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Merci, monsieur le président.
Les effets du changement climatique sont à la fois étendus et profonds. Pour y faire face, il nous faut des modes de gestion évolutifs, mis en oeuvre par des institutions en mesure de réagir vite. Il nous faut en outre une réglementation qui ait la souplesse nécessaire, et aussi des systèmes d'alerte précoce.
Selon le rapport sur le changement climatique rendu public hier par les Nations Unies, cependant, les maux entraînés par le changement climatique vont être d'une telle ampleur qu'il faudra mettre en oeuvre des mesures d'atténuation pour éviter les risques les plus graves. Réagissant à ce rapport, John Kerry, secrétaire d'État américain, a déclaré que d'après les données de la science, si nous ne prenons pas, dès maintenant, des mesures radicales, notre climat et notre mode de vie seront mis en péril.
C'est à la fois un avertissement et un puissant appel à l'action.
Les effets secondaires que le changement climatique aura sur l'environnement — et je parle là de la qualité de l'eau, des espèces envahissantes, du niveau des eaux, de l'érosion des habitats — ont de quoi nous alarmer. Mais les impacts économiques qui en découlent pourraient se chiffrer par milliards, portant gravement atteinte au tourisme, au prix des propriétés, à la navigation et à divers autres secteurs clés de l'activité économique. Il nous faut effectuer davantage de recherches sur les impacts économiques, mais au plan de l'environnement, les maux anticipés sont déjà manifestes.
Monsieur le président, mesdames et messieurs membres du comité, Georgian Bay Forever est heureux d'avoir été invité à vous présenter un exposé et à vous faire part de ses observations et de ses recommandations, et de contribuer ainsi à vos travaux qui visent essentiellement à protéger la qualité de l'eau et à promouvoir la viabilité environnementale de la région des Grands Lacs.
Georgian Bay Forever est une organisation caritative créée il y a presque 20 ans. Elle s'est donnée pour mission de contribuer à la connaissance scientifique des écosystèmes aquatiques des Grands Lacs, et à diffuser des informations objectives afin que le public soit mieux à même de savoir ce qui se passe. Vous avez déjà recueilli le témoignage de divers chercheurs dont les travaux ont été financés par Georgian Bay Forever, ou avec lesquels nous avons collaboré au fil des ans.
Les écosystèmes aquatiques de nos Grands Lacs demeurent gravement menacés. Les mesures qui ont été prises, telles que l'élevage d'espèces exotiques pour contrôler les gaspareaux, et les 30 millions de dollars consacrés chaque année aux moyens chimiques et biologiques de contrôler la lamproie marine nous permettent simplement d'éviter l'effondrement de systèmes déjà mis à mal. Récemment, les moules zébrées, et maintenant les quaggas qui les ont remplacées, ont miné les fondements mêmes de la chaîne alimentaire, ce qui a provoqué une nouvelle baisse de la biomasse de poisson, la population de diporéas, dont se nourrissent les poissons, ayant baissé de 95 % depuis l'année 2000.
Le rapport de l'ONU ne fait que confirmer ce que l'on peut déjà constater dans les Grands Lacs. Selon ce rapport, une « large fraction » des espèces dulcicoles sont de plus en plus menacées d'extinction. Toujours selon le rapport, on assistera d'ici 2100 à une chute des stocks mondiaux de poisson.
Selon les biologistes, il fut un temps où dans les lacs Michigan et Huron, on trouvait parmi de nombreuses autres espèces, 12 variétés différentes de truite de lac. Il n'en reste plus que deux. Dans la baie Georgienne, se trouve une des seules populations autonomes de cette espèce indigène ailleurs que dans le lac Supérieur et, dans la brochure qui vous a été, je crois, remise, vous pourrez me voir photographié avec un de ces poissons.
Nous commençons tout juste à comprendre les incidences du changement climatique sur la qualité, certes, mais aussi sur la quantité de l'eau dans les Grands Lacs. Les grosses pluies qu'amènent des orages plus intenses ont entraîné une augmentation des rejets d'eaux usées non traitées, et le ruissellement des eaux de surface contaminées par les engrais agricoles ou à gazon ont été récemment mis en cause dans les rapports de la Commission mixte internationale faisant état dans le lac Érié de niveaux records d'algues nuisibles et toxiques.
Mais cette prolifération ne touche pas seulement le lac Érié. La baie d'Esturgeon dans la région de Pointe au Baril, dans l'est de la baie Georgienne, éprouve actuellement des entraves à la circulation à la limite extérieure de la baie. À la page 2, vous trouverez une diapositive qui donne une idée de ce qu'il en est. Les impacts sont, dans cette région, sensiblement les mêmes que ceux que l'on constate actuellement dans le lac Érié. En raison de son odeur, de son goût et peut-être aussi de sa toxicité, on ne peut non seulement pas boire l'eau, mais même pas y être au contact.
Georgian Bay Forever a financé des études sur les causes de cette prolifération d'algues et nos techniques de codage de l'ADN par code à barres permettent un diagnostic rapide de l'éventuelle toxicité de ces algues.
La baisse du niveau d'eau a également contribué de manière indirecte à l'érosion des écosystèmes en raison du réchauffement de l'eau. Le réchauffement de l'eau y est en effet pour beaucoup dans l'évaporation des eaux des Grands Lacs encore plus que la couverture de glace que l'on a pu constater l'été passé, phénomène que nous comprenons moins encore. Vous pourrez voir, dans la brochure qui vous a été remise, que les niveaux de l'eau des lacs Michigan et Huron sont en fait inférieurs à ce qu'ils étaient en avril 2012, année où le niveau de l'eau avait baissé comme jamais auparavant.
C'est dire que malgré ce que peuvent en dire les médias, la situation est loin d'être rétablie.
Il va nous falloir des instruments à la fois nouveaux et novateurs, une volonté plus affirmée et des délais de réaction plus brefs si nous voulons être à même de déceler les risques et les menaces qui surgissent, et d'y réagir. Il nous faut des données de référence plus complètes pour obtenir des mesures quantifiables de la biodiversité. Georgian Bay Forever a financé des études pilotes sur l'application de certains de ces nouveaux outils tels que le codage de l'ADN par code à barres.
GBF a également noué des collaborations avec les municipalités riveraines en vue d'établir en commun des protocoles d'analyse de la qualité de l'eau. Cela va permettre aux cantons qui entourent la baie de contrôler la qualité de l'eau dans leurs secteurs respectifs. Nous étoffons nos connaissances en ce domaine en ajoutant à nos moyens actuels de nouveaux outils de diagnostic tels que le dépistage des sources de pollution microbienne, le but étant de mieux comprendre les origines des divers produits contaminants et d'en améliorer la gestion.
