AANO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 15 mai 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Chers collègues, nous allons ouvrir la séance. C'est la 24e réunion du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord. Aujourd'hui, nous avons le privilège d'entendre des représentants de la Commission Crie-Naskapie. Ils ont apporté avec eux un document de discussion sur le rapport produit en 2012 par leur commission. Nous les remercions de nous consacrer du temps.
Nous savons, monsieur le président, que vous avez demandé à comparaître devant notre comité. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer avec un préavis aussi bref.
Pour commencer, je me tourne vers vous, monsieur Saunders, président de la commission. Merci d'être venu témoigner devant notre comité. Nous allons vous demander de faire une déclaration préliminaire, après quoi, nous consacrerons le reste de l'heure aux questions.
Merci, monsieur le président.
Le greffier m'a signalé au départ que nous disposions d'une dizaine de minutes. Je sais par expérience que le comité fait preuve de souplesse là-dessus, mais d'un autre côté, nous nous efforcerons de ne pas prendre trop de temps et de respecter plus ou moins cette limite.
Tout d'abord, j'aimerais remercier le comité de nous avoir invités. Comme vous le savez sans doute, nous avons déjà comparu à plusieurs reprises devant votre comité et devant le comité précédent. La démarche nous a paru très utile, étant donné qu'elle nous permet de centrer notre attention sur certains aspects plus importants qui méritent d'être abordés à l'échelon politique pour obtenir des informations ou parfois des actions. Par conséquent, merci de nous donner l'occasion de témoigner.
Par ailleurs, n'en déplaise aux fonctionnaires avec lesquels nous traitons, notre comparution permet d'attirer un peu plus leur attention sur les aspects que nous évoquons devant le comité, plutôt que de prêcher dans le désert avec mes collègues.
Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec assigne deux fonctions principales à notre commission. Il s'agit de la préparation des rapports bisannuels destinés au ministre, qui sont déposés au Parlement et renvoyés automatiquement par ordre permanent à votre comité; et de l'examen des observations faites par des personnes, des institutions ou autres, relativement aux pouvoirs exercés en vertu de la loi et à l'exécution ou la non-exécution des fonctions, telles que précisées par la loi.
Le rapport que vous avez en main est celui de l'année 2012, déposé par le ministre à la Chambre en septembre 2012. Nous travaillons actuellement à la rédaction du rapport 2014 qui sera déposé en septembre prochain. Nous espérons que nos emplois du temps respectifs nous donneront encore une fois le privilège de nous rencontrer à l'avenir.
Aujourd'hui, nous aimerions attirer votre attention sur trois aspects. Je parlerai moi-même d'un de ces aspects, tandis que mes deux collègues traiteront des deux autres.
Le premier est la nécessité d'harmoniser les droits autochtones et issus des traités, y compris le droit inhérent, avec le droit administratif applicable à l'ensemble de la population au Canada.
Le deuxième aspect porte sur la nécessité d'examiner certaines préoccupations soulevées à plusieurs reprises par les collectivités et signalées par nous au cours des 20 dernières années, pour lesquelles aucune mesure n'a été prise. C'est notamment le cas de la nécessité d'apporter des modifications d'ordre administratif à la loi afin d'améliorer le fonctionnement des gouvernements locaux, d'adapter les exigences prévues par la loi en matière de référendum en fonction des besoins des différentes administrations, etc.
Enfin, nous aimerions également passer en revue les principaux éléments du rapport 2012. Je vais passer plus rapidement que prévu sur le premier aspect concernant le droit administratif. Je commencerai par dire que nous n'avons pas à nous plaindre en général de notre droit administratif. Il garantit une certaine équité de la part des commissions, tribunaux et autres organismes. Par exemple, si je dépose une plainte devant n'importe quel organisme, qu'il s'agisse de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada ou de la commission des taxis de Vancouver, je ne m'attends pas à voir siéger à cette commission une personne opposée à mon point de vue, ni son conjoint ou une autre personne de son entourage. Il n'est pas possible d'être juge et partie, ni même d'en donner l'apparence.
C'est une façon raisonnable de contribuer à l'équité dans des collectivités comptant plusieurs milliers, voire plusieurs centaines de milliers de personnes et dans un pays comme le Canada qui compte 35 millions d'habitants, on peut facilement trouver des gens qui ne sont pas apparentés à la personne qui comparaît devant une commission.
Par contre, dans une collectivité de 400, 500 ou 1 000 personnes, c'est pratiquement impossible. Alors, que faire? Nous avons communiqué au pays avec d'autres organismes semblables au nôtre afin d'examiner ce problème. Il est évident que la transparence doit être toujours observée. Les décisions doivent être détaillées. Il faut exposer les motifs soutenant les décisions afin de pouvoir les justifier devant n'importe qui et si la décision concerne un membre de votre parenté immédiate, un conjoint, un enfant ou autre, il ne faut pas hésiter à se retirer et à se faire remplacer temporairement par une autre personne.
Mais, depuis 28 ans, je doute qu'il ne soit jamais arrivé qu'une personne se présentant devant notre commission soit apparentée à l'un d'entre nous, en particulier mes collègues, qu'elle nous connaisse bien, qu'elle ait eu des liens antérieurs quelconques avec nous, ou fasse tout simplement partie de notre cercle d'amis. C'est pourquoi, il faut prendre bien soin de privilégier la transparence et d'appuyer les décisions sur des motifs plus détaillés, etc.
