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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 019 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 5 mai 2009

[Enregistrement électronique]

  (0910)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte.
    Il s'agit de la 19e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous poursuivons notre étude sur la sécurité frontalière. Nous accueillons aujourd'hui M. Gilles Rhéaume, vice-président des politiques publiques au Conference Board du Canada.
    Vers 9 h 30, nous recevrons l'honorable Perrin Beatty, président-directeur général de la Chambre de commerce du Canada, en compagnie de M. Ryan Stein, le directeur. M. Michael Kergin, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis et conseiller spécial auprès du premier ministre de l'Ontario sur les questions frontalières, témoignera également à titre personnel. Nous entendrons aussi M. Benjamin Muller, de l'Université Simon Fraser.
    Merci à vous tous d'avoir accepté de comparaître ce matin. Je ne sais pas si vous avez décidé lequel d'entre vous allait commencer. Monsieur Rhéaume, voulez-vous prendre la parole en premier?
    Veuillez d'abord vous présenter, décrire brièvement le poste que vous occupez, puis enchaîner avec votre exposé. Nous accordons habituellement dix minutes à chaque témoin. Chacun d'entre vous peut se présenter et nous en dire un peu plus sur lui.
    Soyez-les bienvenus à cette séance. Monsieur, vous pouvez commencer quand vous voulez.
    Je suis Gilles Rhéaume, vice-président des politiques publiques au sein du Conference Board du Canada. Notre organisme mène des travaux de recherche dans trois grands domaines et présente les résultats à l'occasion de conférences et par l'intermédiaire de réseaux privés. Ces trois domaines sont les tendances économiques, les pratiques de gestion et les politiques publiques.
    Depuis septembre 2001, nous nous penchons sur les questions de sécurité et de commerce. Nous avons publié notre premier rapport sur les répercussions des attentats en octobre 2001. Entre-temps, nous avons travaillé par intermittence à d'autres dossiers importants, notamment la crise du SRAS et la panne électrique d'août 2003. Il y a environ trois ans et demi, j'ai mis sur pied le Centre de la sécurité nationale, qui rassemble les premiers intervenants des secteurs public et privé afin que ceux-ci puissent s'enrichir dans le cadre de discussions à huis clos. Ce groupe appuie également un programme de recherche.
    Au cours de mon exposé, je vais présenter une partie des travaux que nous effectuons. Je veux attirer votre attention sur deux rapports. Le premier concerne les conséquences commerciales découlant des mesures de sécurité prises à la suite des attentats de 2001, et l'autre porte sur certaines des questions clés liées à la protection des infrastructures essentielles de part et d'autre de la frontière canado-américaine.
    Nous sommes d'avis qu'il y a place à l'amélioration dans trois secteurs en particulier dont je vais vous parler ce matin.
    Tout d'abord, le Canada doit maintenir et même accroître ses investissements dans les infrastructures et le recrutement d'agents frontaliers. Les embouteillages continuent d'être un problème.
    Ensuite, nous devons assurer une application uniforme des politiques et des règles à la frontière et se définir comme un pays sûr, prévisible et fiable avec qui faire des échanges.
    Enfin, nous devons établir et favoriser un cadre binational en matière de protection des infrastructures transfrontalières essentielles et de capacité d'intervention en cas d'urgence.
    Par ailleurs, nous venons de finaliser une étude importante sur les principales régions frontalières canadiennes et américaines. Nous avons relevé de graves lacunes en ce qui a trait à l'information et à la façon dont nous veillons à la protection de nos infrastructures essentielles. Celles-ci revêtent une importance capitale pour les deux pays.
    J'aimerais porter à votre attention les travaux que nous avons accomplis sur le plan de la sécurité économique grâce à une gestion frontalière efficace.
    D'après une analyse statistique exhaustive et près d'une soixantaine d'entrevues, nous avons constaté que, contrairement à la croyance populaire, l’aspect sécurité à la frontière dans la foulée des attentats du 11 septembre n'avait pas eu d'incidence immédiate ou prolongée sur le volume des exportations à destination des États-Unis. En outre, on a réduit considérablement les retards à la frontière par rapport aux premières années qui ont suivi les événements.
    Toutefois, même si le volume d'exportations n'a pas changé, il n'en demeure pas moins que le coût des échanges transfrontaliers a augmenté, compte tenu des coûts directs associés à la nécessité de se conformer aux politiques en matière de sécurité frontalière et des coûts indirects, par exemple, liés aux ajustements des entreprises sur le plan du commerce transfrontalier.

[Français]

    Nous avons remarqué un changement important en ce qui concerne les entreprises qui doivent commercer avec les Américains. On a d'abord observé un changement important en ce qui a trait à la frontière qu'elles choisissent de traverser. Pour protéger leur commerce, certaines ont investi dans des entrepôts situés de l'autre coté de la frontière. Des compagnies de camionnage refusent maintenant de traverser la frontière. Les expéditeurs doivent donc choisir d'autres options.
    Tous ces coûts causent de sérieux problèmes aux entreprises canadiennes, sur le plan de la concurrence. Pour être concurrentielles sur le marché américain sans pour autant affecter le volume d'affaires, ces entreprises doivent assumer elles-mêmes certains coûts, ce qui a des répercussions sur leurs profits ainsi que sur ceux des entreprises qui transportent ces marchandises.

[Traduction]

    Il y a un autre coût dont il faut tenir compte et qui est attribuable à la tendance des gouvernements à annoncer des nouvelles politiques en matière de sécurité frontalière, puis à les modifier. C’est d'ailleurs ce qui a caractérisé l'élaboration des politiques à la suite des attentats du 11 septembre. Selon l’une des personnes interrogées, « les gens commencent à peine à comprendre les exigences et à s’y conformer qu’on place la barre plus haut. »
    Les nombreux changements apportés aux politiques en si peu de temps rendent la formation et la conformité encore plus difficiles. Ils suscitent beaucoup d’incertitude et pénalisent ceux qui se sont conformés rapidement aux règles plutôt que le contraire. C’est un problème important que nous avons relevé.
    Les autorités frontalières ajoutent un autre élément d’incertitude avec ce que les personnes interrogées considèrent comme un traitement non uniforme aux différents postes frontaliers. Celles-ci ont remarqué que la situation avait empiré depuis les événements de 2001. Selon elles, les règles ne sont pas appliquées de façon constante partout. Il est donc difficile pour les entreprises de savoir quelles règles elles doivent respecter lorsqu’elles transportent des marchandises de l’autre côté de la frontière. Évidemment, les camionneurs doivent aussi être au courant.
    Certaines entreprises nous ont dit qu’elles doutaient que leurs investissements dans la protection de leurs chaînes d’approvisionnement ou le respect des exigences en matière de sécurité soient rentables, même si les États-Unis ont annoncé que les participants aux programmes EXPRES et NEXUS pourraient continuer de traverser la frontière malgré une autre fermeture. Le passage frontalier et la sécurité du commerce créent un climat d’incertitude qui mine la confiance des entreprises.
    Chose certaine, l'imposition de ces nouveaux coûts nuira à la capacité concurrentielle du Canada, car même une légère hausse des coûts influera sur l’emplacement des usines de production. Il y a trois raisons à cela.
    Tout d'abord, les investisseurs choisiront d’installer leurs usines de production dans un plus grand marché que le Canada, c’est-à-dire les États-Unis, particulièrement si l’accès est incertain ou si les coûts connexes sont exorbitants. Par conséquent, la moindre augmentation peut avoir une incidence sur ce genre de décision.
    Ensuite, les marchandises franchissent la frontière à maintes reprises. Nous avons remarqué que 70 p. 100 de nos exportations et importations appartiennent aux mêmes industries. Les marchandises circulent de part et d’autre de la frontière, et ce, tout au long de la production, jusqu’à ce que le produit final soit prêt à être exporté. Les coûts sont donc multipliés. On optera ainsi pour le marché beaucoup plus vaste des États-Unis plutôt que devoir composer avec cette situation.
    Nous vivons dans un monde où les produits sont remplaçables. S’il y a des problèmes à la frontière, on préférera s’implanter dans un marché plus vaste. C’est un fait. C’est l’aspect négatif des mesures de sécurité qu'on applique aujourd’hui.
    N'empêche que certaines entreprises ont constaté une efficacité et une compétitivité accrues depuis la mise en place de ces nouvelles exigences. Grâce au programme EXPRESS, elles ont pu améliorer leurs systèmes internes et ainsi réaliser des économies considérables sur le plan du traitement administratif. Elles se servent de ces mesures pour accroître leur compétitivité.
    Certaines entreprises sont parvenues à le faire. Bon nombre ont néanmoins indiqué que le programme EXPRES n'avait pas atteint ses objectifs visant à faire circuler rapidement les marchandises préautorisées. Le programme EXPRESS s'avère parfois efficace, mais pas à tous les postes frontaliers ni aux heures de pointe. C'est un problème de gestion frontalière.
    J'aimerais aussi parler de la protection des infrastructures transfrontalières et de la capacité d’intervention en cas d’urgence. Nous venons de terminer une étude à ce chapitre. En fait, nous avons réalisé cette étude pour le département de la Sécurité intérieure des États-Unis à Washington. Nous avons également fait participer Sécurité publique Canada, de même que quelques États et provinces, des premiers intervenants et des communautés locales.

  (0915)  

    Autant pour le Canada que pour les États-Unis, la plupart des infrastructures essentielles dont nous sommes tributaires existent de l'autre côté de la frontière. Par conséquent, une défaillance d'un côté se reflète directement de l'autre. Malheureusement, de nombreux propriétaires et exploitants d'infrastructures essentielles — même ceux qui interviennent en cas d'urgence — veillent à la protection de leurs infrastructures jusqu'à la frontière, alors que celles-ci ne se terminent pas là. Qu'advient-il lorsqu'un pipeline ou une ligne électrique traverse la frontière? Comme on ne voit pas ce qui se passe de l'autre côté, il est difficile de gérer et de protéger efficacement ces réseaux hautement intégrés et d'intervenir en cas d'incident.
    Les propriétaires et exploitants d'infrastructures essentielles doivent savoir comment faire face à des menaces et à des dangers et se préparer en conséquence. Ils doivent pouvoir intervenir efficacement dans les cas d'urgence. Ils doivent s'entendre sur le problème, les répercussions et la façon de procéder. Cela permettra d'éliminer le chevauchement des activités, d'accélérer l'intervention et le rétablissement, d'améliorer le partage des ressources, de renforcer l'interdépendance et, ainsi, d'accroître la sécurité publique tout en limitant les dommages.
    À l'heure actuelle, il n'y a pas d'évaluation exhaustive des risques à la protection des infrastructures essentielles à la frontière. Les secteurs privé et public ne partagent pas d'information. D'un côté à l'autre de la frontière, on ne communique pas de renseignements sur la protection des infrastructures essentielles, ni sur les vulnérabilités qui existent ou la façon d'y remédier. C'est pourquoi nous avons besoin d'établir un plan d'action et un cadre à ce chapitre.
    Dans le cadre de vastes consultations menées auprès de 150 organisations, on a défini des mesures destinées à élaborer une solide approche transfrontalière régionale à l'égard de la protection des infrastructures essentielles et de la capacité d'intervention en cas d'urgence.
    Tout d'abord, nous devons former des équipes de leaders. II y a déjà quelques leaders à l'échelle régionale, mais ceux-ci doivent pouvoir se rassembler et intégrer d'autres partenaires propriétaires et exploitants d'infrastructures essentielles et responsables de la gestion des urgences. Ils peuvent décider ensemble de la meilleure façon de collaborer. Ce groupe doit également élaborer et mener des évaluations régionales des risques. C'est là que le bât blesse. Nous devons partager un certain niveau d'information pour que cela soit possible. Il faut être en mesure d'évaluer les menaces, les risques et les vulnérabilités.
    Nous devons également évaluer les interdépendances. Nous avons déterminé que cela manquait aux propriétaires et exploitants d'infrastructures essentielles. Ceux-ci savent ce qui se passe au sein de leur propre organisation et peut-être de leur industrie dans leur région et leur pays, mais pas de l'autre côté de la frontière. Cela dit, il faut établir des priorités et élaborer des plans en matière de protection et d'intervention dans une optique transfrontalière. Je recommande fortement cette approche transfrontalière.
    Enfin, nous avons besoin de plans d'intervention. Nous avons démontré maintes fois qu'ils permettaient d'établir des relations, d'apprendre ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas et, ainsi, d'apporter des améliorations.
    Pour conclure, j'aimerais revenir sur les mesures clés visant à améliorer notre gestion frontalière et notre protection des infrastructures essentielles.
    Tout d'abord, nous devons continuer de financer et d'appuyer l'expansion des infrastructures et le recrutement d'agents frontaliers.
    Ensuite, il faut appliquer les politiques et les règles de manière uniforme aux différents postes frontaliers et se définir comme une nation sûre, prévisible et fiable avec qui faire des échanges.
    Enfin, nous devons établir et favoriser un cadre binational en matière de protection des infrastructures essentielles et de capacité d'intervention en cas d'urgence.
    Merci.

