Bienvenue à la 31e réunion du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.
Je vous rappelle que la réunion est télévisée et qu'elle sera accessible sur le site Web de la Chambre des communes.
Conformément à la motion adoptée par le Comité le vendredi 11 décembre 2020, nous reprenons notre étude de la protection de la vie privée et de la réputation sur les plateformes comme Pornhub.
Nous accueillons trois témoins aujourd'hui. Souhaitons la bienvenue à Mme Melissa Lukings, qui est candidate au doctorat en jurisprudence à la Faculté de droit de l'Université du Nouveau-Brunswick; Mme Jennifer Clamen, la coordonnatrice nationale de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, ainsi que Mme Sandra Wesley, la directrice générale de l'organisme Stella.
Nous allons sans plus tarder entendre les remarques liminaires des témoins, avec Mme Lukings en premier.
Madame Lukings, nous vous écoutons.
:
J'ai déménagé à Terre-Neuve en 2007, puis au Nouveau-Brunswick en 2018.
J'ai terminé mon baccalauréat en linguistique et en psychologie à l'Université Memorial de Terre-Neuve, et je suis actuellement étudiante au doctorat en jurisprudence à l'Université du Nouveau-Brunswick.
J'ai été travailleuse du sexe pendant 13 ans. De 2008 à 2013, je travaillais chez Executifsweet Spa, un salon de massage érotique pour adultes situé à St. John's, à Terre-Neuve. J'y ai été gestionnaire pendant quatre ans, mais je travaillais aussi au salon de massage érotique Studio Aura. Depuis 2018, je travaille aussi à mon compte.
Si vous regardez ces dates, vous allez remarquer quelque chose d'assez amusant. En fait, j'étais déjà travailleuse du sexe avant l'arrêt Bedford. J'ai commencé en 2008; l'arrêt Bedford a été prononcé en 2013, et le projet de loi C-36 a été déposé en 2014. Il y a donc un chevauchement intéressant.
Durant mes années d'expérience, j'ai connu certaines formes d'exploitation sexuelle pendant huit années. Il y a donc encore un chevauchement. Fait très intéressant, cette exploitation était liée aux cryptomonnaies, à l'exploration de données et au développement d'entreprises à Terre-Neuve-et-Labrador. Je pense donc avoir une perspective de tous les aspects de ce milieu, sauf le trafic de personnes. J'ai connu l'exploitation et, bien entendu, je sais ce qu'est le travail du sexe.
J'ai fait beaucoup de bénévolat. Dernièrement, à Terre-Neuve-et-Labrador, j'ai été bénévole au Sexual Assault Crisis and Prevention Centre, à la Community Coalition for Mental Health et à la Schizophrenia Society. J'ai aussi fait du bénévolat pour Safe Harbour Outreach Project, HardOnTheRock.com, Justice reproductive Nouveau-Brunswick, Sauvons la Clinique 554, SafeSpace London. Actuellement, je collabore avec l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
En ce moment, je fais de la recherche en droit de la cybersécurité, et je m'intéresse particulièrement au contenu du Web profond, à la réglementation, aux cryptomonnaies et à la décentralisation de tout cela du point de vue du droit canadien et de la recherche sur l'encadrement légal du travail du sexe. Je viens aussi de terminer la publication d'une série de 10 articles sur les lois canadiennes en matière de cybersécurité en collaboration avec IT World Canada.
Vous ne serez pas surpris si je vous dis que j'aimerais parler aujourd'hui de la décriminalisation du travail du sexe, mais également de la réglementation du contenu sur le Web visible et de la reconnaissance des différences entre le Web visible, le Web invisible et le Web profond, ainsi que de ce qui se passe vraiment quand on applique des lois à ces domaines.
Merci.
Je m'appelle Jenn Clamen. Je suis la coordonnatrice nationale de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. L'Alliance est composée de 25 groupes de défense des droits des travailleuses et travailleurs du sexe à l'échelle du Canada. La plupart de ces groupes sont dirigés par des travailleuses et des travailleurs de l'industrie du sexe. L'Alliance a été créée en 2012 afin de permettre aux travailleuses et aux travailleurs du sexe de se faire entendre par des personnes comme vous et par le Parlement, mais aussi afin que leurs voix et leurs expériences obtiennent le respect et la légitimité qui leur reviennent, qu'on cesse de les ignorer et qu'on les prenne enfin au sérieux.
Mais avant tout, l'Alliance a été créée pour que les travailleuses et les travailleurs du sexe puissent prendre part à l'élaboration des politiques et des pratiques qui ont des répercussions sur leur vie quotidienne. C'est le travail que nous faisons ensemble.
C'est l'aspect sur lequel je voudrais me concentrer aujourd'hui, c'est-à-dire du devoir des parlementaires et des moyens qu'ils doivent prendre pour permettre aux travailleuses et aux travailleurs du sexe de donner leur avis et de les guider. Ils sont les mieux placés pour leur parler des politiques et des pratiques à mettre en place pour encadrer le travail du sexe et la pornographie en ligne.
Je voudrais tout d'abord souligner l'importance... Bien entendu, nous sommes tous d'accord pour dire à quel point il est important de garder un regard critique sur la violence ou l'exploitation sur Internet, et plus encore pour les personnes visées par la violence. Les travailleuses et travailleurs du sexe le comprennent très bien. Nous avons commencé à nous organiser pour lutter contre les agressions et la violence dans l'industrie depuis plus de 50 ans. C'est pour cette raison que nous avons voulu nous organiser. Notre but n'était pas de créer une organisation pour défendre notre droit de travailler dans l'industrie, mais pour lutter contre les agressions et la violence. C'est pourquoi les travailleuses et les travailleurs du sexe doivent être au cœur du débat, parce qu'ils sont les mieux placés. Ce sont les travailleuses et les travailleurs du sexe qui cherchent constamment des moyens de réduire la violence dans le contexte de criminalisation et de stigmatisation que l'industrie continue de subir.
Je voudrais parler aussi de ce que serait pour nous une consultation véritable, des raisons pour lesquelles c'est important, et de la manière de faire cette consultation. Nous avons déjà participé à tellement de débats parlementaires, entendu tellement de fois qu'il faut faire des consultations. Pourtant, l'invitation arrive toujours à la dernière minute, le vendredi soir avant une réunion qui a lieu le lundi matin suivant. Certaines personnes ne savent peut-être pas comment mener des consultations, et c'est très bien, mais nous pouvons leur expliquer quoi faire. Nous voulons vous montrer comment faire, en espérant que vous êtes prêts à entendre nos explications.
Jusqu'ici, les travaux du Comité ont mis de l'avant des valeurs qui ont vraiment nui aux travailleuses et aux travailleurs du sexe au Canada et partout en Amérique du Nord. Les groupes membres de l'Alliance et des travailleuses et travailleurs du sexe au Canada et aux États-Unis ont fait des pressions pour avoir une place à la table depuis le début des audiences. Le premier jour, vous avez reçu le groupe Rape Relief, qui a donné le ton au débat. Sans surprise, ce groupe a réussi à orienter le débat sur le thème de l'exploitation. C'est très clair pour les travailleuses et les travailleurs du sexe, et les dégâts ont été considérables pour eux partout au pays.