Il y a beaucoup d'autres domaines dans lesquels le droit administratif fonctionne très bien pour la plupart d'entre nous au Canada, mais pose problème dans certaines collectivités. C'est le cas par exemple du processus traditionnel de décision par consensus. Si les membres de la Commission des affaires municipales de l'Ontario présentent des points de vue divergents sur une question, ils prennent leur décision à la suite d'un vote. C'est la majorité qui décide et, la plupart du temps, cela nous convient bien. Même la Cour suprême prend, si nécessaire, ses décisions à la majorité, et c'est très bien.
Comme la plupart d'entre vous le savent, les collectivités autochtones préfèrent nettement prendre des décisions unanimes afin de ne pas imposer leurs décisions aux dissidents, mais plutôt tenter de les convaincre et d'aboutir à un consensus. Cela fait que les tribunaux administratifs, les commissions, etc., doivent faire un effort supplémentaire. Ils doivent tenir compte de cet aspect dans leurs procédures.
Dans notre cas, nous n'avons jamais pris de décision autrement qu'à l'unanimité, à une seule exception, et c'était au sujet d'une question administrative mineure. Étant un ancien bureaucrate, j'avais un point de vue différent de mes collègues. Mais c'est un fait que toutes les décisions importantes, sans exception, ont été prises à l'unanimité. Et ce n'est pas parce que nous n'avons pas d'opinions personnelles, mais tout simplement parce que nous écoutons les autres et que nous essayons de trouver une solution qui convienne à tous. Ce ne sont là que quelques exemples.
Il est évident que nous avons parlé de ceci avec l'Assemblée des Premières Nations. Nous en avons parlé avec la Commission des traités de la Colombie-Britannique qui souhaite particulièrement résoudre selon les méthodes traditionnelles les revendications territoriales qui se recoupent, même si la commissaire en chef Sophie Pierre précise, l'oeil malicieux, que parfois on a eu recours traditionnellement à des méthodes que nous n'appliquerions probablement pas de nos jours. Voilà un des aspects auxquels nous travaillons.
Depuis des années, nous sommes membres actifs du Conseil des tribunaux administratifs canadiens, mais le fait est que ce conseil est saisi de questions importantes ayant trait à des conseils et des commissions se rapportant à des millions de Canadiens. Il ne peut pas se concentrer sur ce seul aspect. Par conséquent, nous nous y attelons, en collaboration avec la CTBC, l'APN, notre ami Harry Slade du Tribunal des revendications particulières du Canada, et divers autres organismes.
Afin de ne pas dépasser le temps que vous m'avez alloué, je vais m'arrêter ici et si vous avez des questions, je serais heureux d'y répondre par la suite. Mais pour le moment, j'aimerais demander à mon collègue le commissaire Awashish de prendre le relais pour vous parler de certaines questions de gouvernance locale.
Depuis 1986, la commission s'est penchée sur de nombreux problèmes et préoccupations signalés par le peuple cri-naskapi. Nous existons depuis près de 30 ans. Les préoccupations soulevées par la population constituent la base des recommandations contenues dans les divers rapports que nous avons préparés. Une bonne partie de ces questions ont été réglées. Malheureusement, certaines d'entre elles n'ont toujours pas trouvé de solutions année après année et nous continuons à répéter nos recommandations.
Les principales questions de cette catégorie se rapportent à la nécessité de modifier la loi — c'est-à-dire la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec — entrée en vigueur en 1984. Cette loi existe depuis près de 30 ans, en fait depuis 30 ans cette année, et elle n'a jamais été modifiée en vue d'améliorer le processus de décision des gouvernements locaux et des administrations locales.
Le pourcentage prescrit par la loi relativement au quorum est trop élevé pour qu'il puisse être respecté. À l'époque où les parties intéressées se sont penchées sur la loi, la population crie comprenait environ 6 000 personnes. Aujourd'hui, elle a triplé et elle atteint désormais 18 000 personnes. Le pourcentage relatif au quorum exigeant qu'environ 20 % des électeurs se prononcent sur une question est beaucoup trop élevé, étant donné que le nombre des électeurs a considérablement augmenté ces dernières années.
Ces dispositions relatives au quorum étant fixées par la loi, les Cris sont tenus de les respecter. Il faudrait réviser et modifier ces dispositions.
Certains règlements comme celui qui concerne les emprunts à long terme nécessitent un quorum beaucoup trop élevé. Il n'est pas pratique d'exiger des bandes qu'elles tiennent un référendum sur un règlement relatif aux emprunts à long terme. Il arrive que les Cris doivent tenir un référendum parce qu'ils ne peuvent réunir 20 % des électeurs dans une salle de bande pour voter sur une question précise. Ils doivent avoir recours à un référendum. Nous pensons que cela ne devrait pas être nécessaire, car une telle façon de faire nuit à l'administration locale.
Il faut également se pencher sur la pénurie croissante du logement dans les collectivités cries. Nous savons que ce problème ne touche pas uniquement les Cris mais également les autres communautés autochtones du Canada. Chaque fois que nous réunissons la population pour des audiences sur la mise en oeuvre de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, le logement revient constamment sur la table. C'est une question cruciale à laquelle il faut trouver une solution.
L'autre question concerne les terres du bloc D, des terres voisines de la collectivité de Chisasibi. Une piste d'atterrissage est installée dans le bloc D. Depuis 1986, c'est une question qui est régulièrement portée à notre attention. Cette piste d'atterrissage devait être transférée à la collectivité de Chisasibi, mais jusqu'à présent, rien n'a été fait. Des progrès ont été accomplis, mais la question n'est pas encore réglée.
