FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 2 mai 2002
¿ | 0910 |
La présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.)) |
¿ | 0915 |
M. Joseph Nye (doyen et professeur, Kennedy School of Government, Harvard University) |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
La présidente |
M. Day |
¿ | 0935 |
La présidente |
M. Joseph Nye |
¿ | 0940 |
La présidente |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
M. Joseph Nye |
Mme Francine Lalonde |
M. Joseph Nye |
¿ | 0945 |
La présidente |
M. Assadourian |
M. Joseph Nye |
¿ | 0950 |
M. Sarkis Assadourian |
La présidente |
M. Stockwell Day |
¿ | 0955 |
M. Joseph Nye |
À | 1000 |
La présidente |
M. John Godfrey (Don Valley-Ouest , Lib.) |
M. Joseph Nye |
À | 1005 |
La présidente |
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ) |
À | 1010 |
M. Joseph Nye |
À | 1015 |
La présidente |
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.) |
M. Joseph Nye |
Mme Diane Marleau |
À | 1020 |
M. Joseph Nye |
La présidente |
M. Stockwell Day |
M. Joseph Nye |
M. Stockwell Day |
À | 1025 |
M. Joseph Nye |
La présidente |
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.) |
À | 1030 |
M. Joseph Nye |
À | 1035 |
La présidente |
Mme Francine Lalonde |
M. Joseph Nye |
Mme Francine Lalonde |
M. Joseph Nye |
À | 1040 |
La présidente |
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce--Lachine, Lib.) |
À | 1045 |
M. Joseph Nye |
Mme Marlene Jennings |
M. Joseph Nye |
Mme Marlene Jennings |
M. Joseph Nye |
La présidente |
M. Joseph Nye |
À | 1050 |
La présidente |
M. Stockwell Day |
La présidente |
M. Joseph Nye |
M. Pierre Paquette |
M. Joseph Nye |
La présidente |
M. Joseph Nye |
La présidente |
À | 1055 |
Mme Aileen Carroll |
M. Joseph Nye |
Mme Aileen Carroll |
La présidente |
M. Joseph Nye |
La présidente |
Á | 1100 |
M. Joseph Nye |
La présidente |
La présidente |
M. Svend Robinson |
Á | 1110 |
La présidente |
M. Stockwell Day |
Á | 1115 |
Le présidente |
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ) |
La présidente |
Mme Francine Lalonde |
La présidente |
Mme Francine Lalonde |
La présidente |
Mme Francine Lalonde |
M. Svend Robinson |
Mme Francine Lalonde |
La présidente |
Á | 1120 |
M. Svend Robinson |
La présidente |
Mme Francine Lalonde |
La présidente |
Mme Aileen Carroll |
La présidente |
Mme Aileen Carroll |
Á | 1125 |
La présidente |
M. Sarkis Assadourian |
La présidente |
M. Stockwell Day |
Mme Aileen Carroll |
M. Stockwell Day |
Mme Aileen Carroll |
M. Stockwell Day |
La présidente |
M. Antoine Dubé |
Mme Francine Lalonde |
La présidente |
Á | 1130 |
Mme Aileen Carroll |
La présidente |
M. Svend Robinson |
La présidente |
Á | 1135 |
La présidente |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
Mme Aileen Carroll |
M. Stan Keyes |
La présidente |
M. Alan Tonks (York-Sud--Weston, Lib.) |
Á | 1140 |
La présidente |
Mme Marlene Jennings |
La présidente |
Mme Francine Lalonde |
La présidente |
M. Svend Robinson |
La présidente |
Mme Aileen Carroll |
La présidente |
Mme Marlene Jennings |
La présidente |
Á | 1145 |
M. Antoine Dubé |
M. Svend Robinson |
La présidente |
La présidente |
Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.) |
La présidente |
Mme Beth Phinney |
La présidente |
Mme Beth Phinney |
Á | 1150 |
La présidente |
M. John Godfrey |
La présidente |
M. Antoine Dubé |
La présidente |
Mme Beth Phinney |
La présidente |
Mme Beth Phinney |
La présidente |
M. Antoine Dubé |
La présidente |
Á | 1155 |
M. Stockwell Day |
La présidente |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 2 mai 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0910)
[Traduction]
La présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.)): Bonjour. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous étudions l'intégration nord-américaine et le rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité.
Nous accueillons aujourd'hui M. Joseph Nye, doyen de la Kennedy Scool of Government, Université Harvard, dont la biographie vous a été fournie. Cette biographie met en lumière les nombreuses réalisations de notre témoin d'aujourd'hui. M. Nye est censé être accompagné de M. Edmonds, ancien président de la section de la Capitale nationale de l'Institut canadien des affaires internationales. M. Edmonds se joindra à nous un peu plus tard. C'est M. Edmonds qui nous a fait savoir que M. Nye était à Ottawa ces jours-ci. Nous l'en remercions beaucoup. Nous avons profité, monsieur, de l'occasion qui s'offrait pour vous demander de comparaître devant nous.
M. Joseph S. Nye, professeur de politique publique Don K. Price et doyen de la Kennedy School, a repris ses fonctions à l'Université Harvard en décembre 1995 après avoir occupé pendant un certain temps le poste de secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de sécurité internationale. À ce titre, et également pour son travail à la présidence du National Intelligence Council, deux médailles lui ont été décernées pour ses services distingués. M. Nye est l'auteur de plusieurs livres dont deux livres récents qui ont attiré notre attention. Il s'agit de Understanding International Conflicts et The Paradox of American Power. Les attachés de recherche de notre comité se sont aussi inspirés par le passé d'autres ouvrages dont il est l'auteur et notamment de Governance in a Globalizing World et Power and Interdependence.
Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous aujourd'hui, monsieur. Vous ferez profiter notre comité de votre grande expérience.
En mars dernier, le comité a passé deux jours à Washington à consulter divers intervenants du domaine des relations internationales. Nous avons rencontré des représentants du Woodrow Wilson Centre, du Centre for Strategic and International Studies, du Department of State et du National Security Council. Du Office of the United States Trade Reprensentative, nous avons aussi rencontré le membre du Congrès M. Hyde et des membres du comité des relations internationales de la Chambre des représentants.
Dans le cadre des audiences que nous avons tenues au cours de l'hiver à Ottawa, nous avons eu le privilège d'entendre le témoignage de plusieurs distingués spécialistes américains des relations canado-américaines. Je nommerai quelques personnes que vous connaissez peut-être. Chris Sands du CSIS, Stephen Flynn du Council of Foreigh Relations, Charles Doran de la John Hopkins University et Robert Pastor de la Emory University. Les échanges que nous avons eus avec ces spécialistes ont été très instructifs et utiles.
La semaine prochaine, nous poursuivrons nos audiences sur l'intégration nord-américaine dans l'Ouest et en Ontario. Nous espérons être prêts à présenter notre rapport aux alentours d'octobre ou de novembre. Votre témoignage nous sera très utile à cet égard.
Nous vous souhaitons donc la bienvenue. Vous avez quelques minutes pour faire une déclaration préliminaire. Il y aura ensuite une période de questions.
¿ (0915)
M. Joseph Nye (doyen et professeur, Kennedy School of Government, Harvard University): Je vous remercie, madame la présidente. Je suis heureux d'être parmi vous. Je n'ai pas une connaissance approfondie du Canada, mais j'ai beaucoup d'affection et de respect pour votre pays. C'est donc avec grand plaisir que je comparais devant vous.
Si j'ai bien compris, vous voudriez que je ne consacre pas plus de dix minutes à ma déclaration préliminaire pour que la période des questions soit aussi longue que possible.
Le Canada fait face depuis longtemps à un gros problème qui est de savoir comment vivre à côté d'un énorme voisin. Le Canada aussi doit se demander comment tirer parti de l'interdépendance qui existe dans le domaine de la sécurité et dans le domaine économique à l'échelle du continent nord-américain tout en préservant son indépendance et sa culture politique distincte. Je dirais que le Canada y est parvenu assez bien dans l'ensemble.
J'ai enseigné pendant un trimestre à l'Université Carleton à Ottawa dans les années 70 et j'ai alors fait une étude portant sur deux décennies de conflit canado-américain avant la Seconde Guerre mondiale et deux décennies après celle-ci. J'ai constaté que lorsqu'on étudie les choses de près, on constate que le Canada a su assez bien tirer son épingle du jeu. L'histoire ne confirme pas la conception voulant que le Canada soit toujours le perdant dans ses rapports avec les États-Unis ou qu'il ne soit qu'un appendice des États-Unis. En fait, l'histoire démontre plutôt que la relation qui existe entre nos deux pays ressemble davantage à la relation qui existe entre deux égaux.
Le monde a cependant beaucoup changé depuis les années 70 et la puissance des États-Unis est plus grande que jamais. Lors de l'effondrement de l'Union soviétique à la fin de la guerre froide, la seule puissance qui faisait contrepoids à la puissance américaine a disparu et nous nous sommes retrouvés dans un monde où il n'y avait désormais qu'une seule superpuissance ou, pour reprendre le mot du ministre des Affaires étrangères français Hubert Védrine, une seule hyperpuissance. Le déséquilibre au point de vue militaire est assez frappant à l'heure actuelle dans le monde. Il n'y a sans doute aucun autre pays depuis les Romains qui ait pris une telle importance dans le monde. À titre d'exemple, le budget militaire des États-Unis est égal aux budgets combinés des huit pays qui les suivent sur la liste. On peut donc dire que, dans un certain sens, il s'agit d'une période unique de l'histoire mondiale ainsi que de l'histoire nord-américaine.
Cette situation est à bien des égards paradoxale. Vous vous souviendrez, en effet, qu'il y a dix ans, on s'entendait pour dire que les États-Unis connaissaient une période de déclin. La conception largement admise voulait que les États-Unis aient atteint leur apogée. Je me souviens que lors des élections présidentielles de 1992, Paul Tsongas, sénateur du Massachussetts, a fait campagne sur le thème suivant: «La guerre froide est terminée et c'est le Japon qui en est sorti vainqueur.» Dans mon livre intitulé Bound to Lead, je soutenais que les États-Unis deviendraient la puissance dominante au XXIe siècle. J'avançais donc un point de vue contraire à l'orthodoxie du moment. Je me préoccupe maintenant d'une autre idée reçue voulant que la puissance des États-Unis signifie qu'ils sont invincibles et invulnérables, ce qui mène à un nouvel unilatéralisme. C'est de ce sujet dont traite mon dernier ouvrage intitulé The Paradox of American Power. Why the World's Only Superpower Can't Go It Alone. Le paradoxe qui existe est que le pays le plus puissant depuis la Rome antique ne peut pas faire cavalier seul et obtenir tout ce qu'il veut sur la scène mondiale.
J'illustre mon propos en comparant la situation aujourd'hui à un échiquier à trois dimensions. Jusqu'ici sur la scène mondiale, c'est le poids militaire d'un pays qui a eu tendance à avoir le plus d'importance. Cette puissance a eu tendance à primer sur les autres formes de puissance. Lorsque les États-Unis ont voulu que le Japon ouvre ses marchés autour de 1850, ils ont envoyé leurs canonnières. Il s'en est suivi la restauration Meiji et d'importants changements au Japon. Il est aujourd'hui tout à fait hors de question que nous ayons recours à la puissance militaire pour influer sur le taux de change du yen ou sur les pratiques commerciales du Japon. Aujourd'hui, le pouvoir se conçoit en trois dimensions.
¿ (0920)
Le premier palier de cet échiquier à trois dimensions est celui de la puissance militaire, et là, le monde est effectivement unipolaire. Aucun pays ne peut défier les États-Unis. Dans le premier chapitre de mon nouveau livre, j'étudie tous les prétendants, soit la Chine, l'Europe et ainsi de suite, et j'estime qu'aucun d'entre eux n'est en mesure de faire opposition aux États-Unis à l'échelle planétaire. Se limiter à cette seule dimension peut cependant être fort imprudent.
Le deuxième dimension de l'échiquier est celle de l'économie. Là, le monde n'est plus unipolaire, mais plutôt multipolaire. Les États-Unis, la Chine, l'Europe et le Japon représentent les deux tiers environ de l'économie mondiale. Pour obtenir un résultat sur ce plan, les États-Unis doivent négocier avec ces pays. Par exemple, Bob Zoellick n'a pas pu obtenir une nouvelle série de négociations commerciales à Doha sans l'accord de Pascal Lamy et de l'Union européenne, aussi bien que d'autres pays. Pour fusionner GE et Honeywell, deux sociétés américaines, Jack Walsh devait nécessairement obtenir l'approbation du département de la justice des États-Unis, mais cela n'était suffisant. Il n'a pas obtenu l'aval de la Commission de l'Union européenne, si bien que la fusion n'a pas abouti.
Ainsi, le premier palier est unipolaire. Le deuxième est déjà, lui, multipolaire. Le palier inférieur de cet échiquier à trois dimensions concerne les relations transnationales. Il est question ici de toutes les activités transfrontalières qui échappent au contrôle des gouvernements, allant des transactions assez bénignes, comme le fait pour des banquiers de transférer des fonds dont l'ampleur dépasse souvent les budgets de certains pays, à des opérations délétères, comme le fait pour des terroristes de faire passer des armes à la frontière ou pour des cyberterroristes d'infliger des dommages au-delà des frontières, sans même être présents. Il n'y a dans ces cas aucune structure de pouvoir. Les notions d'hégémonie ou d'unipolarité ne s'appliquent pas à ce palier inférieur de l'échiquier. Or, ce palier devient de plus en plus important du fait du rôle grandissant de deux grandes forces en politique internationale, à savoir la révolution de l'information et la mondialisation.
La révolution de l'information, c'est simplement le résultat de l'énorme baisse des coûts des ordinateurs et des communications. Comme on l'a signalé, si le prix d'une automobile avait fléchi tout aussi rapidement que celui du semi-conducteur au cours des 30 dernières années, il suffirait de 5 $ pour acquérir une voiture. Une énorme réduction donc du coût des communications et des ordinateurs, d'où la possibilité pour de nombreux groupes de communiquer instantanément à l'échelle planétaire, à peu de frais. Souvenons-nous qu'en 1970, il fallait disposer d'une vaste bureaucratie, et donc être un gouvernement ou une multinationale, pour bénéficier de communications instantanées à l'échelle de la planète. Or, aujourd'hui, il suffit pour le faire d'avoir accès à un modem et à un ordinateur. Tout cela a eu l'effet d'une révolution.
Les réseaux terroristes, par exemple, ont pu devenir plus efficaces. Le terrorisme n'est pas nouveau et les origines de ses formes modernes remontent au XIXe siècle. Aujourd'hui toutefois, ses ravages peuvent être beaucoup plus considérables. À cause de la technologie, des groupes ou des individus malveillants disposent de pouvoirs de destruction qui, autrefois, appartenaient uniquement aux gouvernements. Au XXe siècle, quelqu'un qui voulait tuer un grand nombre de personnes, un Hitler, un Stalin, un Mao, par exemple, devait s'en remettre à la puissance d'un gouvernement. Aujourd'hui, il n'est pas exagéré de supposer que des terroristes pourraient s'emparer d'armes de destruction massive et arriver à leur fin par leur propres moyens. C'est en quelque sorte la privatisation de la guerre. Une dimension tout à fait nouvelle de la politique mondiale.
De plus, la mondialisation, à savoir l'existence de réseaux mondiaux d'interdépendance, rend la distance de moins en moins importante, de sorte que tout événement ayant lieu dans une région éloignée du monde a tendance à avoir des répercussions beaucoup plus considérables que par le passé. J'en prends pour exemple, dans le contexte du 11 septembre, l'importance prise par l'Afghanistan. Dans les années 90, nous savions à quel point la situation était terrible en Afghanistan mais, en général, tout en compatissant avec les Afghans, on se demandait en quoi cela nous concernait. Nous avons cependant appris le 11 septembre que les désordres dans un pays pauvre et faible de l'autre côté de la planète peuvent avoir sur nous une incidence très considérable.
Tout cela pour dire que la révolution de l'information et la mondialisation se conjuguent pour grossir l'importance des événements et des protagonistes qui font partie du palier inférieur de l'échiquer tridimensionnel. Il importe de noter que la plupart des questions qui relèvent de ce palier transnational de l'échiquier sont d'ordre multilatéral. Très peu d'entre elles peuvent être résolues de façon unilatérale. Ainsi, les États-Unis et d'autres intervenants doivent collaborer à les résoudre.
¿ (0925)
Certains rejettent mon analyse. Par exemple, le chroniqueur Charles Krauthammer du Washington Post, qui suit les événements en Afghanistan, a écrit en décembre un article où il prétend que la question de l'Afghanistan prouve que le nouvel unilatéralisme fonctionne. Ainsi, les États-Unis ont été en mesure d'obtenir une victoire militaire en Afghanistan en agissant seuls dans une large mesure. Des alliés ont participé, mais il s'agit essentiellement d'une preuve du fonctionnement de l'unilatéralisme. D'après moi, voilà qui représente une très mauvaise lecture des leçons à tirer de l'Afghanistan.