Nous venons d'achever une étude approfondie des conditions historiques, en recourant aux concepts et méthodes de la paléolimnologie afin d'établir des conditions de référence nous permettant d'évaluer la qualité actuelle de l'eau et, par conséquent, de mieux comprendre les changements qui sont intervenus. Nous avons pu constater dans de nombreuses baies des algues bleu-vert, et, si la situation s'aggrave, ces zones vont vraisemblablement se dégrader.
GBF a financé des recherches sur les terres humides riveraines que certains tiennent pour des usines de traitement des eaux des Grands Lacs, mais il nous faut admettre que, dans de nombreux domaines, nos connaissances sont incomplètes et qu'on ne peut guère fonder nos politiques sur des conclusions qui reposent elles-mêmes sur des données insuffisantes.
Prenons, par exemple, la région de Honey Harbour, où nous avons, au cours des 10 dernières années, mené une part importante de nos recherches. Dans cette région, certaines des terres humides riveraines se sont agrandies par rapport à ce qu'elles étaient dans le passé, mais d'autres ont disparu. Si l'on veut être en mesure de prévoir les impacts sur les habitats du poisson et sur la qualité des eaux riveraines, nous allons devoir mieux comprendre les effets nets de ces changements. Nous manquons cependant de certaines données scientifiques de base, notamment en ce qui concerne les secteurs situés côté canadien.
Plusieurs techniques permettraient de recueillir les renseignements qu'il nous faut. Citons, par exemple, les techniques de télédétection telles que les systèmes radars légers. Or, seul le gouvernement fédéral a les moyens nécessaires. Je précise qu'il s'agit non seulement d'améliorer la qualité de nos décisions actuelles, mais d'être à même de continuer à le faire dans un lointain avenir. Comme l'ont dit déjà plusieurs témoins, il nous faut comprendre que les Grands Lacs forment un système intégré. Il nous faut envisager la situation de manière holistique et entreprendre des analyses globales interdisciplinaires et ne pas s'en tenir à l'étude de tel ou tel bassin hydrographique pris individuellement. Le Canada et les États-Unis vont devoir financer conjointement les recherches nécessaires, et les projets et modèles d'assainissement devront recevoir des financements pluriannuels.
Il n'y a guère de doute qu'il nous faut dès maintenant nous préparer aux changements que va éprouver le système, mais on comprend de mieux en mieux que la simple adaptation à des changements radicaux ne suffira peut-être pas, et nous allons devoir trouver le moyen d'atténuer les impacts qui sont à prévoir. Or, il faut pour cela réunir sans attendre les ressources nécessaires et recueillir d'urgence des données plus solides afin de mieux comprendre les changements que va subir le système.
Comme l'a aussi dit le secrétaire d'État américain, John Kerry, certains prétendent que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre les mesures nécessaires. Mais s'il y a quelque chose que nous ne pouvons vraiment pas nous permettre, c'est d'attendre.
Face aux menaces qui se profilent, et qui risquent de se réaliser à très brève échéance, nos institutions sont effectivement un petit peu démunies. C'est pourquoi, étant donné que la baisse du niveau d'eau, essentiellement due au changement climatique, fait peser une menace sur la qualité de l'eau, et que le département d'État américain a, suite à la diffusion du rapport de l'ONU, manifesté l'urgence qu'il y a à réagir aux impacts du changement climatique, nous appelons le comité à recommander que le Canada et les États-Unis s'entendent d'urgence sur les mesures d'atténuation de la baisse du niveau d'eau dans les Grands Lacs, et en particulier dans les lacs Michigan et Huron.
Étant donné que les Grands Lacs doivent être considérés comme formant un seul système, le Canada doit augmenter les crédits affectés aux projets d'assainissement des Grands Lacs, et porter ces financements à un niveau en rapport avec la responsabilité qu'il a, conjointement avec les États-Unis, de protéger les Grands Lacs. Il va par ailleurs falloir pour cela renforcer les mécanismes de collaboration transfrontalière afin de résoudre les problèmes qui se posent dans les Grands Lacs, tels que la prolifération d'algues, les espèces envahissantes, le niveau de l'eau et la qualité de l'eau.
Il va falloir porter au niveau nécessaire les crédits qu'exige la mise en oeuvre du protocole de 2012 concernant l'Accord Canada-États-Unis relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs. Il faut en outre réunir les moyens d'assurer l'entrée en fonction des Conseils relatifs au niveau d'eau des Grands Lacs afin d'améliorer nos connaissances scientifiques sur ce qui se produit actuellement. Nous recommandons la mise en oeuvre d'un programme à court terme afin de surveiller de près et d'éliminer la carpe asiatique. Suite aux conclusions consignées dans l'étude sur les transferts interbassins entre les Grands Lacs et le Mississippi, nous appelons à la séparation de ces deux grands bassins.
Nous recommandons que le Comité exécutif des Grands Lacs fasse tous les trois ans rapport à votre comité sur l'avancement des mesures de protection et d'assainissement des Grands Lacs, votre comité faisant à son tour rapport au Parlement. Et puis, le gouvernement doit finaliser l'Accord Canada-Ontario.
Je voudrais pour terminer attirer l'attention du comité sur une étude que nous finançons actuellement sur les impacts de la baisse du niveau d'eau des Grands Lacs sur l'économie de la région. Cette étude est actuellement menée par le Mowat Centre de l'Université de Toronto en partenariat avec le Conseil de la région des Grands Lacs. Elle devrait démontrer les coûts très élevés qu'entraînerait tout retard dans la mise en oeuvre d'une solution à la baisse du niveau d'eau due au changement climatique, et confirmera combien il est important de prendre des mesures d'atténuation. C'est très volontiers que nous reviendrions devant le comité pour discuter des résultats de cette étude.
Je tiens, encore une fois, à remercier le comité de nous avoir offert cette occasion de contribuer à ses travaux.
C'est un plaisir pour moi d'avoir été invité à prendre la parole devant vous.
Je m'appelle Jan Ciborowski et je suis professeur au département des sciences biologiques de l'université. J'y enseigne depuis 1984. Mon domaine est l'écologie aquatique et je cherche à mieux comprendre les liens entre les sources d'agression environnementale et le biote qui les subit. Je me livre depuis le début des années 1990 à des travaux portant sur les Grands Lacs.
Compte tenu de l'étendue des surfaces englobées par les Grands Lacs, et des problèmes qui s'y manifestent, je me suis attaché à prendre part et aussi à contribuer à des travaux de recherche en collaboration avec divers organismes gouvernementaux des deux côtés de la frontière. Il s'agit de parvenir à mieux cerner les problèmes et à nouer des collaborations en rapport avec l'étendue des problèmes auxquels nous devons faire face. Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée d'apporter mon point de vue sur les questions qui retiennent actuellement l'attention de votre comité.
