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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 34e séance du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes. J'aimerais rappeler aux membres du Comité et à ceux qui se sont joints à nous que la réunion est télévisée et qu'elle sera accessible sur le site Web de la Chambre des communes.
Pour la première heure, conformément au paragraphe 81(4) du Règlement, nous étudions le Budget principal des dépenses 2021-2022, crédits 1 et 5 sous la rubrique Commissariats à l'information et à la protection de la vie privée du Canada.
Aujourd'hui, certains des témoins qui comparaissent à la première heure resteront pour la deuxième heure. Ils seront présents pour la deuxième séance de la journée, en quelque sorte. À la première heure, nous accueillons les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada: le commissaire à la protection de la vie privée du Canada Daniel Therrien; le sous-commissaire du Secteur de la conformité Brent Homan; le sous-commissaire du Secteur de la gestion intégrée Daniel Nadeau; et le sous-commissaire du Secteur des politiques et de la promotion Gregory Smolynec. Ce dernier n'était pas arrivé il y a un instant, mais il s'est peut-être joint à nous. Dans le cas contraire, il sera avec nous plus tard.
Monsieur le commissaire, je vous cède la parole pour votre déclaration liminaire.
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Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés.
Cela me fait plaisir de vous rencontrer aujourd'hui et de discuter pendant les deux prochaines heures du Budget des dépenses de 2021-2022, donc de nos activités en général, puis de la question fondamentale qu'est la reconnaissance faciale. La discussion se déroulera évidemment dans un contexte où un projet de loi très important, le projet de loi , a été déposé à la Chambre des communes.
L'année dernière a été une année de transition pour de nombreuses organisations, et le Commissariat n'y a pas échappé. Il a dû rapidement adapter ses processus pour continuer à servir les Canadiens durant la pandémie.
Cela a également été une année de transition sur les plans budgétaire et législatif. Le Commissariat s'est vu attribuer une augmentation permanente du financement de 15 % dans le budget fédéral de 2019 pour l'aider à répondre à ses besoins les plus urgents d'ici la réforme législative. Cette hausse du budget a permis au Commissariat d'élargir ses activités en matière de politiques et d'orientation, d'améliorer ses services-conseils offerts aux organisations et de faire face aux pressions découlant des nouvelles exigences de déclaration obligatoire des atteintes, aussi appelées « fuites de données » dans le secteur privé.
Le Commissariat a également reçu du financement temporaire pour l'aider à réduire une très grande partie de l'arriéré des enquêtes sur les plaintes de plus d'un an. À ce chapitre, nous avons atteint, voire légèrement dépassé, notre objectif et réduit l'arriéré des plaintes de 91 %. Nous sommes d'ailleurs très fiers de ce résultat.
Au cours de la dernière année, nous avons, entre autres, publié des documents d'orientation sur la protection de la vie privée en temps de pandémie, dont un cadre contextuel visant à aider les organisations gouvernementales à protéger la vie privée dans le contexte des initiatives liées à la COVID-19. Conformément à ce cadre, nous avons étudié l'application Alerte COVID et conseillé le gouvernement à cet égard. À la suite d'une consultation publique, nous avons publié nos principales recommandations visant à réglementer l'intelligence artificielle.
Nous avons aussi produit notre premier rapport sur l'inspection des registres d'atteintes à la vie privée — il s'agit encore des fuites de données. De plus, nous avons analysé plusieurs initiatives législatives et formulé des recommandations. Citons notamment notre mémoire sur l'examen de la Loi sur l'accès à l'information et celui sur la modernisation de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur public, qui a fait l'objet d'une consultation par le ministère de la Justice.
Enfin, après une analyse détaillée du projet de loi , nous avons terminé la rédaction d'un autre mémoire. Tous ces documents, sauf le mémoire sur le projet de loi C-11, sont actuellement accessibles sur notre site Web.
Bien que l'injection de fonds dans le cadre du budget de 2019 nous ait aidés à réduire notre arriéré et à augmenter notre capacité, un écart très important subsiste. Alors que s'accélère la numérisation en cette période de pandémie, nous continuons d'éprouver de la difficulté à répondre à la demande en matière d'orientation, de lignes directrices et de services-conseils, ainsi qu'à aider nos enquêteurs à donner suite aux plaintes déposées par les Canadiens.
Dans sa mise à jour économique de l'automne, le gouvernement a prévu des fonds pour appuyer la mise en œuvre et l'application du projet de loi . Il s'agit évidemment d'une bonne chose. Toutefois, maintenant que nous connaissons l'étendue de nos nouvelles responsabilités découlant de cette loi, nous estimons que des fonds supplémentaires seront nécessaires.
[Traduction]
Le projet de loi impose plusieurs nouvelles responsabilités au Commissariat, dont l'obligation d'examiner les codes de pratique et les programmes de certification et de donner des conseils aux organisations sur leur programme de gestion de la protection de la vie privée. Il convient de souligner qu'il s'agit d'activités à caractère non discrétionnaire, ce qui signifie que, chaque fois qu'une entité ou qu'une organisation se tournera vers nous pour obtenir des conseils ou une approbation, nous serons tenus de nous prononcer.
La possibilité de collaborer ainsi avec les entreprises est une bonne chose. Il y a quelques années, j'ai remanié le Commissariat dans la perspective d'une approche plus proactive en vue d'inciter les organisations à se conformer à la loi. Nous avons créé deux nouvelles directions pour collaborer de façon proactive avec des organisations des secteurs public et privé, sur une base volontaire, sur les risques d'atteinte à la vie privée ayant un impact élevé. Ces activités se sont intensifiées pendant la pandémie. En fait, elles ont été très prisées.
