HAFF Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON PROCEDURE AND HOUSE AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA PROCÉDURE ET DES AFFAIRES DE LA CHAMBRE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 12 juin 2001
Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Je vois que suffisamment de membres sont présents pour faire l'étude article par article du projet de loi S-10 concernant le poète officiel du Parlement.
Celui qui a proposé le projet de loi est des nôtres aujourd'hui au cas où il y aurait des questions, mais je crois que nous avons réglé tous les points lors de la dernière séance lorsque nous avons entendu des témoignages et des observations au sujet du projet de loi. L'ordre du jour d'aujourd'hui est donc d'en faire l'étude article par article et d'approuver qu'on en fasse rapport à la Chambre.
Il y a un autre point auquel j'aimerais que nous nous arrêtions lorsque nous en aurons terminé avec le projet de loi, et il figure à l'ordre du jour. Il s'agit des membres associés du comité de liaison. Nous allons voir si nous ne pouvons pas régler cette question ce matin.
Je compte sur le greffier, qui fait toujours de l'excellent travail et qui me donne tout son appui. Vous avez reçu des exemplaires du projet de loi de sorte que nous pouvons maintenant passer à l'examen article par article.
Plaît-il aux députés d'adopter l'article 1?
Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): En ce qui concerne le projet de loi à l'étude, j'ai des amendements à proposer au moyen d'une motion particulière dont tous ont reçu copie, je crois, amendements dont j'ai déjà discuté avec le sénateur Grafstein.
Tous ont-ils reçu un exemplaire de la motion?
Tout d'abord, pour établir le poste comme tel, j'ai proposé dans la motion que le paragraphe 75.1(1) se lise comme suit:
-
Est créé le poste de poète officiel du Parlement, dont le titulaire
est membre du personnel de la Bibliothèque du Parlement.
Ce paragraphe remplacerait en fait les lignes 7 à 9 du projet de loi S-10.
Ensuite, en ce qui concerne les lignes 20 à 35, par souci de concision et, avec un peu de chance, de clarté, je propose dans cette motion que les paragraphes (3) et (4) du projet de loi dans sa version originale soient retranchés et remplacés par un seul nouveau paragraphe (3) qui se lirait comme suit:
-
Le poète officiel du Parlement est nommé pour une durée ne devant
pas excéder deux ans, à la discrétion du Président du Sénat et du
Président de la Chambre des communes agissant d'un commun accord.
Dernier point, si vous regardez à la page suivante, c'est-à- dire à la dernière page de la version anglaise du projet de loi, on peut lire que le poète officiel du Parlement «shall», c'est-à-dire qu'on lui impose quatre responsabilités. À la réflexion, nous nous sommes dits qu'un poète officiel n'aimerait peut-être pas que toutes ces attributions lui soient imposées. Nous avons donc remplacé le mot «shall» par le mot «may», qui laisse plus de latitude.
Je propose ces amendements, avec l'appui de M. Jordan.
Le président: Je vous remercie.
Une motion visant à modifier le projet de loi en ce sens a été déposée. Souhaite-t-on en débattre? A-t-on besoin d'autres éclaircissements?
Monsieur Macklin, aux fins du compte rendu, y a-t-il une explication que nous pourrions donner qui rendrait plus claire la raison des amendements proposés? Vous nous les avez certes décrits. Y a-t-il peut-être une façon plus succincte de les décrire?
M. Paul Harold Macklin: La raison initiale de procéder ainsi est de faire en sorte d'être absolument clair que nous créons un poste particulier et que la personne qui l'occupe est membre du personnel de la Bibliothèque du Parlement.
La deuxième raison consiste simplement à préciser que la personne est nommée pour deux ans et qu'elle ne peut être retirée de ce poste durant son mandat que si les deux Présidents agissent d'un commun accord. Le reste est, je crois, explicite.
Le président: Formidable. Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Saada, vous avez un commentaire à faire ou une question à poser?
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Oui. Vous me direz si je suis hors d'ordre. Je voulais poser une question et c'est probablement ma faute si je n'ai pas eu l'occasion de la poser. J'aimerais savoir si le poète qui va être engagé sera francophone ou anglophone.
Une voix: J'espère qu'il sera bilingue.