Je voudrais maintenant aborder une à une les questions que vous avez énumérées. La première question est: dans quelles zones les problèmes environnementaux paraissent-ils les plus aigus?
Lorsqu'il s'agit de cerner les zones où surgissent ces divers problèmes, on a le choix entre deux approches. Une première stratégie consiste à protéger les zones qui revêtent actuellement la plus grande importance tant au niveau de la nature qu'au niveau de l'économie, et en particulier les zones qui risquent de perdre leur valeur, soit en raison de la disparition des espèces, soit en raison de la destruction des habitats sur lesquels ces espèces dépendent pour leur survie. On se préoccupe, en même temps, de la perte de valeur économique et de la valeur esthétique, deux choses extrêmement importantes pour les populations environnantes.
Les zones en question ont été diversement définies dans le cadre d'initiatives engagées par des groupes voués à la conservation, dont Conservation de la nature Canada, et, aux États-Unis, la U.S. Nature Conservancy. En 2000, la Conférence sur l'état de l'écosystème des Grands Lacs (CEEGL) a dégagé le concept d'aires d'investissement dans la biodiversité. C'est en fonction de ces aires qu'ont été menées une bonne partie des initiatives tendant à la protection également des rivages des Grands Lacs. Il s'agit des zones les plus importantes, car elles hébergent des espèces auxquelles on tient particulièrement, dont elles constituent le principal habitat, ou bien parce qu'il s'agit de zones particulièrement productives.
Au Canada, la protection de ces zones est assurée dans le cadre des parcs provinciaux et des parcs nationaux, ainsi que dans certaines zones particulières. Le MRNO, les municipalités concernées et les organismes locaux de conservation participent aussi aux efforts en ce sens. Nul ne conteste que, pour protéger les espèces et leur environnement, il faut protéger et rétablir leur habitat. Cela relève, à l'échelle nationale, des responsabilités du COSEPAC, qui identifie les espèces en péril au sein de leur habitat et, au niveau fédéral, du ministère des Pêches et des Océans, qui est chargé de l'application des dispositions législatives concernant l'habitat du poisson.
La seconde stratégie, qui contribue elle aussi à une meilleure compréhension du phénomène, consiste à restaurer les zones dont la dégradation nuit à une utilisation bénéfique. Dans les années 1970, la Commission mixte internationale avait identifié 14 utilisations bénéfiques des eaux des Grands Lacs et des terres environnantes. On considère comme zones problématiques, les zones dont l'utilisation bénéfique a été diminuée. On concentre sur elles les efforts de restauration afin de rétablir, justement, ces utilisations bénéfiques.
Quarante-deux zones problématiques ont été identifiées, dont 12 situées entièrement au Canada, et 5 qui relèvent des responsabilités des deux pays puisqu'elles entourent, dans la région des Grands Lacs, des voies interlacustres. Des 17 zones problématiques relevant entièrement du Canada, 3 ont pu être retirées de la liste, et 2 sont en cours de rétablissement. Les 7 zones problématiques canadiennes qui restent et les 5 zones binationales demeurent dépréciées, la plupart en raison d'une dégradation de l'habitat et de la contamination des sédiments.
Les atteintes les plus nombreuses, qui concernent toutes les zones problématiques, consistent en la dégradation de l'habitat du poisson et de la faune, et la déperdition des invertébrés benthiques dont s'alimente le poisson. Les dégâts constatés font obstacle aux travaux de dragage des sédiments qui permettraient la réhabilitation des terres, mais imposent également des limites à la consommation de poisson. L'autre grande atteinte à l'utilisation bénéfique de ces zones est l'eutrophisation, c'est-à-dire la prolifération d'algues nuisibles. Cela est vrai à la fois dans les zones problématiques des Grands Lacs et dans les zones protégées, ainsi que M. Sweetnam l'a fait remarquer plus tôt. Cela est particulièrement manifeste le long des rivages et dans les eaux littorales des Grands Lacs.
Si nous souhaitons réellement rétablir ces zones, il nous faudra comprendre non seulement où, au juste, se manifestent les stress environnementaux, mais également la relation entre les facteurs stressants et la manière dont y réagissent les divers éléments de l'écosystème. Il nous faut parvenir à atténuer suffisamment les facteurs stressants pour rétablir les utilisations bénéfiques. Plus qu'une condition préalable à notre compréhension de ce qui se passe, une meilleure connaissance de ces facteurs en est la condition essentielle. Ce qu'il nous faut reconnaître, c'est que ce qui compte ce ne sont pas seulement les conditions moyennes, mais les conditions extrêmes. Les espèces disparaissent et des pans entiers de notre environnement sont détruits, non seulement en temps normal, mais lorsque la situation s'aggrave. Cela veut dire qu'il ne nous faut non seulement veiller à la moyenne des indicateurs, mais assurer une surveillance de tout instant.
Du point de vue géographique, nous comprenons de mieux en mieux que, pour contrôler les facteurs stressants, il nous faut non seulement nous pencher sur ce qui se passe dans les lacs, mais également sur leurs apports. Alors que, dans le temps, les éléments nutritifs et les toxines étaient essentiellement véhiculés par l'atmosphère et des sources précises de pollution, notamment les usines de traitement des eaux usées et les eaux usées industrielles dont les canalisations aboutissaient directement dans les lacs, nous reconnaissons de mieux en mieux que ce qui est à l'origine de nos principaux problèmes, cela étant particulièrement vrai en cas de conditions météorologiques extrêmes, ce sont le ruissellement des engrais utilisés dans les fermes et le ruissellement des eaux des zones rurales et suburbaines.
Les eaux de ruissellement agricoles sont une des principales sources d'éléments fertilisants, et en particulier de phosphore, alors qu'antérieurement le problème était essentiellement dû aux matières agglomérées à des particules de sédiment. De plus en plus, la cause provient du phosphore dissout dans l'eau, car c'est de la biodisponibilité de cet élément que dépendent les algues, dont la prolifération autour des rivages est à la fois gênante et dangereuse. Le problème est en outre dû à l'hypoxie, c'est-à-dire à l'absence d'oxygène dans les parties les plus profondes du lac, phénomène dû à la décomposition de ces matières.
Lorsque les rivages sont sableux ou rocailleux, on se trouve face à des algues nuisibles, telles que la cladophora, qui dépare les plages et les rivages et qui, lorsqu'elle se décompose, est à l'origine d'épidémies telles que le botulisme et est la cause de morts innombrables parmi les oiseaux et les poissons. S'agissant de rivages boueux ou limoneux, les nutriments ont tendance à se concentrer vers le milieu du lac où ils causent une prolifération dangereuse d'algues bleues.
