:
Merci beaucoup, monsieur le président, merci, collègues.
C'est avec plaisir que je m'adresse au comité pour parler du projet de loi , Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, qui contribuera à nous assurer qu'aucune jeune fille ou femme au Canada ne sera victime d'un mariage précoce ou forcé, de la polygamie, de la violence « fondée sur l'honneur », ou de toute autre forme de pratique culturelle barbare.
[Français]
Comme vous le savez, les mesures contenues dans le projet de loi apporteraient des amendements à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ainsi qu'à la Loi sur le mariage civil et au Code criminel, afin de protéger et d'appuyer les individus vulnérables, en particulier les filles et les femmes, mais aussi les garçons et les hommes.
[Traduction]
Notre gouvernement a adopté une position ferme à l'égard de ces pratiques parce qu'elles ne sont pas acceptables. Il dirige aussi des efforts internationaux visant à les enrayer en tant que violations des droits fondamentaux de la personne.
D'après l'ONG Girls Not Brides, quelque 15 millions de filles sont mariées avant l'âge de 18 ans dans des dizaines de pays de différentes cultures et religions. En fait, des centaines de millions d'hommes et de femmes, un peu partout dans le monde, connaissent aujourd'hui les conséquences du mariage forcé, après avoir été confrontés à ces circonstances sans aucune protection. Privées de leur enfance et de leur droit à la santé, à l'éducation et à la sécurité, ces personnes sont souvent victimes d'une violence permanente allant jusqu'à l'agression sexuelle. Dans le dernier discours du Trône, nous avons reconnu que des millions de femmes et de filles dans le monde entier continuent d'être brutalisées par des pratiques violentes, comprenant la pratique inhumaine du mariage précoce et forcé. Notre gouvernement s'est engagé à empêcher le recours aux pratiques culturelles barbares en sol canadien.
[Français]
Le projet de loi remplit l'engagement que le gouvernement a pris dans le discours du Trône. Il envoie un message clair à tous ceux qui arrivent au Canada ainsi qu'à ceux qui y vivent déjà, à savoir que ces pratiques sont incompatibles avec les valeurs canadiennes et qu'elles ne seront pas tolérées ici.
[Traduction]
Les modifications contenues dans le projet de loi S-7 renforceraient les dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, de la Loi sur le mariage civil et du Code criminel de façon à prévoir des protections additionnelles. Ces modifications permettraient d'améliorer la protection et le soutien des personnes vulnérables, en particulier les femmes et les filles, de plusieurs façons différentes.
Premièrement, elles frapperaient d'interdiction de territoire les résidents permanents et temporaires qui pratiquent la polygamie au Canada.
Deuxièmement, elles renforceraient les lois canadiennes sur le mariage en établissant à 16 ans, à l'échelle du Canada, l'âge minimum pour le mariage, en codifiant les dispositions existantes relatives au consentement libre et éclairé au mariage et en imposant de mettre fin à un mariage existant avant d'en contracter un nouveau. Elles criminaliseraient certains actes liés à des cérémonies de mariage précoce ou forcé, y compris le fait de faire passer un enfant à l'étranger pour lui imposer de telles cérémonies. Elles protégeraient les victimes potentielles de mariages précoces ou forcés, grâce à la création d'un engagement préventif à ne pas troubler l'ordre public, qui serait imposé par un tribunal dans les cas où il y a des motifs de craindre qu'une personne puisse commettre une infraction à cet égard. Elles invalideraient enfin la défense de provocation dans le cas des crimes « d'honneur » et dans de nombreux cas d'homicide sur la personne d'un conjoint.
Permettez-moi de vous donner quelques précisions.
Monsieur le président, la polygamie est contraire aux valeurs canadiennes et à notre compréhension du mariage. C'est pourquoi elle est illégale au Canada depuis 1890. Bien qu'il soit interdit par la loi canadienne de pratiquer la polygamie ou de contracter une union polygame, cela n'est pas le cas dans tous les pays du monde. Pour accroître notre capacité à prévenir la polygamie en sol canadien et pour veiller à ce que le système d'immigration ne facilite cette pratique d'aucune manière, le projet de loi créerait dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés un nouveau motif d'interdiction de territoire lié à la pratique de la polygamie. Il faut noter que les motifs d'interdiction de territoire codifiés dans la loi sont assez limités. Ils sont cependant importants pour notre système d'immigration. Jusqu'ici, ces motifs étaient liés à des considérations de sécurité nationale, à des menaces à la sécurité nationale, à la criminalité, à des condamnations prononcées à l'étranger ainsi qu'à des cas extrêmes de mauvaise santé où l'état de la personne en cause ne lui permettrait tout simplement pas de supporter les conditions de vie dans notre pays.
