:
Merci, monsieur le président, membres du Comité.
En temps de crise mondiale, les pires et les meilleurs comportements humains ressortent. Par suite de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, l’abolition de certaines procédures de contrôle interne pour l’attribution de marchés rend le gouvernement vulnérable à la fraude, à la corruption, au détournement de fonds, à des influences indues et surtout, aux conflits d’intérêts.
Avec l’injection de dizaines de milliards de dollars dans de nouveaux programmes d’aide fédéraux, la surveillance et la reddition de comptes deviennent des paradigmes incontournables. Ainsi, des mesures de rechange doivent être mises en place pour compenser la révocation de certains contrôles internes de la conformité.
Si une intervention rapide est nécessaire en temps de crise, le maintien d’un niveau adéquat de diligence raisonnable au sein de la chaîne d’approvisionnement est essentiel pour prévenir la corruption, la fraude et d’autres pratiques illégales et contraires à l’éthique. La réputation du gouvernement et la crédibilité des programmes en dépendent.
Définissons d’abord le conflit d’intérêts.
Un conflit d’intérêts peut survenir dans tous les milieux et parfois sans égard à la volonté d’un fonctionnaire. Toute personne a des intérêts privés. Les fonctionnaires ont cependant le devoir de servir l’intérêt public et de prendre des décisions selon des critères de manière impartiale. À défaut d’être bien géré et réglé, un conflit d’intérêts peut mener à la corruption. Comme nous le voyons dans la définition que j’ai donnée, dans des situations de conflit d’intérêts, les intérêts privés de fonctionnaires peuvent influer indûment sur le processus décisionnel.
Il y a trois types de conflits d’intérêts. Le premier est ce que nous appelons le conflit d’intérêts avéré ou réel, si vous préférez. Il s’agit d’une situation dans laquelle l’intérêt privé d’un fonctionnaire est déjà en conflit avec son devoir d’agir dans l’intérêt public.
Le deuxième est un conflit d’intérêts potentiel ou futur. Il s’agit d’une situation dans laquelle l’intérêt privé d’un fonctionnaire n’entre pas encore en conflit avec son devoir de servir l’intérêt public, mais pourrait le faire à l’avenir.
Le troisième est un conflit d’intérêts apparent. Il s’agit d’une situation dans laquelle l’intérêt privé d’un fonctionnaire semble entrer en conflit avec son devoir d’agir dans l’intérêt public, même si ce n’est pas le cas.
Il y a trois types de conflits d’intérêts, donc comment les traiter?
Tout d’abord, les fonctionnaires sont tenus de révéler tout conflit d’intérêts et, si leur supérieur ou l’organe du secteur public en question leur en donne l’ordre, de mettre en œuvre une stratégie de gestion, comme la récusation, le retrait et même la démission afin d’atténuer le risque de corruption ou de perte de confiance.
Je crois fermement que toutes les lois doivent avoir du mordant pour en assurer l’observation. Qu’il s’agisse de sensibiliser les titulaires de charge publique à la loi et à son code ou de pénaliser ceux qui acceptent des pressions en sachant qu’ils traitent avec un titulaire de charge publique sans autorisation, il faut examiner cette question de manière à favoriser l’observation et à décourager tout mépris involontaire ou délibéré des lois et des codes d’éthique.
Comme je l’ai dit au début, le degré de diligence raisonnable devrait être proportionnel à l’urgence des décisions, parce que la transparence doit prévaloir et est fondamentale pour maintenir la confiance du public dans nos institutions. Oui, des décisions peuvent être prises dans l’urgence, mais nous disposons des mécanismes nécessaires pour les examiner de manière transparente pendant ou après les faits et pour tenir les décideurs comptables de ces décisions. Bien sûr, des erreurs peuvent être commises. L’essentiel est de disposer de mécanismes qui permettent de prendre des décisions urgentes, mais pas au prix, à long terme, d’une réduction de la confiance du public ou de la bonne gouvernance.
Dans les marchés publics, la prudence la plus élémentaire exige une justification et une documentation complète du processus décisionnel recommandant l’attribution d’un marché sans appel d’offres. Lorsqu’il s’agit d’attribuer un marché à fournisseur unique à une entité, il est essentiel d’obtenir des réponses précises à certaines questions. Je vais vous donner une liste de 15 questions, et elles sont très importantes.
L’entité jouit-elle d’une probité irréprochable?
L’entité possède-t-elle les compétences techniques nécessaires?
L’entité dispose-t-elle des ressources humaines nécessaires pour mener à bien le mandat?
L’entité dispose-t-elle d’une structure juridique transparente?