Comme vous le savez, un autre rôle que nous jouons est d'enquêter sur les plaintes pour violation alléguée de la loi. Toutefois, ce n'est pas notre seul rôle. Pour être un organisme de réglementation efficace, le Commissariat doit être stratégique dans ses activités de conformité et de consultation, en adoptant une approche axée sur les risques.
Comme nous l'expliquions en détail dans le mémoire que nous avons rédigé sur le projet de loi , nous nous inquiétons du fait que, compte tenu du caractère non discrétionnaire de nos responsabilités selon ce projet de loi, nous ne serons pas en mesure de desservir à la fois les plaignants et les organisations tout en mettant l'accent sur les préjudices causés aux Canadiens de manière générale. Nous estimons que des ressources supplémentaires seront nécessaires, mais l'argent ne constitue pas le principal enjeu. Le Commissariat devrait avoir le pouvoir discrétionnaire voulu pour gérer sa charge de travail, répondre aux demandes des organisations et aux plaintes des consommateurs de la façon la plus efficace et la plus efficiente possible, et réserver une partie de son temps aux activités qu'il entreprend, en se fondant sur son évaluation du risque pour les Canadiens. Des organismes de réglementation partenaires au Canada et à l'étranger, qu'il soit du domaine ou non de la protection de la vie privée, profitent dans une large mesure d'un tel pouvoir discrétionnaire.
Une autre option visant à équilibrer nos différentes activités consisterait à veiller à ce que le rôle confié au Commissariat en ce qui concerne l'approbation des codes de pratique et des programmes de certification dans le projet de loi soit conditionnel au versement de droits pour le recouvrement des coûts afin que nous disposions de la capacité nécessaire pour accomplir cette tâche, et pour donner suite à nos autres priorités. En fin de compte, aucun organisme de réglementation ne dispose de ressources suffisantes pour traiter toutes les demandes qu'il reçoit des citoyens et des entités réglementées. Il est important que le Commissariat ait la souplesse nécessaire pour affecter ses ressources d'une manière qui s'avérera la plus avantageuse pour les Canadiens, et pour ajuster ses activités afin de faire face aux nouvelles tendances qui se profilent à l'horizon.
En plus des modifications qui découlent du projet de loi , le ministère de la Justice a présenté des propositions dans ses récentes consultations portant sur la modernisation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la loi du secteur public, lesquelles modifieraient également en profondeur notre rôle dans le secteur public. Nous sommes favorables dans une large mesure à ces modifications. Il est question notamment d'un nouveau mandat en matière d'éducation du public, du pouvoir de formuler des orientations destinées aux institutions gouvernementales, d'un rôle consistant à publier des avis préalables, de la supervision de projets pilotes et d'un pouvoir discrétionnaire élargi au chapitre de la publication des résultats en matière de conformité. Le ministère de la Justice propose également un rôle élargi en matière de conformité pour le Commissariat, comme un pouvoir élargi de vérifier les pratiques de manière proactive et une certaine forme de pouvoir de rendre des ordonnances. Nous avons déjà commencé à planifier ces volets.
[Français]
En conclusion, je souligne le fait que, alors que nous nous tournons vers l'avenir, il sera important de pouvoir compter sur des lois modernes, nous donnant la possibilité d'agir efficacement en tant qu'organisme de réglementation. Il conviendrait aussi d'attribuer au Commissariat les ressources financières nécessaires pour appliquer ces lois.
Je suis impatient de collaborer avec le Parlement à l'amélioration de propositions législatives afin que nos lois modernes protègent adéquatement le droit à la vie privée des Canadiens, tout en favorisant une innovation responsable.
Je vous remercie de votre attention.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
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Comme je l'ai mentionné dans mon exposé... Tout d'abord, je dois dire que dans l'Énoncé économique de l'automne dernier, environ 18 millions de dollars par année ont été prévus. Il s'agit d'un document quasi budgétaire. Toutefois, cette somme n'était pas destinée uniquement au Commissariat, mais bien à toutes les institutions gouvernementales qui seront appelées à mettre en œuvre le projet de loi . Nous en aurons une partie.
Ce montant a été établi à la suite d'une consultation avec notre bureau qui a eu lieu avant que nous ne voyions le projet de loi . Maintenant que nous sommes au fait du texte législatif, nous constatons que nous jouons un rôle dans l'approbation des codes de pratique de l'industrie, et aussi dans la prestation de conseils sur demande aux entreprises à propos de leurs programmes de protection de la vie privée. Nous n'étions pas au courant lorsque nous avons présenté nos prévisions au gouvernement, mais maintenant que nous le savons, nous constatons qu'un financement accru sera nécessaire.
Sans compter l'augmentation du financement — je vais répéter ce que j'ai dit dans ma déclaration —, nous sommes tout à fait favorables au rôle que nous confère le projet de loi relatif aux codes et aux conseils à l'intention des entreprises. Cependant, en toute franchise, nous ne pourrons pas répondre à chacune des demandes que nous recevrons. C'est pourquoi je pense qu'il faut dialoguer avec les entreprises à cet égard. Des fonds supplémentaires seront nécessaires, mais nous devons également disposer d'une certaine latitude pour gérer notre charge de travail et continuer ce que nous avons fait jusqu'à présent, c'est-à-dire offrir nos services sans devoir répondre à la moindre demande. Nous traitons par exemple celles qui semblent présenter les risques les plus élevés pour la vie privée.