M. Jacques Saada: Je pose la question à ceux qui proposent le projet de loi. J'ai travaillé pendant 17 ans dans le domaine de la traduction et j'ai rencontré deux personnes, dans toute ma vie, qui étaient capables de travailler dans les deux langues de façon égale. Quand j'entends dire que le poète sera bilingue, j'ai beaucoup de difficulté à croire que cela pourra marcher. J'aimerais donc qu'on me réponde.
[Traduction]
Le président: Il faut se poser la question. Si j'ai bien compris le projet de loi, le poète officiel n'est ni anglophone, francophone et il ne parle ni une langue autochtone ni une langue étrangère... Le projet de loi ne prévoit rien de particulier à cet égard.
Je n'irai pas plus loin. Peut-être que Mme Jennings ou le sénateur Grafstein serait disposé à donner l'explication officielle.
Chers collègues, je vais mettre la motion d'amendement aux voix, parce que M. Saada a soulevé une question qui n'est pas directement liée aux amendements. Nous allons donc passer au vote sur les amendements proposés par M. Macklin, puis nous répondrons à la question de M. Saada.
[Français]
M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): J'ai un rappel au Règlement, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: M. Guimond invoque le Règlement.
[Français]
M. Michel Guimond: Pourrait-on tenir un vote par appel nominal, s'il vous plaît?
[Traduction]
(Les amendements sont adoptés par neuf voix contre deux et une abstention)
Le président: Nous allons passer à la question posée par M. Saada. Le sénateur Grafstein est des nôtres aujourd'hui. Sénateur, vous avez peut-être une observation à nous faire qui nous éclairerait sur ce point.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (Metro Toronto, Lib.): Avant d'accoucher de ce document, j'ai longuement consulté des collègues du Sénat. Il en a effectivement été question avant la rédaction de la version définitive du projet de loi et il en a été question durant les audiences qui ont précédé le dépôt au Sénat.
La question est de savoir s'il convient d'avoir plus d'un poète officiel pour représenter les diverses langues. Le consensus assez large qui s'est dégagé, y compris chez les dirigeants des cinq institutions culturelles qui sont en majorité francophones, est qu'un poète officiel est plus que suffisant et qu'avec le temps, en raison de la brièveté du mandat, il y aura une véritable alternance, de sorte que non seulement les deux principales langues seront représentées et bien représentées, mais qu'il y aura aussi de la place pour d'autres langues, par exemple des langues autochtones. La raison pour laquelle le projet de loi prévoit un mandat aussi bref est justement de permettre aux deux langues officielles d'être bien représentées tout en laissant de la place à d'autres langues.
• 1115
En ce qui concerne la traduction, qui est un problème de
taille, la raison pour laquelle le projet de loi n'en parle pas,
c'est qu'un poème est une oeuvre d'art en soi et qu'il est
impossible d'en faire la traduction en un tournemain. La traduction
littérale est impossible. On donnerait ainsi le temps de traduire
dans les deux langues officielles les poèmes qui sont composés au
Parlement.
Je crois que le projet de loi confie la responsabilité première de représenter les deux langues officielles au bureau du poète officiel, en lui laissant amplement le temps de faire publier les poèmes dans les règles de l'art et de l'esthétique dans les deux langues officielles.
Le président: Monsieur Asselin.
[Français]
M. Gérard Asselin (Charlevoix, BQ): Merci, monsieur le président.
Il a fallu une question de M. Saada et des explications de la part du sénateur pour avoir plus d'éclaircissements. Malheureusement, tout cela n'est que verbal; il n'y a rien d'écrit à ce sujet dans le projet de loi ou ailleurs. Vous savez que je suis totalement opposé à la création du poste de poète du Parlement, mais je pense que la majorité libérale en a déjà décidé autrement. Je suis convaincu que s'il s'agit d'un poste officiel, la personne qui occupera ce poste aura un rôle à jouer auprès du Parlement. Il y a deux langues officielles au Parlement: l'anglais et le français. J'insiste pour que le travail, qu'il soit verbal ou écrit, soit fait dans les deux langues.
