Passer au contenu

FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 octobre 2001

• 0911

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Collègues, pourriez-vous vous asseoir?

Au nom de mon coprésident, M. Barsony, je souhaite la bienvenue aux membres du Comité des affaires politiques de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe—et particulièrement, à son sous-comité sur les relations avec les pays non-membres—dirigé par son distingué président, M. Terry Davis, du Royaume-Uni. Bienvenue.

M. Davis et son collègue sont venus à Ottawa à plusieurs reprises et nous avons déjà participé à de nombreuses conférences ensemble. Nous avons eu l'occasion de collaborer dans de nombreux dossiers, à Strasbourg en particulier, sous la direction éclairée de notre secrétaire parlementaire, qui a opportunément disparu—non, elle est là—Mme Aileen Carroll.

Je sais que vous voulez nous faire un rapport, Terry, mais auparavant, permettez-moi d'attirer votre attention sur un fait qui risque d'intéresser certains de vos collègues, à savoir que l'une des personnes que nous avons rencontrées en votre compagnie, M. Cem, est devenu par la suite ministre des Affaires étrangères de Turquie. Nous l'avions rencontré lors de notre visite à Istanbul. Notre comité a rédigé un rapport sur le Caucase et l'Asie centrale qui est plutôt pertinent compte tenu de la situation en Afghanistan à l'heure actuelle. Nous avons des exemplaires de ce rapport pour vous et vos collègues, si cela vous intéresse.

En fait, la semaine dernière, nous avons eu une réunion très intéressante avec des collègues du Parlement européen. Je propose que nous adoptions la même formule, soit une discussion assez informelle. Terry, je crois savoir que vous voulez commencer par nous donner un aperçu d'un document récemment adopté par le Conseil de l'Europe sur le terrorisme et les défis qu'il pose aux États démocratiques. Ensuite, nous aurons une discussion entre nous. Je ferai une liste de nos participants et je suppose qu'Andras en fera une des vôtres. Nous allons simplement tenter d'échanger le plus possible au cours des quelques prochaines heures.

Il nous faudra garder un oeil sur l'heure car nous devons partir d'ici à 12 heures précises pour nous rendre en autobus à Montebello. Je vais me renseigner pour savoir où nous devons le prendre exactement. Sauf erreur, ce sera à l'édifice de la Confédération, mais je vous donnerai des précisions. Nous aborderons cet après-midi la question du contrôle parlementaire des institutions internationales.

Je vous remercie beaucoup d'être venus. Nous sommes très heureux d'accueillir des collègues du Conseil de l'Europe. Terry, vous pouvez commencer votre exposé ou, si vous préférez, nous présenter d'abord les membres de votre groupe.

M. Terry Davis (Royaume-Uni, président du Comité des affaires politiques, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Je pense que votre coprésident pourrait présenter les gens du Conseil de l'Europe.

Le coprésident (M. Bill Graham): D'accord.

Le coprésident (M. Andras Barsony (Hongrie, Comité des affaires politiques, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe)): Merci, monsieur le président.

Collègues, mesdames et messieurs, je suis honoré d'assumer aujourd'hui le poste de coprésident. Ce serait sans doute à notre président, Terry Davis, que devrait revenir cet honneur, mais au Conseil de l'Europe, il y a une tradition: s'il y a une occasion spéciale, le président cède la présidence pour une séance en particulier.

• 0915

C'est la première raison. Deuxièmement, collègues, je veux partager avec vous quelque chose de personnel. Nous sommes aujourd'hui le 23 octobre, date du 45ème anniversaire du soulèvement du peuple hongrois en 1956. Je suis particulièrement honoré de présider cette séance à la Chambre des communes du Canada parce que le Canada vient au deuxième rang des pays qui ont accueilli des réfugiés hongrois dans la foulée de la répression de la révolution en 1956. Par conséquent, même si habituellement les politiques ont eux aussi congé, je suis très honoré d'être avec vous en cette occasion très spéciale. Encore une fois, je tiens à rendre hommage au Canada en cette journée.

Permettez-moi de vous présenter les membres de notre délégation. Terry, qui préside depuis longtemps le Comité des affaires politiques, est à la tête de la seconde délégation à venir au Canada, si je ne m'abuse. Le premier conseil canadien de votre session mixte parlementaire a eu lieu sous les auspices du Comité des affaires économiques il y a environ deux ans, alors que Terry occupait la présidence du Comité des affaires économiques.

M. Bergquist est président du Sous-comité des relations avec les pays non-membres. Bien qu'il s'agisse d'une séance officielle du Comité des affaires politiques, cette activité, fort délicate et fort importante pour le Conseil de l'Europe—qui réunit l'assemblée et son comité des affaires—est dirigée par M. Bergquist.

Les autres membres sont David Atkinson, député de la Chambre des communes du Royaume-Uni, M. Mutman, membre de la Grande assemblée de Turquie; MM. Andras Gross et Claude Frey, tous deux du Parlement fédéral de Suisse; M. Latchezar Toshev, représentant du Parlement bulgare; M. Jacques Baumel et M. Michel Dreyfus-Schmidt, tous des représentants du Sénat et du Parlement français; M. Georges Clerfayt, représentant des parlementaires belges; Mme Vlasta Stepova, qui vient d'un pays quasi voisin du mien, la République tchèque; ainsi que Mme Miroslava Nemcova, qui représente le même parlement.

Je ne sais pas si je dois présenter les membres du Parlement canadien qui participent régulièrement aux délibérations du Conseil de l'Europe.

Encore une fois, je vous remercie de l'occasion qui nous a été donnée de participer. Je crois savoir que Terry a décidé de consacrer sa déclaration liminaire à la menace posée par le terrorisme.

M. Terry Davis: Merci, Andras.

Le coprésident (M. Bill Graham): Peut-être pourrais-je,...

[Français]

Pour ceux et celles qui veulent parler français, nous avons la traduction simultanée. On peut donc s'exprimer soit en anglais, soit en français devant le comité.

[Traduction]

Terry.

M. Terry Davis: Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie beaucoup, monsieur le président de vos bons mots de bienvenue et aussi de l'hospitalité chaleureuse dont nous avons déjà bénéficié et dont nous bénéficierons encore une fois à l'heure du dîner.

Nous sommes très heureux d'être ici à Ottawa, mes collègues et moi, comme Andras Barsony vient de vous l'expliquer. Je vous suis aussi très reconnaissant de nous avoir remis ce rapport très intéressant qui, vous le comprendrez bien...

[Français]

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je m'excuse. Je ne voulais pas vous interrompre, mais il y a des parlementaires du Canada qui n'étaient pas là hier et que nos collègues européens ne connaissent donc pas.

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham): Permettez-moi de vous présenter les députés assis autour de la table. M. Casson, membre du parti de l'Alliance canadienne, originaire de l'ouest du Canada. M. Bill Casey, du Parti progressiste conservateur, qui est de l'est du Canada. Nous avons aussi Mme Jean Augustine, qui représente Grenade au Parlement du Canada...

Des voix: Oh, oh!

Le coprésident (M. Bill Graham): ...et une partie de Toronto également. Elle est affiliée au Parti libéral. Il y a aussi l'honorable Diane Marleau, qui vient du nord de l'Ontario et qui est aussi du Parti libéral; M. Bernard Patry, du Parti libéral, originaire du Québec; Mme Francine Lalonde, du Bloc québécois et M. Pierre Paquette,

• 0920

[Français]

aussi du Bloc Québécois;

[Traduction]

notre secrétaire parlementaire à la ministre du Développement international, Marlene Jennings, qui est également avec nous; et Mme Aileen Carroll, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères. Voila notre délégation. Je m'appelle Bill Graham et je suis président du Comité des affaires étrangères.

M. Terry Davis: En fait, monsieur le président, nous avons eu le plaisir de voir votre comité en action hier après-midi et en outre de renouer avec Marlene Jennings, une amie de longue date. Il est fort agréable de renouer connaissance et nous sommes impatients de vous accueillir tous à Strasbourg dans un avenir rapproché.

Monsieur le président, nous avons toujours beaucoup apprécié la contribution de vos collègues canadiens à l'assemblée du Conseil de l'Europe. Cela n'est guère étonnant car après avoir jeté un bref coup d'oeil au document que vous nous avez remis en entrant dans la salle aujourd'hui, et dont vous avez parlé tout à l'heure, qui porte sur les objectifs de la politique étrangère du Canada dans le Caucase sud et l'Asie centrale, je constate une communauté d'intérêts. Comme vous le savez sûrement, monsieur le président, l'Arménie et l'Azerbaïdjan viennent récemment de se joindre au Conseil de l'Europe et auparavant, nous avions accueilli la Georgie. Par conséquent, nous nous intéressons énormément à l'évolution dans le Caucase sud, et je suis impatient de lire votre rapport.

Aujourd'hui, on m'a demandé de décrire la position de l'Assemblée du Conseil de l'Europe sur la menace que pose le terrorisme pour les démocraties. Je précise que ce document—et je crois qu'il a été distribué à tout le monde autour de la table—renferme une récente résolution et des recommandations sur le sujet. Il est intitulé «version spéciale», mais ne vous y méprenez pas. Ce n'est pas une version qui vise spécialement le Canada, mais qui a été insérée à une trousse spécialement pour notre visite au Canada. Nous avons pris la résolution, qui a été modifiée à la suite des délibérations de notre assemblée et nous vous avons fourni la version finale modifiée rattachée aux annexes car nous avons pensé que cela pourrait vous intéresser également.

Il serait peut-être utile, monsieur le président, que je revienne brièvement sur certains points de cette résolution. Toute discussion sur le terrorisme—en fait, toute discussion depuis les événements du 11 septembre—s'amorce obligatoirement par ce qui est devenu, je le crains, une dénonciation rituelle des événements qui n'en est pas moins sincère pour autant. Nous avons tous exprimé notre horreur face à ce qu'un bon nombre d'entre nous avons vu arriver à la télévision au World Trade Centre. Bien sûr, nous étions très conscients que des milliers de personnes—des hommes, des femmes et des enfants de nombreux pays différents, y compris des Canadiens et de nombreux Européens—ont trouvé la mort dans cette terrible tragédie.

L'importante question est maintenant de savoir ce que nous allons faire à ce sujet. Cette résolution de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, adoptée deux semaines seulement après les événements, tente d'apporter une ébauche de réponse.

En ce qui concerne ses points saillants, j'attire d'abord votre attention sur le paragraphe 4 de la résolution, qui revêt une importance cruciale. Il est court, mais important en ce sens qu'il précise que dans la perspective des membres de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, le discours utilisé dans des milieux de toutes sortes, particulièrement aux États-Unis—et c'est compréhensible— est erroné.

Nous ne considérons pas cela comme une guerre et nous rejetons toute idée de vengeance. Pour nous, ce qui s'est passé le 11 septembre est un crime—un crime terrible, mais néanmoins un crime—et face à un crime, il ne faut pas parler de vengeance mais de justice. Voilà qui traduit très bien le sentiment européen: nous souhaitons que les auteurs de ce crime soient poursuivis en justice. Évidemment, il est également très important de prendre d'autres mesures, mais c'est à partir de cette prémisse que nous avons amorcé notre analyse de la situation et que nous avons formulé certaines réponses.

Dans ce contexte de crime et de justice, les paragraphes 5 et 8 de la résolution précisent exactement notre pensée. Au paragraphe 5, il est dit très succinctement que le nouveau Tribunal pénal international, qui a l'appui unanime du Parlement canadien et du Canada tout entier, serait l'instance la plus appropriée pour juger les auteurs des attentats.

• 0925

Bien sûr, des questions se posent à savoir si l'on pourrait élargir la compétence du Tribunal pénal international pour couvrir cette situation, mais nous estimons qu'il est important de souligner, particulièrement pour nos collègues américains, que c'est en l'occurrence l'instance qu'il faut privilégier. Il importe de faire tout en notre pouvoir pour appuyer le Tribunal pénal international.

Avant de commencer à envisager la possibilité de confier cette responsabilité à un autre tribunal, qu'il s'agisse d'un tribunal spécial ou d'un tribunal élargi du type de celui de La Haye, qui a été constitué pour juger les crimes terribles commis dans les Balkans, nous jugeons impératif de commencer par une déclaration de principe, si vous voulez, où nous affirmons que le Tribunal pénal international est l'instance la mieux placée pour ce qui est de poursuivre les perpétrateurs ou les personnes soupçonnées d'avoir perpétré ce crime.

Ensuite, au paragraphe 9, nous exprimons l'opinion que la prévention à long terme du terrorisme passe nécessairement par une analyse sérieuse et une compréhension de ses causes. Il ne faut pas en conclure que des griefs de nature sociale, politique ou religieuse peuvent justifier ce qui s'est passé, mais nous pensons que pour être en mesure d'empêcher la répétition de pareilles tragédies à l'avenir, il faut nécessairement comprendre les motifs qui ont mené à ces crimes en Amérique.

Pour parler sans mettre de gants, monsieur le président, expliquer ce qui s'est produit n'est pas l'excuser. Nous ne voulons pas dire qu'il existe une justification, mais il nous faut essayer de comprendre ce qui a engendré ces actes dénaturés, quel idéalisme ou idéologie pervers ont causé l'assassinat de plus de 6 000 personnes. Nous ne pourrons empêcher d'autres tueries si nous n'essayons pas de comprendre pourquoi ces crimes ont été commis.

Par la suite, au paragraphe 10, nous affirmons qu'il est très important d'avoir une définition internationale du terrorisme. Pour nous, du Royaume-Uni, ce n'est rien de nouveau. Plusieurs pays d'Europe ont eu une expérience directe, et dans certains cas personnelle, du terrorisme depuis les 30, 40 ou même 50 dernières années. Notre législation nationale renferme déjà des définitions du terrorisme.

En fait, les Britanniques ont été étonnés d'apprendre que des 15 pays membres de l'Union européenne, six seulement possédaient dans leur législation une définition du terrorisme. Le Royaume-Uni est l'un de ces six. Les autres pays en question sont l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal. Quatre de ces cinq autres pays, tout comme l'Angleterre, ont connu récemment des attentats terroristes sur leurs territoires.

Il est très important à nos yeux qu'il y ait une définition du terrorisme acceptée internationalement si nous voulons traiter le terrorisme international comme un crime international. Mais c'est là un argument sur lequel je reviendrai lorsque je poserai des questions tout à l'heure.

Au paragraphe 11, vous constaterez que nous mettons l'accent sur un élément qui, je l'espère, sera accepté par nos collègues canadiens. Il est absolument essentiel de ne pas laisser les émotions très fortes qu'ont suscitées les attentats du 11 septembre dégénérer en une chasse aux sorcières ou favoriser la discrimination contre les personnes d'une ethnie ou d'un groupe religieux en particulier. On ne saurait trop insister là-dessus.

J'ignore s'il y a eu des incidents de cette nature au Canada, mais je peux vous assurer que le Royaume-Uni et d'autres pays européens ont connu des difficultés depuis le 11 septembre. Il y a eu des attaques totalement non provoquées contre des mosquées et contre des particuliers qui sont ou dont on croyait qu'ils étaient Musulmans. Nous rejetons entièrement une telle attitude. Nous avons vécu une expérience semblable en Europe il y a 70 ans et nous ne souhaitons nullement qu'elle se répète.

Au paragraphe 12, nous rappelons que les Nations Unies sont une organisation clé pour lutter contre le terrorisme. Certains d'entre nous estiment que cette institution devrait jouer un rôle qui dépasse la simple adoption d'une résolution du Conseil de sécurité dans la foulée immédiate du 11 septembre. Les Nations Unies devraient davantage être présentes dans les efforts déployés pour appréhender et éventuellement traduire en justice les personnes soupçonnées d'avoir commis ce crime. C'est sans doute là un point de vue majoritairement européen.

Au paragraphe 13, il est question d'un autre élément important à notre avis, à savoir qu'il est essentiel d'éviter non seulement la discrimination contre nos citoyens qui sont Musulmans mais d'éviter également que cette tragédie serve de quelque façon que ce soit de prétexte pour fermer encore davantage la porte aux réfugiés, aux demandeurs d'asile et aux simples immigrants ordinaires. Il est extrêmement important d'éviter de sombrer dans l'hystérie qui fait surface dans certains de nos pays, y compris le nôtre, au sujet des étrangers, et particulièrement de ceux d'autres origines ethniques. Il faut éviter de restreindre l'entrée dans nos pays pour des motifs de discrimination ethnique.

• 0930

Les valeurs du Conseil de l'Europe sont telles que nous n'acceptons aucune discrimination. Nous l'affirmons en des termes non équivoques au paragraphe 13.

Voilà qui m'amène à parler de ce qui s'est produit depuis que cette résolution a été adoptée. En rétrospective, si l'on considère qu'il s'est écoulé trois semaines depuis et cinq semaines depuis le 11 septembre, je pense que nous devons aller de l'avant.

La première question qui se pose à nous, Européens comme Canadiens, est de savoir dans quelle mesure une action militaire est justifiée et s'il y a lieu d'élargir à d'autres les mesures militaires applicables aux Talibans qui sont, à juste titre, accusés d'avoir accueilli et protégé Oussama ben Laden. Certains—et pas seulement aux États-Unis—voient là une occasion de régler leurs comptes avec des gens comme Saddam Hussein et d'autres. C'est une question dont nous devons discuter entre nous et à laquelle il faut répondre très clairement.

