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CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


NUMÉRO 047 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 7 mai 2015

[Enregistrement électronique]

  (0850)  

[Traduction]

    Bonjour, mesdames et messieurs. Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration. Nous étudions le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence.
    Le déroulement de la séance sera un peu inhabituel aujourd'hui parce que le timbre retentira à 10 h 5 et que le comité devra alors s'ajourner. J'ai donc pris sur moi, à titre de président, de réunir tous les témoins dans un seul groupe. Je vais les présenter dans un instant. Cela laissera, pour le second groupe, uniquement le témoin de Londres, avec qui nous communiquerons par téléconférence.
    Au nom du comité, je souhaite la bienvenue à tous. Je vous remercie de participer à nos travaux.
    Nous entendrons aujourd'hui Me Sharryn Aiken, professeure à la faculté de droit de l'Université Queen's, et Elsii Faria, qui est consultante en marketing et communications. Nous avons également Aruna Papp, présidente de Community Development and Training, et, de METRAC Action on Violence, Tamar Witelson, directrice juridique, et Silmi Abdullah, avocate des programmes.
    Chaque témoin dispose d'un maximum de huit minutes pour présenter un exposé. Ensuite, les membres du comité auront des questions à vous poser.
    Madame Papp, vous pouvez commencer.
    Je vous remercie de m'avoir invitée à parler du projet de loi S-7, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares.
    Je félicite le gouvernement pour le leadership dont il fait preuve en prenant position sur une question très difficile et en défendant les droits humains des femmes vulnérables qui sont incapables de parler en leur propre nom. Je suis vraiment enchantée d'appuyer ce projet de loi. De bien des façons, c'est le résultat de mon travail auprès des nouvelles immigrantes et une réponse aux voix qui n'ont pas pu se faire entendre dans le passé.
    Ma carrière en développement communautaire et en politique publique était tout à fait inattendue. Pendant les 35 dernières années, j'ai travaillé comme dispensatrice de services en première ligne auprès de femmes victimes de leur propre famille. J'ai mis sur pied trois organismes qui viennent en aide aux femmes immigrantes victimes de violence conjugale. Pendant ces trois décennies et demie, j'ai parlé à des centaines de femmes dont les appels au secours m'ont incitée à essayer de défendre leurs droits. Depuis 10 ans, je donne de la formation aux fournisseurs de services de première ligne pour leur expliquer en quoi la violence fondée sur l'honneur diffère des autres formes de violence contre les femmes.
    Je suis née et j'ai grandi en Inde. Je suis l'aînée de sept enfants, six filles et un garçon. Adolescente, j'ai été forcée à accepter un mariage arrangé. J'ai dû endurer 18 ans de violence parce que j'étais incapable de partir de crainte de couvrir ma famille de honte et de déshonneur. Cette violence s'est répercutée sur tous les aspects de ma vie. Je la ressens encore aujourd'hui à 64 ans.
    Comme des milliers d'immigrantes, je suis arrivée au Canada en croyant que, dans ce pays bâti sur des valeurs telles que la sécurité, la liberté et le respect pour tous, mes filles et moi pourrions nous prévaloir de ces valeurs. Je croyais que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissait aux hommes et aux femmes un droit égal à la vie, à la liberté et à la sécurité et permettrait à mes filles et moi de profiter des mêmes occasions que les femmes et les filles des familles non immigrantes. J'avais tort. Comme nouvelle immigrante, j'ai très rapidement été initiée à une nouvelle philosophie qui devait devenir une caractéristique de base de la société canadienne: le multiculturalisme.
    Le premier ministre d'alors, Pierre Trudeau, avait décrété que le principe directeur d'une société juste consistait à ne pas juger le comportement de gens de cultures autres que la culture occidentale chrétienne, car agir autrement serait paternaliste et élitiste. Pour moi, le multiculturalisme signifiait que je devais continuer à vivre exactement comme je l'avais toujours fait. L'inégalité entre hommes et femmes faisait partie de ma culture et, au Canada, toutes les cultures avaient droit au même respect.
    Même si la violence contre les femmes constitue un phénomène mondial, il y a d'importantes variantes culturelles et différents schémas et manifestations de la violence. Les éléments déclencheurs, les réactions aux conséquences et la violence envers les femmes varient d'une culture à l'autre. Par exemple, la culture de l'Asie méridionale se caractérise par différentes normes qui servent non seulement à maintenir la violence contre les femmes, mais aussi à réduire au silence celles qui y sont soumises. Dans la culture de l'Asie méridionale, les filles apprennent très tôt qu'elles ont moins de valeur que les garçons. Elles ont le devoir de servir, de se sacrifier et de consacrer leur vie à la protection de l'honneur de la famille. Cette culture met l'accent sur le devoir et le service, valeurs que la famille ancre profondément dans l'esprit des filles au moyen d'outils tels que la culpabilité, la honte et l'acceptation de punitions sévères et inhumaines. Dès leur plus jeune âge, elles apprennent qu'elles sont la propriété de leurs parents, qui les remettront à leur mari à leur mariage. Seule la mort leur permet d'échapper au joug.
    En 2010, j'ai rédigé un rapport intitulé La violence contre les femmes dérivée de la culture: un problème grandissant dans les communautés immigrantes du Canada, qui contenait 14 recommandations. Six d'entre elles figurent maintenant dans le nouveau guide du gouvernement Découvrir le Canada, qui permet maintenant aux néo-Canadiens de se familiariser avec leur pays et de se préparer en vue de l'examen obligatoire de citoyenneté. Nous avons maintenant un outil que les nouveaux immigrants et ceux qui préparent cet examen peuvent utiliser.

  (0855)  

    De nombreux Canadiens veulent qu'on supprime les mots « pratiques culturelles barbares » qui figurent dans le titre du projet de loi S-7. Ces mots avaient paru pour la première fois dans mon rapport sur la violence contre les femmes. Ils avaient alors indigné beaucoup de gens.
    Parmi ces gens, il y en avait qui, 30 ans plus tôt, avaient déclaré aux médias que la violence familiale était inexistante dans la communauté d'Asie méridionale. Ils avaient affirmé: « Nous avons plusieurs déesses. Nous avons le plus grand respect pour nos mères et nous célébrons les femmes dans notre culture pour leur vertu et leur pureté. » Toutefois, ils n'avaient pas dit: « Lorsque nous décidons que certaines femmes ne sont pas vertueuses, nous les tuons au nom de l'honneur de la famille. »
    Ceux qui s'opposent aux mots « pratiques culturelles barbares » n'ont jamais vu une fillette de neuf ans hurlant de douleur parce que ses organes génitaux excisés s'étaient infectés et avaient formé un abcès purulent de la taille d'un melon. J'ai vu cela à l'hôpital Centenary. C'est une vision que je n'oublierai jamais. Ce sont là des pratiques culturelles barbares que rien ne saurait justifier. Après avoir passé 35 ans à exhorter les décideurs à renforcer les lois, je suis heureuse de voir finalement le projet de loi S-7, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares.
    Cette mesure législative n'est pas parfaite, mais les modifications qu'elle propose renforceront de plusieurs façons différentes la protection et le soutien des personnes vulnérables, et surtout des femmes que je connais. Pour ceux qui ne font pas partie de ces communautés, les pratiques culturelles barbares sont bien cachées, mais, dans les communautés où elles se produisent, beaucoup de gens en sont conscients et y sont favorables.
    D'après le projet de loi, est coupable d'un acte criminel et passible d'emprisonnement quiconque célèbre un rite ou une cérémonie de mariage, y aide ou y participe sachant que l'une des personnes qui se marient le fait contre son gré. Cette disposition me réchauffe le coeur. Le projet de loi dit aussi que quiconque, étant légalement autorisé à célébrer le mariage, célèbre sciemment un mariage en violation du droit fédéral ou des lois de la province où il est célébré est coupable d'un acte criminel et passible d'emprisonnement. Je suis heureuse d'appuyer le projet de loi.
    Grâce à cette mesure législative, nous avons maintenant les outils nécessaires pour agir contre ceux qui se livrent à des pratiques culturelles barbares au Canada et pour éduquer les ignorants. Pour moi, la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares prouve que l'ouverture et la générosité du Canada ne s'étendent pas à ceux qui s'adonnent à des pratiques culturelles qui violent les droits de la personne. Le Canada ne tolère aucune forme de violence contre les femmes ou les filles. Ceux qui sont coupables de ces crimes seront sévèrement punis en vertu des lois du pays.
    J'estime personnellement que le projet de loi S-7 dit clairement que les femmes réduites au silence par leur famille et leur communauté ont été entendues par le présent gouvernement, qui a décidé de les inclure dans ses lois et de leur accorder la même protection qu'à toutes les autres femmes du Canada.
    Maître Aiken.
    Je suis experte en droit international des droits de la personne et en droit de l'immigration. C'est pour cette raison que je concentrerai mes observations sur les aspects du projet de loi S-7 qui sont liés à mon domaine d'expertise. Je vais compter sur mes collègues de METRAC pour mettre en évidence beaucoup des points que j'appuie et que je voudrais également souligner, mais qui sont extérieurs à mon principal domaine d'expertise. Je vous exhorte, si vous ne l'avez déjà fait, à prendre connaissance du mémoire qu'elles ont très soigneusement élaboré.
    Les trois points que je vais aborder se rapportent en tout premier lieu à la création d'une nouvelle catégorie d'interdiction de territoire dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés — que j'appellerai LIPR par souci de concision —, à la décision de fixer à 16 ans l'âge minimum du mariage et, s'il me reste encore du temps, à quelques brèves observations sur le titre abrégé du projet de loi.
    Tout d'abord, je voudrais dire très clairement que je m'oppose énergiquement au projet de loi. Ce n'est pas parce que je ne partage pas les préoccupations de ma collègue, Mme Papp, au sujet des problèmes auxquels le projet de loi vise à remédier. C'est plutôt parce que cette mesure constitue le mauvais moyen de s'attaquer à ces problèmes. Plus particulièrement, c'est un autre exemple de la détermination du gouvernement à gouverner en légiférant en absence de preuves empiriques permettant de déterminer les meilleurs moyens de régler un problème.
    Plus souvent qu'autrement, depuis que le présent gouvernement est au pouvoir, nous avons vu mettre en oeuvre une succession de projets de loi et de trousses juridiques destinés à résoudre des problèmes qui n'ont pas besoin de nouvelles lois. Je crois que le projet de loi S-7 est un exemple parfait de cette tendance à gouverner avec des lois dont nous n'avons pas besoin car, la plupart de leurs dispositions, sinon toutes, consistent en mesures qui existent déjà dans la législation fédérale. Nous n'avons pas besoin de nouveaux libellés parce que nous disposons déjà des outils nécessaires dans les lois actuelles.
    Pour moi, nous ferions de bien plus grands progrès en nous débarrassant du projet de loi S-7 pour consacrer nos efforts à l'élaboration de programmes et, ce qui est plus important, à la recherche de ressources pour affronter les problèmes sous-jacents, c'est-à-dire les vrais problèmes dont ma collègue a parlé.
    Voilà le plan de ce que j'ai à dire. Permettez-moi maintenant de donner quelques précisions sur les dispositions d'interdiction de territoire.
    Comme vous le savez, elles s'appliquent généralement à tous les non-citoyens. Autrement dit, elles s'appliquent aux ressortissants étrangers venant d'outre-mer qui cherchent à être admis au Canada sur une base temporaire ou permanente. Elles s'appliquent aussi aux résidents permanents à long terme, c'est-à-dire à des gens qui sont au Canada depuis des années et qui s'y sont établis. Pour ces gens, qui sont essentiellement intégrés à la trame de leur communauté, la simple accusation de se livrer à la polygamie les expose à l'expulsion. Soit dit en passant, cela se ferait au moyen d'une procédure qui n'a aucune des caractéristiques de l'application régulière de la loi, application à laquelle les citoyens canadiens s'attendent s'ils sont menacés de sanctions aussi graves. Qu'est-ce que je veux dire par là? Cela signifie qu'un agent d'immigration prend une décision contre laquelle il y a, non pas un moyen de recours, mais une procédure technique étroite d'examen judiciaire que doit autoriser la Cour fédérale et qui, plus souvent qu'autrement, est rejetée. Ce que nous envisageons ici, c'est l'extension de la portée des mesures de renvoi de résidents permanents à long terme sur la base de conjectures liées à un comportement futur.
    Je soutiens que si nous disposons de faits appuyant une accusation de polygamie, nous devons procéder en portant des accusations au criminel et en permettant aux résidents permanents de se défendre dans le cadre d'un procès, comme les autres citoyens canadiens, avec application régulière de la loi et droit d'appel. Je veux dire très clairement que l'extension de la portée de l'interdiction de territoire pour cause de polygamie établit en fait un système de justice à deux paliers. Les personnes qui en souffriront seront les résidents permanents et les femmes. Même si le projet de loi prétend protéger les femmes, il leur causera en fait un grand préjudice et pourrait perturber les familles et toucher des enfants. Aucune disposition du projet de loi n'est prévue pour remédier aux retombées de cette extension de la portée de l'interdiction de territoire.