  (0920)  

    Merci beaucoup, monsieur.
    Monsieur Kergin, êtes-vous prêt à faire votre déclaration?
    Mon expérience en matière de sécurité frontalière remonte à l'époque où j'étais ambassadeur à Washington, soit de 2000 à 2005. J'ai donc été témoin de la tragédie du 11 septembre et des efforts destinés à réduire les problèmes le long de la frontière dans le cadre de l'Accord sur la frontière intelligente conclu en décembre 2001. J'ai aussi assisté à l'établissement du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité, qui se veut une entente trilatérale axée sur les enjeux du commerce et de la sécurité frontalière qui dominent aujourd'hui.
    En collaboration avec le Conseil international du Canada, j'ai participé à une étude, publiée en novembre dernier, intitulée Nouvelles passerelles entre vieux alliés. Cette étude portait sur toute la question frontalière sur les plans de la sécurité, du commerce et de la réglementation. Mon exposé sera en quelque sorte fondé sur cette étude, mais j'essaierai d'aller un peu plus loin.
    J'aimerais aujourd'hui discuter du cadre politique en matière de gestion de la sécurité frontalière. Je vais commencer par énoncer ses quatre principes. Tout d'abord, sachez que les intérêts liés à la sécurité du Canada et des États-Unis, allant des attaques terroristes et des activités criminelles aux problèmes d'innocuité des aliments et des produits, sont très interdépendants et interreliés. La géographie fait en sorte que le Canada et les États-Unis ont des intérêts communs sur le plan de la sécurité.
    Ensuite, il convient de signaler que les économies du Canada et des États-Unis sont caractérisées par une forte interdépendance. Nous avons tendance à penser que le Canada est tributaire des États-Unis, mais les États-Unis dépendent eux aussi du Canada, non seulement de son secteur manufacturier, mais aussi de son énergie et d'autres secteurs essentiels à son bien-être économique. On ne le reconnaît pas souvent, mais c'est une réalité. Nous sommes un peu comme son apport en oxygène. Comme nous le leur avons refusé rarement, on ne reconnaît pas vraiment à quel point ils dépendent du Canada, économiquement parlant. Le Canada est le plus important partenaire commercial de 37 États américains.
    En outre, la sécurité du Canada et des États-Unis — sans parler de notre prospérité commune dans l'économie mondiale — pourrait être renforcée grâce à une gestion frontalière plus coopérative, et non pas compétitive. Autrement dit, nous devons collaborer avec les États-Unis à l'atteinte d'un but commun, qui est la sécurité frontalière. Nous ne pouvons pas travailler en vase clos.
    Enfin, la situation à la frontière a énormément changé depuis les attentats du 11 septembre, et elle ne reviendra pas à ce qu'elle était auparavant de sitôt. Beaucoup d'entre nous ont grandi dans une ville frontalière. À l'époque, il fallait avoir 21 ans pour boire un verre en Ontario. Par conséquent, à l'âge de 18 ans, on allait à Buffalo. Ce n'est plus aussi facile aujourd'hui, et nous ne sommes pas près de revivre cette époque. Je pense que nous devons le reconnaître et améliorer l'accès à la frontière.
    Il faut donc créer une frontière efficace afin de faciliter les déplacements et les échanges commerciaux tout en assurant la sécurité du Canada et des États-Unis.
    Je dirais qu'il y a quatre éléments ou piliers de l'Accord sur la frontière intelligente conclu en 2001 qui sont toujours valides. Nous devrions d'ailleurs nous en servir comme plateforme dans le cadre de notre gestion de la sécurité frontalière. En fait, si nous respectons ces principes, nous pourrons en quelque sorte éliminer la discussion politique sur la comparaison injuste entre la frontière du Mexique et celle du Canada. C'est un dialogue qui ne mène à rien et qui, en fait, nous fera du tort aux États-Unis.
    À mon avis, le premier élément — et ceux-ci sont évidents — est la gestion des risques. Il faut à tout prix collaborer avec les États-Unis pour établir des critères semblables à partir desquels définir les différents niveaux de risque. Ensuite, nous devons nous entendre avec les États-Unis sur le fait que la société Chrysler, par exemple — si elle existe encore d'ici quelques mois —, ne représente pas vraiment une menace lorsqu'elle traverse la frontière et, par conséquent, adopter une approche à faible risque. Toutefois, un vieux camion qui franchit la frontière pour la première fois nécessite un niveau de surveillance accru puisqu'il représente un risque plus élevé. Il est donc essentiel de collaborer avec les États-Unis à la mise en oeuvre de mesures communes pour faire face aux niveaux de risque convenus.

  (0925)  

    Je pense que ce qui rend la proposition intéressante, c'est la comparaison entre les frontières canadienne et mexicaine. La frontière du Mexique pose un risque différent pour la sécurité des États-Unis. Bien qu'elle soit plus petite, sa difficulté réside dans le nombre de sans-papiers qui la traversent. Ils sont des centaines de milliers par année. Les Américains gèrent ce risque un peu différemment du risque qu'ils perçoivent à la frontière nord. Au Sud, ils adoptent une approche plus intrusive en y affectant beaucoup plus d'agents et en y installant des clôtures. Je trouve que c'est un peu dommage, mais c'est ce qu'ils font.
    Ils ne peuvent pas en faire autant pour notre frontière puisqu'elle est trois fois plus longue que la frontière mexicaine. Le risque que pose cette frontière n'est pas tant les gens qui la franchissent, mais plutôt son énorme superficie. Comment s'y prennent-ils dans ce cas? Ils utilisent des drones et des radars infrarouges. À mon avis, on adopte une différente méthode pour faire face à un différent type de risque. Cela ne devrait pas nous poser problème, mais ce n'est pas le cas.
    Il me semble que nous pourrions faire cesser ces comparaisons entre les frontières nord et sud si nous reconnaissions que les risques sont différents et devraient être gérés différemment, puis si nous nous entendions avec les États-Unis sur les mesures à prendre.
    Deuxièmement, je considère qu'il serait très opportun de développer des technologies de l'information de façon à mieux gérer les risques en matière de sécurité frontalière. Nous pourrions particulièrement utiliser ces technologies dans les cas de faible risque. Par exemple, les transpondeurs nous permettent de connaître les allées et venues des camions, c'est-à-dire l'endroit exact où ils se trouvent, leurs arrêts, leurs déchargements et leur poids. Bien entendu, il y a aussi les voies de traitement rapide et les machines de type VACUS — ces systèmes de balayage aux rayons gamma — qui permettent à un camion porte-conteneur de rouler à six kilomètres à l'heure et de faire inspecter son contenu sans qu'un agent ait besoin d'entrer à l'intérieur. Ces deux mesures favoriseraient un passage plus rapide à la frontière.
    Il est important de mentionner que le Canada et les États-Unis développent les mêmes technologies; celles-ci sont donc compatibles et peuvent être utilisées d'un côté comme de l'autre de la frontière. Nous n'avons pas de technologies disjonctives, et j'estime que c'est essentiel.
    Troisièmement, en ce qui a trait à la gestion de la sécurité frontalière, il faut mettre l'accent — comme M. Rhéaume l'a indiqué — sur le partage des renseignements entre les agences de services frontaliers de chaque côté de la frontière. Celles-ci pourront donc gérer les apparences de menaces avant qu'elles n'atteignent la frontière. Il n'y a pas de doute que le Canada possède des éléments de renseignement et des atouts diplomatiques dans des pays où les États-Unis n'ont pas une aussi grande représentation, et vice versa. Plus nous communiquons des renseignements entre nous, tout en préservant les droits de la personne et la sécurité privée — étant donné qu'il s'agit d'un domaine délicat —, et plus nous arrivons à anticiper les risques avant que ceux-ci soient bien réels en Amérique du Nord, plus nous assouplirons les mesures de sécurité et réduirons les retards à la frontière.
    Quatrièmement, comme M. Rhéaume l'a mentionné, il faut accroître les ressources à la frontière. Cela s'applique autant au personnel affecté aux inspections qu'aux infrastructures. On doit investir dans l'amélioration des esplanades et des voies réservées aux camions préautorisés pour éviter les embouteillages. Encore une fois, j'estime qu'il est essentiel que nos mesures soient complémentaires avec celles des États-Unis. Nous ne pouvons pas nous permettre de construire des ponts et des infrastructures sans l'effort coopératif des États-Unis.

  (0930)  

    À mon avis, cela signifierait une collaboration étroite avec les États-Unis sur les plans de la formation, des détachements et des installations en ce qui a trait aux services frontaliers et du développement de nos infrastructures, dans le cadre du programme de relance américain et du programme canadien mis sur pied il y a quelque temps, le Programme de porte d'entrée — de la porte continentale à la porte du Pacifique, etc.
    En conclusion, je suis d'avis que les décideurs politiques doivent reconnaître que nous avons un nouveau paradigme de sécurité depuis les attentats du 11 septembre. Si on n'élimine pas les obstacles au mouvement des échanges commerciaux de part et d'autre de la frontière, on ne fera que resserrer encore plus notre frontière. Il est primordial de travailler très étroitement avec les États-Unis dans la planification de mesures de sécurité communes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup.
    Nous sommes heureux d'accueillir l'honorable Perrin Beatty. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté de comparaître devant notre comité.
    Êtes-vous prêt à faire une déclaration d'environ 10 minutes?

[Français]

    Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs.

[Traduction]

    Je tiens à remercier l'ambassadeur Kergin d'avoir pris la parole en mon absence.
    J'ai fait le numéro divertissant; j'ai réchauffé la salle.
    Je n'ai pas eu l'occasion d'entendre tout son exposé ou celui de Gilles, mais j'endosse probablement la plupart de leurs propos.
    Permettez-moi de prendre quelques minutes pour vous exposer mon point de vue et celui de la Chambre du commerce sur la situation concernant la frontière canado-américaine.
    Mes collègues ont sûrement parlé de l'importance des relations bilatérales entre le Canada et les États-Unis — il n'est pas nécessaire que je le fasse — et des liens uniques qui nous unissent. Au lieu de tout simplement nous contenter d'échanger des produits, nous construisons des choses ensemble, nos chaînes d'approvisionnement étant étroitement intégrées. Par exemple, un châssis de voiture peut être fabriqué dans un pays, et les sièges d'auto, dans l'autre.
    La frontière revêt une importance vitale. Quelque 10 millions d'emplois de part et d'autre de la frontière dépendent de notre capacité à maintenir une frontière transparente qui facilite la circulation des marchandises et des voyageurs légitimes.
    Depuis les événements du 11 septembre, je consacre beaucoup de temps à ce dossier. J'ai cru, pendant un certain temps, qu'il suffirait d'apporter quelques changements à nos politiques pour sécuriser la frontière. Or, j'ai constaté, au cours des sept dernières années et demie, que cette formule ne donne plus rien. Selon moi, une approche beaucoup plus incisive s'impose.
    Oui, il est important que nous fassions notre possible pour améliorer l'efficacité du système. Toutefois, nous devons également redéfinir les règles du jeu. Celles-ci, pour l'instant, nuisent aux intérêts des deux pays, notamment à ceux du Canada. La classe politique américaine prône un renforcement du contrôle à la frontière, ceux qui se disent en faveur d'une plus grande transparence pour garantir le mouvement légitime des biens et des voyageurs ne recueillant pas beaucoup d'appuis.
    À défaut d'entamer un dialogue sincère sur notre présence le long de la frontière, nous allons nous retrouver engagés dans d'interminables discussions avec les États-Unis sur les mesures à prendre pour rendre les formalités à la frontière moins exigeantes, moins coûteuses et moins lourdes. La démarche, de plus, risque d'être à sens unique, surtout si les Américains insistent, comme l'a mentionné M. Kegin, pour que la frontière au nord fasse l'objet des mêmes contrôles que la frontière au sud, malgré les enjeux différents en cause.
     Nous avons tous espéré que l'élection d'un nouveau gouvernement aux États-Unis entraîne un changement d'attitude à l'égard non seulement des échanges commerciaux, mais également de la sécurité. Or, les premiers signes en provenance de Washington montrent que l'administration actuelle prône un renforcement, et non un assouplissement, des règles à la frontière.
    Cela dit, je constate que l'arrivée de nouveaux joueurs sur la scène politique américaine constitue, pour nous, l'occasion de revitaliser nos relations bilatérales de longue date. Nous devons trouver une solution aux nombreux problèmes communs qui nous préoccupent. Si les États-Unis s'inquiètent de l'environnement ou de l'approvisionnement énergétique, ou encore s'ils manifestent des inquiétudes au sujet de la sécurité du continent, nous pouvons intervenir à ce chapitre. Nous faisons partie de la solution, non du problème.
    Il en va de même pour la planification du transport, la politique commerciale internationale, les préparatifs en vue d'éventuelles pandémies. Une fois que nous aurons déterminé la place qu'occupe la frontière dans les rapports canado-américains, nous pourrons agir. Par exemple, nous devons déterminer si la frontière au XXIe siècle doit avoir pour objet de nous protéger contre toute menace venant du pays voisin, de nous aider à mettre la main sur la personne qui ramène trois bouteilles de scotch, ou de nous permettre de remplir un rôle tout à fait différent.
    Nous devons revenir aux principes de base et nous demander, « Pourquoi devons-nous assurer une présence à cet endroit? » Que représente la frontière au XXIe siècle? S'agit-il d'une simple ligne de démarcation qui doit être sécurisée, ou encore qui doit faire l'objet d'une approche nouvelle? D'après la Chambre de commerce du Canada, nous devons miser sur une frontière sûre qui facilite le mouvement de marchandises et de personnes à faible risque, une frontière où les autorités consacrent leurs ressources limitées aux échanges et aux voyages inconnus.
    Concernant les problèmes immédiats, nous avons un certain nombre de propositions à court terme à formuler qui s'inscrivent dans une vision à plus long terme. Ensemble, elles vont permettre de faire de l'Amérique du Nord en endroit plus sûr et plus concurrentiel. Nous voulons une politique qui privilégie une frontière administrée conjointement par nos deux pays, qui accorde la priorité en matière de stratégies et de ressources aux expéditeurs et aux voyageurs légitimes, qui déplace les procédures d'inspection et d'évaluation des risques plus en amont de la chaîne d'approvisionnement et du système de voyages, et qui réduit les différences réglementaires entre nos deux pays.
    À court terme, les gouvernements canadien et américain devraient élargir la participation aux programmes pour les voyageurs et les expéditeurs dignes de confiance. Ces programmes volontaires devraient accélérer le passage à la frontière et aussi permettre aux agents douaniers de concentrer leurs ressources limitées sur les échange et les voyages inconnus. Or, plusieurs entreprises ont déploré l'inefficacité de ces programmes. Certaines ont affirmé que les inspections n'ont pas diminué, bien qu'elles aient versé plus de 100 000 $ pour sécuriser leurs chaînes d'approvisionnement et être reconnues comme des expéditeurs à faible risque. Certaines entreprises évitent de s'inscrire aux programmes parce qu'elles pensent ainsi faire l'objet d'inspections moins nombreuses. Fait étonnant, c'est là la conséquence imprévue des programmes actuels. D'autres ne peuvent y participer parce qu'elles sont réglementées par des ministères, y compris des agences agricoles, qui ne participent pas à ces programmes.