Une autre question qui nous est signalée périodiquement concerne les jeunes. Il faut leur offrir des programmes et des services et disposer des fonds nécessaires pour assurer leur fonctionnement. Le besoin est d'autant plus pressant que, dans notre nation, les jeunes sont beaucoup plus nombreux qu'ailleurs à souhaiter demeurer dans les collectivités. La commission a recommandé que le Canada se penche sur ce problème qui sévit dans les collectivités cries-naskapies depuis 22 ans, sans aucun signe de stabilisation.
Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, le commissaire Kanatewat.
Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, vous avez un exemplaire du rapport 2012. Il n'est pas nécessaire de vous lire les recommandations que nous avons présentées. Je vais me contenter d'attirer votre attention sur quelques points qui continuent de préoccuper le peuple cri sur le territoire.
Nous devons nous pencher sur l'évolution des gouvernements locaux. Au fil des années, vous avez entendu parler des efforts que nous avons déployés pour améliorer l'administration et diriger les collectivités cries vers l'autonomie gouvernementale.
Ainsi que mes autres collègues l'ont déjà indiqué, un bon nombre de ces aspects ont été portés à notre attention. Nous les avons signalés à plusieurs reprises dans notre rapport et les gens du fédéral ont examiné certains d'entre eux, mais ils n'ont pas répondu de manière totalement satisfaisante aux recommandations que nous avions formulées.
On nous a parlé aussi récemment de l'ancien poste de traite de Waswanipi que l'on souhaiterait classer comme site historique afin d'en faire un site patrimonial. Cette initiative qui ne serait pas coûteuse permettrait de reconnaître l'importance historique et culturelle du site.
Comme mon collègue le commissaire Awashish l'a indiqué, la pénurie de logements dans les collectivités n'est pas un problème nouveau. Cette question est soulevée tous les deux ans au cours de nos audiences. Chaque fois, les membres de l'auditoire en parlent. Nous continuons à le mentionner dans notre rapport et pratiquement rien n'est jamais fait.
D'autre part, le commissaire Awashish a parlé du « bloc D ». Le processus est en cours et on nous dit qu'il aboutira bientôt. Jusqu'à ce jour, la population de Chisasibi nous indique que rien n'a encore été réglé.
D'autre part, des progrès énormes ont été accomplis avec les communautés cries et naskapies depuis l'annonce du projet de la baie James, en 1971... Des progrès notables ont été accomplis, la plupart grâce aux négociations, aux ententes et au règlement de litiges.
Sur une note moins positive, la plupart de ces négociations sont le résultat de litiges soulevés contre les gouvernements fédéral et provincial. Les litiges sont très coûteux, prennent beaucoup de temps et surtout, créent une atmosphère de confrontation.
Puisque les Premières Nations présentent des revendications territoriales dans l'ensemble du pays, je demande instamment à votre comité d'utiliser son influence auprès du gouvernement du Canada pour qu'il privilégie les négociations de bonne foi dans le règlement de ces revendications, pas seulement au niveau du leadership politique, mais également au niveau des principes que les hauts fonctionnaires appliquent quotidiennement lorsqu'ils répondent aux revendications territoriales des Premières Nations du Canada.
Je vous remercie.
Merci, Philip et Robert.
Monsieur le président, nous serons heureux de répondre maintenant à vos questions ou de vous donner des précisions.
Merci, messieurs.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Saganash pour le premier tour de questions.
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Le député parle en langue crie.]
Tout d'abord, monsieur le président, permettez-moi de souhaiter la bienvenue à nos invités de la Commission Crie-Naskapie et de les remercier. Je suis originaire de la même région et par conséquent, je connais très bien ces trois personnes depuis de nombreuses années.
Monsieur le président, je vais reprendre vos propres mots pour dire que nous sommes privilégiés d'avoir fait venir M. Awashish et M. Kanatewat devant notre comité car, pour de nombreux Cris, ce sont deux figures légendaires. Philip et Robert sont en effet deux des très rares signataires encore vivants de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.
Bienvenue et merci à tous les deux.
En second lieu, j'aimerais souligner combien je suis heureux que l'on recommande d'accorder au poste de traite de Waswanipi le statut de parc historique. Comme vous le savez sans doute, c'est là que j'ai passé mes étés lorsque j'étais petit garçon, avant d'être envoyé au pensionnat. Merci pour cette recommandation.
Passons maintenant aux problèmes qui ont été évoqués. Nous avons parlé du changement qu'a connu le territoire cri au cours des 30 dernières années. J'ai été moi-même témoin de ce changement. Le monde des Cris n'est plus le même que celui que nous avons connu au début des années 1980 ou à la fin des années 1970. Il a beaucoup changé. Le paysage juridique, politique et économique a changé au fil des années. Je pense comme vous que ces changements n'ont pas été intégrés dans la Loi sur les Cris et les Naskapis.
On peut lire dans votre rapport que la loi demeure « un instrument immuable, inflexible et rigide, étant donné qu'elle n'évolue pas en fonction des réalités et des dynamiques changeantes du gouvernement local eeyou ». Je partage bien entendu ce point de vue.
Pourriez-vous nous parler un peu plus des changements que vous avez constatés dans le monde des Cris et comment ces changements pourraient se refléter dans une loi contemporaine et actualisée sur les Cris-Naskapis?
Merci, monsieur Saganash. Merci également pour vos commentaires en cri, car je suis moi-même un Cri et j'ai parfaitement compris ce que vous avez dit.
J'aimerais préciser simplement que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec honore la langue crie et la langue naskapie, étant donné qu'elle nous demande de produire notre rapport bisannuel en français, en anglais, en cri et en naskapi. Ce rapport est présenté au ministre des Affaires indiennes qui le dépose aux deux chambres du Parlement. Telle est l'obligation juridique et la démarche à suivre. Aussi, je suis honoré que la langue des Cris et celle des Naskapis soient reconnues par la loi fédérale. Je ne connais aucun autre précédent juridique qui honore de la sorte une langue autochtone.