Ce que nous constatons, dans le cas de l'Afghanistan, c'est que les États-Unis ont pu recourir à leur puissance militaire pour défaire les Talibans, un État faible qui parraine le terrorisme, sans cependant réussir à détruire le réseau d'al-Qaïda, dont le quart ou le tiers au plus a été détruit ou capturé. Ce réseau comporte des cellules dans une cinquantaine de pays, dont bon nombre sont des pays amis où nous ne pourrions pas utiliser la force militaire même si nous le souhaitions. La leçon de l'Afghanistan, c'est donc que la coopération est nécessaire dans le domaine civil. Il faut partager les renseignements, faire du travail policier, suivre à la piste les financiers, et ainsi de suite pour être en mesure de composer avec une situation de ce genre. Je soutiendrais donc pour ma part que l'Afghanistan, contrairement à ce que prétendent ceux qui y voient la réussite du nouvel unilatéralisme, a fait ressortir justement les limites de ce nouvel ulilatéralisme et a montré que la collaboration est absolument nécessaire pour intervenir efficacement à ce niveau inférieur de l'échiquier.
Voilà qui signifie que la collaboration canado-américaine se fera désormais dans un nouveau contexte, notamment pour ce qui a trait à notre frontière, célèbre pour sa longueur et pour le fait qu'elle n'est pas défendue. Nous devons nous rendre compte qu'il ne suffit pas d'agir seulement aux frontières. Les frontières sont désormais des zones et votre comité sait fort bien puisqu'il s'est penché sur la notion de frontières intelligentes, qu'il est maintenant normal de penser que nous devons fonctionner à l'intérieur de vos frontières, tout comme vous devez fonctionner à l'intérieur des nôtres. Certains diront que cela porte atteinte à la souveraineté canadienne. Ce n'est pas du tout le cas, pas plus que cela ne porte atteinte à la souveraineté des États-Unis. Cela veut plutôt dire que nous devons revoir nos notions traditionnelles de ce que constitue une frontière et apprendre à agir de façon collaborative pour être en mesure de relever les défis que posent les menaces provenant de la privatisation de la guerre et de cette nouvelle dimension des relations transnationales.
Je dirais que le fait de s'inquiéter de la perte de souveraineté nuit souvent à une bonne réflexion. Le comité m'a demandé d'examiner le document de Michael Byers où il est question de déterminer si le nouveau commandement du nord des États-Unis risque d'avoir un effet néfaste sur la souveraineté canadienne. Il me semble que le risque n'est pas plus grand que dans le cas de NORAD. J'ajoute que l'interdépendance en matière de sécurité existe depuis un certain temps déjà et je ne vois pas du tout pourquoi le Canada ne serait pas en mesure de conserver, sur les autres plans, un droit de retrait de toute activité qu'il n'approuve pas.
Il me semble donc que nous devons veiller à ne pas laisser de vieux concepts de la politique traditionnelle, comme l'unipolarité, l'hégémonie ou la souveraineté, influer sur la réflexion nécessaire qui s'impose à nous, Canadiens et Américains, si nous voulons réussir à contrer les nouvelles menaces qui caractérisent le troisième palier de l'échiquier, à savoir celui des relations transnationales, tout particulièrement la menace terroriste. Nous devons abandonner certaines vieilles mentalités et nous demander comment le Canada va continuer à cheminer sur la corde raide, comme il a réussi à le faire jusqu'à maintenant, en tenant compte d'une nécessaire interdépendance tout en protégeant sa culture politique distincte. La chose est faisable et j'irai même jusqu'à prédire que c'est ce qui va se passer.
Merci beaucoup.
¿ (0930)
La présidente: Merci beaucoup, professeur.
Passons aux questions. Allez-y, monsieur Day.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Monsieur Nye, merci de vos remarques et de vos propos éclairants. Cela nous est très utile. J'aimerais pouvoir disposer de quelques heures et ne pas être limité par certaines des balises appropriées qui s'appliquent à notre discussion, dix minutes pour vous, cinq pour moi et cinq pour mes collègues, et une présidente des plus rigoureuse. Votre travail mérite certainement une plus ample discussion. J'espère que nous aurons l'occasion d'y revenir dans une autre tribune.
L'un des nombreux avantages du flux rapide et intense d'information disponible à tous, comme vous l'avez dit, à un coût très raisonnable, c'est que les pays en développement ou en mutation ont la possibilité de se poser une question bien simple, relativement à leur propre avenir: quelles sont les solutions qui fonctionnent? Bien que toute information ait un parti pris et soit vue à travers les yeux de l'intéressé, ces pays peuvent observer des pratiques qui fonctionnent dans d'autres pays, quelles sont les pratiques qui créent de la richesse, les pratiques qui relèvent le niveau de vie. Manifestement, l'aspect négatif dont vous avez parlé est bien réel. Les terroristes peuvent recueillir des renseignements, mais cela est aussi vrai pour ceux qui s'intéressent aux bonnes pratiques en vue d'améliorer la vie de leurs citoyens.
Dans mes questions, je veux éviter les grandes discussions sur la puissance dure, la puissance douce et les considérations de cette nature. Je me préoccupe plutôt des effets directs que subissent les Canadiens, la place que nous occupons dans le monde. Que voyez-vous venir? Vous avez parlé de la relation du Mexique avec les États-Unis. Certaines choses ne changent jamais au fil de l'histoire. Les dynasties se fondent encore aujourd'hui sur les personnalités. Il me semble qu'une relation personnelle s'est nouée entre votre président et celui du Mexique, une relation qui manifestement découle de facteurs géographiques. Cela engendre des débouchés de commerce, et le libre-échange est, je crois, le fondement d'un échange d'idées et de la préservation de la démocratie, en raison d'intérêts particuliers bien normaux. Comment entrevoyez-vous l'avenir? L'intérêt du gouvernement américain se détournera-t-il du Canada? Cet intérêt se tournera-t-il vers le Mexique? Que pouvons-nous prévoir à cet égard par rapport aux intérêts commerciaux canadiens?
Deuxièmement, sur la question de la solidarité automatique, vous avez également abordé la question du bois d'oeuvre, entre autres. Je ne comprends pas pourquoi, mais je vois se développer, chez le président Bush, une philosophie de protectionnisme par rapport aux industries américaines. Croyez-vous que cette philosophie va continuer de s'accentuer? Devrions-nous poursuivre une politique de solidarité automatique?
Et enfin, j'ai une remarque. En raison de ma philosophie budgétaire étroite et conservatrice, et ayant fait partie de gouvernements qui ont su mettre en oeuvre avec succès ces principes au moyen de la restructuration, cela m'énerve un peu lorsqu'on parle de privatisation de la guerre. Je préfère des expressions comme détournement et application meurtrière du terrorisme par des petits groupes. La privatisation, bien sûr, revêt une autre signification chez les gens, et manifestement, le fait de lier cette notion à l'activité terroriste lui donne un sens péjoratif. Ce n'est qu'une remarque.
Sur ces deux questions, pourriez-vous nous livrer vos observations? Et sentez-vous bien libre de partager avec nous vos réflexions.
¿ (0935)
La présidente: Merci.
M. Nye.
M. Joseph Nye: Merci.
Je reviendrai clarifier le point d'ordre linguistique à la fin. Dans mon livre, je souligne que, à mesure que l'information atteint plus de personnes à un coût de plus en plus avantageux, il y a des bonnes et des mauvaises conséquences. De nombreuses dimensions de la privatisation sont bonnes. Au cours des 10 minutes qui m'étaient allouées, je n'ai pas eu le temps d'entrer dans le détail. Je ne voulais pas laisser entendre que la privatisation est une mauvaise chose en soi, mais c'est mauvais en ce qui a trait à la guerre. Je disais tout simplement que la révolution de l'information a du bon et du mauvais. Nous la vivons, c'est une réalité. Cela entraîne une privatisation dont certains aspects sont très positifs, et d'autres non. C'est tout ce que je voulais dire. Ce n'était pas une critique de la privatisation comme principe.
Je reviens à ce que vous avez dit à propos de la relation qu'entretient le président Bush avec le président mexicain Vincente Fox. Puisque le président Bush vient du Texas et qu'il a connu le président Fox avant de devenir président, ce gouvernement a d'emblée tourné son attention davantage vers le Sud. Mais si l'on se rend à Mexico aujourd'hui et que l'on s'entretient avec des Mexicains, on les entendra demander: mais qu'est-ce qui s'est passé? Nous étions censés être le centre d'attention de la politique étrangère de cette nouvelle administration, et nous ne croyons plus l'être. Ce qui s'est produit, c'est que le reste de la planète a fait du rattrapage, et le Président comprend aujourd'hui qu'il doit avoir une politique étrangèretous azimuts, c'est-à-dire qu'il doit porter son attention partout à la fois. Il doit se tourner vers le Nord et vers le Sud, vers l'Est et vers l'Ouest. Ainsi, la position privilégiée que l'on réservait au Mexique au début du mandat de cette administration n'est plus aussi claire qu'elle ne semblait l'être au début.
Sur la question du protectionnisme, vous avez cité le différend sur le bois d'oeuvre, mais il ne faut pas oublier les tarifs que le Président a imposés sur l'acier. Je crois que c'était une erreur, en ce qui me concerne, mais je crois qu'il faut souligner que cela n'est probablement pas lié à la nouvelle puissance américaine dans le monde. Cela remonte au début des relations canado-américaines. Dans mes études des relations canado-américaines, je suis remonté jusqu'aux années 20 et 30. J'ai été frappé par le nombre de différends commerciaux entourant les pêches, le bois d'oeuvre, les questions commerciales et l'eau, des conflits qui existaient déjà à l'époque et qui se poursuivent encore aujourd'hui.
Je crois que le protectionnisme en général est endémique à toutes les démocraties. Dans un régime démocratique, les personnes qui se sentent fortement menacées ou préoccupées sont généralement très militantes et mobilisées du point de vue politique, et se tournent vers leur député ou leur membre du Congrès pour que l'on applique davantage de pression. Il s'avère souvent que les producteurs sont mieux organisés que les consommateurs. Il en résulte que les démocraties présentent un certain protectionnisme—c'est l'enfant qui pleure qui a le sein de sa mère. Je crois que le président Bush est sincère lorsqu'il se dit en faveur du libre-échange, mais il a succombé à ces pressions protectionnistes, et j'aurais préféré qu'il résiste. Mais je ne crois pas que cette politique soit l'expression d'une nouvelle structure de pouvoir dans la politique internationale. Je crois que c'est un phénomène endémique à la démocratie.
Sur la question de la solidarité automatique, une des choses qui m'a frappée dans mon étude des différends canado-américains, c'est que les Canadiens réussissent très bien lorsqu'ils ne sont pas liés automatiquement. Lorsqu'un problème se posait à vous et que vous l'avez jugé au cas par cas, vous avez généralement obtenu de très bons résultats. Le Canada a souvent obtenu du succès dans son lobbying auprès de Washington, ou alors il trouvait un groupe d'intérêt américain ou une entreprise qui était prête à faire des efforts en son nom au Congrès et ainsi de suite. Dans les cas où vous êtes lié par solidarité automatique, le déséquilibre entre la taille des deux pays s'impose. Lorsqu'il y a solidarité automatique, la réalité s'impose: la population des États-Unis est 10 fois plus grande que celle du Canada. Je crois donc que la solidarité automatique n'est pas la stratégie indiquée. Dès que vous êtes liés, essentiellement, cela devient une question de la taille globale des États, tandis qu'au cas par cas, vous pouvez gagner quelquefois et perdre quelquefois, mais vous constaterez que, dans bien des secteurs, vous êtes tout à fait en mesure de défendre vos intérêts.
Je me méfierais donc quelque peu de la solidarité automatique, parce que l'on peut décider de lier le gaz ou l'eau à tel autre produit, et puis les Américains décideront peut-être de lier ce produit à quelque chose d'encore plus important. Ainsi, avant d'inclure tout cela dans le même paquet, vous devriez vous demander si c'est la meilleure stratégie pour le Canada. Je soupçonne que vous répondrez par la négative.
¿ (0940)
La présidente: Merci, monsieur Nye.
Nous passons maintenant à Mme Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci beaucoup.
Soyez le bienvenu, monsieur Nye. C'est pour nous un honneur de vous avoir parmi nous.
Dans votre description des trois niveaux, peut-on comprendre que la politique étrangère, pour le Canada ou pour un autre pays de taille équivalente, pourrait être différente de celle des États-Unis, tout en étant efficace et en ayant une quelconque capacité d'influence? Je pourrais élargir la politique étrangère au fait que le Canada s'était engagé à signer Kyoto et semble maintenant hésiter à le faire. Il y a des parties du Canada, notamment le Québec, qui le poussent à le faire rapidement.
Vous avez dit que, dans les études historiques que vous aviez faites, le Canada s'en était bien tiré. Je ne sais pas si les résultats seraient les mêmes si vous faisiez de telles études actuellement. J'ai hâte de vous entendre là-dessus. Peut-être me restera-t-il ensuite du temps.
[Traduction]
M. Joseph Nye: Votre question sur les résultats éventuels est excellente. Je disais justement hier à un collègue canadien qu'il devrait faire faire tout ce travail difficile par un jeune étudiant de deuxième cycle. Il faut fouiller les archives décision après décision. Je ne suis pas sûr de connaître la réponse et je ne voudrais pas en préjuger.
Ce qui m'a frappé, c'est que le Canada s'en était souvent bien tiré soit parce qu'il avait institutionnalisé quelque chose ou qu'il avait trouvé un allié américain, par exemple une société qui avait un intérêt à aider le Canada et qui était prête à faire des pressions au Congrès. Le Canada a réussi de toutes sortes de façons et je pense qu'il serait intéressant d'examiner les différends actuels pour voir si ces forces sont toujours valables. J'imagine que oui, mais c'est de la spéculation.
Pour certaines des questions plus tragiques liées au troisième palier de cet échiquier, les questions transnationales, les États-Unis vont avoir besoin de l'aide du Canada et d'autres pays.Si l'on prend simplement le terrorisme, on ne peut pas protéger les frontières sans l'aide du Canada. Évidemment, on pourrait arrêter tous les camions et provoquer des embouteillages sur 10 milles de distance, mais tout le monde serait perdant dans ce cas-là, et le seul moyen de réussir, c'est de travailler comme nous l'avons fait en collaboration pour mettre en place une frontière intelligente.
Je pense que cela vaut pour de nombreuses questions. Si vous prenez par exemple la progression des maladies infectieuses dans le monde, il y a deux ans il a fallu pulvériser des insecticides sur les villes américaines de la côte Est parce qu'on craignait une épidémie de la fièvre du West Nile qui était partie d'Afrique. Il est impossible de bloquer tout cela. Il suffit d'un moustique transporté par un avion, il suffit d'un passager qui a été piqué par un moustique en Afrique et qui se fait piquer par un moustique purement américain qui va ensuite piquer un autre Américain. On ne peut pas arrêter la maladie à la frontière. Il faut donc considérer la santé publique en Afrique sous l'angle de la sécurité générale. Autrement dit, au lieu de dire qu'on va régler le problème à la frontière, il faut appuyer Gro Brundtland et l'Organisation mondiale de la santé pour mettre de meilleurs médicaments à la disposition des Africains.
Il y a donc à ce niveau de nombreuses questions à propos desquelles les États-Unis vont devoir collaborer non seulement avec le Canada, mais avec d'autres pays aussi.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Dans notre politique étrangère, avec notre attitude par rapport à l'Irak et par rapport à ce qui se passe au Moyen-Orient, peut-on influencer les États-Unis? Écoutent-ils?
[Traduction]
M. Joseph Nye: Oui, quoique quand on en arrive aux questions liées au palier supérieur de cet échiquier à trois dimensions, on constate que cette influence est relativement minime étant donné la prépondérance du pouvoir. Mais même dans ces conditions, on peut les influencer. J'ai été frappé de constater que la Grande-Bretagne et Tony Blair aient réussi à se faire entendre et prendre au sérieux par Washington. On respecte Blair à cause des mesures qu'il a prises après le 11 septembre pour aider les États-Unis, ce qui fait que quand il a rencontré Bush, d'après ce qu'on peut lire dans la presse, pour lui dire de ralentir un peu dans tel domaine ou de faire quelque chose différemment, il a été écouté.
Je pense que ceci peut avoir des retombées sur la question maintenant controversée de la participation canadienne aux activités militaires en Afghanistan. Je crois que le fait de participer à ces opérations donne un peu plus de poids à la voix du Canada. Ce n'est pas que le Canada va avoir autant de pouvoir que les États-Unis, mais la question est de savoir comment on peut se faire prendre au sérieux et se faire entendre quand on a quelque chose d'important à dire. Je pense que votre participation actuelle sera utile pour le Canada.