En fait, les zones problématiques du point de vue environnemental forment un continuum. Il ne s'agit pas de distinguer les zones qui se portent mieux des zones qui se portent le plus mal, car il y a tout un éventail de conditions. Beaucoup de mes travaux collaboratifs, et des travaux menés par d'autres, nous aident à mieux comprendre et à mieux quantifier les divers types d'activités humaines, leur degré d'intensité, l'étendue des activités agricoles, le degré de développement, la densité démographique et la présence de routes près des divers affluents qui se vident dans le bassin hydrographique.
On trouve autour des lacs, plus de 5 900 bassins hydrographiques et bassins d'alimentation. Nous avons pu quantifier l'étendue du développement, et les stress que cela entraîne, ce qui nous permet de savoir là où ces stress sont les plus forts, là où ils le sont moins et, par conséquent, là où les risques sont les plus graves.
Nous avons pu profiter des nouvelles techniques — la télédétection, notamment — afin d'établir des cartes des lacs et des terres entourant les Grands Lacs dans le cadre du programme de cartographie et d'évaluation environnementale. Ces cartes indiquent, selon les cas, de 34 à 210 types de facteurs stressants différents. Le fait de savoir là où ils se manifestent nous permet de repérer les plus graves et les plus anodins, et de savoir où se situe le point de dégradation et de perte du biote, les deux choses qui retiennent le plus notre attention. Cela nous a permis de ranger les zones dans un ordre prioritaire, la priorité étant accordée à celles où les risques de dégradation biologique sont les plus grands, ainsi que celles qu'on devrait le mieux parvenir à rétablir. Nous avons ainsi pu également identifier les zones qui posent le plus grand risque pour la santé des Grands Lacs.
La rivière Detroit et la rivière Maumee nous ont toujours paru être celles qui posent les plus grands risques, mais les cartes établies récemment, et les nouvelles techniques génétiques, nous ont portés à reconnaître que, par exemple, la rivière Thames et la rivière Sydenham, charrient elles aussi de gros volumes de nutriments qui sont la cause d'une prolifération dangereuse d'algues à la fois dans le lac Sainte-Claire, près des rives nord du lac Érié et dans d'autres zones, les résultats étant largement les mêmes que ceux qu'on avait attribués jusqu'ici à la rivière Maumee.
Citons également, parmi les nouvelles menaces à l'écologie et à l'économie, les effets de...
Le développement des rives, et la baisse occasionnelle du niveau de l'eau, comme nous le disait M. Sweetnam, et plus particulièrement la menace que posent des espèces envahissantes, sont les principaux risques auxquels nous devons faire face. Le risque de voir la carpe asiatique s'introduire dans les Grands Lacs par le chenal de Chicago et par d'autres voies, représente peut-être la plus grande menace pour la chaîne alimentaire. Cela se classerait au haut de toute liste des priorités.
Une nouvelle annexe est venue s'ajouter à l'Accord relatif à la qualité de l'eau des Grands Lacs. On trouve dans cette annexe, une liste de 12 zones problématiques ou de zones à assainir. Des groupes de travail binationaux ont été constitués. Ils ont pour mission de s'attaquer à ces problèmes selon un calendrier très serré, et j'ai bon espoir que cela va aboutir à une liste des priorités et à des stratégies adaptées aux problèmes.
De nombreux efforts ont été engagés afin d'accélérer la restauration de ces zones. Aux États-Unis, des centaines de millions de dollars ont été investis dans le cadre d'une initiative de rétablissement des Grands Lacs et en particulier des zones les plus affectées. Au Canada, les sommes investies sont plus modestes, mais on continue à s'attaquer à des risques bien définis. On attend de bons résultats de l'initiative portant sur les nutriments qui filtrent dans les Grands Lacs, initiative, espérons-nous, que la province engagera à son tour.
Cependant, ce qui me paraît devoir être, au cours des cinq prochaines années, la principale menace est l'absence de plans permettant d'évaluer l'efficacité de ces mesures correctives. De gros investissements ont été consentis afin de réparer les dommages. Nous semblons, cependant, avoir en même temps perdu la capacité de communiquer entre nos deux pays. Ainsi que M. Sweetnam le disait tout à l'heure, les efforts engagés doivent en effet être binationaux, étant donné l'ampleur des travaux à réaliser. Nous semblons avoir perdu la capacité de voyager, d'interagir avec nos homologues, deux choses pourtant essentielles.
Si nous entendons comprendre dans quelle mesure nos efforts sont efficaces, il nous faut savoir quelle était la situation antérieure, où nous en sommes après la mise en oeuvre de ces diverses mesures, quels sont les problèmes qui se posent à l'échelle du bassin, et dans quelle mesure nous parvenons à corriger la situation. Il est absolument essentiel de comprendre que les lacs et le biote ne se soucient pas des frontières politiques, car tout dépend de l'écoulement, dans les lacs, toutes sources confondues, de matières provenant des divers bassins hydrologiques.
C'est pour cela qu'il nous faut coordonner nos efforts au niveau des divers paliers de gouvernement. Les contraintes budgétaires, et les limites imposées au déplacement et à la communication ont nui sensiblement à ce que nous pouvons savoir de l'efficacité des efforts entrepris. D'après moi, la réorganisation des ministères, et la rationalisation des dotations en personnel, s'ajoutant aux restrictions dont je viens de faire état, ont créé de réels obstacles.
J'ai bon espoir que le nouvel Accord sur la qualité de l'eau des Grands Lacs, les études et les efforts menés par ces groupes de travail vont permettre de rétablir les communications nécessaires et j'ose espérer que va reprendre le dialogue qui a été interrompu.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, bonjour. Au nom de Canards Illimités Canada, je vous remercie de cette occasion d'aborder un enjeu de grande importance devant le comité. Je m'appelle James Brennan. Je suis directeur des affaires gouvernementales de cette organisation. Je suis basé ici à Ottawa et je suis accompagné aujourd'hui par mon collègue Mark Gloutney, qui est, lui aussi basé à Ottawa. Mark est directeur des opérations régionales pour la région de l'Est.