C'est une question d'argent dans une certaine mesure, mais nous voulons aussi avoir la liberté d'accepter la plupart des demandes, et d'en refuser d'autres si notre budget ne nous le permet pas.
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Les sujets qui pourraient faire l'objet d'une enquête ne manquent pas. Il faut donc utiliser nos ressources pour enquêter sur les sujets qui posent le plus de risques. Par exemple, nous avons commencé une enquête sur l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le domaine de l'emploi. Cela me semblait un problème particulièrement important en raison des risques sérieux que cela pose pour les candidats à l'emploi.
Les difficultés nous amènent à faire des choix. Pour tous les ministères, les ressources financières ne sont pas illimitées et nous ne demandons pas d'avoir un budget illimité non plus. C'est normal que nos capacités financières comportent des limites. Nous essayons de répartir nos activités en fonction d'une analyse de risques. Parmi nos activités, il y a les enquêtes, dont celles pour lesquelles nous prenons des initiatives par opposition à celles qui font l'objet d'une plainte. Les individus nous présentent des plaintes auxquelles nous devons répondre. C'est important d'y répondre, car, pour eux, nous représentons un mécanisme d'accès à la justice pour les citoyens. Cependant, ils n'auront pas nécessairement connaissance des pratiques qui sont les plus risquées pour la vie privée, d'où la nécessité de pouvoir commencer des enquêtes nous-mêmes. Il faut être capable de faire les deux.
Par ailleurs, il faut aussi jouer un rôle proactif, en donnant, par exemple, des avis aux entreprises et aux ministères et en publiant des lignes directrices. Le projet de loi nous donnera un rôle d'approbation en matière de codes de pratique et nous permettra de conseiller les entreprises. Tout cela est parfait, mais, à cause de l'accélération de la révolution numérique, il nous faut plus de fonds. Nous sommes en train d'évaluer quantitativement nos besoins. Il faudra malheureusement refuser certaines demandes, parce que nous ne pouvons pas tout faire.
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C'est notre évaluation du risque en fonction de ce que nous observons dans divers milieux qui le détermine. Dans le présent contexte, la loi actuelle et la loi à venir, dans le cadre du projet de loi , nous obligent à enquêter lorsque des plaintes nous sont acheminées.
Sauf dans de très rares cas, lorsqu'une plainte est déposée par un citoyen, la loi nous oblige à enquêter. C'est une contrainte réelle. Encore une fois, il y a des avantages à ce système, notamment en matière d'accès à la justice. Nous sommes un ombudsman qui dispose d'une procédure relativement accélérée, plus simple que celle des tribunaux judiciaires.
Je comprends tout cela, mais il reste que cette situation crée une contrainte réelle, car nous devons systématiquement faire une enquête lorsqu'une plainte nous est acheminée. Nous sommes d'avis que, à l'instar d'autres organismes de réglementation en matière de vie privée, nous devrions disposer d'une plus grande marge de manœuvre. Il faut se demander quelles seraient les voies de recours si le Commissariat n'était pas en mesure de faire une enquête relativement à une plainte. Le projet de loi C-11 parle, entre autres, de droit privé d'action devant les tribunaux.
Ce sont des questions délicates, mais le fait de devoir faire une enquête sur chacune des plaintes que nous recevons est une contrainte réelle.
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Merci, monsieur le président.
Je vous souhaite le bonjour à vous tous et la bienvenue à vous, monsieur le commissaire.
Dans le temps dont je dispose… Je sais que nous nous focalisons sur le Budget principal des dépenses, mais, ce qui compte le plus à mes yeux, c'est que votre bureau dispose des ressources qui vous serviront à remplir utilement votre tâche et votre mandat.
Voyons maintenant quelque chose concernant… Je m'informe sur votre bureau et je le suis de très près depuis mon arrivée au Comité, vers la fin de l'année dernière. Nous venons d'écouter l'étude citée par M. Angus. Voici ce que dit ce document, qui date de mai 2018, sur le consentement valable :
Le consentement valable est un élément essentiel des lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. En vertu de ces lois, les organisations doivent généralement obtenir un consentement valable pour la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels. Toutefois, les avancées technologiques et l'utilisation de longs énoncés légalistes des politiques de confidentialité rendent trop souvent illusoires le contrôle et l'autonomie personnelle qui devraient être rendus possibles par le consentement. Le consentement devrait demeurer un élément central, mais il faut donner un nouveau souffle aux manières de l'obtenir.
Pouvez-vous formuler des observations sur cette entrée en matière?
J'ai lu votre discours du 25 mars 2021 ainsi que l'information présentée par Clearview AI. Je ne parviens pas encore à croire l'affirmation qu'on y lisait, selon laquelle les lois canadiennes sur la protection de la vie privée ne s'appliquent pas aux activités de cette compagnie, parce qu'elle ne possède pas de liens réels avec le Canada, même après avoir rassemblé trois milliards d'images de Canadiens et produit les données en question.
Pouvez-vous en dire un peu plus sur le consentement valable et sur le juste milieu à trouver entre cette notion et les objectifs des consommateurs, des entreprises et des particuliers?
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Visiblement, c'est une très grande question. J'essaierai de lui faire honneur en quelques secondes ou minutes.