Le poète doit être capable de s'exprimer verbalement et par écrit en français et en anglais. Cela éviterait beaucoup de plaintes et permettrait à Stéphane Dion de respirer beaucoup mieux, lui qui est responsable des langues officielles. Le salaire de cette personne ainsi que ses dépenses et tous les budgets nécessaires à son bon fonctionnement seront payés en grande partie par de l'argent en provenance des francophones hors Québec et aussi des francophones du Québec. J'insiste pour qu'il soit clarifié que ce poste doit être occupé par une personne bilingue.
[Traduction]
Le président: Je vous remercie de cette observation.
S'il n'y a plus de commentaires ou de questions, je vais mettre la motion aux...
Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada: J'aimerais appuyer le projet de loi, mais je ne pourrai pas le faire s'il n'y a qu'un poète, parce que c'est absolument impossible. Je comprends M. Asselin de proposer qu'une personne bilingue soit engagée, mais c'est physiquement impossible.
Je veux bien rester humble, mais j'ai été traducteur professionnel pendant 17 ans et je sais de quoi je parle. Seul un poète peut traduire un poète. Une personne bilingue ne peut pas faire le job. Il ne s'agit pas de traduire les lignes directrices du montage de moteurs chez Air Canada. La seule façon de contourner cette difficulté est d'engager deux poètes, un pour chacune des langues officielles. Sans cela, malgré toute la sympathie que je ressens et l'envie que j'ai de voter en faveur du projet de loi, je ne pourrai pas l'appuyer. J'ai besoin qu'on m'assure qu'il y aura quelqu'un qui sera capable de produire de la poésie en français et de la poésie en anglais sur une base permanente et égale.
[Traduction]
Le président: Mme Lill.
Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Je suis très intéressée par ce que vous avez à dire.
J'ai une question, monsieur le président, qui s'adresse à M. Saada. Selon ce que vous envisagez, il y aurait un poète anglophone et un poète francophone et, parce que ce sont des poètes, ils seraient capables de traduire les oeuvres l'un de l'autre? J'essaie de comprendre où nous...
M. Jacques Saada: Non. Je vais le dire en anglais pour être sûr d'être bien compris.
Que je sache—je devrais le savoir, mais ce n'est pas le cas—il n'y a jamais eu de poète dont l'oeuvre a été traduite par quelqu'un qui n'était pas lui-même poète. On ne traduit pas de la poésie. On l'adapte, on laisse aller son imagination et on crée une toute nouvelle oeuvre. Le dictionnaire ne peut vous fournir les équivalents pour faire ce genre de travail qui fait appel à l'émotion et à la sensibilité pure. Donc, vous ne pouvez pas demander à une personne de traduire le travail de l'autre. Ce que vous pouvez faire, c'est, s'il existe un sujet à propos duquel l'éventuel poète, quelle que soit sa langue maternelle, va produire quelque chose, alors il faut demander à un autre poète de rédiger son propre poème sur le même sujet, mais vous ne pouvez vous attendre que l'un traduit l'oeuvre de l'autre. C'est très rare.
Baudelaire et Mallarmé, par exemple, sont deux poètes qui ont traduit Edgar Allan Poe en français. Mais il est inconcevable qu'un linguiste ou un traducteur de métier s'adonne à la traduction de poésie. C'est très difficile.
Si l'on me disait—et je ne veux pas en connaître les subtilités, car j'ai confiance dans la décision que nous prendrons—que deux personnes agissant en parallèle ou se partageant le travail moitié-moitié vont produire dans une des deux langues officielles de la poésie selon ce qui leur plaît ou ce que propose le projet de loi, je me sentirais très à l'aise. Il serait dommage de ne pas s'entendre pour adopter ce genre d'attitude. À mon avis, le projet de loi a tant de mérites que j'aimerais beaucoup pouvoir l'appuyer. Il me faut simplement être rassuré sur ce plan.
Le président: Comme nous ne manquons pas de temps, nous allons poursuivre le débat. Il est utile.
Le sénateur Grafstein a quelque chose à dire.
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: J'aimerais vous dire pourquoi je suis opposé à l'idée de M. Saada.