La polygamie serait ajoutée à ce nombre très limité de motifs d'interdiction de territoire. Ainsi, les agents d'immigration disposeraient des outils nécessaires pour déclarer interdits de territoire les résidents temporaires et permanents qui pratiquent la polygamie. La nouvelle interdiction de territoire signifie que les personnes qui cherchent à entrer dans le pays sur une base temporaire et qui pratiquent la polygamie à l'étranger seraient uniquement autorisées à entrer seules.
La nouvelle règle signifie également que les résidents permanents qui pratiquent la polygamie au Canada pourront être renvoyés pour ce seul motif. Autrement dit, si quelqu'un présente une demande d'immigration et obtient la résidence permanente sans avoir informé les autorités du fait qu'il est polygame, il serait renvoyé. Il ne serait plus nécessaire d'obtenir une déclaration de culpabilité ou d'établir l'existence de fausses déclarations pour pouvoir entamer les procédures d'expulsion.
Monsieur le président, le projet de loi modifierait également la Loi sur le mariage civil afin de s'attaquer au problème des mariages précoces et forcés. Je crois que c'est la partie du projet de loi qui s'appliquera le plus au Canada compte tenu de l'étendue du phénomène en cause.
Au Canada, il n'existe pas d'âge minimum fixé à l'échelle nationale pour le mariage. Des dispositions législatives fédérales particulières, qui ne s'appliquent qu'au Québec, fixent l'âge minimum à 16 ans. Dans d'autres régions du Canada, c'est la common law qui s'applique. Il y a un certain flou juridique quant à l'âge minimal fixé par la common law, qui est parfois interprétée comme établissant l'âge minimal du mariage à 12 ans pour les filles et à 14 ans pour les garçons, bien qu'il y ait eu, dans le passé, des cas de mariage à 7 ans. Le fait d'établir, à l'échelle nationale, un âge minimum de 16 ans pour le mariage enverrait un message clair selon lequel le mariage précoce est inacceptable et ne sera pas toléré au Canada.
D'autres modifications proposées dans le projet de loi permettraient de codifier l'obligation pour les personnes qui se marient de donner un consentement libre et éclairé à ce mariage, et de dissoudre tout mariage précédent. Autrement dit, la législation actuelle n'établit pas d'une façon parfaitement claire qu'il est interdit de contracter une autre union avant la dissolution de la précédente.
Faisant fond sur les modifications proposées de la Loi sur le mariage civil, le projet de loi modifieraient également le Code criminel pour empêcher les mariages précoces ou forcés.
[Français]
En conformité avec les amendements proposés à la Loi sur le mariage civil, le projet de loi contient des mesures qui amenderaient le Code criminel pour prévenir les mariages forcés et précoces.
[Traduction]
Ces mesures permettraient de criminaliser la célébration d'un mariage forcé ou la participation à l'organisation d'un tel mariage: commettrait donc une infraction quiconque présiderait délibérément à un mariage précoce ou forcé, quiconque participerait délibérément à une cérémonie de mariage dans laquelle l'une des parties se marie contre son gré ou est âgée de moins de 16 ans, et quiconque ferait sortir un mineur du Canada aux fins de la célébration d'un mariage précoce ou forcé.
D'autres modifications proposées créeraient un nouvel engagement à maintenir l'ordre public qui donnerait aux tribunaux le pouvoir d'imposer des conditions à une personne s'il existe des motifs raisonnables de craindre qu'un mariage forcé ou un mariage de personnes de moins de 16 ans pourrait autrement avoir lieu.
Pourquoi cela est-il important, monsieur le président? C'est parce que dans les cas où les membres d'une famille sont touchés par un mariage précoce ou forcé, nous savons d'expérience que ses membres ne sont pas toujours disposés à porter des accusations au criminel. Un engagement leur permettrait de faire imposer par voie judiciaire des restrictions sur des membres de leur famille sans avoir à subir l'expérience difficile consistant à porter des accusations contre un proche. Un tel engagement pourrait être utilisé pour empêcher un mariage précoce ou forcé, en exigeant par exemple la remise d'un passeport aux autorités ou en empêchant la sortie d'un enfant du Canada. Il s'agit d'une option importante dans le cas d'une jeune fille qui, par exemple, veut empêcher les membres de sa famille de l'emmener à l'étranger pour un mariage forcé, mais qui ne souhaite pas porter d'accusations contre ses proches.
