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CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 23 octobre 2003




¹ 1535
V         Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.))
V         M. C.E. Babb (À titre individuel)

¹ 1540
V         Le président
V         M. Joseph Lawson (À titre individuel)

¹ 1545

¹ 1550

¹ 1555

º 1600
V         Le président
V         M. Joseph Lawson
V         Le président
V         M. Joseph Lawson
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall (À titre individuel)
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall

º 1605

º 1610
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Alliance canadienne)
V         M. Peter Hope-Tindall

º 1615
V         Le président
V         M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex)
V         M. Joseph Lawson
V         M. Jerry Pickard
V         M. Joseph Lawson
V         Le président
V         M. C.E. Babb
V         M. Jerry Pickard
V         M. C.E. Babb

º 1620
V         M. Jerry Pickard
V         M. C.E. Babb
V         M. Jerry Pickard
V         M. Peter Hope-Tindall
V         M. Jerry Pickard
V         M. Peter Hope-Tindall

º 1625
V         M. Jerry Pickard
V         M. Peter Hope-Tindall
V         M. Jerry Pickard
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. Jerry Pickard
V         M. Peter Hope-Tindall

º 1630
V         M. Jerry Pickard
V         Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ)
V         M. Peter Hope-Tindall

º 1635
V         Le président
V         M. Joseph Lawson

º 1640
V         Le président
V         M. C.E. Babb
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.)
V         M. Joseph Lawson
V         Mme Sophia Leung
V         Le président
V         Mme Sophia Leung
V         Le président
V         Mme Sophia Leung
V         M. Joseph Lawson

º 1645
V         Mme Sophia Leung
V         Le président

º 1650
V         M. C.E. Babb
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. C.E. Babb
V         Le président
V         M. C.E. Babb
V         Le président
V         M. C.E. Babb
V         M. Joseph Lawson
V         Le président
V         M. Joseph Lawson
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall

º 1655
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall

» 1700
V         Le président
V         M. Peter Hope-Tindall
V         Le président
V         M. C.E. Babb
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


NUMÉRO 078 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 23 octobre 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.)): Chers collègues, nous reprenons nos audiences sur le sujet d'une carte nationale d'identité, et cela conformément au paragraphe 108(2) du Règlement.

    Nous entendrons aujourd'hui trois personnes qui viennent déposer à titre personnel, MM. Babb, Lawson et Hope-Tindall.

    Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au comité. En règle générale, nous demandons aux témoins de se limiter à dix minutes pour leurs exposés et commentaires. Certains témoins nous font remettre leur mémoire d'avance et, si c'est votre cas, je vous remercie. Dans le cas contraire, vous pourrez le faire en temps utile. Si nous limitons la durée des exposés à dix minutes, c'est parce que les membres veulent bien évidemment vous poser des questions.

    Je tiens à vous remercier d'avoir saisi cette occasion pour venir parler au comité d'une question extrêmement importante qui fait l'objet de notre étude et de nos délibérations. Bienvenue donc.

    Je vais maintenant vous donner la parole dans l'ordre où vos noms apparaissent sur l'avis que j'ai ici, en commençant par M.  Babb.

+-

    M. C.E. Babb (À titre individuel): Merci, monsieur le président.

    Bonjour. Je m'appelle C.E. Babb et j'habite à Burlington, en Ontario. J'ai passé les 40 premières années de ma vie aux États-Unis et les 33 dernières au Canada.

    Je crois—et j'insiste sur le terme—que, primo, une carte nationale d'identité n'est ni nécessaire, ni utile pour les Canadiens, secundo, qu'un tel système coûterait des sommes démesurées, et tertio, que les Canadiens se retrouveraient ainsi aspirés dans un système nord-américain de sécurité dominé par les Américains. Voilà donc ce que je pense de la question à l'étude.  

    Je voudrais vous féliciter pour tout le travail que vous avez effectué et qui vous attend encore. Tout ce que vous avez dû faire est extraordinairement complexe. Votre rapport intitulé « Une carte nationale d'identité au Canada? » est absolument splendide. Son auteur y a intégré tout ce qu'il fallait que je sache, et il est fort bien écrit.