Je crois que les États-Unis en bénéficient. Il serait inquiétant que les États-Unis n'écoutent pas leurs alliés. Personne n'a le monopole de la sagesse. L'un des grands risques pour les États-Unis, c'est de s'enfermer dans le chauvinisme, de se tourner vers eux-mêmes et de ne pas assez écouter les autres. En réalité, ils ont tout intérêt à avoir des interlocuteurs valables parmi leurs alliés pour leur dire qu'il serait bon de modérer leur politique au Moyen-Orient ou qu'il faudrait donner des preuves plus claires du fait que Sadam a violé les traités multilatéraux et qu'il a refusé aux inspecteurs le droit d'aller voir s'il préparait ou non un arsenal nucléaire.
Donc, même si l'on n'a pas le même pouvoir au sommet de l'échiquier, je crois qu'il faut essayer d'exercer une influence. Mais je crois que cette influence a souvent plus de poids lorsqu'on se contente de dire qu'on veut aider au lieu de critiquer de l'extérieur avec une intransigeance de puriste. Je crois donc qu'on renforce l'influence des alliés si l'on formule des critiques indépendantes en montrant qu'on est en quelque sorte une opposition loyale, et pas simplement une opposition.
¿ (0945)
La présidente: Merci, monsieur Nye.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Assadourian.
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.
Je suis d'accord avec M. Day sur une seule des remarques qu'il a faites. Cinq minutes ne suffiraient pas pour en discuter. J'espère cependant que nous aurons encore l'occasion de le faire, car il s'agit là d'un enjeu extrêmement important.
Professeur Nye, j'ai deux questions à poser. Vous avez parlé du déséquilibre entre les États-Unis et les autres pays. L'URSS s'est effondrée et les États-Unis demeurent donc la seule superpuissance militaire. Vous avez ensuite mentionné la Chine, mais ce pays n'est pas en mesure de combler le vide laissé par la disparition de l'URSS. Estimez-vous que notre monde est plus dangereux maintenant qu'auparavant, du fait de ce déséquilibre, ou est-ce que les gens ont tout simplement une fausse perception des États-Unis, qu'ils voient comme l'oncle Sam imposant ses conditions à tout prix?
En second lieu, vous avez tout à fait omis de parler des Nations Unies et du rôle qu'elles peuvent jouer, grâce à ses organismes multilatéraux, pour accroître la paix et la prospérité, ou favoriser la coopération entre les pays riches et les pays pauvres de l'Afrique, de l'Amérique du Sud, de certaines régions d'Asie et d'ailleurs. Pouvez-vous aussi nous parler davantage des Nations Unies, car nous y sommes très actifs. Nous estimons justement que l'administration américaine minimise l'importance de l'ONU. J'ai tout au moins l'impression qu'elle n'est pas aussi pertinente qu'elle l'était.
M. Joseph Nye: À mon avis, c'est certainement une très bonne chose que le guerre froide soit terminée. Je pense la même chose de la disparition de l'Union soviétique. Pendant la guerre froide, la menace d'un conflit nucléaire tout à fait catastrophique pour notre civilisation pendait au-dessus de nos têtes. Ainsi que je le disais dans mon nouveau livre, ce qui nous menace aujourd'hui, ce n'est pas d'être attaqués par un nouvel empire, mais de succomber sous les milliers de coups des nouveaux barabres, c'est-à-dire les terroristes. Il s'agit donc d'une menace d'une autre nature, mais ici, il importe de se rappeler que Rome s'est effondrée non en raison de la puissance d'un nouvel empire, mais des coups répétés des nouveaux barbares. Je préfère donc le monde actuel, sans guerre froide ni l'Union soviétique, mais ça ne veut pas dire que nous soyons sortis de l'auberge. Nous faisons face à d'autres menaces, et à cet égard, il faut savoir les discerner. Plutôt que de prédire que la Chine va se substituer à l'Union soviétique comme le nouvel ennemi, ou encore l'Union européenne, il faut voir les véritables menaces. Tel était l'objet de ma remarque.
Au sujet des Nations Unies, je suis d'accord avec vous. À mon avis, les États-Unis ont sous-estimé l'ONU pendant les années 90 et les premiers temps de l'administration Bush. Cependant, il est intéressant de noter qu'après le 11 septembre, le Congrès américain a tout d'un coup payé son arriéré de cotisations à l'organisme et a confirmé notre ambassadeur là-bas—mieux vaut tard que jamais—mais il aurait été préférable de le faire plus tôt.
On remarque parfois une attitude paradoxale. Si l'on se reporte aux sondages effectués aux États-Unis pendant les années 90, on y voit que la majorité des Américains appuyaient l'ONU. Selon les chiffres recueillis, la population est favorable à l'ONU dans une proportion de deux tiers à trois quarts. Compte tenu d'un tel soutien populaire à l'ONU, comment a-t-il été possible pour les É.-U. de sous-estimer l'organisme de cette manière? La réponse se trouve dans l'intensité des préférences que l'on marque en démocratie. Ceux qui s'inquiètent des coûts au sujet du rôle de l'ONU et qui le voient comme une menace à la souveraineté américaine sont actifs au sein du parti républicain et votent lors des élections primaires. Quant à la plupart de ceux qui tiennent l'ONU en estime, ils se préoccupent quand même avant tout de leur emploi, de leurs services de santé et d'autres choses de ce genre, et l'organisme est à peu près au 20e rang de leurs priorités. Cependant, les gens ayant des préférences marquées s'adressent à leurs membres du Congrès, exercent des pressions sur leurs sénateurs et obtiennent donc que leur avis soit pris en compte. Ceux pour qui, en général, l'ONU est une bonne chose, ne vont tout de même pas voter là-dessus, ils vont plutôt le faire au sujet de leur emploi ou de leurs services de santé, et c'est pour cela qu'on n'entend pas leurs voix. Il faudrait donc que les dirigeants américains disent franchement à la population des É.-U. qu'il est dans notre intérêt que l'ONU soit forte.
J'ajouterai quelque chose cependant: l'ONU est loin d'être parfaite. Nous ne tenons donc pas à lier constamment notre politique à la sienne. Ainsi par exemple, dans le cas du Kosovo, le Conseil de sécurité de l'organisation n'a pas réussi à protéger les Kosovars, qui pourtant subissaient une épuration ethnique. Nous nous sommes donc tournés vers l'OTAN. Par conséquent, tout en reconnaissant l'importance de l'ONU, il ne faut pas prétendre qu'elle constitue un mécanisme parfait, car c'est contraire à la réalité.
¿ (0950)
M. Sarkis Assadourian: Merci.
La présidente: Merci.
Certains députés libéraux nous ont laissé savoir qu'ils voulaient intervenir, mais nous allons nous conformer à l'usage courant. La parole est donc à vous, monsieur Day.
M. Stockwell Day: Merci, madame la présidente.
Je ne suis pas en mesure de connaître le tréfonds de la pensée politique des Américains, mais quand même, si les États-Unis montrent aussi peu d'empressement à payer leurs droits aux Nations Unies à tous les ans, il me semble que c'est parce que l'organisme a des effectifs tout à fait pléthoriques et parce qu'on y gaspille des millions de dollars, qui autrement pourraient secourir des affamés. Le gaspillage et l'inefficacité constituent un énorme problème. C'est la même chose au sein de notre gouvernement et de tout gouvernement, c'est inévitable. À mon avis, cette réticence est donc un moyen de pression, c'est un appel à une plus grande efficacité et à une rationalisation des activités. C'est certainement une tâche non négligeable.
Maintenant, au sujet de vos réflexions sur l'empire romain, nous avons déjà abordé cela la semaine dernière. Quoi qu'il en soit, la Pax Romana reposait sur la puissance militaire de l'empire. Il faut garder cela à l'esprit. J'ignore si l'histoire se répète avec la fin de la guerre froide, mais le système soviétique s'est certainement complètement effondré, et la Russie est maintenant incapable de maintenir sa puissance militaire à son niveau antérieur. Cela dit, moi aussi j'estime que c'est une bonne chose que la guerre froide soit terminée.
Voilà pour mes remarques, j'en arrive maintenant à ma question. Est-ce que je me trompe en affirmant que vous êtes quelque peu préoccupé par le Tribunal pénal international, et cela figure d'ailleurs dans un des articles que nous avons en main. Nous de l'opposition estimons que les principes qui sous-tendent les jugements de ce tribunal sont tellement nombreux à être flous que nos soldats pourraient se trouver dans des situations intenables. Ils pourraient ainsi être traduits devant des juges internationaux, sans qu'auparavant les principes de cette forme de justice aient été clairement établis, et que nous sachions donc à quoi nous attendre. Si l'on veut qu'on respecte le droit, qu'il soit national ou international, il faut qu'on sache ce à quoi on risque de faire face.
Ici, j'aimerais peut-être vous entraîner sur le terrain politique, et nous savons que votre avis sera donné en toute amitié et bienveillance. Étant donné nos préoccupations face à ce tribunal, comment pouvons-nous éviter l'accusation de ne pas nous soucier des crimes de guerre, par exemple? Lorsque des crimes de guerre ont été commis à l'échelle internationale, comme dans les Balkans, cela mène à des procès ponctuels comme ceux de Nuremberg. On a donc tendance à traiter ces problèmes au cas par cas. Par conséquent, comment peut-on contester ce tribunal international d'une façon défendable, afin qu'on ne voit pas dans notre position un manque de zèle à traduire des criminels de guerre devant les tribunaux, mais le souci de protéger notre propre population? Les Canadiens risqueraient en effet d'être affectés par des jugements précédents de ce tribunal sans avoir pu se renseigner auparavant.
¿ (0955)
M. Joseph Nye: Permettez-moi de vous faire part de mes idées au sujet du Tribunal pénal international, sans toutefois entrer dans le débat politique canadien. En général, la création du Tribunal pénal international est une bonne idée. J'espère d'ailleurs qu'un jour, les États-Unis en feront partie. Toutefois, certains Américains, tout comme certains Canadiens, si j'ai bien compris, se préoccupent de ce qui pourrait arriver si des organisations non gouvernementales militantes et ayant des visées politiques collaboraient avec un procureur qui veut mousser sa réputation sur le plan international, remporter un prix Nobel ou quelque chose de ce genre, et si tous les deux demandaient, par exemple, la tenue d'un procès pour crimes de guerre dans un cas où cela ne nous paraîtrait pas justifié.
Ainsi par exemple, imaginons que ces intérêts concertés exerceraient des pressions pour que l'on dise, par exemple, que le commandant américain des opérations de bombardement en Afghanistan est un criminel de guerre, en raison des décès de civils. En vertu du principe de complémentarité qui est au coeur du tribunal, les États-Unis auraient le droit de juger ledit commandant en premier. Nous le traduirions donc devant les tribunaux et il affirmerait qu'il n'a pas délibérément tué de civils; que les décès de civils étaient quand même proportionnés aux forces déployées, et qu'on s'est efforcé d'éviter ces pertes. Nous conclurions donc qu'il n'y a pas lieu de tenir de procès. Bon nombre d'Américains craignent que ce groupe militant et le procureur disent alors, soit qu'on a jugé le commandant, soit qu'on ne l'a pas fait, mais qu'il n'y a pas matière à procès. Les deux parties à la poursuite diraient alors qu'il y a effectivement matière à procès et qu'il faut traduire le militaire devant le tribunal. Les États-Unis ont demandé une concession dans ce genre de circonstances, c'est-à-dire que le Conseil de sécurité détermine s'il y a lieu d'instruire un procès, et bien entendu, des États aux vues similaires qui se trouvaient à Rome ont rejeté la proposition, estimant qu'il ne devait pas y avoir de droit de veto. Cependant, même si on avait décidé de procéder autrement que par voie de veto, il me semble qu'on aurait trouvé avisé d'exiger une majorité des voix, peut-être une majorité qualifiée, comme neuf membres ou quelque chose d'approchant, pour sanctionner ce genre de poursuite. Autrement, on s'expose aux dangers d'une politisation des actions en justice, ce qui représente un vrai problème.
Maintenant, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire et comment nous devrions nous comporter dans des cas semblables à l'avenir. Pour ma part, je pense que si les Américains, les Canadiens et les Européens font partie du tribunal, il y aura davantage de chances qu'on mette en place des mécanismes appropriés, ce qui nous éviterait le genre de problèmes que j'ai évoqués. Il est donc probablement préférable d'adhérer au tribunal et d'essayer de le façonner plutôt que de le boycotter ou de lui résister. Cependant, ça me paraît aussi une leçon pour l'avenir, lorsque nous serons confrontés à des problèmes semblables. Il est dommage qu'on n'ait pas voulu être plus souple à l'endroit de la position américaine. Cette position—et ici je précise qu'en général, je suis un adepte du multilatéralisme—était favorable au tribunal sous l'administration Clinton, mais cela dit, les Américains, en raison de leur puissance militaire, ont aussi certaines responsabilités ainsi qu'un rôle à jouer pour préserver la paix, et cela les rend un peu plus vulnérables que les autres. Le fait que les pays animés des mêmes idées aient décidé d'aller de l'avant et de créer le tribunal, malgré les objections de l'administration Clinton, a donné un tribunal sans la participation des États-Unis, et le contraire aurait été préférable.
Dans un monde en pleine évolution comme le nôtre, lorsqu'on tente de réaliser des progrès en concevant des institutions internationales appropriées, le mieux peut être l'ennemi du bien.
À (1000)
La présidente: Merci.
Monsieur Godfrey, vous avez la parole.
M. John Godfrey (Don Valley-Ouest , Lib.): Je suis ravi que vous soyez des nôtres. J'ai certainement lu avec beaucoup d'intérêt votre article dans The Economist.
Ma question concerne le monde de l'après 11 septembre. Il me semble qu'il y a trois facteurs qui se conjuguent du point de vue des États-Unis, dont deux qui étaient déjà là. Si je puis reprendre votre analogie, les deux échiquiers du haut existaient déjà avant le 11 septembre, si bien que le pouvoir militaire et le pouvoir économique étaient déjà en place. Le deuxième facteur qui était déjà en évidence était l'unilatéralisme républicain de Bush. Il ne s'agissait pas là d'un nouveau phénomène—le phénomène n'a pas été inventé par Charles Krauthammer, qui n'est qu'un de ces Canadiens expatriés.
Ce qui semble nouveau, et qui rend la vie très intéressante ici, c'est le troisième facteur, à savoir le triomphalisme inopportun qui a suivi la victoire rapide que les Américains ont semblé remporter facilement en Afghanistan. Le discours du Président sur l'état de l'union, qui avait été rédigé par un autre de ces Canadiens expatriés, donnait à entendre qu'on laisserait tous ces problèmes loin derrière nous. Cette attitude doit nous amener, il me semble, à changer radicalement la façon dont le Canada réagit à ce que fait son allié. Au lieu de miser sur les particularités, comme nous l'avons si souvent fait par le passé, notamment pendant les années Clinton, où nous traitions chaque question au fur et à mesure qu'elle survenait, choisissant ainsi de réagir plutôt que d'être vraiment proactifs, nous nous trouvons confrontés à une série de décisions, la première ayant été de participer à l'intervention militaire en Afghanistan. Nous n'avions même pas pensé, par exemple, que nous aurions à prendre une décision sur les prisonniers de guerre. Il y a maintenant la question du commandement du Nord, au sujet duquel nous devrons prendre position, si ce n'est en mai, du moins d'ici à la mi-juin, puisque la structure doit être en place le 1er octobre.
Si nous voulons être une puissance moyenne discrète mais efficace, j'ai pour mon dire que nous devons utiliser un des outils les plus puissants que nous ayons, notre souveraineté intellectuelle: autrement dit, nous devrons évaluer nous-mêmes les faits et les risques. Le problème, c'est que, si nous décidons d'exercer notre souveraineté intellectuelle dans l'examen des problèmes du monde, nous arriverons peut-être à une liste très différente de celle de nos voisins. Ainsi, nous déciderons peut-être qu'un des gros problèmes qui se posent dans le monde, c'est l'Arabie saoudite. Étant donné que 15 des 19 personnes qui étaient à bord des avions venaient de ce pays, nous aurions peut-être hésité à inviter le prince héritier Abdullah au ranch. La défense antimissile n'est peut-être pas du tout la leçon qu'il faut tirer du 11 septembre, qui a été finalement le triomphe de la technologie rudimentaire et d'une planification très poussée, comme c'est le cas des attentats-suicides en Israël.
Quelle est la stratégie qui convient? Il me semble que c'est une stratégie qui va de l'intérieur vers l'extérieur. Il nous faut travailler avec de gentils Américains comme vous, avec qui nous sommes d'accord, afin de faire en sorte que nous puissions exercer cette souveraineté intellectuelle dans l'intérêt des États-Unis et du monde, au lieu de permettre qu'on tire des leçons inopportunes du 11 septembre.