Pour répondre à votre question concernant les changements, je dirais en effet que le territoire cri et la société crie ont connu d'importants changements aux niveaux politique, social et économique. En 1971, au moment de l'annonce du projet hydroélectrique de la baie James, notre population s'élevait à environ 6 000 personnes réparties en six collectivités cries. On comptait environ neuf communautés distinctes, mais pas neuf villages; il y avait six villages. Il y avait six groupes de nations cries.
Bien entendu, notre population est maintenant passée de 6 000 à 18 000 Cris et il n'y a plus six villages mais désormais neuf collectivités cries sur le territoire. Il est possible qu'une dixième collectivité crie voie le jour, celle de la nation des Washaw Sibi. Ce sont des Cris vivant dans le sud, des bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui souhaitent être reconnus comme la dixième bande crie. Ils disposent de leur propre territoire et de leur village.
Dans les années 1970, tous les villages cris étaient isolés. Il n'y avait pas de route menant à ces collectivités cries. L'hydravion était le seul moyen d'y accéder. Quant aux communications, elles se limitaient aux radiotéléphones. Nous n'avions même pas l'électricité, alors comment pouvions-nous comprendre l'utilité d'un grand projet hydroélectrique sur notre territoire, alors que nous vivions sans électricité et que nous n'en avions pas besoin pour commencer? Nous occupions la totalité du territoire où nous menions nos activités de chasse, de pêche et de piégeage.
Aujourd'hui, nous avons une population de 18 000 personnes, comme je l'ai dit, et l'on compte neuf collectivités cries. Dans les années 1970, le gouvernement fédéral nous dispensait des services et des programmes, mais il en exerçait complètement et exclusivement le contrôle et la domination. Le gouvernement ne reconnaissait pas le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. La seule forme de gouvernance reconnue était celle prescrite par les lois imposées aux Premières Nations, comme la Loi sur les Indiens. Mais cela ne correspondait pas à notre définition d'une gouvernance locale acceptable et forte. En vertu de la Loi sur les Indiens, le ministère des Affaires indiennes avait le pouvoir de s'opposer à toute décision prise par le chef et son conseil. C'était plutôt une sorte de régime local supervisé de gouvernance.
Les Cris ont décidé de s'affranchir de la Loi sur les Indiens. C'est la raison pour laquelle nous avons aujourd'hui la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Les Cris ont détruit et enterré la Loi sur les Indiens pour de nombreuses raisons.
Merci beaucoup messieurs les commissaires d'être venus témoigner. C'est bon également d'avoir M. Saganash parmi nous pour donner un peu de couleur locale à votre rapport.
J'aimerais continuer dans le même ordre d'idées et parler des changements que vous avez vécus depuis 30 ou 40 ans, depuis que vous avez pris le contrôle de vos propres territoires, comme vous l'avez dit. J'aimerais parler un peu plus de la chasse, de la pêche et du piégeage, activités que vous avez évoquées comme étant des éléments essentiels de votre mode de vie.
Vous mentionnez dans le rapport les difficultés que vous avez connues lorsque vos territoires ont cessé d'être accessibles uniquement par hydravion. En raison de la commercialisation de la région, l'accès est sans doute plus facile pour les chasseurs non autochtones et autres visiteurs. Pouvez-vous nous parler des efforts entrepris par le peuple cri-naskapi dans les collectivités afin de préserver ce patrimoine de chasse, de pêche et de piégeage face à d'autres facteurs qui n'exerçaient peut-être pas de pressions sur ces territoires il y a 30 ou 40 ans?
Tout d'abord, lorsque nous avons négocié la première entente, nous avions deux catégories de survie, celle des personnes qui poursuivraient le mode de vie traditionnel, et celle des personnes qui prendraient part à la population active pour gagner leur vie. Nous avons créé ce que vous appelez un programme de sécurité du revenu pour les chasseurs et les trappeurs afin qu'ils puissent continuer à exercer leurs activités sur leur territoire. Ce programme financé uniquement par le gouvernement provincial et pas par le fédéral, a encouragé les chasseurs et trappeurs à poursuivre leurs activités dans le bois, comme certains le font toujours.
Comme le commissaire Awashish l'a déjà mentionné parmi les importants changements que nous avons déjà connus, notre nation s'est étendue en Ontario. Une bande de Cris s'est installée à Moosonee, nous les appelons les MoCreebec. Ils sont eux aussi bénéficiaires de la convention. Bien entendu, nos dirigeants s'efforcent de les aider à continuer à bénéficier de la convention que nous avons signée. Le programme de sécurité d'emploi a en quelque sorte encouragé les activités de chasse et de pêche. Pour pouvoir bénéficier du programme, il faut être dans le bois pendant un certain nombre de jours. C'est ce que nous avons en ce moment.
D'ailleurs, lorsque nous avons demandé au gouvernement provincial de bonifier le programme, il a probablement pensé que s'il n'avait pas très bien fonctionné, il aurait supprimé le programme social provincial et l'aurait remplacé par ce type de programme que nous avons dans le territoire cri. Autrement dit, c'était un peu trop, alors ils ont abandonné. De toute façon, les Cris utilisent ce programme de nos jours et de plus en plus de chasseurs et trappeurs fréquentent le bois. Il y a même des retraités qui se prévalent de ce programme après avoir quitté le marché du travail.