À mon avis, l'action militaire devrait être limitée. Je comprends tout à fait qu'une action militaire puisse être justifiée pour retrouver Oussama ben Laden en Afghanistan, mais je ne suis certainement pas en faveur d'étendre l'action militaire contre l'Iraq, ou en Iraq, ou contre d'autres pays ou dans d'autres pays. Bien entendu, c'est une question avec laquelle d'autres personnes peuvent ne pas être d'accord.

Une autre question plus immédiate est celle de savoir pendant combien de temps les bombardements, ou cet aspect particulier de l'action militaire, devraient se poursuivre. Encore là, je peux comprendre que les bombardements soient justifiés—par exemple, pour permettre aux soldats américains et à d'autres soldats d'entrer en sol afghan—mais je me demande pendant combien de temps nous devrions accepter que l'on bombarde l'Afghanistan après que ses défenses aériennes aient été éliminées, étant donné qu'elles l'ont maintenant été.

D'après moi, une bombe intelligente, ou un missile intelligent, ça n'existe pas. Nous avons vu, malheureusement dans le cas du Kosovo et de la Yougoslavie, et aussi avant cela lors de la guerre du Golfe, comment ces armes dites intelligentes s'égarent ou, en fait, sont délibérément dirigées contre de fausses cibles.

Je crois qu'il est temps que nous commencions à nous demander pendant combien de temps les bombardements sont justifiés en Afghanistan, étant donné qu'ils ne feront que causer la mort d'encore plus de gens innocents qui n'appartiennent pas aux Talibans, qui ne sont pas Oussama ben Laden, et qui ne font pas partie de son réseau terroriste.

La troisième question, à laquelle nous serons confrontés, à mon avis, est celle de savoir quoi faire au sujet de la Cour pénale internationale et si son mandat peut être élargi. Je sais qu'amender le traité qui a établi la Cour pénale internationale n'ira pas sans problèmes, auquel cas il nous faut examiner quelle autre institution devrait être établie ou quel mandat de quel autre tribunal existant devrait être élargi.

Je dis cela parce que nous avons à l'heure actuelle en Europe une prolifération de tribunaux. Nous avons non seulement la Cour civile, ou la Cour européenne de justice, mais nous avons aussi notre propre Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, qui fait partie du Conseil de l'Europe, comme vous le savez. Nous avons également le Tribunal à La Haye. Je commence à me demander combien de tribunaux nous pouvons instituer et s'il est rentable de continuer à en établir d'autres pour traiter de questions spécifiques. Si le mandat de la Cour pénale internationale n'est pas élargi, alors je crois qu'il nous faudra élargir celui d'autres institutions comme le Tribunal de La Haye. Encore une fois, c'est une question sur laquelle mes collègues ne partagent peut-être pas mon avis.

J'en viens maintenant à ce que j'estime être une question extrêmement importante, et c'est la définition de terrorisme. Ici, je dois avouer que j'éprouve beaucoup de réserves. L'Union européenne est maintenant parvenue à une définition du terrorisme. Elle figure dans un document cadre qu'elle a adopté. Je dois dire que j'ai certaines réserves au sujet de cette définition. Elle définit le terrorisme comme un délit «intentionnellement commis par un individu ou un groupe»—ma foi, je peux accepter ça—«contre un ou plusieurs pays»—d'accord—«leurs institutions ou leur population (population signifie toutes les personnes, y compris les minorités), dans le but de les intimider ou d'endommager gravement ou de détruire les structures sociales, économiques et politiques de ces pays». Le délit peut comprendre des «dommages à des installations du gouvernement ou de l'État...à des endroits publics, et à des biens (tant privés que publics)».

• 0935

Cela me semble être une définition plutôt vaste.

Quand il a ouvert cette séance, Andras Barsony a rappelé que c'est aujourd'hui le 45e anniversaire du soulèvement à Budapest. Cela touche chez moi une corde sensible parce que la semaine de ces événements en Hongrie, j'étais un très jeune étudiant. Je me rappelle très clairement avoir essayé, en compagnie de beaucoup d'autres jeunes étudiants—ceux qui me critiquent parleraient d'une foule—, d'entrer dans l'ambassade de Russie pour protester contre ce qui arrivait aux étudiants de Budapest.

Je plaiderais certainement coupable si l'on m'accusait d'avoir fait partie d'une foule qui sans aucun doute a endommagé des biens. Nous essayions certainement d'intimider les Russes de façon très puérile, les menaçant de représailles s'ils continuaient à tuer les étudiants de Budapest, dans les rues de Budapest. Cela me semble être une question de point de vue.

J'ai également connu d'autres expériences comme député—certains diraient comme député trop respectueux. Mais j'ai vu la Loi antiterroriste au Royaume-Uni faire l'objet d'un usage abusif. Une loi antiterroriste avait été présentée—par un gouvernement de mon propre parti, pourrais-je ajouter, si bien que j'accepte la responsabilité même si je n'étais pas député à l'époque—à la suite d'un attentat terroriste, le plastiquage délibéré d'un pub, au cours duquel plusieurs jeunes gens de ma propre ville de Birmingham ont trouvé la mort, il y a 26 ans. À la suite de cet attentat, la Loi antiterroriste a été rapidement adoptée par le Parlement britannique, et adopter une loi à la hâte est souvent une erreur.

Quinze ans plus tard, j'ai été témoin d'un autre usage abusif de la loi quand la police locale y a recouru pour arrêter des gens du Cachemire de mon comté qui voulaient manifester pacifiquement—seulement manifester—contre un ministre indien en visite. Ils ont été interpellés et détenus pendant 72 heures jusqu'après le départ du ministre indien pour que ce dernier ne soit pas importuné par des citoyens britanniques d'origine cachemire manifestant contre lui.

Je crois qu'il faut faire très attention aux atteintes aux libertés civiles qui peuvent découler d'une loi antiterroriste, même si ce n'était pas son intention.

Si je peux me permettre un commentaire, monsieur le président—et j'espère ne pas offenser les Canadiens—aux termes de ce que nous appelons, au Royaume-Uni, les règles de Chatham House, ce qui signifie qu'aucun Canadien ne doit me citer au Parlement ou ailleurs, je dirai qu'hier, j'ai assisté avec grand intérêt depuis la tribune au débat sur la question de savoir si une disposition de temporarisation était justifiée dans votre propre loi. Je répète que je ne tiens pas à être cité à cet égard par un député de l'opposition au Canada. Mais si je puis me permettre de le dire, à titre personnel compte tenu des expériences que j'ai connues, j'ai trouvé l'explication de la ministre McLellan moins que satisfaisante—ou moins que persuasive ou convaincante—sur cette question d'une disposition de temporarisation.

Je serais reconnaissant si quelqu'un—s'il vous plaît, pas les secrétaires parlementaires, j'espère qu'ils ne sentiront pas avoir le devoir de le faire—un député libéral de la Chambre des communes du Canada pouvait m'expliquer pourquoi le gouvernement canadien hésite tant à insérer une disposition de temporarisation.

La loi que j'ai décrite, dont on fait un usage abusif dans mon propre pays, comportait une telle disposition. Cela signifiait qu'à chaque année, nous devions adopter une résolution dans notre propre Parlement pour la proroger. C'est une simple résolution, mais elle mène à un débat—elle permet aux gens d'exprimer leurs vues, de critiquer son usage abusif.

Finalement, après un changement de gouvernement qui a ramené au pouvoir le parti—le Parti travailliste—qui avait présenté la loi, nous l'avons abandonnée et ils ont décidé de ne pas la proroger. Je suis l'un de ceux qui ont voté contre tant sous le gouvernement conservateur que sous le gouvernement travailliste. C'est pourquoi j'ai été très clair là-dessus. Je ne peux vraiment pas comprendre pourquoi les ministres canadiens hésitent tant à accepter cette idée d'un examen automatique annuel ou même triennal au Parlement.

Je serais très reconnaissant à quiconque pourrait m'expliquer cela parce que cela ne m'apparaît pas être très dangereux, étant donné surtout que je plaide également coupable à—quelle était l'expression de l'Union européenne...? Oui, je veux réellement «endommager la structure sociale, économique et politique de mon pays et de la plupart de ceux de l'Europe». Je suis donc particulièrement sensible à cette sorte de définition du terrorisme. Je préfère de beaucoup la définition adoptée par l'Assemblée du Conseil de l'Europe...

Le coprésident (M. Bill Graham): Critiquer nos ministres serait une autre raison de vous considérer comme faisant partie d'un mouvement terroriste...

M. Terry Davis: Je ne suis pas sûr si je bénéficierais de l'immunité diplomatique.

LÂhon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Ne vous inquiétez pas, notre loi n'a pas encore été adoptée.

• 0940

M. Terry Davis: Diane me rappelle qu'elle n'a pas encore été adoptée et j'ai l'intention de quitter le pays avant qu'elle le soit. Mais il y a quelques années, dans nos discussions au Conseil de l'Europe, nous avions une définition qui était beaucoup plus restreinte du terrorisme, définition qui, à mon avis, est d'un certain intérêt sur le plan international.

J'en viens maintenant à ce qui est peut-être la question centrale. Lors du débat que nous avons tenu à l'Assemblée du Conseil de l'Europe il y a trois semaines, j'ai à l'instar d'autres personnes, résisté à la suggestion, même si nous la comprenions, d'attirer l'attention des Américains sur ce que nous considérons comme des critiques justifiées des politiques américaines dans bien des domaines—la Cour pénale internationale elle-même, les mines terrestres, le commerce des armements, le réchauffement de la planète—en marge des autres questions internationales beaucoup plus litigieuses du Moyen-Orient et d'ailleurs. La plupart d'entre nous ont estimé qu'il serait déplacé pour le moment de renouveler les critiques à l'endroit des politiques américaines que nous avions exprimées auparavant.

Quand quelqu'un est éprouvé par la perte d'un être cher dans un accident d'automobile, il faut être dépourvu de tact, c'est le moins qu'on puisse dire, et ce n'est pas très efficace d'attirer l'attention sur les causes qui ont contribué à l'accident de la route. Mais viendra un temps où nous allons devoir faire face à ces questions.

Andras Barsony, qui ne peut prendre part à la discussion—je suis heureux de le dire car je crois qu'il ne serait pas d'accord avec moi dans une certaine mesure là-dessus—a fait valoir à plusieurs reprises pendant nos discussions à Strasbourg que les gens qui, croit-on, ont commis ce crime n'étaient pas les pauvres, les dépossédés et les misérables. C'étaient des gens appartenant à des familles de la classe moyenne, relativement riches et en sécurité. Mais cela, bien sûr, ne tient pas compte du fait qu'ils peuvent avoir cru eux-mêmes agir pour le compte des déshérités de la terre.

Tôt ou tard, et j'espère que ce sera tôt, nous devrons nous pencher sur ce problème. Nous devons commencer à essayer d'analyser et de comprendre ce qui a amené ces gens à s'enlever la vie et du même coup celles de tant d'autres personnes.

Bien entendu, il y a d'autres leçons à tirer, mais je crois que c'est une introduction suffisamment longue, monsieur le président. Bien entendu, je serai ravi d'entendre les commentaires et les observations de mes collègues tant européens que canadiens.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup, monsieur Davis. Je dois ajouter que c'était un excellent tour d'horizon.

Je vais me permettre une première question concernant la disposition de temporarisation. Je crois qu'il est juste de dire que le débat, au Parlement canadien, a tourné autour de la question de savoir si temporariser certaines dispositions du projet de loi ou prévoir un examen parlementaire... Je crois que tout le monde a reconnu qu'un examen parlementaire est approprié et qu'il s'agit de déterminer si oui ou non une disposition de temporarisation serait plus efficace concernant cette question. C'est là où en est le débat.

Dernièrement, à notre comité, nous avons en fait traité d'une question d'examen par le Parlement. Nous étions saisis de la Loi sur l'expansion des exportations et nous avons recommandé au gouvernement, par suite d'un examen, d'apporter certains changements au projet de loi. Certains changements ont donc été apportés par suite de cet examen effectué par notre comité.

C'est là où se situe le débat. Il ne s'agit pas d'interdire un examen parlementaire ou d'empêcher qu'on revienne sur certains articles du projet de loi, notamment concernant la détention préventive et d'autres articles plus controversés, mais plutôt de savoir quelle forme cela devrait prendre. Je crois qu'il serait juste de dire qu'il y a, dans tous les partis, des partisans des deux façons de procéder.

Voici comment nous avons procédé. Comme je l'ai dit à nos confrères européens, j'ai demandé à plusieurs de nos membres s'ils avaient des questions. Nous en avons choisi deux ou trois et avons permis à la présidence de jouer le rôle de modérateur et de donner la parole à divers membres de votre délégation qui pourraient nous fournir leur avis ou des réponses à ces questions.

J'ai remarqué, monsieur Atkinson, que vous aviez indiqué vouloir prendre la parole. Vouliez-vous en fait formuler un commentaire à la suite de l'intervention de M. Davis? Pourquoi ne pas le faire maintenant, puis nous passerons aux questions de nos membres.

M. David Atkinson (Royaume-Uni, Comité des questions politiques, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Je vous en suis reconnaissant, monsieur le président. Merci beaucoup.

Le coprésident (M. Bill Graham): Vous avez le droit de répliquer, mais vous ne l'avez qu'une fois.

M. David Atkinson: Non, je vais faire suite à l'excellente analyse que nous a présentée Terry des raisons expliquant les crimes qui ont été commis le 11 septembre, afin de proposer des solutions.

Monsieur le président, les tragiques événements de septembre ont entre autres eu pour conséquence d'isoler les zones de conflit dans le monde qui sont à l'origine du terrorisme international, que nos dirigeants internationaux se sont dits encore plus résolus à vaincre. Il s'agit de conflits qui durent depuis de nombreuses années: le Moyen-Orient, le Cachemire, la Tchéchénie, le Caucase, l'Afghanistan elle-même, le Sahara occidental, les Tamouls. Ce sont tous des sources du terrorisme international, et il y en a beaucoup plus, auxquelles personne—les Nations Unies, le président américain, les diplomates itinérants, ou toute la communauté internationale en fait—n'a trouvé de solutions. Il manquait aux nombreuses tentatives en vue de résoudre ces conflits une dimension, et c'est la dimension parlementaire qui, nous l'estimons, à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur la foi de nos 52 ans d'expérience, peut parfois proposer des solutions qui ont échappé à nos dirigeants mondiaux, à nos diplomates et à nos bureaucrates.

• 0945

Monsieur Graham, vous venez juste de mentionner le rapport de votre comité sur le Caucase que, je crois, aucun d'entre nous ne connaissait, et je pense que nous aimerions tous en avoir un exemplaire, parce que c'est une situation que nous essayons nous-mêmes de régler. En fait, notre Comité parlementaire des questions politiques a entrepris une initiative pour essayer de proposer des solutions aux divers conflits ethniques au Caucase pour appuyer l'initiative originale de notre président, lord Russell-Johnston, qui cherche à introduire une dimension parlementaire dans la situation.

Nous avons lancé une initiative pour trouver une juste solution en Tchétchénie en incorporant une dimension parlementaire au processus.

Notre collègue, M. Gross, présentera ce qui, j'en suis sûr, constituera un rapport exhaustif et extrêmement précieux sur des solutions autonomes, basées sur les meilleures pratiques, pour résoudre des conflits en cours.

Il y a trois ans, notre assemblée a proposé une solution réaliste, d'après nous, pour résoudre la situation des réfugiés de Palestine qui, comme nous le savons, est l'un des principaux problèmes en suspens au Moyen-Orient et la cause du terrorisme international quand les conditions le permettent.

Notre comité présidentiel au Conseil de l'Europe est en voie d'étudier comment la nouvelle Union africaine... Combien de ceux ici présents savent que l'Organisation de l'unité africaine, qui cherche à coordonner l'action de tous les États africains sur ce continent, vient juste d'être remplacée par un nouvel organisme, l'Union africaine, dotée de son propre tribunal des droits de la personne, le croiriez-vous, et d'une dimension parlementaire, sa propre assemblée, le croiriez-vous, où nous, au Conseil de l'Europe, en raison de notre expérience de ces questions, pouvons être d'une certaine aide, les faire profiter de notre expérience?

Notre assemblée cherche actuellement à conclure des ententes de coopération avec des pays d'Afrique du Nord comme l'Algérie, le Maroc, les sources de ce terrorisme, et des républiques comme le Kazakhstan, fondées sur nos normes en matière de démocratie, de droits de l'homme, et la règle de droit.

Terry a mentionné un certain nombre d'autres questions internationales auxquelles le Conseil cherche à trouver des solutions—les mines terrestres, le réchauffement de la planète, la Cour pénale internationale, etc.

Monsieur le président, pour conclure, nous estimons que c'est cette dimension parlementaire qui devrait maintenant être incorporée au travail des Nations Unies. Nous avons adopté une résolution à cet effet à notre assemblée l'an dernier. C'est un message que, j'en suis sûr, Terry Davis transmettra à l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre.

J'espère que nous en viendrons entre autres à cette conclusion à l'issue de cette réunion mixte très importante de ce matin, à savoir nous entendre pour poursuivre conjointement cet objectif: introduire une dimension parlementaire dans le travail des Nations Unies, qui pourrait contribuer à résoudre les conflits en suspens et d'autres problèmes et permettre également de relever les défis du terrorisme international que Terry Davis a brillamment exposés.

Merci.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci.

Je crois que les assemblées parlementaires et les institutions internationales constituent en fait le thème de notre séance de cet après-midi.