  (0935)  

    Les expéditeurs et les voyageurs à faible risque ne doivent pas être traités de la même façon que les échanges et les voyages inconnus. Accroître la participation à ces programmes fait partie d'une stratégie d'évaluation des risques qui rend notre frontière plus sûre tout en facilitant le passage de part et d'autre.
    Assurer la fluidité de la circulation constitue un autre moyen de sécuriser la frontière. Le trafiquage des marchandises est beaucoup plus susceptible de se produire lorsque les temps d'attente et les inspections se prolongent. Lorsqu'un camion est en mouvement, il y a moins de chances qu'une personne manipule la cargaison. En effet, le risque est plus grand quand le camion est arrêté. On peut dire la même chose des conteneurs de 40 pieds.
    Il y a un point qui inquiète particulièrement le milieu des affaires : les postes frontaliers et les installations d'inspection ne comptent pas suffisamment de personnel pour répondre à la demande. Le mouvement du trafic commercial est largement prévisible. Les décisions prises par les agents frontaliers devraient être fondées sur la demande, non sur l'heure. Les longs délais ne visent pas uniquement le trafic en direction des États-Unis. Il peut également constituer un problème au Canada, et cette question ne concerne pas uniquement l'ASFC. D'autres ministères effectuent des inspections à la frontière et ils doivent pouvoir compter sur des agents, en fonction de la demande. Il arrive souvent que les cargaisons de produits agricoles entrent au Canada le vendredi, fassent l'objet d'une inspection secondaire, et attendent au lundi avant d'être examinées par l'ACIA. La livraison juste-à-temps des produits, notamment des marchandises périssables, ne peut être assurée. Accroître les effectifs à la frontière pour répondre aux besoins du milieu des affaires contribue à réduire les délais et à renforcer notre sécurité.
    Il existe un autre moyen de protéger la frontière et d'accélérer le flux des échanges et des déplacements: en mettant en place un système uniforme de déclaration des importations et des exportations. À l'heure actuelle, divers ministères utilisent des méthodes distinctes pour obtenir les mêmes renseignements. Les données sont consignées parfois par voie électronique, et d'autres fois sur papier. Or, les rapports électroniques permettent aux agences frontalières de gérer les risques. Un système uniforme améliorerait le partage des données entre les ministères et simplifierait les choses pour les entreprises. Nous appuyons vivement le programme Guichet unique instauré par le Canada, qui permettra à l'ASFC et à d'autres ministères dotés de mandats frontaliers d'utiliser un seul système électronique. Nous encourageons le gouvernement à faire de la participation à ce programme une priorité pour tous les ministères et organismes. Cette mesure ouvrira la voie à l'adoption d'une stratégie à long terme et, partant, à la mise en place d'un système douanier entièrement sécuritaire et interopérable avec les États-Unis.
    Une vision solide de la frontière passe par l'élaboration d'un plan d'urgence efficace en cas de pandémie, de désastre naturel ou d'acte terroriste. Vu l'importance que revêt la frontière pour 10 millions de travailleurs, nous devons établir un plan au cas où il serait nécessaire d'ordonner la fermeture complète ou partielle de la frontière. L'ASFC a accompli des progrès remarquables à ce chapitre: elle a dressé un plan pour gérer la circulation des biens et des personnes à la frontière en cas d'urgence. Reste maintenant à élaborer, de concert avec les États-Unis, un plan bilatéral et une stratégie de communication. Nous espérons que nous n'aurons jamais à activer un tel plan, sauf qu'il est important d'en avoir un pour assurer notre sécurité.
    Si l'on veut traverser la frontière canado-américaine sans difficulté, il faut avoir les bons documents en main. L'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental, l'IVHO, doit entrer en vigueur le 1er juin de cette année. Les voyageurs auront besoin d'un passeport, d'une carte NEXUS ou FAST, ou encore d'un permis de conduire amélioré pour pouvoir entrer aux États-Unis. Ces documents présentent tous des avantages différents et s'adressent à différents segments de la population. Nous recommandons que les gouvernements canadien et américain publient une masse critique de documents relatifs à l'IVHO et qu'ils communiquent les règles au grand public. Nos économies souffrent déjà en raison de la crise qui sévit. Nous ne pouvons aggraver le problème en nuisant aux déplacements entre les deux pays.
    Les recommandations que je viens de formuler servent de base à l'adoption d'une vision à plus long terme pour ce qui est de la frontière. Nous devons renforcer la collaboration à la frontière canado-américaine en nous appuyant sur notre longue tradition de coopération dans d'autres domaines: mentionnons le NORAD, la Voie maritime du Saint-Laurent, la Commission mixte internationale. Nous devons créer un comité de cogestion de la frontière composé d'agents des services frontaliers canadiens et américains et présidé, à tour de rôle, par les deux pays — comme dans le cas du NORAD. Une frontière cogérée mènerait à l'établissement d'un plan stratégique uniforme en matière de sécurité, d'infrastructures et d'activités opérationnelles. Nous pourrions tester le concept en mettant sur pied un projet pilote dans un poste frontalier où transitent des expéditeurs et des voyageurs à faible risque et préapprouvés.
    Il est temps de mettre en avant des idées nouvelles. Si nous voulons réaliser des progrès, nous devons inclure la frontière dans les autres domaines d'intérêt commun que nous partageons. Nous sommes des partenaires, et les partenaires collaborent ensemble.

  (0940)  

    Je propose ici des mesures qui sont nettement moins ambitieuses que celles mises en oeuvre en Europe, un continent qui a connu la guerre à deux reprises au cours du dernier siècle avant d'être divisé entre le Bloc soviétique et l'Ouest.
    Je sais que de nombreuses personnes continuent de se demander s'il est possible d'apporter des changements structurels de fond. À mon avis, c'est non possible, mais essentiel. Aujourd'hui, le mouvement de voyageurs ou de biens se fait sans difficulté dans une bonne partie de l'Europe. Or, deux pays qui entretiennent de bons rapports et des liens commerciaux sans pareil dans le monde, qui partagent les mêmes défis et les mêmes possibilités se doivent de collaborer ensemble. Il nous faut une vision et aussi de la persévérance pour faire en sorte qu'elle devienne réalité. Grâce à votre leadership, nous pouvons bâtir un avenir meilleur et plus prospère pour nos deux économies.
    Merci, monsieur le président. Merci, mesdames et messieurs les membres du comité.

  (0945)  

    Merci, monsieur Beatty.
    Nous allons maintenant entendre M. Muller, de l'Université Simon Fraser.
    Monsieur Muller.
    Je voudrais surtout vous parler ce matin de la gestion des risques. Je me pose des questions au sujet de l'approche adoptée et de ses lacunes éventuelles sur les plans de la sécurité publique et, surtout, frontalière. Je pense que mes propos complètent bien ce qui a déjà été dit. Mon objectif, ici, n'est pas de jeter le bébé avec l'eau du bain, mais simplement de réévaluer certaines des stratégies mises en place, compte tenu de ce qui s'est passé à la frontière.
    Il y a trois grands aspects de la sécurité frontalière canadienne qui soulèvent des préoccupations. Il y a d'abord la gestion des risques, et l'efficacité ou l'inefficacité éventuelle de cette formule. Ensuite, il y a des problèmes associés à l'utilisation de la surveillance biométrique, l'IRF, et la panoplie de technologies qui servent à assurer la gestion des risques. Enfin, il y a les tendances observées au Canada et aux États-Unis en faveur d'une centralisation des pouvoirs en matière de sécurité frontalière, souvent au détriment des zones situées le long de la frontière et de ses habitants.
    Bon nombre de ces préoccupations découlent des réserves sérieuses que suscite toute stratégie en matière de sécurité frontalière qui s'appuie davantage sur les prédictions, c'est-à-dire les risques potentiels — approche que je qualifie parfois de tatillonne et qui est clairement motivée par le désir d'éviter d'autres événements similaires à ceux du 11 septembre —, et non sur la résilience, comme c'est le cas de nombreuses mesures déjà mentionnées. Les stratégies de résilience qui visent à contrer avec efficacité tout échec éventuel sont manifestement moins populaires, mais plus utiles. En deux mots, je privilégie l'adoption de modèles qui évaluent les risques en fonction des valeurs publiques.
    La gestion des risques est rapidement devenue la stratégie de choix pour gérer la sécurité frontalière. Cette formule repose essentiellement sur une évaluation des risques, soit de la fréquence et de la gravité de ceux-ci, une technique qui ne fait pas toujours l'unanimité. Elle suppose l'adoption d'une stratégie à quatre volets qui met l'accent sur l'atténuation, l'évitement, le transfert et l'acceptation. Cette initiative, au Canada, relève du Conseil du Trésor et est tout à fait sensée du point de vue financier. Toutefois, je doute qu'elle permettre d'assurer la sécurité du public, et surtout, de la frontière. Une fois appliqué à la sécurité du public, l'évitement ou le transfert du risque ne constitue pas une option viable. Voilà pourquoi l'efficacité de cette stratégie dans son ensemble soulève des questions.
    Par ailleurs, le critère de l'échec catastrophique pose beaucoup de problèmes, l'absence ou la présence d'un échec étant l'unique mesure de succès. Citons, à titre d'exemple, l'incident entourant Robert Dziekanski, à l'aéroport de Vancouver.
    L'existence d'un risque potentiel constitue l'élément clé de toute évaluation des risques. D'après l'industrie de l'assurance, l'évaluation des risques est un exercice logique dans le cas d'événements comme les inondations et les tremblements de terre. Le fait d'appliquer cette technique à la sécurité publique, et surtout frontalière, peut donner lieu à de sérieux problèmes, notamment si les politiques en la matière mettent l'accent sur une évaluation anticipée des risques dans des zones situées de plus en plus loin de la frontière. Cette évaluation anticipée s'effectue par l'entremise de toute une série de programmes : NEXUS, FAST, les programmes de présélection des voyageurs comme le CAPPS, et la liste d'interdiction de vol en vertu du Programme de protection des passagers.
    Ces approches contribuent à créer ce que nous appelons souvent une frontière moins perméable, mais aussi une prolifération de frontières, de sorte que toux ceux qui traversent les postes frontaliers sont traités comme des risques potentiels de similarité relative. Comme on l'a laissé entendre ce matin, quand une personne s'inscrit à un programme pour les voyageurs dignes de confiance, qu'il s'agisse de NEXUS ou de FAST, les vérifications à la frontière ont tendance à augmenter. Vous êtes beaucoup plus susceptible d'être ciblé, ce qui, comme on l'a signalé, constitue un désincitatif. S'inscrire à ces programmes ne donne rien de positif.
    En deux mots, la gestion des risques ne peut servir à évaluer la fréquence des incursions terroristes ou criminelles à la frontière, ou l'impact de ces incursions, d'où l'inefficacité de cet outil. Il conviendrait peut-être de rappeler à ceux qui privilégient les nombreux programmes pour les voyageurs dignes de confiance et les mesures de vérification et d'évaluation anticipées, que ces solutions viables axées sur le risque n'auraient pas empêché les événements du 11 septembre. Les pirates de l'air étaient détenteurs de billets pour grands voyageurs, et dans certains cas, des billets de première classe. Ils n'ont pas infiltré une frontière canado-américaine dite poreuse.
    Le recours à des technologies diverses pour assurer la sécurité frontalière ne cesse d'augmenter. La biométrie est de plus en plus utilisée. Les systèmes de surveillance et les technologies d'identification par radiofréquence sont omniprésents aux postes frontaliers terrestres et aux frontières virtuelles que l'on retrouve dans les aéroports.