C'est clair que les travailleuses et les travailleurs du sexe ne sont pas les bienvenus dans ce débat, que leur parole n'est pas jugée valable. Depuis le début, on nous fait sentir que les travaux du Comité ne nous concernent pas, et les travailleuses et les travailleurs du sexe n'ont pas l'impression qu'ils peuvent s'exprimer publiquement et en toute sécurité dans un contexte qu'ils jugent hostile.
Je veux vous parler de ce que serait une véritable consultation, de ce que cela signifie et de ce que vous devez faire. Je serai ravie de vous envoyer le tout par écrit. Nous avons consulté nos membres au sujet de ce qui serait selon eux une véritable consultation il y a des années déjà, et nous avons rédigé un rapport pour le présenter à des moments comme celui-ci. Une véritable consultation exige de traiter les travailleuses et les travailleurs du sexe comme des experts sur les conséquences des lois liées au travail du sexe. Le plus souvent, les seuls qui sont traités comme des experts dans ce genre de discussions sont des avocats, des universitaires, des politiciens, des travailleurs sociaux et, dans le contexte de la présente étude du Comité, des gens qui ne travaillent pas dans l'industrie du sexe. C'est pourtant simple: les travailleuses et les travailleurs du sexe sont les plus touchés par la réglementation et leurs points de vue doivent être au centre de vos discussions.
Une véritable consultation suppose aussi que la participation des personnes les plus touchées par les lois est proportionnelle. Les travailleuses et les travailleurs qui sont actuellement dans l'industrie du sexe sont les plus touchés et subissent les effets de la criminalisation et de la réglementation tous les jours, et tous ceux, comme vous, qui réfléchissent à la manière de réglementer l'industrie devraient accorder plus de poids à leurs points de vue.
Une véritable consultation exige aussi de faire des enquêtes sérieuses pour trouver les véritables experts des questions liées au travail du sexe. Est-ce qu'Exodus Cry, est-ce que Rape Relief, est-ce que la GRC sont des experts? Pour notre part, la réponse est clairement non. Comment ces gens qui ne travaillent pas dans l'industrie peuvent-ils vous donner l'heure juste sur l'exploitation ou la violence? Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est vous donner un point de vue idéologique.
Une véritable consultation, c'est aussi trouver des experts en demandant aux travailleuses et aux travailleurs du sexe quels organismes et groupes communautaires sont leurs alliés, vers qui ils se tournent pour obtenir des services. Depuis le début, nous faisons des pieds et des mains pour vous transmettre des listes et des listes de personnes à qui vous devriez parler, mais vous n'en avez pas tenu compte. Croyez-moi, mon but n'est pas seulement de vous critiquer. S'il vous plaît, comprenez bien que je ne veux pas seulement me plaindre des lacunes du Comité. Mon but est de vous convaincre de vous ouvrir et d'accepter de faire les choses autrement à partir de maintenant si vous voulez en arriver à des règlements et à des politiques qui sont vraiment centrés sur les travailleuses et les travailleurs du sexe.
Pour avoir de véritables consultations, il faut aussi prendre en compte les obstacles structurels aux consultations. Autrement dit, il faut tenir compte de l'anonymat des travailleuses et travailleurs du sexe, qui ont le droit de rester anonymes et qui doivent rester anonymes, ou leur permettre de ne pas montrer leur visage. Cela veut dire proposer des dialogues à huis clos ou face à face en privé avec les travailleurs et travailleuses du sexe et les défenseurs choisis. Cela veut dire qu'il faut prévoir suffisamment de temps avant les conversations pour permettre aux travailleuses et travailleurs du sexe de se préparer à s'exprimer. Cela veut dire fournir à l'avance l'information sur les types de questions que vous posez. Cela veut dire s'attacher notamment à contacter les communautés de travailleuses et travailleurs du sexe plus marginalisés, comme les travailleuses et travailleurs du sexe racialisés, autochtones, noirs et trans. Cela veut dire organiser des réunions informelles dans ces genres de conservations pour les travailleuses et travailleurs du sexe qui sont marginalisés, notamment par la pauvreté, le statut d'immigration ou la condition autochtone.
Le Comité a reçu des mémoires et des témoignages écrits de travailleuses et travailleurs du sexe victimes de violence dans l'industrie. Ces témoignages expliquent comment la violence se produit et proposent des solutions pour l'atténuer. Aucune industrie n'est à l'abri de violations. Il y en a plus dans les industries criminalisées et stigmatisées, et nous devons nous efforcer de les combattre. Le principe de base en l'occurrence serait l'inclusion, le recentrage et le leadership de personnes victimes de ces violations. Aucune autre industrie ne prendrait de règlement sans l'avis des travailleurs.
Le Comité a pour défi de lutter contre l'exploitation dont certaines personnes sont victimes sans porter atteinte aux droits des travailleuses et travailleurs du sexe. Les personnes en première ligne dans cette industrie — les travailleuses et travailleurs du sexe — sont les mieux placées pour aider à formuler tout règlement existant ou proposé. Toute approche qui ne prend pas en compte leurs besoins leur nuira. Je vous le promets. Les travailleuses et travailleurs du sexe sont systématiquement oubliés dans les politiques qui ont une incidence sur leur vie.
Il n'est pas simple de consulter. En 2007, la Canadian Alliance for Sex Work Law Reform a organisé une consultation, qui a duré un an et demi, auprès des groupes qui la composent et des travailleuses et travailleurs du sexe de ces groupes afin de formuler une série de 54 recommandations pour la réforme du droit et des politiques. Il s'agissait d'un processus collectif visant à rédiger ces recommandations qui rejettent clairement les sanctions pénales et autres mesures répressives infligées à l'industrie, pas pour une question d'idéologie, mais en se fondant sur les conséquences de la réglementation.
Ces recommandations reposent sur une série de principes que je tiens à vous exposer parce que je pense que le Comité gagnerait à les connaître. D'après les audiences qui ont eu lieu jusqu'ici et la façon dont les conversations se déroulent — et nous écoutons très attentivement —, le Comité a vraiment besoin d'une bonne dose de neutralité plus que d'idéologie, et d'une bonne dose d'éléments. Nous voulons vous faire part de quelques-uns des principes qui sous-tendent nos recommandations.
Vendre ou échanger des services sexuels n'est pas fondamentalement immoral ou préjudiciable et ne constitue pas un trouble à l'ordre public.
La prostitution ne nuit pas nécessairement à la santé physique ou mentale des personnes qui s'y livrent, et les travailleuses et travailleurs du sexe ne deviennent pas des employés, des parents, des locataires, des clients ou des personnes indignes qui peuvent témoigner devant des comités.