M. David Atkinson: J'ai triché. Je ne vais pas y assister, ce qui explique pourquoi j'ai fait mon exposé maintenant.

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est très brillant de votre part. C'est ce qu'on appelle une attaque préventive. Elle a été rondement menée.

J'ai le nom de deux personnes sur ma liste: Mme Carroll et Mme Jennings. Je vais peut-être leur accorder la parole dans cet ordre. Après les réponses, nous passerons à un autre groupe d'intervenants.

M. Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): En fait, monsieur le président, je voulais seulement une précision pour savoir si les règles britanniques de Chatham House s'appliquent aux secrétaires parlementaires canadiens.

Des voix: Bravo!

M. Aileen Carroll: Dès que je saurai à quoi m'en tenir, je me joindrai au débat.

• 0950

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est l'élément d'extraterritorialité qui vous offusque, n'est-ce pas? Je pense que c'est une mesure de courtoisie. Nous allons appliquer les règles de Chatham par courtoisie envers notre invité. Cela vous irait?

Mme Aileen Carroll: Oui.

Le coprésident (M. Bill Graham): De cette façon, si nous acceptons de le faire, la règle de l'extraterritorialité n'aura pas à être imposée.

Marlene Jennings.

[Français]

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, monsieur le président et merci à vous, monsieur Davis, pour la présentation que vous avez faite, qui était fort intéressante et fort importante.

Je voudrais aborder deux sujets, ou plutôt trois, qui ne sont pas vraiment des questions, mais plutôt des commentaires qui conduisent à des questions.

Tout d'abord, la définition du terrorisme. Je pense que vous avez mis le doigt sur un point très important. Si la définition est trop large, ceux et celles qui voudraient manifester leur opposition à une politique ou à un programme du gouvernement ou à des instances publiques pourraient être qualifiés de terroristes ou traduits en justice pour avoir commis des actes terroristes. Je pense qu'il est très important que les États, dont le Canada, portent une grande attention à cette question.

Deuxièmement, en ce qui concerne la cour pénale internationale et la possibilité d'élargir sa juridiction pour lui attribuer les pouvoirs de juger les présumés terroristes, je pense que l'idée est très intéressante. Cependant, compte tenu du fait que même si les États s'entendaient, il faudrait de longues négociations et beaucoup de travail avant que cela se réalise, que fera-t-on en attendant? Si on pense seulement aux événements du 11 septembre et aux présumés terroristes, par quels moyens devrons-nous capturer ces gens et les traduire devant la justice, compte tenu qu'il n'existe pas actuellement de forum apte à les juger?

Mon troisième point porte sur vos commentaires concernant le projet de loi sur le terrorisme qui est actuellement débattu en Chambre. Vous faites des commentaires très intéressants sur certains des articles de ce projet de loi et sur tout le débat qui se déroule.

La loi devrait-elle prévoir une révision statutaire de certaines articles dans trois ans, comme le gouvernement le veut, ou prévoir qu'automatiquement, après un certain temps, certains articles tomberont en désuétude? Le gouvernement pourrait toujours proposer un projet de loi qui amenderait ces articles pour rajeunir la loi. Je trouve la question très intéressante parce que, au fond, quand on discute de cela, on se demande qui devrait vraiment porter le fardeau de justifier ou de prouver la nécessité de ces articles.

Une révision, selon moi, voudrait dire qu'on présume que le gouvernement a fait la preuve que les articles, ou la loi, sont nécessaires et que c'est à la société de démontrer qu'ils ne le sont pas. Dans le cas du sunsetting, la société se trouve assurée que ces articles, après un certain temps, sont présumés n'être plus nécessaires et que, à ce moment-là, c'est au gouvernement à démontrer qu'il faut les conserver.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus, parce qu'en droit, peu importe dans quel domaine, il existe une présomption concernant à qui revient le fardeau de la preuve quant à divers aspects. On sait, d'après la façon dont a été conçu un article de loi ou une loi, quelle partie doit porter le fardeau de la preuve et démontrer qu'une chose est nécessaire, et quelle partie peut ou doit renverser la présomption de cette nécessité.

• 0955

J'aimerais donc entendre vos commentaires et ceux des autres parlementaires européens sur cette question parce que je pense qu'ils pourraient aider le débat actuellement en cours au Parlement canadien.

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham): Terry, vous pourriez peut-être commencer à répondre aux questions ou aux observations de Mme Jennings, après quoi nous verrons si quelqu'un d'autre du groupe veut répondre. Ensuite, nous avons quelques personnes qui veulent faire d'autres interventions.

M. Terry Davis: Je vais mettre de côté la question de la définition car j'aimerais d'abord entendre les commentaires d'autres personnes. Mais je vous saurais gré de me donner à la fin l'occasion de formuler moi-même des commentaires, parce que j'en ai sur ce que Marlene a dit au sujet d'une définition du terrorisme.

Je vais aborder les deux autres points qu'elle a mentionnés. Elle a demandé par quels moyens on traduirait ces gens en justice. Je ne sais pas trop ce que Marlene voulait dire par «là», je vais donc...

Il me semble fort probable qu'on arrêtera une de ces personnes, ou plusieurs d'entre elles. Si je dis cela, c'est parce que même si toute la publicité est concentrée sur Oussama ben Laden, les Américains ont publié une liste de 22 hommes recherchés—je pense que ce sont tous des hommes. Il m'apparaît tout à fait possible qu'on retrouvera une ou plusieurs de ces personnes non pas en Afghanistan, mais ailleurs, dans un autre pays. Ce pourrait être l'Égypte, l'Arabie saoudite, ou encore plus loin. Il existe donc une forte possibilité ou probabilité que l'une ou plusieurs de ces 21 autres personnes soient trouvées et arrêtées.

Il faut ensuite se demander ce qu'on fera d'eux. J'ai moi-même posé cette question—encore une fois, je le répète, je vous demande de traiter cela confidentiellement—à une réunion privée de mon parti avec notre secrétaire aux affaires étrangères. Je dois dire que sa réponse ne m'a pas satisfait. Si je l'ai bien compris, il semble d'avis que, bien entendu, ces gens seraient remis aux Américains, emmenés aux États-Unis d'Amérique et jugés là-bas. Il n'a pas voulu répondre à ma question concernant les incidences d'un tel geste s'il s'agissait d'un État où la peine de mort est appliquée.

La peine de mort, comme vous le savez, Marlene, mais d'autres Canadiens ne le savent peut-être pas, est une question cruciale pour nous tous au Conseil de l'Europe, pour tous les pays représentés au Conseil de l'Europe. La peine de mort est interdite; elle est maintenant interdite, je crois, dans toute l'Europe, sauf dans un pays. C'est une question à laquelle nous attachons beaucoup d'importance. Elle nous permet de déterminer si les gens sont, pour reprendre les mots du président Bush, «civilisés». Cette question nous tient donc beaucoup à coeur.

Autant je veux que le responsable de ce crime soit poursuivi et, s'il est trouvé coupable, qu'il soit puni, autant je rejette l'idée qu'il devrait être exécuté. Je ne vais pas vous ennuyer avec toutes les raisons. Je sais que les Canadiens sont d'accord avec nous, les Européens, sur cette question très importante.

Il me semble qu'elle est fondamentale. Si nous arrêtons un de ces terroristes au Royaume-Uni, ce qui est toujours possible, allons-nous les envoyer en Amérique—et je crois que c'est ce que notre gouvernement ferait automatiquement—dans un État où la peine de mort est appliquée? Je ne voudrais pas que cela arrive. Comme je l'ai dit clairement, je préférerais, tout comme l'assemblée du Conseil de l'Europe, que ces gens soient traduits en justice devant une cour internationale.

Nous en avons fait l'expérience au Royaume-Uni, bien entendu, quand l'avion américain a explosé au-dessus de l'Écosse il y a quelques années, à un endroit appelé Lockerbie. Plus de 100 personnes ont perdu la vie, y compris des gens au sol atteints par les restes de l'appareil. Au bout du compte, afin d'obtenir une audience de la cour, nous avons accepté que les deux suspects de la Lybie soient jugés dans un autre pays, mais assujettis à la loi écossaise. Ils ont été reconnus coupables et condamnés à des peines d'emprisonnement, non pas dans notre pays mais aux Pays-Bas, je crois.

J'espère donc que c'est ainsi que les choses se passeraient.

Je dirais également cependant... Je crois que je vais en rester là parce que cela se rattache à ce qui suit, si on les trouve.

Pour ma part, en ce qui concerne la disposition de temporarisation, j'estime qu'un examen n'est pas suffisant. Nous avons eu des examens en plusieurs occasions. Nous parlons tous du point de vue de ce que nous avons connu dans nos propres pays. J'ai vu des examens dans le cas des gouvernements britanniques des deux partis. L'ennui, avec un examen, c'est... Certes, je m'attendrais à ce que le gouvernement britannique dise: «Nous avons de très bonnes raisons de continuer à l'appliquer. Nous ne pouvons vous les révéler pour des raisons de sécurité, mais faites-nous confiance, nous avons de très bonnes raisons de vouloir maintenir la situation actuelle, si bien que nous n'allons pas y toucher.»

• 1000

Je crois que le fardeau de la preuve devrait incomber au gouvernement qui devrait se justifier et remporter la décision par voie de scrutin au Parlement. C'est pourquoi je préfère ce que vous voulez dire, je crois, par une disposition de temporarisation, à savoir que le Parlement doit la proroger—non pas présenter un autre projet de loi au Parlement, assorti d'une longue procédure. Ce n'est pas ce que je veux, mais je crois qu'il est raisonnable de dire que les députés devraient voter sur la question pour qu'on puisse déterminer s'ils veulent continuer d'appliquer cette loi. J'étais de cet avis quand j'appartenais à une minorité—maintenant j'appartiens à une majorité—à notre propre Parlement.

C'est pourquoi j'ai de grandes réserves au sujet de ce mot «examen», dont on semble beaucoup discuter en politique canadienne.

Mme Marlene Jennings: Permettez-moi d'ajouter brièvement que je crois que vous avez mis le doigt sur l'essentiel. S'il s'agit d'un examen, alors on présume que l'article ou la disposition est nécessaire, ou dans le cas de toute la loi, qu'elle doit être maintenue. Donc, il appartient à la société de prouver qu'elle n'est plus nécessaire. Si, par ailleurs, on a ce que nous appelons une disposition de temporarisation, cela signifie qu'on présume qu'après une certaine date, elle n'est plus nécessaire, auquel cas il appartient alors au gouvernement d'assumer le fardeau de renverser cette présomption en disant: «Non, nous en avons encore besoin; il nous faut la proroger.» Je crois que c'est dans ces termes que le débat sur la question doit se tenir. Qui devrait assumer le fardeau?

M. Terry Davis: C'est exactement ce que je disais, Marlene. Je suis d'accord avec vous.

Mme Marlene Jennings: Entendu.

Le coprésident (M. Andras Barsony): Je crois qu'avant de parler de temporarisation, il nous faut faire quelque chose. Il vaudrait mieux revenir aux problèmes originaux.

J'ai deux intervenants sur ma liste, Mme Stepova, suivie de M. Baumel.

[Français]

M. Jacques Baumel (France, Commission des affaires politiques de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Vous me permettrez de dire quelques mots... Oh! Excusez-moi.

[Traduction]

Mme Vlasta Stepova (République tchèque, Comité des questions politiques, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Merci beaucoup, monsieur le président.

Terry, nous sommes tous les deux les plus anciens membres du Comité des questions politiques—nous y sommes arrivés la même année. Nous nous rappelons tous les deux la guerre, et ce ne sont pas des souvenirs agréables. Ils vous hantent toute votre vie. Je me rappelle à quel point les populations tchèques étaient troublées quand le bombardement de l'ex-République de Yougoslavie a commencé. Nous priions chaque matin: «Mon Dieu, faites-le, pour que ça finisse». Nous pensions tous qu'il était de notre devoir, en tant que membres de l'OTAN, de continuer. La situation n'est pas du tout pareille. C'est quelque chose de pire. Nous n'oublierons jamais les images télévisées de l'apocalypse à New York et à Washington.

Le Conseil de l'Europe a appuyé sans réserve les actions de la coalition antiterroriste mondiale. Nous avons signé le texte; nous nous y tenons.

J'ai seulement deux questions, qui sont étroitement liées à la discussion d'hier au sujet des droits et des devoirs, au sujet des droits et des responsabilités. Jusqu'à quel point sommes-nous responsables de la situation sur le plan humanitaire en Afghanistan maintenant? Je crois que nous sommes responsables. Je ne sais pas si 90 ou 99 p. 100 de la population innocente se retrouve dans cette situation qui empire chaque jour. Ce n'est pas juste une question d'avoir à manger et à boire. Le froid et l'hiver vont bientôt arriver. Les enfants et les personnes handicapées, les personnes malades... Jusqu'à quel point sommes-nous responsables et que pouvons-nous faire?

La deuxième question qui revient souvent à mon esprit est celle de savoir ce que nous ferons quand tout sera fini. Imaginons un instant que les Talibans n'existent plus, mais qu'il y a un danger de guerre civile. Tout est lié—est-ce notre devoir, notre responsabilité, de faire quelque chose? Qui prendra l'initiative? Les Nations Unies? Quelle organisation? Il ne s'agit pas simplement d'aider à constituer le gouvernement, le Parlement, de ramener les choses à la normale, mais d'examiner la situation économique, la situation humanitaire, la situation politique, la situation du point de vue de la santé.

• 1005

Nous savons tous qu'après, la Yougoslavie, qui peut servir de point de comparaison, était déstabilisée. Nous savons tous maintenant que ce fut un désastre. On a dépensé beaucoup d'argent. Personne ne sait où ni comment. C'est beaucoup plus grave.

Voici donc ma question: si nous sommes responsables, si nous ressentons cet idéal de responsabilité, que pouvons-nous faire? Merci beaucoup.

Le coprésident (M. Andras Barsony): Chers collègues, pour respecter le défi que nous a posé Terry, je vous demanderais à tous d'exposer chacun votre position, et de ne pas tenir ce débat interne du Conseil de l'Europe que nous menons continuellement entre nous. Notre position est claire. Je crois qu'il vaudrait mieux s'interroger les uns les autres—Canadiens comme Européens.

[Français]

Monsieur Baumel.

M. Jacques Baumel: Merci.

Nous pourrions parler pendant des heures et des jours sur le terrorisme, ses différents aspects, la façon de le combattre en respectant la justice et l'humanité. Pour ma part, je me limiterai à trois réflexions très précises.

Premièrement, nous ne sommes pas en face du terrorisme. C'est une immense erreur de le croire que commettent la plupart des gens. Nous sommes en face d'une croisade religieuse et d'une guerre sainte. Les terroristes de M. ben Laden ne sont pas du tout des terroristes irlandais, corses ou d'autres nationalités européennes. Ils ont été chauffés à blanc par une déformation de l'islam. Ils ont été organisés pour se sacrifier, car c'est un terrorisme avec kamikazes, ce qui n'existe pas dans beaucoup d'autres terrorismes. Nous sommes en fait en face d'une guerre sainte, une guerre sainte qui fait s'affronter un milliard cinq cent millions de musulmans contre un monde occidental qu'ils condamnent.

Deuxièmement, il ne s'agit pas de faire la guerre, il s'agit de faire la paix. Et la guerre que les Américains ont lancée, finalement, aboutira probablement à peu près au même résultat que la guerre qu'ils ont lancée contre l'Irak, la guerre du Golfe Persique. M. ben Laden, vivant ou mort, va devenir, pour un milliard d'hommes, un héros, presque un dieu, un super Che Guevara. Dans ma ville, qui compte environ 2 000 Algériens musulmans, les enfants de 10 ans se promènent avec des T-shirts avec l'image de ben Laden. C'est en France, à six kilomètres de Paris. Donc, ne vous y trompez pas et ne nous racontons pas d'histoires, le monde est entré dans une nouvelle époque.

André Malraux, le grand écrivain, a dit que le XXIe siècle sera religieux ou qu'il ne sera pas. Et je n'ai pas besoin de vous rappeler la citation de M. Huntington sur le conflit des civilisations. Là, nous sommes dans un conflit de guerre sainte.

Je pense d'abord que cette guerre que lancent les Américains n'aura pas les résultats que certains espèrent. Le Ramadan arrive; il sera très difficile de justifier des bombardements et des morts d'hommes pendant le Ramadan. Et si on fait cela, on suscitera encore plus d'opposition chez beaucoup de religieux musulmans.

L'hiver arrive en Afghanistan. Il se trouve que je connais très bien l'Afghanistan; j'y suis allé trois fois pour différentes missions. Si vous croyez que les Américains feront mieux que les Russes, vous vous trompez totalement.

• 1010

L'Afghanistan est un pays d'une telle géographie, d'une telle diversité, d'une mosaïque de tribus qui font qu'il sera très difficile de trouver la solution politique. On trouvera peut-être la solution stratégique, mais le vrai problème, c'est la solution politique. Comment remplacer les Talibans? Comment faire en sorte que les Pashtouns, qui représentent 45 p. 100 du pays et qui sont liés à des millions de Pashtouns du Pakistan, au point que l'URSS, à un certain moment, voulait créer le Pashtounstan pour détruire le Pakistan, au moment de la Guerre froide, et pour ouvrir des portes sur les mers chaudes...? L'Afghanistan n'est pas du tout ce que vous croyez, et c'est la raison pour laquelle il ne faut pas croire un instant à l'Alliance du Nord.