Le consentement est un aspect fondamental de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou LPRPDE, la loi en vigueur, et il continuera de jouer un rôle central sous le régime de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, ou LPVPC, édictée par le projet de loi , qui font une place au consentement, en 2021, pour la protection de la vie privée. Il faut des règles pour s'assurer que lorsque le consentement est efficace, il est obtenu de façon valable. D'après moi, ça signifie en partie s'assurer que les consommateurs qui donnent leur consentement ont une bonne idée de ce à quoi ils consentent, ce qui n'est pas évident. C'est là que le consentement est efficace.
Comme je le disais dans les documents que vous citiez, dans l'état actuel de l'évolution des techniques numériques, il se présente de nombreuses situations, dont la liste s'allonge, où le consentement n'est pas vraiment efficace, particulièrement en intelligence artificielle, par exemple, où la technologie vise à employer de l'information à d'autres fins que ce pour quoi on l'a obtenue. Ce n'est pas vraiment propice à l'emploi du consentement comme moyen convenable de protéger la vie privée.
Actuellement, en 2021, et dans les années qui suivront, le consentement aura une utilité, mais il faut aussi des lois qui reconnaissent qu'il n'est pas toujours efficace. Ensuite, nous devons trouver un moyen convenable de protéger la vie privée en l'absence de consentement. C'est là, à mon avis, que gît la difficulté réelle, dans la discussion de ces enjeux, particulièrement avec le projet de loi .
Le projet de loi prévoit beaucoup plus d'exceptions au consentement, certaines convenables, d'autres, d'après nous, trop générales. Comment protéger la vie privée si le consentement n'est pas le moyen préféré de la protéger? Nous proposons de la protéger en nous adossant sur les droits de la personne. D'autres modèles sont proposés, par exemple le modèle fiduciaire, auquel M. Angus faisait allusion.
La difficulté extrême qui guette le Parlement, dans les mois à venir, est de déterminer les cas où le consentement est inopérant, ce qui arrive parfois, et ce serait un bon modèle pour continuer à protéger suffisamment la vie privée en l'absence de consentement.
Je tiens d'abord à affirmer mon accord absolu avec mon collègue Sorbara sur l'importance d'aboutir à un bon résultat avec le projet de loi , qui concerne les droits de 38 millions de Canadiens, parce que nous en avons l'obligation.
Notre comité a proposé un certain nombre de recommandations sur les pouvoirs du commissaire à la protection de la vie privée de rendre des ordonnances ainsi que sur le pouvoir rendu nécessaire d'imposer de lourdes amendes. L'immense majorité des atteintes à la vie privée sont d'après nous accidentelles ou non malveillantes, mais des exploitants ont commis des infractions. Facebook nous a dit qu'il ne s'estimait pas obligé de respecter les lois canadiennes. Comme nous constatons la même mentalité chez Clearview AI, il est donc évident qu'il faut vous donner plus d'outils.
Ce qui m'inquiète, dans le projet de loi , c'est cette idée de créer un tribunal de réglementation à qui ces entreprises pourraient ensuite s'adresser pour obtenir une décision.
Je voudrais d'abord vous demander si nous avons un exemple de ce genre de tribunal qui peut passer outre à la décision d'un commissaire à la vie privée dans un autre pays ou dans une autre province, et ce que vous en pensez. Vous dites que vous croyez que ce tribunal inciterait des compagnies à plutôt interjeter appel que de trouver un terrain d'entente sur les décisions du commissaire, ce qui retarderait et paralyserait la justice pour les consommateurs et le droit à la protection de la vie privée.
Que pensez-vous de ce ballon d'essai du gouvernement?
Dans cette deuxième heure, nous lançons notre étude sur les logiciels de reconnaissance faciale et les inquiétudes qu'ils soulèvent. Nous accueillons le commissaire, qui a accepté de rester encore une heure, pour répondre à certaines questions sur le sujet de cette étude.
Merci, monsieur le commissaire, de demeurer avec nous.
M. Homan demeure également avec nous, mais nous accueillons Mme Lara Ives, directrice des Politiques, de la recherche et des affaires parlementaires. Merci d'être ici. Enfin, nous accueillons le conseiller juridique Regan Morris.
Je vous remercie également d'être ici, monsieur le commissaire.
Je vous cède la parole pour votre déclaration préliminaire qui nous permettra de lancer la discussion. Nous aurons ensuite des questions pour vous.
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Encore une fois, merci, monsieur le président.
[Français]
La technologie de reconnaissance faciale est devenue un outil extrêmement puissant qui, comme nous l'avons vu dans l'affaire impliquant Clearview AI, peut identifier une personne dans une banque de milliards de photos ou encore parmi des milliers de manifestants. Si elle est utilisée de manière responsable et dans des situations appropriées, elle peut offrir d'importants avantages à la société.
Par exemple, dans le domaine de l'application de la loi, elle peut permettre à la police de résoudre des crimes ou de retrouver des personnes disparues. Toutefois, elle nécessite de recueillir les renseignements personnels sensibles qui sont propres à chaque individu et qui ont un caractère permanent. La technologie de reconnaissance faciale peut être extrêmement envahissante sur le plan de la vie privée. En plus de favoriser une surveillance généralisée, elle peut produire des résultats biaisés et miner d'autres droits de la personne.
L'enquête récente sur l'affaire Clearview AI, menée conjointement avec mes homologues de trois provinces, a permis de démontrer la manière dont la technologie de reconnaissance faciale peut donner lieu à une surveillance de masse et contribuer à traiter des milliards d'innocents en suspects potentiels. Malgré nos conclusions selon lesquelles les activités de Clearview AI violaient les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels, l'entreprise a refusé de suivre nos recommandations, comme celle de détruire les photos de Canadiens.
