort et meilleur si elle devait rendre des comptes.
[Français]
Je dois dire qu'il est assez décourageant de vous entendre, même si je m'y attendais. Il est bien évident que nous avons insisté pour tenir ces audiences parce que nous étions parfaitement conscients que le degré de réalisation de ces recommandations était de 10 à 15 p. 100, et encore. Parmi les recommandations les plus claires, il y avait celle de reconnaître les torts causés à Maher Arar, et encore, c'était parce que c'était explicite. Je conviens parfaitement, comme vous, que si c'était explicite dans le cas de Maher Arar, cela n'avait pas besoin de l'être dans les trois autres cas.
Je reçois parfaitement le message voulant que la chose la plus importante à laquelle on devrait s'attaquer, la première de toutes et la plus significative, c'est la création d'un organisme de surveillance unifié, comme l'a recommandé le rapport Iacobucci. J'ai l'impression — et franchement je ne suis pas réputé pour être le plus partisan des politiciens, bien au contraire — que tant que le gouvernement actuel sera en place, bien peu de choses de plus seront faites pour mettre en vigueur des mécanismes qui apporteraient véritablement des changements. J'ai l'impression qu'il croit que la police et les services secrets ont une tâche à la fois difficile et essentielle — j'en conviens parfaitement — et qu'inévitablement, on doit utiliser des méthodes fortes qu'on ne peut dévoiler au public pour obtenir des informations d'un terroriste et qu'on doit faire des arrangements avec des pays qui ne partagent pas les mêmes idéaux que nous, mais dont les systèmes policiers sont plus efficaces.
Je ne sais pas vraiment par où commencer. J'aurais des centaines de questions à vous poser. Ce n'est pas tellement à vous qu'il faut les poser, mais plutôt au gouvernement. Les représentants du gouvernement vont nous répondre de la même façon, soit en disant qu'ils ont donné suite à 90 p. 100 des recommandations. Or, à l'examen des mesures précises de ces recommandations, on en conclura qu'à peu près rien n'a été fait.
Je poserai peut-être une question. J'ai vraiment très bien compris vos messages à tous et j'espère que le gouvernement les a compris aussi. Toutefois, j'ai l'impression qu'il n'a pas la volonté politique de les mettre en vigueur.
Monsieur Kafieh, vous parlez la langue et vous êtes représentant de communautés qui, j'en demeure convaincu, devraient collaborer avec les autorités canadiennes si on veut se protéger d'attaques terroristes. Il y a chez vous des gens qui parlent la langue, qui connaissent les habitudes, qui connaissent le milieu et qui, j'en suis convaincu, ne demanderaient pas mieux que d'aider la police si celle-ci avait à leur égard une attitude invitante.
Croyez-vous que je me fasse des illusions en pensant que certaines personnes dans vos communautés voudraient bien aider les policiers, mais hésitent à le faire parce que c'est un énorme risque à prendre? Par exemple, Adil Charkaoui, à Montréal, nous a raconté quelque chose qui, je l'espère, n'est pas courant. Ses problèmes ont commencé quand la police lui a demandé de collaborer et de donner des informations, ce à quoi il a répondu ne pas vouloir courir ces risques et ne pas détenir d'informations de toute façon. La police a réagi en lui disant qu'il allait voir ce qui allait se passer, et on a vu ce qui lui est arrivé.
Je ne sais pas s'il y a effectivement dans votre communauté un désir de collaborer avec la police, étant donné ces difficultés énormes. Pensez-vous que vous seriez bien reçus, si vous le faisiez?
[Traduction]
En principe, nous sommes absolument dévoués à la sécurité de ce pays. Nous sommes les premiers susceptibles d'être ciblés par une attaque terroriste. Nous la subirons, d'un côté ou de l'autre. Quand l'édifice Murrah d'Oklahoma a explosé, il n'a fallu que quelques minutes au commentateur de la télévision pour jeter le blâme sur les groupes du Moyen-Orient. Alors tout de suite, ils s'en sont pris aux Canadiens arabes et musulmans ou aux musulmans de l'Amérique du Nord. Ils ne l'auraient pas fait à d'autres groupes ethniques. Il s'est trouvé que le nom du coupable était McVeigh. Ils n'ont pas entrepris d'établir le profil des Canadiens d'origine irlandaise et écossaise portant des noms similaires. C'était quelque chose d'unique. C'est une forme d'antisémitisme contre les Sémites arabes et musulmans, qui est encore socialement acceptable au Canada. Alors il y a un problème véritable.
Pour ce qui est de la crédibilité, il y a un problème avec le SCRS. Par exemple, ils disent souvent aux gens qu'ils n'ont pas besoin d'avocat. Ils frappent à la porte et, en fait, surprennent les gens sur le seuil de leur porte avec des histoires qui ne sont tout simplement pas crédibles. Je pourrais vous en donner des détails, mais c'est comme s'ils faisaient un sondage sur le service à la clientèle au sujet de choses qu'a faites le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et il n'ont aucune raison d'aller frapper aléatoirement aux portes des gens auxquels ils s'adressent. Dans un cas particulier, ils sont allés voir un Canadien d'origine libanaise et lui ont dit qu'ils voulaient connaître son avis sur les efforts qu'a déployés le Canada pour évacuer les Canadiens d'origine libanaise en 2006 pendant la guerre entre Israël et le Hezbollah. Cet homme n'était pas du nombre de ces évacués. Sa famille n'en a pas été. Il n'avait rien à voir avec cela, et l'idée que le SCRS fasse ce genre de sondage n'était tout simplement pas crédible.
On entend aussi parler de situations, comme celle que vous avez décrite, où des Canadiens arabes et musulmans font face à des agents qui exploitent les stéréotypes de la police secrète pour forcer les gens à coopérer. S'ils ne coopèrent pas, il est clairement entendu qu'il y aura représailles, comme, par exemple, la suspension des vérifications en matière d'immigration de leurs proches. Ces dossiers sont bloqués pendant des années, et cela pose à certains d'énormes problèmes. Ce n'est rien qui stimule la confiance, quand la sécurité est ainsi traitée.