J'ai une autre question du même genre. À la page 95 de la version anglaise, le rapport évoque certaines inquiétudes relativement à la réglementation des armes à feu. Bien entendu, nous avons supprimé le registre des armes à feu, mais la province du Québec envisage de le rétablir. Avez-vous eu des consultations avec le gouvernement du Québec? A-t-il envisagé des exceptions pour l'usage traditionnel, ou est-ce encore trop tôt pour en parler? J'ai noté que c'était une préoccupation que vous avez soulevée.
Oui, nous avons soulevé cette préoccupation. C'est l'Association des trappeurs cris qui en a parlé à la commission. À notre connaissance, il n'y a eu encore aucune discussion à ce sujet entre les Cris et le Québec.
Pour le moment, nous ne savons pas ce que le Québec a l'intention de faire du registre des armes à feu maintenant que le gouvernement fédéral a mis fin au programme.
Finalement, M. Saganash ainsi que le commissaire ont parlé de l'ancien poste de traite de Waswanipi. Je crois comprendre que vous souhaiteriez qu'il soit reconnu comme site historique.
La commission ou les collectivités ont-elles pris contact avec Patrimoine Canada? Quelqu'un a-t-il effectué les premières démarches pour obtenir cette reconnaissance officielle? Donnez-moi simplement une idée de ce qui a été fait jusqu'à présent dans ce dossier. Où en est cette demande ou cette idée?
La collectivité de Waswanipi a pris contact avec les autorités fédérales et provinciales pertinentes. Nous attendons de leurs nouvelles.
La dernière fois que nous en avons parlé, ils nous ont dit que le processus était en cours, mais comme c'est souvent le cas, le processus connaît certains retards.
Nous n'en avons pas parlé avec Patrimoine Canada, mais avec la collectivité de Waswanipi qui est, en effet, en contact avec Patrimoine Canada.
Le rapport était en préparation. Ils nous ont parlé en février 2012. Ils nous ont parlé depuis, mais pas à ce sujet.
Très bien, merci. Je devrais venir plus souvent à ce comité.
À la suite des changements énormes qu'a connus le territoire depuis une trentaine d'années, je connais les préoccupations concernant le logement qui sont soulevées depuis de nombreuses années. Ce problème persiste encore dans les collectivités cries. Aussi, une des questions que j'aimerais poser à la commission est la suivante: Quelles sont par exemple les autres questions que les jeunes ont soulevées?
Il est certain que les choses ont beaucoup changé pour les jeunes dans les territoires depuis l'époque où j'ai fondé le Conseil des jeunes de la nation crie en 1985. Pouvez-vous nous parler de certaines de leurs préoccupations actuelles?
Enfin, vous avez mentionné que vous avez déposé votre 13e rapport bisannuel. Pouvez-vous nous dire quel est le nombre ou le pourcentage de recommandations qui ont fait l'objet d'un suivi depuis que la Commission Crie-Naskapie existe?
Je vais tenter de répondre à vos deux questions.
Tout d'abord, les jeunes. Je pense que les jeunes font face actuellement à un problème double. Nos jeunes font face aux mêmes problèmes que ceux des autres collectivités autochtones du Canada, problèmes dont nous connaissons malheureusement trop bien les conséquences désastreuses. Dans le nord de l'Ontario comme partout ailleurs, les jeunes sont malheureusement touchés par le fléau du suicide et d'autres problèmes auxquels il faut réagir de manière proactive.
Chez les Cris, les jeunes sont, comme vous le savez, bien organisés sur le plan politique. Les jeunes ont leur propre chef — vous connaissez le système — ils s'expriment très bien. Parfois, c'est de leur âge, les jeunes peuvent s'emporter devant l'absence de programmes, d'activités axés sur eux et devant l'absence de politiques répondant à leurs besoins. Je me souviens qu'il y a quelques années, à Waswanipi, je crois, trois jeunes avaient débarqué un jour au bureau de la bande. Ils avaient écrit leurs revendications à la peinture sur les murs. Ces inscriptions étaient plutôt grossières et se terminaient par « Nous voulons un centre pour les jeunes ». Désormais, ils en ont un.
Mais je pense qu'il est important de tenir compte de la position... Généralement, nous nous montrons très critiques envers le gouvernement, cela fait partie de notre rôle, mais je pense qu'il faut avoir une certaine sympathie pour le gouvernement fédéral et pour le gouvernement provincial, mais également pour le gouvernement cri. Personne ne dispose du financement dont ils ont besoin. Le problème du logement est extrêmement grave. Il n'y a pas deux façons de s'en tirer. Certains problèmes sont liés à l'infrastructure. La collectivité naskapie a un problème d'élimination des eaux usées. Il faudrait faire des travaux d'infrastructure. Dans bien des domaines, la situation est critique.
Ensuite, il y a les préoccupations des jeunes. Dès lors qu'il ne dispose pas des fonds nécessaires, un gouvernement, le gouvernement cri ou tout autre gouvernement, se voit incapable de répondre à tous les besoins et est donc contraint d'établir des priorités. C'est ainsi qu'un problème urgent peut être mis de côté afin de permettre au gouvernement de s'attaquer à un problème encore plus urgent aux yeux de la collectivité, des dirigeants politiques ou des fonctionnaires. C'est malheureusement ce qui arrive aux programmes pour les jeunes. Dans l'idéal, les programmes pour les jeunes sont très souhaitables, mais quand on n'a pas les fonds nécessaires, on s'en passe.