J'ai connu M. Massoud. C'était un homme très courageux, très digne, mais il ne pouvait jamais avoir la moindre autorité en Afghanistan. Il représentait une toute petite minorité tadjik, ce qui fait qu'il ne pouvait absolument pas être accepté comme chef du gouvernement.

Lorsque je vois que l'on parle de l'Alliance du Nord avec le général Dostom et ceux qui sont en fait des Ouzbeks, c'est-à-dire des ennemis de l'Afghanistan... Il n'y a aucune solution politique. Peut-être que la solution politique tourne autour de ce vieux roi qui a été détrôné encore que, malgré son âge, il puisse représenter provisoirement un élément. Mais la solution politique, c'est surtout de refaire un État afghan à travers la diversité de ses tribus, les différences religieuses et le poids de l'hérédité, de l'histoire.

Vous savez, en Afghanistan, on a connu Alexandre. Quand j'étais en Afghanistan, j'ai vu des ruines de la capitale d'Alexandre le Grec. Il y a encore, dans des villages en Afghanistan, des cérémonies grecques. Il faut comprendre cela avant de se lancer dans beaucoup d'études politiques et de jugements un peu prématurés.

Voici ma deuxième observation. Le vrai problème, ce n'est pas seulement l'Afghanistan. Le problème, c'est de savoir comment nous pouvons aborder l'avenir puisque, finalement, le 11 septembre a été un changement de siècle. Rien ne sera plus pareil à partir du 11 septembre. Comment peut-on imaginer l'avenir avec notre conception matérialiste, terriblement capitaliste, même dans les régimes socialistes, et toute une autre conception qui mobilise des milliards d'hommes?

C'est très compliqué... On dit que c'est la misère. Ce n'est pas seulement la misère parce que, entre nous, ben Laden est un milliardaire, et c'est l'argent des milliardaires saoudiens peureux qui, pour gagner leur paix, alors qu'ils sont coupables de beaucoup de fautes vis-à-vis de l'islam, subventionnent les pires terroristes à coup de milliards qu'ils ont grâce au pétrole. Ceux qui ravitaillent les terroristes, ce sont les grands cheiks milliardaires de l'Arabie Saoudite. Il faut le savoir. Donc, tout cela n'est pas très clair.

Non, je pense que le problème est très grave. Nous allons probablement gagner cette guerre, encore que cette guerre soit une guerre très spéciale. On se bat contre des invisibles. Qui vous dit qu'à 500 mètres d'ici il n'y a pas un agent de ben Laden? J'ai entendu, à la télévision ce matin, qu'il y a des agents de ben Laden qui circulent à Montréal. Nous savons tous qu'il y a, dans nos capitales, des imams, des mosquées et qu'il y a une tentative d'intégrisme et de fanatisme. Cela veut dire qu'il ne faut d'ailleurs pas confondre la religion musulmane, l'islam, avec sa déformation. Ce serait une immense erreur.

Je crois que nous sommes entrés dans un autre monde dont les conséquences seront tragiques. Déjà la récession frappait l'Amérique; elle va frapper tout le monde occidental. La plupart des compagnies aériennes vont être en faillite d'ici deux ans. Les hôtels sont à moitié vides. Des pays entiers qui vivaient du tourisme, la Turquie, le Maroc, vont connaître des difficultés considérables. Je crois qu'il faut en être conscient.

• 1015

Je ne veux pas vous assommer avec un cours de géopolitique, mais il faut sortir des ornières habituelles de la politique et aborder ce problème un peu différemment, d'autant plus que, ce qui est extravagant, nous assistons à la réconciliation artificielle entre M. Bush, M. Poutine et le responsable chinois, Jiang Zemin, qui se déguise avec des vestes impériales chinoises, ce qui est ridicule. Nous voyons à la télévision ces dirigeants se conduire comme des clowns, avec des uniformes chinois, alors qu'il y a des millions de gens qui sont inquiets et qu'il y a des morts. Mais tout ça, finalement, est à base d'imposture car, pour pouvoir obtenir l'accord de Poutine, on va sacrifier des milliers de Tchétchènes. La Tchétchénie va être un charnier. Et pour essayer d'avoir l'appui de la Chine, on abandonne 20 millions de Ouïgours, c'est-à-dire de Chinois musulmans, ainsi que le Tibet. Ne vous faites plus d'illusions, toutes ces campagnes humanitaires tourneront complètement à vide, puisqu'il y aura l'accord entre les trois grands de ce monde qui concluent une alliance contre ben Laden, mais qui eux-mêmes sont incapables de régler les grands problèmes de civilisation. Merci beaucoup.

Le coprésident (M. Bill Graham): Bel exposé.

Les prochaines personnes qui figurent sur notre liste sont M. Patry et Mme Lalonde.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Pour renchérir sur ce qui a été dit précédemment, je lis la résolution que votre assemblée parlementaire a adoptée. Vous y réclamez qu'une certaine stratégie préventive à long terme soit adoptée, stratégie qui tiendrait compte des racines socio-économiques, politiques et religieuses du terrorisme.

Je m'attarde à l'expression «racines religieuses». En pensant à ce que vient de dire M. Baumel, j'aimerais connaître vos idées et les solutions que vous envisagez parce que, selon ce que j'en comprends, il semble y avoir un dénominateur commun qui nous provient de l'Arabie Saoudite. Il s'agit du wahabisme. Les gens qui ont assassiné le président Sadate il y a 20 ans, provenaient du wahabisme. Les assassins qui sèment la terreur en Algérie et qui ont tué des dizaines et des dizaines de milliers de personnes, ils tuent non pas des chrétiens, mais des musulmans.

Aux États-Unis, il y a plus de 6 millions de musulmans actuellement. Il s'agit de la communauté religieuse dont la taille augmente le plus rapidement, et 80 p. 100 des mosquées aux États-Unis sont financées par l'Arabie Saoudite.

Je me demande ce qui va arriver après ben Laden. Parce que, ayant entrepris les frappes, il va falloir négocier avec quelqu'un. On ne peut pas négocier avec un mort. Alors, avec qui va-t-on négocier? Va-t-on négocier avec l'Arabie Saoudite?

J'aimerais savoir aussi de quelle façon les pays de l'occident, incluant le Canada, pourraient aider l'islam à trouver une solution, parce que, à mon avis, il s'agit d'un problème à l'intérieur même de l'islam. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, s'il vous plaît.

Le coprésident (M. Bill Graham): Madame Lalonde, vous avez la parole et ensuite, elle reviendra aux Européens.

Mme Francine Lalonde: Monsieur le président, je voudrais d'abord parler du projet de loi antiterroriste canadien. J'aurais aimé intervenir après Mme Jennings, mais cela n'a pas été possible.

Je voudrais y revenir brièvement parce qu'il faut comprendre que ce projet de loi est présenté dans un moment où il faut qu'il existe, au Parlement, la plus large coalition possible. Il y a des mesures qui sont, malgré cette situation exceptionnelle, parfaitement inacceptables. Mon parti souhaite donc faire modifier ces choses inacceptables, et obtenir qu'au moins certaines se terminent après une période précise. Il y en a d'autres que nous n'aimons pas, mais qui pourraient être révisées. Nous affirmons donc que, même dans ce contexte, il y a des choses qu'on ne peut accepter. Une de ces propositions inacceptables est de donner à tous les agents de la paix le pouvoir de procéder à des arrestations de façon préventive à partir de simples soupçons. Il est question de tous les agents de la paix à la grandeur de ce pays, qui n'auraient pas besoin d'obtenir de mandat d'un juge pour effectuer des arrestations préventives. Au Québec, on a connu des situations... Je ne dis pas que le projet de loi est pareil à la Loi sur les mesures de guerre, mais quand on parle d'arrestations préventives, je me souviens d'un cas risible où quelqu'un a été arrêté parce qu'il y avait, dans sa bibliothèque, des livres sur le cubisme. Vous aurez compris qu'on a cru qu'il était question de Cuba.

• 1020

Je voulais donc expliquer pourquoi, en plus des mesures de révision sur lesquelles nous sommes d'accord, nous souhaitons, dans d'autres cas, l'extinction de mesures qu'on dit exceptionnelles pour des situations exceptionnelles, mais qui sont inacceptables à long terme si nous voulons continuer à vivre sous un régime de droits et libertés.

Quant à l'autre enjeu...

Le coprésident (M. Bill Graham): Êtes-vous certaine, madame Lalonde, que ce n'était pas les dessins quasiment pornographiques de M. Picasso qui faisaient l'objet d'une saisie?

Mme Francine Lalonde: Sûrement. Cela aurait pu être le cas aussi. Mais c'était le mot «cubisme» qui était important.

Il me semble que nous sommes démunis face à l'autre question. Après m'être documentée le plus possible sur ces réseaux et la mouvance islamiste «détournée», je ne peux faire autrement que de constater qu'il y a longtemps, au fond, que la guerre est commencée. Quand on pense que le Conseil de sécurité avait déjà mis les Talibans au défi de leur livrer ben Laden, non pas après le 11 septembre, mais dès l'an 2000, on voit qu'il y a longtemps que tout cela a commencé.

Il y a longtemps que tout cela a commencé mais en même temps, l'Occident, les grands de ce monde, ne sont pas exempts de toute responsabilité. Dès le début du siècle, lors de la montée des Arabes, comme une grande mer indéfinie, plusieurs Arabes sont devenus nationalistes. Ces gens, nationalistes et laïques, ont voulu, bien sûr, jouer un rôle. On sait qu'on a préféré que des dictateurs conservateurs aient le pouvoir, eux qui permettaient que l'Occident ait accès au pétrole.

Je ne veux pas élaborer sur ce sujet, mais nous n'avons pas les mains blanches. Cela ne donne pas plus de solutions, mais cela explique—je résume—que tout cela n'est pas une surprise, au fond. Il n'empêche que nous faisons face à une situation qui est, je crois, difficile. J'aimerais qu'il s'agisse d'un événement isolé et que toutes ces histoires disparaissent, mais malheureusement, je ne le crois pas.

Je ne crois pas non plus que, malgré tous les efforts qu'on pourrait faire pour filtrer et quadriller la population, on pourra venir à bout des cellules dormantes qui sont tout à fait prêtes, intelligentes et décidées à se donner la mort pour en causer d'autres. Cela est d'autant plus embêtant que, comme M. Patry le disait, il n'y aura plus personne avec qui négocier. Mais de toute façon, ben Laden ne veut rien négocier. Il se réclame de la Palestine et des enfants d'Irak, mais il ne s'en est jamais vraiment soucié.

Il livre une guerre à l'Occident et à son mode de vie. Il rêve d'un grand califat régi par la charia. S'est-on préoccupé de la montée du nombre de pays où la charia est devenue la loi et des conséquences de cela? Ce n'est pas nous qui allons trouver les solutions; ce n'est pas le lieu ou l'endroit pour le faire. Ce que cela remet en cause de façon certaine—et je suis contente que nous en discutions cet après-midi—, ce sont les institutions internationales. À une situation exceptionnelle il faut réagir par des solutions exceptionnelles. Il ne faut pas attendre de se retrouver dans une situation équivalente à celle de 1944 pour avoir l'audace qu'il faut pour regarder comment on peut trouver des solutions qui, à tout le moins, ne doivent pas alimenter la haine de ces millions de jeunes qui, en ce moment, sont élevés à se préparer à mourir.

• 1025

Je termine en disant que j'ai vu dans Jeune Afrique, il y a quelques semaines, un jeune prédicateur en Angleterre qui disait:

    Djihad, now! Nous aimons la mort, autant que vous aimez la vie! Et nous gagnerons le paradis.

Le coprésident (M. Andras Barsony): Merci, Francine.

[Traduction]

Le prochain intervenant est M. Toshev qui sera suivi de M. Dreyfus-Schmidt.

M. Latchezar Toshev (Bulgarie, Comité des questions politiques, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Merci, monsieur le président.

Je dirais personnellement que nous devrions probablement penser maintenant aussi à une politique à long terme pour lutter contre le terrorisme et comprendre les raisons qui ont suscité un tel phénomène social. L'intervention de Vlasta Stepova sur nos responsabilités me fait réfléchir.

J'aimerais vous rappeler qu'en 1999, le Conseil de l'Europe, à l'occasion de son 50e anniversaire, a adopté une déclaration spéciale et un programme sur l'éducation à la citoyenneté démocratique fondée sur les droits et les responsabilités des citoyens. Il serait probablement utile de l'étendre.

À l'assemblée qui s'est tenue cette année à Gênes, j'ai décidé d'ouvrir ce programme également aux pays méditerranéens non européens, qui font également partie des zones dites chaudes du globe, comme les Balkans, le Caucase et le Moyen-Orient, pour faire participer les gens à une telle politique d'éducation à la citoyenneté démocratique, qui est un investissement dans l'avenir de leur société.

Ce problème ne touche pas seulement la société européenne ou la société occidentale, mais également les sociétés dans ces pays à problèmes. Il engendre la violence et le terrorisme, en particulier dans les pays islamiques. Il est très difficile de faire accepter les principes de l'éducation à la citoyenneté démocratique dans les pays islamiques. C'est probablement pourquoi nous avons besoin de l'aide de spécialistes pour savoir comment nous y prendre. Je crois qu'à long terme cela mènera à la stabilisation des régions concernées.

J'ajouterais que ce n'est pas utopique car il y a 50 ans, quand la Charte des Nations Unies a été adoptée et que le Conseil de l'Europe a été créé, le monde était bien différent de ce qu'il est maintenant. En 50 ans, les principes des droits de l'homme ont changé notre monde. C'est pourquoi je crois que nous devrions tenir compte de cette occasion d'offrir un tel programme et de trouver les ressources nécessaires pour l'appliquer dans ces pays.

Il aura probablement à long terme un effet positif sur les problèmes du monde d'aujourd'hui. Je crois qu'il faudrait également tenir compte de cela quand nous discutons de la situation actuelle.

Merci.

Le coprésident (M. Andras Barsony): Merci.

Monsieur Dreyfus-Schmidt.

[Français]

M. Michel Dreyfus-Schmidt (France, Commission des affaires politiques de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Oui, c'est un problème extrêmement difficile dont on ne peut pas ne pas parler. Il est de la responsabilité des hommes politiques, des gouvernements et des parlements d'essayer d'analyser la situation et de chercher ce qu'il faut faire. Je pense qu'en tout état de cause et quels que soient les fondements religieux ou non religieux, le fossé qui existe entre le monde riche et le monde pauvre ne peut que favoriser une lutte entre les uns et les autres.

• 1030

Je sais bien que Jacques Baumel nous dit que ben Laden est riche et qu'il ne manque pas de milliardaires en Arabie Saoudite, mais il n'en reste pas moins qu'il y a, non seulement dans les pays musulmans et en Afrique, une telle misère qu'on doit se demander s'il est possible ou non de combler ce fossé, combien cela coûterait et si on est prêts à faire l'effort ou pas. Cela m'apparaît tout de même la question essentielle.

Jacques Baumel est d'un pessimisme tout à fait effroyable, mais je ne dis pas qu'il a tort. Il est possible qu'il ait raison. J'espère que non. Je voudrais lui poser une question qui est la suivante. Si son analyse est exacte, que faut-il faire?

[Traduction]

Le coprésident (M. Andras Barsony): Merci. J'ai un troisième intervenant sur ma liste, M. Frey.

[Français]

Je vous cède la parole.

M. Claude Frey (Suisse, Commission des affaires politiques de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Merci, monsieur le président.

Les députés suisses ont tous d'autres activités puisque c'est une activité à temps partiel et pas un full-time job. Il se trouve que parmi mes autres activités, j'ai notamment la présidence d'un institut qui s'occupe de la formation des policiers, en particulier des commandants, sur le plan suisse. En cette qualité, j'avais assisté à un séminaire sur la lutte contre le terrorisme il y a quelques années. Les différents représentants des différents États arrivaient chacun avec leur solution, jusqu'au moment où un des représentants d'Israël—tous les États étaient représentés, les États-Unis, le Canada, etc.—est monté à la tribune. Très simplement, il a cité tous les États présents les uns après les autres. Il leur a tous dit, sans aucune exception, qu'à un moment de leur histoire, ils avaient cédé face au terrorisme. Dès lors, il est inutile d'échafauder quelque théorie que ce soit. Tant et aussi longtemps que vous céderez, le terrorisme vaincra.

Cela dit, est-ce qu'on cède maintenant? Incontestablement oui. Il y a déjà un risque de céder par des lois... [Note de la rédaction: inaudible] ...qui seraient disproportionnées dans la diminution des libertés. Cela, c'est sûr.

J'ai été frappé quand j'ai vu que le Congrès, au Capitole, devait évacuer parce qu'il y avait une alerte à l'anthrax. C'est normal, on évacue. Mais la chambre du Congrès arrête de siéger. Cela me paraît très grave, parce qu'il suffit d'une ou deux lettres pour arrêter le Congrès américain. Le symbole est lourd. Je ne veux pas intervenir dans la politique interne, mais l'anthrax, aux États-Unis, ici, à la télévision, à chaque minute, devient inconvenant tant c'est disproportionné. On met sur le même plan ce qui s'est passé le 11 septembre, où on voit les tours s'effondrer, et les victimes de l'anthrax. Je déplore qu'il y ait des victimes de l'anthrax, mais ce n'est que quelques unités.