  (0950)  

    Il est important de souligner que l'introduction de ces technologies modifie les contrôles à la frontière et la perception qu'ont les voyageurs de ceux-ci. Il serait naïf de croire que la technologie en soi est neutre et que les intentions qui sous-tendent son utilisation vont éclipser toutes les autres applications pour lesquelles elle est conçue. Mentionnons, par exemple, les essais auxquels ont été soumis les technologies de reconnaissance faciale en Floride, l'an dernier. On a constaté que le système, lorsqu'il est appliqué aux Américains d'origine africaine, ne fonctionne pas.
    L'utilisation de ces technologies non seulement donne plus de poids à la logique de préemption associée à la gestion de risque, mais elle crée également un problème de tri social. Les processus, bases de données et programmes non transparents utilisés pour évaluer les risques ont pour effet de catégoriser et de trier les personnes alors que celles-ci en sont rarement conscientes. Même s'il est tout à fait normal de se poser des questions au sujet de la faillibilité de ces technologies, là n'est pas la question. Les arguments divergents qui entourent la technologie et la mesure dans laquelle elle intensifie le soupçon méritent d'être examinés. Le choix d'un repas peut être relié, par exemple, aux expériences de voyage d'une personne ou encore à ses horizons ethniques, sans qu'on le sache, et peuvent servir à établir un profil qui correspond, ou non, fidèlement aux traits de la personne.
    À l'instar des stratégies de gestion des risques qui créent des conditions favorables pour l'utilisation de ces technologies, l'échec ou l'absence d'échec constitue la seule mesure de succès. Le fait qu'il n'y ait plus d'incidents comme ceux du 11 septembre signifie que la stratégie frontalière est un succès et, donc, qu'il n'est pas nécessaire de continuer d'y affecter de nouvelles ressources. L'échec de celle-ci peut également justifier l'affectation de ressources additionnelles à la frontière.
    Dans le cas de la sécurité frontalière, les faux positifs ou les faux négatifs ne permettent pas vraiment d'établir l'efficacité des systèmes employés. Ceux-ci ont tendance à être reliés aux temps d'attente, qui n'ont rien à voir avec la sécurité en tant que telle. Depuis les événements du 11 septembre à New York, à Washington et en Pennsylvanie, la sécurité frontalière en Amérique du Nord a subi de profondes transformations, dont bon nombre ont été relevées aujourd'hui. Les arguments et les stratégies utilisés par les organismes chargés de gérer la frontière ont changé, puisqu'ils mettent maintenant davantage d'accent sur la sécurité et la surveillance, et non sur les visas, l'immigration et les formalités douanières.
    Ce que nous avons perdu de vue, dans un sens, c'est que la frontière est fonction des besoins, de la demande, des intérêts de ceux qui la traversent régulièrement, comme les habitants des régions qui longent la frontière, régions où vivent la plupart des Canadiens. Il est également important de souligner que la majorité des Américains ne vivent pas dans ces zones, mais le long de la frontière qui sépare les États-Unis du Mexique, par opposition à celle qui sépare le Canada des États-Unis.
    D'où les commentaires que nous avons presque souvent l'habitude d'entendre et qui ont tendance à donner une fausse image de la situation à la frontière canado-américaine, des mesures de sécurité prises par le Canada et de la politique d'immigration canadienne. Ces propos sont malheureusement non seulement repris par les quotidiens populaires, mais également par l'actuelle secrétaire à la Sécurité intérieure. Cette attitude compromet tout renforcement des mesures de part et d'autres de la frontière, et tend à rationaliser — quoique à tort — la nécessité de centraliser et d'harmoniser davantage les stratégies au sud et au nord de la frontière américaine.
    Il faut prêter attention aux intervenants régionaux qui se trouvent le long de la frontière. Bon nombre d'entre eux parviennent à intégrer la gamme d'intérêts, à la fois gouvernementaux et non gouvernementaux, qui doit être prise en compte dans les stratégies de gestion et de protection de la frontière. Mentionnons, par exemple, le projet de construction d'un corridor commercial international dans le comté de Whatcom, dans l'État de Washington.
    Une frontière bien gérée qui empêche le mouvement de personnes et de marchandises illégales, qui facilite le passage des touristes, la circulation des produits commerciaux, entre autres, sont les objectifs que visent les organismes. Or, leurs efforts sont de plus en plus compromis par la centralisation, la dépendance accrue à l'égard de la technologie, les applications précises de la stratégie de gestion des risques. En effet, nous ne pouvons, compte tenu des conditions actuelles, déterminer dans quelle mesure ces objectifs sont en voie, ou non, d'être atteints.
    Une stratégie frontalière motivée par le risque perpétuel et la logique préemptive, qui considère également presque tous ceux qui traversent la frontière comme des risques potentiels — même ceux qui sont inscrits dans les programmes pour les voyageurs dignes de confiance — fait de la stratégie frontalière envisagée par les intervenants régionaux, une stratégie qui évalue le risque en se fondant sur les valeurs publiques, un rêve impossible et, partant, une frontière moins sécuritaire.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Muller.
    Nous passons maintenant à notre première série de questions. Je cède la parole à M. Oliphant, qui dispose de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais également remercier les témoins de leur présence ici, aujourd'hui.
    Je voudrais commencer par des questions très générales et peut-être ensuite aborder certaines particularités. Voici la théorie à laquelle j'ai songé.
    Pour les Américains, la frontière serait essentiellement une question de sécurité. Pour les Canadiens, c'est essentiellement une question identitaire. Ce sont là deux points de vues différents. Nous estimons que la frontière est nécessaire pour préserver notre caractère minoritaire à l'échelle continentale et d'affirmer notre canadianité. Pour les Américains, la frontière ne posait pas problème: elle était poreuse, avec les Américains d'un côté et les Canadiens de l'autre. Après les attentats du 11 septembre, c'est devenu une question de sécurité.
    M. Beatty a laissé entrevoir la possibilité d'envisager un réexamen de toute cette question. La frontière est vraiment une question de sécurité pour le Canada, me semble-t-il. Ce n'est plus une question identitaire. Sur les plans de la contrebande, des armes à feu et de la criminalité, la menace la plus sérieuse vient, selon moi, de notre voisin du Sud. Les Américains confondent les questions identitaires, ne comprenant pas les aspirations des Canadiens par rapport aux aspirations des Mexicains, qui posent problème à la frontière sud des États-Unis.
    J'essaie de songer aux recommandations que nous pourrions formuler au gouvernement pour modifier notre position. Il me semble que c'est nous qui sommes exposés et que le Canada n'est pas plus une menace pour les États-Unis que ne l'est l'État de la Pennsylvanie pour l'État de New York. Il n'y a, me semble-t-il, aucun risque. Pourtant, on perçoit qu'il y en a un.
    Monsieur Kergin et monsieur Beatty, pouvez-vous m'éclairer? Comment pouvons-nous exprimer ce message plus clairement aux États-Unis? Je pense que nous avons des lacunes à ce chapitre. Ma théorie est-elle valable?

  (0955)  

    Je pense que vous avez bien compris cet enjeu.
     Il est intéressant de noter que la sécurité préoccupait les Américains pendant la guerre froide, mais que le Canada leur procurait alors un atout. Pourquoi? Parce que notre vaste territoire donnait aux Américains le temps de repérer les missiles soviétiques et, le cas échéant, de les éliminer avec les appareils NORAD.
    Ils se seraient écrasés chez nous.
    Bravo! C'est là, je pense, notre problème.
    Après les attentats du 11 septembre, la frontière est soudainement devenue la priorité absolue. Notre vaste territoire couvert de blanc, qui leur procurait un atout auparavant, devenait soudainement un handicap. Que faire d'un si vaste territoire?
    Je pense donc que la sécurité a toujours été primordiale, mais qu'elle a pris une forme différente à cause des attentats du 11 septembre.
     Vous avez tout à fait raison: par le passé, le Canada a déjà envisagé la frontière comme une affirmation de sa différence en matière de valeurs, de politique étrangère, de régime politique et de gouvernance, ce qui venait réconforter davantage les Canadiens. C'était à l'époque où le Canada craignait encore un peu que les valeurs américaines se répandent chez lui ou prennent le pas sur les nôtres.
     Voici une affirmation très personnelle sur le plan politique: je pense que nous n'en sommes plus là. Je ne crois pas que les Canadiens soient menacés ou s'estiment menacés par le mode de vie américain comme il y a 15, 20 ou 25 ans. Dans une certaine mesure, nous croyons de moins en moins que la frontière protège nos valeurs. C'est ce que vous faites valoir, et je suis d'accord avec vous.
    Malheureusement, il est vrai que les attentats du 11 septembre ont amené les Américains à considérer leur frontière comme une barrière de sécurité. À Washington, on affirme ne pas vraiment se sentir trop menacés par les armes à feu canadiennes, la variété de marijuana cultivée en Colombie-Britannique ou le passage de clandestins coréens, etc. Ce sont, pour les Américains, des problèmes, qui ne sont toutefois pas énormes. À ce que j'ai appris, ils s'inquiètent davantage de nos règles qui permettent à des étrangers de passer par le Canada pour ensuite se rendre aux États-Unis. C'est en quelque sorte le problème avec lequel ils sont aux prises.
    Quiconque s'est rendu à Newark a pu constater que les Norvégiens, les Suédois et les Britanniques sont photographiés et que leurs empreintes digitales sont prises, ce qui n'est pas le cas chez nous. Les Américains commencent à penser que le Canada devrait peut-être les imiter et adopter les mêmes contrôles de sécurité. Un refus de notre part renforcerait leur sentiment d'insécurité.
    La tâche n'est pas tout à fait terminée, je pense, si nous voulons parvenir à convaincre les Américains que nous sommes en mesure d'assurer la protection de notre partie du territoire nord-américain. Comme l'a signalé Perrin Beatty, nous devrons peut-être revoir quelques principes de base pour mettre en branle ce dialogue. Il faudrait peut-être se demander quelles mesures nous allons adopter face aux étrangers qui passent par le Canada pour se rendre aux États-Unis.

  (1000)  

    C'est une excellente question. Je souscris entièrement à l'analyse de monsieur l'ambassadeur Kergin, mais je pense que je vais aller plus loin.
    Dans votre question, vous signalez que les Canadiens envisagent la frontière sur le plan de la culture et de l'identité politique, ce qui est particulièrement utile puisque cela nous amène à nous poser la question fondamentale suivante: Qu'est-ce qu'une frontière au XXIe siècle? Est-ce simplement une ligne sur la carte ou est-ce autre chose de tout à fait différent?
    J'estime que la frontière constitue la limite départageant deux états souverains. Elle pourrait être dans le cyberespace. La frontière entre les États-Unis et l'Allemagne n'a pas été efficace à Francfort lors des attentats du 11 septembre. Ce n'est pas simplement une ligne sur la carte. Je pense que le comité doit définir plus largement ce qu'est une frontière. Quelle est son importance et quel objectif poursuivons-nous?
    D'une certaine façon, j'ai fait office de protecteur de la frontière lorsque j'étais président de la SRC, cet élément du rempart culturel que nous avons érigé simplement pour que nous ne soyons pas submergés par le contenu des émissions américaines.
    Je vous recommanderais donc vivement de revenir aux principes de base: définir ce qu'est une frontière, établir l'objectif que nous poursuivons et élaborer les mesures pour mettre le tout en pratique dans le contexte de nos relations bilatérales avec les États-Unis.
    Autre élément important, vous avez soulevé la question de l'intégrité physique le long de la frontière. Vous avez parlé avec justesse de la menace éventuelle à la sécurité et des activités criminelles venant de notre frontière sud.
    Ce qui me préoccupe notamment au sujet de la protection frontalière que nous mettrons en oeuvre, c'est qu'on nous amène à imiter ce que font les Américains.
    L'Agence des services frontaliers du Canada a un vaste mandat, mais ne possède pas les fonds nécessaires pour mener à bien les travaux qui coûteront des centaines de millions de dollars au cours des prochaines années. Son budget ne lui permettra pas d'accomplir le travail qu'on lui a confié, si les choses ne changent pas. Et si vous demandiez aux autorités quel est le plus grand danger provenant de notre frontière sud, on ne vous répondrait pas que c'est le terrorisme, on vous répondrait que ce sont la contrebande du tabac, des armes à feu et de la drogue ainsi que le crime organisé. Nos priorités sont déformées, et notre sentiment de sécurité est amoindri.
    Merci, monsieur Oliphant.
    Je cède maintenant la parole à monsieur Ménard, qui dispose de sept minutes.