La communauté s'inquiète beaucoup, mais la plupart de ses membres affronteront encore le SCRS seuls, bien que je pense que ce ne soit pas une bonne idée. C'est un problème parce que le SCRS leur parlera et s'intéressera à eux soit parce qu'ils sont une source d'information, soit parce qu'ils présentent un risque pour la sécurité. Dans un cas comme dans l'autre, on ne sait pas ce qui peut advenir de nous, quand on éprouve de grands doutes et on se demande si l'agent que l'on trouve sur notre seuil est là dans notre intérêt et pour notre protection ou s'il vient recueillir des renseignements et ouvrir un dossier sur nous, lequel mettra notre vie en danger quand on voyagera à l'étranger. C'est donc une situation très difficile.
Dans notre brochure, nous disons surtout aux lecteurs dès le départ que s'ils apprennent quoi que ce soit qui pourrait faire peser une menace sur le Canada, ils devraient immédiatement en informer les autorités.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier tous les témoins qui sont ici aujourd'hui. Comme je suis nouveau à ce comité et bien de ces détails complexes sont nouveaux pour moi, pas seulement en ce qui concerne ce qui est arrivé à ces quatre personnes, mais aussi sur la réponse du gouvernement canadien, ou le manque de réponse, en dépit des recommandations insistantes — c'est assez choquant —, je pense que tous les Canadiens qui sont exposés à ces détails doivent se demander comment notre gouvernement a pu ne pas faire ce qu'il faillait pour regagner leur confiance.
Il me semble qu'il y a au moins deux ou trois questions générales qui doivent obtenir réponse, et peut-être pouvez-vous nous aider. Nous avons vu le modèle que propose le juge O'Connor comme une solution, en reconnaissant que le modèle du CSARS semble valable pour assurer la surveillance de la GRC, bien qu'il faudrait, comme l'a dit M. Allmand et aussi le juge O'Connor, conférer au CSARS de l'autorité sur d'autres organismes. Est-ce que ce modèle de CSARS est acceptable pour assurer la surveillance d'un organisme particulier ou est-ce qu'il pose, lui aussi, des problèmes? Je dis cela conscient de la possibilité qu'une instance de surveillance ne suffise pas à résoudre tous les problèmes, parce que M. Kafieh dit que le SCRS fait certaines choses en se fondant sur des preuves des plus minces et s'en prend à des gens en dépit du fait que nous avons un organe de surveillance, sous la forme du CSARS, pour ce qui est du SCRS. Alors je me demande si la surveillance résoudra vraiment tous nos problèmes, ou encore s'il y a d'autres problèmes auxquels il faudrait aussi s'attaquer?
Quelqu'un peut-il répondre à cela?
Eh bien, non, il faut la mise en oeuvre de 23 recommandations, en plus de l'instance d'examen exhaustif.
La coalition de surveillance des libertés civiles, comme Amnistie International, propose quelque chose de plus vigoureux que ce qu'a suggéré le juge O'Connor. Nous avons eu l'impression qu'ils avaient besoin d'un organe d'examen exhaustif capable de surveiller n'importe lequel des organismes susceptibles de participer à des opérations concertées.
Actuellement, ces divers organes d'examen sont dirigés comme une instance unique. Il y a les nombreuses nouvelles opérations concertées, les équipes intégrées de la sécurité nationale, l'approche intégrée, à laquelle participent non seulement les organismes fédéraux... Le juge O'Connor a constaté que 24 organismes fédéraux participent directement ou indirectement aux activités de sécurité et de renseignement, mais maintenant, avec ces équipes intégrées, ils travaillent en plus avec les services policiers municipaux et provinciaux. Alors quand des erreurs sont faites et qu'il y a trois instances d'examen, dotées de pouvoirs différents, et qu'elles doivent se concentrer sur un seul organisme, comment peuvent-elles réellement connaître la vérité sur ce qui était une opération intégrée? C'est là le problème.
Il faut à tout le moins ce qu'a proposé le juge O'Connor, ce comité qui ferait une surveillance exhaustive du secteur général de la sécurité et recevrait les plaintes. Il souligne que les plaintes devraient être adressées à ce comité. Quand quelque chose lui arrive, le citoyen ne sait pas si c'est l'oeuvre de la GRC, du SCRS, de la Police provinciale de l'Ontario ou de l'Agence des services frontaliers du Canada. Le citoyen adresserait sa plainte à cet organe de surveillance, et ce nouvel organe, qui serait doté de pouvoirs d'assignation à témoigner, etc., déterminerait si la plainte doit être transmise à la GRC, etc.
L'autre chose importante, c'est que cet organe d'examen doit non seulement être habilité à composer avec les plaintes, mais aussi à entreprendre des vérifications quand il semble y avoir un problème systémique au sein de l'organisme. Le CSARS a ce pouvoir, mais pas la CPP. Quand le juge Antonio Lamer, qui était le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada a quitté son poste, il a aussi dit qu'il ne jouissait pas des pouvoirs nécessaires pour s'acquitter de sa tâche. Plus récemment, son remplaçant, je crois, a dit la même chose dans son rapport annuel.
Il faut un organisme d'examen exhaustif et global doté des pouvoirs nécessaires pour recevoir les plaintes et mener des vérifications portant sur l'intégralité du secteur. La raison pour laquelle le juge O'Connor a si bien réussi à aller au fond de l'affaire Arar, c'est qu'il pouvait fouiller partout. Il avait le plein pouvoir d'assignation à témoigner, et il pouvait traiter de certains sujets à huis clos. Il a reçu les réponses. Cependant, aucun des organes d'examen actuels n'a ces pouvoirs.
Le juge O'Connor propose que nous établissions cette structure, avec les trois organismes, plus un comité pour les chapeauter. Mais c'est le minimum. On pourrait même aller plus loin si on voulait un type d'organisme qui soit plus efficace.
Je vous remercie.