Je trouve que si les terroristes, hélas, étaient remarquablement organisés le 11 septembre 2001, ils pourraient être nettement mieux organisés pour être plus efficaces maintenant. Il leur suffirait de quelques lettres supplémentaires et bien placées pour perturber complètement ce que l'on appelle le monde libre. Je suis frappé de voir combien, à la télévision et ailleurs, on cède à une panique totalement disproportionnée par rapport à la réalité. Par là même, on décuple, on centuple la menace terroriste. Imaginez qu'une lettre à l'anthrax soit découverte un jour dans le Montréal commercial souterrain, puis une autre lettre le lendemain. On paralyserait complètement le centre et ainsi de suite. Je crois qu'on pourrait imaginer que la presse puisse être un peu plus responsable.

Je prends l'exemple des suicides. La presse admet, comme chacun l'admet tacitement, qu'on ne parle pas des suicides parce qu'il y a un effet d'entraînement, de mimétisme. On ne publie pas les morts par suicide. Pour quelle raison est-ce qu'on ne pourrait pas, face à la gravité de la situation—et M. Baumel a raison—, essayer de conscientiser la presse et dire aux journalistes qu'ils ne doivent pas, dans ce contexte, être une caisse de résonance privilégiée du terrorisme?

• 1035

Je crois que cette dimension, au vu des derniers événements et au vu de la résonance que l'on donne aux actes, devrait être prise en considération. Il faut essayer de donner plus de conscience à la presse pour qu'elle soit moins un des alliés des terroristes actuels. Ainsi, on supprimerait une des caisses de résonance et on enlèverait une certaine efficacité au terrorisme.

Je vous remercie.

[Traduction]

Le coprésident (M. Andras Barsony): Merci.

Madame Carroll, votre nom figure sur la liste, mais je ne sais pas si vous voulez intervenir ou non. Comme j'ai le nom d'autres personnes, j'aimerais savoir à quoi m'en tenir.

M. Aileen Carroll: D'accord.

Je me demandais seulement quand M. Davis allait commencer à répondre.

Le coprésident (M. Bill Graham): Nous ferons cela à la fin. Il nous reste les Balkans, donc si nous demandons à M. Davis de terminer sa discussion vers 10 h 50, nous pourrons passer aux Balkans à 11 heures. Cela vous conviendrait-il?

Mme Aileen Carroll: Tout à fait.

[Français]

Le coprésident (M. Bill Graham): Dans le cas de M. Paquette...

Mme Francine Lalonde: J'ai une question de privilège. Avez-vous prévu une pause?

Le coprésident (M. Bill Graham): Une pause? Non.

Mme Francine Lalonde: Cela nous permettrait de nous parler, parce qu'ensuite nous allons nous quitter.

Le coprésident (M. Bill Graham): Très bien, on va faire une pause, mais on va peut-être quand même terminer avant 12 heures la séance avec les représentants des Balkans. On verra.

[Traduction]

Avant que je ne cède la parole à M. Paquette, j'aimerais seulement faire une observation du point de vue canadien, découlant des commentaires de Terry sur la définition du terrorisme dans votre résolution.

Quand j'enseignais le droit international public, j'utilisais toujours le vieux bobard selon lequel pour certains, un défenseur de la liberté est un terroriste aux yeux des autres. Pour ce qui est des conventions internationales, on a déjà vu ce genre de raisonnement. De toute évidence, il a été extrêmement difficile d'essayer de définir le terrorisme. Comme M. Baumel l'a extrêmement bien expliqué, tout à coup nous allons sacrifier des communautés entières sur l'autel de la cohésion autour de cette notion. Ceux que les Chinois n'aiment pas pour le moment seront des terroristes et ceux que les Russes n'aiment pas deviendront des terroristes. Nous devrions faire attention de ne pas semer les germes de la prochaine génération de fanatiques terroristes.

J'aimerais simplement que vous y réfléchissiez. Je suis sûr que de nombreux pays européens sont dans la même situation, mais au Canada, nous devons tenir compte d'une dimension politique nationale quand nous étudions nos propres lois. Nous sommes un pays non seulement d'immigrants, mais également de réfugiés.

Je suis rentré ce matin de ma circonscription qui compte 6 000 Tamouls. Ils s'intéressent énormément à ce débat. Si ces gens ou ceux qu'ils ont appuyés, croyant qu'ils essaient d'atténuer l'oppression dans laquelle ils vivent, sont mis sur une liste de terroristes, cela les inquiète énormément tout comme moi.

Hier, j'ai parlé à deux chauffeurs de taxi. Le premier, un Érythréen, m'a conduit à un endroit, puis après ma réunion, j'ai eu un chauffeur de taxi éthiopien qui m'a amené à mon autre rendez-vous. Quand j'ai commencé à discuter de ces questions avec eux, j'ai obtenu deux perspectives totalement différentes sur la situation, sur la question de savoir qui était un terroriste et qui n'en était pas un. Tous les députés présents dans cette salle rencontreront les mêmes problèmes, parce que nous comptons tous des réfugiés dans nos circonscriptions.

M. Baumel l'a très bien exprimé quand il a parlé de Paris. Ma fille vit à Paris. Je sais exactement de quoi vous parlez. Certaines personnes—ils sont peut-être d'Algérie ou de n'importe où ailleurs—portent des T-shirts à l'effigie de ben Laden parce qu'elles ont un point de vue différent.

Il va être extrêmement difficile de définir le terrorisme qui est devenu un problème politique. On a fait observer qu'il s'agit d'un type de terrorisme différent parce qu'il est fondé sur la religion et qu'il n'est donc pas lié à des objectifs politiques, mais cette observation nous éloigne peut-être du concept du terrorisme basque, de l'IRA, ou de quelque chose comme ça. Mais il reste que toute autorité considérera quiconque cherchera à saper son autorité, s'il recourt ultimement à la violence, comme un terroriste.

• 1040

Ce débat va s'avérer extrêmement déchirant pour nous, à mon avis, car ce sera un débat qui nous poussera à reconnaître qu'il nous faut régler un problème immédiat.

Il existe un autre problème dont nous devons tenir compte dans notre pays, ce que vous n'avez pas à faire, du moins ceux d'entre vous en Europe qui sont partie à l'accord de Schengen, et c'est que nous devons étudier ce problème sous l'angle de l'accès aux États- Unis d'Amérique. Vous ne savez peut-être pas que dans la province de l'Ontario, dont viennent bon nombre d'entre nous ici dans cette salle, près de 42 p. 100 du PIB est directement lié au commerce de l'automobile, les exportations vers les États-Unis représentant 80 p. 100. Si l'on ferme les frontières, la prospérité de la province de l'Ontario et, honnêtement, la prospérité de tout le pays, seront gravement menacées.

Comment allons-nous donc nous y prendre pour définir le terrorisme et adopter des mesures antiterroristes, à la lumière du fait que nous entretenons avec les États-Unis une relation d'intégration économique, mais que nous ne disposons pas de formes d'institutions pour gérer cette relation de la façon dont vous le faites en Europe, où vous pouvez avoir des parlements communs, une commission commune, des accords, etc.? Au moins en Europe, maintenant, vous disposez d'une cour de justice qui applique les conventions européennes sur les droits de l'homme, etc.

Vous disposez d'une foule de mécanismes qui vous permettent de trouver des solutions communes à vos problèmes, mais entre le Canada et les États-Unis il n'existe pas de cadre institutionnel qui permette de régler ces questions sauf si le premier ministre téléphone au président et si, nous autres parlementaires, nous rendons aux États-Unis pour essayer de convaincre nos amis du Congrès.

Je voulais simplement vous communiquer ces réflexions, à vous nos collègues européens. Il s'agit d'observations personnelles sur certaines des complexités que soulève ce problème en particulier sur lequel nous, au Canada, devons nous pencher.

Madame Carroll veut dire un mot, et ensuite ce sera M. Paquette.

Mme Aileen Carroll: Vous soulevez des questions très importantes qui sont prioritaires pour le Canada. Même si M. Davis a exprimé certaines réserves au sujet des réponses données à la Chambre par la ministre de la Justice concernant les dispositions de temporisation, j'ai une très grande confiance dans la capacité de nos comités permanents à fonctionner, peut-être parce que j'ai été formée au Comité de l'environnement que présidait M. Caccia, mais aussi parce que j'ai siégé au Comité de la Justice où va se rendre le projet de loi. Nous en avons tous des exemplaires.

Je crois que la ministre de la Justice a dit bien clairement qu'elle s'attend à ce que le comité tienne compte de la majorité des propos qui ont été tenus à la Chambre et que ces propos fassent partie des discussions du comité. Les témoins que nous entendrons représenteront bien des groupes que Bill Graham a mentionnés.

À cet égard, Bill, je m'exprimais en tant que membre d'un symposium composé de quatre personnes tenu à Toronto sur les aspects de cette question qui touchent au droit international, et l'Association des avocats musulmans a posé une question pendant les délibérations et s'est entretenue ensuite avec moi. Ces avocats, par exemple, comparaîtront à titre de témoins lors de l'étude du projet de loi, pour exprimer leurs préoccupations concernant l'établissement de profils et tous les sujets dont il a été question auparavant.

Mais, outre les propos tenus, je crois que les paroles du premier ministre seront également citées étant donné qu'il a bien précisé que nous prendrions le temps de réfléchir, que nous n'allions pas créer une forteresse pour nous protéger et que nous n'allions pas compromettre les caractéristiques qui identifient notre nation, qu'il a décrite comme une nation d'immigrants. Ce ne sera pas assurément tâche facile.

Les dispositions de temporisation à mon avis feront l'objet d'une discussion au comité. D'après ce que j'ai lu dans les journaux, le sujet a suscité un débat considérable au conseil des ministres. Personnellement, j'attribue une grande valeur aux observations que M. Davis a faites concernant les dispositions de temporisation, ainsi qu'à celles de Marlene Jennings.

Je vous en remercie.

[Français]

Le coprésident (M. Bill Graham): Monsieur Paquette.

M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, monsieur le président.

Je voudrais continuer sur l'intervention de M. Frey. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que c'est une situation extrêmement complexe et qu'à court terme, on aura de la difficulté à cerner l'ensemble des effets des événements du 11 septembre. Évidemment, on ne peut pas attendre d'avoir la compréhension exacte et complète de la situation pour intervenir.

Comme M. Dreyfus-Schmidt le disait, les hommes et les femmes politiques ont la responsabilité de chercher des solutions même si elles ne sont pas totalement satisfaisantes. On ne peut pas se contenter d'analyser la situation, de tomber dans le fatalisme et de laisser aller les choses. Dans ce contexte, il me semble qu'il y a des politiques ou des choix qui sont contrôlables, comme M. Frey le suggérait, et d'autres qui le sont moins ou qui sont même carrément incontrôlables à ce moment-ci.

• 1045

Je me place dans la situation où nous sommes ici. Le Canada est un pays qui n'a peut-être pas le même poids politique que d'autres, que ce soit la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne ou la France. Il y a beaucoup de choses que l'on contrôle qui sont davantage à caractère interne qu'externe. C'est dans ce contexte que j'ai de la misère à comprendre, par exemple, que le Canada ne se soit pas prononcé plus fortement en faveur du maintien de conférences comme celles du Commonwealth et du Sommet de la Francophonie. Je prends l'exemple du Sommet de la Francophonie qui aurait eu lieu à Beyrouth. Il me semble que cela aurait été un signal extrêmement positif du fait que les actes qui ont été posés le 11 septembre 2001 n'ont pas coupé les ponts entre un certain nombre de pays occidentaux francophones et ceux du monde arabe.

Il me semble qu'on aurait pu contrôler cela. On aurait pu tenir ces conférences pour montrer que la démocratie et la coopération internationale se maintenaient malgré les événements. C'est là que je me pose des questions. Je vois que la rencontre de l'OMC est maintenue. C'est comme si les choses à caractère politique étaient un peu superficielles, alors que les vraies affaires se passent dans les rencontres à caractère économique. Compte tenu de tout ce qui a été dit, je suis convaincu que, malheureusement, la rencontre de l'OMC va se tenir comme si de rien n'était, si ce n'est de l'utiliser comme tremplin pour accélérer la libéralisation des échanges, ce sur quoi nous sommes tout à fait d'accord, mais sans tenir compte des dimensions sociales, démocratiques et des droits du travail. Comme on le sait, un certain nombre de gouvernements, dont le gouvernement canadien, vont se replier pour ne pas avancer sur ce terrain, en disant que beaucoup de pays du Sud ne veulent pas avoir de dispositions à caractère politique ou social dans les accords commerciaux.

Habituellement, la plupart de ces gouvernements ont des régimes démocratiques douteux. Il est clair aussi que, comme pays riche—et je rejoins là ce que M. Dreyfus-Schmidt disait—, nous avons la responsabilité d'aider financièrement ces pays à se développer.

Est-ce qu'on est prêts à faire, au plan économique, ce changement que nous analysons tous, par rapport aux événements du 11 septembre 2001, comme étant nécessaire? J'en doute fortement. Là, on peut avoir un contrôle dans nos débats, dans chacun de nos parlements.

Je termine en parlant du projet de loi C-36. J'ai fait le tour de quelques-unes des municipalités de ma circonscription en fin de semaine, et les gens m'ont parlé bien plus des dangers du projet de loi C-36 que de ben Laden. Ils ont peur, étant donné les expériences que l'on a pu vivre dans les années 70. Un certain nombre d'enquêtes ont démontré qu'il y avait eu des abus de la part de la police, mais à partir d'une loi qui n'est pas la même. Il faut être clair, et Mme Lalonde le disait. Mais rien n'empêche que c'est de cela qu'on m'a parlé. Comme parlementaires, nous avons un certain contrôle et nous sommes en mesure de modifier le projet de loi C-36 pour répondre aux appels que nous lançait M. Frey. Je pense que notre responsabilité est de juger cette loi en fonction du maintien des droits et libertés et du travail que l'on a à faire pour faire avancer la démocratie, un acquis fragile qui doit toujours être renouvelé.

Je suis extrêmement content des propos que nous avons entendus, tout en sentant que j'ai une charge un peu plus lourde sur les épaules.

[Traduction]

Le coprésident (M. Andras Barsony): Merci, monsieur Paquette. Avant de donner la parole à Terry, permettez-moi de multiplier les dilemmes auxquels il sera confronté lorsqu'il répondra à la question.

Mon premier dilemme est le suivant: Pourquoi a-t-il été si facile de trouver Oussama ben Laden et ses alliés quand ils avaient l'appui de la CIA, pour l'amour du ciel, dans la lutte contre l'empire soviétique à l'époque, et pourquoi est-il si difficile de savoir où ils se trouvent maintenant, alors qu'ils luttent contre nous et défendent une autre cause?

Voici mon deuxième dilemme: Pourquoi toute cette question ne s'est-elle posée qu'après le 11 septembre, pourquoi la république du Tadjikistan vit en état d'urgence depuis 10 ans, et qui dans ce pays est en lutte contre les autorités officielles? Les Talibans, de l'autre côté de la frontière. Ce n'était pas une attaque contre le système démocratique.

• 1050

Donc, nous pensons vraiment que la démocratie est en péril, elle est menacée physiquement dans notre région du monde, ou beaucoup d'autres considérations entrent en ligne de compte.

Mon troisième dilemme est que nous n'avons pas anéanti Saddam. Il est toujours en vie, le système fonctionne, même s'il est préféré de loin à celui de bien d'autres pays arabes qui sont nous alliés. Mais nous avons restauré le Koweït, pays où règne le système le plus féodal qui soit, et nous voulons créer une coalition avec des pays qui ne respectent pas les droits de la personne.

Il est très facile de parler de parlementarisme, un sujet qui nous rapproche. Mais, si je me fonde sur ce qu'a dit M. Atkinson, je me demande si vous vous attendiez à ce que les femmes ne soient pas représentées dans un parlement, parce que les femmes n'ont pas le droit de vote dans la grande majorité de ces pays, lesquels pourraient être nos alliés. La question fondamentale que doit se poser le Conseil de l'Europe, et nous tous à mon avis, est la suivante: lorsqu'on se fonde sur une norme unique, est-ce que nos valeurs, la liberté, la suprématie du droit, créent un sanctuaire, ou s'agit-il simplement d'une question d'ordre pratique que l'on peut facilement écarter lorsqu'elle n'est pas dans l'intérêt d'un certain pays ou de toute une région du monde?

Cette considération a trait aux terroristes. Terry a cité la définition que l'Union européenne donnait au terrorisme, et voilà le dernier dilemme auquel je suis confronté. Le Canada, et certains pays représentés autour de cette table, sont des pays membres de l'OTAN également. Depuis la création de l'OTAN, c'est la première fois que l'article 5 a été invoqué et à l'unanimité. Tous les 19 pays ont convenu que l'article 5 est celui qui s'impose pour le moment. Quelle en est la conséquence? L'article 5 signifie que nous sommes victimes d'une attaque. Quelle est la réponse? Est-ce la guerre? Si c'est la guerre, cet état de guerre existe-t-il dans tous les 19 pays, ou pouvons-nous simplement dire que oui effectivement c'est la guerre sur un certain sol, mais que n'étant pas impliqués nous oublions tout le reste?