Monsieur le président, certaines mesures du projet de loi modifieraient également le Code criminel de façon à s'attaquer aux meurtres dits « d'honneur ». La violence prétendument motivée par l'honneur s'exerce généralement contre des membres de la famille, le plus souvent des femmes et des filles, que l'on juge avoir apporté la honte ou le déshonneur sur la famille. Les crimes d'honneur sont habituellement prémédités et sont souvent commis avec l'approbation et parfois même la participation de membres de la famille ou de la communauté. Toutefois, il est allégué dans certains cas que ces crimes constituent des réactions spontanées à un comportement de la victime qui est perçu comme étant irrespectueux, insultant ou néfaste pour la réputation de la famille.
En vertu du Code criminel, toute personne accusée et reconnue coupable de meurtre peut invoquer la défense de provocation afin d'obtenir que l'accusation soit réduite à l'infraction moins grave d'homicide involontaire. Autrement dit, l'accusé peut affirmer que le comportement de la victime l'a provoqué, entraînant un accès de colère qui l'a amené à commettre le meurtre. Effectivement, le manque de respect et le défi de l'autorité pourraient mener à une défense de provocation dans un cas de meurtre, ce qui pourrait donner lieu à une peine moindre.
Une condamnation pour homicide involontaire plutôt que pour meurtre entraîne une stigmatisation considérablement moindre et — ce qui est plus important — permet au juge d'user de vastes pouvoirs discrétionnaires dans la détermination de la sentence. L'homicide involontaire est passible de la prison à perpétuité, mais n'est assujetti à aucune peine minimale, à moins d'avoir été commis au moyen d'une arme à feu, alors que pour un meurtre, la sentence est obligatoirement une condamnation à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant au moins 10 ans. Bien sûr, nous aurions renforcé les peines dans certains cas en vertu du projet de loi sur les peines de prison à vie purgées en entier dont le Parlement est actuellement saisi.
Cette défense a été invoquée dans plusieurs cas de crimes dits d'honneur au Canada. Des individus accusés de meurtre ont affirmé qu'une infidélité conjugale, un manque de respect, une attitude de défi ou un comportement insultant à leur endroit de la part du conjoint ou d'une personne proche les avait suffisamment provoqués pour qu'ils tuent. En tant que société, nous devons envoyer un signal clair indiquant que les raisonnements et les actes de ce genre sont inacceptables et entraînent de sévères sanctions.
L'adoption du projet de loi transmettrait un message fort aux résidents du Canada et à ceux qui souhaitent venir dans notre pays leur indiquant que nous ne tolérerons pas des pratiques culturelles qui privent des êtres de leurs droits humains ou qui engendrent la violence.
Si le comité souhaite avoir plus de détails sur un aspect quelconque du projet de loi, je serai heureux de les donner et de répondre à vos questions.
Merci beaucoup.
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Comme agent de police expérimenté, vous possédez des éléments essentiels qui vous permettent de bien comprendre les choses. Vous avez parfaitement raison de dire que la défense de provocation est absurde dans de nombreux cas que nous avons vus où un homme tue sa femme. Je suis persuadé que la plupart des Canadiens trouvent répugnant un tel acte.
Le projet de loi dit essentiellement que, si le prévenu est accusé de meurtre, aucune défense fondée sur ce que la victime a dit ne sera acceptée. Les propos de la victime ne seront jamais considérés comme une base de défense. La défense fondée sur la provocation demeurera, mais ne pourra être invoquée que si la victime a commis un acte criminel passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus. De plus, il doit s'agir d'un acte qui soit violent en soi.
Bien sûr, en l'absence de témoins, il sera difficile de prouver ces choses. Nous laissons cela au système judiciaire. L'idée que quelqu'un puisse justifier un meurtre en disant que la victime a dit telle ou telle chose est absolument absurde. Le projet de loi mettra fin à ce genre de prétexte.