L’entité dispose-t-elle d’une structure de gouvernance stable?
L’entité dispose-t-elle de la stabilité financière pour mener à bien le contrat?
Des vérifications des dirigeants de l’entité ont-elles été réalisées avant l’attribution du marché?
Le marché a-t-il été attribué dans un contexte d’urgence ou de sécurité personnelle?
Les questions de conflit d’intérêts apparent, potentiel et réel ont-elles été évaluées avant l’attribution du marché?
Le marché est-il guidé par la diligence raisonnable en ce qui concerne l’intérêt du ministère?
Le marché est-il typique de la relation entre un ministère et une entité?
Le contrat comporte-t-il une disposition relative à la surveillance régulière du programme d’éthique et de conformité de l’entité qu’on envisage de retenir?
Le contrat comporte-t-il des dispositions anticorruption?
Le contrat comporte-t-il des dispositions relatives au recouvrement de fonds détournés?
Le contrat a-t-il fait l’objet d’une validation juridique avant son attribution?
En conclusion, je pense que le Comité devrait se poser quelques questions.
Les vulnérabilités connues à tous les niveaux, mais particulièrement dans les marchés publics attribués depuis le début de la pandémie, auraient-elles pu être évitées grâce à une meilleure planification prépandémique?
Autrement dit, les lois qui encadrent la bonne gestion des fonds publics, pour assurer l’optimisation des ressources, l’absence de conflits d’intérêts, un lobbying approprié, des règles pour les offres d’achat et ainsi de suite, sont-elles adaptées au contexte d’une pandémie ou d’un autre type d’urgence?
Le Comité devrait aussi se demander si les administrateurs de ces lois et les lois elles-mêmes ont suffisamment de ressources et de mordant pour en prévenir, détecter et sanctionner les violations et, en particulier, les conflits d’intérêts dans des conditions d’urgence qui exigent une transparence et une intégrité plus grandes pour maintenir la confiance des Canadiens dans leurs institutions. Le public a droit à la transparence, car c’est l’argent des contribuables qui est dépensé. L’apparence d’un conflit d’intérêts est aussi préjudiciable à la confiance du public que le conflit réel, à mon avis.
Là encore, à mon avis, il y a un lien direct entre l’urgence de la prise de décisions dans ces situations de pandémie et un degré proportionné et élevé de transparence, de surveillance et de conséquences en cas de violations de ces lois. En cette période de pandémie mondiale, où des actes répréhensibles peuvent conduire à des actions administratives ou judiciaires qui entachent la réputation, le gouvernement doit donner l’exemple et renforcer sa réputation d’intégrité. Le gouvernement et les hauts fonctionnaires doivent être plus vigilants et renforcer la structure afin de réduire le risque de favoritisme et de « clientélisme » dans l’attribution de marchés.
Des dérogations d’urgence peuvent être autorisées pour l’attribution de marchés à fournisseur unique, mais elles doivent aussi être nécessaires et non sélectives, car elles offrent des voies de contournement possible à des acteurs déviants. Le Canada dispose d’un système d’approvisionnement efficace fondé sur des règles. Il suffit donc que le gouvernement et les hauts fonctionnaires l’utilisent correctement et respectent les règles.
Un dernier mot: au-delà de la prévention de comportements frauduleux par l’effet de lois ou de normes qui s’ajoutent à un arsenal existant, il serait sage de réfléchir aussi à l’éthique et aux programmes de soutien aux personnes en position de pouvoir afin d’ancrer une culture de travail véritablement éthique, fondée sur le discernement et le questionnement avant de prendre des décisions.
Merci beaucoup. Je suis disponible pour répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président, et bonjour à tous. Je suis heureux d’être de retour sur la Colline.
Monsieur Tassé, je vous remercie de votre témoignage d’aujourd’hui. J’aime souvent dire et réfléchir philosophiquement à la façon dont, dans n’importe quelle société du monde, nous pouvons nous assurer d’avoir un bon système de gouvernement. Cela signifie que ce que nous appelons l’égalité des chances existe pour tous les citoyens, de sorte qu’ils peuvent poursuivre leurs rêves et leurs passions sans se heurter à des obstacles systémiques et, deuxièmement, que le gouvernement a la capacité d’offrir efficacement des produits et des services aux citoyens, qu’il s’agisse des soins de santé ou de programmes que les gouvernements doivent mettre en œuvre pendant une période extraordinaire et unique, comme celle que nous vivons aujourd’hui. Je pense que c’est ainsi que les gouvernements sont jugés; je pense que c’est ainsi que la société est jugée; et je pense que c’est ainsi que la société évolue.