Si, en fait, nous avons deux poètes officiels, tout d'abord, il faudra deux lois créant le poste et, plutôt que de rapprocher les deux solitudes linguistiques et d'encourager l'une à essayer de comprendre l'autre sous une forme d'expression artistique, vous faites exactement le contraire. Vous avez un poète francophone et un poète non francophone et, plutôt que d'encourager, comme nous le disions en comité, l'exposition à chaque forme d'art culturel, vous préserveriez ce que j'estime être deux solitudes artistiques. Il y a déjà trop de division au pays et, si nous ne pouvons pas nous retrouver dans une forme d'expression artistique et obliger ainsi d'autres à participer de manière artistique...
Comme vous le dites, un prix a été remis récemment par le Canada à une poète, Anne Carson. Elle est non seulement elle-même poète, mais elle fait aussi de merveilleuses traductions de l'un des plus grands poètes européens, Paul Celan. Elle a mis des années à traduire son oeuvre—pas des journées, mais bien des années. Rilke, un des plus grands poètes du siècle, qui écrivait en allemand, a été traduit en anglais et en français. Un livre a été publié récemment par quelqu'un du nom de Gass qui a dit qu'il avait fallu à certains 30 ans pour faire une traduction potable d'un de ses poèmes. Donc, la forme d'expression est indissociable de l'artiste.
Supposons, par exemple, que la langue maternelle du premier poète officiel se trouve à être le français. Ceux qui ne parlent pas français seraient incapables de comprendre ce poète particulier. Par contre, s'il y a deux poètes officiels, on s'éloigne de la forme d'expression artistique et on la remplace par deux formes d'expression artistique qui se livrent une concurrence pitoyable, plutôt que d'encourager les gens à voir la poésie comme une forme d'art, comme une vision du pays.
• 1125
Au cours des cinq ou six prochaines années, vous entendrez la
vision du pays d'un poète francophone remarquable qui vient ou ne
vient pas du Québec. Vous l'entendrez en anglais, et vous
l'entendrez dans d'autres langues. Cette multiplicité de visions
est ce qui donne sa grandeur au Canada. Dire au départ qu'il y a
deux visions en concurrence va à l'encontre de la nature de notre
Confédération.
Je n'ai pas été du tout étonné d'entendre la commissaire aux langues officielles, une de ceux qui choisiraient le candidat, appuyer cette idée. Pourtant, il n'y a au Canada qu'une commissaire aux langues officielles, pas deux, tout comme il n'y a qu'un président du Conseil des arts, non pas trois ou deux. Il y a un président de Radio-Canada. Donc, si nous arrivons à confier à une seule personne la direction de tout l'appareil consacré aux arts, nous pouvons sûrement le faire pour une forme d'expression artistique. Nous n'avons pas deux peintres pour illustrer le Canada, mais bien un peintre qui nous communique sa vision particulière.
Monsieur Saada, je comprends ce que vous dites. Je vis ce problème depuis mon arrivée en politique en 1961. Mais j'estime qu'établir cette dualité dans le sens qu'il existe une dualité dans un mode d'expression artistique va à l'encontre de l'idée d'un Canada. Ce projet de loi ne vise nullement à diminuer l'importance du bilinguisme officiel—nullement. Il exigera de la part des élèves du Québec, de l'Acadie, du nord de la Saskatchewan ou de l'Ontario dont la langue maternelle est le français, si le poste est occupé par un poète anglophone, d'étudier ce poète.
Autrement, quelle est la raison d'être de ce poste? Je n'ai eu accès à l'oeuvre de Gabrielle Roy qu'il y a vingt ans. Pourquoi? Il n'était pas nécessaire de le faire. Il n'était pas possible de lire ses oeuvres en anglais et c'était une erreur. Établir cette dualité au départ amoindrirait selon moi l'unité et une vision créatrice.
Je vous exhorte donc... En toute franchise, je travaille depuis deux ans à ce projet de loi. Je préférerais le voir mourir au Feuilleton que d'offrir ce genre de—je n'aime pas le dire, parce que c'est peu aimable—dualité artificielle. Je veux l'unité artistique et je crois que nous pouvons l'imposer dans la vision d'une personne, une personne à la fois. Une majorité de points de vue s'amorce avec une majorité d'une—une vision, une à la fois. Sur une période de dix ans, vous aurez une série de visions magnifiques, inimaginables et époustouflantes.