M. Joseph Nye: Ce sont là d'excellentes remarques. Je suis d'accord avec vous pour dire que ce triomphalisme est déplacé, mais l'important, je crois, c'est la façon dont le Canada peut se faire entendre. Le Canada a un pouvoir discret, ce qui est une forme intéressante de pouvoir, et l'ancien ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, en a souvent parlé. Mais comme je l'ai dit, le Canada marche sur la corde raide. Si vous vous faites tellement l'apôtre de la morale et de la vertu qu'on refuse de vous entendre, vos bonnes idées ne seront plus entendues. Alors comment prouver votre bonne foi tout en faisait valoir une opinion contraire? C'est une tâche difficile. Cela a pu être fait dans certains cas, mais pas dans d'autres.
Permettez-moi de vous donner l'exemple du traité sur les mines terrestres qui résulte, bien entendu, d'une convention signée ici à Ottawa. Ce traité est une bonne chose, mais il est vrai que vous auriez pu convaincre les Américains si vous aviez accepté certaines concessions. Les États-Unis et la Corée du Sud sont les deux pays qui ont la responsabilité de s'attaquer à un problème particulier, celui de la Corée du Nord qui compte un million de soldats dont 60 p. 100 se trouvent à 100 kilomètres de la zone démilitarisée. Cette situation a conduit les Américains à dire qu'ils étaient d'accord pour se débarrasser des mines antipersonnel partout dans le monde sauf là. Quand le Canada et les pays aux vues similaires ont décidé de poursuivre à Ottawa les négociations que le comité sur le désarmement tenait à Genève au sujet des mines terrestres en disant qu'il fallait conclure un traité, que les Américains en soit signataires ou non, je crois que ce n'était pas une si bonne idée. Il aurait été plus efficace d'accorder une exception disons de 10 ans pour la péninsule coréenne afin d'obtenir la participation des Américains. Mais on a décidé d'avoir un traité absolu, et selon moi, ce n'était pas la meilleure solution.
Voilà donc un exemple de ce que je veux dire. Vous pouvez avoir de bonnes idées, mais il faut voir comment les réaliser de la façon la plus efficace possible. C'est un exemple où vous avez plus ou moins raté votre objectif et où vous avez donc été moins efficaces que vous auriez pu l'être.
À (1005)
La présidente: Merci, monsieur Nye.
Monsieur Paquette.
[Français]
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, madame la présidente.
Soyez le bienvenu au comité. Comme la présidente l'a mentionné au début de la journée, votre témoignage se situe dans le cadre d'un travail que nous faisons sur l'intégration nord-américaine. J'aurais voulu avoir vos commentaires sur la volonté des autorités américaines et du président américain en particulier de négocier la Zone de libre-échange des Amériques. Comment ce projet se situe-t-il par rapport aux négociations qui vont démarrer à l'Organisation mondiale du commerce?
D'un côté, on voit beaucoup de volonté politique de la part de M. Bush d'aller chercher la procédure du fast track au Congrès, mais on constate en même temps un unilatéralisme qui est très mal reçu en Amérique du Sud.
J'ai eu l'occasion d'aller au Brésil et au Mexique, où on a pu s'apercevoir que très peu de parlementaires, y compris ceux des partis au pouvoir, défendaient maintenant ce projet de la Zone de libre-échange des Amériques. Dans le cadre des élections au Brésil, aucun parti ne fait la promotion de ce projet. Pour les politiciens, il est devenu pratiquement incontournable de se prononcer contre ce projet. Vous comprendrez également qu'on n'aura pas d'appui en Argentine, étant donné la situation actuelle de ce pays.
L'attitude américaine--je ne dis pas que c'est une attitude qu'on a délibérément voulu adopter--à la suite du coup d'État manqué au Venezuela a été très mal interprétée. On s'est posé des questions sur la véritable détermination de faire respecter la Charte démocratique qui a été adoptée à Lima par l'Organisation des États américains.
Donc, d'un côté, il semble y avoir une volonté politique, mais, de l'autre, on ne sent pas que les gestes vont véritablement dans le sens de la concrétisation de ce projet.
J'ajoute un dernier élément, qui nous a toujours frappés et même un peu choqués. Dans l'ensemble des organismes parlementaires des Amériques, que ce soit le FIPA, qui est le Forum interparlementaire des Amériques, ou la COPA, la Conférence parlementaire des Amériques, les Américains sont systématiquement absents.
Je voudrais avoir vos commentaires concernant l'avenir de ce projet du point de vue des autorités américaines et sur la façon dont elles se situent par rapport aux négociations qui vont s'ouvrir à l'Organisation mondiale du commerce.
À (1010)
[Traduction]
M. Joseph Nye: Je crois que nous devrions surtout chercher à conclure les négociations de l'OMC qui ont été annoncées à Doha. Je crois que les accords régionaux de libre-échange ont un rôle légitime à jouer, mais nous devrions les envisager dans le contexte de l'ancien article 24 du GATT. Autrement dit, ils devraient viser davantage à créer des échanges qu'à les détourner. Conclure des accords régionaux qui soustraient des échanges au système commercial mondial ne fera pas de notre monde un monde meilleur. N'oublions pas une considération plus vaste, qui a été mentionnée à Doha, mais qui reste très importante, à savoir que la moitié de la population mondiale vit avec moins de 2 $ par jour. Nous parlons beaucoup de l'aide au développement et le président Bush a annoncé une augmentation de 50 p. 100 de l'aide américaine au cours des trois prochaines années, mais ces sommes restent limitées par rapport à ce que nous faisons, sur le plan commercial, aux pays en développement. J'ai entendu Mike Moore, le chef de l'OMC, dire que le protectionniste agricole des pays riches coûtait environ 350 milliards de dollars par an, à peu près cinq fois plus que la valeur totale de l'aide au développement. Il faut donc veiller à ne pas nous tourner vers des versions limitées du libre-échange qui nous donnent bonne conscience dans un certain contexte et qui nous font oublier que nous empêchons les pays en développement de profiter de la possibilité de prospérer grâce au commerce.
Si vous prenez les protestations anti-mondialisation, il y a énormément de contradiction parmi ceux qui veulent préserver la souveraineté de leur pays, mais aux dépens des pays pauvres. Quand les manifestants anti-mondialisation ont tenu leur sommet de Davos à Porto Alegre, au Brésil, l'un de leurs héros était José Bové, célèbre, bien sûr, pour son attaque contre McDonald. Mais José Bové défend également énergétiquement la politique agricole de l'Union européenne qui cause aux pays en développement qui l'ont invité à Porto Alegre énormément plus de tort que McDonald n'en a causé à qui que c soit.
Par conséquent, quand nous examinons la question du commerce et du libre-échange, il faut voir les choses dans une perspective plus générale. Je crois qu'un système économique internationale ouvert et le libre-commerce représentent la meilleure façon d'aider les pauvres des pays pauvres à échapper à leur pauvreté. Cela ne veut pas dire que toute forme de libre-échange soit parfaite et qu'on ne peut pas prendre des mesures pour imposer certaines limites, mais si vous comparez les pays du monde qui se sont coupés de l'économie internationale avec ceux qui en ont profité, vous constaterez qu'il y a beaucoup plus de pauvres qui ont pu échapper à la pauvreté dans ces derniers pays que dans les premiers.
Par conséquent, lorsqu'on se demande comment aborder le libre-échange à l'échelle de l'hémisphère et réaliser nos objectifs de libre-échange, il y a lieu de se demander si ce que nous faisons va nous conduire à un système économique internationale plus solide et meilleur qui servira les intérêts des pauvres gens des pays pauvres. Si vous prenez l'ancien article 24 du GATT, qui favorise la création plutôt que le détournement des échanges commerciaux, ce n'est pas un mauvais principe à appliquer. Je ne suis pas contre le libre-échange à l'échelle des Amériques, mais je crois qu'il faut le placer dans un contexte plus large. Voilà pourquoi je me réjouis de ce que nous ayons au moins établi une série de principes pour les négociations de Doha. Il s'agit maintenant de les mettre en oeuvre et c'est là que cela se complique.
À (1015)
La présidente: Merci.
C'est maintenant au tour de Mme Marleau.
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Merci, madame la présidente.
Comme vous le savez, ces audiences sont préparatoires au Sommet de Kananaskis, en juin. Notre premier ministre a parlé de proposer un programme pour l'Afrique et les leaders africains ont préparé eux-mêmes un plan d'action. Ce plan prévoit un certain nombre d'initiatives grâce auxquelles ils assureront le respect de la démocratie en se surveillant mutuellement. Ma question concerne les pouvoirs du Nord ainsi que le G-7 et le G-8. Sommes-nous prêts à faire plus pour nous surveiller les uns les autres? Comme vous le savez, un des principaux problèmes de l'Afrique vient de ce que certains pays ont fait de gros transferts de fonds dans des comptes en banque secrets dans des pays du Nord. Il y a des gens corrompus, d'autres gens qui les corrompent et d'autres qui s'en font les complices. Je crois que les seuls pays qui puissent faire quelque chose au sujet de ces gros transferts de fonds sont les pays du G-8, et des nouveaux pouvoirs nous permettent maintenant de repérer et fermer des comptes en banque qui servent à financer des activités terroristes. Croyez-vous que nous puissions aborder cette question au G-8 et amener les pays du G-8 à prendre des sanctions contre les pays qui ont des comptes en banque secrets, qui sont des paradis fiscaux et qui contribuent à un bon nombre de ces problèmes?
M. Joseph Nye: Ce sont d'excellentes questions.
L'une des raisons pour lesquelles les États-Unis et d'autres pays industrialisés ont de la difficulté à augmenter leur aide au développement, c'est que le public a l'impression que cet argent est utilisé à mauvais escient. Comme certains l'ont dit, pourquoi les travailleurs des pays riches devraient-ils donner aux riches des pays pauvres? La corruption est un sérieux problème. Certains pays sont si mal gérés et leur gouvernement est si corrompu que l'aide au développement est en grande partie gaspillée. Des études très intéressantes ont été réalisées par William Easterly, qui a travaillé à la Banque mondiale et qui a publié un ouvrage plutôt décourageant sur cette question.
Il y a certaines choses que nous pourrions faire et que nous devrions faire. Des lois comme la Foreign Corrupt Practices Act qui interdisent d'offrir des pots-de-vin commencent à se répandre dans les pays du G-8. L'OCDE s'est penchée sur le problème. Transparency International, une organisation non gouvernementale, cite des noms et cherche à faire honte aux coupables pour empêcher ce genre d'agissement. Quand le président Bush a annoncé, à Monterrey, que l'aide américaine au développement augmenterait, il a dit que ce serait pour les pays qui luttent sérieusement contre la corruption.
Selon moi, il ne faut pas penser que nous aiderons les pauvres en nous contentant de verser de l'argent aux pays d'Afrique, ou à tout autre pays, sans renforcer la capacité de leurs institutions. James Wolfensohn, le président de la Banque mondiale, l'a également fait valoir. Ceux d'entre nous qui s'intéressent de près au développement devraient réfléchir beaucoup plus aux moyens d'apporter notre aide.
Mme Diane Marleau: Je comprends ce que vous dites, et c'est vrai, mais ceux d'entre nous qui sont allés dans ces pays et qui ont vu comment ils fonctionnaient, savent que les gros montants d'argent provenant de la corruption ne sortent pas de ces pays dans une brouette ou dans les poches de quelqu'un. Il y a, dans le monde industrialisé, des gens qui profitent encore plus de cette corruption que les dirigeants corrompus de ces pays. Je veux dire que nous devrions nous imposer nous-mêmes un contrôle sur ces transferts de fonds. De nombreux pays n'ont pas les moyens de le faire eux-mêmes et je me demande comment, au sein du G-8 et du monde industrialisé, nous pouvons nous surveiller mutuellement pour empêcher ces transferts d'argent. S'il n'est pas possible de sortir l'argent du pays, certains agissements deviendront beaucoup plus difficiles. Je crois que nous pourrions jouer un rôle. Je ne sais pas si nous en sommes déjà là, mais j'aimerais certainement que nous commencions à en parler.
À (1020)
M. Joseph Nye: Je suis d'accord avec vous. J'ose espérer que cette question du contrôle des transferts financiers sera inscrite à l'ordre du jour de Kananaskis. Dans certains cas, ce que j'ai qualifié de sanctions ciblées, de sanctions visant les dirigeants connus pour leur penchant pour la corruption ou pour le peu de cas qu'ils font de ces lois, serait logique.
La présidente: Merci.
M. Day.
M. Stockwell Day: Merci encore une fois, madame la présidente.
Je veux simplement faire une observation. Les points de vue qu'on entend au Canada, comme vous le savez bien, ne sont pas toujours universellement partagés par tous les Canadiens. Je ne veux pas dire qu'en l'occurrence ce n'est pas le cas, mais la supériorité intellectuelle sert parfois de paravent à un snobisme pseudo-intellectuel. Un des atouts de la personnalité tellement critiquée de l'Amérique, une de ses qualités qui la rachète, c'est son absence totale de complexes devant les idées supérieures venues d'ailleurs. Les Américains ne les adoptent jamais sans les avoir longuement analysées. Ils n'en ont pas peur. Je suis fier comme un coq quand je pense que même des Canadiens transplantés peuvent avoir une influence sur la politique présidentielle. Cela me fait penser aussi aux Américains qui ne se laissent pas intimider par les étrangers à forte personnalité qui peuvent avoir une influence positive sur eux.
Il suffit de se souvenir de ce qui s'est passé aux Jeux olympiques à Atlanta. Je ne sais si vous êtes au courant. Qui a chanté l'hymne national pour les Américains? Une Canadienne. Si c'était le contraire qui était arrivé au Canada, la police culturelle serait intervenue et aurait arrêté tous les complices d'une telle horreur. Les complices canadiens auraient été condamnés à 100 heures de services communautaires qu'ils auraient occupées à construire des barrages de castor. Nous ne nous laissons pas tous intimider par la culture américaine parce que nous sommes intimement persuadés de la force de notre propre culture.
Ceci dit, et cela m'a beaucoup soulagé, il y a un point qui m'intéresse tout particulièrement, le projet de loi agricole américain, le projet de subventions agricoles. Quelles seront ses conséquences non seulement pour nous, mais comme vous l'avez dit à juste titre, pour les pays en voie de développement? Encore une fois, pour profiter au maximum de la présence d'un témoin américain, comment nous suggéreriez-vous d'attaquer cette question avec les Américains? C'est une approche destructrice qu'on adopte là. Comment voyez-vous la chose?
M. Joseph Nye: Je souhaiterais pouvoir vous dire comment attaquer le problème du protectionnisme dans les démocraties. Ce n'est pas facile, car les membres du Congrès et, je le soupçonne, les parlementaires commencent par écouter ceux qui les ont élus. Si vous les accusez d'étroitesse d'esprit, d'ignorance du reste du monde, ils vous rappelleront que s'ils représentent un État agricole, ou une province agricole au Canada, leurs électeurs sont de cet État ou de cette province et non pas du reste du monde.
M. Stockwell Day: Au Canada, d'une manière générale, bien que le libre-échange laisse exister certains secteurs dont l'approvisionnement est géré, nous avons un tel sentiment de confiance que nos agriculteurs nous disent qu'ils sont prêts à renoncer aux subventions, qu'ils sont prêts à s'attaquer aux marchés mondiaux et à nourrir la planète. Pourquoi les agriculteurs américains n'ont-ils pas le même sentiment, eux qui devraient se sentir encore plus technologiquement supérieurs? Pourquoi cette attitude, selon vous?
À (1025)
M. Joseph Nye: Elle est partagée par beaucoup mais pas par tous. Prenez par exemple le sénateur Lugar de l'Indiana. C'est un sénateur très efficace qui a l'esprit très ouvert sur cette question. C'est un de ceux qui a proposé de réduire les subventions agricoles. Mais si vous prenez, par exemple, les producteurs de sucre, sans protection ils ne s'en sortiraient pas. Donc, dans une certaine mesure, cela dépend en vérité de l'État et des producteurs concernés.
Ce que nous pouvons espérer de mieux c'est que des dirigeants politiques dramatisant les effets délétères d'une vision aussi étroite démontrent son danger pour nos intérêts à long terme dans le développement mondial et fixent certaines limites à ce protectionnisme. Si, par exemple, lors de réunions du G-8 nous réaffirmons nos principes, même si nous ne les respectons pas toujours, il n'en reste pas moins que les principes ont de l'importance et ils nous tirent tous dans une certaine direction. Je crois qu'il faut que nous nous fassions à la réalité que dans les démocraties il y aura toujours du protectionnisme, mais malgré cela, la libéralisation des échanges commerciaux reste remarquable. Il n'y a pas eu de retour à un protectionnisme pur et dur où chacun défend son territoire.