  (0900)  

    Je veux également souligner le fait que c'est la première fois que nous essayons d'empêcher l'entrée au Canada, ne serait-ce que pour un bref séjour, de familles polygames. Je voudrais signaler au comité que le code pénal modèle uniforme des États-Unis exempte spécifiquement les parties à un mariage polygame, qui est licite dans le pays dont ces parties sont des résidents ou des ressortissants, si elles ne font que transiter par un État ou le visiter temporairement.
    Indépendamment de votre point de vue sur la polygamie, vous devez vous interroger sur l'opportunité non seulement de criminaliser, mais de renvoyer du Canada des visiteurs temporaires qui ont légalement contracté des mariages polygames dans leur pays d'origine. Ma collègue, Martha Bailey, de la faculté de droit de l'Université Queen's, a signalé que le caractère monogame de la société canadienne est probablement assez robuste pour survivre à la présence temporaire sur notre territoire de visiteurs polygames. Je laisse au comité le soin de réfléchir à cela.
    Je vais maintenant passer à la question du mariage précoce. Le seul changement important proposé par le projet de loi qui ne figure pas déjà ailleurs a consisté à fixer l'âge minimum du mariage à 16 ans. Comme la demande de mariage au-dessous de 16 ans est plutôt limitée, cette disposition n'aura presque aucun effet en pratique. Toutefois, le mariage au-dessous de l'âge de 18 ans est jugé précoce et est interdit dans plusieurs pays, dont la Russie, la Chine, la Suède, la Suisse, l'Allemagne et le Pakistan. Cette liste n'est pas nécessairement exhaustive, car elle ne comporte que ce que j'ai réussi à trouver dans le temps de préparation dont je disposais.
    À l'échelle internationale, le Canada préconise l'adoption d'un âge minimum de mariage de 18 ans. Nous adoptons donc une position contraire à celle que nous avons sur la scène internationale. Comme vous le savez, parce que vous avez entendu des témoignages à ce sujet, l'UNICEF soutient que le mariage à moins de 18 ans constitue une violation fondamentale des droits humains. Le gouvernement n'a pas expliqué pourquoi il a choisi l'âge de 16 ans comme âge minimum de mariage. Et, comme l'a signalé ma collègue Martha Bailey, il n'a pas non plus tenu compte des appels lancés par des organismes internationaux tels que l'UNICEF pour qu'on relève l'âge minimum du mariage à 18 ans.
    Après s'être abstenu pendant si longtemps d'exercer son pouvoir de fixation de l'âge minimum du mariage, le gouvernement aurait dû tenir compte des normes internationales. Je souligne que la recherche établit nettement que les pays qui ont fixé l'âge minimum à 18 ans ont beaucoup mieux réussi que les autres à réduire le taux de fécondité des adolescentes et à promouvoir la santé des femmes.
    Je n'ai pas eu le temps d'aborder la question du titre abrégé du projet de loi. Nous pourrons peut-être en parler pendant la période de questions, mais, pour l'essentiel, j'estime que le Canada doit consacrer les ressources dont il dispose à la prévention plutôt qu'aux sanctions légales.

  (0905)  

    C'était un exposé très bien organisé. Je suis sûr que vos étudiants vous adorent.
    De METRAC Action on Violence, nous entendrons Me Witelson et Me Abdullah. Mesdames, vous disposez à deux de huit minutes pour présenter un exposé.
    Membres du comité, je m'appelle Tamar Witelson. Je suis accompagnée de Silmi Abdullah. Nous sommes avocates à METRAC, organisme à but non lucratif qui s'efforce depuis 30 ans de prévenir la violence contre les femmes. Nous vous remercions de l'occasion que vous nous avez donnée d'expliquer pourquoi METRAC croit que le projet de loi S-7 nuira aux femmes et aux filles s'il est adopté.
    Je crois que vous avez déjà notre mémoire écrit. Je vous parlerai aujourd'hui des questions touchant le droit pénal, et Me Abdullah abordera les aspects liés à l'immigration.
    Premièrement, METRAC est opposé à la création de nouvelles infractions, dans le Code criminel, pour le fait de célébrer volontairement un rite ou une cérémonie de mariage, d'y aider ou d'y participer si une femme est forcée à se marier contre son gré ou avant d'avoir atteint l'âge de 16 ans.
    Ce libellé très général risque de criminaliser de nombreux membres de la communauté et de la famille, y compris des femmes qui pourraient ne pas avoir la possibilité de refuser de participer à de telles cérémonies, ce qui les exposerait à une peine d'emprisonnement de cinq ans. Nous savons qu'en situation de mariage précoce ou forcé, les femmes en cause ne se plaindront pas aux autorités si des membres de leur famille ou de leur communauté risquent d'être pénalisés. Nous craignons que le mariage forcé ne devienne clandestin, ce qui isolerait encore plus les femmes et les filles de l'aide dont elles ont besoin.
    Un non-citoyen qui est condamné à six mois de prison en vertu de ces dispositions peut être interdit de territoire et être renvoyé du Canada. Par conséquent, la femme ou la fille sauvée d'un mariage forcé se retrouvera sans soutien familial, financier et social au Canada. De plus, elle risque elle aussi d'être renvoyée, à titre de membre de la famille parrainée par la personne expulsée.
    Des sanctions pénales destinées à combattre le mariage précoce et forcé risquent d'isoler des femmes vulnérables et de les piéger dans un mariage violent. Les sanctions pénales ajoutent des obstacles sur la voie de la sécurité. Le Canada a besoin d'éducation, de sensibilisation, de conseils ainsi que d'une aide financière et d'un soutien du logement pour être vraiment en mesure de combattre le mariage forcé.
    Deuxièmement, METRAC n'appuie pas la création, dans le Code criminel, d'un nouvel engagement à ne pas troubler l'ordre public, destiné particulièrement à empêcher une personne d'organiser ou de participer à l'organisation d'un mariage précoce ou forcé.
    Comme vous le savez, le refus de prendre l'engagement ou la violation des conditions entraîne des conséquences pénales, comprenant des peines d'emprisonnement. Ce risque est susceptible de dissuader beaucoup de femmes et de filles de demander l'émission d'un tel engagement. Toutefois, si elles le font, nous craignons que le processus de demande en soi ne les expose à des risques accrus. Le défendeur reçoit un avis concernant l'engagement à ne pas troubler l'ordre public. Il comparaît au tribunal en même temps que la femme dans le cadre d'un processus accusatoire sans l'aide d'un avocat de la Couronne.
    Nous savons que les femmes risquent un surcroît de violence lorsqu'elles défient l'homme qui les persécute ou tentent de le quitter. Nous craignons que les femmes qui recherchent la sécurité en recourant à l'engagement à ne pas troubler l'ordre public ne s'exposent à des risques sérieux. Les engagements existants suffisent. Si une femme craint d'être soumise à un mariage précoce ou forcé, elle a surtout besoin d'un plan réaliste de sécurité assorti d'une aide financière et d'un soutien au logement afin d'échapper à un tel mariage.
    Troisièmement, METRAC s'oppose à la limitation des conditions dans lesquelles la défense de provocation prévue dans le Code criminel peut s'appliquer.
    La défense de provocation a toujours été utilisée par des hommes jaloux qui, ayant tué leur partenaire, prétendent qu'ils ont été provoqués par son infidélité. Toutefois, depuis 2010, il n'est plus possible de recourir à cette défense au Canada lorsque la perte de contrôle est attribuable à des sentiments incompatibles avec le droit à l'égalité prévu dans la Charte. La Cour suprême du Canada a expressément limité le recours à cette défense dans les affaires d'adultère et d'homophobie et dans le contexte de l'honneur de la famille. Toutefois, le projet de loi S-7 va plus loin en ajoutant que les actes provocateurs doivent également constituer une infraction passible d'au moins cinq ans de prison. Nous croyons que cette disposition interdira aux femmes qui survivent à la violence d'invoquer la défense déjà limitée de provocation.
    La violence contre les femmes englobe les abus émotionnels et psychologiques ainsi que les comportements autoritaires et dégradants, et peut être insidieuse et cumulative. En général, plusieurs tentatives sont nécessaires avant qu'une femme ne réussisse à échapper à son persécuteur. Une femme victime de violence peut être provoquée à tel point qu'elle cesse momentanément de se contrôler, occasionnant la mort du persécuteur. Toutefois, si les agissements de celui-ci ne constituaient pas une grave infraction criminelle, le projet de loi S-7 empêcherait la femme de se prévaloir de la défense limitée de provocation.
    Nous recommandons que cette défense limitée soit maintenue dans toutes les situations de violence contre les femmes et que le Code criminel reconnaisse en particulier le contexte de la violence et les instructions judiciaires prévoyant de respecter les droits garantis par la Charte lors de l'application de la défense de provocation.
    À vous, maître Abdullah.