    Pour commencer, je vais vous relater une petite histoire étrange certes, mais tout à fait pertinente. J'ai grandi dans une petite ville de la Virginie. Un jour, mon frère Neillie Boy, alors âgé de 15 ans, s'est rendu en ville—c'était vers la fin des années 30—pour y acheter une paire de chaussures. Cela lui a pris un certain temps et, de retour à la maison, il nous a montré son achat. Tout le monde resta bouche bée. Neillie Boy avait acheté une paire de chaussures de golf. Des chaussures de golf? Après quelques éclats de voix, quelqu'un à la maison le ramena au magasin de chaussures pour qu'il se fasse rembourser. Le vendeur avait probablement demandé à Neillie Boy quelle couleur de chaussures il voulait, brun ou noir. Mais en vérité, mon frère ne voulait pas du tout de chaussures de golf et il n'en avait pas besoin non plus.

    Quel est le lien, direz-vous? Je crains beaucoup que le Canada ait à faire face à ce genre de tactique de vente sous pression. Comme on le voit à la page 21, voici ce qu'on avait demandé aux Britanniques : voulez-vous une carte de plastique ordinaire, une carte à puce simple ou une carte à puce perfectionnée? Je pense que c'est cela la question qu'on pose aux Britanniques. Mais un instant, peut-être n'ont-ils pas vraiment besoin d'une carte après tout, et ce pourrait être le cas.

    En y regardant d'un peu plus près, nous semblons avoir le choix entre le système métrique, les empreintes digitales, une empreinte rétinienne,etc. J'ai le sentiment qu'on nous pousse à choisir au moins l'un des systèmes que je viens de mentionner, mais avons-nous vraiment besoin de trois ou quatre choix? Peut-être oui, peut-être non.

    En sixième lieu, les sondages en général me mettent un peu mal à l'aise, mais surtout celui de la firme Ekos : « Comme c'est le cas pour d'autres questions d'intérêt public, nous nous attendons à ce que le débat soit dominé par les élites (par exemple les défenseurs des libertés civiles, les avocats, les universitaires, les groupes de défense de la vie privée, les médias et les partis d'opposition), lesquelles se prononceront presque toutes contre l'adoption d'une nouvelle carte et l'utilisation de la biométrie. » Pour moi, cet argument est méprisant à l'endroit des gens comme moi qui doutent de l'utilité d'une carte d'identité nationale. Pourquoi effectuer un sondage si ce genre d'arguments doit entrer en ligne de compte?

    En septième lieu, vous dites à la page 13 de votre rapport que « Le comité est tout à fait conscient des problèmes de fraude liés à la délivrance des passeports... » et que « le risque que des documents de base soient obtenus par des moyens frauduleux est réel et pourrait compromettre un système de cartes nationales d'identité coûtant des milliards de dollars ». Rien n'est plus vrai, et j'en conviens tout à fait. Il me semble qu'il faudrait sérieusement songer au problème de la fraude avant d'adopter un système de carte d'identité complexe.

    En huitième lieu, à la page 14, on peut lire une réflexion troublante faite par l'un de vos témoins : « que les entreprises, plutôt que le gouvernement, devaient assumer les coûts d'un tel système... Il serait préférable, pour une meilleure utilisation des fonds publics, d'allouer ceux-ci à des organismes d'exécution plutôt qu'à une bureaucratie coûteuse qui n'a pas fait ses preuves ». Voilà qui représente pour moi un nouveau mais dangereux genre de partenariat public-privé. Quelle que soit la carte d'identité retenue, les Canadiens doivent payer pour obtenir ce qu'ils veulent et il ne faudrait donc pas confier cela à des intérêts privés.

    En neuvième lieu, il est communément admis que c'est sous Mussolini et Franco que le concept de la carte d'identité nationale a vraiment commencé à être sérieusement mis en oeuvre.

    En dixième lieu, je vous félicite d'avoir écrit : « La technologie biométrique est un instrument important pour le maintien de la sécurité collective, mais il n'est pas encore certain qu'un système de cartes nationales d'identité utilisant les identificateurs biométriques constitue le meilleur choix ». Je souscris entièrement à cette affirmation. Une des choses qui me préoccupe, c'est le risque que nous nous retrouvions tous engloutis dans une gymnastique mentale mais nullement convaincante sur la question de savoir si nous avons besoin d'une carte d'identité nationale ou si nous en voulons une.