Je dis qu'il s'agit d'un dilemme. Dans un pays membre, lorsque l'état d'urgence a été déclaré par le gouvernement par crainte des terroristes, l'Assemblée parlementaire et les ministres ont immédiatement réagi et prié le gouvernement en question de retirer l'état d'urgence et de résoudre le problème par des moyens politiques. Il s'agissait simplement d'un état d'urgence. L'article 5 signifie que la guerre existe. Or si la guerre existe, il doit y avoir des conséquences juridiques, et pas simplement donner l'occasion de fermer quelques mosquées ou autres institutions. La question consiste à savoir si le pays tout entier est en état de guerre, et pas seulement les États-Unis mais aussi la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, et tous ces pays qui en sont loin. En sommes-nous loin? Que veut dire au juste état de guerre? Et que veut dire l'article 5? Quelles sont les conséquences juridiques?

Chers collègues, il s'agit là de questions auxquelles on ne peut pas répondre simplement en disant que les hostilités se déroulent en Afghanistan, mais qui diable sait où se trouve l'Afghanistan sur la carte?

Monsieur Davis.

M. Terry Davis: Comme vous venez de le dire, Andras, vous avez accru mes difficultés, qui étaient déjà assez nombreuses auparavant.

Je vais commencer par répondre aux questions que m'a posées Vlasta Stepova de la République tchèque. Sa première question concernait la situation humanitaire en Afghanistan. Nous parlons entre nous et je dois vous dire que l'une des réponses les plus difficiles que j'ai obtenues de notre premier ministre c'est lorsque cette question lui a été posée à une réunion des membres du parti. J'espère que je ne suis pas injuste à son égard, mais son attitude a semblé être que les Afghans seraient morts de toute manière, qu'il allait y avoir une crise humanitaire en Afghanistan cet hiver qu'il y ait ou non des bombardements, et que cela ne devait pas donc nous affoler. Pour être très franc, c'est l'interprétation que j'ai donnée à ses propos. Je ne suis peut-être pas juste envers lui, mais cette remarque m'a choqué.

• 1055

On m'a ensuite demandé ce qu'il faudrait faire au lendemain de la guerre, et qui s'en chargerait? À mon avis c'est un rôle qui incombe aux Nations Unies. Je ne peux absolument pas concevoir une autre solution. Les Américains ne seront pas acceptés en Afghanistan après ce qui s'est produit pour la simple raison peut- être que, par accident sans doute, les bombardements ont fait des victimes et que l'opinion publique leur est fortement opposée. C'est une réalité qu'il faut admettre. Donc ils ne seront pas en mesure de mettre en place ou de restaurer un monarque ou d'installer un gouvernement, et il va falloir que les Nations Unies s'en chargent.

Avec votre permission, Bill Graham, je voudrais faire une légère digression. Je crois que c'est David Atkinson qui a parlé du débat annuel qui se déroule à l'assemblée générale des Nations Unies au sujet des rapports entre les Nations Unies et le Conseil de l'Europe. Ce débat se déroulera en décembre cette année mais d'habitude il a lieu en octobre. C'est ce qui explique notre présence ici cette semaine; en réalité nous avions espéré nous arrêter ici à notre retour des Nations Unies mais nous sommes au contraire venus spécialement pour vous voir.

À vrai dire j'encourage nos collègues canadiens à insister auprès de leur gouvernement pour inclure dans votre délégation, c'est-à-dire la délégation canadienne envoyée à l'Assemblée générale des Nations Unies aux fins de ce débat, certains de vos parlementaires parce que c'est ce que nous avons fait, et c'est la raison pour laquelle en réalité des gens comme David Atkinson et moi-même, Andras Barsony et d'autres, nous rendrons à New York pour participer à ce débat. Le gouvernement nous permet de nous exprimer en tant que parlementaires lors de ce débat et nous pouvons par conséquent nous exprimer en connaissance de cause au Conseil de l'Europe. Il serait extrêmement utile si les Canadiens et les Mexicains, étant donné votre position très privilégiée, se joignaient à nous lors de ces débats à l'avenir. C'est trop tard pour cette année mais je le répète ce serait peut-être possible pour l'avenir.

En réponse à la question de Vlasta, sans détour j'espère, à mon avis les Nations Unies sont le seul organisme qu'acceptera la communauté internationale pour se charger de cette démarche. Si je dis cela c'est parce que ceux d'entre nous qui se sont rendus aux Nations Unies l'année dernière—et je ne me souviens pas Vlasta si vous étiez des nôtres avons tous été extrêmement impressionnés—du moins ça a été mon cas—par la compétence des fonctionnaires des Nations Unies. Ils se sont révélés beaucoup plus compétents que je ne l'avais cru auparavant même si j'ai toujours été un défenseur des Nations Unies. J'ai été impressionné très favorablement.

Je vais maintenant traiter de l'argument qu'a fait valoir Francine Lalonde. Je ne veux pas qu'il y ait de malentendu au sujet de cette disposition de temporisation.

Francine Lalonde a dit que certains articles de ce projet de loi—et je n'ai pas eu l'occasion de le lire, j'en ai simplement vu un exemplaire—devraient être réexaminés et que certains devraient avoir une date d'expiration. J'estime que le premier ministre Chrétien avait parfaitement raison de dire, comme l'ont rapporté les journaux que j'ai lus pendant le week-end, que personne ne sait quelle sera la situation du point de vue de la sécurité dans trois ans d'ici? On ne le sait pas.

Si je vous ai mal interprétée je vous prie de m'excuser, mais j'estime qu'on aurait tort de fixer une date d'expiration absolue et de dire que dans trois ans la mesure expirera. À la fin de cette période on devrait présenter une résolution visant à renouveler la mesure. Ça c'est différent. Autrement dit, il faudrait invoquer le fardeau de la preuve, comme Marlene l'a dit, mais il ne devrait pas y avoir une extinction automatique—si je puis employer ce mot-là dans ce contexte, des pouvoirs. Je dirais que le Parlement canadien devrait pouvoir les renouveler. C'est ce que nous avons fait au Royaume-Uni. Nous n'avons pas dit la mesure expire et il faut lui faire franchir à nouveau toutes les étapes pour devenir à nouveau une loi du Parlement. À mon avis ce ne serait pas raisonnable.

Je voulais bien le préciser parce que j'estime que le premier ministre Chrétien a eu raison de dire que personne ne savait quelle serait la situation dans trois ans d'ici. Mais la réponse consiste à dire que bien entendu nous acceptons la mesure mais c'est la raison pour laquelle nous devrions vous permettre de venir nous présenter une résolution émanant du gouvernement afin que le Parlement puisse voter pour renouveler ces pouvoirs.

Je voulais ensuite aborder la question de savoir si en fait nous avons besoin de nouveaux pouvoirs. Je soulève cette question, qui peut-être aurait dû l'être au début parce que ayant fait des recherches—sans prétendre être un expert—avec l'aide du secrétariat de l'assemblée du Conseil de l'Europe, je me suis de plus en plus inquiété de la hâte à adopter des mesures. Nous faisons l'objet de pression, en tant que politiques appartenant à un régime démocratique et assurément en tant que gouvernements, pour être perçus comme des gens d'action. Cela pose un problème. Il faut que notre action, en réponse au problème, soit perçue comme étant immédiate.

Parfois les pouvoirs sont déjà là. En fait, plus je remonte dans le temps, et plus je me rends compte qu'un grand nombre des pouvoirs existent déjà. Oui, on peut y remettre de l'ordre. Oui, nous pouvons avoir des lois plus strictes dans le domaine des banques et des lois plus strictes relativement à la divulgation et à la transparence des opérations bancaires pour éviter le mouvement des produits de la criminalité, que ce soit ou non associé au terrorisme, mais essentiellement il y a de nombreux pouvoirs qui existaient déjà. Honnêtement, le problème n'était pas un manque de pouvoirs le 11 septembre; c'était plutôt la non-utilisation de ces pouvoirs. Plus particulièrement, comme nous le reconnaissons tous, les services du renseignement nous ont fait défaut. Bien des Américains les critiquent pour ne pas avoir prédit ou prévu les événements.

Je vous invite donc à la prudence avec tous ces pouvoirs supplémentaires, même si je suis certain que tous nos gouvernements et nous tous subissons beaucoup de pression de la part de nos électeurs de montrer que nous faisons quelque chose.

• 1100

Bill, vous avez dit qu'il y avait ce que vous avez décrit comme un canard du terroriste ou du combattant de la liberté. Même si ce n'est pas nouveau, c'est toujours vrai. Tout comme les meilleures farces sont les plus vieilles, il y a bien des vieilles expressions qui sont toujours valables. Ce n'est pas parce qu'elles sont devenues des clichés qu'elles ne sont plus valables. C'est seulement une question de perception.

Je tiens les propos de quelqu'un qui a grandi dans un pays qui avait un empire et des colonies. Je me souviens de m'être fait dire que l'archevêque Makarios était un terroriste. Peu de temps après il devenait le président d'un pays démocratique. Je me rappelle de m'être fait dire que Jomo Kenyatta était un terroriste. Il est devenu le président d'un pays indépendant et j'ajouterais même qu'il est élevé pratiquement au rang de sainteté. Et cela s'applique à de nombreux autres endroits.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je suis Irlandais. Je sais donc que vous voulez dire.

M. Terry Davis: Sans trop s'aventurer sur ce terrain, c'est une situation fort valable. On a tendance à traiter ses adversaires, qui peuvent être armés, de terroristes alors que dans certains cas je les qualifierais uniquement de combattants de la liberté.

En Afrique du Sud, là où il n'y avait aucune solution de rechange, à mon avis, il n'y avait aucune démocratie, il n'y avait aucune façon de s'exprimer par des moyens démocratiques, j'aurais qualifié les gens qui ont eu recours à la violence de combattants de la liberté. Il m'est impossible de condamner ceux qui ont eu recours à la violence là-bas ou au Mozambique, ou encore en Angola, ou dans de nombreux autres pays.

Il faut donc faire preuve d'une grande prudence. Évidemment, et c'est très significatif, j'ai pensé que les Russes ont été les premiers à déclarer leur appui à la guerre contre le terrorisme, comme on l'a appelée, parce qu'ils ont leurs propres motifs avec la Tchétchénie, n'est-ce pas?

Le Cachemire est un exemple parfait. Il a été mentionné pendant la discussion par David Atkinson je pense et probablement d'autres. Comme je l'explique souvent à mes électeurs du Cashmere, rien ne justifie de faire sauter une bombe et de tuer de nombreux innocents, quelle que soit leur origine, qu'ils soient Indiens, ou Hindous, Sikhs, ou peu importe. Rien ne justifie un tel geste. Il m'est tout de même difficile de condamner les gens qui sont obligés de prendre les armes contre l'armée indienne. Il m'est difficile de condamner tous les Palestiniens pour leurs gestes contre l'armée israélienne, compte tenu de ce qui se passe depuis quelques mois.

C'est donc une question de perception, à mon avis. Je pense que nous devons faire preuve d'une très grande prudence dans le cas de cette définition.

Je passe maintenant aux observations de M. Baumel, que j'ai trouvées effectivement très intéressantes. Il en sait beaucoup plus sur les musulmans que nous tous réunis en raison de sa longue expérience de l'Algérie.

Ce que je retire de mes discussions avec des musulmans, et il y en a plus de 10 000 dans ma circonscription, c'est qu'il y a énormément de points de vue. Mais ils me disent que les gestes du 11 septembre ne sont d'aucune façon l'expression de l'Islam. Ils estiment que c'est plutôt une déformation de l'Islam quant à eux. Certains fondamentalistes sont d'accord. Non seulement des gens portaient-ils des t-shirts, mais nous en avons vu au Moyen-Orient qui se réjouissaient des événements du 11 septembre. Évidemment, il y en aura toujours.

Mais, comme nous le savons tous, nous ne devons pas pour cette raison considérer que tous les musulmans font partie de ce groupe. C'est tout un problème de faire la distinction, n'est-ce pas?

M. Dreyfus-Schmidt et M. Patry ont tous deux posé la même question, en fait, qui est de savoir ce que nous devons faire compte tenu de cette analyse de la force des sentiments chez les musulmans? C'est là à mon avis la grande question que nous ne pouvons pas nous contenter de poser sans essayer d'y répondre.

Soit dit en passant, au sujet de ben Laden, mes électeurs musulmans n'en ont que faire de ben Laden. Ce n'est pas seulement parce qu'il est un multimillionnaire; il n'est pas religieux. Il n'a pas soudainement trouvé la religion. M. ben Laden est un millionnaire qui a fait beaucoup d'argent à établir des bases pour les Américains en Arabie Saoudite, et qui a ensuite déménagé ses activités en Afghanistan. Selon mes amis musulmans, il pensait que la CIA lui avait promis qu'il deviendrait le grand patron de l'Arabie Saoudite. C'est ce qu'il voulait. C'était son objectif.

Il n'était pas religieux. Il ne se préoccupait nullement de la pauvreté et des démunis des camps de réfugiés palestiniens. Tout ce qui le préoccupait, c'était son pouvoir, et il estime que les Américains l'ont trahi. On ne lui a pas donné ce qu'on lui a promis, et ce n'est pas surprenant. Il n'allait pas se contenter d'être un millionnaire, il voulait les richesses du pétrole de l'Arabie Saoudite. Ils ne se font donc aucune illusion à son endroit.

En passant, Bill, lorsque vous dites que le Canada est un pays d'immigrants, je pense parfois que je devrais rappeler à mes amis canadiens que bien que je reconnaisse la vérité dans ce que vous dites, il y a d'autres pays européens qui comptent énormément d'immigrants aussi.

Je suis un immigrant. J'ai une origine mixte. Lorsque j'ai examiné ma généalogie, j'ai constaté qu'il y avait énormément de gènes différents dans ce que je suis, scandinaves, français et essentiellement gallois. Je forme donc un grand mélange. Je dis tout simplement que je suis anglais, parce que cela couvre tout. Nous sommes une race bâtarde et nous en sommes fiers.

• 1105

Mais cela vaut également pour la France. Il vous suffit de jeter un coup d'oeil aux noms des citoyens français pour vous rendre compte à quel point l'immigration est intervenue au fil des années en France. Tout ce qu'ils ont en commun, c'est la langue, il me semble, mais leurs noms indiquent des origines de tous les coins de l'Europe. Je veux seulement attirer l'attention de mes amis canadiens sur ce fait.

Je pense qu'il y a un grand danger que nous n'avons pas mentionné, et c'est celui d'exagérer Oussama ben Laden. Ce n'est pas uniquement une affaire qui a trait à Oussama ben Laden. Il exploite les sentiments du monde musulman. Il exploite la frustration, les griefs, les sentiments qu'on ne les a pas traités de façon juste et équitable. Nous allons devoir penser en fonction de la politique pour savoir ce que nous devons faire pour éliminer ces sentiments. Nous allons probablement devoir commencer, comme tout le monde le dit, par le Moyen-Orient. Il y aura aussi d'autres endroits.

Il est très important de rappeler aux musulmans que—et le Canada était du nombre—les Canadiens et de nombreux pays d'Europe ont entrepris deux actions militaires à la défense des musulmans, la première en Bosnie et l'autre au Kosovo. Ces actions n'avaient rien à voir avec le territoire, le pétrole; elles étaient pour la défense des droits de ces personnes. On protégeait les musulmans contre des chrétiens. Ils acceptent cela, mais vous devez le leur rappeler. C'est d'ailleurs révélateur de la force de leur sentiment qu'il faille leur rappeler que nous nous sommes battus, qu'en deux occasions récentes nous avons fait intervenir nos soldats pour protéger les droits des musulmans.

À mon avis, le grand risque est que nous avons tendance à penser que ben Laden est Blofeld. Pour ceux qui ne lisent pas ce genre de littérature, que je lis, Blofeld est le grand méchant dans les livres de James Bond. C'est un millionnaire; il a tout un réseau de personnes à sa solde et il tient en fait le monde en otage parce qu'il met la main sur une arme nucléaire américaine dans un livre. Vous devez voir les films.

Oussama ben Laden n'est pas Blofeld. Oussama ben Laden se sert des gens; il ne les emploie pas. Oui, il emploie quelques personnes—il a son garde du corps. Mais il se sert des griefs, dont certains au moins peuvent se justifier. Je pense que cela répond à la question de M. Patry. Ce que nous devons faire, c'est de répondre en toute honnêteté à ces griefs, de décider s'ils sont justifiés et, le cas échéant, d'agir. Tant que nous n'aurons pas fait cela, nous... Ce n'est pas le largage de rations alimentaires sur l'Afghanistan qui va changer les sentiments des musulmans qui ont des griefs.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup.

Terry, votre dernière observation au sujet de la défense des collectivités musulmanes contre l'oppresseur chrétien dans les Balkans nous amène à notre prochain sujet, précisément les Balkans.

Je crois comprendre que vous envisagiez d'admettre la Macédoine au sein du Conseil de l'Europe, n'est-ce pas? Ou bien votre sous-commission envisage...

M. Terry Davis: Oui, nous avons parlé de la Macédoine, mais notre exposé aujourd'hui je pense va porter sur les Balkans de façon plus générale. Je ne me rappelle pas exactement qui va faire l'exposé.

Le coprésident (M. Bill Graham): Nous n'avons rien prévu à cet effet, mais devons-nous supposer que vous prendrez la parole d'abord et que les Canadiens suivront, étant donné que cette question vous touche beaucoup plus directement? De toute évidence, nous avons encore des troupes dans les Balkans. Nous avons un véritable intérêt dans cette question.

Encore une fois, chose curieuse, il y a eu une conséquence politique interne à ce que nous faisions dans ce cas-là. Je comptais beaucoup de Serbes dans ma circonscription qui m'en ont voulu passablement en raison de notre intervention là-bas. En politique moderne, à cause des tendances qu'ont les gens à se déplacer, les questions de politique étrangère engendrent des réactions passablement fortes à l'interne chez eux en raison de la nature de nos populations.