Je vous exhorte donc, humblement, monsieur le président, si c'est possible, à accorder votre appui au projet de loi dans sa forme actuelle.
Le président: M. Jordan et Mme Lill ont quelque chose à ajouter également.
Monsieur Jordan.
M. Joe Jordan (Leeds—Grenville, Lib.): Merci, monsieur le président.
Sénateur, c'est très bien dit et je suis d'accord avec vous. Le problème qui se pose, je crois, c'est que nous essayons d'utiliser un mode d'expression artistique pour aider à combler un fossé ou à effectuer une réconciliation. Lorsque l'exercice porte sur une question de langue et de culture, nous recourons à un mode d'expression artistique dont le principal véhicule est la langue. Je crois que nous sommes un peu coincés.
Je suis convaincu que vous avez tous déjà abordé cette question. Y a-t-il une raison pour laquelle il n'est pas dit dans le projet de loi que les poètes officiels ou les présidents feront en sorte que les poètes officiels, sur une période de dix ans, seront le miroir de la société canadienne? Y a-t-il une raison à cela?
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Je n'ai pas le moindre doute que, lorsque le poète officiel sera choisi, ses poèmes finiront par être traduits dans l'autre langue officielle. Il importe peu que la langue maternelle de la personne soit le français l'anglais ou une langue autochtone, par exemple. Je n'en doute absolument pas. Cependant il faut se demander comment et quand le faire.
La traduction simultanée enlève à l'oeuvre artistique et je crois que c'est ce qu'a dit précisément M. Saada. Quiconque comprend l'art de la traduction sait qu'il est presque impossible de traduire un poème dans le cadre de la traduction du hansard. Par exemple, si quelqu'un lit un poème en Chambre, la traduction en sera faite automatiquement. Ce ne sera pas la meilleure des traductions, mais il sera rendu dans l'autre langue. C'est la raison pour laquelle je crois que la commissaire aux langues officielles était satisfaite du projet de loi. Cela finira par se faire mais d'une manière et sous une forme qui respectent la vision poétique de l'auteur.
M. Joe Jordan: I y a une raison pour laquelle nous ne pouvons dire dans le projet de loi que nous choisirons les lauréats pour une certaine période afin d'assurer qu'ils soient le reflet des francophones, des anglophones, des autochtones et des immigrants?
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Je crois que c'est implicite dans le processus de nomination.
M. Joe Jordan: D'accord.
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Les cinq institutions culturelles participent au processus de nomination. Par exemple—un tout petit exemple—je n'ai pas compris, mais depuis le dépôt de ce projet de loi, le Conseil des arts du Canada s'intéresse au plus haut point à la poésie. Depuis deux ans, soudain, on s'y intéresse. Ils sont très enthousiasmés de la chose. On peut lire de la poésie maintenant dans le métro et ce, dans une large mesure, grâce à l'impulsion de ce projet de loi en particulier. De toute évidence, ils comprennent le problème que pose la traduction. Quant à M. Saada, s'il veut se renseigner au sujet des problèmes que pose la traduction, il n'a qu'à lire ce livre de Gass sur Rilke, qui vient tout juste d'être publié et qui traite exactement de cela.
M. Joe Jordan: Sénateur, je ne...
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Ce que je voulais vous dire, c'est que je crois que les cinq dirigeants de nos institutions—soit dit en passant, dont la majorité sont francophones pour ce qui est de leur langue maternelle, la majorité—s'assureront eux-mêmes que cela peut se faire. Le Conseil des arts du Canada débloquera, j'en suis convaincu, des crédits pour qu'il s'agisse d'une oeuvre artistique...
M. Joe Jordan: Pas la traduction—je ne m'inquiète pas de la traduction.
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Oui.
M. Joe Jordan: Je me demande, si pendant les 20 prochaines années le poète officiel est anglophone, à qui se plaindront les francophones?
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Cela n'arrivera pas. C'est impossible. En vertu du système de nomination, c'est impossible. En effet, si vous jetez un coup d'oeil à ceux qui feront les nominations... D'où proviennent ces cinq personnes? Il s'agit des dirigeants du Conseil des arts du Canada, de la Commission des langues officielles, de la Bibliothèque nationale, des Archives nationales et de la Bibliothèque du Parlement.