Notre organisme est extrêmement préoccupé par la quantité et la qualité de l'eau du bassin des Grands Lacs en raison de son importance capitale pour la sauvagine et notre mission fondamentale. D'ailleurs, pour la communauté de conservation de la sauvagine, la région écologique des Grands Lacs et de la vallée du Saint-Laurent revêt une importance d'envergure continentale. En effet, les habitats des milieux humides côtiers des lacs de la région inférieure abritent des millions de canards, d'oies et de cygnes migrateurs, tandis que les milieux humides intérieurs sont des aires de nidification pour les innombrables oiseaux qui font la migration le long du Mississippi et des couloirs de l'Atlantique. Aujourd'hui, nous aimerions aborder deux enjeux importants de la qualité de l'eau, c'est-à-dire, les problèmes liés aux sédiments et les problèmes propres à l'eau.
Le problème des sédiments englobe tous les enjeux liés aux particules en suspension dans l'eau ou déposées au fond ou sur les rives des plans d'eau, que ce soit à cause de l'érosion ou pour d'autres causes. Souvent, des niveaux élevés de sédiments entraînent des problèmes de turbidité ou d'accumulation de contaminants. Ces problèmes, qui sont souvent locaux et bien connus, ont servi de fondement aux stratégies de restauration mises en oeuvre depuis des décennies.
D'un autre côté, les problèmes d'eau touchent souvent un lac ou même un bassin versant complet. Comme vous pouvez vous en douter, ces problèmes peuvent avoir d'importantes répercussions sociales, économiques et écologiques. Les problèmes d'eau découlent souvent des activités qui se déroulent dans le bassin versant, tant des activités dans l'eau ou proche de l'eau que des activités sur la terre ferme adjacente. Par exemple, la surcharge en phosphore est l'un des problèmes issus de l'utilisation des terres d'un bassin hydrographique qui peut avoir des répercussions d'envergure sur la qualité de l'eau.
Bien que les problèmes de sédimentation et de ruissellement dans les Grands Lacs demeurent importants, notre savoir-faire touche plus particulièrement les milieux humides et l'eau. Conséquemment, la suite de nos commentaires portera sur les problèmes de la qualité de l'eau. Nous sommes heureux, à cet égard, de pouvoir faire état de bonnes nouvelles. La conservation et la restauration des terres humides sont un élément pratique et extrêmement efficace de tout effort tendant à une amélioration de la qualité de l'eau des Grands Lacs.
Je voudrais maintenant passer la parole à M. Gloutney qui va se charger du reste de notre exposé.
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Les milieux humides sont les usines de traitement de l'eau de la nature. Les milieux humides abondants et intacts absorbent le phosphore et rendent d'autres services importants en réduisant la quantité d'impuretés qui entrent dans nos ruisseaux, nos rivières et les Grands Lacs.
Canards Illimités Canada a récemment complété des travaux de recherche pour évaluer les répercussions de la perte des milieux humides du bassin versant du lac Simcoe. Comme beaucoup d'entre vous le savent, ce bassin est au coeur de l'une des régions rurales les plus exploitées au Canada. Situé à environ une heure au nord de Toronto, sa superficie est d'environ 744 km2.
[Traduction]
Nos travaux scientifiques démontrent clairement que les milieux humides jouent un rôle critique dans la résolution des problèmes de qualité d'eau du lac Simcoe. Les résultats obtenus nous ont fait sérieusement réfléchir. Par exemple, si nous devions perdre les derniers milieux humides d'une des petites rivières qui approvisionnent le lac, le sous-bassin hydrographique de la rivière Black qui passe proche du village de Sutton, les répercussions considérables comprendraient les suivantes: une hausse du taux de phosphore de 891 %, soit l'équivalent d’un versement de 47 tonnes ou de 22 000 sacs d'engrais à pelouse dans la rivière chaque année; une diminution de 13 % du volume d'eau entrant dans la nappe phréatique, qui a des effets directs sur la qualité de l’eau; une augmentation des sédiments de 251 %, qui nuiraient aussi à la qualité de l'eau; et une augmentation du taux d'azote de 260 %, qui affecterait l'utilisation de l'eau par le public à des fins récréatives.
Les recherches nous apprennent également qu’en retirant de l'eau le phosphore excédentaire des milieux humides de la rivière Black, les municipalités de la région économiseraient quelque 300 000 dollars par année. La perte de nouveaux milieux humides affecterait considérablement les investissements faits dans les installations locales de traitement de l'eau du bassin versant du lac Simcoe. La perte d'environ 25 % des milieux humides restants, soit 2 088 hectares, annulerait tous les efforts annuels d'enlèvement du phosphore de l'usine d’épuration de Sutton. La perte de 52 hectares de milieux humides additionnels annulerait l'augmentation de la capacité d'enlèvement du phosphore visée par les récents travaux de 3,8 millions de dollars pour mettre à niveau l'usine de Sutton.
[Français]
Les recherches subséquentes ont relevé que les milieux humides du bassin du lac Simcoe auraient une valeur économique annuelle de 11 172 $ par hectare ou de 435 millions de dollars.
Parmi les services de grande valeur, mentionnons le contrôle de l'eau, la filtration de l'eau, la réduction des inondations, le traitement des eaux usées, les loisirs, les habitats fauniques et la régulation climatique.
En bref, la science démontre clairement que les investissements dans des infrastructures naturelles, comme les milieux humides, sont critiques pour protéger et rehausser les investissements dans les infrastructures artificielles. Bien que les données que nous venons de vous présenter visent précisément le lac Simcoe, nous pouvons les appliquer à l'ensemble du bassin des Grands Lacs. Nous obtiendrions alors les mêmes résultats.
Conséquemment, nous avons raison d'être extrêmement préoccupés par l'actuel taux de perte des milieux humides en Ontario.
[Traduction]
Malgré la valeur considérable des services rendus par les milieux humides, la perte de milieux humides du bassin versant des Grands Lacs se poursuit, et ce, à un taux substantiel. C’est ainsi que, dans le sud de l'Ontario, nous avons perdu 72 % des milieux humides, soit une superficie de 1,4 million d'hectares. Cela représente les trois quarts de la superficie du lac Ontario. Les pertes s'accentuent puisque nous avons perdu 70 854 hectares de milieux humides, en blocs de 10 hectares ou plus, entre les années 1982 et 2002. Dans le bassin versant du lac Érié, plus de 85 % des milieux humides ont été perdus. La perte des milieux humides côtiers des Grands Lacs a également été importante, c'est-à-dire de la même envergure. La perte des milieux humides du côté américain des Grands Lacs est comparable à 65 %.
Pendant un instant, imaginons quel serait le résultat si nous étendions les résultats de nos recherches sur la rivière Black à l'ensemble du bassin des Grands Lacs, c'est-à-dire à une superficie de quelque 245 000 kilomètres carrés. Imaginez quelles seront les répercussions désastreuses si nous continuons à perdre les milieux humides du bassin des Grands Lacs. Si vous le voulez bien, prenez aussi un moment pour imaginer une situation totalement différente, dans laquelle nous travaillerions tous ensemble pour que les milieux humides existants demeurent intacts et fonctionnels et dans laquelle nous ferions des efforts considérables pour restaurer les milieux humides perdus ou dégradés.