Je propose que vous commenciez. Je ne sais pas qui prendrait la parole d'abord sur la question des Balkans. Nous pourrions ensuite peut-être enchaîner avec des observations de nos membres qui se sont rendus là-bas récemment ou ceux qui ont des observations à faire.

M. Terry Davis: Je pense qu'Andras Barsony va donner la parole à M. Frey.

[Français]

M. Claude Frey: Merci, monsieur le président.

Concernant la Yougoslavie, il y a 13 mois, le 24 septembre 2000, il y avait des élections et c'était la première manifestation d'une volonté de changement. Et puis, le 5 octobre, la population, une foule énorme prenait d'assaut le Parlement pour renforcer cette volonté de changement. Les élections qui ont eu lieu en Serbie le 24 décembre 2000 ont confirmé cette volonté de changement.

• 1110

Maintenant, une année après, 12 mois après, est-ce que cette volonté est aussi ferme? Est-ce qu'il y a toujours cette volonté de changement? Incontestablement oui, mais ce que nous relevions il y a à peu près une année s'est renforcé, c'est la fragilité. Fragilité que je veux relever à trois niveaux.

Premièrement, la question fédérale. La République fédérale, est-ce que c'est la Serbie plus le Monténégro avec un statut spécial du Kosovo? On n'y revient pas. Qu'en est-il? On constate sur ce point que le président Kostunica a déclaré, le 30 septembre de cette année, que la Serbie ne saurait devenir l'otage des divisions au sein du Monténégro, qu'un référendum est inévitable pour résoudre le problème des relations au sein de la fédération, et le vice-président d'un des partis de la coalition indiquait que si l'État fédéral ne devait point survivre, il faudrait alors constituer la Serbie comme un État indépendant et aller au-devant de nouvelles élections.

Actuellement, les sondages réalisés à Belgrade sur cette question, la question fédérale, montrent que 29,8 p. 100 des personnes interrogées croient qu'un référendum pourra résoudre le problème; 22,6 p. 100 pensent le contraire; 55,7 se prononcent contre la sécession; 29,8 p. 100 y seraient favorables et 14,5 p. 100 n'ont pas de réponse. Il y a fragilité pour la question fédérale, la sécession avec le Monténégro. Donc, il y a fragilité et, actuellement, confusion sur ce point.

Deuxième fragilité: les dissensions au sein de la coalition gouvernementale et les rivalités qu'on doit bien constater entre le président de la République fédérale, M. Kostunica et le premier ministre de la Serbie, M. Djindjic. Le président Kostunica a dit des choses tout récemment—c'était le 23 septembre—tout à fait surprenantes. Cela ne va pas nous aider dans notre rapport pour accueillir la Yougoslavie. Kostunica disait que la situation en Serbie serait actuellement pire que depuis la chute du régime Milosevic. Les réformes n'auraient jamais été mises en pratique ni même initiées. On attendrait toujours que des actions soient lancées dans les domaines de l'organisation de la justice, de l'administration, de l'information, dans le domaine universitaire. Il disait aussi que l'État et la société seraient gangrenés par une montée en puissance de la criminalité, le gouvernement ayant plus que jamais recours à la procédure des décrets, qu'il faudrait désormais que soit établi l'état de droit dans le pays, qu'il faudrait construire un État démocratique ouvert dans un pays qui sache où et de quoi sont faites ses racines, où sont ses frontières et à qui il appartient.

Ça, c'est le président de la République fédérale qui l'a dit, et qui l'a dit tout récemment. Inutile de vous dire que le premier ministre de Serbie, face à ces déclarations, s'est déclaré irrité de ces critiques. Il a dit qu'il ne s'agissait pas d'être subjugués par le succès de l'entreprise, que les performances déjà enregistrées ne peuvent être remises en cause et qu'il ne faut pas les remettre en cause de manière quotidienne et humiliante.

Et puis le vice premier ministre fédéral insiste, comme Kostunica, pour dire que très peu, pratiquement rien n'a été fait du point de vue de la réforme de l'État et de la justice, pas non plus de la redéfinition des relations entre la Serbie et le Monténégro.

Bref, pour reprendre leurs termes, tout resterait à faire en matière de législation sur l'armée, la police, la police judiciaire, le Code pénal, l'université, la décentralisation, la loi sur les élections, et peu aurait été accompli dans les domaines de la lutte contre la corruption et la formation.

Deuxième fragilité. Une coalition qui, elle, est composée de 17 partis différents. Quand on est dans l'opposition, ça va encore, parce qu'il y a une motivation générale. Quand il faut gouverner à 17, c'est plus que difficile, et on commence à voir ces difficultés. Donc, la deuxième fragilité, c'est la fragilité de la coalition, la fragilité des relations entre les personnes, le président de la fédération et le premier ministre de Serbie.

• 1115

Alors, inutile de dire que dans ce contexte, la population n'a pas une confiance extraordinaire. L'indice de popularité de M. Kostunica est le plus élevé, à 34,8 p. 100. Le premier ministre Djindjic est a 9,3 p. 100 de cote de popularité et le vice-premier ministre, à 3,2 p. 100, et plus de 29 p. 100 ne font confiance à aucun homme politique. Donc, il y a dégradation dans la confiance dans un système politique dont, il y a seulement 13 mois, on appelait de ses voeux.

Troisième et dernière fragilité: les difficultés économiques et les mouvements sociaux. Il y a l'inflation. C'est à un peu plus de 30 p. 100. Chaque mois, elle est de 1,4 p. 100 maintenant, mais l'inflation s'inscrit à 31,1 p. 100 depuis le début de l'année. Cette inflation, elle touche particulièrement les produits alimentaires, qui progressent pratiquement de plus de 3 p. 100 à chaque mois.

Dans ce contexte, il y a les mouvements de grève, les mouvements sociaux dans le secteur des postes, des télécommunications, de l'électricité, des usines d'automobiles, dans les mines de charbon et dans les agences de presse. Le salaire, dit-on, dans le cas d'un employé d'une entreprise d'électricité est, selon le ministre des Finances, de 230 euros; selon les syndicats, il est de 150 euros. L'hiver arrive et les difficultés vont donc se renforcer.

Dans ce cadre, dans le troisième chapitre des fragilités économiques, il y a la corruption. La corruption est un phénomène global inquiétant. Ce qui est inquiétant, c'est que 53 p. 100 des personnes sondées trouvent tout à fait normal de voir leurs problèmes trouver une solution plus rapide en ayant recours aux pots-de-vin, à la corruption. C'est devenu un phénomène normal pour une part importante de la population. Ce système est répandu dans le domaine de l'import-export, dans les contrats avec le gouvernement, dans l'installation des lignes téléphoniques, dans l'adduction d'eau, dans l'obtention des documents douaniers, et on dit que la corruption là est encore plus importante que dans les pays voisins.

Voilà la situation, qui a donc changé sensiblement en 13 mois. Le Conseil de l'Europe a son utilité dans ce contexte. Sans aucun doute, puisqu'il y a une demande, il y a un intérêt évident à être membre. Comme ils souhaitent être membres de l'Union européenne dans les meilleurs délais, il s'agit de soutenir ceux qui veulent ce changement, soutenir ceux qui ont manifesté cette volonté il y a quelque 13 mois, de les aider, de les renforcer par rapport aux autres. Et là, je crois que nous aurons un rôle particulièrement important.

J'observe que la délégation de la République fédérale de Yougoslavie au Conseil de l'Europe, amenée par un homme parfaitement respecté dans l'ensemble du pays, le président Micunovic du Parlement, fait bonne figure, fait de bonnes interventions et a assez de volonté de manifester la volonté de changement.

Donc, il s'agit de s'appuyer sur les partis, sur les hommes qui veulent ce changement pour essayer d'éviter la dérive. Mais actuellement, on doit être pessimistes. Merci.

Le coprésident (M. Bill Graham): Ce n'est certainement pas de l'optimisme, en tout cas, monsieur Frey.

Est-ce que vous avez peut-être un mot à dire, des opinions sur la possibilité d'avoir la paix en Macédoine aussi, de savoir ce qui se passe?

M. Claude Frey: Je crois qu'il faut laisser Terry Davis s'exprimer, ou celui qui fait le rapport—mais il n'est pas là—peut-être pour avoir une opinion plus spécialisée, parce que je ne suis pas le rapporteur pour la Macédoine, et je ne voudrais pas me risquer à dire des choses sur un domaine où je suis moins spécialisé.

Le coprésident (M. Bill Graham): Très bien. Vous êtes spécialiste en corruption, en pots-de-vin...

M. Claude Frey: Je suis un spécialiste en fragilité, monsieur le président. Le spécialiste des fragilités dans tous les secteurs.

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est bon.

• 1120

[Traduction]

Terry, quelqu'un de la délégation a-t-il des observations? Nous nous intéressons également à la Macédoine. Je donnerai ensuite la parole aux Canadiens.

M. Terry Davis: Malheureusement, notre rapporteur sur la Macédoine n'a pu nous accompagner parce qu'il est observateur aux élections qui se déroulent au Kosovo. C'est très important. Il vient de la région, et c'est pour cette raison qu'il a pu faire un excellent travail pour nous sur la Macédoine.

Bien honnêtement, monsieur le président, la situation en Macédoine change tellement rapidement que tout ce que vous direz aujourd'hui n'aura probablement plus aucun sens demain de sorte que j'hésite beaucoup.

C'est la situation classique où vous avez des militants et des modérés, une situation semblable à celle des syndicats, si je peux m'exprimer en termes industriels. Vous avez des gens qui veulent peut-être aller plus vite que d'autres ou qui ont des demandes plus extrêmes que d'autres. Le problème, en Macédoine, c'est de réunir les modérés des deux groupes.

Je suis tout à fait conscient du fait qu'à l'assemblée du Conseil de l'Europe nous ne voyons que les modérés des deux groupes. Nous rencontrons les personnes qui sont raisonnables. Il est très révélateur que pendant les discussions que nous avons tenues à la Commission des questions politiques au sujet de la situation en Macédoine sur une période de quatre à cinq mois, nous avons finalement réussi à les faire s'asseoir ensemble. Cela ne vous semble peut-être pas grand-chose, mais pour nous c'était toute une réussite en ce sens que même s'ils ne s'entendent pas, au moins ils reconnaissaient qu'ils étaient des Macédoniens. Et cela incluait d'ailleurs le représentant soi-disant albanais de la délégation macédonienne. Je pense que j'utiliserais probablement l'expression «optimisme prudent».

En passant, je pense que je dois rendre un hommage. Je suis tout à fait conscient que vous avez environ 1 500 soldats canadiens en Macédoine, et c'est une très bonne contribution.

On me passe un message. Notre irremplaçable secrétaire de délégation m'a suggéré une façon de me sortir de mon dilemme qui fait que je n'ai pas à faire part d'une opinion personnelle. Mais à mon avis, la situation donne des signes positifs et prend une tournure nettement meilleure que celle que j'avais envisagée il y a six ou huit mois. Je pense qu'elle s'est améliorée dans les dernières semaines.

Je peux vous présenter deux personnes qui sont allées en Macédoine et qui peuvent vous faire part de leur expérience personnelle. Il s'agit de M. Toshev de la Bulgarie, et de M. Gross de la Suisse. Je m'empresse donc de leur céder la parole.

Le coprésident (M. Bill Graham): Veulent-ils ajouter quelque chose?

M. Andreas Gross (Suisse, Commission des questions politiques, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe): Nous en avons déjà discuté à Strasbourg. Je pense que la question de la Macédoine doit également faire l'objet d'une autocritique de la part du Conseil de l'Europe. Lorsque la situation est venue sur le point de dégénérer en guerre civile, ce n'était pas au sujet du pétrole ou d'une autre controverse, mais bien plutôt au sujet des questions que le Conseil de l'Europe aime tout particulièrement, c'est-à-dire les droits de la personne, les droits des minorités et la décentralisation des pouvoirs et, si on prend le contexte du Canada et de la Suisse, de quelle façon deux collectivités s'unissent et vivent ensemble dans un même État.

Ce qui m'a le plus laissé perplexe après des discussions avec un grand nombre de gens lorsque nous nous sommes rendus là-bas en juillet, c'est ceci: Lorsque vous discutiez de la situation avec les représentants des deux collectivités, vous n'aviez jamais l'impression que cela faisait dix ans qu'ils vivaient dans le même État. Ils parlaient l'un de l'autre comme s'ils n'avaient jamais vécu dans le même État. L'autre chose, c'est qu'il y en a trop dans les deux collectivités, en particulier du côté de la majorité, qui pensent encore que la guerre règle des problèmes. Ils parlaient de la guerre comme s'ils n'avaient pas vécu à sa proximité depuis dix ans.

C'est déconcertant pour le Conseil de l'Europe plus particulièrement parce qu'il y a un an, nous avons décidé de ne plus suivre la situation. Vous savez probablement que nous avons une procédure de suivi, qui suit la réalisation de l'obligation lorsqu'un pays devient membre du Conseil de l'Europe. L'une des plus importantes obligations était la création d'un État commun dans lequel les deux collectivités pouvaient interagir de façon à vivre en paix dans un même État.

Lorsque nous avons examiné la situation un an et demi plus tard, nous nous sommes rendu compte des tensions qui en l'espace d'un an avaient amené le pays au bord de la guerre civile. Je pense que nous devons songer aux critères du suivi, et nous devons utiliser ce cas à titre d'exemple pour voir ce que nous pourrions faire de mieux. Évidemment, lorsque vous ne pouvez pas compter sur un représentant de la majorité slave dans le pays, ils vous disent que ce sont les retombées de la crise du Kosovo et l'interférence des groupes armés du Kosovo du côté albanais qui ont provoqué la crise.

• 1125

Mais c'est peut-être seulement le dernier élément. Si la crise n'avait pas été aussi profonde, cette interférence n'aurait pas entraîné tout le pays au bord d'une guerre civile. Nous devons examiner la situation de façon plus exhaustive. Je n'ai pas seulement essayé de le faire dans le cadre d'une procédure de suivi au sein du Conseil de l'Europe, mais j'ai aussi essayé de le faire en Suisse parce qu'ils investissent passablement d'argent et d'énergie là-bas.

C'est peut-être quelque chose qui pourrait intéresser beaucoup le Canada, à savoir que nous avons échoué dans les politiques dont le Canada et la Suisse sont fiers en ce sens qu'ils ont réussi à rapprocher des collectivités dans un même État. Nous n'en savons pas encore assez pour construire des nations se composant de diverses collectivités, et la Macédoine n'en est qu'un exemple.

Alors qu'elles ont échoué en Macédoine, ce sera encore plus difficile en Bosnie, par exemple. C'est pour cette raison qu'il est tellement important d'apprendre de cette leçon afin de mieux faire en ce qui concerne notre propre avenir.

Le coprésident (M. Bill Graham): Vos observations sont très utiles. Avant que je donne la parole à des Canadiens, j'étais moi-même à Skopje, il y a quelques années...

Je suis désolé. Nous allons poursuivre.

Monsieur Toshev.

M. Latchezar Toshev: Merci, monsieur le président.

Je tiens à ajouter qu'il est bien de rendre hommage aux efforts déployés par le président de la Macédoine, M. Trajkovski. Il fait preuve d'un très grand courage en se battant pour la démocratie et une solution pacifique au conflit malgré qu'au début l'opinion publique, des deux côtés, était contre lui. Il y a encore probablement de très nombreuses personnes, des deux côtés, qui ne sont pas satisfaites.

Enfin, le Parlement ratifiera fort probablement l'accord d'Ohrid à la dernière étape, car la procédure parlementaire en compte plusieurs. La dernière étape est celle du vote et j'espère que cet accord amènera une solution durable en Macédoine.

Voilà pourquoi nous devrions exprimer notre reconnaissance à ce sujet parce que parfois les personnalités détiennent des postes-clés. Une personne comme le président détient un poste-clé qui pourrait influer sur le déroulement du processus, son amélioration ou sa détérioration. C'est pour cela que je veux rendre hommage.

En Macédoine, deux facteurs jouent; le premier est évidemment le facteur Albanais, qui vient également de l'extérieur. Le problème est qu'à la frontière entre la Macédoine et la Yougoslavie il n'y a aucune infrastructure gouvernementale. C'est pour cela que la circulation, si on peut le dire ainsi, est très lourde. Il n'y a aucun poste de contrôle parce qu'il n'y a virtuellement aucune frontière. Il est très difficile de savoir où se trouve exactement la frontière. Elle existe uniquement sur les cartes. Renforcer le contrôle de la frontière pourrait aider à reprendre en main la situation.

On pourrait éliminer ainsi une partie de la contrebande d'armes, de drogues, etc. Les sources de soutien aux activités criminelles seraient limitées s'il y avait une infrastructure frontalière et un contrôle frontalier. Je pense qu'on devrait également inclure cela dans nos recommandations, qui viendront plus tard.

Pour l'instant, je pense que le plus important est la solution politique. Tout est entre les mains des parlementaires, qui ne sont pas satisfaits parce qu'ils n'ont pas participé aux négociations qui ont conduit à l'accord d'Ohrid. Espérons que cette solution entrera en vigueur très bientôt.

Merci.

Le coprésident (M. Andras Barsony): Merci, monsieur Toshev.