L'affaire Shafia qui s'est terminée à Kingston, en Ontario, mais qui s'est déroulée dans plusieurs collectivités constitue l'exemple le plus connu. Elle mettait en cause la polygamie, le mariage forcé et le meurtre. Des condamnations ont été prononcées dans cette affaire. Est-ce que l'accusé, le meurtrier, estimait que l'honneur de la famille était en jeu? Oui. La défense fondée sur la provocation a-t-elle été utilisée ou a-t-elle réussi? Non. Il est cependant important pour nous de veiller à ce que cette défense ne soit jamais invoquée dans un cas de ce genre.
Plus près de chez moi, il y a eu le meurtre de Mme Fazli à Ajax. L'affaire est encore en cours. Dans ce cas, un conjoint parrainé récemment arrivé d'Afghanistan est accusé d'avoir assassiné son parrain. C'est le seul suspect dans l'affaire.
Voilà le genre de cas qui nous montrent qu'un seul cas de violence prenant la forme ultime du meurtre, c'est beaucoup trop. Nous devons protéger les femmes et les filles d'une façon générale dans notre système d'immigration et dans notre système de justice pénale. Nous devons les protéger encore plus que nous ne le faisons actuellement en vertu du régime relativement fort que nous avons déjà au Canada.
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Je vous remercie. Je comprends bien ce que vous dites.
Vous avez d'ailleurs répété que les questions les plus importantes au sujet de ce projet de loi concernaient le mariage forcé et précoce. Or plusieurs personnes qui ont témoigné devant le comité du Sénat se sont plaintes du fait que ce projet de loi — ou même l'approche générale de celui-ci — avait des connotations carrément racistes et discriminatoires. On peut le voir dans le titre, mais je pense qu'on le voit aussi du fait que c'est vous, et non le ministre de la Justice, qui vous faites le porte-parole de ce projet de loi.
Bien sûr, les mariages forcés sont beaucoup plus nombreux dans d'autres pays qu'au Canada, mais nous ne voulons pas régler le problème des mariages forcés dans d'autres pays. Nous nous intéressons aux situations qui se produisent au Canada. Peu importe le lieu d'origine et le bagage culturel de ces gens, s'ils usent de violence contre les femmes, notamment au moyen de mariages forcés, ce qui compte, c'est le crime qu'ils commettent ainsi que la réaction provoquée par ce dernier.
À ce sujet, Mme Yao-Yao Go, qui est directrice clinique de la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, a dit ce qui suit dans le cadre de sa comparution devant le comité du Sénat:
[...] comme l'indique même le titre qu'il porte et les diverses modifications d'ordre législatives qu'il cherche à instaurer, le projet de loi S-7 repose sur des stéréotypes racistes et il alimente la xénophobie à l'égard de certaines collectivités radicalisées.
Par ailleurs, à la Chambre des communes, vous avez cité Mme Miville-Deschênes en disant qu'elle soutenait certains aspects de votre projet de loi. Toutefois, si vous accordez vraiment de l'importance et de la crédibilité à son témoignage, vous conviendrez qu'elle a aussi critiqué le titre que porte ce projet de loi. À ce sujet, elle a dit ce qui suit:
Le titre doit donc essentiellement être modifié, parce qu'il peut, de notre point de vue, amener ou encourager la xénophobie.
Elle dit ceci un peu plus loin:
[...] pour faire de la prévention, il faut que les communautés soient avec nous et non contre nous, d'où la nécessité absolue de modifier le titre de cette loi.
On parle ici de l'approche générale du projet de loi, qui passe aussi par le titre. Je ne veux pas que vous arrêtiez de parler du projet de loi . Il est à l'étude en ce moment au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration. Par contre, on peut s'assurer de ne pas faire du mariage forcé un enjeu « racialisé » et de le traiter plutôt comme un crime, un acte de violence contre les femmes, un point c'est tout.
Compte tenu du fait que tous ces témoins ont critiqué le titre du projet de loi, croyez-vous qu'il serait pertinent de le modifier?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie le ministre et ses collaborateurs de leur présence au comité.
Nous appuyons le contenu du projet de loi, mais, comme on l'a dit, nous proposons de supprimer l'adjectif « culturelles » dans le titre abrégé. À notre avis, la culture n'a rien à voir avec cela parce que ces actes transcendent les cultures. Vous avez une définition différente du mot.