Les sondages d'opinions aux États-Unis montrent que d'une manière générale la population est favorable à la mondialisation, mais si vous lui demandez: «Y seriez-vous toujours favorable si vous y perdiez votre emploi ou si cela touchait votre emploi?», la réponse n'est plus du tout la même. Il en ira toujours ainsi et ce qu'il nous faut c'est mettre en place les moyens d'aider ceux qui perdent leur emploi à en trouver un autre ne remettant pas ainsi en cause l'ouverture internationale du système. Pour cela il ne faut cesser de réaffirmer nos principes.
D'aucuns accuseront le président Bush d'hypocrisie quand il prêche d'une main le libre-échange et de l'autre le protectionnisme pour l'agriculture, l'acier, etc. Je préfère l'homme politique qui pour le moins énonce les bons principes, même s'il trouve parfois difficile de les appliquer dans toutes les circonstances, à celui qui ignore les principes, parce que c'est la voie sur laquelle ils sont sans cesse réaffirmés. Je ne pense pas que ce soit uniquement un problème américain. Les Canadiens sont peut-être mieux placés sur certaines de ces questions que les Américains. Si je considère les problèmes du protectionnisme agricole, les Américains ne sont certainement pas des héros mais les Européens sont encore plus englués dans le problème.
La présidente: Merci.
Madame Carroll.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, madame la présidente.
Vous écouter est un véritable plaisir. Comme l'a dit M. Day, j'aurais souhaité que vous soyez avec nous au moins deux jours afin de pouvoir poursuivre cette discussion. J'attends avec impatience la transcription, comme cela je pourrai lire ce que j'ai raté.
J'aimerais aborder trois points et je le ferai le plus rapidement possible pour vous laisser le temps de répondre.
Vous avez qualifié la Corée du Nord, si je peux utiliser l'expression, de bretelle de sortie pour le gouvernement américain à propos de la ratification du traité sur les mines antipersonnel. J'étais dans ce pays il y a un an et demi. Il doit y avoir au moins un million de personnes en uniforme. J'aimerais vous décrire l'état des uniformes et de ceux qui les portaient. Ils pourraient tous utiliser le même modèle, car ils sont tellement maigres à cause des problèmes de malnutrition. La plupart de ceux que j'ai observés ne se trouvaient pas derrière des armes, mais aidaient la population à réparer à la main les routes, à travailler dans les champs, etc. Je ne pense pas me faire d'illusions ou regarder ce pays dont j'ai étudié l'histoire à travers des lunettes roses.
Même si l'Amérique opte pour cette approche envers la République populaire de Corée, j'ai quand même beaucoup de mal à comprendre que Washington ne reconnaisse pas une certaine évolution de la situation dans ce pays, si ce n'est au niveau des dirigeants, tout au moins au niveau de beaucoup de personnalités influentes. Ils le savent très bien. Il y a très peu de nourriture dans le pays. Le peu qu'il y a est surtout d'origine américaine par l'intermédiaire des Nations Unies. C'est donc avec stupéfaction que j'ai entendu son nom cité dans celui des pays de l'axe du mal, renforçant ce manque de reconnaissance de l'évolution de la situation par Washington. Mais encore une fois, c'est peut-être, comme les journaux l'ont dit, parce qu'il fallait que dans cette liste figure un pays non musulman. Vos explications sur la non-ratification du traité sur les mines antipersonnel m'ont déçue. J'aimerais que vous m'en disiez un peu plus.
Mon collègue John Godfrey--et j'adore toujours aussi l'écouter--a mentionné de gentils Américains. Je crois que Colin Powell est un gentil Américain. Ses idées sont un peu différentes. J'espère bien qu'il restera en poste, ayant eu l'occasion de le rencontrer. Je suis secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères. Il a tout à fait justifié les préjugés très positifs que j'avais à son égard. C'est un homme à la modestie charmante en plus de ses capacités intellectuelles. J'aimerais donc beaucoup que vous nous disiez ce que vous pensez de Colin Powell.
Enfin, votre merveilleux article a servi partout. Le ministre s'en est servi devant l'Institut canadien des affaires internationales et a cité votre analogie des échiquiers. Selon lui, bien que les Canadiens n'aient jamais dominé les deux échiquiers du dessus, et pour de bonnes raisons, le statut de membre du G-8 et de chef de file du G-20 nous confère une stature largement supérieure à notre simple valeur économique. Nous pouvons alors être très agressifs au niveau du troisième échiquier, où notre population multiculturelle et fortement scolarisée élargit considérablement le cercle de notre influence. Si vous avez le temps, j'aimerais aussi que vous me disiez ce que vous en pensez.
À (1030)
M. Joseph Nye: Je suis du même avis que le ministre quant à l'influence que peut avoir le Canada. Je suis aussi du même avis que vous quant aux qualités impressionnantes de Colin Powell, qui est, d'après moi, un excellent secrétaire d'État.
Permettez-moi de revenir à ce que je disais au sujet des mines terrestres et de la Corée du Nord. Je reconnais que les forces armées nord-coréennes, tout comme le pays lui-même, vivent des conditions difficiles. Ce que j'ai voulu faire comprendre, c'est que nous avons affaire à un régime qui a déjà agi de façon curieuse, et qu'il arrive que, quand on se trouve dans une situation désespérée, on agisse de façon encore plus irrationnelle qu'on ne l'aurait fait en temps normal. Après tout, quand on est coincé en haut d'un immeuble de 10 étages qui est en flammes et qu'on sait que, si l'on ne fait rien, on va mourir à coup sûr, alors que, si l'on saute, on a une chance sur 100 de survivre, il devient rationnel de sauter. Nous ne pouvons donc pas risquer de souscrire à l'idée que la Corée du Nord, parce qu'elle est affamée et qu'elle connaît des circonstances éprouvantes, ne recourrait jamais à la force. Aussi il est important d'avoir un solide dispositif de dissuasion pour qu'il ne lui vienne pas à l'idée qu'une attaque éclair à travers la zone démilitarisée lui permettrait peut-être de se sortir de son enfer. Si j'ai bien compris, les chefs militaires américains estiment qu'ils ne pourraient pas prévenir cette éventualité s'ils devaient s'abstenir de poser des mines terrestres antipersonnel dans les six années à venir. Le président Clinton s'était engagé à essayer de trouver, d'ici 2006, d'autres moyens de nous protéger contre cette possibilité pour que nous puissions peut-être, à un moment donné, adhérer au traité anti mines. Nous avons toutefois changé d'administration depuis, et je ne sais pas si la nouvelle administration sera aussi de cet avis. Il aurait mieux valu d'après moi que le Canada mette un peu d'eau dans son vin pour que les États-Unis puissent adhérer au traité pendant que Clinton était toujours à la tête du gouvernement. C'est dans ce sens-là qu'il faut comprendre mes propos.
Quant à la politique en tant que telle sur la Corée, je suis d'accord avec vous pour dire que l'utilisation du terme «axe» témoigne d'un emportement excessif. Chacun des trois régimes en question pose un problème différent qui appelle une réponse diplomatique distincte. Je trouvais en fait que la démarche du gouvernement Clinton à l'égard de la Corée du Nord était raisonnable. Malheureusement, certains membres de la nouvelle administration à la tête du pays croyaient aux propos véhéments tenus pendant la campagne politique, à savoir que le gouvernement Clinton avait été trop indulgent à l'égard de la Corée du Nord. Ils ont donc ni plus ni moins coupé l'herbe sous les pieds de Kim Dae-jung lors de sa première visite. N'oubliez pas que Colin Powell a atténué ses propos initiaux à ce sujet. Depuis que le président Bush est allé à Séoul et qu'il a pu constater de visu dans quelle situation le pays se trouve, les discours témoignent de plus de retenue et les États-Unis insistent pour dire qu'ils sont prêts à engager le dialogue n'importe où et n'importe quand, ce qui, d'après moi, montre que la nouvelle administration se rend compte que la démarche de l'ancienne administration ne s'expliquait pas seulement par un manque de rigueur intellectuelle ou par une trop grande indulgence, mais qu'elle reflétait peut-être la réalité de la péninsule coréenne. Ainsi, il se pourrait bien que la politique de la nouvelle administration à l'égard de la Corée ne s'écarte pas autant qu'on l'aurait pensé au départ de celle de l'ancienne.
À (1035)
La présidente: Merci.
Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup.
Monsieur Nye, depuis le 11 septembre, le président Bush a dit que son combat était le combat contre le terrorisme. Je ne comprends pas que les États-Unis, dans une politique qu'ils mènent de façon unilatérale, aient laissé se détériorer la situation au Moyen-Orient comme ils l'ont fait. Depuis que j'observe la situation internationale, et ça fait quand même assez longtemps, je n'ai jamais vu de situation aussi explosive et aussi susceptible de multiplier les candidats au terrorisme, que celle qui existe depuis des mois au Moyen-Orient.
Pour des alliés de combat des États-Unis, cette situation est extrêmement frustrante d'un côté et inquiétante de l'autre. J'aimerais savoir si vous partagez ce point de vue et quelles indications plus positives vous pourriez nous donner.
[Traduction]
M. Joseph Nye: Tout comme le Président, j'estime moi aussi que la guerre contre le terrorisme doit être une priorité. Le terrorisme est une menace pour notre civilisation actuelle que nous devons prendre très au sérieux. Qu'arrivera-t-il à nos musées, à notre vie urbaine, à nos théâtres, à nos concerts, à tout ce qui nous tient à coeur si un groupe terroriste décide de recourir, non pas à un avion, mais à une arme nucléaire pour anéantir Manhattan? Notre culture s'en trouverait complètement changée.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je m'excuse. Je n'ai pas dit le contraire, mais c'est à cause de cela que je ne comprends pas.
[Traduction]
M. Joseph Nye: Cela dit, parce que c'est là une priorité, je pense que vous avez raison. Il nous aurait fallu prendre plus au sérieux la situation au Moyen-Orient et intervenir plus tôt. Je crois que l'administration à l'époque s'est dit, après l'échec des négociations vers la fin de l'administration Clinton, qu'il valait mieux laisser la situation mûrir jusqu'à ce que les négociations puissent reprendre, mais au lieu de mûrir, la situation est devenue carrément pourrie. Quand le vice-président Cheney s'est rendu au Moyen-Orient il y a environ six semaines, c'était pour préparer le terrain afin de pouvoir contrer Saddam Hussein, pour l'empêcher de se porter acquéreur d'armes de destruction massive. Il a constaté que, pour leur part, les pays de la région souhaitaient d'abord régler le problème palestinien. Nous avons bien vu dans les trois ou quatre dernières semaines qu'il sera pratiquement impossible de faire quelque progrè que ce soit en ce qui concerne le problème iraquien tant qu'on n'aura pas réalisé de véritables progrès pour ce qui est de résoudre le problème palestinien.
On est pas mal d'accord maintenant sur les grandes lignes d'une solution au problème palestinien. Le président Bush a dit devant l'Assemblée des Nations Unies—et il est intéressant de noter qu'il s'agit là d'un progrès par rapport aux présidents qui l'ont précédé—que nous sommes pour un État palestinien et pour un État israélien à l'intérieur de frontières sûres. Quand le prince Abdullah a annoncé son plan d'action, qui avait alors l'aval de la Ligue arabe, plan selon lequel la sécurité du territoire israélien serait garantie à condition qu'il y ait un État palestinien, il s'agissait, là aussi, d'un progrès. Le problème est de savoir comment on peut passer maintenant des grandes lignes aux détails concrets et de la parole aux gestes.
À mon avis, on ne peut pas procéder par étape comme on l'a fait par le passé, en commençant par des cessez-le-feu qui seront violés ou par des mesures de confiance qui ne permettront pas d'accroître la confiance. Il est important de prendre le plan d'action saoudien ou celui de la Ligue arabe, en y ajoutant les éléments importants qui ont pu être négociés et qui ont conduit à l'entente de Taba en janvier 2001, et de s'en servir comme point de départ pour en arriver à une solution plus détaillée, quitte à encourager ensuite la négociation de part et d'autre. Je ne pense pas que nous puissions, comme par le passé, laisser les parties en arriver elles-mêmes à ce stade-là, car je ne crois pas qu'elles y arriveront.
Je suis donc d'accord avec vous pour dire qu'il nous faut agir ainsi à cause de l'importance de trouver une solution au problème du Moyen-Orient et aussi parce que, si ce conflit n'est pas réglé, je ne pense pas que le président va pouvoir poursuivre son objectif plus général de combattre le terrorisme. Pour ces deux raisons, je suis donc d'accord avec vous.
À (1040)
La présidente: Thank you.
Madame Jennings.
[Français]
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce--Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de votre présentation.
À (1045)
[Traduction]
J'ai trois questions pour vous. J'en avais une quatrième, à savoir si le Canada pourrait en fait contribuer de façon importante à régler la situation au bas de l'échiquier, mais vous y avez déjà répondu.
Je veux vous interroger, entre autres, sur ce que vous avez dit au sujet du fait que le Canada n'a pas besoin d'être toujours aussi rigoriste, et vous avez notamment parlé des mines terrestres. Quand nous sommes allés à Washington en mars, Lee Hamilton, que vous connaissez sûrement très bien, nous a dit que les États-Unis étaient plus que jamais convaincus de leur importance et de leur statut en tant que puissance supérieure, et qu'il était donc d'autant plus important que leurs amis soient très francs avec eux. Y a-t-il, d'après vous, des sujets sur lesquels le gouvernement et le Congrès américain seraient en fait prêts à nous écouter?
La consternation était grande récemment quand des documents confidentiels ont été publiés qui montraient que les États-Unis envisageaient d'adopter une nouvelle politique nucléaire. Il semblait que l'actuelle politique qui prévoit la destruction des têtes explosives, etc., pourrait céder la place à une politique axée simplement sur l'arsenal nucléaire, le déclassement, etc., et que le gouvernement américain était peut-être en train de repenser l'engagement très public qu'il avait pris de ne jamais se servir d'armes nucléaires contre une puissance non nucléaire. Le gouvernement américain a aussitôt nié, disant qu'il s'agissait simplement là d'un scénario que la Défense et l'armée revoyaient de temps à autre. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Ma dernière question concerne la partie au centre de l'échiquier, c'est-dire la dimension économique. Quand vous avez parlé de protectionnisme, vous avez dit que, même si les États-Unis et le Canada souscrivent tous deux aux principes du libre-échange, le protectionnisme existe dans certains domaines et vous avez notamment évoqué l'industrie sidérurgique. Si j'ai bien compris, vous avez semblé dire qu'il s'agissait d'un secteur où il y avait litige entre le Canada et les États-Unis.
M. Joseph Nye: Et l'Europe.
Mme Marlene Jennings: D'accord. Cette industrie est sans doute, que je sache, la plus intégrée en Amérique du Nord. Le Mexique est bien sûr de la partie. Je crois savoir, par ailleurs, qu'on est très ouvert dans ce secteur à une intégration encore plus poussée et à l'idée d'amener les trois gouvernements à commencer à penser à la possibilité d'avoir des règles communes sur la concurrence. J'aimerais bien que vous nous donniez votre avis là-dessus aussi, et s'il y avait un mouvement vers une plus grande intégration, y verriez-vous un mouvement protectionniste ou simplement une façon de consolider l'intégration nord-américaine, à l'instar de ce qui s'est fait en Europe après la guerre, la France, l'Allemagne--et j'oublie quelle était la troisième puissance--ayant intégré leur secteur sidérurgique et ayant ainsi amorcé le mouvement vers le Marché commun et la Communauté européenne?
M. Joseph Nye: Je commence par votre dernière question, sur le secteur sidérurgique. J'y ai simplement fait allusion pour donner un exemple de protectionnisme, mais pas dans le sens nord-américain. Il aurait été plus avantageux, au lieu d'imposer des tarifs, de restructurer ce secteur afin de l'aider à se consolider. On aurait notamment pu se servir des régimes de retraite ou encore trouver d'autres moyens d'alléger la dette des entreprises sidérurgiques si elles avaient accepté de prendre les mesures qui s'imposaient pour restructurer et consolider le secteur. Il y avait donc là une autre solution, qui aurait été meilleure à mon avis.