  (0910)  

    Je remercie les membres du comité.
     Je vais maintenant vous présenter notre point de vue sur les dispositions du projet de loi S-7 relatives à la polygamie.
    Nous ne croyons pas que la création d'un nouveau motif d'interdiction de territoire fondé sur la polygamie contribuera à la répression de ce phénomène au Canada ou protégera les femmes contre la violence. Bien au contraire, nous craignons l'inverse.
    Le projet de loi S-7 dit que la polygamie doit être interprétée d'une manière compatible avec l'alinéa 293(1)a) du Code criminel, selon lequel la polygamie constitue maintenant une infraction criminelle. Comme les dispositions du code ont été interprétées de façon à inclure aussi bien le mari que les femmes impliqués dans de telles relations, les dispositions de la LIPR pénaliseront injustement les femmes, sans égard aux situations dans lesquelles celles-ci ont été forcées à se marier, n'étaient pas au courant du mariage ou étaient victimes de violence.
    En vertu de la législation actuelle de l'immigration, les demandeurs de résidence permanente qui sont polygames sont déjà interdits de territoire à moins de transformer leur mariage en union monogame. En vertu de la LIPR, ils peuvent également être frappés d'interdiction pour activités criminelles si un agent a des motifs raisonnables pour croire qu'ils pratiqueront la polygamie au Canada, contrairement à l'article 293 du Code criminel. Par conséquent, la législation actuelle de l'immigration prévoit déjà des protections qui empêchent l'admission des familles polygames. Le projet de loi S-7 ne crée pas d'obstacles additionnels à cet égard.
    Toutefois, le projet de loi aura pour effet de priver les résidents permanents du Canada de protections existantes, et, en particulier, fera courir des risques aux femmes et aux enfants en créant un système à deux paliers pour les citoyens et les non-citoyens. À l'heure actuelle, une fois admis au Canada, un résident permanent peut être interdit de territoire et renvoyé s'il est condamné à six mois de prison pour polygamie en vertu de l'article 293. Les résidents permanents peuvent aussi être interdits de territoire s'ils n'ont pas dit la vérité au sujet de leur situation polygame dans leur demande de résidence permanente.
    La création d'un motif distinct d'interdiction de territoire fondé sur la polygamie privera les femmes de la possibilité d'avoir un procès au criminel et de ne pas être renvoyées avant d'avoir fait l'objet d'une condamnation. Les femmes subiront donc un préjudice supplémentaire parce qu'elles peuvent être interdites de territoire et renvoyées plus facilement si elles sont soumises à une norme de preuve inférieure par rapport à la norme pénale de la preuve allant au-delà de tout doute raisonnable.
    De plus, cela exposera les femmes à perdre leur statut au Canada si l'époux qui les a parrainées est renvoyé pour polygamie. Le risque élevé de renvoi incitera donc les femmes victimes de violence à hésiter à demander de l'aide pour quitter leur persécuteur et les piégera dans une relation violente.
    Une femme qui signale qu'elle est victime de violence peut, de même que ses enfants, être renvoyée du Canada en même temps que le mari qui l'a persécutée, en vertu du paragraphe 42(1) de la LIPR. D'après cette disposition, un ressortissant étranger est interdit de territoire si un membre de sa famille qu'il accompagne ou, dans des circonstances particulières, qu'il n'accompagne pas est frappé d'interdiction de territoire ou s'il accompagne lui-même un membre de sa famille interdit de territoire.
    Considérez, par exemple, la situation d'une femme et de ses enfants qui arrivent au Canada en compagnie d'un mari qui détient un visa d'étudiant ou un permis de travail, et qui attendent la résidence permanente à titre de personnes à charge du demandeur. Si le mari se livre à la polygamie et se montre violent envers sa première femme, le fait de signaler cette violence peut faire découvrir la situation polygame du mari et entraîner l'interdiction de territoire de toute la famille.

  (0915)  

    Pouvez-vous terminer, s'il vous plaît?
    Bien sûr.
     Ce scénario montre que le projet de loi S-7 aura pour effet de faire renvoyer toute la famille et de perpétuer la violence ailleurs au lieu de permettre aux victimes d'obtenir de l'aide et de continuer à mener une vie sûre et autonome au Canada.
    Nous soutenons donc, avec respect, que notre législation devrait traiter la polygamie d'une manière qui ne force pas les femmes à choisir entre une relation de violence au Canada et une relation de violence à l'étranger.
    Nous recommandons de maintenir les dispositions actuelles de la LIPR et de modifier en même temps la LIPR et le Code criminel de façon à soustraire aux sanctions pénales et aux sanctions de l'immigration les femmes qui ont été forcées à accepter des relations polygames ou qui n'étaient pas au courant des relations polygames de leur mari.
    Je vous remercie.
    Merci, mesdames Abdullah et Witelson, pour vos exposés.
    Madame Faria, vous êtes la dernière, mais vous disposez quand même d'un maximum de huit minutes.
    Je m'appelle Elsii Faria. Je suis consultante en marketing et en communications pour diverses organisations, y compris le Centre d'aide aux chômeurs de la région de Durham et l'organisme 1COMMUNITY1.
    J'arrive aussi au terme de mon mandat d'agente de liaison communautaire au Welcome Centre Immigrant Services d'Ajax et de Pickering, en Ontario.
    Les opinions que j'exprime aujourd'hui sont les miennes. Je ne défends les vues d'aucune organisation à laquelle je suis affiliée ou avec laquelle j'ai des relations d'affaires ou autre. Je défends les droits de la personne et les droits de la femme. En tant que professionnelle du marketing, je participe à des travaux avec des organisations, des entreprises ou des particuliers, dans le cadre de projets pouvant avoir des incidences positives sur les communautés locales, nationales ou mondiales.
    Je suis très honorée de comparaître comme témoin au sujet du projet de loi S-7, de concert avec tant de personnes importantes et de membres respectés de différents groupes.
    Je suis au courant de certains des arguments avancés en faveur et contre les modifications de cinq lois fédérales proposées dans le projet de loi S-7. Pour ce qui est de prédire l'effet des modifications sur les victimes et les survivantes de la violence fondée sur l'honneur et des mariages précoces et forcés, mon point de vue se limite au résultat de ma recherche parce que je ne travaille pas avec de nouveaux venus en première ligne. Mon avis sur le projet de loi et son efficacité se base sur ma propre expérience et mes propres antécédents de recherche de solutions destinées à atteindre des objectifs particuliers.
    Au cours de la conférence de presse où il a annoncé le projet de loi S-7, le ministre Alexander a parlé à plusieurs reprises de l'intention et des objectifs de cette mesure législative: ils consistent à veiller à ce que les femmes et les filles immigrantes soient protégées, ne soient pas soumises à l'isolement, ne soient pas privées de leurs droits et soient soustraites à la violence à leur arrivée au Canada, et à assurer la protection, le bien-être physique et l'épanouissement des femmes et des filles dans le pays afin de leur permettre de réaliser leur potentiel et d'éliminer l'obstacle que représente la violence.
    Je crois que le succès du projet de loi S-7 est directement lié au respect de l'intention du projet de loi grâce à la mise en oeuvre d'une approche globale, intégrée et holistique. Pour atteindre les objectifs du projet de loi, les modifications apportées aux lois fédérales ne devraient constituer qu'un élément d'une stratégie globale. De plus, il est nécessaire de prévoir des appuis et des services polyvalents. Les solutions au niveau de la base devraient comprendre des initiatives d'éducation, de sensibilisation et de formation à l'intention des victimes, des agresseurs, des fournisseurs de services et des citoyens du Canada et du monde. Je crois qu'un dépôt central d'information, comprenant du matériel promotionnel et de formation, faciliterait la diffusion de l'information à l'échelle nationale avec différents degrés d'accès pour les intervenants d'urgence, les enseignants, la police, les membres du public, etc. Le dépôt pourrait servir à recueillir des données statistiques qui constituent, à mon avis, un élément critique pour mesurer l'efficacité et déterminer les ressources nécessaires pour respecter l'intention du projet de loi.
    Le recours à un modèle de collaboration avec rétroaction et coopération des intervenants est essentiel. Il faudrait consulter des experts du domaine pour veiller à ce que les mesures législatives proposées et d'autres initiatives n'augmentent pas les obstacles pour les femmes victimes de violence. Le soutien général de la communauté peut aussi contribuer à la réalisation des objectifs du projet de loi.
    À la conférence de presse où il a annoncé le dépôt du projet de loi S-7, le ministre Alexander a déclaré ce qui suit:
[La] réaction à ces questions doit consister en un effort collectif non seulement du gouvernement, non seulement des organismes d'aide à l'établissement, mais de nous tous qui participons à l'accueil des nouveaux venus dans le pays et aux communications avec les membres de leur famille.
    L'année dernière, je crois que le Canada a atteint un tournant décisif en tenant une discussion ouverte sur la violence faite aux femmes. Il est maintenant temps de conjuguer nos efforts, à titre de communauté, pour prévenir la violence contre les femmes et y sensibiliser les gens, particulièrement dans les milieux de l'immigration.
    La façon dont le projet de loi S-7 a été conçu a eu des effets directs sur l'acceptation des modifications proposées par le public et les intervenants. Le titre, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, attire bien sûr l'attention sur le sujet, mais il a des connotations négatives qui, à mon avis, nous détournent des importants objectifs du projet de loi et les ternissent.
    Les définitions liées à l'adjectif « barbare » semblent suggérer qu'une autre civilisation ou une autre communauté est jugée inférieure, sauvage ou grossière. Le mot perpétue des craintes et oppose une culture à une autre en favorisant des relations basées sur le conflit et la division plutôt que sur la coexistence pacifique et la collaboration. Au Canada, le mot « barbare » rappelle une période de colonialisme qui a eu des effets durables et qui a nui au bien-être et à l'épanouissement des peuples autochtones. Nous savons maintenant qu'entre 1980 et 2012, plus de 1 100 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées. Cela aussi pourrait être classé dans les pratiques culturelles barbares alimentées par le racisme contre les femmes autochtones du Canada.
    Je crois que le titre du projet de loi nous détourne de la vraie discussion et des mesures que nous devons prendre pour réaliser les objectifs du projet de loi. Nous pourrions peut-être envisager de substituer « pratiques culturelles violentes » à « pratiques culturelles barbares », ce qui donnerait le titre: Loi sur la tolérance zéro à l'égard des pratiques culturelles violentes.