Mon principal argument, c'est qu'indépendamment de nos divergences sémantiques, plusieurs communautés, et particulièrement la communauté musulmane, considèrent que l'adjectif « culturelles » est injurieux pour elles. Quel que soit le bien-fondé du débat sur le sens des mots, je vous demande de repenser cette affaire et d'envisager de supprimer le mot « culturelles », ce qui ne changerait rien au contenu du projet de loi, mais signalerait à la communauté musulmane et peut-être à d'autres communautés que le gouvernement n'essaie pas de s'en prendre à elles. Je suis persuadé que vous ne sacrifieriez rien sur le plan du contenu et que vous transmettriez un message positif.
J'ai une seconde question que je préfère poser tout de suite de crainte de ne pas avoir le temps de le faire plus tard. Il s'agit de la provocation.
Si nous acceptons le point de vue du gouvernement selon lequel l'existence de cette défense signifie que nous tolérons le crime, nous devrons examiner les répercussions possibles de cette modification. Le problème qu'elle pose, c'est que si elle est adoptée, un certain nombre d'infractions criminelles précises s'inscriront dans la définition, y compris le vol et le méfait puisque la peine maximale de cinq ans constitue le critère. Je me demande si le gouvernement est prêt à envisager d'autres options qui limiteraient la définition aux seuls actes violents.
Bref, mes deux questions concernent, d'une part, l'utilisation et, je l'espère, la suppression du mot « culturelles » dans le titre abrégé et, de l'autre, un amendement possible au chapitre de la provocation.
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Tout d'abord, il est clair, compte tenu du fait que vous venez de mentionner, que la polygamie est depuis longtemps illégale au Canada, que ce phénomène se manifeste dans notre pays depuis un certain temps. Cela nous rappelle les événements de Bountiful, en Colombie-Britannique, et d'autres collectivités du pays. C'est la preuve absolue du fait que cette mesure n'a aucun aspect racial ou xénophobe. La polygamie est une pratique qu'on trouve au Canada, aussi bien parmi des gens qui sont nés dans le pays et qui y vivent depuis plusieurs générations que parmi des nouveaux venus.
La polygamie est plus ou moins légale dans une soixantaine de pays du monde. On trouve des cas de polygamie parmi les chrétiens, les musulmans et les hindous. Quiconque, du côté de l'opposition, affirme que nous ciblons un groupe particulier au moyen de cette mesure se trompe du tout au tout. Toute communauté culturelle du Canada qui le prétendrait serait dans l'erreur. Nous savons, d'après nos consultations, que la plupart des communautés culturelles, et notamment les femmes, se félicitent autant de la protection contre la polygamie que de la protection contre le mariage précoce ou forcé. C'est la raison pour laquelle les membres de ces communautés sont venus au Canada.
Que fera le projet de loi? Il dit essentiellement qu'au lieu de faire condamner une personne pour polygamie — nous savons qu'il y a eu neuf cas de ce genre en plus de 100 ans, même s'il y en a quelques-uns qui sont en cours aujourd'hui — ou d'établir qu'une personne a fait de fausses déclarations, ce qui impose un seuil très élevé en matière de preuve administrative dans notre système d'immigration, nous pourrons maintenant accepter la déclaration d'un agent d'immigration qui affirme qu'après examen de la preuve figurant au dossier, il est convaincu que le demandeur a pratiqué la polygamie. Cela en soi suffirait comme motif de renvoi, tout comme la découverte du fait qu'une personne, après avoir immigré au Canada, avait été condamnée pour meurtre dans son pays d'origine ou avait fait partie des génocidaires du Rwanda suffit comme motif de renvoi. Grâce au projet de loi, la polygamie constituera aussi un tel motif.
En réponse à votre question concernant l'engagement à ne pas troubler l'ordre public, je voudrais ajouter que les tribunaux pourraient aussi prendre des ordonnances qui n'ont pas encore été mentionnées. Ainsi, ils pourraient ordonner à la famille de s'abstenir de faire des arrangements ou de conclure des ententes concernant le mariage. Ils pourraient en outre imposer la participation à un programme de counseling en violence familiale. Par conséquent, l'engagement comporte aussi quelques aspects préventifs.
Comme vous l'avez noté, il n'y a à l'heure actuelle aucune règle nationale régissant l'âge minimum du mariage. Pour beaucoup de gens, c'est un domaine très déroutant parce qu'ils supposent, comme vous l'avez dit, qu'il y a un âge minimum. Le Québec est la seule administration canadienne qui ait un âge minimum prévu par la loi. Il s'agit de mesures législatives fédérales. La Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil fixe à 16 ans l'âge minimum du mariage.