Quand les amis peuvent-ils se parler franchement et être écoutés? Quand il a été question des prisonniers de guerre aux termes de la Convention de Genève, le Président a déclaré que les conventions de Genève ne s'appliquaient pas en l'occurrence. C'était là l'avis du Département américain de la justice, du moins d'après les journaux, le secrétaire à la Justice Ashcroft n'étant guère enclin à s'occuper de l'opinion internationale à ce sujet. Il est intéressant de constater qu'un certain nombre d'alliés ont exprimé de graves préoccupations et que le Président est par conséquent revenu sur sa décision. On dit aussi--je ne sais pas si c'est exact; je me fie simplement à ce que disent les journaux--qu'il y avait de très fortes pressions au sein de l'administration pour que les États-Unis répudient l'entente sur la CCI et contestent le bien-fondé de cette institution et que le premier ministre Blair et d'autres sont intervenus auprès du président Bush pour lui dire de ne pas s'engager dans cette voie parce que cela lui causerait beaucoup de problèmes dans ses rapports avec ses alliés. Jusqu'à maintenant, il n'a pas donné suite aux pressions. Je me fie uniquement à ce que je vois dans la presse. On rapporte aussi que, dans les discussions qu'il a eues avec le Président sur l'Irak, le premier ministre Blair avait déconseillé à M. Bush d'agir de façon unilatérale sans avoir obtenu de preuves, au moyen des inspections de l'ONU, que Saddam Hussein violait ses obligations multilatérales aux termes du Traité de non-prolifération et des résolutions de l'ONU.
Ce sont donc là des cas où--mais je le répète, je me fie à ce que dit la presse--il semble que l'opinion des alliés ait eu un effet.
Mme Marlene Jennings: Avez-vous des exemples à nous donner pour montrer que les États-Unis ont écouté leurs alliés canadiens?
M. Joseph Nye: Parce que les reportages dont je parlais portaient sur les visites de Blair, je ne peux pas vous donner d'exemples, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas eu. Ce qui m'a frappé notamment, c'est...
La présidente: Un arbre qui est tombé dans la forêt?
M. Joseph Nye: Ce qui m'a frappé notamment, c'est que, s'agissant de la coopération en matière de renseignements entre les États-Unis et les autres pays, on constate que l'échange de renseignements avec le Canada et la Grande-Bretagne est plus important qu'avec les autres pays, mais cela ne fait jamais la une des journaux. Ainsi, même si le fait qu'un arbre soit tombé dans la forêt n'est pas rapporté dans les journaux, il ne faut pas conclure qu'il n'y a pas d'arbres qui sont tombés.
Enfin, en ce qui concerne la politique nucléaire qui pourrait être repensée, il ne s'agit là que d'un document de planification. J'ai cependant trouvé ce document un peu inquiétant parce qu'il n'y était pas suffisamment question de l'importance du moratoire sur les essais nucléaires. Il me semble que les alliés des États-Unis, y compris le Canada, devraient rappeler aux États-Unis que le prix à payer pour violer ce moratoire serait très élevé. Qui plus est, le mieux serait encore que nous signions le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires.
Je le répète, il me semble que les États-Unis ont besoin d'entendre leurs alliés les inciter à la prudence. Puisqu'on a parlé de Colin Powell, je crois que vous constaterez qu'il y a bien des représentants du Département d'État qui écoutent.
À (1050)
La présidente: Merci.
Monsieur Day.
M. Stockwell Day: Quand le professeur rentrera chez lui, il rapportera peut-être certains des propos qu'ont tenus aujourd'hui mes honorables collègues. Ils ont fait remarquer qu'il semble tout de même y avoir certains Américains qui sont gentils, insinuant presque par là que la plupart ne le sont pas, que, dans l'ensemble, les Américains ne sont pas très gentils. Je peux vous assurer que beaucoup de Canadiens ne sont pas de cet avis. Quel que soit le pays, il y aura des gens avec qui nous ne serons pas d'accord. Partout, il y a des gens bien et des gens qui le sont moins.
Je veux simplement faire part au professeur d'une petite anecdote. Il y a une quinzaine d'années environ, ma femme et moi avions décidé de voyager d'un bout à l'autre du Canada avec nos fils pour qu'ils puissent apprécier la diversité et la grande richesse de notre pays; à divers moments, nous traversions la frontière pour faire un bout de chemin à travers les États-Unis, puis nous remontions vers le nord pour poursuivre notre chemin au Canada, voyageant ainsi nord-sud et est-ouest. Quand le moment est venu de retourner dans l'Ouest, nous avons donné à nos fils, dont l'âge variait à l'époque de 9 à 13 ans, le choix: faire tout le voyage de retour en restant au Canada, ou bien traverser la frontière, la longueur du projet étant à peu près la même dans les deux cas. À ma grande consternation, ils ont tous opté pour faire le voyage de retour par les États-Unis. Ce n'est pas à cause du prix de l'essence. Ce n'était pas eux qui la payaient, mais bien moi. Quand je leur ai demandé pourquoi ils avaient fait ce choix, ils m'ont répondu: Les Américains sont plus gentils. J'ai cru défaillir en entendant leur réponse, et je suis remonté dans la voiture le coeur brisé. Quand je raconte cette anecdote à certains de mes amis universitaires canadiens, qui ne sont pas aussi convaincus de la gentillesse véritable des Américains, ils prétextent que leur gentillesse n'est que superficielle. Eh bien, je préfère de beaucoup la gentillesse superficielle à l'insolence profonde.
Nous vous remercions pour votre exposé plein de délicatesse. En reconnaissance des rapports amicaux que nous entretenons depuis toujours avec les États-Unis, même s'il y a des moments difficiles où nous devons défendre les intérêts du Canada, je vous remercie pour votre temps et pour votre exposé.
La présidente: Merci.
Monsieur Paquette.
M. Joseph Nye: Si vous me permettez de répondre très brièvement, j'ai connu beaucoup de Canadiens très gentils et beaucoup d'Américains très gentils. Je ne suis pas sûr que c'est la frontière qui fait la différence.
[Français]
M. Pierre Paquette: Permettez-moi de faire un dernier commentaire. D'abord, je veux vous dire que j'étais à Pôrto Alegre, au mois de février dernier, et que José Bové n'est plus du tout la vedette qu'il était au Premier Forum social mondial. Même les Brésiliens auraient préféré qu'il ne se présente pas parce qu'il a détourné l'attention des véritables problèmes.
Je sais que vous êtes préoccupé par cette question du déficit démocratique du processus de mondialisation. Je ne sais pas si vous pourriez nous dire quelques mots sur la manière de corriger cette situation et nous dire comment nous, les parlementaires, pouvons jouer un rôle pour réduire la distance qui existe entre un processus qui semble inéluctable et les décisions qui doivent résulter de la démocratie, qui est une valeur que tout le monde chérit énormément.
[Traduction]
M. Joseph Nye: Il est extrêmement important, à mon avis, que les parlementaires voyagent, comme vous l'avez fait, pour aller rencontrer leurs homologues dans d'autres pays. J'incite souvent mes amis membres du Congrès à voyager davantage.
La présidente: Vous voulez bien répéter?
Des voix: Ah, ah!
M. Joseph Nye: Les parlementaires et les membres du Congrès sont les représentants élus du peuple. Pour l'instant, la démocratie s'exerce à l'intérieur des limites de chaque pays. Peut-être qu'elle pourra s'exercer à l'avenir dans d'autres structures mondiales, mais pour l'instant, les communautés politiques qui sous-tendent les démocraties sont des communautés nationales. Les parlementaires sont les représentants élus du peuple. Faire en sorte qu'ils aient davantage de contacts avec les représentants élus d'autres parties du monde serait un premier pas important dans la voie de la réduction du déficit démocratique. Je n'ai rien contre les ONG, elles jouent un rôle très utile, mais elles ne sauraient remplacer les parlementaires élus.
La présidente: Excellente question, monsieur Paquette.
Madame Carroll.
À (1055)
Mme Aileen Carroll: Je dois dire que nous aimons bien vous faire râler un peu, Stockwell.
Vous avez dit qu'il y a beaucoup de représentants du Département d'État qui écoutent, en parlant notamment de Colin Powell. Je trouve cela intéressant. Faut-il conclure que le Secrétaire d'État doit se mettre au niveau des militaires? À ce propos, j'entends parler d'une couverture thermique et cela m'inquiète. N'est-ce pas lui qui dirige les forces armées, ou est-il plutôt leur prisonnier? Expliquez-nous son rôle comme Secrétaire d'État, en dix mots ou moins.
M. Joseph Nye: En fait, Colin Powell a la réputation d'avoir remonté le moral des troupes au Département d'État plus que tout autre Secrétaire d'État au cours des dernières années et a la réputation d'être très populaire, pour la simple raison qu'il a de très bons rapports avec les gens de tous les niveaux au Département d'État. Mes amis au Département d'État qui sont des agents de carrière du service extérieur, m'ont signalé que le moral au Département d'État est très élevé à l'heure qu'il est à cause des rapports qu'ils ont avec Colin Powell. On a donc tort de croire qu'il est isolé du reste du ministère, et j'espère ne pas vous avoir laissé cette impression.
Mme Aileen Carroll: Non, certainement pas.
Merci, monsieur Nye.
La présidente: Monsieur Nye, si vous vous retrouviez devant les membres du G-8 et que vous deviez leur faire des suggestions, comme nous espérons pouvoir le faire par le truchement des recommandations que nous faisons à notre gouvernement, et si vous deviez leur suggérer certaines façons d'aborder le dossier du terrorisme, quelles seraient certaines des recommandations que vous leur feriez?
M. Joseph Nye: Je suggérerais aux pays du G-8 de prendre des moyens plus sérieux pour améliorer la sécurité de leur territoire. Malheureusement, le terrorisme n'est pas près de disparaître, car il y aura toujours des individus et des groupes au comportement déviant dans toutes les sociétés humaines, quelles qu'elles soient. Il nous faut donc rehausser le seuil pour rendre la tâche plus difficile à ces gens. Ensemble, nous pouvons faire beaucoup. Ainsi, dès lors que certains systèmes sont transnationaux, comme le réseau de transport aérien, notamment, il devient futile pour vous comme pour nous de rehausser la sécurité à l'aéroport d'Ottawa ou à celui de Toronto si un de ces individus peut monter à bord d'un appareil à Londres ou à Bucarest, là où le seuil de sécurité serait moindre. À partir du moment où ces gens sont entrés dans le système, on ne peut les en déloger. Il faut donc trouver des normes communes pour rehausser les seuils partout.
En second lieu, il faudrait apprendre les uns des autres des pratiques exemplaires en matière de sécurité du territoire. Nombre des éléments qui permettent de renforcer nos sociétés et nos systèmes se trouvent dans le secteur privé. C'est d'ailleurs ce qui explique que divers gouvernements aient oeuvré avec leurs secteurs privés respectifs de différentes façons. Prenons le cas des édifices: Comment sont-ils conçus et que fait-on pour les renforcer? Les évents d'aération doivent-ils être placés de manière qu'un terroriste ne puisse y avoir accès ou pas? On peut agir en modifiant le Code du bâtiment. Par exemple, les pays du G-8 devraient décider d'apprendre les pratiques exemplaires les uns des autres, puisque certains des pays ont réussi mieux que d'autres à cet égard. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.
Par conséquent, puisque les systèmes sont transnationaux et que les expériences d'apprentissage diffèrent d'un pays à l'autre, les ministres du G-8 devraient prendre très au sérieux la coordination de la sécurité du territoire pour voir s'il n'est pas possible de la renforcer et de rehausser le seuil de façon généralisée pour rendre la tâche plus difficile aux terroristes.
La présidente: Merci, monsieur Nye. C'est comme si nous avions eu la chance d'assister à un séminaire de deuxième cycle destiné aux spécialistes à l'Université Harvard, sans avoir à nous déplacer. Vous nous avez parlé de privatisation, de protectionnisme, de transnationalisme, de menaces, des Nations Unies, de la Cour pénale internationale, de la ZLEA, de l'OMC, des mouvements financiers et du Moyen-Orient. Vous avez abordé tous les sujets qui pourraient être à l'ordre du jour ou qui pourraient faire l'objet d'un cours de six semaines. Merci infiniment d'avoir pris le temps de vous joindre à nous et merci aussi à M. Edmonds de vous avoir fait venir au Canada. Revenez nous voir, car nous serons heureux d'avoir d'autres contacts avec vous. Si vous songez à d'autres questions qui ne se trouvent pas dans vos livres et que vous décidiez de nous en faire part, tandis que nous songeons à nos recommandations et que nous préparons notre rapport pour l'automne, nous serons heureux d'avoir de vos nouvelles.
Merci infiniment, monsieur Nye.
Á (1100)
M. Joseph Nye: Merci beaucoup, madame la présidente. J'ai trouvé nos entretiens très agréables.
La présidente: Je vous remercie.
Nous allons faire une pause d'une minute, chers collègues, ne partez pas car nous avons certaines questions dont nous devons nous occuper.
Á (1100)
Á (1107)
La présidente: Très bien, à l'ordre du jour des travaux du comité, nous avons la motion de M. Svend Robinson sur la participation de Taïwan à l'Organisation mondiale de la santé.
Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson: Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais présenter officiellement la motion dont j'ai donné avis, comme suit: que le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international demande au gouvernement du Canada d'appuyer la participation de Taïwan à l'Organisation mondiale de la santé à la prochaine Assemblée mondiale de la santé et d'appuyer l'établissement d'un groupe de travail de l'ONU visant à faciliter la participation utile de Taïwan à l'OMS, pour que tant la communauté internationale que les Taïwanais puissent en bénéficier grâce au partage des connaissances et l'égalité d'accès aux données sur les soins de santé.
Pour parler brièvement de la motion, j'espère que c'est une motion que pourront appuyer tous les membres du comité. Taïwan est un pays de 23,5 millions de personnes. Sa population est équivalente à celle de 50 des pays du monde réunis. Elle est déjà supérieure à la population des trois quarts des États membres de l'Organisation mondiale de la santé. Le Canada et Taïwan entretiennent depuis longtemps des relations bilatérales florissantes. Taïwan est un important partenaire commercial du Canada, a été admise l'année dernière à l'Organisation mondiale du commerce et est en fait le 14e ou 15e pays au monde pour ce qui est de la taille de son économie. Pourtant, Taïwan a été exclue de toute participation à l'Organisation mondiale de la santé.
Comme l'ont souligné de nombreuses personnes qui ont écrit au comité sur cette question, dont le président pour 1999-2000 de la Taiwanese Canadian Health Professional Association, Charles Yang, nous sommes à l'ère du village global et les épidémies, particulièrement celles à mutation génétique, représentent une très grande menace pour l'ensemble des pays et des populations et nécessitent une coopération internationale. Il existe de nombreux éminents Canadiens d'origine taïwanaise en Colombie-Britannique et dans l'ensemble du Canada, et notre comité a reçu de très fortes représentations de leur part et d'autres personnes pour que l'on reconnaisse que Taïwan devrait pouvoir jouer un rôle au sein de l'Organisation mondiale de la santé.
Taïwan ne demande pas l'adhésion à part entière à ce stade même si franchement certains d'entre nous considèrent que ce pays a droit à une adhésion pleine et entière. Taïwan demande le statut d'observateur au sein de l'Organisation mondiale de la santé et bénéficie d'un appui solide à cet égard. Le conseil de l'Association médicale mondiale a adopté une résolution demandant que l'Organisation mondiale de la santé accorde à Taïwan le statut d'observateur. De plus, l'Association médicale mondiale encourage ses membres à demander à leurs gouvernements nationaux de réclamer le statut d'observateur pour Taïwan au sein de l'Organisation mondiale de la santé. Il y a tout juste quelques mois, le Parlement européen a adopté à l'unanimité une résolution dans laquelle il invite ses membres à appuyer le statut d'observateur pour Taïwan. Donc, le Parlement européen a donné son approbation à l'unanimité. Le Comité des relations étrangères du Sénat des États-Unis a lui aussi il y a quelques jours adopté un projet de loi exigeant que les États-Unis accordent leur appui à Taïwan pour qu'elle obtienne le statut d'observateur. De nombreux autres pays ont adopté des motions d'appui semblables.
L'Assemblée mondiale de la santé se réunit à Genève plus tard ce mois-ci, le 16 mai, je crois. Il faut de toute évidence que l'Assemblée mondiale de la santé traite de cette question. J'invite donc les membres du comité à encourager eux aussi notre gouvernement à appuyer la participation de Taïwan à l'Organisation mondiale de la santé à titre d'observateur.
Je fais également remarquer que le président du groupe d'amitié parlementaire Canada-Taïwan, John McKay, a fait circuler une lettre—et je suis sûr que les membres du comité l'ont reçue—dans laquelle il déclare, et je cite:
Il semble n'y avoir aucune objection en principe à ce que Taïwan adhère à l'OMS à titre d'observateur. La maladie ne connaît pas de frontières. Il a beaucoup de Taïwanais qui voyagent au Canada. Il serait rassurant de savoir que Taïwan observe les protocoles les plus récents dans le cas des maladies infectieuses. |
Donc John McKay, à titre de président du groupe d'amitié parlementaire Canada-Taïwan appuie lui aussi activement le statut d'observateur pour Taïwan.