Pour Canards Illimités Canada, une telle situation permettrait d’économiser des millions de dollars d’investissements à fonds perdu dans des travaux de restauration environnementale. Cela profiterait aux industries axées sur l'exploitation durable ou les ressources renouvelables qui dépendent de la santé et de l'intégrité du bassin des Grands Lacs, aux secteurs vigoureux du tourisme et de l’agriculture et à la santé des populations. Cela apporterait des avantages sociaux et écologiques importants, comme des habitats sains pour les poissons et les animaux, ainsi que la possibilité, pour des générations à venir de Canadiens et de Canadiennes, de vivre l'expérience de la nature.
Comment pouvons-nous atteindre cet objectif?
Nous réalisons des progrès sur le plan des programmes et de la reconnaissance des rôles que jouent les milieux humides comme élément viable de la solution. C’est ainsi que le récent Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs indique de façon explicite que les milieux humides sont des habitats importants. Des partenariats de longue date, comme celui du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, restent en vigueur et continuent à investir sur le terrain dans des travaux de conservation des habitats. En Ontario seulement, ce partenariat a permis la conservation de 7 millions d'hectares grâce à un investissement de 193 millions de dollars.
Le Programme de conservation des zones naturelles d'Environnement Canada constitue un outil fédéral de préservation des terres qui a permis à des partenaires de conservation, comme Canards Illimités Canada, d'acheter et de protéger à jamais des habitats de milieux humides d'importance critique, comme certains milieux humides côtiers des Grands Lacs et d'autres ensembles de milieux humides intérieurs d'importance.
Bien que ces programmes et ces initiatives soient excellents et doivent se poursuivre, nous réitérons que nous devons en faire davantage. Canards Illimités Canada propose donc que, à l’avenir, nous collaborions avant tout pour nous assurer que les Canadiens aient pleinement conscience de l’intérêt des milieux humides et de leur importance pour la qualité de l’eau. Nous devons veiller à accroître nos efforts de conservation et de restauration des milieux humides dans tout le bassin versant des Grands Lacs. Comme nous l'avons déjà expliqué au comité, la conservation des milieux humides devrait être la pierre angulaire du Plan de conservation national du gouvernement du Canada.
Notre seconde priorité devrait être de veiller à ce que la conservation des milieux humides dispose d’un financement à long terme. Canards Illimités Canada demande au gouvernement du Canada d’accroître son soutien financier aux efforts de conservation des milieux humides par l'établissement d'un nouveau fonds national de conservation des milieux humides. Canards Illimités Canada est prêt et disposé à financer ce fonds à la hauteur des investissements du gouvernement du Canada.
Le troisième élément en importance de notre programme devrait être de travailler avec les autres ordres de gouvernement pour nous assurer que toute planification repose sur des données scientifiques, soit bien coordonnée et tienne compte de l'ensemble du milieu; et s'assurer d'adopter des politiques appropriées pour atteindre nos objectifs de conservation des milieux humides.
Enfin, nous devons nous engager à travailler avec nos partenaires au concept d'environnement fonctionnel et élaborer des programmes qui encouragent les gens à faire des choix bénéfiques pour les milieux humides et, conséquemment, pour la qualité de l'eau.
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Bonjour à vous, mesdames et messieurs qui siégez au Comité permanent de l'environnement et du développement durable. Je vous sais gré de vous pencher aujourd’hui sur les questions qui touchent les Grands Lacs. Je sais que vous avez déjà entendu d’autres témoins sur ces questions et je vous suis reconnaissante de prendre le temps de m’écouter.
Pour me présenter brièvement, je vous dirais que je suis bénévole à temps plein et que je travaille sur la qualité de l'eau des Grands Lacs, y compris sur les milieux humides, depuis plus de 25 ans. Je viens du secteur de la santé publique, ce qui fait que lorsque j'ai offert pour la première fois de prélever des échantillons d'eau dans les aires de loisir de la baie Georgienne, pour savoir si on y trouvait des bactéries comme l'E. coli et les streptocoques fécaux, c'était un travail que je faisais déjà depuis longtemps avant la tragédie de Walkerton. Je savais alors fort bien quels pouvaient être les effets de taux aussi élevés de ces bactéries dans l'eau, en particulier pour les jeunes enfants apprenant à nager. Pour moi, il découle de cette expérience qu'Environnement Canada doit adopter des normes bactériologiques plus rigoureuses pour assurer la sécurité des utilisateurs de l'eau douce à des fins récréatives.
Aujourd'hui, les commentaires que j'entends vous faire s'inscrivent dans le prolongement de ce que Mme Pat Chow-Fraser, de l'Université McMaster, vous a dit la semaine dernière. Cela fait maintenant plus de 10 ans que nous collaborons avec elle pour identifier et pour évaluer les milieux humides qui se trouvent sur les rives est et nord de la baie Georgienne. C'est une première, car aucun organisme gouvernemental n'a fait ce type de travail auparavant.
Lorsque j'assiste à des réunions binationales sur les Grands Lacs, j'y vois souvent des cartes qui ne montrent pas les vastes milieux humides de la baie Georgienne. Tous les groupes qui s'intéressent aux Grands Lacs, y compris les organismes gouvernementaux, savent maintenant que les milieux humides les plus vastes, de la plus haute qualité et les plus diversifiés, mais également les plus fragiles de toute la région des Grands Lacs se trouvent dans la baie Georgienne.
Vous savez fort bien que les milieux humides constituent des habitats importants pour les poissons et, de façon plus générale, pour la faune. Ils jouent aussi un rôle important en éliminant les nutriants et les produits chimiques de l'eau. Comme l'a indiqué l'orateur précédent, 70 % des habitats humides du lac Ontario et du lac Érié ont disparu, et il est donc de plus en plus nécessaire de protéger les bons habitats humides qui restent dans les Grands Lacs.
Cela fait maintenant 14 ans que le niveau de l'eau est bas dans la baie Georgienne. Mme Chow-Fraser a constaté que nous avons perdu, en moyenne, 24 % des habitats des poissons en milieux humides. On sait que, dans les zones de faible profondeur permanente, la qualité de l'eau se dégrade parce que les échanges nécessaires avec les eaux libres de la baie Georgienne sont insuffisants.