[Français]

    Je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser. Par contre, vous venez de confirmer notre impression, à savoir que nous ne pouvons pas espérer régler nous-mêmes nos problèmes de frontières. Ils sont dus largement à l'incompréhension des Américains. C'est un problème récent.
    Dernièrement, je suis allé à Stanstead, qui est littéralement une ville frontière. Elle a vu le jour au XIXe siècle. Une communauté était alors établie des deux côtés de la frontière, isolée du Canada aussi bien que des États-Unis. La famille la plus riche de cette région, qui était d'origine américaine, a délibérément construit un édifice important sur la frontière, de façon à ce que des deux côtés de celle-ci, les gens puissent avoir accès à une bibliothèque et éduquer les jeunes. En outre, une salle de spectacle — c'était avant l'ère du cinéma — a été bâtie à cet endroit. Elle y est encore aujourd'hui et elle est en fonction. Je crois qu'elle compte environ 300 places. Quels changements nous avons connus depuis cette époque! Je me rappelle avoir traversé la frontière avec mes parents, quand j'étais petit, et avec mes propres enfants, il y a 20 ou 25 ans, pour aller au bord de la mer.
    Il a été question de ce qu'on devrait faire, et je suis entièrement d'accord, monsieur Beatty. Par contre, quelle chance avons-nous de convaincre les Américains des avantages d'une gestion commune des frontières?
    L'échange sur le plan de la sécurité est important. Les Américains semblent toujours chercher des façons objectives de traiter les cas de sécurité. Il me semble cependant qu'ils vont trop loin. Par exemple, nous accordons des pardons aux gens qui ont des dossiers judiciaires, généralement pour des infractions mineures, mais nous échangeons les dossiers criminels. Quand on efface un casier judiciaire au Canada, qu'on accorde un pardon, les Américains ne le font pas. Or, parmi les personnes reconnues coupables au criminel de conduite avec facultés affaiblies au cours des 15 dernières années, je ne connais aucun terroriste, aucun individu ayant vraiment mis en danger la sécurité américaine. Pourtant, quand nos électeurs viennent nous voir dans nos bureaux de comté, c'est de ce genre de problème qu'ils nous parlent. Ce problème est à la hausse.
    J'ai été ministre de la Sécurité publique au Québec pendant un certain temps et j'ai même été ministre à la fois des Transports et de la Sécurité publique. Je l'étais avant et après le 11 septembre 2001. J'ai remarqué qu'il y avait une collaboration extraordinaire entre les États américains et les provinces canadiennes, principalement le Nouveau-Brunswick et le Québec, quand il s'agissait de sécurité civile, du rétablissement des lignes électriques. À maintes reprises, des ouvriers américains ont pu facilement traverser la frontière pour venir réparer des lignes électriques canadiennes rompues par le verglas. Réciproquement, quand des inondations ont lieu de l'autre côté de la frontière, nos ouvriers aident les ouvriers américains à rétablir leurs lignes, et ainsi de suite.
    Est-ce que je me trompe en disant que le problème provient des États-Unis? Compte tenu de votre expérience, messieurs Kergin et Beatty, j'aimerais vous demander comment cette impression pourrait être modifiée.
    Par ailleurs, j'ai toujours été inquiet de voir qu'une femme aussi intelligente et bien informée que Mme Clinton avait à ce point, en tant que sénatrice, une réaction de type small town, c'est-à-dire la conviction que le mal vient d'ailleurs. Quand une panne majeure a frappé l'Amérique en 2003, la sénatrice américaine était persuadée que ça venait du Canada. Or, ce n'était pas le cas. Le même problème se pose en ce qui concerne les menaces terroristes.

  (1005)  

    Au plus haut niveau, il y a donc une mentalité — je pense que nous en convenons tous — que nous devons changer. Par contre, nous sommes prêts, tandis qu'eux ne le sont pas. C'est ça, le problème.
    J'aurais un commentaire.
    J'ai fait affaire avec le Department of Homeland Security, à Washington, de même qu'avec le gouvernement fédéral canadien. À mon avis, le problème existe des deux côtés de la frontière. Le dialogue doit se faire de façon beaucoup plus rapprochée que ce qui se fait en ce moment.
    Vous avez complètement raison au sujet de la coopération qui existe entre certaines provinces — vous avez mentionné le Nouveau-Brunswick et aussi le Québec — et les États. On a certainement vu cela. On a aussi vu ce phénomène entre la province de la Colombie-Britannique et l'État de Washington. On le voit aussi entre l'Ontario et l'État de New York.
    On voit donc ce genre de chose. Une collaboration, une coopération, est en train de se faire, bien qu'on ne voie pas ce phénomène au niveau fédéral entre le Canada et les États-Unis, autant qu'au niveau régional. On le voit aussi au niveau des villes: la coopération entre Windsor et Detroit par exemple, ou celle entre l'État de New York et l'Ontario, à Niagara Falls. Ce genre de collaboration est en train de s'établir, bien qu'on n'ait pas de stratégie ou de politique commune au Canada et aux États-Unis. Justement, une des plus grandes barrières qui demeurent est le fait qu'on n'ait pas de politique de sécurité publique commune aux deux pays. On n'a que des pratiques —  ce ne sont même pas des politiques — au niveau régional. Et ça aussi, c'est un problème...

  (1010)  

    On pourrait demander, avec l'accord du président, que M. Kergin et M. Beatty, qui sont les mieux qualifiés, puissent répondre à mes inquiétudes qui sont partagées, je crois, par les membres du comité.
    On a du temps seulement pour une très courte réponse.

[Traduction]

     Puis-je essayer d'y répondre, monsieur le président?
    Premièrement, je voudrais m'excuser d'avoir endommagé votre système de sonorisation. C'est la raison pour laquelle on m'avait interdit d'appuyer sur les boutons lorsque j'étais ministre de la Défense nationale.

[Français]

    Monsieur Ménard, merci beaucoup de votre question qui est très importante.

[Traduction]

     En deux mots, si nous ne changeons pas les règles du jeu, nous perdrons la partie, les Américains et nous, mais c'est nous qui serons les grands perdants. Il faut modifier les règles du jeu. Si nous n'abordons pas exhaustivement le problème de la frontière actuelle, nous nous retrouverons constamment avec une solution provisoire à mesure que les opérations frontalières coûteront plus cher, que les formalités seront plus astreignantes et qu'il sera plus difficile de passer d'un pays à l'autre. Il faut convaincre les Américains d'aborder d'une façon beaucoup plus globale le problème de la sécurité de l'Amérique du Nord, quelles que soient les circonstances: pandémie, opérations militaires, lutte contre le terrorisme, activités criminelles etc. Nous devons modifier les règles du jeu. C'est aussi simple que cela, sinon nous perdrons la partie.
    Merci, monsieur Beatty.
    Je m'excuse, mais il faut passer à un autre intervenant. Monsieur Beatty, vous aurez peut-être l'occasion de préciser votre pensée à cet égard en répondant à une autre question.
    En fait, je suis content que le système de sonorisation fonctionne encore. J'ai cru que vous essayiez d'accaparer le microphone, parce que vous aviez peur de ce que les autres témoins allaient dire.
    Je suis ici pour répondre aux questions, monsieur le président.
    Monsieur Davies, vous disposez de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais d'abord formuler un commentaire général, puis poser quelques questions plus précises.
    Commençons par le commentaire général: probablement comme beaucoup de Canadiens, je ressens un peu de frustration lorsque la question de la frontière est abordée avec les États-Unis, parce que j'estime que le principe de base est erroné. Il suffit de lire les récents propos de Mme Napolitano à ce sujet. Depuis les attentats du 11 septembre qui ont, à juste titre, passablement ébranlé les Américains, aucun fait survenu ne justifie, je pense, toute l'attention que nous avons vue se concentrer sur la frontière. Outre l'affaire Ressam d'il y a quelques années, il n'y a eu à mon avis aucun cas de Canadiens qui aient traversé la frontière pour aller se livrer à des activités terroristes en sol américain. Le franchissement de la frontière par des nôtres n'a entraîné aucune controverse commerciale. Pourtant, on a pris des mesures comme si tel était le cas.
    Je veux insister sur le fait qu'une telle situation me frustre. J'estime que nous prenons une gamme de mesures et consacrons énormément de temps, d'énergie et d'argent pour régler un problème sans que je n'aie jamais été convaincu de son existence réelle. Néanmoins, je saisis votre message: la situation fait en sorte que nous ne pouvons peut-être pas nous permettre de contester ce principe de base.
    J'ai deux questions à vous poser sur les thèmes suivants.
    Ma première porte sur la souveraineté. Monsieur Beatty, j'aime bien la gracieuse expression que vous avez employée lorsque vous avez parlé de la « limite départageant deux États souverains ». Lorsqu'il est question de frontière, d'harmonisation, d'échange de renseignements et, plus particulièrement, lorsqu'il est question de partenariat pour la sécurité et la prospérité, je crains que nous ne puissions plus fixer nos normes ni mener nos affaires nous-mêmes si, de concert avec les États-Unis, nous adoptons des procédures, des politiques et des solutions communes.
    Je donnerai quelques exemples sur lesquels je solliciterai votre avis. J'ai lu qu'on propose que le Canada adopte le processus d'homologation des médicaments et des produits pharmaceutiques de la Food and Drug Administration des États-Unis.
    Je voudrais ensuite aborder un sujet que je connais bien à cause de mon emploi précédent. Les Américains soumettent leurs travailleurs à des tests antidrogue inopinés, ce qui n'est pas légal au Canada, et des pressions sont exercées pour que nous adoptions cette pratique ici.
    Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Je sais que vous avez beaucoup réfléchi à la question. Comment pourrions-nous protéger la souveraineté canadienne dans les mesures que nous prenons pour nous attaquer aux problèmes très réels en matière de sécurité? Avez-vous des craintes à cet égard?

  (1015)  

    Oui, monsieur Davies. Je vous remercie de votre question, qui est très pertinente.
    Il était important, je pense, d'aborder les choses d'une façon très pragmatique et de mettre de côté les aspects idéologiques qui régissent depuis tout temps nos relations bilatérales. Pour le problème que vous avez soulevé, il faut se demander si la mesure envisagée est sensée. Nous avons des normes communes en ce qui concerne l'électricité de nos réseaux. Sans elles, notre souveraineté serait-elle plus protégée? Non. Nous avons des normes communes dans le domaine de la radiodiffusion. Nous avons des normes techniques communes. Sans elles, notre souveraineté serait-elle plus protégée? Non. Si nous utilisions des écartements différents sur nos voies ferrées respectives, notre souveraineté serait-elle plus protégée? Non. Si nos routes ne se poursuivaient pas au-delà de la frontière, notre souveraineté serait-elle plus protégée? Non.
    Cela ne veut pas dire de simplement renoncer à ce qui nous distingue comme Canadiens. Nous devons plutôt nous concentrer sur ce qui est inhérent à notre identité. C'est ce qu'il faut protéger. Tout le reste peut se négocier. Il suffit simplement de se demander sur quels aspects nous sommes censés collaborer comme partenaires pour assurer la sécurité du continent nord-américain. C'est ce que nous faisons depuis plus d'un siècle au sein de la Commission mixte internationale.
    J'ai eu une réunion très intéressante la semaine dernière avec l'honorable Herb Gray, qui m'a parlé alors de ses activités dans un domaine où les choses fonctionnent très bien: la congestion de la Voie maritime du Saint-Laurent.
    Dans les domaines de la planification des transports, de l'environnement, de la mobilité des travailleurs, des échanges commerciaux, de la défense et de la sécurité notamment, il est censé d'examiner comment nous pouvons être des partenaires à l'échelle du continent nord-américain dans l'intérêt de nos deux pays respectifs, sans pour autant renoncer à une partie de notre souveraineté.
    Enfin, ayant également été ministre de la Santé, je ferai valoir qu'il est censé de chercher à collaborer afin d'harmoniser l'évaluation des produits et autres contrôles analogues, puisque nous visons essentiellement les mêmes objectifs, que nous obtenons essentiellement les mêmes résultats et que nous utilisons essentiellement une méthodologie qui est la même à quelques détails près, notamment sur le plan des modalités et des rapports.
    Lorsque nos valeurs respectives sont fondamentalement différentes, il faut alors se réserver le droit de faire cavalier seul.
    Merci.
    Monsieur l'ambassadeur Kergin, vous avez, je crois, signalé dans votre exposé que, tout en protégeant la frontière, nous devons nous rappeler qu'il ne faut pas négliger les droits de la protection des renseignements personnels et les droits de la personne. Pourriez-vous nous donner des précisions? Quels droits seraient susceptibles d'être en cause?
    L'affaire Maher Arar constitue, à mon avis, l'exemple le plus remarquable, où l'extradition aux États-Unis d'un citoyen canadien a été jugée inacceptable du point de vue canadien. L'extradition a eu lieu très peu de temps après les attentats du 11 septembre. Dans toute négociation avec les États-Unis, il est très important que nous établissions nos limites, notre chasse gardée. Nous devons définir ce qui est acceptable du point de vue canadien, compte tenu des obligations imposées par notre Charte au chapitre de l'échange d'information et du renseignement, de la coopération diplomatique, de l'amélioration des normes relatives au trafic conteneurisé et de l'information préalable sur les voyageurs arrivant en Amérique du Nord, notamment.
    L'échange d'information et du renseignement n'est pas mauvais en soi, si nos droits fondamentaux sont respectés, si la protection de la vie privée et des droits de la personne est assurée. Les Américains ont également des garanties assez solides à ce chapitre, mais nous devons peut-être tenir compte des différences dans leur constitution et leur système juridique.
    Si je reviens au point précédent que vous avez fait valoir sur la subordination des compétences, il me semble qu'il faut éviter de collaborer sur ces deux dossiers si nos valeurs respectives entrent en conflit. Nous pourrions par contre collaborer avec les Américains dans bien d'autres domaines: échange d'information, maintien de l'ordre, lutte contre la criminalité, etc.
    Monsieur Norlock.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également les témoins de leur présence.
    J'ai écouté les propos de M. Beatty sur certains aspects ésotériques du problème de la frontière, mais je suis plutôt du genre pragmatique. Ma circonscription se trouve dans le sud-est de l'Ontario, où bon nombre d'entreprises de fabrication ont besoin d'une frontière perméable. Pour assurer leur survie, ces entreprises doivent réaliser quelques profits, et l'hermétisme de la frontière leur porte préjudice à cet égard.
    La majeure partie des exposés de ce matin m'a appris que le Canada n'a pas vraiment la visibilité qu'il devrait avoir aux États-Unis, compte tenu de l'importance que nous devrions avoir pour eux sur le plan des échanges commerciaux et des relations étrangères. À bien des égards, il n'y a pas beaucoup de différences entre nous et les États-Unis. Et il y a bien sûr certaines différences, ce qui est bien en soi, mais il y a beaucoup d'autres choses importantes qui ne comptent plus lorsque vous avez le ventre vide et que vos entreprises ferment. Il nous faut un toit et de quoi manger. Nous avons donc besoin d'une frontière plus perméable et non plus hermétique.
    Un peu plus tôt cette semaine, nous avons lu sur les moyens que le Canada doit prendre afin d'être plus visible pour les Américains, et je veux revenir sur le propos de M. Beatty au sujet de notre collaboration étroite au sein du NORAD, ce qui serait peut-être une bonne façon d'aborder les problèmes relatifs à la frontière.
    Monsieur Kergin, vous avez vécu longtemps aux États-Unis, y représentant le Canada et essayant d'y rendre notre pays plus visible. Lorsque j'ai lu une de vos déclarations que vous avez faite un peu plus tôt cette semaine et selon laquelle vous n'obtiendriez pas l'attention que vous souhaiteriez des médias nationaux même si vous vous retrouviez complètement nu devant l'obélisque de Washington, j'ai pensé à nos tentatives récentes, en l'occurrence lorsque notre premier ministre a essayé de dire ceci à la télévision américaine en s'adressant du moins au milieu des affaires ou à l'Américain moyen pour qui les questions fondamentales ont une signification: « Ohé! Nous sommes importants pour vous. Vous ne le savez peut-être pas, mais nous le sommes. »
    Ma première question s'adresse surtout à M. Kergin, mais également à M. Beatty et à M. Muller. Je sais qu'on ne peut pas faire comme si de rien n'était, mais croyez-vous premièrement que nous avons besoin d'une campagne — je ne parle pas d'une campagne de publicité —, mais...?
    Je pense, monsieur Beatty, qu'il vous incomberait de faire valoir notre point de vue devant les différentes chambres de commerce des États-Unis qui pourraient à leur tour aborder le tout avec leurs membres de la Chambre des représentants et du Sénat.
    Monsieur Kergin, comment notre gouvernement peut-il rendre le Canada plus visible sans qu'on soit obligé d'aller se dénuder en face de l'obélisque de Washington?
    Monsieur Muller, comment pouvons-nous modifier certaines procédures frontalières, parce que, comme M. Beatty l'a signalé, nous ne pouvons plus continuer d'imiter les Américains car nous nous retrouverons dans une impasse et nous ne pourrons plus progresser? Par contre, si nous n'allons pas dans leur sens, ils vont simplement nous isoler. Je ne crois pas qu'on puisse y parvenir en utilisant le modèle du NORAD.
    J'adresse donc ma question tout d'abord à M. Kergin, puis à M. Beatty, et enfin à M. Muller. Que pensez-vous de ce que je viens de dire?