Au Canada, les citoyens comptent chaque jour sur le gouvernement pour bien des choses de la vie, notamment la sécurité. Nous envoyons nos enfants dans des salles de classe sécuritaires où il y a de bons enseignants, et nous exigeons des normes. Je pense que cela couvre de nombreux aspects de votre travail et de ce dont vous parlez sur le plan de la gouvernance, des chaînes d’approvisionnement, de la crédibilité, etc., alors je vous remercie de votre domaine d’expertise et je vous remercie de votre témoignage ce matin.
J’aimerais me concentrer sur la diligence raisonnable, car elle est importante pour le gouvernement et les organisations. C’est la raison pour laquelle il existe des comités de vérification dans les organisations et les gouvernements, ou des groupes semblables, et c’est pourquoi les états financiers sont vérifiés. C’est pour assurer l’intégrité.
J’en viens à ma première question. Nous avons entendu que, dans le cadre de tous les accords de contribution, le rendement est habituellement mesuré à différentes étapes de l’accord et que la contribution est accordée et que le financement continue d’être versé uniquement si les indicateurs de rendement clés sont atteints. Je suis très précis ici. De toute évidence, nous nous appuyons sur ce que nous avons devant nous. N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’il s’agit d’une approche prudente et responsable?
Pendant les discussions estivales sur les finances, j’ai soulevé la question de la diligence raisonnable en posant une deuxième et une troisième question.
Je crois fermement qu’il faut se demander pourquoi nous faisons quelque chose. J’ai tendance à demander à mes enfants pourquoi ils font certaines choses, et j’ai tendance à demander aux personnes pourquoi elles croient en quelque chose. Je pose une deuxième et une troisième question, parce que je veux vraiment savoir, sur ce plan, si une politique est la bonne politique.
Je voulais simplement être certain. Au cours du témoignage, on a demandé au greffier du Conseil privé, M. Shugart, si le ou son chef de cabinet avait demandé que l’organisme UNIS soit soumis à un examen minutieux de son intégrité financière et de sa capacité d’administrer le programme. Le greffier du Conseil privé a répondu que le chef de cabinet du premier ministre avait fait valoir, et tout le monde était d’accord, qu’il fallait faire preuve de diligence raisonnable et de prudence à l’égard de cet organisme en raison de l’ampleur du programme.
Je pense que cela fait partie de la diligence raisonnable et des questions, surtout dans ce cas précis, que nous devons poser pour exercer toute la diligence raisonnable nécessaire.
N’est‑il pas approprié de poser ces questions dans le cadre de discussions entre le gouvernement et un organisme?
:
Les témoignages ont été très utiles jusqu’à maintenant. Je veux revenir à la question de la crédibilité. Évidemment, dans les dossiers que nous examinons, nous avons trouvé très difficile de corroborer les différentes versions des événements qui se sont produits jusqu’à maintenant.
Comme même les députés libéraux l’ont mentionné aujourd’hui, certaines choses ont mal tourné. Il n’y a pas eu suffisamment de surveillance ou de protection pour nous assurer que des irrégularités, ou du moins la perception d’irrégularités, ne soient pas commises.
L’ancien ministre des Finances a reçu des dizaines de milliers de dollars en vacances de luxe de la part du groupe auquel il a non seulement donné de l’argent, mais à qui il allait en donner beaucoup plus. Nous savons que ce groupe a participé à des activités partisanes, qu’il a appuyé le ministre lors d’activités de financement et aidé le sur le plan de la perception du public à son égard en produisant des vidéos de grande qualité et d’autres choses. Tout cela a été fait par ce groupe.
Ensuite, le président du groupe est venu nous dire que les personnes qui avaient pris la parole lors d’événements n’avaient pas été rémunérées. Nous avons ensuite découvert que des membres de la famille avaient été payés pour prendre la parole lors de ces événements ou pour assister à des volets organisationnels de ces événements, ce qui soulève d’autres problèmes, si, en fait, ils étaient là pour encourager de grandes entreprises à appuyer cet organisme de bienfaisance.
Nous avons découvert que de l’argent avait été versé à cet organisme, et non seulement à cet organisme, mais également à une filiale récemment créée pour s’occuper des intérêts financiers d’un portefeuille immobilier.
Il y a beaucoup de confusion, et la crédibilité de tous les témoignages laisse maintenant le public utiliser sa propre imagination. Je crois que nous avons besoin comme jamais de transparence et de divulgation de documents qui corroboreraient ces preuves.
Je ne sais pas si vous pouvez nous dire ce qui, selon vous, devrait se passer en matière de transparence et divulgation de documents qui corroboreraient ou préciseraient ce qui s’est réellement passé.