Au cours des trois derniers étés, sur les rives sud de la baie, y compris dans le parc provincial de Wasaga Beach, on a observé un taux de mortalité important des sauvagines et des poissons, qui jonchent fréquemment les plages. On n'en connaît pas la cause avec certitude, mais il semble que cela soit lié au faible niveau de l'eau, qui a pour effet de concentrer les nutriants dans des eaux peu profondes ou plus chaudes, propices à la croissance des algues, et qui facilitent la prolifération des bactéries.
Nous constatons, sans pouvoir dire précisément pourquoi, que des poissons morts de trois à cinq pieds appartenant à des espèces menacées, comme l'esturgeon, s'échouent sur le rivage. De tels phénomènes feraient la une des journaux si cela se produisait sur les rives du lac Ontario, mais comme cela se produit dans une région éloignée, peu couverte par la presse, personne n'en entend parler.
Cet été, nous allons mettre sur pied un programme de détection du botulisme chez les personnes. Des bénévoles vont ramasser des oiseaux et des poissons morts depuis peu. Nous les congèlerons pour les faire analyser dans un laboratoire situé sur le nouveau campus universitaire d'Oshawa qui est équipé pour détecter les toxines botuliques en toute sécurité. Nous espérons ainsi avoir enfin la cause de ce phénomène.
Je n'ai pas le temps, aujourd'hui, d'aborder toutes les questions concernant les Grands Lacs, et je vais donc me concentrer sur la carpe asiatique et sur les niveaux d'eau.
Je suis convaincue que vous êtes tous au courant des menaces importantes que posent les espèces de carpe très envahissantes qui sont rendues aux portes des Grands Lacs, à Chicago. La carpe argentée se nourrit en filtrant les micro-organismes qui se trouvent au bas de la chaîne alimentaire des espèces indigènes de nos eaux, et perturbent cette chaîne. Ces poissons peuvent avaler chaque jour l'équivalent de leur poids et finir par dépasser les 100 livres, et mesurer quatre à cinq pieds de long.
Ils frayent trois fois par année et les adultes peuvent pondre jusqu'à un million d'oeufs à chaque fois. Il n'y a actuellement aucune espèce de ce type dans les Grands Lacs. Les autres espèces envahissantes de carpes se nourrissent à même les plantes des milieux humides et les détruisent en les arrachant. Ces poissons très envahissants pourraient coûter jusqu'à huit milliards de dollars au secteur de la pêche à des fins récréatives sur les Grands Lacs.
Au début de janvier dernier, le U.S. Army Corps of Engineers a publié un rapport sur les solutions qui s'offrent pour empêcher ces poissons de s'implanter dans les Grands Lacs. La période de commentaires publics sur ce rapport a pris fin hier, mais permettez-moi de vous signaler deux de nos préoccupations.
Tout d'abord, ce rapport ne fait aucunement état des risques que posent ces poissons pour les eaux canadiennes. Pêches et Océans Canada a réalisé, en 2005, une excellente évaluation des risques qui montrait que quatre espèces qui sont maintenant présentes dans la rivière Mississippi risquent fort de s'infiltrer dans les eaux canadiennes. L'espèce la plus agressive est la carpe argentée. Pêches et Océans Canada a estimé qu'elle pourrait se répandre dans tous nos lacs et toutes nos rivières jusqu'à la baie James au nord et jusqu'à l'Alberta à l'ouest. En 2009, le MPO et le U.S. Army Corps of Engineers ont évalué conjointement les risques auxquels nous faisons face. Ils estiment que, si la carpe argentée devait s'implanter dans le lac Michigan, elle s'infiltrerait dans toutes les eaux du lac Huron, de la baie Georgienne et du lac Érié dans les cinq ans.
C'est là un risque inacceptable et il faut que le Canada dise aux autorités américaines de façon plus claire que, dans le cadre de l'Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, les États-Unis sont tenus d'empêcher ces poissons de pénétrer dans les Grands Lacs. Le coût des mesures de prévention est bien inférieur aux millions de dollars que nous devons dépenser, par exemple, pour contenir le plus possible le nombre d'individus d'une autre espèce envahissante, la lamproie de mer. Les scientifiques savent maintenant que nous ne parviendrons jamais à l'éradiquer.
En second lieu, le U.S. Army Corps of Engineers a énuméré huit solutions pour empêcher la carpe asiatique de pénétrer dans le lac Michigan. Cette espèce se trouve maintenant à 60 milles de l'entrée des Grands Lacs, à Chicago. Parmi ces options, il y a le statu quo, c'est-à-dire les barrages électriques. L'été dernier, cet organisme a rendu publiques des vidéos prises à ces barrages électriques montrant des bancs de poisson de quatre pouces qui les franchissent sans problème. En d'autres termes, ces barrages ne constituent pas une solution. La seule solution responsable est la séparation totale des eaux du lac Michigan et de la rivière Mississippi.
Permettez-moi d'aborder maintenant la question des niveaux d'eau. Nous avons là la possibilité de remédier au laxisme des cinquante dernières années dans ce domaine. C'est au cours des années 1950, et au début des années 1960, que les chenaux navigables des Grands Lacs ont été officiellement dragués la dernière fois pour les creuser. Le Canada et les États-Unis avaient alors conclu un accord qui imposait au U.S. Army Corps, pour pouvoir creuser les chenaux navigables à 27 pieds, d'appliquer des mesures compensatoires dans la partie supérieure du cours de la rivière Sainte-Claire.
Cette rivière relie le lac Huron au lac Érié, en passant par le lac Sainte-Claire et la rivière Detroit. Environnement Canada n'a toutefois pu s'entendre avec le U.S. Army Corps sur le nombre de seuils immergés ou de ralentisseurs qu'il faudrait poser dans le lit de la rivière. Le projet a été financé intégralement par les Américains, mais au bout de 10 ans, le Congrès des États-Unis a retiré les fonds, mais pas l'autorisation. Nos gouvernements ont reconnu que les niveaux du lac Michigan, du lac Huron et de la baie Georgienne s'abaissaient en permanence à la suite de l'approfondissement des chenaux navigables, mais ils ont cru qu'il s'agissait là d'un phénomène ponctuel qui ne se reproduirait pas.
Toutefois, lorsqu'à compter de 1999 les niveaux d'eau ont perdu quatre pieds, nous avons commencé à collaborer avec une équipe d'ingénieurs, car nous soupçonnions que quelque chose s'était produit dans la rivière Sainte-Claire qui participait à la baisse soudaine du niveau d'eau plus importante que celle causée par la diminution des précipitations. Quinze ans ont maintenant passé et la Commission mixte internationale a confirmé que l'érosion en amont de la rivière Sainte-Claire a contribué à la faiblesse des niveaux d'eau. Cela fait maintenant près d'un an que la CMI a informé nos gouvernements que les niveaux d'eau du lac Michigan, du lac Huron et de la baie Georgienne doivent être relevés en appliquant des mesures souples dans la rivière Sainte-Claire.