  (0920)  

    Quant aux modifications proposées, j'estime que si la polygamie est illégale au Canada, elle ne devrait pas y être pratiquée. Toutefois, lorsqu'on prend conscience du fait que la polygamie existe bel et bien au Canada, les conséquences des modifications proposées de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés devraient être prises en considération. Quels effets auront-elles sur les victimes de violence qui vivent actuellement dans des relations polygames? Pour des motifs de parrainage ou des facteurs économiques, les victimes n'ont pas vraiment beaucoup de choix s'il s'agit de rompre ces relations. De plus, on a noté que les polygames qui cherchent à immigrer au Canada pourraient bien abandonner leurs femmes et leurs enfants à l'étranger pour le faire.
    Pour ce qui est des amendements proposés de la Loi sur le mariage civil, je les crois nécessaires et compatibles avec les objectifs, tout en convenant avec Me Aiken que l'âge minimum du mariage devrait être porté à 18 ans.
    Quant aux modifications du Code criminel, je crois que ceux qui participent à des cérémonies de mariage précoce ou forcé ou y contribuent devraient en supporter les conséquences. Toutefois, des peines d'emprisonnement infligées à de multiples participants pourraient faire courir des risques à leurs enfants et ne pas être très efficaces dans une perspective de réadaptation. Des séances de conseils et de sensibilisation à la violence fondée sur l'honneur et au mariage précoce et forcé ainsi que des services psychologiques pourraient servir à informer les responsables et peut-être même à les réadapter.
    Je suis en faveur des modifications relatives à la défense de provocation, mais je comprends les arguments avancés au sujet du recours à cette défense par des femmes victimes de violence. J'estime par ailleurs que le processus de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public peut faire courir aux victimes des risques de violence plus graves aussitôt que le responsable est averti de la tenue d'une audience au tribunal.
    Je suis heureuse qu'un dialogue soit engagé. Je crois que la seule façon de respecter l'intention du projet de loi consiste à adopter des stratégies efficaces et respectueuses de collaboration et des initiatives d'éducation et de sensibilisation.
    Je vous remercie.
    Merci à vous, madame Faria.
    Vous avez toutes présenté d'excellents exposés dont je vous remercie au nom du comité. Nous allons maintenant passer aux questions. Je vais changer les règles car tout semble avoir changé ce matin. Les périodes de questions, y compris celle de M. McCallum, seront de cinq minutes chacune.
    Monsieur Menegakis.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais remercier les témoins de leur présence au comité aujourd'hui et de leurs exposés. Le comité a eu l'occasion, ces dernières semaines, d'entendre quelques victimes extrêmement courageuses. L'examen de ce projet de loi suit une importante étude que le comité a réalisée sur la prévention de la violence et la protection des femmes dans le système d'immigration du Canada. Comme je l'ai dit, nous avons entendu des histoires très touchantes racontées par de courageuses victimes.
    Madame Papp, je voudrais commencer par vous remercier de nous avoir fait part de votre histoire aujourd'hui. Je tiens aussi à vous applaudir d'avoir ouvertement parlé de ce que vous avez subi et d'avoir ensuite travaillé pour améliorer la vie des victimes réelles et potentielles de la violence fondée sur l'honneur. Vous avez eu l'occasion de prendre la parole aux Nations unies pour expliquer en quoi les meurtres fondés sur l'honneur se distinguent des autres formes de violence. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

  (0925)  

    Il y avait là 6 000 femmes. Quand j'ai pris la parole, il y en avait qui attendaient dans le couloir, à l'extérieur, parce qu'elles n'avaient pas pu entrer. Il a fallu sortir le mobilier pour leur permettre d'entendre. Lorsque j'ai terminé, elles ont dit: « S'il vous plaît, n'arrêtez pas d'en parler. Si nous en parlions nous-mêmes, nous ne pourrions pas rentrer chez nous. Continuez donc à parler de la violence fondée sur l'honneur et de la façon dont elle se distingue des autres formes de violence. »
    Je viens d'être invitée à me rendre aux Pays-Bas pour représenter le Canada et parler de ces différences. Pourquoi devons-nous en parler? C'est parce que les agents de police et les travailleurs sociaux qui aident ces femmes doivent connaître leur contexte culturel. Autrement, l'évaluation des risques est faussée, ce qui aboutit à de mauvais plans de sécurité. Nous avons eu beaucoup de problèmes à cause d'évaluations erronées des risques.
    Je sais d'expérience que je n'aurais pas pu m'expliquer, même si je parle l'anglais, parce que je protégeais mon père, qui était pasteur de l'Église Adventiste du Septième Jour. Tout le monde en Ontario le connaissait. Je ne pouvais pas expliquer pourquoi il était plus important de protéger mon père et mon ancien mari que de protéger ma propre vie. Comprenez-vous ce que je veux dire? Bref, il m'a fallu 30 ans afin de trouver les mots qu'il fallait pour dire ce qu'une femme ressent, pour expliquer les questions qu'il convient de lui poser, pour éviter de perpétuer les sentiments de culpabilité et de honte qu'elle éprouve. Il arrive que les fournisseurs de services ne le sachent pas. C'est ce que j'essaie de faire en priorité.
    Notre gouvernement a beaucoup investi pour aider les nouveaux venus à s'établir au Canada. En fait, nous avons triplé le financement des services d'aide à l'établissement, le portant à quelque 600 millions de dollars, sans compter les 55 millions que nous consacrons à l'établissement des réfugiés. Pour nous, il est important, dans le cadre de notre politique d'immigration, d'aider les nouveaux venus et de les renseigner sur les droits qu'ils ont au Canada.
    Je crois savoir que vous produisez du matériel de formation pour les familles d'immigrants et que vous les conseillez sur la façon d'affronter la violence familiale.
    Qu'est-ce que vous retirez surtout de votre travail? Vous voyagez partout au Canada, aidant des jeunes femmes à faire face à la violence fondée sur le sexe et sur l'honneur, qui n'est que trop réelle dans notre pays. Nous l'avons entendu dire maintes et maintes fois. Il y a bien sûr l'expérience que vous avez connue aux Nations unies avec ces milliers de femmes qui sont venues vous écouter. Il est évident que des choses affreuses se produisent partout en Amérique du Nord.
    Les ressources que j'ai produites sont utilisées à l'échelle internationale et servent comme matériel d'enseignement dans les universités. De plus, nous produisons actuellement du nouveau matériel sur la façon dont la violence basée sur l'honneur diffère de la violence familiale et de la violence conjugale ainsi que sur la façon dont l'évaluation des risques… Nous ne disposons pas d'outils adéquats pour l'évaluation des risques ni au Canada ni à l'échelle internationale. Nous y travaillons. Nous espérons y parvenir grâce à l'aide de la ministre de la Condition féminine et de Rona Ambrose.
    Il y a un fait sur lequel je veux insister particulièrement: dans les 35 ans que j'ai consacrés à ce que je fais, Rona Ambrose a été la première femme membre du gouvernement qui soit venue me voir pour me demander: « Comment puis-je vous aider? » Cela nous a aidées à étendre nos efforts à la communauté internationale, qui nous demande maintenant de produire ces outils.
    En prévision des audiences du comité du Sénat et de votre comité, j'ai parlé à la télévision et à des stations de radio ethniques. J'ai appelé des femmes — parce que je travaille aussi pour la communauté d'Asie méridionale et que je parle trois langues — pour leur demander ce qu'elles pensaient et leur donner des explications.
    À la radio, quelqu'un m'a rappelé qu'il y a 30 ans, nous avions commencé à nous occuper de violence familiale. Lorsque le phénomène avait été reconnu, les femmes se sont senties assez fortes pour dire: « C'est la loi. Tu ne peux plus frapper. »
    Je vous remercie.
    À vous, madame Blanchette-Lamothe.
    C'est M. Sandhu qui prendra la parole.
    Je m'excuse, monsieur Sandhu. Votre nom était bien sur la liste.
    Je vous remercie.
    Je remercie les témoins de leur participation à notre étude de cet important projet de loi.
    Maître Aiken, je vais vous donner du temps pour parler du titre abrégé que vous n'avez pas eu le temps d'aborder dans votre exposé.