D'aucuns ont laissé entendre que le gouvernement du Canada a besoin d'observer des organismes dans le monde entier pour s'en inspirer avant de décider du type d'organe de surveillance qu'il doit mettre en place. J'en suis un peu étonné, parce qu'il me semble que le juge O'Connor a fait un examen très exhaustif.
Monsieur Neve, qu'en dites-vous?
Ce que j'en pense, c'est que se serait un objectif très louable, mais cela a déjà été fait. Le juge O'Connor en a fait un élément central de sa démarche en vue de déterminer quel serait le mécanisme d'examen le plus approprié pour le Canada. Il s'es appuyé sur l'expertise de plusieurs autres pays. Ses collaborateurs ont été dans d'autres pays faire des recherches sur le sujet. C'est donc déjà fait, et ses conclusions ont un rôle central dans le type de recommandation fait.
Peut-être n'est-ce pas quelque chose dont devrait s'occuper un organisme d'examen, mais qui fait partie d'une culture ou des opérations de ces organisations.
Monsieur Kafieh, vous avez parlé d'agents du SCRS qui se présentent à votre porte, et j'ai lu le livre de M. Pither, qui parle, par exemple, de surveillance et de filature. Ils semblent avoir des ressources inépuisables pour filer des gens, en se fondant sur les preuves les plus vagues. Est-ce que cela pourrait être évité? Est-ce qu'un organe de surveillance y fait quoi que ce soit, ou pourrait-il y avoir un autre problème?
Si des ressources sont gaspillées parce qu'on file des gens sans motif, on ne fait pas son travail correctement; on ne protège pas les Canadiens. Si on file des gens sans avoir de solides raisons de le faire, on gaspille les ressources du renseignement de sécurité du pays. En quoi cela assurera-t-il mieux notre sécurité?
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins, tant pour leur passion que pour leur expertise.
Monsieur Neve, vous avez entamé votre exposé en disant que les pays ont le devoir positif de préserver les droits de la personne. Je suis évidemment tout à fait d'accord avec cette prémisse, comme le sont tous les membres du comité, j'en suis sûr, des deux côtés de la Chambre. Cependant, l'un des mécanismes primordiaux dont j'ai entendu parler dans toutes vos présentations concerne la surveillance civile. Nous avons entendu parler de différents enjeux au sujet du manque perçu de surveillance. Nous avons aussi entendu M. Kennedy, de la Commission des plaintes de la GRC, qui a parlé des contraintes législatives et budgétaires, du manque du financement nécessaire pour que cet organe de surveillance puisse s'acquitter correctement de sa tâche. M. Holland, à en juger par ses questions, semble tout à fait d'accord avec M. Kennedy.
Ce que je ne comprends pas, cependant, c'est que cette surveillance civile, de par sa définition et de par la manière dont elle est établie, fait un examen après le fait, ce qui n'est pas très différent de la manière dont les deux enquêtes judiciaires se sont déroulées, ni de ce que nous faisons ici aujourd'hui. Nous analysons ce qui est arrivé, ce qui a mal été, des mois et des années après les événements. Si ces comités de surveillance étaient intégrés, et s'ils avaient tout le financement dont ils ont besoin, en quoi cela empêcherait-il une situation particulière, dans l'immédiat? La décision concernant ces quatre personnes ne s'est pas prise en des semaines, des mois ou des années; elle a été prise en quelques minutes, ou en tout cas en quelques heures. Alors comment un comité de surveillance pourrait-il — s'il y était habilité, comme vous le prônez — empêcher les malheureuses situations dans lesquelles se sont trouvées ces quatre personnes?
J'aimerais que M. Neve, et peut-être M. Allmand, puissent me répondre.
Je vais suggérer deux éléments fondamentaux de réflexion, mais peut-être les autres témoins voudront-ils ajouter quelque chose. Le premier concerne le pouvoir de dissuasion. S'il commence à être connu que ces instances existent et que, même si c'est après coup, elles vont faire un examen approfondi de ce qui s'est passé dans un cas particulier et qu'elles prendront des mesures, cela aura un pouvoir de dissuasion. Cela dissuadera des abus, et cela engendrera aussi l'établissement de pratiques exemplaires. Les déraillements, dans certains dossiers, ne viennent pas toujours de ce qu'il y a des gens qui cherchent à enfreindre les droits de la personne. Je pense que nous espérons tous et nous nous attendons tous à ce que, dans un contexte canadien, ce soit loin de ce qui se passe normalement. C'est souvent attribuable au manque d'encadrement, à une formation déficiente, à des politiques inadéquates mises en vigueur. Avec un examen continu, ces lacunes peuvent être circonscrites et on peut y remédier. Donc, il y a l'élément de dissuasion.
L'autre élément, c'est que nous devons reconnaître que, malheureusement, bon nombre de ces situations ne se jouent pas en une fin de semaine, ou même en quelques courtes journées. Toute les situations que vous examinez se sont déroulées sur de longs mois. Donc, s'il avait clairement existé un endroit où s'adresser, pour les proches, par exemple, un, deux, quatre ou cinq mois après le déclenchement de ces tragédies, il aurait pu y avoir moyen de faire intervenir un organe d'examen qui se serait penché sur le dossier, même alors que la situation se déroulait encore. Cela n'aurait peut-être pas empêché l'arrestation et la détention initiales, mais ç'aurait été une occasion de cerner des pratiques erronées qui prolongeaient la détention, ce qui aurait pu mettre un terme plus tôt à ces tragédies.
L'organe que propose le juge O'Connor ferait deux choses: il recevrait les plaintes et ferait enquête sur elles, et il aurait le pouvoir d'effectuer des vérifications. Je suis d'accord avec Alex que l'existence d'un tel organe, doté de pleins pouvoirs, aurait un effet de dissuasion. Shirley Heafey a souligné qu'à Calgary, comme la police est consciente de son propre manque d'efficacité, elle collabore et en tire un taux d'approbation élevé. Si l'organe apprenait que la GRC communique encore des renseignements sans restriction, il pourrait entreprendre lui-même une vérification, sans attendre qu'une plainte ait été formulée. Ainsi, il pourrait savoir exactement ce qui se passe en ce qui concerne le partage de renseignements, et aussi les processus de vérification de l'exactitude et la pertinence, en matière d'étiquetage.