  (1020)  

    Je vous remercie. Je crois que vous venez de soulever la fameuse question à 64 millions de dollars, celle à laquelle je m'efforce de répondre depuis 30 ans que je travaille dans le domaine des relations Canada-États-Unis, et c'est-à-dire: « Comment attirer l'attention des États-Unis? » Vous savez ce qu'on dit: « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». Eh bien, je crois que ça résume très bien la teneur de nos relations avec les États-Unis.
    S'il survient un incident en Géorgie ou en Ukraine, vous pouvez être certain que cela défraiera la manchette, mais vous ne verrez jamais aucun journal américain s'extasier sur l'étendue des relations commerciales qu'entretiennent nos deux pays. Pendant les cinq années où j'ai été à Washington comme ambassadeur, la seule fois où j'ai vu le Canada faire la une du New York Times, c'est lorsque le ministre de l'Énergie de l'Alberta a osé suggérer que l'énergie produite au Canada pourrait aller en Chine au lieu de traverser la frontière vers le Sud. Du point de vue des Américains, c'était une très mauvaise nouvelle, et c'est pourquoi nous avons fait la une du New York Times.
    Je ne vous dis pas qu'il faut créer des mauvaises nouvelles, comprenez-moi bien. Je dis seulement que ça explique une partie des choses, du moins dans une certaine mesure, et que les bonnes nouvelles se retrouvent rarement dans les médias.
    J'y reviendrai, si vous permettez, car cela m'amène à une autre question posée par M. Ménard. C'est facile de dire: « Pour influencer les États-Unis, il faut influencer un Américain à la fois. » Je vous rappelle qu'il y a 300 millions d'Américains aux États-Unis, alors ça ne se fait pas en criant « ciseaux ». Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un fond de vérité dans ces paroles, dans le sens où j'ai pu constater que, pour attirer l'attention des Américains, il faut d'abord s'adresser aux gens de la base. C'est une démarche qui fonctionne déjà à l'échelle subnationale, entre les provinces et les États, ou entre les villes frontalières, entre qui les relations sont souvent excellentes.
    Par exemple, si on a un problème à régler en lien avec le bois d'oeuvre ou avec les frontières, on peut bien souvent se fier aux autorités subnationales et à nos consuls pour intervenir auprès des gouvernements des États, qui intercéderont auprès de leurs représentants fédéraux pour leur demander de faire bouger les choses. Le meilleur exemple auquel je puisse penser est celui, vous vous en souviendrez peut-être, de l'ambassadeur des États-Unis au Canada lorsque la Colombie-Britannique a commencé à parler d'un permis de conduire amélioré. Il s'agissait d'abord et avant tout d'une initiative de la Colombie-Britannique, qui a ensuite été reprise par l'Ontario et le Michigan... D'entrée de jeu, l'ambassadeur nous a dit: « Impossible. Ça n'arrivera jamais. La Sécurité intérieure ne voudra jamais rien savoir d'un permis de conduire amélioré. » Pourtant, et c'est peut-être parce que je sais mieux argumenter que lui, nous étions plusieurs à Washington à bien connaître les rouages politiques et à être convaincus que, si l'on présentait bien nos idées, que ce soit au sénateur Schumer à New York, aux sénateurs du Michigan ou à ceux de l'État de Washington, nous pourrions certainement faire une percée et trouver une solution préférable au laissez-passer ou à l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental, comme le permis de conduire Plus.
    Je crois qu'il ne faut jamais sous-estimer l'importance des relations transfrontalières avec nos voisins immédiats. C'est à eux qu'il faut demander de mettre de la pression sur Washington lorsque l'on veut faire reculer certaines dispositions législatives ou certaines perceptions que les gens des cercles fermés de la politique américaine ont pu adopter ou avoir et qui ont pu nous faire du tort, bien souvent sans arrière-pensée et simplement parce qu'ils connaissent mal le Canada, mais qui nous ont fait du tort quand même.

  (1025)  

    Je crois que nous touchons à quelque chose d'important et qu'il faut continuer dans la même veine.
    Quant à elle, la Chambre de commerce du Canada mettra à jour le rapport conjoint qu'elle prépare avec la Chambre de commerce des États-Unis, et formulera de nouvelles recommandations quant à la manière d'améliorer le fonctionnement de la frontière. Après un temps, nous devrons prendre du recul et évaluer les progrès marqués. Vous savez, ce ne sont pas les gens de grande envergure qui ont manqué à Washington, pas plus qu'ici d'ailleurs. Nous avons tous dû fournir notre part de ressources depuis le 11 septembre 2001.
    Et où en sommes-nous? Nous en sommes au point où, il y a à peine deux semaines, la secrétaire à la Sécurité intérieure affirmait que les terroristes responsables des attentats du 11 septembre étaient arrivés aux États-Unis par la frontière avec le Canada. John McCain, qui était ici-même à Ottawa pas plus tard que l'été dernier, a renchéri en disant qu'elle avait tout à fait raison et que les terroristes étaient bel et bien passés par la frontière canadienne. Si tous nos efforts d'information ne nous ont pas menés plus loin que ça, je crois qu'il est temps pour nous de nous arrêter et de nous demander si, au fond, notre stratégie fonctionne bien.
    Si les Américains sont prêts à dépenser 100 millions de dollars pour le lancement d'une nouvelle lame de rasoir, quelles sont les ressources que nous, Canadiens, devrons consacrer à une campagne d'information aux États-Unis? C'est pour cette raison, je le crois, que nous devons continuer à faire de notre mieux et à améliorer le système. Nous devons aborder nos relations avec les Américains sous un nouvel angle. Je parle ici d'une relation de premier ministre à président, et je parle ici d'une nouvelle idée, d'une idée qui sera assez importante pour que les décisions se prennent au niveau politique, et non par les bureaucrates. Ou bien on change carrément notre façon de faire, ou bien on redéfinit les règles.
    C'est la seule façon dont nous pourrons sortir gagnants.
    Je crois pouvoir résumer certains de ces éléments. Je me ferai l'écho des deux ensembles d'observations qui ont été faites. Selon l'un d'eux, nous devrions étudier ce qui fonctionne, et un gros problème est soluble si on le morcelle en parties assimilables les unes après les autres. Le permis de conduire Plus a beaucoup plus de succès dans l'État de Washington qu'en Colombie-Britannique. On en a exceptionnellement bien soutenu l'idée, pour laquelle on a obtenu une adhésion complète. Des réalisations telles que les Équipes intégrées de la police des frontières, auxquelles a contribué la Gendarmerie royale du Canada, ont réussi. Pourquoi? Parce qu'elles sont de taille modeste. Elles ont permis de nouer des rapports personnels et des relations de confiance. Il existe dans ces limites étroites toutes sortes d'initiatives que je connais bien, notamment dans l'État de Washington. Ces initiatives fonctionnent parce qu'elles permettent d'établir des rapports faciles à gérer. À l'échelle macroscopique, cela excède nos capacités. Dans sa seule dimension géographique, la frontière est immense.
    Le second élément qu'il faut changer, c'est le discours que l'on tient à l'égard de la frontière. Il est simpliste de la décrire comme une zone de sécurité. On fait alors fi de son rôle historique. C'est toujours, également, une interface propice à la socialisation. Une frontière sert aussi indissociablement à l'identité. Il en est ainsi depuis l'Empire romain, dont les frontières servaient davantage à la socialisation qu'à la sécurité. Si nous prenons le virage sécuritaire, il nous faudra reproduire ici ce qui se fait au sud de la frontière.

  (1030)  