La stigmatisation de la prostitution et des travailleuses et travailleurs du sexe est réelle et insidieuse, et elle est profondément ancrée dans la société canadienne et dans le reste du monde. Elle contribue au harcèlement, à la discrimination, à la violence et aux mauvais traitements. Elle contribue aussi à de mauvaises politiques, comme nous le voyons dans les discussions au Comité. Les lois et politiques et leur application reflètent et renforcent souvent la stigmatisation ou encouragent ou tolèrent les abus qui en découlent.
Il faut que la stigmatisation des travailleuses et travailleurs du sexe cesse...
J'espère que vous m'entendez dire combien il est ironique que vous ne puissiez pas m'entendre quand je parle des travailleuses et travailleurs du sexe qu'on n'écoute pas. J'espère que cela vous fera sourire. Peut-être m'entendez-vous quand je dis cela.
Madame Gaudreau, m'entendez-vous maintenant? Vous trouvez ma plaisanterie drôle, fantastique.
Je vais continuer avec quelques-uns des principes sur lesquels reposent nos recommandations.
Les derniers portent sur le fait que les mesures répressives ou d'interdiction supplémentaires ciblées sur les travailleuses et travailleurs du sexe et les activités liées à la prostitution nuisent presque toujours aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe. Certains des mémoires que vous avez reçus, notamment celui de West Coast LEAF et d'autres partenaires, exposent clairement les faits à ce sujet.
Toute loi, politique ou mesure répressive à laquelle vous pensez en ce moment même devrait réellement maximiser l'autonomie des travailleuses et travailleurs du sexe en leur permettant de travailler de façon aussi sécuritaire que possible, conformément à leurs droits à des conditions de travail sécuritaires, à la liberté, au respect de leur vie privée, à la non-discrimination et à la dignité.
Je m'arrêterai là, mais il est beaucoup question des jeunes aussi au Comité. Il y a beaucoup d'amalgames entre les jeunes, l'exploitation, l'industrie du sexe et la traite des personnes. Ces termes sont lancés à tort et à travers. Dans nos recommandations pour la réforme du droit, nous avons pris le temps avec des centaines de travailleuses et travailleurs du sexe de parler des recommandations relatives aux jeunes. Je tiens également à vous en faire part, parce que nos recommandations découlent de la reconnaissance de la capacité des personnes, y compris celles qui ont moins de 18 ans, de penser et de prendre des décisions dans un ensemble donné de situations dans lesquelles vit n'importe qui.
Toute l'attention portée à l'exploitation des enfants et à la traite des personnes à ce comité est exagérée. Je ne dis pas que ces choses n'existent pas en réalité, mais elles sont exagérées en ce qui concerne les conversations à ce comité. Réduire tout le contenu en ligne à une exploitation des jeunes nuit vraiment à la capacité des travailleuses et travailleurs du sexe de préserver leur sécurité et complique la lutte contre la violence dans l'industrie. Quand tout est considéré comme de la violence dans l'industrie, il est difficile de savoir quand les travailleuses et travailleurs du sexe sont réellement victimes de violence.
Les groupes de l'Alliance recommandent les principes suivants pour comprendre les jeunes et en ce qui concerne toute réglementation les visant: une approche axée sur la réduction des méfaits dans laquelle les autorités sont tenues d'utiliser la méthode la moins intrusive à l'égard des jeunes en veillant à préserver la communauté; et le constat que la répression, les arrestations, la détention et la réadaptation sont souvent vécues comme hostiles et traumatisantes, avec pour résultat que souvent, les jeunes évitent plutôt de chercher de l'aide.
Les groupes membres de l'Alliance recommandent également de s'appuyer sur les lois existantes au lieu d'en adopter de nouvelles, de prendre des règlements supplémentaires et d'ajouter d'autres mesures d'exécution de la loi qui font que des personnes fuient les aides plutôt que d'y recourir.
Je conclurai en disant que la semaine dernière, nous avons entendu dire ce que tous les travailleurs et travailleuses du sexe redoutaient comme résultat des travaux du Comité. On nous a assuré que cela n'avait rien à voir avec le Comité, mais nous avons entendu Bill Blair déclarer qu'il envisageait de créer un nouvel organisme de réglementation du contenu en ligne. Nous ne saurions trop insister, réglementer davantage n'est pas la solution et un tel organisme nuira, en fait, aux travailleuses et travailleurs du sexe ainsi qu'à l'industrie en général pour ce qui est des droits des travailleuses et travailleurs du sexe.
Il y a aussi le travail parallèle en cours sur le projet de loi présenté au Sénat par Julie Miville-Dechêne.
S'ajoute à cela le refus continuel du Parlement de décriminaliser la prostitution, bien qu'il soit prouvé que la réglementation et la criminalisation portent préjudice aux travailleuses et travailleurs du sexe.
Cibler la prostitution sur Internet pendant une pandémie est une mesure tellement agressive et violente de votre part et de la part que tous ceux qui examinent la réglementation en ce moment. Internet est un lieu sûr pour tellement de travailleurs incapables de faire face aux conditions liées à la COVID, comme tellement de travailleuses et travailleurs du sexe. Certains, mais pas tous, sont passés en ligne, ce qui leur permet de gagner leur vie. Il est donc important, plus que jamais, de protéger ces espaces et de veiller à ce que les travailleuses et travailleurs du sexe puissent continuer de travailler sans violence ni exploitation.
Si vous voulez savoir comment protéger les personnes sur des plateformes telles que Pornhub, créez un comité, recevez les personnes qui mettent leur contenu sur Pornhub, recevez les travailleuses et travailleurs du sexe et parlez avec eux.
Je vous remercie.
:
Bonjour. Je m'appelle Sandra Wesley.
[Français]
Normalement, je devrais témoigner en français, parce que nous sommes un groupe montréalais. Par contre, en raison des problèmes d'interprétation et du temps à notre disposition, je vais le faire en anglais.
Je suis vraiment désolée; je m'excuse auprès de madame Gaudreau et des autres francophones.
[Traduction]
Je vais poursuivre en anglais.
[Français]
Par contre, je serai très heureuse de répondre aux questions en français.
[Traduction]
Avant de commencer, je tiens à dire clairement que l'hostilité du Comité envers les travailleuses et les travailleurs du sexe va accentuer la violence dont nous sommes victimes. Jusqu'ici, le Comité a agi de manière hostile et il a nui aux travailleuses et aux travailleurs du sexe. Chaque nouvelle mesure répressive envers les travailleuses et les travailleurs du sexe est un arrêt de mort pour plusieurs d'entre nous. C'est aussi sérieux que cela pour nous. Tous les propos dégradants et déshumanisants à notre sujet sont de la musique aux oreilles de chaque agresseur, chaque abuseur et chaque exploiteur.
C'est ce qui s'est passé récemment à Atlanta, où un homme a essayé d'éliminer tous les salons de massage où travaillaient des Asiatiques. Cet homme a tué plusieurs femmes dans un salon de massage. Ce genre de choses arrivent souvent. Quand nos gouvernements envoient le message qu'ils veulent nous éliminer, des gens décident de prendre les choses en main et de remplir eux-mêmes la mission du gouvernement, par différents moyens.