Je me trompe peut-être, mais je crois que sur les cinq dirigeants quatre sont francophones à l'heure actuelle. Pourquoi ces dirigeants, conscients de l'importance de ce poste, ne s'assureront-ils pas qu'en fin de compte un juste équilibre soit établi entre les deux? Cela n'arrivera pas. C'est impossible.
Le président: Madame Lill.
Mme Wendy Lill: Merci. Je n'ai pas levé la main, mais j'aimerais dire quelque chose.
Je souscris à votre argument à cet égard et je pense à Roch Carrier, un écrivain québécois connu partout au pays et dans le monde entier pour cette simple histoire, Le chandail de hockey. Qui sait de quelle manière cette oeuvre est perçue dans différentes langues? Tout ce que nous savons. Toutefois, c'est que cette oeuvre est perçue comme une histoire universelle qui peut nous être familière. Il dirige la Bibliothèque nationale.
Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Il souscrit à ce projet de loi.
Mme Wendy Lill: Il dirige la Bibliothèque nationale. Voilà quelqu'un qui représente vraiment l'unité artistique.
Je crains que nous favorisions l'existence des deux solitudes en créant deux postes de poètes. Cela est contraire à l'objectif, selon moi. C'est tout ce que je voulais ajouter.
Le président: Monsieur Asselin.
[Français]
M. Gérard Asselin: Monsieur le président, je prétends que ce projet de loi doit être adopté par la Chambre des communes afin d'avoir un poète officiel, qui va parler et écrire au nom du Parlement. J'entends déjà, dès le lendemain de ses premières interventions, les plaintes qui seront adressées à la commissaire aux langues officielles. J'imagine le ministre Dion, qui est responsable des langues officielles, être interpellé quotidiennement.
Je pense aussi à tous les francophones hors Québec, les Franco-Ontariens, les Franco-Manitobains, et même les Québécois. Les grands titres des journaux se liront comme suit: «Le Canada anglais s'est voté un poète» ou «Le Canada anglais s'est engagé un poète». D'autre part, si on engage un francophone, le sénateur sera opposé au projet de loi parce qu'il ne pourra pas le lire et ne pourra pas l'entendre.
Plus tôt, nous avons adopté une motion sur l'article 75.1, et cet article se lit comme suit:
-
75.1 (1) Est créé le poste de poète officiel du
Parlement, dont
le titulaire est membre du personnel de la Bibliothèque
du Parlement.
S'il s'agit d'un membre présent du personnel du Parlement, il doit nécessairement, de par l'exercice de ses fonctions, être capable de s'exprimer en français et en anglais. Cette personne est peut-être déjà choisie; on pourrait peut-être nous montrer sa photo. J'aimerais que M. le sénateur nous montre sa photo. J'aimerais avoir l'occasion de rencontrer cette personne et de lui dire au moins bonjour. Si elle est déjà choisie et qu'il s'agit de quelqu'un qu'on veut mettre sur une tablette ou quelque part, dites-nous qui elle est et montrez-nous sa photo pour qu'on puisse l'identifier. Si cette personne est actuellement membre du personnel de la Bibliothèque du Parlement, elle doit être capable de s'exprimer dans les deux langues officielles.
• 1135
Cela veut dire que la personne que vous
voulez engager est anglophone, si on décode vos
propos. Elle doit être comprise autant par les
francophones que par les
anglophones. Prouvez-moi le contraire. Demain matin,
on dira que le Canada anglais a son poète. Je suis
convaincu qu'on a déjà choisi la
personne et qu'elle est anglophone. Elle est pourtant
employée de la Bibliothèque du Parlement.
Selon les statuts, cette personne devrait être capable de me répondre en français et de répondre à quelqu'un d'autre en anglais. Cela veut dire qu'il y a des employés de la Bibliothèque du Parlement qui sont unilingues anglophones. On doit maintenant dénicher quelqu'un et lui donner le poste de poète. Je trouve cela inacceptable.
[Traduction]
Le président: D'accord, je vais laisser la parole à M. Saada, mais essayons de...