    Monsieur Kania.
    Merci de votre présence.
    Monsieur Beatty, vous avez dit que le temps était venu pour des idées nouvelles, vous avez réclamé des méthodes nouvelles et vous avez fait allusion à l'Union européenne. Je veux en discuter. Vous m'avez enlevé les mots de la bouche. Je possède une maîtrise d'une université anglaise en droit de l'Union européenne et je veux discuter de ce sujet. Je veux revenir à ce à quoi une frontière peut servir. Actuellement, je peux constater que la majorité des Américains concentrent leur attention sur la sécurité et les menaces du terrorisme, mais je trouve bizarre qu'ils pensent que cette menace serait importante à la frontière canado-américaine. J'estime que la menace serait plus grande sur le périmètre de l'Amérique du Nord.
    D'après vous, que devrait-il se passer actuellement? Je suppose que votre objectif serait une frontière non défendue entre le Canada et les États-Unis, l'Amérique du Nord étant entouré d'un périmètre de sécurité plus étanche pour nous protéger tous.
    Je ne crois pas que nous atteindrons dans un avenir prévisible les réalisations des Européens. C'est bizarre quand on y pense. Comparez les difficultés qu'ils ont dû surmonter à celles de l'Amérique du Nord. En réalité, nous échouerons probablement. Cependant, pouvons-nous dilater les frontières? Pouvons-nous mieux connaître au préalable les personnes et les marchandises qui arrivent en Amérique du Nord, puis rendre la frontière canado-états-unienne plus perméable?
    Si nous comptons sur la frontière pour intercepter les terroristes, y compris ceux du cru, c'est une bouée à laquelle il est très dangereux de s'accrocher. Il faut partager les renseignements criminels de façon plus efficace, afin de reconnaître les menaces avant qu'elles n'approchent de la frontière. Cela signifie repenser à notre méthode de gestion de la sécurité et redéfinir les règles du jeu. C'est ce vers quoi, en effet, j'aimerais que nous nous dirigions.
    Compte tenu de nos services policiers et de tous les renseignements dont nous disposons, quelle est la différence pratique entre les menaces qui existent entre les États des États-Unis et les menaces qui existent entre le Canada et les États-Unis? Je n'en vois aucune. Comment se fait-il que les Américains redoutent qu'un risque plus grand pour les États-Unis vienne du Canada, plutôt que de régions de leur pays?
    En politique, la perception est souvent plus importante que la réalité. Est-ce que je crois que nous posons une menace moindre pour les États-Unis que de nombreux États à l'intérieur de ce pays? Oui absolument.
    J'ai demandé à un membre du Congrès s'il croyait que ses électeurs pensaient qu'un État étranger, peu importe ses compétences et ses intentions, pouvait assurer la sécurité des États-Unis d'une manière aussi efficace que les États-Unis eux-mêmes. Il m'a répondu qu'il croyait que ses électeurs s'attendaient à ce que les États-Unis prennent soin d'eux-mêmes. La frontière est là, et c'est un endroit pratique pour tirer la ligne. C'est là qu'ils consacrent leurs ressources.
     Logiquement et intuitivement, nous pensons que s'il se trouve davantage de policiers à la frontière, nous sommes plus en sécurité. Je prétendrais que la stratégie que nous suivons nous expose davantage au danger, parce qu'elle détourne des secteurs de haute priorité les ressources limitées qui sont consacrées à la sécurité. En termes de gestion des risques, il existe des secteurs de faible priorité. Il s'ensuit que la politique nous expose davantage au danger que nous le serions autrement.
    Par exemple, une priorité élevée pourrait être accordée à la protection du périmètre nord-américain et aux cargaisons qui y entrent, et non à la frontière géographique qui sépare les États-Unis et le Canada.
    J'inclurais des ressources en sécurité et en renseignement criminel. Si vous demandiez au chef de l'état-major interarmées des États-Unis: « Si vous aviez 10 000 ou 5 000 personnes à placer quelque part, les placeriez-vous le long de la frontière canadienne? », je sais quelle réponse vous obtiendriez. Si vous demandiez au chef de la CIA ou de la NSA: « Si vous aviez deux ou trois mille personnes ou quelques milliards de dollars de plus, vous en serviriez-vous pour lutter contre les menaces venant du Canada? », je sais quelle réponse vous auriez.
    L'argent disponible est limité et il est mal dépensé actuellement. De notre côté, il est terriblement mal dépensé, étant donné que les menaces viennent du crime organisé et du commerce illicite du tabac, des armes et de la drogue. Si vous faites comparaître un membre de la GRC devant le comité, demandez-lui combien de terroristes cherchant à entrer au Canada depuis les États-Unis ont été interceptés.

  (1035)  

    Vous savez qu'en janvier, la secrétaire Napolitano a commandé une étude sur la frontière canado-américaine. Vous avez lu ou entendu dire qu'elle avait fait des commentaires négatifs sur la frontière et la menace terroriste ou la sécurité par rapport au Canada.
    Oui.
    Vous avez déjà été ministre. Si vous l'étiez maintenant, auriez-vous fait quelque chose pour tenter d'amener la secrétaire américaine à changer d'opinion?
    Je crois que le gouvernement a agi. La secrétaire Napolitano devait venir à Ottawa il y a trois semaines. J'avait été invité à me joindre à un groupe devant manger avec elle, et j'espérais...
    Convenez-vous que le gouvernement canadien aurait dû se défendre de telles allégations auprès d'elle?
    Nous devons défendre en tout temps notre position sur toute question relative à la gestion de la frontière... certainement. Mais, chaque fois que des inquiétudes sont soulevées, nous devons réagir efficacement et de façon directe.
    M. McColeman, s'il vous plaît.
    Vous êtes tous des gens très estimés, et j'ai le plus grand respect pour chacun de vous. Mes observations vont vous guider là où j'aimerais obtenir une réponse -- il ne s'agit pas vraiment d'une question. J'aimerais formuler quelques réflexions. Je suis relativement nouveau en politique, mais j'ai une expérience très pratique de l'industrie de la construction, et j'ai vécu près de la frontière et fait des affaires des deux côtés.
    J'aimerais que MM. Beatty, Muller et Rhéaume peut-être me répondent. M. Rhéaume veut que la création d'une image de marque nationale devienne une priorité. J'ai entendu ensuite M. Beatty, un politicien chevronné, donner en exemple l'approche harmonisée des pays européens. L'agriculture est peut-être un bon exemple, bien que je ne connaisse pas la situation en détail. Je suis sûr que des normes ont été mises en place entre les pays qui facilitent la circulation des produits agricoles.
    À la lumière de ce qui s'est dit aujourd'hui, il semble que nous avons besoin d'une approche plus internationale et non d'une image de marque nationale -- d'une approche harmonisée pour régler toutes ces questions selon de nouvelles règles du jeu peut-être.
    Mais la réalité de la politique est bien là. Je suis tout particulièrement intéressé par les commentaires de M. Beatty à ce sujet. Cela me ramène à l'époque où le Canada a négocié l'ALENA avec les États-Unis. Je me souviens de tout le tollé provoqué parce qu'on craignait que l'accord détruise notre identité culturelle. Tout cela rejoint certains commentaires de M. Oliphant sur les diverses sortes de frontières.
    J'aimerais parler de la façon dont on pourrait créer une frontière moins hermétique, d'une manière pratique et pragmatique, étant donné la réalité politique dans laquelle toutes ces questions sont entremêlées et le tollé qu'une approche harmonisée pourrait soulever. Un thème commun semble se dégager de ce que vous dites, à l'exception de l'image de marque nationale préconisée par M. Rhéaume.
    Voilà donc le contexte dans lequel s'inscrivent mes commentaires. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez, s'il vous plaît?
    J'essaierai d'être bref. Changez les règles du jeu. C'est la seule façon.
    Des façons précises pour changer les règles du jeu, s'il vous plaît?
    Je crois que le premier ministre doit présenter la proposition canadienne au président américain, lui proposer un nouveau partenariat plus large, qui frappe son imagination, et qui ne peut être fixé par des bureaucrates.
    Si je peux me permettre d'intervenir, comme politiciens --, peu importe l'allégeance politique--comment allons-nous gérer cette question politiquement et répondre à ceux qui pourraient craindre que notre identité nationale s'en trouve diminuée?

  (1040)  

    Je crois que le changement d'administration aux États-Unis, entre autres avantages, amènera les Canadiens à percevoir les propositions de partenariat d'une façon plus pragmatique. Je crois qu'ils sont très ouverts. Ils ne croient pas que le président des États-Unis cherche à annexer le Canada. Comme l'ambassadeur Kergin vous le dira, la difficulté a toujours été d'attirer l'attention des Américains, et non d'échapper à leur surveillance, et la perception véhiculée au Canada selon laquelle les Américains veulent nous absorber et croient encore en la destinée manifeste constitue un réel obstacle pour nous. Actuellement, je crois que le climat a beaucoup changé au Canada. La difficulté pour nous maintenant consiste à nous placer sur l'écran radar des Américains. Nous n'y arriverons pas avec des idées insignifiantes. Nous n'y arriverons qu'avec des idées d'envergure, et nous ne devrons pas nous limiter aux échelons inférieurs. Nous devrons viser le niveau le plus haut possible.
    Monsieur, étiez-vous au gouvernement lorsque l'ALENA a été négocié?
    Oui, et lorsque l'accord de libre-échange a été négocié aussi. Vous avez parlé du débat suscité. La grande inquiétude qu'avaient tant de Canadiens tenait à ce qu'en ayant plus d'échanges commerciaux ensemble, nous risquions de devenir identiques; nous risquions de vendre notre culture et non nos produits culturels. Les études faites depuis montrent que, culturellement, nos valeurs ont changé depuis 20 ans. Les Canadiens sont maintenant beaucoup plus sûrs de leur identité et de leur souveraineté et savent que des échanges commerciaux entre partenaires adultes constituent une expression de la souveraineté et non une menace pour la souveraineté. Si la souveraineté se définissait par l'isolement, la Corée du Nord serait le pays le plus souverain du monde. Il ne l'est pas. Il n'est que l'un des plus pauvres.
    Merci.
    Monsieur Rhéaume.
    Soyez très bref. Le temps est écoulé.
    Je ne pense pas qu'il y ait eu une contradiction lorsque j'ai parlé de notre image de marque. Notre image doit être celle d'un pays sérieux, sûr, fiable; voilà comment les Américains doivent nous percevoir, et, s'ils sentent que nous sommes une nation sûre, fiable, cela aidera à lutter contre la désinformation dont nous avons parfois connaissance voulant, notamment, que des terroristes entrent aux États-Unis en provenance du Canada.
    Merci beaucoup.
    C'est maintenant au tour du Bloc québécois.
    Monsieur Ménard.

[Français]

    Je pense que vos exposés se complètent. Il est vrai qu'on doit élaborer une nouvelle politique. J'ai d'abord pensé que ce n'était pas un problème de douane, mais un problème du ministère des Affaires étrangères. À votre avis, il se situe au-delà. Il faut néanmoins tabler sur la collaboration qui existe déjà entre les États américains et les provinces canadiennes, et même entre des organisations comme les escouades mixtes régionales, que j'aime bien parce que j'en ai fait avant d'autres. Elles fonctionnent aussi très bien à la douane.
    Monsieur Kergin, j'ai appris que nous pouvions faire quatre voyages par année pour aller rencontrer des parlementaires à Washington. J'y suis allé une fois, lorsqu'il était question des passeports. Nous avons été extrêmement bien reçus, et, surtout, l'ambassade canadienne nous a aidés à rencontrer des gens, de sorte que nous avons passé une journée et demie extrêmement occupée. Certains de nos collègues de la Chambre des communes estiment que ce genre de contacts revient à du tourisme et que nous dépensons à tort l'argent des contribuables canadiens.
    Pouvez-vous corriger cette impression, si vous y croyez? Si vous n'y croyez pas, dites-le nous aussi.
    Selon mes observations après 12 ans à Washington dans différentes postes à l'ambassade, j'ai toujours apprécié les rencontres entre les représentants élus du Canada et les représentants élus des États-Unis parce qu'il y a un langage courant que nous, comme bureaucrates, n'avons pas.
     Lorsque j'étais sur la Colline, j'étais reçu comme un représentant du gouvernement canadien, mais comme un avocat pour une position canadienne.
    Tandis que les représentants élus du Canada pouvaient faire un pont avec leurs homologues parce qu'ils pouvaient parler en termes politiques, parler des problèmes de leurs concitoyens, demander s'il était possible de trouver une solution commune, et s'assurer ainsi de comprendre, comme politiciens, les défis auxquels ils faisaient face.
    On parlait un langage de sincérité, un langage commun que nous, comme bureaucrates, diplomates ou représentants canadiens, ne pouvions pas imiter; nous n'avions pas la même crédibilité.

  (1045)  

    Je vais poser une question plus précise au sujet des décisions que le Canada doit prendre dans l'immédiat.
    Monsieur Beatty, je comprends parfaitement ce que vous nous avez expliqué et que je considère comme très éclairant. Vous avez dit que la frontière n'est pas l'endroit où nous devrions investir. Cependant, dans le contexte actuel, croyez-vous que ce soit une bonne idée de réduire les ressources à la frontière, par exemple, une patrouille fluviale sur le Richelieu, ou de réduire les heures supplémentaires?
    Je crois qu'on donne ainsi l'impression aux Américains que même s'il s'agit de notre propre frontière, nous ne prenons pas la sécurité des frontières au sérieux, bien que je sois convaincu que tant les Américains que nous-mêmes consacrons beaucoup trop de ressources à cette fin, lesquelles seraient mieux investies ailleurs. Êtes-vous d'accord avec moi?
    Soit dit en passant, avant le 11 septembre, M. Zaccardelli disait exactement la même chose que vous, c'est-à-dire qu'il retirait ses policiers des frontières pour qu'ils enquêtent sur de grandes organisations criminelles à l'aide de l'écoute électronique et de toutes sortes d'activités qu'ils font à son bureau.

[Traduction]

    Je suis tout à fait d'accord avec vous. L'ambassadeur des États-Unis au Canada a déclaré après les attentats du 11 septembre que la sécurité l'emportait sur les échanges commerciaux. Je crois que c'était une erreur. Je crois que l'insécurité l'emporte sur les échanges commerciaux. Si les Américains estiment que les Canadiens ne prennent pas la sécurité suffisamment au sérieux, ils fortifieront encore davantage leur frontière avec le Canada.
    Je ne crois pas que vous pouvez rendre la frontière moins étanche en procédant unilatéralement. Et c'est le piège dans lequel nous nous trouvons. C'est exactement le problème. Voilà pourquoi nous devons définir de nouvelles règles. Tant que les règles du jeu resteront comme elles sont, nous continuerons de copier les Américains, même s'il est très peu probable qu'Al-Qaïda envoie des terroristes à Providence, au Rhode Island, pour attaquer Chicoutimi. Nous demeurerons toujours à l'affût des terroristes. Mais, si nous ne définissons pas de nouvelles règles du jeu et n'envisageons pas la sécurité sous une optique plus large -- assurer la sécurité de l'Amérique du Nord au moyen du concept du périmètre dont nous avons parlé plus tôt--nous resterons pris dans ce piège. Nous continuerons de dépenser à mauvais escient de l'argent qui pourrait servir à de meilleures fins.