Stella est un organisme dirigé par des travailleuses du sexe pour des travailleuses du sexe. Il a été fondé à Montréal en 1995. Nous représentons et nous sommes nous-mêmes des travailleuses du sexe. Nous ne représentons pas les parties de l'industrie et nous ne défendons pas leurs droits. Nous n'avons aucune opinion sur aucune entreprise ou aucun individu en particulier qui engagent des travailleuses et des travailleurs du sexe. Nous ne sommes ni pour ni contre. Des sites Web fonctionnent très bien pour certaines personnes, mais ils peuvent être un cauchemar pour d'autres. Cela dit, les tiers sont nécessaires pour beaucoup de travailleuses du sexe. Surtout pour celles qui travaillent en ligne... Une travailleuse du sexe ordinaire n'a ni le temps, ni l'énergie, ni les connaissances pour créer son propre site Web, pour organiser la distribution, les méthodes de paiement, le traitement. Nous avons besoin d'autres personnes pour y arriver.
Notre milieu est très diversifié et très vaste. On y trouve des femmes qui travaillent dans le domaine de la pornographie à temps plein ou à temps partiel. Certaines personnes tournent des vidéos avec d'autres ou en solo, qu'elles produisent elles-mêmes ou avec des tiers. Des femmes diffusent du contenu sur les grandes plateformes comme Pornhub, sur les sites de petites communautés ou sur leurs propres sites Web. Des femmes se filment et présentent du contenu en direct ou préenregistré. Il existe toutes sortes de modèles, qui combinent par exemple le travail sur le Web avec d'autres sortes de travail du sexe, en personne ou à distance. Il est très important de ne pas avoir une vision étroite de la pornographie, de ne pas vous concentrer sur un seul site et de faire des règlements qui s'appliquent seulement à ce site, sans tenir compte de l'immense diversité de l'industrie du sexe.
Pour revenir à votre étude en particulier, nous ne voulons pas chercher à savoir pourquoi vous avez jeté votre dévolu sur Pornhub en particulier. Par contre, nous savons dans quel contexte c'est arrivé. En décembre 2020, un article du New York Times pointait Pornhub du doigt et faisait toutes sortes d'allégations sur son contenu et ses procédures. Pour notre communauté de travailleuses du sexe, ce genre de reportage sensationnaliste n'a rien de nouveau. Ils durent depuis des dizaines d'années. Des gens militent depuis longtemps contre la pornographie et le travail du sexe. C'est leur façon de fonctionner. Ils essaient de trouver les histoires les plus sensationnalistes et les plus dramatiques, et ils les publient dans les médias pour faire réagir la société. Au fil du temps, leur lutte ouverte contre la pornographie en général a perdu son effet. Ils ont changé leur angle d'approche et ont réussi à braquer les projecteurs sur la violence et l'exploitation, le trafic des personnes ou la présence des jeunes dans l'industrie du sexe.
Ces arguments très émotifs ne sont pas forcément représentatifs des véritables objectifs de ces groupes ou de la réalité du travail du sexe, et ils polarisent le débat. Vous pouvez lutter contre l'exploitation et y englober le travail du sexe et la pornographie, mais vous pouvez aussi défendre les droits des travailleuses et des travailleurs du sexe. D'une manière ou d'une autre, c'est perçu comme un appui à cette forme d'exploitation.
Je vous exhorte donc, vous qui avez le devoir et qui vous êtes engagés, à titre de députés, à faire votre travail en fonction de la Charte et non de vos émotions, à prendre du recul et à réfléchir à la situation d'une manière plus objective et non idéologique. J'aimerais que vous vous demandiez pourquoi vous avez décidé d'accorder autant d'énergie à donner suite à un article du New York Times qui a été rédigé par un journaliste qui exploite depuis longtemps le filon sensationnaliste non seulement du travail du sexe, mais de la violence sexuelle en général.
Ce journaliste a déjà été dénoncé parce qu'il avait inventé de toutes pièces une histoire [Difficultés techniques] organisation et qui a récolté beaucoup d'argent pour cette organisation fictive. Nous savons que ce journaliste n'a pas les standards les plus élevés, qu'il profite de son statut de journaliste pour promouvoir son idéologie contre le travail du sexe.
Vous avez aussi entendu parler de ceux qui ont lancé le mouvement anti-Pornhub, à qui vous avez même prêté l'oreille. Un de ces groupes a un nouveau nom et s'appelle dorénavant le National Center on Sexual Exploitation. C'est une nouvelle image de marque pour un groupe qui s'appelait il n'y a pas si longtemps Morality in Media.
Morality in Media a été fondé au début des années 1970, ou peut-être à la fin des années 1960. À l'origine, son mandat était d'éradiquer la littérature érotique des librairies parce qu'elle allait à l'encontre de leurs valeurs chrétiennes. Ce groupe est bien connu aux États-Unis, où il a mené des campagnes pour boycotter Disney dans les années 1990 à cause de son contenu non chrétien, pour abolir le National Endowment for the Arts parce qu'il y avait apparemment du contenu sexuel dans l'œuvre de certains artistes, et pour boycotter Madonna et d'autres artistes de la culture populaire. En fin de compte, son objectif est d'éliminer tout contenu sur le Web, tout ce qui dans la société ne correspond pas à sa vision des relations, qui doivent être hétérosexuelles, chrétiennes et monogames.
Il y a quelques années, comme ce message ne menait nulle part, le groupe a revu son image et s'est concentré sur l'exploitation sexuelle et le trafic des personnes parce que ces mots à la mode retiennent automatiquement l'attention et font qu'on écoute leur message. Qui est à l'origine de ce mouvement? Certainement pas quelqu'un qui a le bien-être des femmes et des travailleuses et des travailleurs du sexe à cœur.
L'autre groupe, Exodus Cry, a aussi revu son image ces dernières années, mais c'est essentiellement un groupe religieux qui propage des messages très violents, surtout contre la communauté LGBTQ2S+. Son but est aussi d'éliminer toute forme de sexualité qui n'est pas conforme à sa norme chrétienne. Ce groupe milite férocement contre les gais, les personnes transsexuelles les travailleuses et travailleurs du sexe. Ces gens nous détestent et ils veulent notre peau.
Collectivement, ces groupes ne sont pas des amis des travailleuses et des travailleurs du sexe, c'est évident. Le lancement d'une étude fondée sur leur vision d'un problème ne pourra jamais avoir une issue positive pour la communauté. Leur seul but est d'éradiquer la pornographie.
Vous avez aussi entendu des groupes qui se disent féministes et qui ont aussi des visions très idéologiques. Leurs arguments ne sont pas fondés sur la religion, mais sur une vision du féminisme qui est de plus délaissée et même exclue des courants dominants. Ils sont fondamentalement contre les personnes transsexuelles et contre les travailleuses et les travailleurs du sexe, et ils partagent aussi l'objectif des groupes religieux de se débarrasser de nous. Ce serait une grave erreur de les écouter si vous voulez rendre notre travail plus sûr et apporter des changements qui amélioreront la sécurité des travailleuses et des travailleurs de notre industrie. Ce n'est tout simplement pas leur but.