    Onzièmement, il y a deux choses qui me tracassent à propos de votre rapport, mais je dois reconnaître que je ne suis pas certain d'avoir raison sur ce plan, en l'occurrence d'abord, le peu de cas qu'on fait du terrorisme et ensuite, le rôle des États-Unis. J'ai le sentiment que dans ce contexte, le terrorisme et les États-Unis sont deux éléments fort importants, deux vecteurs très puissants qui viennent influencer toute cette problématique de la carte d'identité, mais je me trompe peut-être. Par contre, vous dites que cela ne veut pas dire que les États-Unis exercent des pressions sur le Canada.

    Enfin, je suis profondément perturbé par le fait que les responsables fédéraux, provinciaux et municipaux semblent n'avoir aucune compréhension du véritable intérêt public et de la bonne administration publique. Je vous donne peut-être l'impression de vous insulter ici, mais ce n'est pas du tout mon intention. Quand on songe à tous les systèmes d'information fédéraux, provinciaux et municipaux, on trouve une abondance d'histoires d'horreur, d'exemples horribles d'organismes qui prennent des demi-mesures pour créer des systèmes d'information, après quoi ils perdent totalement de vue les objectifs initiaux.

    Voilà donc ce que je voulais vous dire aujourd'hui.

¹  +-(1540)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Babb, d'avoir ainsi représenté l'opinion du public, que nous voulons absolument entendre, parce qu'après tout, ce sont des gens comme vous que nous parlons, pas vous personnellement, mais des Canadiens qui vont subir le contrecoup de ce que nous ferons. Je vous remercie donc pour votre intervention.

    Pour ce qui est de votre commentaire au sujet du terrorisme et des États-Unis, vous constaterez que, dans notre rapport, nous parlons effectivement de nos entretiens avec nos homologues américains après les événements du 11 septembre et que nous posons une question essentielle, à savoir si une carte nationale d'identité permettrait effectivement de contrer ce qu'on appelle la menace terroriste qui existe dans le monde entier.

    Je vous dirai encore une dernière chose. Vous parlez des Britanniques et, lorsque je me suis rendu récemment à Bahreïn, j'y ai rencontré neuf députés du Parlement du Royaume-Uni, un pays qui a effectivement une carte nationale d'identité. Il s'agit d'une carte à puce fort bien faite. Mais cinq de ces neuf députés étaient contre l'idée que la Grande-Bretagne ait un système de carte nationale d'identité, et quatre seulement d'entre eux y étaient favorables. Ils sont donc au beau milieu du même genre de débat auquel nous nous livrons nous-mêmes ici.

    Je vous remercie pour votre intervention et je ne doute pas que nous ayons plus tard des questions à vous poser.

    Je vais maintenant donner la parole à M. Lawson. Joseph, c'est à vous.

+-

    M. Joseph Lawson (À titre individuel): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de bien vouloir m'entendre aujourd'hui.

[Français]

    Pour ceux qui parlent français, j'espère que vous me pardonnerez de faire ma présentation en anglais. Merci.

[Traduction]

    Je comparais devant vous en tant que citoyen responsable. La question du projet de carte nationale d'identité me préoccupe suffisamment que je tiens à ajouter ma voix, que je me sens même obligé de le faire, à celle de tous les autres Canadiens qui s'opposent à la mise en oeuvre de ce projet.

    Je ne prétends pas être expert, mais je me plais à penser que je suis relativement objectif, dans la mesure où je ne suis pas ici pour faire valoir une quelconque compétence technique que je pourrais avoir ou pour essayer de vendre quoi que ce soit à l'État. Je suis un citoyen comme les autres, qui écoute les nouvelles et qui s'intéresse aux documentaires et à l'actualité, et je n'ai pas peur de prendre la parole lorsque surgit une question suffisamment importante pour que je ne veuille pas qu'elle fasse l'objet d'une décision sans un débat suffisant. Les sources que je cite sont des articles de journaux et des documentaires, à quoi j'ai ajouté quelques expériences personnelles.