C'est pourquoi ce n'est pas que l'organisme qui est important, mais aussi la mise en oeuvre des 23 recommandations. Bien que nous ayons la lettre du ministre Van Loan disant que 22 des 23 recommandations ont été mises en oeuvre, on n'y trouve rien disant... Je pense que les députés et le public ont besoin de savoir exactement ce qui se passe avec les recommandations, s'il faudrait en vérifier ou examiner la pertinence et l'exactitude. Comment allons-nous nous assurer de ne pas apposer à des gens l'étiquette d'extrémiste islamique quand ils ne le sont pas?
Alors ce n'est pas que l'examen; c'est aussi les 23 recommandations. C'est très important.
À ce propos, au sujet de l'échange de renseignements — et les 24 organismes canadiens qui les échangent — j'ai entendu plusieurs témoins — surtout vous, monsieur Allmand — dire que dans ces quatre cas, cet échange a contribué à leur malheur.
Alors je suis curieux de savoir si ce partage de renseignements ne prévient pas, à l'occasion, la transmission de renseignements erronés? Par exemple, si un organisme policier possédait des renseignements sur une personne — et je pose cette question de façon tout à fait hypothétique, sans rapport avec ces quatre personnes — et les autres organismes n'étaient pas en mesure de confirmer ou d'étayer ces renseignements, est-ce que le partage des renseignements entre les organismes pourrait, peut-être, résoudre un problème plutôt que de contribuer à un problème?
Le juge O'Connor ne l'a pas constaté, et il a examiné tous les éléments. Il a découvert, par exemple, qu'une fois que le Canada a étiqueté M. Arar et son épouse comme des islamistes extrémistes associés à al-Qaïda, et que ce renseignement a été transmis aux États-Unis, les Américains qui ont reçu ces renseignements s'y sont fiés.
Il y en a eu d'autres. Je tiens à préciser que ce n'est pas le seul faux renseignement qui ait été transmis au sujet de M. Arar. C'est donc très difficile, par exemple, pour ces forces policières. Quoi qu'il en soit, cela ne sert à rien.
Ce n'est pas moi qui ai fait cette enquête; c'est le juge O'Connor. Elle lui a pris trois ans, et il en conclut qu'il nous faut un organe d'examen exhaustif. Nous avons tous travaillé sur le terrain comme des intervenants, et nous appuyons fermement cette conclusion.
Je voudrais seulement ajouter, brièvement, que l'une des recommandations qu'a faite le juge O'Connor était de corriger les renseignements erronés qui avaient été communiqués au sujet de M. Arar, et que les mises en garde qui n'ont pas été faites relativement à ces renseignements qui ont été transmis, le soient maintenant. Il en est de même des autres dossiers, et je pense que ce serait un exemple de la manière dont, avec les mesures appropriées de contrôle et ce mécanisme d'examen et de vérification continus, le partage de renseignements pourrait, de fait, avoir l'effet que vous proposez et corriger les inexactitudes. Ce n'est certainement pas ce qui est arrivé. Comme l'a souligné M. Allmand, le juge O'Connor n'a vu rien de tel. Et jusqu'à maintenant, nous n'avons aucun exemple concret de l'adoption de ces mesures, si elles ont été adoptées, au sujet de M. Elmaati, M. Almalki et M. Nureddin, en dépit de constats...
Je pense que ce qui est arrivé à la famille de M. Almalki, plus tôt ce mois-ci, montre que les faux renseignements et ces allégations, qui étaient sans fondement — et qui sait la nature des allégations faites contre sa famille — continuent de maintenir sa famille sur ces listes.
Alors vous avez raison, c'est un rôle important que doivent jouer les organismes, avec des mécanismes appropriés de surveillance en place. J'ajouterais seulement, comme je l'ai dit dans ma présentation, et comme l'a soulevé M. Neve, et d'ailleurs aussi le juge O'Connor, que l'élément de dissuasion est important. Les agents et les fonctionnaires doivent s'attendre à ce que la légitimité de leurs actes fasse l'objet d'un examen. L'existence de cette attente fait partie intégrante de sa vision, relativement aux 23 recommandations.
Je vous remercie.
Merci à tous, non seulement pour aujourd'hui, mais pour tout ce que vous avez fait.
Cette question pourrait s'adresser à vous tous. À quelle fréquence est-ce que vous priez, où priez-vous et avec qui priez-vous, et où allez-vous après la prière? Vous pouvez tous y répondre.
J'aimerais répondre à cette question.
Le fait est que j'ai récemment vécu l'expérience avec le CSARS. J'ai laissé faire, en partie parce qu'une personne, pendant une entrevue d'évaluation, s'est fait poser des questions sur ses opinions personnelles. C'est un Canadien d'origine arabe, un travailleur à l'aéroport, et on lui a demandé « Que pensez-vous de l'autorité palestinienne? Pourquoi, à votre avis, n'a-t-elle pu instaurer la paix, ou pensez-vous qu'elle sera un jour capable de l'instaurer? Pensez-vous qu'il soit acceptable que le gouvernement décrive certains organismes comme étant des organisations terroristes? »
Cette personne ne postulait pas à un emploi d'analyste de politique étrangère. C'était un représentant au service de la clientèle pour une grande compagnie aérienne. C'était son travail. Ce qui était intéressant — et il y a un rapport avec cette affaire de compartimentalisation — c'est que nous avons soutenu que c'était une infraction à l'article 2 de la Charte. Ils ont le droit d'avoir ces croyances, dans la mesure où elles restent dans les limites de la légalité. Il n'y a pas de corrélation entre le fait d'avoir ces croyances et la criminalité.
Le gouvernement a soutenu devant le CSARS que celui-ci n'était pas habilité à traiter de la Charte, qu'il devait se limiter à examiner les lois habilitantes particulières concernant le CSRS, et que la nécessité d'examiner les croyances politiques relève de la politique de la sécurité publique et que c'est l'affaire du Conseil du Trésor, et que le CSRS n'a pas compétence pour examiner quoi que ce soit qui émane du Conseil du Trésor.