Depuis longtemps, toutes sortes de mesures répressives sont prises contre le travail du sexe sur Internet ou contre Internet en général, en utilisant le prétexte du travail du sexe pour promouvoir cette idéologie. Dans les années 1990, quand Internet est devenu un produit de consommation courante, ces mêmes groupes se sont mobilisés aux États-Unis pour faire interdire Internet, ni plus ni moins. À cette époque, les États-Unis ont adopté une loi dont une des dispositions dégageait les sites Web de toute responsabilité quant au contenu diffusé sur leurs plateformes. C'est cette loi qui est à l'origine d'Internet tel que nous le connaissons aujourd'hui.
La première atteinte à ces droits est venue des lois américaines Fight Online Sex Trafficking et Stop Enabling Sex Traffickers, ou FOSTA-SESTA, adoptées il y a quelques années. Ces mesures ont créé une exception à l'article 230 et font en sorte que les sites Web sont maintenant responsables des activités liées au travail du sexe sur leurs plateformes. Les effets ont été dévastateurs. Je vous invite à prendre connaissance de ce que les travailleuses et les travailleurs du sexe ont à dire au sujet de FOSTA-SESTA aux États-Unis et ailleurs. Elles sont responsables de beaucoup de morts et de violence, et elles ont ouvert la porte à de plus en plus de réglementation d'Internet, si bien que la censure frappe aujourd'hui toutes sortes de contenus.
Des sites Web comme Tumblr, sur lequel il y avait du contenu sexuel, ont choisi de tout supprimer, même s'il n'y avait aucun lien avec le travail du sexe la plupart du temps. Ils ne voulaient absolument pas se faire prendre. Facebook a interdit les émojis d'aubergine et de pêche. C'est plutôt amusant d'un certain point de vue, mais c'est aussi une indication de la manière dont cette responsabilité mène les entreprises à éliminer sans merci tout contenu sexuel. À cause de cela, c'est beaucoup plus difficile pour les jeunes queers et d'autres jeunes d'avoir une éducation sexuelle en ligne parce que ce contenu aussi est considéré comme pornographique et donc banni.
Je veux traiter un peu des besoins réels des travailleuses et travailleurs du sexe, quand il s'agit de…
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Bien sûr. Je vais passer rapidement sur les besoins pour en arriver à la conclusion.
Pour les travailleuses et travailleurs du sexe qui utilisent Internet, comme pour quiconque se sert d'Internet pour diffuser n'importe quel type de contenu sexuel, on a cerné quatre grandes catégories de besoins.
La première est celle des revenus. Nous travaillons dans l'industrie du sexe pour gagner de l'argent et toute politique qui nous prive de notre source de revenus n'est pas féministe, n'est pas utile et constitue une autre forme de violence contre nous.
En ce qui concerne la sécurité, il faut éviter de divulguer qui nous sommes et toute politique qui nous imposerait de donner notre nom officiel nous exposerait à toutes sortes de violences et, pour nous, serait malvenue.
En ce qui concerne la protection de la vie privée, il faut que nous soyons en mesure de faire notre travail sans divulguer notre véritable identité. Nous avons entendu des témoins vous dire qu'ils voulaient, par exemple, la tenue d'un registre dans lequel seraient inscrits tous les propriétaires de sociétés de pornographie, toutes les personnes ayant travaillé dans le domaine de la pornographie ou qui accèdent à de la pornographie. Cela aurait pour effet d'éliminer toutes les petites sociétés de productions pornographiques au profit de quelques grandes entreprises, ayant les moyens de retenir les services d'avocats et d'utiliser des prête-noms comme propriétaires de ces entreprises, afin que l'identité des exécutants ne soit pas dévoilée. Ce serait donc très problématique pour nous.
Nous voulons aussi être traitées dignement, qu'on nous considère comme des êtres humains précieux. Nous tenons à ce que notre travail soit reconnu et apprécié. Les gouvernements doivent cesser de se comporter comme si nous n'étions que des pions qu'il peut manipuler à sa guise quand il veut agiter la population ou créer chez elle un sentiment de déliquescence morale.
Tant que ce gouvernement voudra se débarrasser des travailleuses et travailleurs du sexe, comme il le fait actuellement avec son Code criminel, la violence sera toujours présente et il n'y aura pas de solution pour rendre ce milieu plus sécuritaire pour tous, pour les gens qui y sont volontairement et pour ceux dont les vidéos sont mises en ligne sans leur consentement.
Les travailleuses et travailleurs du sexe que nous sommes ne veulent pas sacrifier leur vie pour vous rassurer face à votre déliquescence morale ou pour appuyer vos projets de lutte contre la pornographie. Nous demandons le respect de nos droits et nous voulons que nos alliés, qui défendent normalement nos droits, n'oublient pas toutes les leçons des années antérieures dès qu'on parle de pornographie.
Plus de 200 000 personnes ont regardé cette vidéo d'elle agressée alors qu'elle avait été droguée et était inconsciente. Ce jour d'août, mortifiée après la découverte de cette trahison qui lui a donné le vertige, elle a pensé se suicider:
Elle se souvient: « J'étais dans mon garage, tenant un nœud coulant accroché à une poutre, mais j'ai finalement changé d'idée. » Elle poursuit: « Je me suis dit que s'il m'a fait ça il va faire la même chose à quelqu'un d'autre demain. » Elle a décidé de trouver une solution et de se battre, pour empêcher qu'il arrive la même chose à d'autres filles.
Plusieurs des témoins que nous avons entendus nous ont raconté des histoires similaires.
M. Kristof insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas là de pornographie, mais bien d'un viol et d'une agression sexuelle. Il a également entendu une étudiante canadienne dire: « Je n'ai pas de problème à ce que des adultes ayant donné leur consentement tournent des scènes pornographiques. » Ce qui la préoccupe est que nombre de personnes apparaissant dans ces scènes ne soient pas des adultes consentants, comme ce fut son cas. M. Kristof raconte que, quand elle a eu 14 ans, un homme l'a incitée à s'adonner à des jeux sexuels sur Skype. Il l'a enregistrée en cachette. Un clip vidéo dans lequel on donnait son nom au complet s'est retrouvé sur le site XVideos, le site de pornographie le plus visité dans le monde. Google facilitait la recherche de cette vidéo illégale d'abus sexuels d'un enfant. L'étudiante canadienne a raconté à Nicholas Kristof l'insistance avec laquelle elle a demandé à XVideos de retirer ce clip. Au lieu de cela, XVideos en a hébergé deux copies de plus afin que des centaines de milliers de personnes puissent la regarder avec concupiscence au moment le plus horriblement gênant de sa vie.