  (0930)  

    Merci beaucoup.
    Comme vous l'ont dit de nombreuses organisations qui ont comparu devant le comité, le titre abrégé suscite diverses objections.
    Je ne m'oppose pas à ce qu'a dit Mme Papp, à savoir que les pratiques préjudiciables aux femmes peuvent être considérées comme barbares. Non, je ne m'y oppose pas. Je ne fais pas l'apologie de la violence, pas du tout. Ne faites pas l'erreur de le croire. Ce qui me dérange, c'est le fait d'associer les mots « barbares » et « culturelles », qui semble impliquer que les gens qui se livrent à des pratiques nuisibles ainsi que les victimes de ces pratiques font partie de communautés culturelles très particulières. Comme nous le savons, c'est une erreur flagrante. La violence familiale, les voies de fait contre la conjointe et d'autres formes de violence sont endémiques dans la société canadienne. Elles se manifestent parmi les nouveaux venus, les résidents permanents, les Canadiens autochtones et les citoyens de la énième génération. Elles touchent les Canadiens de toutes les couches sociales du pays.
    Voilà le problème du titre abrégé. Il suggère que nous n'avons à nous soucier que de quelques communautés au lieu de consacrer nos efforts à l'éradication de la violence partout.
    L'élément que je voudrais souligner en particulier en réponse à votre invitation, c'est que pour combattre le préjudice et la violence que le projet de loi vise à éliminer, il faut concentrer les ressources sur les collectivités rurales et éloignées, où les femmes ont un accès moindre aux services et au soutien alors que la recherche montre que c'est là qu'on en a le plus besoin, en fonction du nombre d'incidents de violence qui sont signalés.
    Voilà l'objection. Le projet de loi déforme le problème et le présente sous un faux jour. Il est profondément choquant parce qu'il suggère un degré de stigmatisation et de xénophobie que le gouvernement ne devrait vraiment pas défendre.
    Je vous remercie.
    Vous avez noté, dans votre témoignage, que le projet de loi est un autre exemple de mesure législative présentée sans que rien ne prouve qu'on en a vraiment besoin.
    Le considérez-vous comme un document politique ou un document juridique?
    Eh bien, il est juridique parce que c'est un projet de loi comprenant des mesures législatives. Toutefois, si vous me demandez ce qu'il vise vraiment, je dirai qu'il est parfaitement évident qu'il a un but politique éminemment cynique. Si le gouvernement avait vraiment voulu prendre des mesures concrètes pour affronter ces problèmes extrêmement graves, il aurait veillé à affecter des ressources suffisantes à la mise en oeuvre des programmes plutôt qu'à créer une nouvelle trousse d'outils juridiques.
    Madame Aruna Papp, croyez-vous que les communautés disposent de ressources suffisantes pour combattre la violence familiale?
    Non, pas à présent. Nous avons besoin de ressources supplémentaires.
    Et qu'en pensent les représentantes de METRAC? Qu'avez-vous constaté au niveau communautaire? Croyez-vous que nous avons davantage besoin de ressources que de mesures législatives creuses comme celle-ci?
    Nous avons absolument besoin de plus de ressources. Nous sommes conscients de l'étendue du problème. Nous croyons qu'il y a beaucoup d'obstacles qui entravent l'accès à l'aide. Je voudrais parler d'un autre groupe communautaire respecté dont je sais que vous avez entendu parler. Il s'agit de la South Asian Legal Clinic of Ontario, qui a mené une enquête très particulière sur les femmes touchées par le mariage précoce et forcé. Ses conclusions sont diamétralement opposées à ce que le projet de loi propose.
    Ce groupe dit que les femmes ne veulent pas être criminalisées. Elles ont besoin de ressources qui leur permettent d'échapper à la situation dangereuse dans laquelle elles se trouvent. Elles veulent apprendre à s'en sortir et à vivre en sécurité. Elles ont besoin d'un soutien financier et d'un logement pour être en mesure de quitter leur famille.
    Comme l'a dit Mme Papp, ce qui distingue la violence fondée sur l'honneur, c'est qu'il est difficile de comprendre comment les femmes victimes de violence éprouvent quand même des sentiments de culpabilité et de honte et veulent rester loyales envers les membres de leur famille. En fait, la criminalisation de leurs persécuteurs risque d'aggraver la violence et d'augmenter les obstacles à la sécurité.

  (0935)  

    Merci, maître Witelson.
    Nous devons permettre à ces femmes de trouver un moyen d'assurer leur propre sécurité sans faire courir des risques aux membres de leur famille.
    Je vous remercie. Je regrette, mais nous devons poursuivre.
    Monsieur McCallum.
    Merci. Je remercie aussi tous les témoins.
    Je voudrais en particulier féliciter Mme Aiken pour son aperçu magistral du modus operandi du présent gouvernement dans ce domaine. J'aurais peut-être ajouté une autre caractéristique, celle de l'indifférence à la compatibilité des mesures législatives proposées avec la Charte.
    Je suis en outre parfaitement d'accord avec vous au sujet du titre. J'aurais préféré éviter un titre aussi incendiaire. Peut-être aurais-je aussi évité un tel projet de loi, mais, compte tenu des limites quasi totales de notre pouvoir, j'aurais au moins supprimé le mot « culturelles » parce que beaucoup de communautés l'interprètent comme une attaque contre elles. Que ce soit ou non l'intention du gouvernement, c'est la perception qui existe au sein de nombreuses communautés. Rien ne nous oblige à garder ce mot dans le titre.
    Mais, comme nous n’avons pas beaucoup de temps, je voudrais vous demander, madame Aiken, de nous donner plus de détails sur l'âge minimum de 18 ans. Nous proposez-vous d'apporter cette modification au projet de loi? Si c'est le cas, comment devrions-nous procéder?
    Comme vous l'avez vous-même mentionné, il y a parfois des effets pervers, c'est-à-dire des conséquences négatives découlant de mesures prises dans un esprit positif. Une telle modification peut-elle avoir des effets pervers, risque-t-elle d'avoir des conséquences négatives?
    En fait, je ne recommande pas que le projet de loi soit simplement modifié pour porter l'âge minimum à 18 ans. Je voulais seulement attirer l'attention sur la norme internationale et sur l'incohérence de ce que nous préconisons à l'échelle internationale et dans notre pays. S'il faut prendre des mesures au sujet de l'âge minimum, nous devons être plus soigneux et plus réfléchis.
    Ma recommandation est de procéder à des consultations sérieuses sur la question et de l'étudier davantage. Si nous devons absolument faire quelque chose, il faudrait relever l'âge minimum et non le fixer à 16 ans. Les consultations devraient porter particulièrement sur ce point afin d'éviter les effets pervers.
    Nous devons comprendre que, d'une façon générale, le mariage est une affaire assez compliquée parce qu'il y a la compétence fédérale, l'intervention des provinces et aussi le contexte international. Ce n'est pas une affaire simple. Ce que je voulais dire, c'est que la décision du gouvernement de fixer l'âge minimum à 16 ans n'est pas logique, compte tenu de la norme internationale et de toutes les preuves que nous possédons au sujet des avantages d'un âge minimum de 18 ans.
    Je demande donc au gouvernement de repenser sa décision et de faire une étude plus soigneuse de la question à la lumière des normes internationales.
    On craint aussi, en cas de mariage précoce, que le consentement des parents ne suffise pas, parce qu'il peut quand même s'agir d'un mariage forcé. Il y aurait peut-être lieu de faire intervenir les tribunaux pour garantir la légitimité du mariage ou, du moins, pour s'assurer que la femme est vraiment consentante.
    Croyez-vous qu'il y ait un moyen de modifier le projet de loi de façon à améliorer cet aspect?
    Absolument. Il faudrait éliminer le consentement parental. Selon toute vraisemblance, il est très difficile en pratique de déterminer si le consentement parental implique le consentement des parties intéressées. Il n'y a aucun moyen de mesurer les pressions exercées, etc.
    Il est évident que les administrations qui ont opté pour le contrôle judiciaire de cet aspect l'ont fait exactement pour cette raison.
    C'est peut-être trop technique, mais y aurait-il un moyen de modifier le projet de loi pour faire ce changement?
    Il y a certainement un moyen si le gouvernement souhaite le faire.
    Toutefois, je ne préconise pas d'apporter des modifications au projet de loi. Même si ce n'est pas très réaliste, je recommande plutôt de le mettre au rancart. Je ne veux pas que ce projet de loi soit adopté. Rien de positif ne peut en sortir. Les problèmes très sérieux qu'il cherche à régler doivent être affrontés par d'autres moyens.
    C'est une bonne façon de conclure.
    Monsieur Leung.
    Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins pour les excellents exposés qu'elles ont présentés.
    J'aimerais poser à Mme Papp une question au sujet de la culture.
    Le Canada a un environnement multiculturel qui compte parmi les plus réussis du monde. Nous avons été en mesure d'intégrer de nombreuses cultures dans le pays, mais il reste encore des pratiques barbares ou inhumaines, comme la mutilation des organes génitaux féminins.
    Des gens de diverses sociétés ou de différents pays d'origine vivent ensemble en partageant certaines valeurs. Je ne crois cependant pas que la mutilation des organes génitaux féminins soit une valeur partagée des Canadiens.
    Je voudrais vous demander de nous parler de cet aspect particulier de certaines de ces cultures barbares ou inhumaines qui pratiquent la mutilation génitale et approuvent le mariage d'enfants. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience sur la façon de combattre ces pratiques dans les cultures d'Asie de l'Est, d'Asie du Sud-Est et peut-être du Moyen-Orient?

  (0940)  

    Ayant voyagé à l'étranger, je peux dire que le Canada est considéré comme un pays où de nombreuses cultures différentes coexistent très bien. Nous sommes respectés, et notre diversité est reconnue et célébrée. Toutefois, nous avons dans nos cultures — je parlerai de la mienne parce que je travaille avec la communauté d'Asie du Sud — des pratiques qui doivent changer. Nous apportons notre bagage avec nous.
    C'était le cas de mon père. Il était pasteur de l'Église Adventiste du Septième Jour. Nous étions six filles et un garçon. Il se tenait sur sa chaire devant 500 fidèles et disait des choses de ce genre: « Si ma fille sortait jamais avec un Noir, je la tuerais, je lui couperais le cou. »
    Les gens apportent avec eux ce genre de bagage culturel que je combats. Ma famille m'a punie à cause de mon attitude.
    Il y a encore plus que la mutilation barbare des organes génitaux féminins. Il y a des Canadiens — nous le savons — qui ont donné naissance à des filles et qui les ont abandonnées dans le vieux pays. Elles ne reviennent jamais. Ce sont des enfants canadiens dont nous n'entendons pas parler.
    Au Royaume-Uni, en 2013 — c'était dans tous les journaux —, on a dit à toutes les filles des écoles primaires et secondaires de mettre une cuillère à thé dans leurs sous-vêtements si quelqu'un voulait les forcer à quitter l'Angleterre. En l'espace d'un mois, 1 700 filles ont été arrêtées à l'aéroport parce qu'elles avaient une cuillère dans leurs sous-vêtements. Leurs familles voulaient les sortir du Royaume-Uni pour les forcer à se marier. Cela fait beaucoup de jeunes filles.
    Nous n'avons aucun moyen de déterminer combien de filles canadiennes sont ainsi emmenées à l'étranger. Le Calgary Herald a publié plusieurs articles… Deux semaines après la formation que j'avais donnée avec la police, les autorités avaient ramené une fille de l'aéroport où sa famille l'avait laissée en prévision d'un mariage forcé. Un membre de la communauté en a entendu parler et a dit: « C'est contre la loi. Allez la chercher. » Cela a été fait trois fois.
    Nous devons pouvoir documenter ces événements, ce que nous ne faisons pas à l'heure actuelle. Nous avons besoin de mettre en place des processus à cette fin.
    Je pourrais continuer. Je viens d'écrire un autre livre intitulé Daughters of Kismet, qui parle de ce qui se passe au Canada sans que personne le sache.
    Oui, ce sont des pratiques culturelles barbares. Ce sont les pratiques qui nous dérangent, pas les cultures. Les cultures sont excellentes. Je suis une fière Indienne du Panjab, et j'en suis ravie. Je suis qui je suis. Je ne peux rien y changer. Mais que Dieu me damne si je laisse mon père et mes oncles vendre leurs filles. C'est de cela qu'il s'agit. Ce sont ces pratiques que je combats. Elles sont barbares.
    Je voudrais aborder la question sous un angle différent. Dans beaucoup de ces cultures, les gens sont très proches les uns des autres. Que pouvons-nous faire pour les toucher? Comment les atteindre avant l'aboutissement de ces pratiques?
    Voici comment le faire. Ce projet de loi est un moyen d'éducation.
    Pendant trois mois, je suis passée à la radio et à la télévision pour dire: « Savez-vous ce qui se passe au Canada? C'est la loi. »
    Ce sont des outils éducatifs qui peuvent nous aider à faire de la prévention. Nous n'avons pas à créer de nouvelles prisons pour y jeter les nouveaux immigrants. Ce n'est pas le but. Le but est de leur faire comprendre qu'une fois arrivés au Canada, ils doivent connaître les lois et les respecter.
    Il y a 30 ans, on disait que si les gens parlaient ouvertement de violence familiale, les immigrantes se cacheraient et ne s'adresseraient jamais aux autorités si elles étaient victimes. Aujourd'hui, plus d'immigrantes que jamais dans l'histoire de notre pays se font entendre et signalent les incidents de violence familiale.