C'est donc que cette compartimentalisation est exploitée. C'est pourquoi il faut un organisme d'examen de surveillance générale pour examiner toutes ces choses.
La question que vous avez posée concerne l'entendement des pratiques religieuses de divers groupes religieux au Canada, particulièrement les musulmans. Le juge O'Connor a dit que le groupe A-O Canada qui enquêtait n'avait pas reçu une formation appropriée et n'avait pas l'expérience nécessaire pour faire ce genre d'enquête. C'est pourquoi la Commission McDonald, en 1981, avait recommandé que la GRC sorte du domaine de la sécurité et du renseignement et crée un nouveau groupe. On recruterait et on formerait des gens qui auraient les études et les antécédents nécessaires, qui connaîtraient les dossiers internationaux, qui connaîtraient les différentes cultures des différents groupes au Canada, et qui connaîtraient les pratiques religieuses et les comprendraient.
Les gens de la GRC sont très compétents pour faire des enquêtes policières, faire respecter la loi, assurer l'ordre dans les provinces, etc., mais en ce qui concerne la sécurité et le renseignement, ils n'ont pas la formation et les antécédents nécessaires pour évaluer ce qui est vraiment important ou non. Ils demandent aux gens, par exemple, s'ils vont à la mosquée et pourquoi ils prient. Cela devient quelque chose de suspect. On en revient à la recommandation, l'une des 23 recommandations, au sujet de la formation et du recrutement pour faire le travail de sécurité et de renseignement.
Je ne voudrais certainement pas banaliser la question. J'en traite tous les jours, en ma qualité de député de Don Valley Ouest. J'ai affaire tous les jours à des gens qui rencontrent des agents du SCRS qui, franchement, je pense, ont trop de temps pour faire ce qu'ils font. C'est un problème opérationnel.
J'aimerais revenir sur ce que disaient MM. Harris et Rathgeber. Ne vous méprenez pas, je suis tout à fait d'accord avec MM. O'Connor et Iacobucci, et pour l'intégration des recommandations de M. Iacobucci à celles de M. O'Connor. La surveillance est absolument indispensable, mais il faut aussi que les pratiques exemplaires et les principes opérationnels découlent d'un entendement des droits de la personne et des droits civils. Nous ne pouvons pas attendre qu'une erreur soit commise.
Ce ne sont pas des incidents malheureux. Ils ne sont pas malheureux; ils sont aberrants. J'aimerais seulement que vous nous disiez — n'importe qui — quelles sont les pratiques exemplaires et les principes, mise à part la surveillance, qu'il faut adopter pour garantir la protection des droits de la personne au jour le jour, que ce soit par le CSARS, le SCRS, la GRC ou tout autre des 21 autres organismes.
M. Van Loan vous a écrit une lettre, et j'aimerais beaucoup que notre comité en ait une copie. Il nous faut cette lettre.
Au sujet des pratiques exemplaires, que pouvez-vous ajouter?
Le président: Nous avons une minute.
Je sais que vous avez dit de mettre de côté la surveillance, mais je veux simplement signaler que, dans la recommandation 3c) sur la formation, le juge O'Connor préconise que les organismes de surveillance revoient périodiquement les programmes de formation et en évaluent la pertinence à la lumière des plaintes et des examens reçus.
M. Harris a demandé ce que cette pratique aurait changé alors. Lorsqu'on lui a rendu visite, on a demandé à M. Elmaati combien de fois il priait, on l'a menacé en utilisant le terme « torture » en arabe et il a été suivi à un moment donné par 14 voitures un peu partout dans Toronto. Des allégations ont paru dans les médias. Il a essayé en vain de contacter le SCRS. Si un tel organisme de surveillance avait existé à l'époque — c'est un de vos électeurs et il habite dans votre circonscription —, il aurait pu y déposer une plainte, qui aurait entraîné un examen des activités opérationnelles quotidiennes des agences en question. Je ne pense pas que vous puissiez établir une distinction entre ces deux questions. Cependant, il est important de se pencher sur les pratiques.
Moi aussi, je dirais que la formation est fondamentale. On ne saurait trop insister sur son importance par rapport aux droits de la personne et aux libertés civiles. Nous avons constaté à maintes occasions que, indépendamment du contexte, les ministères et organismes du Canada et des autres pays n'accordent qu'une heure de formation sur les droits de la personne à la toute fin du cours qu'ils offrent à leurs fonctionnaires et agents.
Il faut que les droits de la personne fassent partie intégrante de la formation générale donnée. C'est ce qui donne la meilleure formation possible sur les droits de la personne. Qu'il s'agisse de formation opérationnelle ou de formation sur les différents scénarios, les droits de la personne en constituent une partie essentielle. Je reviens au point important soulevé par Mme Pither sur le lien entre les autres recommandations d'une part et l'organisme de surveillance ainsi que la nature de ses pouvoirs de vérification d'autre part. Quel est l'état de la formation? Celle-ci est-elle pertinente? Faudrait-il l'améliorer?
Je suis désolé, mais nous allons manquer de temps.
Monsieur Kafieh, pourriez vous répondre en 15 secondes?
Il faut changer la culture au sein de ces organisations. D'après le rapport Iacobucci, l'important pour elles, ce n'est pas la façon dont les renseignements sont obtenus ni leur source, c'est leur utilité.
Et je vous donne un exemple à propos de la culture. L'une des raisons pour lesquelles des soupçons ont pesé sur Ahmad Abou-Elmaati, c'est qu'il avait un guide sur les libertés civiles indiquant comment se comporter lorsque le SCRS appelle, guide que nous distribuons à très grande échelle.
Merci, monsieur le président. Merci, chers collègues.