Je tiens aussi à souligner qu'une autre étude parue au début du mois pourrait se révéler importante pour les travaux du Comité. Publiée par le British Journal of Criminology, elle a examiné la mesure dans laquelle les scènes d'agression sexuelle et de violence semblent être devenues la norme dans le domaine de la pornographie. En analysant les vidéos et les titres figurant sur les sites d'hébergement de pornographie les plus populaires au Royaume-Uni, c'est-à-dire XVideos, Pornhub et XHamster, cette étude a constitué le plus important échantillon de recherche sur la pornographie en ligne à ce jour, avec plus de 130 000 vidéos. Elle est unique par l'intérêt qu'elle porte au contenu publicisé immédiatement auprès des nouveaux utilisateurs. Les chercheurs ont constaté qu'un titre sur huit de ceux montrés à un nouveau visiteur sur la page principale des sites pornos annonce des violences sexuelles ou des contenus non consensuels.
Monsieur le président, nous avons entendu des gens de toutes origines nous raconter comment ils ont été ciblés et exploités par des entreprises comme Pornhub et c'est précisément le sujet de cette étude.
Kate avait 15 ans et son ancien ami en avait 20. Il aimait, entre autres, enregistrer des vidéos tournées à domicile et il l'a filmée. Un jour il lui a montré la vidéo sur un site pornographique. Elle a essayé de faire retirer le contenu de Pornhub, mais il lui a fallu des années pour y parvenir.
Rosa avait 16 ans et elle avait trop bu lors d'une fête chez un ami. Quand elle s'est réveillée, il y avait des photos d'elle nue sur Pornhub avec son nom et son numéro de téléphone. Elle a été tellement harcelée au téléphone et dans des messages texte qu'elle a dû changer de numéro.
Nicole a décidé à 14 ans d'avoir sur FaceTime une discussion à caractère sexuel avec un inconnu. C'est une décision qui allait changer sa vie. Elle ne savait rien de son interlocuteur, ni son nom, ni son âge, ni rien d'autre. Elle a raconté lui avoir montré des parties intimes de son corps. Elle l'ignorait à ce moment-là, mais il a enregistré une vidéo et l'a téléversée sur Pornhub, sous le titre « Jeune adolescente ». Ce qualificatif n'a pas retenu l'attention de Pornhub alors qu'il aurait du suffire à faire effacer cette vidéo de son site. « Des années plus tard, des camarades de classe ont découvert que j'avais fait de la pornographie, alors que j'étais enfant. Je me suis adressée maintes fois à la police pour faire supprimer cette vidéo, mais je n'y parviens pas. »
Voici maintenant une vidéo de Rosella qui a été violée quand elle avait 14 ans. Cette vidéo est pourtant toujours en ligne sur Pornhub.
À 15 ans, Kyra a été contrainte de participer à un acte sexuel filmé. La vidéo a été téléversée sur Pornhub, par un mineur et sans son consentement. Personne n'a vérifié l'âge de la jeune fille ni si elle avait donné son consentement. « À la suite de cela, j'ai fait face à des problèmes d'images, de TSPT et j'éprouvais de la gêne face aux questions sexuelles. Cela a duré de cette époque jusqu'à l'âge adulte. C'est ce qui m'est arrivé, mais j'ai entendu des histoires similaires d'autres femmes. Je ne pardonnerai jamais à Pornhub d'avoir permis ainsi qu'on abuse de moi et de l'avoir rendu public. Cela m'a fait revivre ma peine, année après année après année. »
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Je vous remercie, madame Lattanzio, de convenir que nous avons contribué aujourd’hui au débat.
Avec votre permission, je vais commencer par dire à M. Viersen que son intervention justifie à elle seule notre réticence à témoigner devant des comités comme celui-ci, mais que, en même temps, elle explique que nous nous sentions obligées d’y participer. La pratique du discrédit est une tactique courante. Trois personnes sont venues témoigner et M. Viersen ne leur demande aucune précision ni ne manifeste aucun intérêt pour ce qu’elles ont dit. Il ne fait que discréditer complètement nos témoignages et louanger M. Kristof, et sa parole quasi divine, alors qu'il confond aussi tous les problèmes.
Je vous remercie, monsieur Viersen, de nous avoir donné un aussi bon exemple de la façon de tout confondre. Nous avons entendu les expériences vraiment horribles d’abus et de viols dont Mme Legarde a été victime, des pratiques que nous combattons dans l’industrie du sexe depuis si longtemps, à la fois comme femmes et comme simples êtres humains. Il n’est pas digne d’assimiler ces expériences traumatisantes aux situations vécues par les personnes qui travaillent volontairement dans l’industrie du sexe. Il y a çà et là des lignes en petits caractères expliquant que nous ne savons pas avec certitude qui consent ou non à quelque chose, mais de là à passer ensuite à des histoires d’adolescentes d’une quinzaine d’années filmées avec leurs partenaires de façon à laisser entendre que c’est toujours une forme d’exploitation.
C’est précisément la raison pour laquelle ce comité ne parvient malheureusement pas, comme M. Viersen, à poser les bonnes questions comme, par exemple, celles que vous posez maintenant en nous demandant quelles sont les préoccupations des travailleuses et travailleurs du sexe. Merci de le demander.
Je vous dirai que ce qui préoccupe ces travailleurs qui ont recours aux services en ligne sont les diverses formes de répression dont ils sont victimes. La peur est très largement répandue chez eux. Ces travailleurs se voient éjectés des plateformes en ligne. Les sociétés de cartes de crédit ont peur à cause des menaces constantes d’accusations de participer à des trafics de mineurs, même quand rien n’indique que ce soit le cas. Les sociétés de cartes de crédit se retirent du domaine.
Les travailleuses et travailleurs du sexe ont carrément plus de difficultés à gagner leur vie, en particulier dans le contexte d’une pandémie pendant laquelle ils n’ont reçu absolument aucune aide du gouvernement. La plupart d’entre eux n’ont pas pu ou n’ont pas voulu demander la PCU par crainte du rejet des demandes de travailleurs ou travailleuses du sexe. Dans ce contexte dans lequel certains travailleurs du sexe sont passés à des services en ligne pour gagner de l’argent, il devient de plus en plus difficile d’y gagner sa vie et les travailleurs du sexe sont de plus en plus pauvres.
Cette répression complique vraiment les activités des travailleurs et des travailleuses du sexe.
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J’en ai effectivement une.
J’aimerais tout d’abord revenir sur ce qu’a dit M. Viersen. J’ai eu l’impression qu’il décrivait une partie de ma vie. On m’a fait prendre une fois du Temazepam, ce qui m’a rendue inconsciente, et on en a profité pour me filmer. Je comprends donc fort bien ce dont il s’agit. Je vois également l’autre côté de la médaille.
Un problème important avec les activités en ligne des travailleuses et travailleurs du sexe est que, actuellement, ces sites Web ne respectent pas les dispositions de la LPRPDE, la législation sur la protection de la vie privée dont le Canada s’est déjà doté pour les organismes qui s’adonnent à des activités commerciales. Cette loi prévoit déjà des amendes pour les entreprises, et la nouvelle Loi sur la mise en oeuvre de la Charte numérique de 2020, déposée en décembre, aura pour effet d’augmenter sensiblement le montant de ces amendes.