    Une source proche du comité a dit publiquement qu'une carte nationale d'identité était, si je ne me trompe pas, la marotte du ministre, ajoutant que ce projet présentait tous les éléments d'un travail bâclé. C'est là une opinion que je partage, et je pense qu'il incombe à tous les Canadiens de détourner le ministre de quelque ambition qu'il pourrait nourrir à ce sujet. Je pense que plusieurs questions très importantes sont en jeu, des questions qui concernent les libertés civiles au Canada, sans même parler des possibilités de gaspillage des deniers publics.

    Je voudrais également ajouter que j'ai eu l'occasion de prendre connaissance du rapport provisoire du comité qui est à mon sens excellent. Il y analyse un grand nombre de questions importantes.

    S'il y a une chose que je voudrais faire valoir qui semble l'emporter sur tout le reste, c'est que l'intégrité des prétendus documents habilitants tels que le passeport et la carte nationale d'identité proposée tient uniquement à l'intégrité des documents de base sur lesquels ils reposent. J'imagine que toute la discussion pourrait tourner précisément autour de cela, du moins c'est mon avis.

    Avant de rédiger ce mémoire, j'ai pris sur moi d'appeler au bureau du ministre afin de savoir ce qu'il pensait de la question. Ce qu'on m'a répondu c'est eh bien, pour ce qui est des passeports, tout va bien maintenant parce qu'ils ont ces nouvelles caractéristiques de sécurité de pointe. Je pense donc qu'il y a peut-être là un problème qui a d'une façon ou d'une autre été négligé ou ignoré.

    Pour autant que je puisse voir, les caractéristiques techniques comme les filigranes, les codes à barres et les hologrammes peuvent diminuer le risque qu'un passeport soit trafiqué. Par contre, ces caractéristiques techniques ne réduisent en rien le risque qu'un document habilitant comme un passeport puisse être obtenu grâce à des documents de base frauduleux. Comme l'intégrité des documents habilitants ne tient qu'à l'intégrité des documents de base à partir desquels ils sont émis, il pourrait advenir de la carte d'identité nationale ce qu'il advient déjà des passeports canadiens dans les cas de ce genre. Il serait donc peut-être utile de voir un peu comment les choses se sont passées dans le cas des passeports.

    Une source très intéressante à cet égard est le documentaire très révélateur et particulièrement inquiétant mis en ondes par le réseau CBC sous le titre Trail of a Terrorist. Cette émission a également été diffusée à plusieurs reprises, la première fois le 25 octobre 2001, par la chaîne PBS sous le numéro 2004. On peut en obtenir un enregistrement moyennant 19,98 $ US, plus les frais de port et de manutention.

    Ce documentaire décrit en détail comment Ahmed Ressam est arrivé au Canada en 1994 avec un faux passeport français, y a revendiqué le statut de réfugié, a commis divers délits mineurs, ne s'est pas présenté à son audience et a échappé aux autorités en empruntant une nouvelle fausse identité sous le nom de Benni Antoine Noris. M. Ressam a pu éviter l'expulsion parce que la police recherchait Ahmed Ressam et non pas Benni Noris. M. Ressam a présenté une demande de passeport canadien accompagné d'un extrait de baptême également contrefait avec l'aide d'un complice, M. Leo Nkounga.

    D'après ce que nous savons de M. Leo Nkounga, le nom de celui-ci devrait être gravé à tout jamais dans la mémoire collective de quiconque étudie le domaine de la citoyenneté et les problématiques qui y sont associées. Tout comme de nombreux autres téléspectateurs, j'ai été choqué, abasourdi et consterné par les explications apparemment superficielles et insuffisantes données à l'époque pour expliquer comment M. Ressam avait pu acquérir cette fausse identité.

    Pour en arriver au fait, si le Canada venait à adopter une carte d'identité nationale, il est tout à fait possible, comme dans le cas du passeport, qu'un terroriste puisse obtenir cette carte d'identité dotée de ses propres identificateurs biométriques comme une empreinte rétinienne. Ensuite, grâce à cette fausse carte d'identité, obtenue grâce soit à des renseignements personnels volés à quelqu'un d'autre ou simplement à une identité fictive, à un faux nom, une fausse date de naissance et un faux numéro d'assurance sociale, un peu comme Ahmed Ressam s'y était pris, un terroriste ou un criminel pourrait se rendre librement aux États-Unis.