Dans les autres administrations du Canada, il y a de multiples âges de mariage. Les provinces prévoient que le consentement indépendant ne peut être donné qu'à l'âge de la majorité. Au-dessous de cet âge — par exemple, de 16 à 19 ans dans certaines administrations ou de 16 à 18 ans dans d'autres —, on peut se marier avec le consentement des parents. En l'absence de ce consentement, il est possible de recourir à une ordonnance judiciaire.
Beaucoup d'administrations vont plus loin, fixant d'autres exigences en deçà de 16 ans, comme une ordonnance judiciaire ou, dans certaines administrations, une preuve de grossesse ou encore la preuve qu'une enfant est la mère d'un nouveau-né, avant que le mariage ne puisse avoir lieu.
Il est un peu inquiétant de constater, si on pousse l'examen un peu plus loin, que la plupart des lois provinciales prévoient qu'en cas de mariage précoce, l'union ne peut pas être déclarée invalide si le mariage a été consommé ou s'il y a eu des relations sexuelles avant le mariage, ou encore si le couple a vécu en tant que mari et femme après le mariage. Même au-dessous de ces âges, un mariage ne peut pas être déclaré invalide. C'est parce qu'il appartient au gouvernement fédéral de prévoir un âge minimum absolu en deçà duquel aucun mariage ne serait valide. Comme la législation fédérale ne contient aucune disposition à cet égard, c'est la common law qui s'applique.
La common law est extrêmement vieille dans ce domaine particulier. C'est la raison pour laquelle, comme le ministre l'a mentionné, il y a une certaine confusion. En général, on estime, conformément à la common law, que l'âge minimum est de 14 ans pour les garçons et de 12 ans pour les filles. On trouve dans la jurisprudence des cas où des mariages ont eu lieu à un âge moindre, mais, selon l'interprétation généralement acceptée, c'est 14 ans pour les garçons et 12 ans pour les filles.
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Il y a des moyens de rédiger beaucoup de choses.
L'une des grandes difficultés, je crois, consiste à caractériser les infractions qu'on souhaite inclure dans une définition. On le fait soit en énumérant les infractions précises qui sont visées soit en donnant une description du genre « infraction faisant intervenir de la violence ».
La difficulté, lorsqu'on se sert du mot « violence » est que le terme n'est pas utilisé dans les dispositions relatives aux infractions. Par exemple, l'infraction relative aux voies de fait est commise si une personne « d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement ». Par conséquent, même les voies de fait ne sont pas décrites, du point de vue de la justice pénale, en fonction de la violence.
Il faudrait réfléchir très soigneusement à la façon de décrire les infractions que vous souhaitez inclure à l'exclusion des autres. Je crois qu'il y aurait des difficultés dans le cas de certaines infractions parce que les gens peuvent raisonnablement ne pas s'entendre sur la catégorie dans laquelle elles s'inscrivent.
Une voix: Comme le harcèlement criminel…
Me Joanne Klineberg: Le harcèlement criminel est un bon exemple d'infraction qui peut traumatiser et terrifier une personne sans application d'une force physique. La pornographie juvénile peut être considérée comme une infraction violente, mais peut tout aussi bien ne pas faire intervenir de violence. Bref, il peut être difficile de caractériser précisément les infractions.
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Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de leur présence au comité aujourd'hui.
Beaucoup de questions ont été posées aujourd'hui au sujet de la raison d'être de ce projet de loi et des raisons pour lesquelles il est présenté maintenant. En réponse à ces questions, je crois que nous devrions souligner, pour la gouverne de tous les députés, qu'il y a eu au Canada quelque 25 cas criminels de violence, de meurtre et d'infractions non mortelles liés à « l'honneur de la famille » depuis 1995, dont 21 au cours des 10 dernières années. Cela ne fait qu'une vingtaine de cas de ce type de violence dans la dernière décennie, mais, de ce côté-ci, nous croyons qu'un seul de ces cas, c'est encore trop.