Ce n’est toutefois pas là le coeur du problème. La difficulté est qu’en empêchant les contenus en ligne d’être hébergés par les sites Web plus sécuritaires, nous obligeons en vérité les gens à passer sur des plateformes chiffrées et anonymisées qui se trouvent sur le Web caché. Pour vous aider à bien le comprendre, permettez-moi une métaphore: c’est comme si vous tiriez une flèche dans une pièce qui se trouve dans le noir. C’est le Web caché. Lorsque nous détectons des cas d’exploitation, de trafic des personnes, de violence ou de quoi que ce soit d’autre sur l’Internet caché, on peut l’assimiler à tirer une flèche dans une pièce plongée dans le noir. Nous ne pouvons pas voir où la flèche se rend. Nous ne pouvons relever que des actions ponctuelles; donc lorsque nous cliquons sur un lien ou lorsque cela déclenche une action, nous pouvons parfois observer ce phénomène.
C’est vraiment comme tirer une flèche dans une pièce plongée dans le noir. Ce que nous faisons maintenant est de forcer des gens, qui s’adonnent de façon consensuelle à des activités sexuelles dans un cadre commercial, à se retirer de la partie visible du Web. Nous pouvons assimiler le Web à un iceberg et j’en fais état dans mon dernier mémoire. Quand nous quittons la partie visible du Web pour plonger dans le Web caché, cela sature le marché sur le Web caché avec des vidéos ou d’autres productions consensuelles et d’autres fondées sur l’exploitation d’autrui. Si nous parvenions à faire la publicité des productions consensuelles, et à ce que celles-ci soient hébergées dans des régions visibles du Web, alors les fois où vous tireriez une flèche dans la pièce et toucheriez quelque chose, vous auriez davantage de chances d’attraper quelqu’un en train de commettre un crime, plutôt que de perdre du temps, des ressources et des moyens juridiques à essayer de suivre cette personne qui produit ou participe à quelque chose de consensuel.
Je passe actuellement une partie importante de mon temps de travail en ligne. Ce qui me paraît le problème le plus important pour les travailleurs et les travailleuses du sexe est que ces lois, et le fait d’empêcher les gens de faire de la publicité ou d’héberger du matériel sur ces sites Web, ont pour effet de retirer les possibilités de paiement par Visa, PayPal et Mastercard. Les gens passent alors aux cryptomonnaies. Celles-ci ne permettent pas de suivre l’argent parce qu’elles sont cryptées sur un système différent de routeurs. Ces transactions commencent par passer par un noeud, le noeud centralisateur, après lequel vient toute une série de noeuds relais. Je peux vous fournir un diagramme et j’en ai d’ailleurs inséré un dans mon mémoire.
Nous obligeons donc les gens à utiliser des cryptomonnaies, qui sont décentralisées et pour lesquelles on ne dispose pas de traces documentaires. En procédant ainsi, nous rendons plus difficile toute intervention et toute cueillette d’éléments de preuve. Si l’exploitation d’une personne pose un problème, et qu’il s’avère nécessaire de faire quelque chose à ce sujet, on ne parvient pas à trouver de preuves documentaires.
À mon avis, en contraignant les gens à passer sur des plateformes du Web caché cryptées et anonymisées qui utilisent des cryptomonnaies, ce que nous faisons en réalité est de contraindre les gens à se cacher encore plus que jamais auparavant.
C’est, à mes yeux, la plus importante préoccupation parce que, actuellement, en ayant accès à Pornhub et à son contenu, nous pouvons voir ce qui s’y passe. C’est une chose que d’aller sur Internet et de dire: « Oh regardez, il y a une vidéo de moi. » C’en est une autre que de recevoir du Web caché des courriels anonymisés au sujet d’une vidéo que vous ne pouvez même pas voir parce quelle se trouve sur le Web caché. C’est encore pire, bien pire. En contraignant les gens à se cacher, c’est le genre de scénario dont nous facilitons l’apparition.
Je voulais répondre à vous deux sur ce sujet-là.
Je vais vous laisser un peu de temps, même si je ne dispose que de quelques minutes.
Je pense que votre témoignage a porté ses fruits, mais j'aimerais que nous allions encore plus loin ensemble. Il y a de nombreuses interprétations et nous percevons beaucoup d'images. J'aimerais faire la lumière sur certaines choses.
Je suis une nouvelle députée et, comme mes collègues le savent, je suis entrepreneure. Je saisis donc bien le sujet. D'ailleurs, j'ai fait des interventions psychosociales pendant plusieurs années et je suis issue du milieu communautaire. Ma responsabilité est le souci du vivre-ensemble et la compréhension de nos enjeux.
Nous avons un problème, en ce moment. En tant que parlementaires, nous nous devons de respecter notre système. Le système dans lequel nous vivons ne suit pas du tout le rythme de nos problèmes, de l'autoroute de l'information et d'Internet.
Essentiellement, notre comité veut se pencher sur la protection des renseignements personnels. C'est la petite fenêtre pour que votre sécurité et votre dignité soient assurées, comme Mme Wesley l'a mentionné, et pour que vous n'ayez pas de souci relatif à votre travail. Tout cela m'attriste, malheureusement, mais cela vous appartient. Cela dit, le fruit de notre travail nous permettra peut-être d'agir avec le Groupe des cinq, car il s'agit d'un problème planétaire.
Aux comités, nous nous devons d'entendre différents témoignages dont nous ne connaissons pas nécessairement les éléments qui seront abordés. Par contre, ce comité-ci a vraiment un lien avec la sécurité publique.
Évidemment, nous n'avons pas le contrôle de ce qui est divulgué dans la population ou par les médias. En revanche, je me souviens très bien des questions que j'ai posées et des éléments que j'ai communiqués. Je n'ai jamais, jamais porté de jugement. Je ne me le permettrais pas, car je pense à mes adolescentes qui, par inadvertance, pourraient vivre une situation comme celle que vous connaissez. Ça, c'est l'élément que je trouve inacceptable.
Nous pouvons réfléchir à la façon de nous y prendre pour aborder la question. Cependant, quand nous avons une modification de loi à faire, nous nous devons évidemment de parler aux gens qui ont vécu le problème à l'étude. Bien que nous voulions aller rapidement, notre système reste très lent et il ne va pas à la même vitesse que la technologie, sans compter le contexte actuel de pandémie. Sur ce point, je suis d'accord avec vous. Or cela revient en fait à l'éducation. Au même titre qu'il est important d'apprendre à se connaître, tant pour vous que pour nous, il est aussi important d'apprendre comment fonctionne le Parlement.
Par ailleurs, je représente le Québec et, au Québec, on agit rapidement; des mesures ont déjà été mises en œuvre pour consolider le tout. Actuellement, vous êtes aux prises avec cette situation, nous sommes tous pris là-dedans. Il faut mettre en place des mesures tout en évitant que vous subissiez des dommages collatéraux.