Par ailleurs, le Commissariat mène actuellement une enquête sur l'utilisation par la Gendarmerie royale du Canada, ou GRC, de la technologie de Clearview AI. Cette enquête est presque terminée. Nous collaborons aussi avec nos collègues de l'ensemble des provinces et des territoires afin d'élaborer un document d'orientation sur l'utilisation de la reconnaissance faciale par les corps policiers. Nous devrions publier une ébauche de ce document aux fins de consultation au cours des prochaines semaines.
[Traduction]
L'affaire Clearview prouve que la technologie de reconnaissance faciale rend les citoyens vulnérables à la surveillance de masse. Tel n'est pas le genre de société dans laquelle nous souhaitons vivre. La liberté de vivre et de s'épanouir sans surveillance est un droit fondamental de la personne. Les gens ne renoncent pas à leur droit à la vie privée simplement en évoluant dans le monde d'une manière qui peut révéler leurs visages à d'autres personnes ou permettre à une caméra de capter leur portrait.
Le droit à la vie privée est une condition préalable à l'exercice d'autres droits de la personne. En plus de poser de graves risques à l'égard du droit à la vie privée, les utilisations de la technologie de reconnaissance faciale qui sont mal réglementées réduisent aussi la capacité d'exercer d'autres droits, comme la liberté d'expression et d'association, l'égalité et la démocratie. Nous devons nous assurer que nos lois sont à la hauteur et qu'elles imposent des limites qui assurent le respect des droits fondamentaux lorsque cette technologie est utilisée.
Afin de réglementer efficacement la technologie de reconnaissance faciale, nous devons prévoir dans nos lois de meilleures mesures de protection, notamment une approche de la protection de la vie privée fondée sur les droits, de véritables mesures de responsabilisation et des pouvoirs accrus d'application de la loi. Le gouvernement fédéral a récemment présenté deux propositions pour moderniser nos lois sur la protection des renseignements personnels. Il s'agit d'opportunités importantes pour mieux réglementer l'utilisation de la reconnaissance faciale et d'autres technologies nouvelles.
En novembre dernier, le ministère de la Justice a publié un document de consultation exhaustif et prometteur, qui présentait de nombreuses propositions susceptibles d'améliorer la législation sur la protection des renseignements personnels dans le secteur public fédéral. Ce document propose des exigences accrues en matière de responsabilisation ainsi que des mesures visant à assurer une véritable surveillance et des recours rapides et efficaces. Il propose aussi un seuil de collecte plus rigoureux qui obligerait les institutions à prendre en compte plusieurs éléments afin de déterminer si la collecte de renseignements personnels est « raisonnablement requise » pour réaliser les fins exactes visées. Par exemple, ces institutions devraient s'assurer que les avantages prévus de la collecte sont évalués par rapport à l'intrusion dans la vie privée, de sorte que la collecte sera juste, non arbitraire et proportionnée quant à sa portée.
Dans le secteur privé, le projet de loi édicterait la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs. À mon avis, ce projet de loi doit faire l'objet d'importantes modifications afin de réduire les risques liés à la technologie de reconnaissance faciale. Les risques que cette technologie pose prouvent la nécessité de protéger les droits et les valeurs des citoyens par un solide cadre législatif fondé sur des droits. Le ministère de la Justice propose l'inclusion, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, d'une déclaration d'intention qui préciserait que l'un des principaux objectifs de cette loi serait de « protéger la dignité humaine, l'autonomie personnelle et l'autodétermination », reconnaissant ainsi la portée large du droit à la protection des renseignements personnels, en tant que droit de la personne.
Or, d'après le projet de loi , il faut concilier l'antinomie de la protection de la vie privée et des intérêts commerciaux. En fait, par rapport à la loi actuelle dans le secteur privé, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, le projet de loi donne plus de poids aux intérêts commerciaux en faisant prendre en considération de nouveaux facteurs commerciaux dans la recherche de l'équilibre, au mépris des leçons des 20 dernières années sur les empiétements de la technologie.
Clearview a pu s'appuyer sur le libellé de la version actuelle de la susdite loi fédérale pour prétendre que ses motifs étaient acceptables et que ses intérêts l'emportaient sur le droit à la vie privée. Bien que, dans notre décision, nous ayons rejeté ces arguments, des commentateurs ont laissé entendre que nos conclusions seraient une façon de contourner la déclaration d'intention de la loi en question, en ne donnant pas suffisamment de poids aux intérêts commerciaux. Même si nous avons conclu que Clearview avait enfreint la loi en question, un certain nombre de commentateurs, y compris la compagnie, mais pas seulement elle, affirment que nous avons mal appliqué cette déclaration.
Si le projet de loi était adopté sous sa forme actuelle, Clearview et ces commentateurs pourraient toujours formuler de tels arguments, en s'appuyant sur une déclaration d'intention qui privilégie les facteurs commerciaux. Je vous invite à clairement indiquer, dans le projet de loi, que, en cas de conflit entre les objectifs commerciaux et la protection de la vie privée, celle des Canadiens doit avoir préséance. Dans notre mémoire d'analyse du projet de loi, nous formulons des recommandations précises sur le texte qui permettrait d'atteindre cet objectif.
[Français]
Les mesures de responsabilité démontrable constituent un autre mécanisme fondamental qui permettrait de protéger les Canadiens contre les risques posés par la reconnaissance faciale. Les obligations de protéger la vie privée dès la conception, d'effectuer des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée et d'assurer la traçabilité à l'égard de la prise de décisions automatisée sont les principaux éléments d'un cadre de responsabilité véritable. Même si la plupart de ces mesures de responsabilité font partie des propositions du ministère de la Justice visant à moderniser la loi du secteur public, aucune ne figure dans le projet de loi .