Mon ami, M. Ménard, est généralement très impartial, et j'apprécie habituellement ses commentaires. À propos de la volonté de notre gouvernement actuel dont il a parlé, j'aimerais poser quelques questions susceptibles de faire ressortir qu'il s'agit de problèmes de longue date — ils ne sont pas survenus au cours des trois dernières années. Ces problèmes avaient déjà été soulignés.
Madame Heafey, vous avez dit que vous avez été commissaire aux plaintes pendant huit ans et que, pendant cette période, vous avez signalé plusieurs de ces problèmes à des députés et à des ministres. Je pense que vous avez indiqué que rien n'a changé et que, en fait, des obstacles s'étaient dressés. Vous avez ajouté avoir fait appel aux tribunaux à deux occasions au moins.
Je ne devrais peut-être pas vous poser cette question, étant donné que vous n'occupez plus ce poste depuis 2005, mais je pense qu'on peut dire à juste titre que le gouvernement actuel n'a dressé aucune barrière. Je voudrais aussi faire valoir que des changements ont été apportés, et j'en suis convaincu à la lecture de la réponse que la GRC a formulée au rapport O'Connor et que notre comité a reçue — je ne suis pas sûr que mes collègues en aient fini la lecture. De toute façon, pendant votre mandat de huit ans, c'est un autre gouvernement qui était au pouvoir et qui, d'après vous, aurait dressé des obstacles.
Il n'a pas dressé d'obstacles comme tels. Il ne m'appuyait tout simplement pas dans mon travail, face aux difficultés que j'affrontais. J'ai soulevé ce problème dans de nombreux rapports annuels et j'ai aussi essayé d'en faire part aux députés. Le gouvernement n'appuyait pas la commission. En fait, ce n'était pas uniquement le gouvernement, puisque je me suis adressée en vain à des députés pour obtenir leur appui. Les choses étaient très difficiles. Je n'ai reçu aucun soutien.
Beaucoup de choses sont survenues... Vous savez maintenant ce qui est arrivé dans le cas de l'ancien commissaire Zaccardelli et toutes les circonstances de cette affaire. Puisque, quotidiennement, je traitais les plaintes et travaillais avec le commissaire à divers dossiers, il est devenu évident que, pour toutes sortes de raisons, la situation deviendrait explosive. J'ignorais quand elle le deviendrait, mais je savais qu'elle le deviendrait. J'ai surtout essayé d'empêcher cela en soulevant le problème dans mon rapport annuel. Je ne l'ai pas fait d'une façon explicite, mais j'en ai parlé d'une façon explicite à des députés et à des ministres. J'espérais que quelqu'un finirait par trouver le courage de dire à la GRC que ça suffisait, avant que la situation ne devienne explosive.
J'ajouterais simplement que ces problèmes sont toujours présents et que l'affaire Abdul Razzak en fait naître de nouveaux. Je ne pense pas que l'important soit de déterminer quel gouvernement a pris les bonnes mesures ou les mauvaises mesures. Le gouvernement précédent a créé une commission d'enquête publique sur l'affaire Arar, et votre gouvernement a également ordonné des enquêtes qui n'étaient pas complètement publiques sur d'autres affaires. Votre gouvernement a posé un geste très important en présentant des excuses à M. Arar.
L'important n'est pas de déterminer quel parti ou quel gouvernement a fait quoi. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est que le gouvernement, quel qu'il soit, ait le courage de prendre les mesures qui lui ont été recommandées, notamment dans les rapports de deux enquêtes judiciaires et, comme l'a signalé M. Neve, par les Nations Unies ainsi que par la Commission internationale de juristes. Ce sont des mesures essentielles qu'il faut mettre en oeuvre, quel que soit le gouvernement au pouvoir.
C'est juste. Je voulais simplement signaler que je crois que notre gouvernement apportera les changements nécessaires, contrairement à ce que pense mon bon ami de l'autre côté.
Monsieur Allmand, vous avez été solliciteur général dans les années 1970. Je pense que vous l'avez précisé ce matin. À cette époque, de quelles agences étiez-vous responsable à titre de solliciteur général?
J'étais responsable de la GRC, de la Commission nationale des libérations conditionnelles, du Service correctionnel du Canada et du Service de sécurité de la GRC, parce que...
Effectivement.
Naturellement, pendant mes quatre années à titre de solliciteur général, j'ai été témoin d'erreurs commises par le Service de sécurité, notamment des désignations erronées. Je pourrais relater au comité les nombreuses fois où nous avons fait face à des problèmes à cause de désignations erronées. Nous avons essayé de corriger le tout, mais l'époque était différente. Nous avons pris des mesures pour remédier à la situation.
C'est après mon affectation à titre de solliciteur général, que la GRC a été impliquée dans l'incendie de granges et le vol des documents de l'APLQ. Une enquête a été instituée dans les années 1980 sous la présidence du juge McDonald de l'Alberta. Celui-ci a recommandé que la GRC s'en tienne à la lutte contre les infractions pénales, qu'elle ne s'occupe plus de la sécurité et qu'une nouvelle agence soit créée, ce qui fut fait par le gouvernement de M. Mulroney en 1984.
Très bien.
Lorsque vous étiez solliciteur général et responsable de la GRC, demandait-on la création d'une organisation de surveillance civile? Car je me rappelle et je sais très bien que les services policiers municipaux étaient assujettis à une surveillance civile au Canada. Demandait-on alors que la GRC soit assujettie à une telle surveillance civile?
Non. À l'époque où j'étais solliciteur général, il était surtout question de la possible syndicalisation à la GRC. C'est ce qui a retenu notre attention pendant plusieurs années. Des efforts considérables ont été déployés en ce sens, particulièrement par les agents de la GRC en Ontario. Le principal dossier, c'était la syndicalisation. Pendant mon mandat, nous avons finalement établi le Programme des RRF. Ce n'était pas tout à fait un syndicat, mais il permettait de représenter les agents de la GRC.
En outre, nous étions aux prises avec de nombreux problèmes à cause des mesures disciplinaires prises à l'encontre d'agents de la GRC qu'on affectait dans les Territoires du Nord-Ouest ou dans un endroit analogue lorsqu'ils ne faisaient pas exactement ce que... Nous avons donc établi un nouveau programme, qui est encore en vigueur, pour examiner les mesures disciplinaires contre les agents de la GRC. Cependant, il n'y avait alors aucun problème majeur nécessitant un tel mécanisme de surveillance.