Nous sommes issus de différents domaines. Comme je suis psychosociologue de formation, j'aimerais savoir, en quelques secondes, si vous comprenez la différence entre notre comité et les autres comités, comme le Comité permanent de la condition féminine et le Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
Nous voulons protéger la population et veiller à ce que toute initiative soit lancée avec le consentement de tous, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
J'aimerais vous entendre à ce sujet. Vous disposez de 30 secondes chacune.
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Très bien. Je vous remercie de ce commentaire.
C'est un point que je tiens vraiment à clarifier, parce que nous avons un mandat très simple, qui est de déterminer si des images sont ou non utilisées sans consentement. C'est par là que nous avons commencé et c'est là que nous étions rendus. Nous avons reçu quantité de mémoires venant de concitoyens représentant tous l'éventail politique, comme c'est leur droit. Savoir si quelqu'un aime ou non Madonna ne m'intéresse guère, mais ce que je veux savoir est si la législation en vigueur a suffisamment de dents pour protéger les personnes qui n'ont pas donné leur consensus.
C'est l'article paru dans le New York Times qui a déclenché cette étude. Il ne me paraît pas utile de prétendre que le contenu de cet article est fabriqué de toutes pièces ou qu'il relève d'une sorte de programme d'extrême droite. Il pose des questions très sérieuses. Pourquoi une personne, qui a été un enfant, et dont les images ont été exploitées…? Pourquoi ces images ont-elles été mises sur Pornhub sans que vous parveniez à les faire retirer? C'est une question simple et directe. Nous imaginions que les réponses seraient passablement simples à obtenir.
Je me suis entretenu avec un dirigeant de Pornhub qui m'a dit être fort déconcerté par le refus de ce site de résoudre ces cas. Il m'a expliqué qu'il semble que ces cas ne représentent qu'un très faible pourcentage de l'ensemble de leur modèle d'affaires, qui se révèle par ailleurs très rentable. Je n'ai aucun intérêt dans le secteur de la pornographie, qu'il soit ajouté à… ce n'est pas mon problème. Mon problème est celui-ci: Pourquoi la vidéo de Serena Fleites s'y trouvait-elle et pourquoi ne parvenait-elle pas à la faire retirer? Ce n'était pas une jeune femme travaillant dans l'industrie du sexe, mais une enfant. C'est tout.
Nous avons des lois qui devraient s'appliquer dans de tels cas. Les droits des travailleuses et travailleurs du sexe à exercer dans un contexte sécuritaire me paraissent tout à fait légitimes et méritent d'être discutés, mais si je m'en tiens au mandat du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, il s'agit de savoir si les personnes qui n'ont pas donné leur consentement bénéficient ou non d'une protection.
Je trouve parfaitement ridicule qu'un représentant de la GRC ait expliqué à une victime que la police fédérale n'avait pas le mandat de saisir sa vidéo d'assaut sexuel parce que les conditions d'utilisation du site Pornhub le protègent. Or, le consentement qui avait été donné était celui de son assaillant et non le sien. Vous pouvez, mesdames et messieurs, penser que ce sont des histoires destinées à semer la confusion, à fâcher les gens et à les influencer… Pour moi, c'est ce que j'ai entendu un témoin raconter. Je crois que si une victime appelle la GRC et leur dit: « Écoutez, je n'ai pas donné mon consentement »… Personne ne croit les victimes. Elles s'adressent tout le temps à la police, qui ne prend pas pour argent comptant les témoignages des travailleuses et travailleurs du sexe.
Je veux savoir que les lois en vigueur dans ce pays pour des cas de cette nature… Il faut que leur application soit relativement simple. Pornhub est une entreprise très puissante. Elle dispose de tous les outils disponibles dans le monde pour se défendre. Quand des problèmes sont soulevés, comme c'est le cas avec Pornhub, qui est une société canadienne, nous pouvons nous attaquer à elle. Nous ne pouvons pas le faire avec les autres et nous n'avons d'ailleurs pas le mandat de le faire. Toutefois, quand quelqu'un fait état d'un problème en nous disant: « J'ai été agressée et la vidéo est toujours affichée sur ce site », il devrait être relativement simple de retirer cette vidéo sans empiéter sur n'importe lequel des droits des travailleuses et des travailleurs du sexe. Je trouve que c'est quelque chose qui devrait être relativement simple à faire.
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Les règles actuelles en vertu de la LPRPDE prévoient une amende pour les entreprises qui enfreignent les dispositions relatives à la protection de la vie privée. Toutes les entreprises doivent respecter ces règles et doivent suivre une façon particulière de collecter leurs propres données, de les utiliser, de les manipuler, de les communiquer, d'y accéder et d'autoriser des personnes à y accéder.
Il n'y aurait rien d'extraordinaire, dans l'application de la Loi de mise en oeuvre de la Charte du numérique, à augmenter l'amende infligée aux plateformes en ligne, sans les interdire totalement ou faire qu'il soit impossible pour elles de fonctionner. Il s'agit de réduire les méfaits. Ce serait plus sûr que de forcer les gens à opter pour le Web caché, où nous ne pouvons littéralement rien faire. Nous ne pouvons pas intervenir ni aider du tout. Il faut savoir qu'avec la Loi de mise en oeuvre de la Charte du numérique, nous avons la possibilité d'envisager l'avenir et dire, très bien, nous voudrions vraiment dire que ce n'est pas bien de faire cela à des personnes, mais en bannissant ou en interdisant des choses, nous les obligeons à opter pour la clandestinité. Qu'a donné la prohibition?
Nous avons l'occasion d'en parler maintenant. Qu'attendons-nous des médias sociaux? Qu'attendons-nous d'autres plateformes sans parler de criminalisation...? Pour moi, il ne s'agit pas de criminaliser, mais de réglementer les entreprises. Sans criminaliser les personnes qui se trouvent dans le contenu, nous pouvons imposer à l'entreprise de vérifier qui sont les utilisateurs.
Pensez aux mêmes types de précautions que votre banque pourrait utiliser. Vous avez un NIP. Certaines plateformes en ligne vous demandent de présenter votre permis de conduire. Si un utilisateur télécharge un contenu qui n'a pas été créé de manière consensuelle, il peut être signalé et envoyé directement au modérateur. J'ai moi-même un site Web que j'exploite. Je sais donc comment cela fonctionne. Il est possible de signaler des contenus et de les envoyer au propriétaire du site Web qui peut ensuite vérifier qui est l'utilisateur. Vous avez son permis de conduire. Il est possible de le retrouver. C'est parfait. Cela marche très bien, bien mieux que le Web caché.
En augmentant les contrôles et la sécurité que l'entreprise doit assurer, sans réglementer les personnes concernées, mais en imposant des obligations à l'entreprise, on réduit la criminalisation des travailleuses et travailleurs du sexe. Cela nous aide à repérer et à aider les personnes qui sont exploitées ou dont des images sont téléchargées sans leur consentement. Elles ont ainsi plus de pouvoir, parce que dès que la vidéo est signalée, elle est supprimée.
C'est une possibilité. Nous avons la technologie nécessaire pour le faire. Nous pouvons le faire de manière que ce soit automatique. Réellement.