Les efforts déployés pour réglementer la technologie de reconnaissance faciale doivent aussi comporter de solides mécanismes de conformité qui offrent aux citoyens des recours rapides et efficaces.
Notre enquête sur Clearview Al a permis de démontrer que l'entreprise avait enfreint deux obligations prévues par nos lois sur la protection des renseignements personnels. L'entreprise a, d'une part, sans consentement et, d'autre part, à des fins inacceptables, recueilli, utilisé et communiqué des renseignements biométriques.
Étonnamment — je dirais même de façon choquante — le nouveau régime de pénalités administratives du projet de loi ne s'appliquerait pas à ces manquements ni à d'autres contraventions importantes à la loi. Un tel régime de pénalités vide de sens les lois censées protéger les citoyens.
Je vous invite donc instamment à modifier le projet de loi pour remédier à une lacune aussi fondamentale.
En conclusion, je dirai que la nature des risques liés à la technologie de reconnaissance faciale nous enjoint à réfléchir collectivement aux limites de ce que constitue une utilisation acceptable de cette technologie. Ces limites devraient être définies non seulement par rapport aux risques liés à des initiatives ponctuelles, mais en tenant compte des conséquences sociétales de l'accumulation de ces initiatives au fil du temps.
Dans un contexte où les capacités technologiques d'intrusion dans la vie privée ne cessent d'augmenter, nous devons nous demander quelles sont les attentes que nous devrions établir maintenant pour l'avenir de la protection de la vie privée.
Je vous remercie encore une fois de votre attention.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Therrien, je tiens à vous remercier de votre sagesse. À cause de l'imminence du projet de loi , il est tellement important de nous y opposer.
Quand on voit fonctionner pour la première fois la reconnaissance faciale, c'est tellement sympa. Nous avons tous entendu parler de l'affaire des centres commerciaux de Cadillac Fairview. Peut-être pourrons-nous, aujourd'hui, en venir à ce sujet, mais même des sites comme Facebook proposent le paramètre de reconnaissance faciale « tag suggestion » et l'activent par défaut. Ces sites recueillent des données sur les utilisateurs, des photos de leur visage, souvent à leur insu. C'est le point de départ que je choisis pour la discussion d'aujourd'hui.
Je viens d'Oshawa, l'un des berceaux de l'industrie automobile, dont les employés ont fait comme la navette entre les deux pays, en traversant de nombreuses fois la frontière. Je tiens à aborder le sujet de l'utilisation internationale de la reconnaissance faciale. J'ai entendu dire que l'efficacité des services frontaliers pouvait être améliorée. Je me demande si vous pouviez faire des observations sur la possibilité, peut-être, de choisir des options de rejet ou d'acceptation par défaut, si, pour le travail ou le plaisir, nous traversons plusieurs fois la frontière.
Y a-t-il des discussions au niveau international sur le droit de supprimer et de détruire l'information qui peut être recueillie sur les Canadiens qui vont à l'étranger?
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur Therrien, plus je vous écoute, plus je réalise que l'étude du projet de loi constitue toute une corvée. La situation de la protection de la vie privée est vraiment préoccupante. C'est un sujet qui préoccupe tout le monde, ici au Québec du moins, et je suis convaincu que c'est pareil dans le reste du Canada, voire sur la planète entière.
Je m'inquiète un peu de ce que vous nous dites relativement au projet de loi , qui ne couvrirait peut-être pas tous les angles, dont certains seraient assez importants. Je note, entre autres, votre mise en garde concernant le fait que les données de reconnaissance faciale sont immuables. Une fois qu'on aura ces données, elles seront là à vie. Je note aussi la question des échanges entre pays, où l'on doit être encore plus prudent, parce que les protections ne sont pas les mêmes dans tous les pays. À l'époque où nous vivons, les échanges entre pays étant de plus en plus nombreux, j'imagine qu'on doit être de plus en plus prudent, et y consacrer plus de temps et d'efforts. Ce sont là certaines des inquiétudes que nous avons.
Au moment où le projet de loi a été préparé, êtes-vous intervenu? Est-ce que le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique a été appelé pour conseiller le ministre, et a-t-il essayé d'inclure les différentes mesures de protection qui vous semblent manquer dans l'actuelle version du projet de loi? Avez-vous préparé un rapport ou un autre document?
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Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Therrien, lorsque nous avons appris l'affaire concernant Clearview AI, cela semblait être le pire scénario possible. En effet, cette entreprise avait récupéré des millions de photos de Canadiens sans leur consentement — les fêtes d'anniversaire de nos enfants, nos barbecues privés, les gens au travail — et avait ensuite créé une base de données qu'elle vendait à toutes sortes d'organisations.
L'entreprise prétend que c'était pour la police, mais nous savons que des agents de police individuels y ont eu accès sans supervision. Nous savons qu'un milliardaire, John Catsimatidis, a utilisé ces données pour cibler le petit ami de sa fille. Vous avez mené une enquête. L'attitude manifestée par les dirigeants de Clearview AI était que nous ne sommes que des Canadiens et qu'ils ne se sentent même pas obligés de respecter nos lois.