Après plus de 100 ans d'interventions de l'homme, y compris par le dragage, les niveaux d'eau du lac Michigan, du lac Huron et de la baie Georgienne ont été abaissés de 50 centimètres ou de 20 pouces. Aucun autre Grand Lac n'a connu une telle évolution. Les autres sont gérés par des organismes de contrôle qui sont en mesure de maintenir le niveau d'eau de leur lac. Aucune mesure de compensation n'est venue atténuer cette perte. Cela fait que nous avons aujourd'hui un déséquilibre important des niveaux d'eau dans les Grands Lacs. Ces niveaux sont à la moyenne, ou au-dessus de la moyenne à long terme dans le lac Supérieur, le lac Érié et le lac Ontario alors qu'ils sont inférieurs de 34 centimètres, 13 pouces, à leur moyenne à long terme dans les lacs Michigan et Huron, et dans la baie Georgienne.
Le gouvernement américain a maintenant décidé d'aller de l'avant et assure une partie du financement du U.S. Army Corps pour qu'il prépare un nouveau rapport général d'évaluation des mécanismes de compensation sur la rivière Sainte-Claire. Au Canada, on m'a assuré que trois ministres importants du cabinet et plusieurs députés s'efforcent d'obtenir une réponse coordonnée du gouvernement du Canada. Nous attendons cette réponse. Le Canada ne dispose malheureusement d'aucun organisme gouvernemental comme le U.S. Army Corps Engineers qui soit en mesure de mener à bien un tel projet. Il faut que nous siégions à la table et annoncions notre volonté de défendre le point de vue de la CMI et que nous y consacrions des fonds afin de pouvoir devenir un partenaire dans la résolution de ce problème.
Le froid et les chutes de neige observés au cours de l'hiver dernier dans les Grands Lacs ont fait grimper temporairement les niveaux d'eau, mais le déséquilibre est toujours là. De plus, pratiquement tous les experts nous disent qu'il s'agit là d'une anomalie passagère et non pas d'un changement du climat. Seul un pour cent de l'eau des Grands Lacs est renouvelable et 99 % de celle-ci provient de l'ère glaciaire. Il est maintenant temps d'agir pour rééquilibrer les niveaux d'eau en prenant des mesures pour corriger les effets des interventions humaines sur la baisse du niveau d'eau dans le lac Michigan, le lac Huron et la baie Georgienne en creusant la rivière Sainte-Claire.
Je dispose ici de graphiques pour illustrer ce que je viens de vous dire, et vous devriez en avoir une copie pour voir l'augmentation de la débitance de la rivière Sainte-Claire au cours des 100 dernières années. Pour l'essentiel, c'est là la capacité du chenal.
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Certainement. Du point de vue du public et de l'utilisation de l'eau par l'écosystème, on pourrait faire valoir que les cyanobactéries font partie de l'écosystème et, par conséquent, des processus naturels. Toutefois, selon moi, lorsque nous parlons des cyanobactéries et de leur prolifération nocive, nous faisons davantage allusion à leurs répercussions sur les humains qui utilisent l'eau. Dans ce contexte, même la menace d'une prolifération de cyanobactéries peut nuire à la valeur des propriétés. Si une prolifération de cyanobactéries se produit, qu'elle soit toxique ou non, personne ne peut boire l'eau ou toucher à celle-ci, entre le moment où la prolifération se manifeste et celui où elle est identifiée, et vous ne pouvez pas non plus laisser votre chien se baigner, de peur qu'il en meurt ou qu'il ait des problèmes si les algues sont toxiques. On ne peut pas toucher à l'eau, parce que les toxines peuvent être absorbées. Les hépatotoxines — qui sont des néphrotoxines — peuvent pénétrer dans votre système et vous causer de sérieux problèmes de santé.
Sur le plan économique — à Sturgeon Bay, par exemple —, si les proliférations de cyanobactéries sont un problème récurrent, vous courez le risque de ne pas être en mesure de vendre votre chalet, en particulier si la situation s'aggrave progressivement dans cet emplacement géographique.
Au cours des 20 ou 30 dernières années, nous avons remarqué que les proliférations de cyanobactéries dans les lacs intérieurs devenaient de plus en plus fréquentes. Notre recherche consistait en partie à étudier les déclencheurs biochimiques et à nous demander la raison pour laquelle les cyanobactéries ne proliféraient pas toujours, même si elles éliminaient toujours efficacement le phosphore de leur environnement. L'algue eucaryote — l'autre algue — domine jusqu'à ce que quelque chose déclenche la prolifération des algues bleu-vert et qu'elles envahissent le milieu.
Comme Mme Ciborowski en a parlé, nous examinions l'effet de l'anoxie sur les eaux de fond qui contiennent des détritus. Les algues eucaryotes normales meurent et tombent au fond de l'eau où elles pourrissent. Ces algues absorbent tout l'oxygène contenu dans cette eau. À ce stade, les conditions redeviennent celles de la préhistoire, soit les conditions qui existaient sur la Terre lorsqu'il n'y avait pas d'oxygène et que les algues bleu-vert dominaient. Ces algues utilisent des produits chimiques autres que l'oxygène pour alimenter leurs processus biochimiques, et ce, d'une manière beaucoup plus efficace que les algues de type eucaryote — qui ont besoin d'oxygène.
Dès que le milieu est anoxique, le fer ferreux des sédiments libère du phosphore. Ces organismes utilisent le phosphore comme une sorte de fertilisant, si vous voulez, et ils peuvent, en fait, se déplacer dans la colonne d'eau, de haut en bas. Ces organismes peuvent monter dans les zones oxygénées et un peu eutrophes où ils ont accès à la lumière du soleil, puis se laisser tomber comme des tourelles de plongée pour saisir les éléments nutritifs qu'ils désirent, et remonter par la suite. Ces organismes sont donc mobiles; ils peuvent monter et descendre à leur guise.
Nous avons maintenant rédigé un article sur ces genres de déclencheurs, en collaboration avec M. Lewis Molot de l'Université York, et la revue Freshwater Biology a accepté de le publier. Nous souhaitions découvrir cette science fascinante et un peu ésotérique.
Une fois que ces organismes dominent, ils peuvent certainement, compte tenu de la grande quantité de phosphore que le réseau des Grands Lacs leur fournit — le phosphore étant un peu le nutriment limitant —, produire ces énormes écumes de surface que nous associons tous aux proliférations de cyanobactéries. Toutefois, les cyanobactéries se multipliaient déjà dans la colonne d'eau, et cette colonne abritait déjà un grand nombre de ces organismes.