En passant, le comité parlementaire dont je faisais partie s'intéressait de près à la GRC dans le cadre de l'examen du budget des dépenses. Lorsque je suis devenu solliciteur général, j'ai souvent été convoqué par le comité. Je pense qu'il s'agissait du Comité de la justice. Il n'y avait pas de comité de la sécurité publique. Cependant, nous étions convoqués assez souvent au sujet de diverses questions.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Bonjour, messieurs et mesdames. Vous nous avez livré beaucoup d'information. Plusieurs questions ont été posées. À mon tour, j'aurais deux petites questions à vous poser.
Le 5 mars dernier, Mme Susan Pollak, directrice exécutive du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, est venue au comité. Je lui ai demandé si le SCRS avait utilisé ou s'il utilise toujours des informations obtenues par la torture. Elle m'a répondu, un peu timidement selon moi, que le SCRS utilise à l'occasion de l'information obtenue sous la torture.
J'aimerais savoir si vous avez de l'information qui peut nous confirmer que, malgré les rapports émis et les recommandations qui n'ont pas encore été mises en place, le SCRS ou la GRC utilisent encore dans leurs analyses, à l'occasion ou régulièrement, des informations obtenues sous la torture. Ce faisant, ces agences procèdent-elles à une sous-traitance de la torture?
[Traduction]
Je ne peux vous donner d'exemples précis — voici les renseignements obtenus sous la torture et utilisés par le SCRS —, mais je peux certes dire que vous avez raison: nous n'avons jamais entendu de dénonciation claire de la torture par le SCRS. On a plutôt répondu qu'on ne se servait pas des renseignements ainsi obtenus à moins de s'assurer qu'ils étaient confirmés ou corroborés par une autre source d'information.
C'est très préoccupant. Nous avons tous à coeur, je pense, l'éradication de la torture dans le monde. L'une des solutions primordiales pour y parvenir, c'est de s'assurer que le tortionnaire ne pourra pas trouver de clients, en ce sens que les renseignements qu'il aura soutirés ne trouveront pas preneur. Personne n'en voudra.
Les services responsables de la sécurité et du renseignement cautionneront la torture tant qu'ils accepteront les renseignements qui sont obtenus par ce moyen et dont ils disent qu'ils ne s'en serviront pas à moins d'avoir obtenu corroboration d'une autre source. Le tortionnaire en déduit donc qu'il peut poursuivre son travail. Il faut, de la part de nos services responsables de la sécurité et de l'application des lois, une dénonciation sans équivoque de l'utilisation des renseignements obtenus sous la torture, quelles que soient les circonstances.
[Français]
À votre avis, est-ce une sous-traitance de la torture? Au Canada, il est illégal de torturer des détenus pour obtenir de l'information. Est-ce une façon détournée d'obtenir de l'information? Selon vous, s'agit-il de sous-traitance de la torture, en fait? D'une certaine manière, ces agences ne mettent-elles pas en danger la sécurité nationale du Canada en utilisant des informations obtenues sous la torture qui, comme on le sait, sont faussées? La personne torturée dira tout ce qu'on veut entendre d'elle, voire n'importe quoi.
[Traduction]
Tout à fait. Bien des motifs nous amènent à nous opposer fermement à l'usage de la torture lors d'un interrogatoire, le premier étant que qu'elle est tellement répugnante. Elle est carrément illégale, et elle ne devrait jamais être autorisée, quelles que soient les circonstances. Et il y a un aspect très pratique: les renseignements obtenus sous la torture ne sont pas dignes de foi. L'usage et le soutien de la torture font de plus en plus de victimes; ils favorisent la marginalisation et le ressentiment, ce qui attise l'insécurité. La torture dessert la justice, mais elle dessert encore beaucoup plus la sécurité.
Je ne sais pas si tous sont au courant que, si vous regroupez les recommandations des rapports des juges O'Connor et Iacobucci... Le juge Iacobucci a confirmé nos doutes selon lesquels les aveux de M. Elmaati ont été transmis au Canada et sont devenus le fondement justifiant les mandats de perquisition aux résidences familiales de MM. Elmaati et Almalki. Le fruit de ces perquisitions a fait naître de nouvelles questions, qui ont été envoyées aux tortionnaires pour qu'ils les posent à MM. Elmaati et Almalki. Lorsque la GRC a présenté une demande de mandat de perquisition, elle n'a pas informé le juge que les renseignements étaient peut-être obtenus sous la torture. Par la suite, les réponses obtenues lors de ces interrogatoires ont été transmises au Canada et ont fait l'objet de fuites dans les médias, ce qui a entraîné d'autres répercussions. Je crois donc que la torture engendre la torture, mais également des pratiques fort peu rigoureuses.
Je voudrais remercier les témoins de leur présence ici, aujourd'hui.
Nous devons être constamment sur nos gardes pour nous assurer que les droits de la personne et les libertés civiles sont protégés.
Je dois admettre que, lorsque vous avez lu vos déclarations au début, je me suis mis à penser que le Canada se trouvait dans une situation fort précaire par rapport aux autres pays et que nous devrions en avoir honte. Puis, au fur et à mesure de vos exposés, ma première impression a changé.
J'observe la situation dans le reste du monde. Nous écoutons les actualités. Nous voyons ce qui se passe en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Les Canadiens ne devraient pas se reposer sur leurs lauriers. Ils devraient écouter les gens de coeur comme vous et tenir compte de leurs antécédents et de leurs préoccupations. Par contre, je pense qu'il faut dire également — et vous me corrigerez si je me trompe — que notre pays respecte assez bien la primauté du droit et les droits de la personne. Nous pouvons compter sur la Charte des droits et libertés, ce que bien des pays n'ont même pas. Nous sommes dotés d'une constitution, ce dont est dépourvue la mère de notre institution parlementaire. D'après vous, comment le Canada se compare-t-il par rapport aux autres démocraties occidentales? Selon vous... Vos réponses devront être brèves. Où nous situons-nous? Nous devons savoir le rang que nous occupons dans le palmarès des droits de la personne, si vous me permettez l'expression.