Une nouvelle loi, à savoir le projet de loi , est entrée en vigueur. D'après ce que j'avais compris, ce projet de loi corrigerait ces choses, afin que nous ayons plus de pouvoirs et que nous soyons en mesure de cibler ces entreprises pour qu'elles respectent la loi. Êtes-vous en train de nous dire que le projet de loi appuiera en réalité les cas indésirables comme Clearview AI plutôt que les droits des citoyens?
Êtes-vous en train de nous dire qu'une entreprise comme Clearview AI serait entièrement exempte des sanctions pécuniaires pour assurer le respect de la loi dont on nous a parlé? Est-ce ce que nous voyons dans cette nouvelle loi?
:
Deux mécanismes principaux s'appliquent à la situation de Clearview dans le cadre de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs.
Le premier est la disposition sur l'objet — c'est-à-dire l'article 5 proposé — de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, qui confirme l'approche de la LPRPDE visant à équilibrer les intérêts commerciaux et les considérations relatives à la vie privée. Cette disposition n'énonce pas que la vie privée est un droit de la personne. Elle ajoute plutôt un certain nombre de facteurs commerciaux comparativement à la loi actuelle. On entamerait donc un processus de pondération, qui accorderait probablement une importance plus grande aux facteurs commerciaux que le fait actuellement la LPRPDE. C'est le premier mécanisme.
Le deuxième mécanisme, c'est qu'en présumant que le comportement de Clearview irait à l'encontre de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, le projet de loi prévoit un régime de sanctions administratives et un régime de sanctions pénales. Le régime de sanctions administratives est limité à un nombre extrêmement restreint d'atteintes à la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs. Ces atteintes concernent une forme de consentement avec l'exigence de compréhension que j'ai mentionnée précédemment — à savoir si Clearview avait atteint un équilibre entre les intérêts commerciaux et les droits de la personne. Tout cela ne peut pas faire l'objet de sanctions administratives en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs.
Pour que des pénalités s'appliquent, le bureau devrait d'abord faire une constatation, ce qui prendrait environ deux ans. Ensuite, il rendrait une ordonnance. La pénalité serait exclue. Le tribunal siégerait en appel de cette ordonnance, en présumant que l'entreprise ne se conforme toujours pas à l'ordonnance. Si l'entreprise ne se conformait pas à une ordonnance plusieurs années après qu'elle ait été rendue, elle ferait alors l'objet de sanctions pénales et on aurait recours aux tribunaux pénaux.
Le processus qui mène aux sanctions est très long. Nous pensons qu'il dure environ sept ans après les faits, contrairement à ce qui devrait se passer, c'est-à-dire que nous devrions être en mesure d'imposer des pénalités — sous réserve bien sûr d'un examen par les tribunaux pour des considérations d'équité à l'égard des entreprises. Nous pensons que le délai serait d'environ deux ans dans ce modèle comparativement au modèle proposé dans le projet de loi .
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Nous en avons vu un exemple avec Clearview AI. Pour socialiser avec leurs amis et leur famille, des utilisateurs utilisent innocemment des médias sociaux en ne sachant aucunement que les renseignements qu'ils fournissent, y compris leurs photos, peuvent être colligés par une entreprise comme Clearview AI, qui se sert des données pour de soi-disant enquêtes policières ou, comme il a été mentionné, pour mener des enquêtes privées sur des individus.
Vous avez dit que la présence de caméras de surveillance dans certains lieux publics posait aussi un risque important. J'ajouterais, encore une fois, que la reconnaissance faciale peut jouer un rôle important, notamment pour assurer la sécurité relativement à certains événements. L'utilisation de la reconnaissance faciale dans les lieux publics est délicate, mais je ne dirais pas qu'il faudrait l'interdire complètement.
Je vous encourage fortement à demander à d'autres témoins qui suivront où, à leur avis, se situent les problèmes. Pour ma part, je vous répondrai que c'est à plusieurs endroits. Je ne pense pas que vous pourrez réglementer l'ensemble de la situation. Il faut considérer la question sous l'angle des valeurs, et cela me ramène encore une fois à la question de l'assise qu'il faudrait donner aux lois en question quant aux droits de la personne. Cela s'avère davantage dans le cas des propositions du ministère de la Justice que dans le cas du projet de loi . Les valeurs, c'est important. Le respect des droits de la personne, c'est important. Ensuite, il faudrait que des mécanismes soient prévus afin d'équilibrer les intérêts commerciaux et les droits de la personne, et que ces mécanismes soient meilleurs que ceux prévus dans le projet de loi C-11. Nous vous acheminerons nos recommandations à cet égard.
J'ajouterai comme dernier point qu'à l'heure actuelle, nos lois au Canada et dans plusieurs pays — ce n'est pas le cas partout — sont dites neutres en matière de technologie. Cela signifie que les principes s'appliquent de la même façon partout, peu importe le type de technologie, y compris la biométrie et la reconnaissance faciale. Il y a de grands avantages à cela, et je ne dis aucunement que cet aspect de nos lois devrait être mis de côté. À mon avis, une question sur laquelle vous devriez vous pencher, c'est de vérifier — et votre question est tout à fait pertinente là-dessus — s'il y a lieu de circonscrire les activités de reconnaissance faciale. Il s'agirait donc soit d'en interdire, soit d'en soumettre certaines à une réglementation particulièrement rigoureuse. À ce sujet, je vous renvoie à un projet de réglementation en matière d'intelligence artificielle, publié en avril par la Commission européenne. Certaines pratiques interdites y sont définies, dont l'utilisation de la reconnaissance faciale en direct dans certains lieux publics, sauf pour des cas exceptionnels, comme les enquêtes sur des crimes majeurs ou des actes de terrorisme.