  (0945)  

    Merci, madame Papp.
    Malheureusement, le temps de parole est écoulé.
    Je voudrais vous remercier toutes, mesdames, d'être venues témoigner et de nous avoir présenté d'excellents exposés.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant suspendre la séance.

  (0945)  


  (0945)  

    La séance reprend. Mesdames et messieurs, nous entreprenons maintenant la seconde partie de la réunion qui, malheureusement, prendra fin dès que nous entendrons le timbre.
    Nous avons un seul témoin, Hannana Siddiqui, chef des politiques et de la recherche, Southall Black Sisters.
    Pouvez-vous m'entendre?
    Je vous remercie de votre participation.
    Vous avez d'importantes élections en cours.
    Oui, elles ont lieu aujourd'hui.
    Nous les suivons tous. Nous aussi, au Canada, avons eu beaucoup d'élections, de sorte que certains d'entre nous sont heureux, et d'autres pas.
    Je n'ai aucune idée des résultats que nous aurons.
    Je sais. C'est le jeu de la politique.
    Quoi qu'il en soit, je vous remercie de votre participation. Vous disposez d'un maximum de huit minutes pour présenter un exposé au comité.
    Merci beaucoup.
    J'ai déjà comparu devant un comité au sujet de ce projet de loi, mais je ne suis pas sûre si c'était votre comité ou un autre. Il est donc possible que je répète certaines choses.
    Je m'occupe depuis une trentaine d'années de questions liées au mariage forcé, à la violence fondée sur l'honneur et à la violence contre les femmes noires et les femmes membres de minorités au Royaume-Uni.
    Southall Black Sisters, organisation féminine qui défend les femmes membres de minorités au Royaume-Uni, a été créée en 1979.
    Je fais partie des membres d'origine du groupe d'étude du Home Office sur le mariage forcé, qui avait été établi vers la fin des années 1990. C'était la première fois que le gouvernement britannique s'occupait des pratiques préjudiciables qui existaient dans le pays. J'ai également participé à la mise sur pied de l'Unité du mariage forcé, service gouvernemental conjoint du Home Office et du Foreign Office, ainsi qu'à l'élaboration des lignes directrices britanniques sur le mariage forcé et du Forced Marriage (Civil Protection) Act, ou Loi sur le mariage forcé. De plus, j'ai participé à un examen de la législation de l'immigration et de ses effets sur les femmes victimes de violence familiale ainsi qu'à la réforme de cette législation destinée à éviter que ces femmes ne soient expulsées ou abandonnées sans accès à des prestations ou à des services de logement. J'ai aussi été mêlée à plusieurs cas bien connus de meurtres fondés sur l'honneur, à des affaires de femmes battues tuées par des hommes et à la réforme des dispositions relatives à la provocation.
    Comme j'ai déjà souvent parlé de ces questions, je vais me limiter aux aspects les plus difficiles touchant l'infraction criminelle de polygamie et le mariage forcé.
    Au Royaume-Uni, la polygamie n'est pas une infraction, bien que la bigamie le soit. Un seul mariage est reconnu dans les lois civiles, pénales et de l'immigration du pays. À Southall Black Sisters, nous n'appuyons pas la pratique de la polygamie, mais nous sommes préoccupées par la façon dont le projet de loi canadien interdit l'accès ou l'admission au Canada et peut imposer à des résidents permanents de quitter le pays s'ils pratiquent la polygamie.
    Pour nous, le problème est que cela compromet le droit humain fondamental à l'établissement, particulièrement dans le cas des résidents permanents. Fait plus important, ces mesures affaiblissent les droits des enfants et des femmes vulnérables qui peuvent être pris au piège dans ces situations. Par exemple, des femmes vivant dans une relation polygame pourraient craindre de signaler des abus si elles risquent d'être accusées elles-mêmes d'une infraction pouvant mener à leur expulsion du pays. Les enfants pourraient être séparés de leurs parents si l'un d'eux est renvoyé du pays.
    Nous savons que, même en présence de mesures exemptant les personnes vulnérables, comme les règles qui s'appliquent aux victimes de violence familiale ou d'un mariage forcé, on peut quand même être expulsé. Nous savons que ces lois ne fonctionnent pas parfaitement. Nous savons, grâce à l'expérience acquise au Royaume-Uni, que beaucoup de femmes ne demandent pas nécessairement de l'aide parce qu'elles craignent d'être elles-mêmes criminalisées ou expulsées ou encore parce qu'elles n'ont pas confiance dans les services offerts, ne les connaissent pas ou n'y sont pas admissibles.
    Nous avons aussi constaté que, pour certaines des règles d'exception, la norme de preuve peut être trop rigoureuse pour une victime de violence familiale ou d'un mariage forcé. Cela peut causer des problèmes si on a l'intention de renvoyer du pays des gens qui vivent dans une relation polygame.
    Il y a aussi une chose que je ne comprends pas. Si vous avez déjà une disposition pénale qui interdit la polygamie, pourquoi avez-vous besoin d'étendre ces dispositions à la législation de l'immigration? Je ne crois pas qu'il y ait suffisamment de preuves pour le justifier.
    Nous avons découvert en outre, à partir de notre propre expérience, que dans le contexte des règles de l'immigration, la norme de preuve est beaucoup moins rigoureuse qu'en droit pénal. Elle dépend dans une grande mesure de l'interprétation que font de la loi les agents d'immigration qui essaient de définir la relation polygame.
    L'expérience acquise au Royaume-Uni montre que les fonctionnaires de l'immigration peuvent avoir des opinions toutes faites sur des cultures particulières. Par exemple, nous avons dû abroger la règle britannique de l'objet premier, il y a quelque temps, parce que les fonctionnaires de l'immigration refusaient d'accorder l'accès aux hommes du sous-continent indien, surtout à cause d'une vision très stéréotypée des cultures asiatiques et des mariages arrangés. De ce fait, ils avaient tendance à considérer toutes ces unions comme des mariages de convenance plutôt que des mariages authentiques. La règle a été abolie à cause de la façon dont elle était faussement interprétée par les fonctionnaires. Il est à craindre que la même chose se produise chez vous.

  (0950)  

    Nous croyons aussi que la législation de l'immigration ne peut pas résoudre des problèmes tels que la polygamie ou le mariage forcé. L'exemple que nous avons ici, c'est que le gouvernement britannique avait introduit, pour décourager le mariage forcé, une politique fondée sur l'âge qui prévoyait initialement que les deux parties aient au moins 18 ans. Par la suite, cet âge a été porté à 21 ans avant que le conjoint d'outre-mer ne soit autorisé à rejoindre le conjoint britannique au Royaume-Uni. Cette règle devait en principe empêcher les mariages forcés en interdisant de parrainer un conjoint étranger sauf si celui-ci agit de son plein gré.
    Nous avons appuyé une contestation judiciaire de cette règle, que la Cour suprême a abrogée en 2001 en soutenant qu'elle restreignait le droit à la vie familiale. Rien ne prouvait… En fait, certaines recherches ont révélé que la règle ne marchait pas du tout et ne protégeait pas vraiment les victimes du mariage forcé. En réalité, elle aggravait la situation parce que les victimes étaient abandonnées à l'étranger ou étaient soumises à des pressions accrues pour qu'elles acceptent le mariage forcé jusqu'à ce qu'elles puissent parrainer leur conjoint au Royaume-Uni à 21 ans.
    Par conséquent, je ne crois pas que la législation de l'immigration fonctionne nécessairement. Nous sommes d'avis qu'il est souvent préférable de trouver des solutions fondées sur de meilleurs services, de meilleures ressources et une mise en oeuvre plus efficace des dispositions actuelles du droit pénal ou du droit civil.
    Au Royaume-Uni, des discussions ont eu lieu sur la façon d'affronter le problème du mariage forcé. Je crois que les intervenants s'entendent en général sur le fait que l'introduction en droit civil de choses telles que les ordonnances de protection contre le mariage forcé a été très efficace. Il existe donc beaucoup d'autres moyens de faire face aux problèmes de ce genre.
    La question de la criminalisation et de l'immigration a beaucoup plus prêté à controverse. Bien sûr nous nous sommes opposées au recours à certaines dispositions de la législation de l'immigration, et les tribunaux ont convenu avec nous qu'elles n'étaient pas efficaces.
    Quant à la criminalisation, qui est entrée en vigueur en juin 2014, beaucoup des organisations féminines travaillant pour les communautés minoritaires craignaient qu'elle ne jette le problème dans la clandestinité en empêchant beaucoup de victimes de demander de l'aide par crainte de criminaliser leurs parents.
    Ces derniers mois, j'ai fait quelques recherches sur près de 25 ONG qui s'occupent des femmes membres de groupes minoritaires au Royaume-Uni. Je leur ai demandé leur avis sur les effets de la criminalisation. La plupart d'entre elles ont dit qu'elles ne savaient pas vraiment parce que la situation ne semble avoir évolué ni dans un sens ni dans l'autre. La criminalisation ne semble pas avoir encouragé plus de femmes à demander de l'aide ou à ne pas en demander. Toutefois, certaines ont dit qu'elles avaient constaté une baisse de leurs nombres et qu'elles craignaient que ce soit attribuable à la criminalisation.
    Bref, nous ne savons pas si la criminalisation marchera ou non, mais je crois que la plupart des ONG conviennent qu'il est beaucoup plus efficace de recourir au droit civil et aux lignes directrices sur le mariage forcé. Même si elles ne sont pas toujours bien appliquées, il faudrait vraiment multiplier les ressources affectées à ces mesures pour affronter le problème et régler des difficultés tel que le financement des services des organisations féminines ou la prestation de services directs aux victimes.
    Il est inutile de criminaliser le mariage forcé si on n'a pas l'intention de financer les organisations de première ligne qui travaillent dans la communauté et qui aident les victimes à naviguer dans les systèmes de droit civil et de justice pénale afin d'accéder à un logement sûr, à une aide financière et, en définitive, à un peu de justice. À moins de financer suffisamment ces organisations pour qu'elles puissent appuyer les femmes dans ce processus, les mesures prises ne seront pas efficaces en soi.
    Parmi les autres sujets de préoccupation que j'ai au sujet du projet de loi…