Nous avons tenu des consultations partout dans le pays. Nous avons consulté des groupes et des organisations qui traitent avec des gens jour après jour et qui s'occupent de ce type particulier de problème. Dans la grande majorité des cas, on nous a dit qu'il fallait faire adopter des lois pour protéger les femmes et les filles contre ces pratiques culturelles barbares. Je le dis avec autant d'emphase que de passion. Cela fait partie de la culture de certains de croire que si leur enfant de 14 ans ne se conforme pas à une décision qu'ils ont prise le jour de sa naissance, ils doivent d'une façon ou d'une autre punir l'enfant en le tuant, en le lapidant, en le discréditant, en le jetant dehors ou en l'écartant. Pour ces gens, il s'agit d'une pratique culturelle.
Cela ne s'applique à aucune communauté particulière. Nous avons au Canada des communautés multiculturelles d'un grand dynamisme. Nous avons des gens venus de tous les coins du monde. Nous parlons cependant en particulier de personnes capables de soumettre à des actes barbares des femmes, et particulièrement des jeunes femmes et des jeunes filles.
De toute évidence, notre message est le suivant: nous ne tolérerons pas des violences conjugales de quelque sorte que ce soit, qu'il s'agisse de crimes d'honneur, de violence fondée sur le sexe ou d'autre chose. Nous prenons des mesures pour renforcer nos lois et veiller à ce qu'aucune femme ni fille du Canada ne devienne une victime du mariage précoce ou forcé, de la polygamie, de la violence prétendument fondée sur l'honneur ou de n'importe quelle autre forme de pratique culturelle nuisible. Ce n'est pas la façon de faire des Canadiens. Ce n'est pas ainsi que nous agissons au Canada. Nous devons mettre en place des lois pour nous assurer que ces femmes et ces filles ont le droit de parler et le droit d'être protégées.
Cela étant dit, je voudrais vous demander, comme première question, de nous en dire davantage sur l'engagement à ne pas troubler l'ordre public et sur la façon dont cet engagement fonctionnera.
Un engagement à ne pas troubler l'ordre public est une ordonnance préventive prise par un tribunal, même si elle est inscrite dans le Code criminel. Comme le ministre l'a dit plus tôt, si un tel engagement est demandé contre un défendeur, il ne constitue pas pour autant une accusation au criminel. Une fois l'engagement émis, le défendeur n'a pas un casier judiciaire. C'est seulement s'il viole les conditions de l'engagement que le défendeur fait l'objet d'une accusation et peut avoir un casier judiciaire. C'est donc une mesure préventive qui est extrêmement utile lorsqu'on craint qu'une infraction ne soit commise.
Nous avons examiné les dispositions générales de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public et avons conclu qu'elles ne suffisaient pas pour affronter ce problème particulier. En effet, il est très inhabituel qu'on veuille empêcher quelqu'un de préparer un mariage. Il fallait vraiment trouver un moyen d'empêcher ces gens d'organiser le mariage et de faire des préparatifs pour la cérémonie. Pour pouvoir le faire, nous avons dû nous concentrer sur la cérémonie elle-même.
Créer une infraction fondée sur la cérémonie du mariage et axée sur le préjudice qu'elle peut occasionner puisqu'elle constitue en soi une atteinte au droit qu'a une personne de décider si elle veut se marier, quand et à qui, avec toute la violence potentielle et presque inévitable qui en découle... En nous concentrant sur cette manifestation particulière du préjudice, nous pouvons nous servir de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public pour prévenir le préjudice.
L'expérience acquise au Royaume-Uni avec les ordonnances de protection civile contre le mariage forcé montre que ces ordonnances sont très efficaces lorsqu'il s'agit d'empêcher les familles de forcer leur enfant à se marier. La plupart des familles le font en croyant agir au mieux des intérêts de l'enfant. Lorsqu'elles arrivent à comprendre, premièrement, qu'elles commettent un acte illégal et préjudiciable et, deuxièmement, qu'elles auront à subir la honte d'une condamnation au criminel si elles allaient de l'avant, elles se laissent souvent dissuader.
L'engagement constitue l'équivalent fédéral canadien de l'ordonnance britannique de protection civile contre le mariage forcé car, dans le contexte canadien, les ordonnances de protection civile relèvent de la compétence des provinces et des territoires.
Une fois la demande présentée, le défendeur est assujetti à un certain nombre de conditions pouvant comprendre le retrait du passeport et d'autres titres de voyage, la limitation des déplacements, l'interdiction de quitter le territoire de l'administration en cause, etc.