Lorsque cela arrive, les jeunes se posent les questions suivantes: « Sommes-nous des citoyens de seconde zone? Que se passe-t-il? Pourquoi ne fait-on rien pour répondre à ces besoins? » Par conséquent, les jeunes risquent d'être considérés comme des victimes. Je n'aime pas ce mot, car de nos jours, tout le monde est une victime. Ils risquent de se sentir défavorisés quand les ressources globales de financement et les revenus ne sont pas suffisants. Lorsque le financement global est insuffisant, quels sont les groupes dont les programmes sont les premiers à être retardés, oubliés ou réduits? Ce sont les jeunes. Et je pense qu'ils en ont assez.
Nous nous pencherons sur cette question dans notre prochain rapport. Par respect pour le ministre, nous ne divulguerons pas le contenu de ce rapport avant qu'il en ait pris connaissance et qu'il l'ait déposé au Parlement, mais disons que c'est une question qui nous préoccupe.
Vous avez posé une autre question, monsieur Saganash, au sujet du pourcentage des recommandations qui ont été prises en compte. Au début de notre mandat, les Affaires indiennes — comme on le disait à l'époque, estimaient essentiellement que nous n'étions pas capables de traiter les questions découlant des ententes. Le ministère estimait que nous n'avions pas les compétences nécessaires pour nous pencher sur les difficultés de mise en oeuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois ou de la Convention du Nord-Est québécois.
Les gens s'adressaient à nous car nous étions l'organisme de proximité auquel ils pouvaient faire une recommandation, sachant que cette recommandation serait présentée au ministre. Juridiquement, elle était présentée à la Chambre et devant votre comité. Par conséquent, les requérants estimaient que c'était la voie à emprunter.
D'autre part, le ministre était tenu de rendre compte de la mise en oeuvre des recommandations en vertu de la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois. Il devait faire rapport au Parlement chaque année de 1978 à 1998. En 1998, il a omis de le faire. Qui donc devait faire ce rapport? Qui s'acquitterait de cette responsabilité? Le ministère affirmait que nous n'avions pas le mandat de nous intéresser à l'ensemble des questions découlant des conventions.
Certains membres du comité qui siègent déjà depuis quelque temps me pardonneront de reprendre ces arguments qu'ils ont déjà entendus, mais il est intéressant de noter qu'au moment même où les représentants du ministère indiquaient par écrit et verbalement au cours de leur comparution à la commission, que nous n'avions pas les compétences pour traiter les questions découlant des conventions, ils affirmaient aux Nations Unies qu'il existait au Canada un système de surveillance de la mise en oeuvre des traités et conventions, donnant plus précisément en exemple la Commission Crie-Naskapie.
Lorsque nous avons signalé cette anomalie au comité, les fonctionnaires du ministère ont dès le lendemain retiré de leur site Web le texte de leur allocution aux Nations Unies. C'est la vérité. Ils ne se rendaient pas compte qu'il y avait encore un autre discours qui affirmait la même chose de manière encore plus claire.
C'est la raison pour laquelle toute une série de recommandations n'ont pas été prises en compte. Aujourd'hui, les Affaires autochtones acceptent que nous nous en occupions.
Dans le cas de recommandations découlant directement de la loi elle-même, les résultats ont été variés. Nous avons dû vérifier les chiffres, mais nous avons obtenu des réponses positives. Évidemment, elles ne répondent pas toujours à nos attentes, mais nous avons obtenu un taux de réponse assez important, de l'ordre de 40 % à 50 %. Cependant, 50 % ou 60 % des recommandations demeurent encore sans réponse.
Merci, monsieur le président.
Bienvenue aux commissaires. Nous sommes ravis que vous ayez pu nous consacrer une partie de votre journée. Nous vous remercions de votre engagement à l'égard du projet.
Commissaire Saunders, vous avez parlé de la jeunesse et de la nécessité de travailler avec les jeunes, de leur donner des options, de leur offrir diverses possibilités de travail dans la réserve et à l'extérieur. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails à ce sujet?
Je crois qu'il y a plusieurs dimensions à cette question. Tout d'abord, je crois que le taux de rétention des jeunes dans les collectivités cries est beaucoup plus élevé que dans la plupart des autres nations du Canada.
Vous savez sans doute que l'on constate, dans toutes les régions du Canada, un exode des jeunes vers les collectivités non autochtones, vers les villes, etc. Pour ces jeunes, l'expérience est parfois positive, mais parfois elle l'est moins.
Les collectivités cries affichent un taux de rétention de 95 %. Cela a plusieurs conséquences, l'une d'entre elles étant que de jeunes familles se constituent et que la demande en matière de logement est plus grande que dans beaucoup d'autres collectivités par ailleurs comparables, tout simplement à cause de ce taux de rétention. Cet excellent taux de rétention a un côté positif, mais il y a le revers de la médaille et c'est le problème du logement ainsi que la nécessité de mettre en place des programmes qui leur sont expressément destinés.
Il faut également créer des programmes pour les personnes âgées. J'ai 71 ans et moi aussi, j'ai besoin de programmes. Mais sérieusement, il faut des programmes pour les jeunes. Comme je l'ai dit plus tôt, je pense que l'on considère parfois que de tels programmes seraient souhaitables mais que lorsque les temps sont difficiles, on est obligé de réduire les programmes, etc. Par conséquent, les programmes pour les jeunes sont victimes des compressions ou sont reportés.
Cependant, je pense que tous les paliers de gouvernement, le gouvernement du Canada, les gouvernements des provinces et les gouvernements des Premières Nations doivent examiner sérieusement ce problème, car il faut vraiment prendre au sérieux les problèmes d'abus d'alcool ou d'autres drogues, les situations violentes et dysfonctionnelles et même les suicides. Il est grand temps de s'en occuper.