[Français]

    Monsieur Rhéaume, je vous ai écouté très attentivement un peu plus tôt...

[Traduction]

    Je ne pense pas que vous n'avez pas compris. Votre temps est écoulé. Désolé, c'est tout.
    Merci.
    Monsieur Richards, s'il vous plaît.
    Merci, et merci à tous les témoins présents. Il est clair que vous connaissez tous très bien le domaine de la frontière et des relations canado-américaines. Nous sommes très reconnaissants de pouvoir apprendre grâce à vos connaissances et à vos expériences.
    Nous avons beaucoup mentionné aujourd'hui le mythe de la perméabilité de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Nous avons entendu certains des propos émis dernièrement aux États-Unis à ce sujet. Heureusement, les représentants américains ne partagent pas tous ce point de vue. Notamment, Tom Huffaker, consul général des États-Unis, a récemment fait le commentaire suivant, et je cite:
Les États-Unis ne voient pas le Canada — je dis bien « pas » — comme un refuge pour les terroristes. Nous voyons le Canada comme un pays qui a affronté la question de la menace terroriste internationale avec vigueur et efficacité. C'est notre meilleur allié, le plus efficace, dans la guerre contre le terrorisme.
    Ce point de vue n'est certainement pas partagé par tous les Américains. C'est sûr que l'idée que notre frontière est peut-être perméable circule parmi certains.
    Monsieur Kergin, je voulais en fait vous demander de nous parler un peu de vos expériences. Vous étiez là-bas lors de la crise du 11 septembre. J'aimerais que vous partagiez quelques-unes de vos impressions avec nous. Je suis certain que ces mythes étaient particulièrement présents quand vous étiez là en 2001. Je suis curieux d'apprendre au sujet de vos expériences, ainsi que des méthodes que votre équipe et vous avez employées pour lutter contre ces mythes; quels conseils pouvez-vous nous donner en ce moment pour régler la situation actuelle?

  (1050)  

    Merci. C'est une très bonne question.
    Certains membres du comité se rappellent sûrement que trois jours après les événements du 11 septembre, une histoire publiée dans le Boston Herald ou le Boston Globe — je ne me rappelle plus lequel — disait que trois des pirates de l'air avaient pris le traversier de la Nouvelle-Écosse pour se rendre à Boston, d'où ils avaient ensuite pris l'avion. Il s'agissait de celui piloté par Atta, qui a fait tomber l'une des tours. Cette histoire était complètement fausse et dès qu'elle est parue, nous avons compris à quel point elle serait toxique pour le Canada. Nous avons agi très vite; nous sommes passés par la GRC et d'autres organismes pour travailler avec le FBI afin de trouver la source de l'histoire. Nous avons découvert qu'il s'agissait bel et bien de renseignements déformés fournis par un agent subalterne du FBI à Boston. Quelques semaines plus tard, John Ashcroft, qui était procureur général à l'époque, a accédé à notre demande de déclarer publiquement la fausseté des propos; il a dit qu'on ne soupçonnait pas du tout que certains des pirates de l'air étaient passés par le Canada pour venir semer la destruction.
    Malheureusement, une fois qu'une histoire est lancée, il est presque impossible de l'éradiquer. Je peux vous dire: pendant cinq ans, j'ai traîné une petite carte dans ma poche parce que j'entendais si souvent des représentants dire, pendant des dîners ou sur la Colline ou ailleurs: « C'est bien dommage que vous, les Canadiens, n'ayez pas mieux contrôlé votre territoire; autrement, une des tours ne serait pas tombée. » Je devais débiter ma citation de John Ashcroft, qui affirmait catégoriquement que c'était faux.
    D'abord, il y a une idée ou une histoire qui circule, et c'est très difficile de rectifier les faits une fois que l'histoire est publiée. Ensuite, on a toujours tendance à blâmer l'autre; car le petit secret bien gardé au sujet du 11 septembre, c'est que des 19 ou 20 pirates de l'air, je pense que 17 ou 18 sont entrés légalement aux États-Unis. C'est vrai qu'ils avaient dépassé la durée fixée de leur séjour, mais ce sont les représentants de la sécurité et de l'immigration des États-Unis qui ont commis l'erreur, et non ceux d'un autre pays. Ils sont entrés directement aux États-Unis.
    Le gouvernement et les médias ont mis beaucoup de temps à reconnaître publiquement ce fait. Disons qu'ils n'étaient pas pressés d'admettre qu'ils s'étaient mis les pieds dans les plats.
    L'autre point que j'aimerais mentionner est au sujet de Hillary Clinton. J'ai fait sa connaissance dans le cadre de mes fonctions antérieures, lorsque j'étais conseiller en politique étrangère et en défense de M. Chrétien. Nous avons rencontré les Clinton à de nombreuses reprises. Elle s'intéressait beaucoup au Canada. Elle connaissait le Canada, et elle s'intéressait beaucoup à notre système de soins de santé. Dans sa campagne pour devenir sénatrice de l'État de New York, elle avait besoin d'obtenir des votes dans le nord de l'État, région qui a tendance à voter pour le Parti républicain. Pour y arriver, elle s'est mise à dire que la frontière entre l'État de New York et le Québec n'était pas sécure, et qu'il fallait donc augmenter les ressources pour permettre aux agents de la Sécurité intérieure d'ouvrir d'autres bureaux à cet endroit. Ces propos ont eu des conséquences immédiates sur les villes pauvres situées près de la frontière. C'est tout ce qu'il a fallu.
    Quelques-uns d'entre nous, y compris John Manley, ont réussi à lui parler au sujet de ses déclarations sur la perméabilité de la frontière, et il est devenu clair que ses propos servaient vraiment à des fins politiques. Malheureusement, c'est parfois de cette manière que la politique fonctionne aux États-Unis.
    Comment faut-il réagir à ces situations? En contredisant souvent et vite de telles déclarations. En faisant de la publicité dans les journaux. En faisant paraître des lettres d'opinion dans le New York Times, si le journal accepte. En accrochant le plus grand nombre de membres du Congrès possible. Mais comme je l'ai dit, une fois qu'une idée ou une déclaration circule, c'est très difficile de rectifier les faits.
    Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.
    Certainement, je vous remercie de vos conseils.
    J'espère bien que l'attention que le gouvernement porte à l'amélioration de la sécurité à la frontière — par exemple, avec des mesures comme l'armement de nos garde-frontières, ainsi que les nouvelles initiatives pour lutter contre le trafic de drogues et d'autres produits sur notre frontière —, que ces mesures passeront et que les États-Unis seront bien au courant de ce que nous faisons. Je suis sûr que nous y arriverons, et j'espère que les initiatives que notre gouvernement prendra aideront à faire reconnaître aux États-Unis que le problème de la frontière n'est pas aussi grave qu'ils le croient.
    Votre temps est écoulé. Désolé, nous allons devoir arrêter là.
    Monsieur Holland, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins. Je pense que cette séance est très informative.
    Je vais reprendre peut-être les points qui ont été apportés. Lorsque j'ai participé à une réunion avec des responsables du Congrès, des membres du Congrès et des gouverneurs, le mythe du 11 septembre est revenu souvent. Certaines personnes qui ont été reprises semblent oublier les faits un an plus tard, probablement parce que c'est plus pratique du point de vue politique.
    Quelqu'un a mentionné le fait que lancer une campagne sur des rasoirs coûte des dizaines de millions de dollars. Nous avons dépensé très peu. En vérité, toutefois, même si nous dépensions tout cet argent, notre message est infiniment complexe — nous ne cherchons pas seulement à dire que notre rasoir rase bien. C'est donc difficile de le condenser en un clip sonore.
    J'aimerais aborder deux points potentiels liés à ce sujet. Le premier est l'avis de l'ambassadeur Kergin au sujet de notre message, à savoir s'il est adéquat ou peut-être si nous avons les ressources nécessaires pour le transmettre. Peut-être que le moyen le plus efficace d'y arriver est en tant que législateurs, en établissant un lien entre nos députés et les membres du Congrès, entre nos sénateurs et les leurs, etc.
    Deuxièmement, et je n'entends pas ce point comme une menace imminente, les États-Unis parlent d'indépendance énergétique, et la question se trouve au centre du programme d'Obama. J'adresserais peut-être ce point à M. Beatty. Il me semble qu'il y a un argument à présenter ici, et cet argument est que l'indépendance énergétique vous intéresse, mais que vous ne l'atteindrez pas sans la coopération du Canada. Peut-être que nous devrions leur envoyer le message suivant: « Nous voulons collaborer avec vous. Des cibles comme l'indépendance énergétique nous intéressent, mais si vous mettez fin à l'échange et si vous bloquez la frontière, soit à l'aide de barrières non tarifaires, soit à l'aide de barrières tarifaires si la situation se rend jusque-là, alors il sera très difficile pour nous de collaborer avec vous sur ce genre de projets. » Autrement dit, on ne peut pas tout simplement choisir les articles qu'on veut inclure dans une relation de libre-échange ouverte.
    Je vous demanderais donc une réponse rapide à ces deux points, puis j'ai une question au sujet de l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental.

  (1055)  

    Je m'occupe du premier.
    J'ai quitté Washington il y a quatre ans; je ne suis donc pas au courant de ce que les Affaires étrangères font exactement en ce moment en matière de campagnes. Toutefois, pour répondre à votre point, oui, comme je l'ai dit dans ma réponse à M. Ménard, je crois que les législateurs peuvent communiquer entre eux, et il faudrait en avoir le plus possible à Washington étant donné ce langage qu'ils peuvent avoir en commun. Leur présence ne veut pas dire qu'ils s'entendent sur tout, mais elle apporte certainement de la sincérité et de la vérité à la discussion.
    Je répéterais aussi ce que j'ai dit, encore une fois, en français je crois, que les gouvernements infranationaux ont un rôle à jouer en collaboration avec leurs États homologues de l'autre côté de la frontière, ou les États avec lesquels ils échangent le plus, pour souligner le point de l'interdépendance économique des deux pays, ainsi que le fait qu'épaissir la frontière ou ralentir les échanges de part et d'autre nuit aux États dont le plus important partenaire pour l'exportation est aussi le Canada. Comme quelqu'un l'a dit, 70 p. 100 de nos échanges restent habituellement dans le même secteur, et vont et viennent d'un côté à l'autre de la frontière.
    Je pense donc que nos législateurs et nos représentants peuvent apporter certains arguments sur l'importance du Canada comme partenaire commercial, partenaire pour leur prospérité économique à eux, et partenaire sur les questions de sécurité parce qu'il vaut mieux collaborer que devenir adversaires; mais je crois vraiment que le meilleur endroit pour le faire est sur la scène politique.
    Je crois bien que c'est à moi que vous avez adressé la question au sujet de l'énergie. Je préférerais que les sources d'approvisionnement en énergie du Canada nous servent de carotte plutôt que de bâton. Mais encore une fois, la carotte prend son importance si nous la plaçons dans le contexte global de ce que nous devons faire, c'est-à-dire entrer en discussion avec les Américains au sujet des partenariats — les partenariats pour l'environnement, la sécurité en matière d'énergie, la sécurité physique, la gestion de la frontière, la politique commerciale et toute une gamme de domaines —, mais en apportant des idées audacieuses.
    Nous devons aussi changer notre manière d'agir avec les Américains. Au cours des dernières années, nous avons pris l'habitude d'agir en parlant de nos sources d'irritation, et notre démarche fonctionne comme suit: « Bienvenue à Ottawa, monsieur le président, voici la liste des choses qui nous irritent et que nous voulons que vous régliez pour nous. » Ce à quoi ils répondent: « Bon, les Canadiens qui recommencent. »
    Je pense que quelqu'un, je ne sais plus qui, a cité Condoleezza Rice, qui a dit qu'une discussion avec les Canadiens ressemblait à une rencontre avec le syndicat des copropriétaires. Ce que nous devons dire à la place, c'est: « Bienvenue à Ottawa, monsieur le président. Nous sommes tous deux aux prises avec de grandes difficultés: des guerres sur divers continents, des pandémies, une crise économique mondiale, des inquiétudes au sujet de la sécurité, de l'énergie, de l'environnement. Nous sommes ici pour faire partie de la solution. Nous voulons collaborer avec vous et nous avons des idées sur la manière de réussir. »

  (1100)  

    Peut-être juste là-dessus...
    Je m'excuse, mais le prochain comité attend. Nous avons en fait une minute de retard.
    Juste très, très brièvement, c'est exactement ce que je voulais dire.
    Par exemple, si nous prenions la question de l'indépendance énergétique et que nous montrions aux États-Unis comment nous pourrions faire partie de la solution à un problème qui est tellement d'actualité et qui a tellement d'importance pour eux, si nous leur présentions un plan et leur disions: « Voici ce que nous pouvons faire, mais si nous allons travailler là-dessus, nous devons aussi aborder ces problèmes-ci »; pensez-vous que cette démarche serait efficace?
    De cette façon-là, nous ferions partie de la solution plutôt que du problème.
    J'aimerais remercier tous les témoins de leur présence et de leurs témoignages.
    La séance est levée.
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