    Dans ce documentaire, le journaliste Terence McKenna relate en détail les déplacements d'Ahmed Ressam en Afghanistan, où il a approfondi les techniques d'espionnage, d'attentats, de terrorisme et de guérilla, tout cela sous couvert d'un faux passeport canadien. Pour les pouvoirs publics, il s'agissait d'un authentique citoyen canadien qui pouvait donc voyager en toute liberté. Comment une carte d'identité nationale pourrait empêcher un événement similaire de se produire reste à déterminer.

¹  +-(1545)  

    Ce qui est troublant également, c'est qu'indépendamment des modifications apportées au passeport, et notamment l'intégration de nouvelles caractéristiques de pointe, et aux documents de base dans la province de Québec où on ne peut plus utiliser les baptistaires, il semble bien qu'un grave problème demeure en raison de l'existence de passeports douteux déjà en circulation.

    Comme on peut le lire dans l'édition du 19 avril du Globe and Mail :

    Au petit matin, le 13 avril 2003, une patrouille policière a intercepté un homme barbu, dans l'ouest de l'île de Montréal, que l'on soupçonnait de conduire en état d'ébriété. Les policiers s'aperçurent que l'individu possédait un revolver chargé et 3 500 dollars en liquide. L'homme a dit qu'il s'appelait Guy Turner, qu'il était propriétaire d'une école de plongée sous-marine au Costa Rica. Il possédait des cartes de crédit, un permis de conduire du Québec et un passeport canadien au nom de Guy Turner. Le lendemain, une vérification d'empreintes digitales a révélé la véritable identité de Guy Turner qui était en réalité un certain Richard Vallée, membre des Hell's Angel recherché pour le meurtre d'un agent d'infiltration américain.

    Il semble donc que les faux documents encore en circulation représentent un certain problème.

    Les problèmes de sécurité apparents que connaît le gouvernement quant à la protection des dossiers des particuliers tels qu'ils existent actuellement dans ses banques de données pourraient être tout simplement aggravés par la mise en place d'une carte d'identité nationale. On peut ainsi citer de nombreux exemples où la protection des renseignements personnels des citoyens a été compromise.

    Il y a quelques semaines encore, le 4 septembre, on signalait le vol de six ordinateurs d'un bureau de Revenu Canada. Suite à cet incident, 120 000 personnes auraient ainsi vu leurs renseignements personnels, et notamment leurs numéros d'assurance sociale et leurs dates de naissance, volés par des tiers non identifiés. Il existe également d'autres cas récents d'individus dont l'identité aurait été compromise parce qu'elle figurait dans les ordinateurs du gouvernement.

    Les assurances du gouvernement concernant la sécurité des renseignements personnels stockés dans ses banques de données ne sont pas vraiment réconfortantes pour le citoyen ordinaire. Ce que je veux faire valoir, c'est que dans la pratique, il n'existe aucun système infaillible permettant de garantir l'intégrité des renseignements personnels, sauf peut-être si on prend bien garde à ne pas les stocker quelque part.

    Ici encore, je veux rappeler le fait qu'il n'y a pas très longtemps encore, on parlait beaucoup en Ontario de la mise en oeuvre d'une carte à puce provinciale, partant du principe qu'une telle carte à puce pourrait servir de vecteur d'indexage pour regrouper des renseignements provenant de banques de données différentes. Je crains que, tout comme pour une carte de crédit dont les données peuvent être volées en faisant passer la carte deux fois dans une machine, l'information contenue sur la bande magnétique d'une carte d'identité puisse également être volée de la même façon. Cela permettrait à un terroriste ou à un criminel qui voudrait voler l'identité d'un tiers la possibilité d'avoir accès à toute l'information stockée dans les banques de données du gouvernement. Les possibilités d'une usurpation d'identité sont donc très réelles.