Á (1110)
Enfin, j'aimerais dire que cela est bon non seulement pour Taïwan mais aussi pour l'Organisation mondiale de la santé et pour la communauté internationale. Taïwan a beaucoup à contribuer à l'Organisation mondiale de la santé. Les professionnels de la santé de Taïwan sont respectés partout dans le monde. J'espère que le comité indiquera aussi fermement que possible à notre gouvernement que tout comme le Parlement européen et de nombreux autres organes législatifs, nous sommes prêts à appuyer la participation de Taïwan à l'Organisation mondiale de la santé à titre d'observateur.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Robinson.
Quelques personnes ont demandé à prendre la parole.
Monsieur Day.
M. Stockwell Day: Je vous remercie, madame la présidente.
La position de l'Opposition officielle consiste également à demander au gouvernement d'appuyer cette initiative, et c'est la raison pour laquelle j'ai soulevé cette question publiquement à la Chambre des communes. Je n'ai pas encore reçu de réponse positive et officielle de la part du gouvernement bien que l'on puisse dire que cette proposition a l'appui d'un grand nombre de membres du caucus gouvernemental et du Cabinet. Bien entendu, comme nous avons déjà soulevé cette question et que nous en avons saisi publiquement la Chambre des communes, nous continuons d'appuyer cette motion.
J'aimerais simplement dire au présentateur de la motion que je ne veux pas aller au-delà de ce que demandent les représentants de Taïwan. La motion même ne mentionne pas en fait le statut d'observateur. Je ne veux pas provoquer de malaise chez les représentants de Taïwan. Ils demandent le statut d'observateur et j'estime que cela devrait être clair.
Je ne prétends pas comprendre le fonctionnement d'un groupe de travail des Nations Unies. Est-ce que cela pourrait prolonger l'acceptation de la demande de Taïwan alors qu'un vote rapide parmi les membres participants pourrait en fait permettre d'atteindre les mêmes objectifs? J'aurais donc besoin de plus de détails à cet égard et je me demande si cela est nécessaire pour accomplir ce que le député tâche de faire ici.
Á (1115)
[Français]
Le présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Je suis d'accord sur l'amendement proposé. On parle d'un statut d'observateur.
Ce matin, il y avait un déjeuner auquel assistaient plusieurs députés. M. Chen en a parlé dans sa conférence au Cercle des journalistes, et M. McKay, dont M. Robinson vient de parler, a demandé l'appui de plusieurs députés. Il m'a dit qu'il avait obtenu l'appui d'une centaine de députés. De plus, mercredi de la semaine dernière, les députés du Bloc québécois étaient présents sur la Colline, et une trentaine ont signé une pétition. Donc, on peut dire qu'il y a déjà quelque 130 députés qui ont appuyé le statut d'observateur à l'OMS.
J'ai aussi participé à une visite à Taïwan, et je me rappelle très bien que même les députés libéraux qui étaient présents avaient dit aux gens de Taïwan qu'ils pouvaient compter sur eux en ce qui concerne le statut d'observateur à des organisations internationales. Je pense que le moment est venu de passer à l'action et d'officialiser ça.
J'ai entendu la réponse que le secrétaire d'État pour l'Asie-Pacifique a donnée la semaine dernière à la question de M. Day. On sentait qu'il était sensible à cette question, mais il n'y a pas donné suite. Il y a urgence. Cela se passe le 13 mai, et non le 16. C'est très bientôt.
Je pense que j'en ai assez dit. Je ne reprendrai pas tous les arguments de Svend, mais j'invite les collègues, surtout ceux d'en face, à appuyer cette motion. Si, au moment où on leur demande leur appui, ils ne le donnent pas, tous les gestes qu'on peut poser, pétitions ou présentations verbales lors de délégations, ne voudront pas dire grand-chose.
La présidente: Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Je voudrais ajouter qu'il serait incompréhensible que le Comité des affaires étrangères, qui a su adopter une position unanime sur un sujet infiniment plus controversé, qui était de demander qu'on lève les sanctions non militaires contre l'Irak, ne soit pas capable de dire que, quant à lui, le Canada devrait appuyer la participation de Taïwan à titre d'observateur à l'Organisation mondiale de la santé.
Il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas longtemps, j'ai entendu le ministre du Commerce international se vanter d'avoir appuyé Taïwan dans sa démarche de reconnaissance à l'OMC. C'est une démarche de reconnaissance officielle.
Or, pourquoi Taïwan demande-t-il d'avoir le statut d'observateur à l'OMS? C'est parce qu'il a besoin d'entrer en contact direct...
[Traduction]
La présidente: Excusez-moi, madame Lalonde, nous sommes en train de parler de la participation de Taïwan, nous ne parlons pas du statut d'observateur de Taïwan. Il y a...
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je vais proposer un amendement, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: Ah bon? Très bien. Je voulais simplement apporter cette précision.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je propose l'amendement suivant: «d'appuyer la participation de Taïwan à titre d'observateur à l'Organisation mondiale de la santé;»
M. Svend Robinson: Madam Chair, just on that point...
Mme Francine Lalonde: Je n'ai pas fini.
[Traduction]
M. Svend Robinson: Sur ce point en particulier, même si c'était l'intention de la motion, par souci de clarté et de précision, je suis disposé à accepter la proposition faite par M. Day et Mme Lalonde de préciser qu'il s'agit du statut d'observateur.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je veux terminer mon intervention, madame.
[Traduction]
La présidente: Si M. Robinson envisage de modifier sa motion, devons-nous complètement la refaire?
Á (1120)
M. Svend Robinson: Non. Il suffit d'ajouter, après le mot «participation», «à titre d'observateur».
La présidente: Très bien.
Madame Lalonde, si vous voulez bien continuer.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je veux ajouter que Taïwan, dans l'intérêt de la communauté internationale aussi, a besoin de contacts directs avec l'Organisation mondiale de la santé. Il y a là une population de 23 millions ainsi que 10 millions de personnes qui sont en transit à chaque année. C'est un gouvernement qui est responsable et qui sait qu'en ce qui a trait à la santé et à divers aspects, il a besoin d'être à la fine pointe et de transmettre à l'OMS des informations sur l'évolution de la santé ou des maladies sur le territoire de Taïwan.
Madame la présidente, j'invite mes collègues à voter en faveur de ce statut d'observateur à l'OMS. Merci.
[Traduction]
La présidente: Nous n'avons pas encore mis la question aux voix, nous sommes en train de parler de la motion présentée par M. Robinson, et je tiens à m'assurer que nous en sommes au même stade.
Madame Carroll.
Mme Aileen Carroll: M. McKay a parlé de cette question hier soir lors du débat d'ajournement, et je me suis jointe à lui. Je tiens à préciser qu'il a trouvé en fait mon discours charmant. C'est le terme qu'il a utilisé. Tout d'abord, le Canada appuie pleinement l'accès de Taïwan à de nombreux programmes de promotion et de protection de la santé de l'Organisation mondiale de la santé, qui lui sont déjà accessibles. Il n'y a rien qui s'oppose à ce que Taïwan ait librement accès aux renseignements sur la santé provenant de l'Organisation mondiale de la santé.
Je crois qu'il est aussi important de faire remarquer qu'une résolution a été effectivement adoptée par le Parlement de l'Union européenne, mais cette résolution ne lie pas tous les gouvernements membres de l'Union européenne. Le Département d'État a indiqué très clairement que la résolution du Congrès adoptée aux États-Unis ne lie pas l'administration américaine. Donc il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Il est bon de le préciser.
Voulez-vous accorder la parole à Mme Lalonde et je pourrai ensuite revenir après avoir participé au débat?
La présidente: Nous sommes en train d'écouter Mme Carroll. Veuillez poursuivre, madame Carroll.
Mme Aileen Carroll: Très bien.
Donc tout d'abord, ils ont accès à pratiquement tout ce dont ils ont besoin pour l'instant. Le Canada appuierait un consensus pour la participation de Taïwan à l'OMS, mais je dois lever un peu le voile et aborder un aspect très important qui s'y rattache, comme le sait mon honorable collègue d'en face, à savoir notre politique d'une Chine unique. Conformément à cette politique, madame la présidente, le Canada ne reconnaît pas la République de Chine. Comme vous le savez, et comme je l'ai dit hier soir de façon charmante, nous entretenons effectivement des liens importants et de plus en plus croissants sur le plan culturel, économique et individuel. Les programmes d'éducation que nous partageons témoignent bien de l'existence de ces liens. De nombreux étudiants taïwanais viennent au Canada et profitent de l'éducation qu'ils acquièrent ici. Nous avons la vente d'avions, nous avons les relations économiques. Le Royal Winnipeg Ballet a fait récemment une tournée là-bas. Donc nous avons beaucoup de liens avec le gouvernement et la population de ce pays. Ce dont il s'agit ici c'est du statut d'observateur et j'ai exprimé le point de vue de ce côté-ci de la table à ce sujet.
Je vous remercie, madame la présidente. Je suis désolée pour le temps.
Á (1125)
La présidente: Je vous remercie.
Monsieur Assadourian.
M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup, madame la présidente.
Je crois que le motionnaire a accepté de modifier la motion en ajoutant l'expression «à titre d'observateur». Est-ce exact?
Deuxièmement, comme on l'a indiqué plus tôt, M. McKay a présenté une pétition à la Chambre, pétition que j'ai signée pour appuyer ce principe. Donc je ne peux pas voter une fois oui et une fois non. C'est là le dilemme auquel je fais face.
Par ailleurs, l'adhésion à l'OMC ou à l'OMS n'exige pas que le membre soit un pays. Taïwan n'est pas officiellement un pays, essentiellement mais elle est membre de l'OMC. Donc, cela ne porte pas atteinte à la politique d'une Chine unique étant donné que la participation de Taïwan sera à titre d'une des administrations du monde, plutôt qu'à titre de pays. Donc j'appuie cette motion telle qu'elle est modifiée, bien entendu.
De plus, pourriez-vous m'expliquer l'objet du deuxième paragraphe qui porte sur l'établissement du groupe de travail de l'ONU? Je ne comprends pas ce que cela signifie, c'est pourquoi je suis déconcerté par ce paragraphe.
Je vous remercie.
La présidente: Très bien.
Monsieur Day
M. Stockwell Day: J'ai une question pour Mme Carroll, si elle représente le côté négatif de la question, en ce qui concerne la politique d'une Chine unique et le statut juridictionnel. D'après ce que je crois comprendre, le Vatican et l'Autorité palestinienne ont le statut d'observateur. Cela ne contrevient à aucune question juridictionnelle. Alors pourquoi cela serait-il le cas ici?
Mme Aileen Carroll: Je vous remercie de votre question, monsieur Day.
J'ai effectivement mentionné que nous appuyerions un consensus sur la participation de Taïwan à l'OMS à titre d'organisation qui se conforme aux règles et procédures de l'OMS. Nous n'avons aucune objection à cet égard. Mais ce n'est pas la voie dans laquelle on s'engage.
M. Stockwell Day: Le Vatican et l'Autorité palestinienne ont tous deux le statut d'observateur.
Mme Aileen Carroll: Eh bien, je suis heureuse pour eux, mais je ne peux pas vraiment faire de commentaires à ce sujet.
M. Stockwell Day: Vous ne voulez donc pas être heureuse pour Taïwan?
La présidente: Monsieur Dubé.
[Français]
M. Antoine Dubé: Il y a 200 organisations et un certain nombre de pays, dont la Suisse, qui n'est pas membre de l'ONU, mais qui trouve cela important pour la santé, qui ont le statut d'observateur. C'est cela qu'il faut considérer au premier chef. C'est une question de santé, ne serait-ce que pour nous.
Taïwan reçoit 10 millions de personnes en transit. C'est un des pays où il y a le plus de gens de l'extérieur en transit. Le pays a acquis une expertise internationale dans le domaine des vaccins, notamment au niveau de l'hépatite. Il ne faudrait pas nous priver nous-mêmes de l'expertise de Taïwan. Il s'agit de santé, et non pas de politique.
Alors que 200 organisations ont le statut d'observateur, pourquoi refuserait-on un tel statut à Taïwan? J'insiste sur ce point et je suis d'accord avec M. Assadourian. Il faut que les députés libéraux d'en face, qui ont signé la pétition de M. McKay, soient conséquents avec eux-mêmes. Ils ont aujourd'hui une occasion. Ils doivent appuyer cette motion, sinon tout ce qu'ils font ne veut rien dire.
Mme Francine Lalonde: J'invoque le Règlement, madame la présidente.
Je veux m'assurer que l'amendement dont nous avons parlé a été apporté. J'ai proposé qu'on le fasse et M. Robinson a été d'accord. Pour m'assurer qu'il n'y ait pas de problème, je propose qu'on ajoute après le mot «Taïwan», les mots «à titre d'observateur». Je crois qu'en anglais, c'est «with observer status». Il faut que ce soit clair.
[Traduction]
La présidente: Très bien.
Á (1130)
Mme Aileen Carroll: Monsieur Day, tout en voulant respecter une certaine ouverture d'esprit et la capacité de continuer à dialoguer, je ne comprends toujours pas ce que Taïwan gagnerait en matière d'accès aux infrastructures de santé. Ce que Taïwan cherche d'abord, à mon avis, et qui n'a pas grand-chose à voir avec la santé, est beaucoup plus une plate-forme qui renforce son identité comme État-nation. Ce que le Canada a fait par le passé c'est exhorter Beijing et Taipei à engager un dialogue constructif. De notre côté, nous avons offert nos bons offices, et nous avons persisté dans ce sens, ce qui est un volet très important de ce deuxième aspect de la question dont j'ai parlé. Nous avons également fait part aux deux parties de notre crainte d'un affrontement militaire, et parallèlement nous avons exhorté ces deux parties à s'orienter vers la solution d'une paix négociée.
Alors il faut bien voir très clairement, à moins que vous ne soyez d'un avis différent, que rien n'est fermé à Taïwan qui s'ouvrirait subitement après qu'on aurait adopté ce qu'on propose aujourd'hui.
La présidente: Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson: En ce qui concerne le secteur public, un certain nombre de termes me viennent à l'esprit, mais pour rester charitable, je dirai qu'il est tout à fait inexact de laisser entendre que Taïwan aurait pleinement accès à l'Organisation mondiale de la santé. Cela se retrouve peut-être dans les notes de la secrétaire parlementaire venant du ministère, mais ce n'est pas juste.
Je vais vous donner un exemple. Au mois de juin 1998, il y a eu à Taïwan une épidémie par entérovirus dont sont morts 78 enfants. Lorsque cela s'est produit, les parents les plus inquiets se sont adressés au gouvernement. Le gouvernement de Taïwan s'est tourné vers l'Organisation mondiale de la santé, et s'est fait répondre que l'OMC ne la reconnaissait pas comme membre, et ne pouvait pas lui venir en aide. De fait c'est le Centre for Disease Control américain qui a pu finalement lui venir en aide.
On peut donc dire que cette exclusion a des conséquences humaines très réelles. Ce n'est pas simplement une question politique, il s'agit de quelque chose de beaucoup plus réel et de très important. Mme Carroll cherche à dire que Taïwan veut simplement rehausser son statut. Ce n'est pas juste. Pour la population de Taïwan le statut d'observateur a effectivement des conséquences.
Je vais aborder quelques autres points de la réponse officielle de Mme Carroll. Elle dit que le Parlement européen a pu adopter une motion à l'unanimité, mais que celle-ci ne signifie rien. Et ensuite? La réalité est que lorsque les Européens adoptent une motion, c'est une recommandation aux gouvernements membres de l'Union européenne. Lorsque le Comité sénatorial des relations étrangères adopte une motion, de toute évidente--on comprend tout de suite cela--mais c'est une recommandation au Département d'État. Cela ne veut pas dire que le Département d'État doit s'y plier, mais--Mme Carroll pourra vérifier comment fonctionne le système américain--c'est effectivement une recommandation au Département d'État.
C'est exactement ce que nous demandons à ce comité, nous demandons exactement la même chose. Nous ne nous faisons pas d'illusions, l'adoption de la résolution ne signifiera pas automatiquement un changement de la politique gouvernementale. C'est dommage. Mais par Dieu, en qualité de membres de ce comité--et je vois qu'il y a de nouvelles têtes, je leur souhaite la bienvenue--nous voulons traiter cette question sur le fond. À savoir que la population de Taïwan devrait au moins avoir le droit à un statut d'observateur à l'OMS.
Pour ce qui est de la seconde partie de la motion, cela a été inclus parce que le ministère de la Santé de Taïwan--pour répondre à M. Day--a indiqué avec insistance que cela pourrait être une façon de faciliter l'accès de Taïwan à l'OMS, à savoir qu'un groupe de travail des Nations Unies se penche sur les détails concrets de l'opération.
Voici la dernière chose que je voulais ajouter. Mme Carroll a déclaré que le Canada appuierait un consensus qui pourrait se dégager. La belle affaire! Cela signifie concrètement que la Chine peut alors effectivement bloquer l'accès à l'OMS, parce qu'un consensus signifie bien effectivement que tous les membres de l'Organisation sont d'accord.