Le palmarès des droits de la personne, c'est une belle expression.
Nous ne dirions pas que nous arrivons bons derniers. Je ne pense pas que nous puissions présumer que nous sommes au premier rang. Il faut tenir compte de deux facteurs.
Premièrement, il faut donner suite à toute violation des droits, que ce soit un cas isolé ou un exemple symptomatique d'un problème plus systémique. Les victimes méritent que justice soit faite, et il faut procéder à toute réforme nécessaire afin qu'il n'y ait pas d'autres victimes ultérieurement.
Deuxièmement, il est primordial que les Canadiens s'attaquent scrupuleusement à ce genre d'injustice car ils veulent que la voix de leur pays continue d'être entendue haut et fort sur la scène internationale. La meilleure façon d'y parvenir, c'est de montrer comment nous nous attaquons à ce problème chez nous, de sorte que, lorsque nous dénonçons les violation des droits de la personne dans d'autres pays, notamment en matière de sécurité nationale, nous pouvons le faire la tête bien au haute.
Je voudrais ajouter que, lorsque j'étais président du Centre international des droits de la personne, j'ai essayé à un moment donné de convaincre le gouvernement péruvien, dirigé à l'époque par M. Fujimori, d'améliorer sa situation en matière de droits de la personne, et on m'a répondu: « Vous ne les respectez pas au Canada. Ne venez donc pas nous dire quoi faire. »
Je pense que nous dépassons bien des pays, mais que nous devons corriger bien des lacunes. Par exemple, les autres pays sont au courant de l'affaire Arar, de ce qui a été dévoilé par le juge Iaccobucci et des problèmes liés au certificat de sécurité. Nous pourrons difficilement promouvoir le développement démocratique ailleurs si nous ne nous attaquons pas sérieusement aux problèmes que nous éprouvons chez nous, parce les autres pays nous reprocheront nos problèmes lorsque nous leur ferons part des leurs.
Merci, monsieur Allmand.
Je voudrais vous poser quelques autres questions sur l'époque où vous étiez solliciteur général. Si je me souviens bien, la commission Marin s'est alors penchée sur les mesures disciplinaires, les griefs et les plaintes. La commission Marin n'a-t-elle pas proposé la création du poste de surveillant du peuple, ce qui équivaudrait aujourd'hui au poste de responsable de la surveillance civile? Quelle stratégie votre gouvernement et vous avez-vous adoptée?
Si je me souviens bien, nous avons constitué la commission Marin essentiellement pour examiner les plaintes des agents et les mesures disciplinaires prises à leur encontre. Cette commission remonte à 30 ans. Je suis davantage au courant des dossiers plus récents.
La commission Marin a donné de bons résultats, et nous avons créé, avec l'assentiment des hommes et des femmes faisant partie de la GRC, le Programme des RRF qui permettait d'examiner les préoccupations des agents. Il n'était cependant pas question de plaintes de la part du public à cette époque.
Corrigez-moi si je fais erreur, mais en réponse à une question posée — peut-être par mon collègue, M. MacKenzie —, vous avez répondu que le CSARS a été créé en 1986 pour surveiller les activités de renseignement, n'est-ce pas?
C'est plutôt en 1984. La commission McDonald a présenté son rapport en 1981, et il a fallu un certain temps avant que le gouvernement n'y réponde. En fait, il y a eu un changement de gouvernement en 1984. Le tout a été entrepris sous le gouvernement Trudeau de 1980 à 1984, année où M. Mulroney a pris le pouvoir et où la loi a finalement été adoptée. Tout cela a nécessité plusieurs années. Je siégeais au Comité de la justice à l'époque.
Merci.
Madame Heafey, j'ai bien aimé votre comparaison concernant Calgary, la GRC et l'organisme de surveillance civil. Vous estimiez que les gens de Calgary étaient mieux servis avec un organisme de surveillance.
Vous avez été particulièrement cinglante à l'endroit de la direction de la GRC. Comment expliquez-vous qu'un bon agent devienne un mauvais gestionnaire lorsqu'il est promu à un poste de la direction de la GRC? Pourriez-vous nous donner des précisions?
Ce n'est pas très difficile à expliquer, d'après ce que j'ai pu constater. Essentiellement, les gens deviennent policiers pour les mêmes raisons. Ils veulent faire le bien, aider les autres. C'est le sentiment qui les anime.
Le problème, c'est que la GRC est un symbole. Elle a une réputation qu'il faut préserver. Dès le début, on inculque aux agents qu'ils ne doivent jamais la salir. Ils s'imprègnent de cette culture, et certains, voire beaucoup finissent par croire qu'ils doivent la préserver à tout prix et que, s'ils le doivent, ils sont prêts à camoufler certaines choses. Pendant mes années à la commission, j'ai été témoin de nombreux cas de camouflage pour ne pas salir la réputation de la GRC. C'est la culture qui y règne, c'est ce qui attire les candidats. L'uniforme, le cheval, toute cette image de la GRC: c'est un adversaire de taille. Si vous faites partie de la GRC et si vous voulez poursuivre votre carrière.... Certains atteignent le haut de la hiérarchie. Ils ont alors adopté cette culture. Cependant, ils n'étaient pas ainsi à leurs débuts. J'ai rencontré de nombreux agents qui sont devenus policiers pour de nobles raisons.
Merci.
Nous avons largement dépassé le temps dont nous disposions. Il y a les membres d'un autre comité qui attendent.
Je remercie nos témoins.
Avant de mettre fin à la séance, j'ai une demande qui a été formulée par un membre du comité à l'intention de M. Neve. Pourriez-vous nous transmettre la lettre du ministre à laquelle vous avez fait allusion?
M. Alex Neve: Certainement.
Le président: Merci à tous infiniment.
La séance est levée.
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