[Français]
M. Jacques Saada: Je vais être très bref. Je refuse que mon intervention soit exploitée à des fins politiques.
Je ne fais pas de procès d'intention. Je ne prétends pas que le choix du candidat, anglophone ou francophone, ait déjà été fait. Je m'excuse, mais si c'est la position du Bloc québécois, ce n'est pas la mienne.
Mon point de vue est basé seulement sur des raisons concrètes, pratico-pratiques. L'expression artistique est difficile à traduire. Je laisse la question de savoir si les anglophones ou les francophones seront frustrés à ceux qui ont du temps à perdre avec ce qui me paraît futile.
Je parle du projet de loi, et ma préoccupation est de nature purement artistique. Je ne suis pas satisfait quand on me dit que choisir deux poètes différents favoriserait l'existence des deux solitudes. Je ne partage pas ce point de vue, parce qu'il se peut très bien qu'ils s'inspirent l'un et l'autre. M. Jordan a proposé quelque chose qui avait beaucoup d'allure. Je dis simplement que pour que l'expression artistique puisse se manifester spontanément dans l'une des deux langues officielles, il serait bien que l'on dise quelque part que c'est ce qu'on veut faire.
Je conclus là-dessus. Je refuse qu'on exploite ce que je dis pour des raisons politiques qui ne sont pas les miennes.
[Traduction]
Le président: Merci.
Eh bien, chers collègues, nous avons là un débat canadien par excellence. Nous ne sommes ni le premier ni le dernier groupe de députés à débattre de cette question. Les problèmes, cependant, sont très réels. Le poète officiel qui sera nommé, si ce projet de loi est adopté par la Chambre—bien sûr c'est la Chambre qui décidera—qu'il soit de langue anglaise, de langue française ou autochtone et les combinaisons sont nombreuses—le poète officiel, s'il doit y en avoir un, ne se retrouvera pas tout fin seul. En fait, cette personne sera fière, s'exprimera dans sa langue et invitera tous les Canadiens, peu importe leur langue et leur culture, à partager l'expression artistique de la poésie.
Il y a toujours des risques à vivre ensemble, mais je crois que le sénateur nous a présenté aujourd'hui d'assez bons arguments.
Je suis heureux que nous en ayons discuté ici. Si personne n'a rien d'autre à ajouter, je vais maintenant mettre aux voix l'article 1 modifié.
Monsieur Asselin.
[Français]
M. Gérard Asselin: Avant de procéder, je voudrais tout simplement que le greffier indique, pour le bénéfice du comité, que M. Guimond a dû s'absenter parce qu'il devait faire un discours à la Chambre des communes.
[Traduction]
Le président: La Chambre siège et je suis convaincu qu'il a dû partir et qu'il était nécessairement non disponible pour le vote.
(L'article 1 modifié est adopté avec dissidence)
Le président: Le titre est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Des voix: Avec dissidence.
Le président: Le projet de loi est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Des voix: Avec dissidence.
Le président: Dois-je faire rapport du projet de loi modifié à la Chambre?
Des voix: D'accord.
Le président: Le comité doit-il demander la réimpression du projet de loi pour usage à l'étape du rapport?
Des voix: D'accord.
Le président: Merci, chers collègues. Nous en avons fini avec cette mesure législative.
Merci, sénateur.
Nous avons un autre point à l'ordre du jour que nous allons laisser tomber. Je veux simplement avertir les membres qu'il est apparemment nécessaire de dresser la liste des membres associés du comité de liaison, qui est bien sûr le comité des présidents de comités. Comme nous aurons vraisemblablement un rapport du comité de sélection lorsque nous reviendrons en septembre, il est probablement inutile de procéder à cet exercice maintenant. Mais aux fins du compte rendu et pour le greffier, et à l'intention de vous tous qui reviendrez à l'automne, nous allons respecter l'alinéa 107(5) du Règlement et présenter à la Chambre une liste des membres associés du comité de liaison lorsque nous reviendrons à l'automne.
Cela dit, je vous remercie beaucoup. Je ne siégerai probablement pas comme président à l'automne. C'est avec plaisir que j'ai travaillé avec vous tous.
Comme il n'y a pas d'autres points à l'ordre du jour, nous allons lever la séance.