  (0955)  

    Madame Siddiqui, je crains fort de devoir vous demander…
    D'accord, je vais en rester là.
    Je vous remercie.
    Nous avons toujours un choix. Nous pouvons vous laisser poursuivre ou prendre le temps de vous poser quelques questions. Nous avons certaines difficultés en ce moment. Nous pouvons incessamment être appelés à la Chambre pour voter. Je vais donc temporairement limiter les périodes de questions à trois minutes en attendant de voir ce qui se passe. Si nous pouvons rester plus longtemps, nous penserons à autre chose.
    À vous, monsieur Menegakis.
    Merci, madame Siddiqui, de comparaître devant le comité aujourd'hui à partir d'un endroit aussi éloigné que le Royaume-Uni.
    Je sais que le problème de la violence fondée sur l'honneur est très sérieux en Angleterre. Nous vous sommes certainement reconnaissants d'avoir pris le temps de nous parler de ce que le Royaume-Uni a fait à cet égard.
    Pouvez-vous en dire davantage au comité au sujet de l'Unité britannique du mariage forcé? Quel est exactement son mandat? Comment travaille-t-elle au sein des communautés d'immigrants?

  (1000)  

    Je crois que l'Unité du mariage forcé constitue l'un de nos exemples de réussite. Il s'agit d'un organisme gouvernemental formé de représentants des ministères britanniques de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Il bénéficie donc du soutien du gouvernement. Il a pour mandat d'aider les ressortissants britanniques et les personnes ayant une double nationalité à rentrer au Royaume-Uni s'ils ont été emmenés à l'étranger, ont été menacés d'accepter un mariage forcé ou ont été obligés d'en contracter un.
    L'unité examine aussi les politiques et les affaires qui se produisent au Royaume-Uni, à des fins soit de prévention, soit d'amélioration de la réaction aux mariages forcés et d'aide aux victimes dans le pays. Beaucoup d'ONG et d'autres organisations officielles et bénévoles ont recours à l'Unité du mariage forcé, qui s'est occupée de 1 300 dossiers l'année dernière. En général, ces interventions sont très bien accueillies. Je recommanderais la création d'un service du même genre au Canada.
    Vous avez parlé des services. Il n'y a pas de doute que c'est un important élément du système d'immigration du Canada. En fait, notre gouvernement, depuis qu'il est au pouvoir, a triplé le financement des services d'aide à l'établissement, le portant à 600 millions de dollars, sans compter 55 millions supplémentaires, je crois, pour les réfugiés.
    Pouvez-vous nous dire ce que l'Angleterre fait pour financer les services d'aide à l'établissement?
    Voulez-vous parler des organisations féminines?
    Oui, ou d'une façon plus générale…
    Le Royaume-Uni finance des services d'aide liés à la violence familiale et sexuelle. Le problème, c'est qu'à cause de l'austérité, les autorités locales et le gouvernement central ont procédé à des compressions budgétaires qui ont réduit les services et l'aide juridique.
    Les compressions ont touché pour l'essentiel les organisations féminines qui s'occupent des membres des groupes minoritaires, ce qui s'est répercuté sur les femmes de ces groupes ainsi que sur les femmes victimes de violence fondée sur le sexe. Les organisations ont dû soit fermer leurs portes soit fusionner avec de plus grandes organisations offrant des services plus génériques, ce qui leur a fait perdre leur spécificité et les a empêchées de poursuivre leur travail ciblé auprès des communautés minoritaires. Cela signifie que ces communautés n'ont plus accès à de l'aide.
    Les communautés de réfugiés et d'immigrants et les victimes des pratiques nuisibles de certains groupes minoritaires n'ont donc plus accès au niveau de service qu'elles auraient dû avoir, surtout si on tient compte, par exemple, du taux très élevé de suicide parmi les femmes asiatiques victimes de violence familiale. Il y a là un problème disproportionné dont le gouvernement ne s'occupe pas.
    Je vous remercie.
    À vous, madame Blanchette-Lamothe.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie, madame Siddiqui, d'être parmi nous aujourd'hui.
    J'ai trouvé très intéressant que vous parliez des mesures adoptées récemment. Leur efficacité n'a pas été prouvée. Plutôt que d'aider les victimes à chercher du soutien, elles auraient comme effet de diminuer le nombre de victimes qui cherchent de l'aide. Selon vous, quelles pratiques aident le mieux les victimes à chercher de l'aide?
    J'aimerais aussi savoir quelles sont d'après vous les meilleures pratiques pour prévenir les mariages forcés. Par exemple, quand une jeune femme craint d'être victime d'un mariage forcé, quels outils a-t-elle à sa disposition? Quelles sont les mesures qui permettent d'aider ces personnes avant que les crimes ne soient commis?

[Traduction]

    Parmi les mesures importantes, je mentionnerai la sensibilisation, l'information, le travail dans les écoles et les collèges, la discussion de ces questions à un très jeune âge ainsi que le changement des attitudes et des comportements. Il faut sensibiliser les victimes et charger des professionnels de leur donner de la formation pour empêcher les problèmes de s'aggraver et d'atteindre le stade du mariage forcé. D'une façon générale, on n'a pas beaucoup investi dans ces mesures au Royaume-Uni. Par exemple, la violence faite aux femmes et les pratiques préjudiciables ne font pas partie des programmes nationaux.
    Dans le premier domaine, celui de la sécurité et du soutien, beaucoup des meilleures mesures prises concernent l'intervention précoce. On peut prévenir le mariage forcé si on dispose de services pouvant intervenir assez tôt, avant que la situation ne dégénère. Ces mesures sont prises par des organisations féminines qui s'occupent des groupes minoritaires et dispensent des services directs dans les communautés. Je dirai que ce sont les plus efficaces. Elles ont servi à faire connaître le problème à l'échelle du pays.
    Le deuxième domaine, je crois, concerne le droit civil. Par exemple, les ordonnances de protection contre le mariage forcé permettent aux victimes ou à des tiers d'obtenir un ordre du tribunal ou une injonction pour empêcher un mariage forcé de se produire. Le recours à ces ordonnances a dépassé de loin ce que les gens attendaient et a été très efficace. Le seul problème à cet égard a été le manque de ressources ou le manque de contrôle de la situation, par exemple, lorsqu'une victime revient vivre dans sa famille après l'émission d'une injonction. Il n'y a personne pour contrôler la situation, à moins que l'ordonnance de protection n'ait été obtenue par des services sociaux portés au registre de la protection. Autrement, il n'y a aucun contrôle.
    Le troisième domaine que je crois aussi important, ce sont les lignes directrices sur le mariage forcé à l'intention des organismes professionnels, c'est-à-dire la police, les services sociaux et les services de santé et d'éducation. Les lignes directrices servent de guide et attribuent des responsabilités officielles aux organismes en cause en ce qui concerne les moyens d'affronter le mariage forcé. Le problème, dans ce domaine, c'est que les lignes directrices ne sont pas mises en oeuvre d'une manière efficace et qu'il n'existe pas de procédures appropriées de contrôle d'application. Si on met en place des lignes directrices, il faut aussi disposer de mécanismes efficaces d'application et de contrôle.
    Pour le moment, l'inspecteur de police s'occupe de la violence fondée sur l'honneur. C'est la première inspection que je connaisse à cet égard. Il serait nécessaire de s'assurer que des mesures adéquates sont en place.

  (1005)  