Avant de donner la parole aux Canadiens, il faut mentionner ce à quoi M. Toshev et M. Frey ont fait allusion, à savoir le contexte commun. Évidemment, le pétrole ou le grand pouvoir n'interviennent pas ici, mais on ne peut pas oublier que c'est par la Macédoine, par le Kosovo, par le Monténégro que se font le trafic d'armes, la contrebande, le trafic de drogues et le trafic de produits du tabac en provenance du sud vers le reste de l'Europe. Cela n'a rien à voir avec le pétrole, mais tout avec qui en assurera le contrôle.

• 1130

Dans les trois pays ou provinces—deux pays et le Kosovo—il y a un dicton selon lequel presque 60 p. 100 de l'économie relève du marché gris. Au Monténégro, c'est encore plus élevé; bien qu'il fasse partie de la république fédérale, la plus grande partie de l'économie actuelle appartient au soi-disant marché gris. Vous ne savez jamais qui est aux commandes, qui est le propriétaire ou qui contrôle. Évidemment, tous les revenus ne sont aucunement taxés.

Oui, il y a une dimension politique très importante et très difficile, mais on ne peut pas oublier le contexte économique actuel dans tout cela. Je pense que c'est une conséquence du fait que la communauté internationale occupe le Kosovo et a fermé les frontières du Kosovo. La Macédoine est devenue le principal champ de bataille où se rencontrent les groupes expulsés du Kosovo après l'arrivée de la communauté internationale.

La situation est passablement délicate, et nous nous rappelons de nos débats pendant la session d'avril alors que la Commission des questions politiques a soulevé plusieurs problèmes portant sur la façon de modifier la constitution de la République de Macédoine. À ce moment-là, les Macédoniens membres de la commission et de l'assemblée ont beaucoup hésité à accepter ces recommandations. Cependant, elles ont été adoptées à l'unanimité non seulement par la commission, mais aussi par l'assemblée. Ils ont dit—ils ont fait quelque chose, une partie des affaires internes du pays—qu'ils faisaient de leur mieux et tout le reste. Ils n'étaient pas encore revenus de Strasbourg lorsque la crise est devenue critique.

Il faut savoir, outre le contexte politique, qu'il y a d'autres situations très importantes pour lesquelles les gens de la région ne sont pas responsables. Par conséquent, la responsabilité de la communauté internationale est d'autant plus grande.

Bill.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je ne sais pas si quelques-uns de nos collègues veulent ajouter quoi que ce soit. Je ferai quelques observations seulement.

J'ai trouvé que l'intervention de M. Gross avait particulièrement une signification pour ce qui est des valeurs canadiennes, si vous voulez, et des nombreuses préoccupations canadiennes. Je me rappelle que lorsque j'étais à Skopje il y a quelques années, il ressortait très clairement lorsqu'on parlait à des Albanais ou à des Kosovars qui faisaient partie du régime politique qu'ils estimaient qu'en raison de la nature de la représentation, leur participation était négligeable. Il y avait toute la question de la langue, etc.

Vous avez tout à fait raison. Les Canadiens, les Suisses, et toutes les personnes d'autres pays qui connaissent le fonctionnement d'un État fédéral ont souvent à la fois un rôle particulier à jouer et le devoir de mettre leur expérience à profit pour essayer d'aider les autres. En réalité, le premier ministre assistera à une conférence sur le fédéralisme au Mexique en novembre pour parler de cette question. Même nos collègues mexicains avec leurs problèmes du Chiapas et toutes sortes de choses, essaient de trouver des façons d'avoir un fédéralisme souple qui peut s'adapter aux groupes minoritaires, aux langues, etc., dans les États de grande taille et complexes.

Je suis d'accord avec vous. La solution, du moins certainement dans le cas des Balkans, repose en grande partie sur la mise en place de structures qui permettent à des représentants démocratiquement élus de petits groupes... Mais mettez-les dans un État plus grand, suffisamment grand pour qu'ils puissent y avoir au moins une unité économique viable. Nous voyons la situation du Monténégro... J'ai rencontré M. Djukanovic à Istanbul au moment du sommet de l'OSCE. Tout y était: nous voulons en sortir, mais lorsque nous le ferons, qu'aurons-nous? C'est toujours un problème dont on peut discuter.

• 1135

Je pense qu'en tant que Canadiens nous essayons d'être utiles là-bas. Je sais que nous avons un programme d'aide. Nous avons des troupes.

La question des troupes nous amène vers la Bosnie et nos troupes qui sont là-bas. Évidemment, nous devons respecter un échéancier pour ce qui est des troupes que nous conservons dans la région des Balkans. Nous nous intéressons beaucoup aux Balkans. Nous aimerions que la région se développe d'une façon ordonnée, mais nous devons répondre à de nouvelles demandes en raison de la question du terrorisme.

Il y en a peut-être parmi vous qui savent qu'il y a eu un débat au Canada, un débat assez animé, quant à notre participation dans l'actuelle campagne, principalement parce que de nombreuses personnes au pays estiment que nous n'avons pas les ressources dans nos forces armées. Pour des raisons d'ordre budgétaire, elles n'ont pas été une priorité depuis longtemps au Canada. Par conséquent, je pense que nous pouvons dépêcher quelques bataillons et les approvisionner. C'est tout. Ce nombre de troupes est encore plus limité que vous pourriez le penser. C'est toute une question pour nous de savoir si on peut rester.

L'expérience que j'ai des assemblées parlementaires Canada-États-Unis avec mes collègues américains, j'ai discuté de ces questions souvent. Je préside un comité avec Ben Gilman et d'autres personnes du comité des affaires étrangères chez nos voisins du Sud. J'aurais pensé que leur tolérance ou leur patience quant au maintien d'un nombre élevé de troupes américaines dans la région, à la fois pour des raisons financières et d'autres, tire à sa fin.

Je suppose que c'est quelque chose pour nos collègues européens. Je ne sais pas si la PESD, ou peu importe ce qu'on l'appelle, va pouvoir ou non intervenir. De toute évidence, j'ai pensé que la participation nord-américaine en fait de troupes dans les Balkans, qu'il s'agisse d'Américains ou de Canadiens, ne pourra probablement pas rester à son niveau actuel pendant encore bien longtemps. C'est quelque chose que nous devrions envisager.

Je me demande ce qu'en pense le Conseil de l'Europe. Quelle coopération y a-t-il entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, à la fois au niveau de l'assemblée parlementaire et au niveau ministériel? Après tout, il y a un chevauchement des problèmes. Les deux organisations s'intéressent aux droits de la personne, au développement des institutions démocratiques, etc.

J'ai parlé à lord Russell-Johnston à l'occasion, et Andras est membre des deux organismes. J'ai été très actif au sein de l'OSCE pendant un certain temps, mais je ne me suis jamais bien familiarisé avec le Conseil de l'Europe. Nous avons tenu quelques réunions pour essayer de coordonner les choses.

Tente-t-on encore de coordonner ce que font les deux organismes?

M. Terry Davis: Vous me posez toujours les colles.

Tout d'abord, puis-je dire quelque chose au sujet de la Bosnie?

Le coprésident (M. Bill Graham): Oui, bien sûr.

M. Terry Davis: J'ai toujours la tentation d'être désinvolte en réalité, Bill. Cela me donne un air de férocité.

La Bosnie réalise beaucoup de progrès. Au sein de notre commission, nous avons voté en septembre pour approuver une recommandation selon laquelle la Bosnie-Herzégovine deviendrait un État membre du Conseil de l'Europe. Nous n'avons pas adopté cette mesure à la légère. Nous y avons consacré beaucoup de discussions et beaucoup de temps, au moins deux ans. Les deux années pendant lesquelles j'ai été président de la Commission des questions politiques, je peux en toute franchise dire qu'il y a eu des progrès considérables en Bosnie.

Il y a deux ans, c'était comme la remarque classique de Kissinger au sujet de l'Europe qui n'avait pas un numéro de téléphone. Il n'y avait pas un numéro de téléphone pour rejoindre les autorités en Bosnie. Au Conseil de l'Europe, au moment où nous avons essayé de prendre des dispositions pour que notre rapporteur visite la Bosnie, il a fallu parler à au moins trois, sinon quatre, personnes distinctes. Autrement dit, il n'y avait pas de liaison, pas de coordination, pas de coopération entre eux. Tout prenait énormément de temps.

Le dernier obstacle, dans un sens, pour la Bosnie-Herzégovine est maintenant chose du passé, et j'en suis bien heureux. Nous avions des symboles, quatre ou cinq questions critiques que les Bosniaques devaient régler avant que nous puissions approuver leur demande. C'est ce que nous leur avons dit. Le dernier, et peut-être le plus difficile, a été réglé en août lorsqu'ils ont accepté d'adopter une loi électorale.

Pendant des mois, chaque fois qu'ils venaient à Strasbourg pour participer à une assemblée, ils disaient qu'ils allaient le faire la semaine suivante. Ils revenaient plus tard et disaient encore que ce serait fait la semaine suivante. C'était toujours la semaine suivante. En fin de compte, ils l'ont fait et ils ont adopté une loi électorale.

• 1140

Après de nombreuses discussions, nous avons à notre tour accepté—je pense qu'il n'y avait qu'une seule abstention au sein de la Commission des questions politiques—d'approuver leur demande. Elle a été acheminée ensuite à notre Commission des questions juridiques, qui a préparé des amendements à notre recommandation, comme ils aiment le faire; le tout sera alors soumis à l'assemblée plénière en janvier et je prévois que ce sera alors approuvé.

Cela répond en fait directement à votre question. En effet, compte tenu des progrès qu'ils ont réalisés, c'est une justification pour le Canada et d'autres pays de déterminer s'il est nécessaire de garder des troupes là-bas. Je pense que parfois nous ne voyons pas de solution moyenne; ce sont des troupes ou rien du tout. On devrait peut-être offrir aux gens de la Bosnie non pas une présence de forces armées, mais la présence de policiers. Ce ne sont pas les marines du Canada que nous devrions envoyer, mais nos gendarmes.

Ce serait peut-être notre contribution à la stabilité si nous pensons que le risque d'une guerre interne a diminué, mais il reste encore un gros problème, évidemment, de maintien de l'ordre. C'est dans ce sens que nous devons penser, pas seulement pour la raison indiquée, à savoir qu'on a besoin des troupes ailleurs, mais sur le plan de la meilleure contribution à ce dont ils ont besoin.

Pour le...

Le coprésident (M. Bill Graham): Si je peux me permettre une observation, nous avons environ 50 policiers dans la région en ce moment. Ce sont tous des gendarmes, soit dit en passant.

M. Terry Davis: Je me faisais un peu désinvolte parce que je sais...

Le coprésident (M. Bill Graham): Ils viennent de nos réseaux de police municipale, entièrement payés par le budget de l'ACDI, mais nous les recrutons du service de police municipale de Toronto... Le programme a été intéressant, mais de toute évidence ce n'est pas assez pour...

M. Terry Davis: Oui. J'étais un peu désinvolte. D'après ce que je vois dans les films, les gendarmes portent des armes courtes; pas les policiers britanniques.

Nous avons beaucoup de policiers britanniques là-bas. Évidemment, ce n'est pas uniquement une affaire de maintien de l'ordre; c'est beaucoup plus de la formation. Cependant, s'il y avait un effort supplémentaire cela nous permettrait peut-être de retirer les forces armées.

Dans le cas de l'OSCE, la coopération est beaucoup plus quelque chose dont on parle. C'est mon opinion personnelle, dite en toute franchise. Il y a de la coopération. L'exemple le plus évident de coopération vient de l'observation des élections, processus auquel un grand nombre d'entre nous ici présents, en particulier Andras Barsony, ont participé en agissant en tant qu'observateurs à des élections dans les pays de l'Europe où l'OSCE, le Parlement européen et le Conseil de l'Europe l'ont tous fait ensemble. L'OSCE a tendance à prendre la tête, en particulier grâce au travail de certaines parties de l'OSCE que l'on appelle l'ODEO, dont vous êtes au courant, et aussi parce que l'OSCE a des observateurs à plus long terme tandis que nous avons tendance à envoyer des parlementaires pour une très brève période.

Mais dans les domaines généraux, il n'y a pas beaucoup de coopération. Au Conseil de l'Europe, on estime que l'OSCE et l'assemblée de l'OSCE essaient vraiment de mettre le Conseil de l'Europe sur une voie de garage, et qu'un certain nombre des développements au sein de l'OSCE sont inutiles et font double emploi. L'arrivée de l'OSCE dans des domaines tels que les droits de la personne, l'environnement, les affaires économiques est bien franchement inutile.

Il y a beaucoup de choses du genre qui se sont produites parce que les Russes et les Américains étaient d'accord, et c'est un fait. C'est parce que les Américains qui sont à l'OSCE insistent énormément avec les Russes que vous voyez cette suprématie donnée à l'OSCE. Bill, vous vous en rappellerez sans doute parce que je suis certain que vous étiez là à la dernière assemblée de l'OSCE, il y a eu quelques occasions où les Russes et les Américains donnaient une position supérieure à l'OSCE, au lieu de coopération et de collaboration. En réalité, ils disaient que c'était uniquement l'OSCE, et à ces deux occasions le reste des membres, y compris les Canadiens, ont voté contre les Russes et les Américains. En fait, c'était plutôt inhabituel que les deux principaux blocs fassent l'objet d'un vote négatif.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je vais maintenant donner la parole à Mme Lalonde qui sera le dernier membre de la délégation canadienne à parler, mais auparavant, du point de vue du Canada évidemment, nous sommes des membres à part entière de l'OSCE, alors que nous ne sommes que des observateurs au Conseil de l'Europe. Donc, lorsqu'il y a une guerre intestine, nous sommes tiraillés par nos loyautés, mais elles ont peut-être un penchant pour l'organisme au sein duquel nous pouvons participer et avons droit de vote.

• 1145

Mais nous avons une très importante délégation au Conseil de l'Europe, et d'une certaine façon cela semble fonctionner dans notre Chambre. C'est beaucoup plus une question de personnalité que de la nature du rôle, tel que le définit l'Institution.

M. Terry Davis: Je pense que les positions officielles pour voter ne sont pas pertinentes. La raison pour laquelle les Canadiens ont tant d'influence au sein du Conseil n'ont pas trait au droit de vote de toute évidence; c'est en raison des arguments persuasifs. En fait, les votes au sein du Conseil de l'Europe, je vous le dis en toute franchise, n'ont pas une grande signification. Le pouvoir de l'argument l'emporte habituellement de façon très majoritaire pour un point de vue donné.

Le coprésident (M. Bill Graham): Très intéressant.

[Français]

Est-ce que vous voulez bien terminer, madame Lalonde? Il faut que nous descendions.

Mme Francine Lalonde: Je ne voulais pas vous prendre ce droit que vous avez et que je sais que vous maintiendrez, mais sur cette question-là, je me sens obligée de parler. J'ai participé à deux assemblées parlementaires de l'OSCE et, comme tout le monde ici le sait, j'ai souvent participé au Conseil de l'Europe. Je pense que le Conseil de l'Europe est absolument indispensable parce que c'est un Parlement.

Alors que l'Assemblée parlementaire de l'OSCE est une assemblée parlementaire qui... Elle va essayer d'avoir un prolongement. Je ne sais pas s'il va y avoir une assemblée à la mi-session, mais c'est ce qu'on m'avait dit.

La force du Conseil de l'Europe, c'est ses commissions qui se réunissent régulièrement, le travail de suivi et de parlementaire qu'il est capable de faire. L'Assemblée parlementaire de l'OSCE, quand elle réunit les gens, peut faire du travail, l'équipe qui reste n'a pas la force, l'impact, l'avantage d'avoir divers groupes qui travaillent ensemble, l'équilibre, l'expérience et la force d'un groupe de parlementaires qui peuvent, malgré certaines pressions, dire non tout en débattant de certaines questions à l'intérieur de lui-même. Il y a plusieurs cas où, n'eut été du Conseil de l'Europe, il y aurait une unanimité inexplicable. C'est le cas, par exemple, pour la Tchétchénie.

Je reconnais que le travail de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE est certainement intéressant, mais son poids quant à son expertise et son expérience en matière des droits humains et des grands enjeux stratégiques sur lesquels elle peut se prononcer est indispensable, monsieur le président. J'espère que vous serez de mon avis.

Il y a cependant un travail à faire parce que l'OSCE a tendance à faire ce que le Conseil de l'Europe fait depuis toujours. On sait que la grande différence. Les Américains sont dans un endroit et ils ne sont pas dans l'autre. C'est ça, essentiellement, la différence. Il va certainement falloir en parler, parce qu'il ne faut perdre le Conseil de l'Europe.

Le président: Je suis certainement d'accord parce que c'est vous, madame Lalonde, qui me le dites. Donc, je suis de votre avis.

[Traduction]

Chers collègues, je pense que notre réunion tire à sa fin.

Au nom de la délégation canadienne, j'aimerais remercier nos collègues européens de nous avoir fait part de leurs connaissances spécialisées. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous avons beaucoup appris. Ce fut un échange d'une grande valeur.

Avant de lever la séance, un dernier mot de la part de mon coprésident.

Le coprésident (M. Andras Barsony): Au nom de la délégation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je remercie très sincèrement les deux Chambres du Parlement canadien. Ce fut un plaisir et un honneur pour nous d'être parmi vous pendant ces deux journées. J'espère qu'il y aura un suivi de cette coopération.

Merci beaucoup.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci.

La séance est levée.

Haut de la page