Parlez-nous des programmes éducatifs. Je pense en particulier aux programmes de formation pratique, aux programmes d'apprentissage comme les programmes du Sceau rouge. Pensez-vous que ces programmes pourraient intéresser les jeunes? Je sais que beaucoup d'entre eux sont présentés hors réserve, mais je suis certain que dans les réserves aussi, il y a des programmes de formation aux métiers de maçon, briqueteur, charpentier ou autres.
Il y en a, mais avant de vous répondre, j'aimerais vérifier certaines données plutôt que de vous donner tout simplement mes impressions personnelles. J'avoue que je manque de données utiles à ce sujet, mais je serais ravi d'examiner cela de plus près et de vous faire parvenir ces données plus tard.
Ce serait très bien.
Pour changer un peu de sujet, quelle est l'étendue de votre mandat? Est-ce qu'il porte sur l'ensemble du Canada, l'est du Canada, l'ouest ou le centre du Canada? Est-ce qu'il existe un groupe complémentaire de commissaires qui exercent leurs fonctions dans les secteurs où vous n'êtes pas présents?
C'est une très bonne question.
Notre mandat est assez clair. Nous exerçons nos fonctions dans les 10 collectivités cries que le peuple cri du Québec appelle Eeyou Istchee, c'est-à-dire le territoire traditionnel, ainsi que dans la collectivité naskapie située dans les environs de Schefferville, le long de la frontière du Labrador. Notre mandat découle de la Loi sur les Cris et les Naskapis qui s'applique uniquement aux Cris du Nord québécois et aux Naskapis. La loi précise par exemple que nous sommes nommés par décret — disons sur recommandation de l'autorité régionale crie et de la bande naskapie. Par conséquent, notre mandat est clairement limité.
Par ailleurs, notre mandat nous permet de faire des recommandations. Nous ne prenons pas de décisions. Si quelqu'un se présente à nous pour se plaindre du gouvernement, de son chef ou d'autre chose, nous pouvons présenter des recommandations. Nous ne pouvons pas prendre de décision exécutoire. On peut penser que c'est une bonne chose, car il y a des tribunaux pour cela. Nous tentons de résoudre les problèmes à l'amiable et, de manière générale, les recommandations que nous présentons à l'échelon communautaire sont assez bien accueillies.
Par exemple, nous n'avons pas le pouvoir d'émettre des assignations à témoigner. C'est une bonne chose. Les gens s'adressent à nous volontairement. En 28 ans, nous n'avons eu que deux refus de collaborer, et une des personnes en question s'est fait dire par son chef d'accepter de collaborer avec nous. Dans notre cas, nous disons qu'il est préférable que nous ayons moins de pouvoir. Ceux qui veulent se battre peuvent s'adresser aux tribunaux.
Notre mandat est limité et, à ma connaissance, il n'existe au pays aucun autre mécanisme analogue pour la surveillance de la mise en oeuvre d'une loi.
Merci, monsieur le président.
Comme toujours, je suis ravie d'accueillir les commissaires Awashish, Saunders et Kanatewat au comité. J'ai eu le privilège d'être ici à plusieurs reprises au moment de vos comparutions. Ce qui me frappe quand je consulte votre rapport, c'est que certaines de vos recommandations sont reprises d'une année à l'autre. C'est le cas en particulier des recommandations sur le logement, mais je crois que celles qui portent sur la gouvernance sont également reprises régulièrement.
J'aimerais avoir un peu plus de détails à ce sujet. Je sais qu'il s'agit de votre 13e rapport. Vous précisez dans le rapport que vous avez eu affaire à 13 ministres et je pense qu'il y en a maintenant un 14e depuis que vous avez rédigé le rapport. Les ministres se sont succédé, ce qui explique en partie pourquoi un certain nombre de recommandations importantes sont restées lettre morte ou, en tout cas, n'ont pas donné lieu à des mesures pratiques.
Dans votre rapport, vous évoquez les besoins en matière de ressources et vous demandez: « Plus particulièrement, il faut élaborer des stratégies et les mettre en oeuvre, afin de renforcer les capacités de gouvernance des Eeyous aux fins d'une gouvernance efficace et concrète. » Vous citez ensuite toute une liste d'éléments tels que l'éducation, le perfectionnement des ressources humaines, l'établissement de systèmes officialisés, etc.
À votre avis, qu'est-ce qui empêche l'élaboration et la mise en oeuvre de ces stratégies?
À mon avis, ce sont deux choses, le manque de ressources et de leadership. Je pense que le fait que les ministres ne demeurent pas en fonction très longtemps — la moyenne est de deux ans — est un facteur important. Soyons réalistes. La plupart des ministres avec lesquels nous avons dialogué, en dehors de toute considération partisane, se sont montrés en général favorables au changement. Nous avons eu des différends avec certains d'entre eux, mais il n'y avait rien de partisan dans tout cela. Quel que soit leur parti, les ministres auxquels nous avons eu affaire ont réellement cherché à résoudre les problèmes. Par conséquent, à qui la faute? Est-ce la faute aux bureaucrates? Pas exactement.
C'est tout le problème de la responsabilité en matière de prise de décisions aux niveaux supérieurs, quand un ministre demeure en poste en moyenne pendant deux ans — et cela a commencé il y a longtemps, depuis que Chrétien était ministre des Affaires indiennes. Certains ministres sont passés si rapidement que certains d'entre nous n'ont probablement jamais entendu parler d'eux.