Nous demandons donc aux membres de ce comité de faire preuve de détermination, de donner l'exemple, et de bien reconnaître que ce statut d'observateur devrait avoir été déjà reconnu il y a fort longtemps à la population de Taïwan.
La présidente: Monsieur Keyes.
M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): J'ai quelques questions de fond à poser, madame la présidente, à la secrétaire parlementaire ou à toute autre personne qui pourrait y répondre.
Si le comité adopte la motion, cela ne signifie pas, comme je comprends les choses, qu'immédiatement Taïwan aura un statut d'observateur à l'OMS? Je ne le pense pas en tout cas.
Y a-t-il quelque indication que ce soit de la part du ministère des Affaires étrangères selon quoi la participation de Taïwan à l'OMS viendrait bouleverser d'une façon ou d'une autre, ou compliquer les relations avec la Chine?
Á (1135)
La présidente: Madame Carroll.
Mme Aileen Carroll: Oui.
M. Stan Keyes: Oui à quoi? Il y a deux questions.
Mme Aileen Carroll: Le Canada ne reconnaît qu'une seule Chine. Le Canada a accordé la reconnaissance diplomatique à la République populaire de Chine. Le Canada--et je vais répéter ce que j'ai dit--a développé, comme cela avait été le cas avec Taïwan, tout un ensemble de relations économiques, culturelles, sociales et éducatives.
M. Stan Keyes: Oui, je comprends, mais...
Mme Aileen Carroll: Il est très important, pour rester équitable, de bien reconnaître que le Canada qui a des relations diplomatiques avec la République populaire, n'en a pas eu pour autant une politique d'isolement ou d'exclusion de Taïwan. Au contraire, nous avons développé les liens les plus complets, comme je le décris ici et plus en détail à la Chambre.
M. Stan Keyes: Nous ne demandons pas que Taïwan devienne membre à part entière de l'OMS, mais obtienne simplement le statut d'observateur. Est-ce que cela est la même chose?
Mme Aileen Carroll: À mon avis, oui.
M. Stan Keyes: Ce que vous avez à dire là-dessus est très important pour moi, mais j'aimerais aussi savoir quelle différence le ministère fait entre le statut de membre à part entière et celui de simple observateur. Est-ce que le gouvernement a une position officielle sur cette question d'un statut d'observateur pour Taïwan à l'OMS?
Mme Aileen Carroll: La position du gouvernement, et celle du ministère des Affaires étrangères comme partie prenante, est que nous n'appuyons pas cette idée d'un statut d'observateur à l'OMS pour Taïwan.
M. Stan Keyes: Pas de statut d'observateur.
Mme Aileen Carroll: Donc nous n'appuyons pas la motion qui nous est soumise aujourd'hui.
M. Stan Keyes: La motion a été modifiée pour préciser qu'il s'agit d'un statut d'observateur, c'est donc une motion différente.
Mme Aileen Carroll: Oui, c'est bien ce dont nous sommes saisis aujourd'hui. La motion a été modifiée pour inclure les termes «statut d'observateur». Je réponds donc à votre question, cher collègue. Le gouvernement n'est pas favorable...
M. Stan Keyes: À la motion d'origine.
Mme Aileen Carroll: ...à un statut d'observateur pour Taïwan à l'OMS.
J'ajoute, monsieur Robinson, que je suis, en qualité de parlementaire, très active à l'étranger, et je pense que c'est important. Lorsque j'ai rappelé qu'aucun des gouvernements de l'Union européenne, ni celui des États-Unis, n'ont soutenu cette idée, c'était pour information. Pour les fins de notre discussion, afin que tout soit bien clair, il est très important que tout le monde autour de cette table sache que le gouvernement n'a pas entamé de démarche. Cela ne jette en rien une lumière négative sur ce que nous pouvons faire en qualité de parlementaires, je tiens simplement à bien faire la distinction.
M. Stan Keyes: Est-ce que l'on pourrait passer au vote, madame la présidente. J'ai le sentiment que nous avons retourné la question dans tous les sens, et je suis prêt à me prononcer.
La présidente: J'ai ici trois personnes sur la liste, je vais leur passer rapidement la parole, eu égard au fait que tout a déjà été à peu près dit. Est-ce que vous pourriez être bref, monsieur Tonks?
M. Alan Tonks (York-Sud--Weston, Lib.): Merci, madame la présidente.
Même si je ne suis pas membre du comité, j'ai déjà visité Taïwan à plusieurs reprises comme président du Toronto Metropolitan et je me suis également rendu dans la République populaire plusieurs fois. J'ai été à Taïwan il n'y a pas longtemps et je reviens de cette île avec beaucoup de sympathie pour les aspirations qu'on vient d'exprimer. Cependant, pour moi le problème ne se pose pas à l'égard du statut actuel auprès de l'OMS mais relève plutôt de la procédure. Il me semble que toute cette question relative au statut d'observateur implique forcément la position officielle qui est reflétée dans notre politique nationale. Il y a peut-être de très bonne raisons, même de ce côté, pour faire changer la situation, mais je crois qu'il aurait fallu une motion qui demande au gouvernement d'envisager une révision de sa politique par rapport à Taïwan, notamment pour ce qui est de son statut auprès de l'OMS, cela aurait été bien clair, et nous aurait donné la possibilité de repenser cette question.
Je vous remercie, madame la présidente.
Á (1140)
La présidente: Je vais donner la parole à deux autres personnes, Mme Jennings et Mme Lalonde, et ce sera fini. Ensuite on pourra revoir l'amendement pour être sûr que tout le monde le comprend et je vais mettre la question aux voix.
Mme Marlene Jennings: Merci, madame la présidente.
Je comprends la politique officielle du Canada par rapport à la République populaire de Chine et la République de Chine. Ce que je ne comprends pas très bien, malgré la réponse de Mme Carroll, c'est l'effet que pourrait avoir cette motion, même dans sa version modifiée, sur la politique officielle du Canada et ses relations avec la République populaire de Chine. Je ne pense pas que j'ai été suffisamment éclairée sur la question.
Deuxièmement, je n'en connais pas assez concernant l'Organisation mondiale de la santé, sa constitution, son règlement et ses procédures pour appuyer en connaissance de cause la motion originale ou la motion modifiée, si jamais l'amendement était adopté.
Pour cette raison, madame la présidente, je ne vais pas appuyer cette motion.
La présidente: Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Madame la présidente, comme nos débats sont enregistrés, je voudrais souligner qu'il y a une incohérence parfaite dans le comportement de nos collègues. Ils se vantent d'avoir appuyé la motion voulant que Taïwan devienne membre à part entière de l'Organisation mondiale du commerce--je pense que le Québec serait ravi d'être par lui-même à l'Organisation mondiale du commerce--, alors qu'il refusent d'appuyer une motion voulant qu'on reconnaisse à ce même pays le statut d'observateur à l'Organisation mondiale de la santé. Cela ne ferait que lui donner le même statut que celui d'un ONG, mais assurerait qu'il ait, pour sa population et pour la sécurité de la communauté internationale, tous les rapports dont il a besoin.
Je termine en disant que c'est une recommandation.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson: J'invoque le Règlement. C'est une séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous travaillons ensemble sur plusieurs questions. Je voudrais obtenir une précision sur ce vote important. J'observe qu'il y a plusieurs personnes qui assistent à cette réunion que je n'ai jamais vu participer et je me demande ce qui se passe.
La présidente: Monsieur Robinson, nous avons demandé...
Mme Aileen Carroll: Vous avez raté une excellente séance ce matin, M. Nye était probablement l'un des hommes les plus intelligents que nous ayons jamais entendus ici.
La présidente: À l'ordre.
Mme Marlene Jennings: Vous n'étiez pas présent, Svend, pour écouter le professeur Nye ce matin. On peut se demander jusqu'à quel point les affaires étrangères vous intéressent, en tant que porte-parole du NDP, si vous ne vous êtes pas donné la peine de venir avant.
La présidente: À l'ordre, madame Jennings.
Je pense que M. Robinson sait que cette observation ne reflète pas notre façon habituelle de travailler ensemble en comité. Il peut y avoir des membres de substitution, des membres qui viennent pour le quorum, etc.
Je voudrais maintenant clarifier la question et m'assurer que je sais qui propose l'amendement et ensuite je vais mettre l'amendement aux voix.
Si je comprends bien, la motion se lit maintenant comme suit: Que le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international demande au gouvernement du Canada d'appuyer la participation de Taïwan, à titre d'observateur, à l'Assemblée sur la santé mondiale de l'Organisation mondiale de la santé.
La deuxième partie reste inchangée par rapport à la version écrite.
Il semble que M. Robinson modifie sa motion.
Monsieur Dubé.
Á (1145)
[Français]
M. Antoine Dubé: J'invoque le Règlement.
En ce qui concerne la forme, il serait préférable, pour avoir une vue plus éclairée de la décision, qu'on se prononce sur le statut d'observateur en votant sur l'amendement. À ce moment-là, plusieurs pourraient le faire. Une fois la motion amendée, si elle l'était, les gens pourraient se prononcer sur cette motion amendée. Le mot «observateur» est très important. Je pense que cela mérite un amendement. C'est pour ça que je pense qu'il faut maintenir...
[Traduction]
M. Svend Robinson: J'ai accepté l'amendement.
La présidente: Je crois que tout le monde sait que Mme Lalonde a modifié la motion de M. Robinson et que M. Robinson accepte l'amendement. C'est comme cela que je l'ai compris.
Le comité accepte l'amendement à l'unanimité et je mets maintenant la question aux voix par appel nominal.
(La motion dans sa version modifiée est rejeté par 7 voix contre 6)
La présidente: En ce qui concerne notre troisième rapport sur le Soudan, nous avons distribué le budget et vous l'avez devant vous. Nous espérons que le voyage du comité sera approuvé, en principe, ainsi que la date. Je vais demander à la présidente du sous-comité de prendre la parole au sujet de ce troisième rapport.
Beth.
Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.): Est-ce que nous nous penchons sur le rapport ou le budget? On commence avec le rapport?
La présidente: En fait, nous l'avons intitulé rapport, mais il s'agit vraiment d'un budget et de projets de déplacement.
Mme Beth Phinney: Vous voulez que je parle du budget avant le rapport sur la Colombie?
La présidente: Oui.
Mme Beth Phinney: D'accord.
Le voyage est prévu du 12 au 22 novembre. Nous avons choisi ce moment en particulier parce que l'ambassadeur nous a informés que les conditions météorologiques sont les meilleures à ce moment-là. D'autre part, ça se déroulerait pendant une semaine d'ajournement. Nous avons commencé par le 12 novembre pour que les gens ne ratent pas les cérémonies du 11 novembre dans leur circonscription. Nous partirons de Toronto. Il y a certains déplacements à l'intérieur, et il faudra utiliser les avions des Nations Unies pour ces voyages. Parfois les déplacements à l'intérieur du pays sont plutôt difficiles.
Á (1150)
La présidente: Monsieur Godfrey.
M. John Godfrey: En ce qui concerne ce dernier point, est-ce que le comité doit s'arrêter au Soudan?
La présidente: Oui, dans le nord et dans le sud.
Monsieur Dubé.
[Français]
M. Antoine Dubé: Ça fait longtemps que cette question est étudiée au sous-comité, mais je pense qu'il est important de souligner ce qui a été dit hier par des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et des gens de l'ACDI. Je leur ai demandé si, à leur avis, il serait avisé qu'on fasse un voyage là-bas et quelle serait l'opinion du gouvernement du Soudan à cet égard. Le fonctionnaire qui m'a répondu m'a dit qu'il pensait que dans l'état actuel des choses, les deux parties en présence, le gouvernement et le groupe rebelle, refuseraient.
Je ne suis absolument pas contre le fait qu'on aille quelque part en délégation, mais je pense qu'avant de demander quelque chose à la Chambre, on doit s'assurer que les parties en présence acceptent qu'on aille les visiter. Ça a été clairement dit. Je prends à témoin la greffière qui était là hier, Mme Elizabeth. Cela a été dit hier.
Je ne suis pas contre le fait qu'on y aille, mais je pense qu'il vaudrait la peine qu'il y ait une vérification additionnelle.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur Dubé. Je comprends que vous ayez des doutes. Mais tout de même, je pense qu'il faut qu'on aille chercher ce budget et il faudra qu'on aille cherche l'approbation par ce processus. Vous savez que dans ces situations il y a des changements continuels, presque quotidiens. Nous savons que les interventions récentes de la part des Américains ont créé certaines conditions, donc quand nous serons rendus en novembre, peut-être que cela ira. Donc, ce qu'on aimerait faire serait de lancer le processus, parce que si nous ratons l'occasion, nous aurons peut-être de la difficulté.
Donc j'aimerais mettre la question aux voix.
Mme Beth Phinney: C'est certain que les Affaires étrangères diront de ne pas y aller.
La présidente: Il s'agit d'approuver le budget en principe, et ensuite de l'envoyer au sous-comité du budget, qui se réunit bientôt, je crois.
(La motion est adoptée)
La présidente: Passons au rapport sur la Colombie.
Mme Beth Phinney: J'aimerais présenter le troisième rapport du Sous-comité des droits de la personne et du développement international sur la situation des droits de la personne, du développement et d'autres questions en Colombie. Le rapport comprend une opinion dissidente du NPD, et le sous-comité recommande que cette opinion dissidente soit annexée au rapport, ce qui est déjà le cas—vous l'avez entre les mains—quand il sera déposé à la Chambre. Nous avons eu des séances publiques pendant presque un an. En tant que présidente, j'ai visité deux fois ce pays; le comité y est allé une fois, et il y a certains membres du comité qui y sont allés plus d'une fois.
Je crois que c'est un rapport très juste, et j'aimerais que ce soit accepté.
La présidente: Le rapport a été distribué. Nous avons traité des opinions dissidentes.
Monsieur Dubé.
[Français]
M. Antoine Dubé: Évidemment, je suis en faveur de ce rapport. Cela a pris passablement de temps. Je suis membre du sous-comité et je ne pense pas avoir manqué plus d'une séance en un an. Il est bon de dire certaines choses. Je ne mentionnerai pas de partis ou d'individus, mais je trouve qu'au Sous-comité des droits de la personne, il y a...
Je déplore une chose. C'est que souvent, on était sous-représentés. Si le rapport a pris beaucoup de temps, c'est que certains des membres du sous-comité ont peu participé ou n'ont pas participé du tout, comme M. Robinson l'a dit. J'admire le travail de celui qui a rédigé le rapport, parce qu'on l'a placé dans des conditions absolument anormales, alors que c'était une affaire urgente et importante. On demandait parfois leur avis à des députés qui avaient participé, mais après coup, les gens remettaient tout en question continuellement. Je souhaiterais qu'on incite les gens du sous-comité à être plus vigilants et plus rapides. Ensuite, il y avait toujours des sous-amendements. J'ai fini par accepter ce rapport, mais vraiment, cela a tout pris pour que je m'y associe. Finalement, avec le temps, on l'a affaibli beaucoup plus qu'on aurait dû le faire.
Je vais voter quand même en faveur, mais je vous indique qu'à cause du comportement de certains membres de ce comité, que je ne nommerai pas... Il faudrait qu'à l'avenir, le mot d'ordre soit donné dans les partis: quand il y a des réunions du sous-comité ou qu'on a des commentaires à faire, on doit respecter les délais. Voilà.
[Traduction]
La présidente: D'accord. Nous allons maintenant mettre aux voix la motion voulant que le comité adopte le rapport du Sous-comité des droits de la personne et du développement international et qu'il en fasse rapport à la Chambre.
Des voix: Adopté.
La présidente: Que la présidente soit autorisée à apporter au rapport les changements jugés nécessaires à la rédaction et à la typographie, sans en altérer le fond.
Des voix: Adopté.
La présidente: Que conformément à l'alinéa 108(1)a) du Règlement, le comité autorise l'impression de courtes opinions dissidentes. C'est déjà fait.
Que la présidente ou une personne désignée par elle soit autorisée à présenter le rapport à la Chambre.
Des voix: Adopté.
La présidente: Que, conformément à l'article 109 du Règlement, le comité prie le gouvernement de déposer une réponse globale à ce rapport.
Des voix: Adopté.
La présidente: Merci beaucoup. Je remercie le comité de tout son travail. C'est un document qui comporte plusieurs recommandations que je trouve importantes, et qu'on devrait noter et observer.
Monsieur Day.
Á (1155)
M. Stockwell Day: Aux fins du procès-verbal, j'aimerais qu'il soit noté que les délibérations de ce comité suscitent un grand intérêt, même chez les jeunes du Canada. Aujourd'hui , nous avons parmi nous un observateur qui représente les jeunes étudiants d'Ottawa. Cela montre le vif intérêt que l'on porte aux affaires nationales et internationales qui nous occupent.
La présidente: Merci.
C'était un plaisir de vous avoir parmi nous. Nous espérons vous revoir.
La séance est levée.