Il s'agit d'un mélange de principes généraux sur la façon d'équilibrer les intérêts commerciaux ou gouvernementaux et les droits de la personne, d'une part, et de lois d'application générale, d'autre part. À mon avis, y a-t-il lieu de se demander si certaines règles précises pourraient soit interdire, soit réglementer de façon assez rigoureuse cette technologie qui pose particulièrement des risques, parce que les données biométriques sont permanentes.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Therrien, pour votre témoignage ce matin. C'est très instructif.
J'en conclus qu'il faut toujours trouver un juste équilibre entre les droits de la personne, la confiance du public et la croissance économique. Il s'agira d'une tâche assez difficile, car la technologie évolue constamment, à un rythme très rapide. À mon avis, un réexamen est plus que justifié puisque nous ne savons pas quand le projet de loi nous sera renvoyé.
En ce qui concerne la transmission internationale des données, c'est un sujet qui m'intéresse, car la transmission internationale des données doit respecter les pratiques exemplaires et les normes internationales. C'est essentiel pour assurer la compétitivité du Canada.
Est-il juste d'affirmer — je reviens à la notion européenne dont vous avez parlé plus tôt — que le règlement sur la protection des données de l'Union européenne demeure la norme internationale par excellence? Comment le Canada peut-il s'assurer de maintenir le statut d'adéquation à l'égard de ce règlement? Voilà ma première question.
Pourquoi le Canada a-t-il intérêt à maintenir le statut d'adéquation à l'égard du règlement de l'Union européenne?
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Le gouvernement a certes fait savoir que le maintien du statut d'adéquation du Canada est l'une des raisons d'être du projet de loi . En effet, le maintien du statut d'adéquation est important. Cela permet aux données de circuler entre le Canada et l'Union européenne sans qu'il y ait lieu de recourir à des mécanismes particuliers, notamment des contrats spéciaux.
Il est clair que le maintien du statut d'adéquation du Canada se révèle utile pour conserver une transmission libre des données entre le Canada et l'Union européenne. Comme je l'ai dit, nous vivons dans un monde interconnecté, et bien entendu, outre l'Union européenne, nous avons un voisin au sud de notre frontière avec lequel nous entretenons d'importantes relations commerciales fondamentales et à qui nous devons aussi transmettre des données.
Tout cela est bien, mais nous devons... J'ose espérer, dans le cadre de l'examen du projet de loi , que nous pourrons examiner des façons de permettre la transmission de ces données, tout en tenant compte du fait que les risques sont plus élevés lorsque les données quittent le Canada.
Loin de moi l'idée de proposer des moyens d'empêcher la transmission de ces données, mais, dans le mémoire que vous pourrez lire, nous formulons certaines recommandations sur la façon d'accroître la protection des renseignements personnels qui sont envoyés à l'extérieur du Canada, tout en permettant que ces renseignements soient transmis.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Therrien, l'une des choses que j'ai trouvées très significatives dans vos conclusions de l'enquête visant Clearview AI, c'est votre commentaire selon lequel la reconnaissance faciale soumettrait essentiellement les citoyens canadiens à une séance d'identification perpétuelle.
Nous ne parlons pas ici de science-fiction dystopique. Nous devrions avoir la certitude, en tant que citoyens, que, lorsque nos enfants vont au centre commercial, ils ne seront pas photographiés pour alimenter une base de données, que des citoyens racialisés ne seront pas ciblés dans la rue et que le droit de fréquenter un lieu public constitue un droit public. Nous ne devrions pas faire l'objet d'un profilage ni être ciblés et nos renseignements ne devraient pas être saisis dans une base de données.
L'affaire Clearview AI s'est révélée une bonne occasion pour le Canada de bien faire les choses, car il s'agissait d'une violation flagrante des lois. Ce que vous nous dites, c'est que les lois ont été rédigées, d'une certaine façon, pour protéger ces entreprises récalcitrantes, malgré la prise de conscience croissante à l'échelle mondiale.
Si, par l'entremise du projet de loi , le gouvernement refuse d'apporter les changements nécessaires pour faire du droit à la vie privée un droit de la personne et qu'il insiste pour protéger les intérêts d'entreprises qui n'ont peut-être pas l'intérêt supérieur de nos citoyens à coeur, est-ce que le statu quo ne vaudrait-il pas mieux que de donner plus de poids aux entreprises et aux récalcitrants comme Clearview AI?
Chers collègues, je vais bientôt mettre fin à la réunion, mais je tiens auparavant à vous informer que nous allons accueillir deux témoins lors de la prochaine réunion. Ce vendredi, nous allons recevoir — attendez que je me rappelle bien pour ne pas faire d'erreur — la commissaire à l'information ainsi que la commissaire au lobbying, qui comparaîtront chacune pendant une heure.
Monsieur le commissaire, je vous remercie beaucoup de vous être joint à nous pour ces deux réunions importantes, la première ayant porté sur le Budget principal des dépenses, et l'autre, bien entendu, sur la technologie de reconnaissance faciale, qui fait l'objet de l'étude que nous entamons. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté de comparaître et de répondre aux questions à propos de ces deux sujets et nous sommes reconnaissants aussi aux autres témoins.
Chers collègues, il reste quelques minutes avant que la sonnerie cesse, mais je vais lever maintenant la séance pour vous permettre de vous déconnecter et de vous reconnecter pour le vote.
Encore une fois, monsieur le commissaire, je vous remercie beaucoup.