Au Canada, il y a environ 630 bandes des Premières Nations. Nous avons trois territoires fédéraux. Nous avons des dizaines et des dizaines de collectivités inuites et nous avons une loi qui, depuis 1982, évolue plus rapidement sans doute que n'importe quelle autre législation au Canada. Nous devons en tenir compte. Par ailleurs, contrairement à l'impression que peut donner le nombre de traités, le ministre est responsable de plusieurs centaines de traités au Canada et une vingtaine de règlements de revendications territoriales ont été signés à l'époque moderne. Le pauvre ministre qui reste en fonction pendant deux ans ne pèse pas lourd face aux milliers de fonctionnaires et à la centaine de programmes.
Nous avons rencontré plusieurs ministres mais je me souviens particulièrement de Jane Stewart. Je fais ce commentaire sans aucune arrière-pensée partisane. Elle voulait que nous lui présentions rapidement un bilan résumé de nos enjeux principaux. Nous lui avions répondu: « Madame la ministre, vous êtes impuissante. » Alors, elle s'est levée et nous a déclaré, de toute sa hauteur: « Eh bien, je ne peux pas me prononcer au nom de mes collègues, mais moi, je ne le suis certainement pas. » Apparemment, elle raconte partout cette histoire maintenant. Mais en fait, nous avions raison, car, que le ministre soit bien intentionné ou pas, en deux ans, il n'a pas le temps de s'attaquer au problème et de le résoudre. C'est tout simplement impossible.
Ce n'est pas mon rôle de dire au premier ministre comment diriger son cabinet, mais ce serait vraiment bien si un ministre pouvait rester en poste suffisamment longtemps pour pouvoir s'en prendre à la racine du problème.
L'autre difficulté tient aux ressources financières. C'est un problème récurrent dont nous ne connaissons pas la réponse. Nous pensons qu'elle se trouve peut-être dans le partage des recettes de l'exploitation des ressources, un concept dont vous avez, j'en suis certain, entendu parler des millions de fois.
Pendant des milliers d'années, les Premières Nations du Canada ont été des communautés indépendantes qui géraient leurs propres affaires et répondaient à leurs propres besoins. Les Cris vivaient dans la région de la baie James et veillaient à leur survie, avant que mes ancêtres, les Angles et les Saxons ne s'installent en Angleterre. Nous n'étions même pas encore en Angleterre lorsque les Cris géraient déjà ici des sociétés de manière très efficace. C'est pourquoi, selon moi, la réponse se trouve du côté du partage des recettes de l'exploitation des ressources, ce qui, bien entendu, nous ramène aux compétences provinciales.
Il me semble que les territoires traditionnels ont permis la survie des Premières Nations dans tout le continent, pendant des milliers d'années. Ces nations ont vécu de l'exploitation de leur territoire traditionnel. Dans certains cas, c'est toujours possible si elles peuvent obtenir une juste part des recettes et des bénéfices directs de l'exploitation des ressources sur leur territoire. Je ne parle pas simplement de la chasse et de la pêche, car ce sont deux activités que les Premières Nations pratiquaient beaucoup plus qu'aujourd'hui, mais des bénéfices tirés des activités d'exploitation forestière, d'exploitation minière, du tourisme et d'autres activités.
Vous pouvez me faire remarquer que cette réponse est parfaite pour les Cris, mais qu'elle ne répond pas nécessairement aux problèmes des Six Nations. Comment obtenir une certaine homogénéité?
Eh bien, on peut commencer à s'intéresser à des aspects tels que le partage des taxes sur les transferts fonciers.
La taxe sur les transferts fonciers est actuellement une source de revenus pour l'État et pour les administrations locales. Chaque fois que vous achetez ou vendez une maison, vous payez une taxe sur le transfert foncier. C'est ce qui se produit sur le territoire traditionnel des Six Nations. L'État utilise... toutes sortes de droits de passage pour les lignes électriques, les routes, les pipelines, les voies ferrées et tout ce qui traverse le territoire traditionnel. Voilà peut-être un aspect auquel nous pourrions nous intéresser, l'acquisition d'un territoire plus vaste. Il y a des tierces parties de bonne foi qui n'ont rien à voir avec les violations des traités ou autres. Elles sont prêtes à vendre. Il faudrait, à l'occasion, s'intéresser à ces possibilités.
Mais le cas des Cris, ils s'intéressent principalement aux terres publiques, comme on les appelle au Québec. C'est, à mon avis, la solution à long terme au système des réserves. Actuellement, le gouvernement exige, dans le cadre des négociations, de tenir compte des recettes autonomes. Très bien, établissons la base de ces recettes autonomes. Les parties de bingo ne suffiront pas à réunir toutes ces recettes.
Je pourrais continuer longtemps ainsi.
Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs les commissaires.
Messieurs, nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd'hui afin de nous faire part de vos réflexions et de vos points de vue sur le travail que vous avez réalisé. Ce rapport est apprécié. Nous vous remercions et nous espérons vous revoir prochainement.
Chers collègues, je vais suspendre la séance pendant une minute pour que nous puissions saluer nos visiteurs avant qu'ils partent. Il nous suffit d'adopter le rapport qui a été distribué. Je vais donc suspendre la séance pendant une minute.
La séance est suspendue.
Nous reprenons nos travaux.
Chers collègues, on vous a remis un exemplaire du troisième rapport du sous-comité. Il s'agit tout simplement d'un plan de travail jusqu'au 27. J'espère que nous pourrons l'adopter afin de pouvoir planifier nos prochaines réunions. Tout le monde est d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Chers collègues, nous nous retrouverons après notre semaine de travail dans nos circonscriptions respectives.
La séance est levée.
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