    Je vous remercie.
    Monsieur McCallum.
    Je vous remercie, madame Siddiqui, de vous être jointe à nous.
    Je voudrais vous parler d'une question qu'une autre membre de notre groupe de témoins d'aujourd'hui a également soulevée. Il s'agit de l'utilisation de la législation de l'immigration en sus du droit pénal. Comme vous l'avez dit, je crois, cela donne lieu au moins à deux problèmes. Premièrement, la législation de l'immigration a une norme de preuve beaucoup moins rigoureuse et soumet les gens à un double préjudice. En effet, tout le monde est sujet au droit pénal, mais seule une catégorie de personnes est assujettie aux sanctions de l'immigration. Cette catégorie peut même à l'occasion comprendre des citoyens qui courent le risque de perdre leur citoyenneté et d'être expulsés, contrairement à d'autres.
    Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais je voudrais vous demander si ce sujet fait l'objet d'un débat au Royaume-Uni. Dans quelle mesure le droit de l'immigration se substitue-t-il au droit pénal ou s'y ajoute? Où en est le débat sur cette question?
    Le débat porte sur les deux questions: la criminalisation du mariage forcé ainsi que le recours à la législation de l'immigration pour contrôler cette forme de mariage. Comme je l'ai dit, les deux questions sont controversées. Jusqu'ici, aucune poursuite n'a été intentée en vertu du droit pénal. Nous ne savons donc pas si les mesures prises donneront des résultats. Certains craignent qu'elles n'aggravent la situation. On a également recours au droit de l'immigration, mais il ne touche que certains groupes de migrants dans le pays et non, d'une façon générale, tous ceux qui essaient de forcer des personnes à se marier. Nous avons des préoccupations. En fait, certains résultats de recherche de même que notre expérience montrent que la législation de l'immigration n'a pas marché. Par exemple, la politique liée à l'âge n'a pas permis de protéger les victimes du mariage forcé. La Cour suprême a convenu avec nous qu'elle portait atteinte au droit à la vie familiale. Il n'y a absolument aucune preuve établissant qu'elle peut être efficace. En réalité, elle peut faire empirer les choses.
    Pour nous, la législation de l'immigration ne permettra pas de résoudre ce problème. Le mariage forcé est lié au contrôle de la sexualité et de l'autonomie de la femme. Les familles vont de l'avant et forcent les victimes à se marier indépendamment de cette législation et même du droit pénal. Nous pouvons au moins examiner d'autres moyens de réaliser des changements culturels, envisager des mesures dans le contexte de l'intervention des organismes de l'État, de la police et des services sociaux et d'aider dans la mesure du possible les victimes grâce au droit civil.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Leung.
    Merci, monsieur le président. Je veux également remercier notre témoin.
    Je voudrais vous poser une question concernant l'aspect multiculturel du projet de loi. La Grande-Bretagne et le Canada ont des sociétés multiculturelles et acceptent des immigrants venant de tous les coins du monde. Il y a certaines pratiques culturelles qui sont barbares. Dans ce cas, êtes-vous d'avis que des actes tels que la mutilation génitale et le mariage forcé constituent des pratiques culturelles barbares qui ne devraient pas être permises dans la société civile?
    J'hésite à utiliser le mot « barbare » parce que je pense que la violence familiale est également barbare. Je trouve barbares de nombreuses pratiques qui soumettent des personnes à la violence et, bien souvent, ces pratiques ont une base culturelle. Mais il ne s'agit pas seulement de celles qui existent dans les communautés minoritaires. Il est évident que je n'accepte aucune de ces pratiques. Elles doivent toutes être contestées et éradiquées. Nous devons aider dans toute la mesure du possible les victimes pour qu'elles puissent les affronter. Pour cela, il faut aider les organisations féminines et les communautés dans lesquelles… Les communautés ne sont pas homogènes. Elles comprennent aussi bien des gens aux vues très conservatrices que des gens aux vues très libérales, même si elles ne sont pas nécessairement occidentales.
    On suppose, je ne sais pourquoi, que seuls les pays occidentaux ont des vues libérales. Des membres des communautés minoritaires du sud peuvent aussi avoir des vues très libérales. Ces gens ne veulent pas que les femmes et les enfants soient victimes de violence. Ils veulent, d'une façon très générale, soutenir les droits humains des membres de leur communauté. Voilà l'alliance. Je crois que vous devriez concentrer votre attention non pas nécessairement sur les pratiques culturelles barbares, mais plutôt sur l'égalité des sexes et la lutte contre la violence faite à toutes les femmes.

  (1010)  

    Beaucoup de ces pratiques ne font cependant pas partie de nos valeurs communes. Qu'en pensez-vous?
    Ce ne sont pas des valeurs communes pour beaucoup de gens aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de ces communautés. Nous serions tous également opposés à ces valeurs. Communautés et cultures sont des choses très très complexes. Il y a ceux qui ont un système de valeurs culturelles conservatrices et d'autres qui ont un système de valeurs culturelles progressistes. Les alliances à former doivent être faites avec ceux qui souhaitent faire triompher les droits humains des groupes vulnérables et des victimes de discrimination au sein de toutes les communautés. Voilà où nous trouverons un terrain d'entente. C'est pour cette raison que nous devrions nous intéresser plutôt à la promotion de l'égalité des sexes parce que cela s'inscrit dans le cadre des systèmes de droits humains et de valeurs libérales, tout en poursuivant la lutte contre des choses telles que la violence faite à toutes les femmes et les filles.
    Monsieur Sullivan.
    Parmi les changements apportés à la législation de l'immigration du Canada, j'ai noté le fait que cette législation apporte au système de justice pénale une nouvelle forme de sanction, celle de l'expulsion. Un juge qui examine une affaire doit maintenant se rendre compte que sa décision aura pour résultat non seulement d'envoyer une personne en prison, mais aussi de la faire renvoyer du pays. Le juge pourrait être tenté de ne pas déclarer la personne coupable, conscient du fait que le renvoi peut constituer une punition cruelle et inusitée.
    La situation au Royaume-Uni est-elle du même ordre?
    Pas de la même façon. Tout d'abord, il n'y a pas eu jusqu'ici de poursuites au criminel dans des affaires de mariage forcé. Je crois que des situations de même nature se sont produites dans certains cas de violence familiale où le tribunal s'est prononcé contre quelqu'un qui n'avait pas de statut dans le pays et qui avait été condamné pour une infraction précise à la législation de l'immigration. La personne en cause peut alors être renvoyée du Royaume-Uni. Les renvois de ce genre ne se sont pas nécessairement produits dans des cas de mariage forcé, mais cela pourrait arriver. Les tribunaux ont la possibilité d'opter pour le renvoi si la personne n'a pas un statut d'immigration sûr dans le pays.
    Les dispositions proposées dans le projet de loi sont telles que les tribunaux n'auraient même pas à intervenir dans certains de ces cas. Il suffirait qu'un agent d'immigration ait des motifs raisonnables de croire qu'un mariage polygame pourrait avoir lieu. L'agent pourrait alors demander le renvoi des personnes en cause. Nous croyons que ces dispositions inciteront d'éventuelles victimes à éviter de signaler des cas de violence. Elles ne serviraient alors qu'à dissuader les personnes qui seraient tentées d'informer les autorités de cas de violence ou de mariage forcé parce que ces personnes craindraient la sanction ultime du renvoi sans possibilité d'accès à un procès devant la justice pénale.
    Je crois que ce serait l'une des conséquences pour quiconque est pris au piège d'une relation polygame ou qui en a connaissance. La personne en cause risquerait elle-même l'expulsion si elle est partie à une telle relation ou alors elle craindrait que d'autres membres de la famille soient renvoyés du pays.
    Par conséquent, oui, c'est un grand problème que nous avons déjà, par exemple dans le cas des personnes qui sont victimes de violence familiale et qui n'ont pas un statut d'immigration sûr. Elles peuvent être elles-mêmes dans cette situation ou alors, c'est quelqu'un d'autre, peut-être même le persécuteur. Ces personnes peuvent hésiter à signaler des cas de violence familiale par crainte d'un renvoi les touchant elles-mêmes ou touchant un autre membre de la famille.
    Il ne faut pas perdre de vue que ces gens font souvent partie de familles étendues. Si quelqu'un de la famille est renvoyé du Royaume-Uni, cela peut avoir un effet sur vous. La communauté ou la famille stigmatise les femmes qui défient leur mari. Culturellement, il n'est pas acceptable de se séparer de son mari. Les femmes s'abstiennent de se plaindre pour différentes raisons. L'une des principales, parmi les femmes dont le statut d'immigration n'est pas sûr, c'est la crainte de l'expulsion. C'est la principale raison de leur silence.

  (1015)  

    Merci.
    Monsieur Eglinski.
    Je vous remercie.
    Vous avez mentionné tout à l'heure qu'il y a au Royaume-Uni une équipe qui s'occupe des personnes emmenées à l'étranger en vue d'un mariage forcé. Je suppose qu'il s'agit d'un groupe très fort puisque vous dites qu'il a été très efficace. Vous avez précisé qu'il a protégé quelque 13…
    Mme Hannana Siddiqui: Oui.
    M. Jim Eglinski: … jeunes femmes. Savez-vous si les familles ont exercé des mesures de représailles contre ces jeunes femmes qu'on a empêchées de quitter le pays ou qu'on y a ramenées? Y a-t-il eu des représailles? Je pose la question parce que beaucoup de juristes nous disent que cette mesure législative occasionnera des problèmes pour les jeunes femmes, qui seront punies pour avoir parlé aux autorités. Pouvez-vous le confirmer?
    Eh bien, oui. Les filles peuvent être soumises à du harcèlement de la part de leur proche famille, de la famille étendue ou de l'ensemble de la communauté si elles défient leurs parents ou d'autres proches et refusent de se conformer aux ordres. Elles peuvent être soumises à des sévices physiques. Le plus souvent, cependant, c'est l'ostracisme social qui joue: elles sont rejetées et dénoncées par leur famille et leur communauté. C'est souvent l'une des raisons pour lesquelles les victimes préfèrent se taire.
    C'est aussi la raison pour laquelle il faut prendre des mesures pour protéger et soutenir celles qui sont assez courageuses pour agir en s'élevant contre leur famille et leur communauté.
    Cela signifie qu'elles doivent disposer de services. Il doit y avoir dans leur propre communauté des organisations féminines qui s'opposent au système de valeurs appliqué, qui les protègent, qui leur offrent d'autres solutions, qui les soutiennent tout le long du processus, qui leur offrent leur amitié et les font profiter du soutien d'un groupe de pairs. Les survivantes s'entraident, ce qui leur donne la force de poursuivre la lutte, de ne pas renoncer et de ne pas se soumettre au harcèlement.
    Avec toute mesure que vous prendrez, il y aura des risques de harcèlement, mais cela ne devrait pas vous empêcher de prendre des mesures. Il est important de le faire pour protéger les victimes, comme nous le ferions, par exemple, si un enfant est maltraité.
    Je vous remercie.
    Qu'est-ce qui a incité ces jeunes personnes à s'adresser aux autorités: les mesures législatives adoptées ou le bouche à oreille?
    Je crois que c'est un peu des deux. Vous ne pouvez probablement pas les séparer parce que les débats à ce sujet durent depuis très longtemps. Je parle de dizaines d'années. C'est seulement dans la dernière décennie que le gouvernement est intervenu. Les mesures législatives prises ont intensifié le débat et ont donné lieu à de nouvelles discussions. Je crois que le droit civil a eu une influence positive en donnant aux victimes l'accès à des injonctions et à une protection légale. Je crois vraiment que cela est important, mais je dirais quand même que c'est un peu des deux. Il y a aussi les services et le débat général qui se poursuit dans le public.
    Merci, madame Siddiqui.
    Je voudrais vous exprimer mes remerciements au nom du comité pour votre exposé et pour les réflexions dont vous nous avez fait part.
    Nous pouvons entendre le timbre. Cela signifie que nous devons aller voter.
    La séance est levée.
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