    Tout ce que cela implique pour le citoyen est assez inquiétant parce que, dès lors qu'il y a eu usurpation d'identité, ce crime ne doit être perpétré qu'une fois. Et toutes les garanties contractuelles ou législatives ne seraient, je le crains, qu'un maigre réconfort. Cela reviendrait en somme à fermer la porte de l'écurie après que le cheval se fut déjà enfui.

    Admettons que quelqu'un vole les informations contenues sur la bande magnétique de votre carte de crédit et qu'il commence à faire des achats en utilisant ces informations, il suffit pour endiguer l'hémorragie de fermer votre compte, et le problème disparaît ipso facto. Mais si quelqu'un s'approprie tous les renseignements personnels qui se trouvent dans toutes les banques de données du gouvernement, vous risquez, jusqu'à votre mort et même après peut-être, qu'un criminel commande de nouvelles cartes de crédit, se fasse venir un nouveau passeport, en utilisant ces renseignements personnels.

    Malheureusement, une garantie, écrite ou non, n'est guère utile pour le citoyen moyen, étant donné qu'il est un peu malcommode pour l'homme de la rue de poursuivre l'État devant les tribunaux. Ce recours ne sera pas vraiment très productif.

    Je vais essayer d'accélérer.

    La fraude d'identité est une catégorie de crime de plus en plus fréquente. Nous savons que c'est un problème de plus en plus grave et qu'il ne semble pas vouloir disparaître. L'État risque fort bien ici de faire l'objet d'une demande en recours collectif de la part de gens dont l'identité a été volée, par exemple dans le cadre d'un système de carte d'identité nationale.

¹  +-(1550)  

    Nombre de Canadiens et Canadiennes s'opposent à l'utilisation de la biométrie en se basant sur l'argument que la saisie de ce genre de renseignements personnels n'est pas nécessaire et qu'elle constitue une violation injustifiée des droits de la personne. Il y a donc manifestement l'argument des droits civils.

    L'un des éléments des arguments soumis à la discussion sur le site Web était que les citoyens canadiens pourraient se voir obligés d'avoir toujours sur eux une carte d'identité. Cela est inquiétant pour beaucoup de gens parce que les pouvoirs publics, les policiers par exemple, pourraient ainsi arrêter n'importe qui dans la rue et lui demander de montrer sa carte d'identité.

    Dans la situation actuelle, d'après ce que je sais de la loi, si un policier vous arrête dans la rue peu importe la raison, il doit prouver qu'il a une cause probable de croire qu'un crime a été commis ou qu'il a une raison de croire que vous faites quelque chose de mal. Si un policier peut vous arrêter sans raison apparente et exiger que vous lui montriez une carte d'identité, les libertés civiles telles que nous les connaissons actuellement sont littéralement battues en brèche.

    Je peux encore comprendre que cela soit possible si vous êtes au volant. Vous devez montrer votre permis de conduire, étant donné que vous avez une responsabilité associée à la conduite d'un véhicule automobile. Mais rien que l'idée que tout d'un coup... Vous marchez tranquillement dans la rue, un policier vient à votre rencontre, vous demande ce que vous faites, et vous pouvez lui dire : « Fichez-moi la paix, vous n'avez aucune cause probable ».

    Je pense qu'ici, le problème fondamental, c'est que les libertés civiles risquent de passer au second plan. La technologie peut certes améliorer le quotidien du citoyen, mais ne nous leurrons pas pour autant : cette technologie facilite également la vie des organismes comme les gouvernements qui veulent avoir tout le loisir de mettre en oeuvre toutes sortes de politiques, mais aussi celles des sociétés qui sont animées par la volonté de faire autant de bénéfices que possible. Le citoyen a tendance à vouloir garder pour lui ses renseignements personnels.

    J'ai vécu moi-même le cas aux États-Unis. Il y a un an environ, j'avais pris le train et, arrivé à la frontière, les agents américains de l'immigration m'ont demandé mes papiers. Je leur ai montré mon passeport. Apparemment, cela ne leur suffisait pas, et ils voulaient savoir où était mon permis de conduire. Je leur ai répondu que j'avais deux pièces d'identité officielles avec photo, est-ce que cela ne leur suffisait pas, et ils n'en démordirent pas, ils voulaient voir mon permis de conduire. Ils m'ont demandé pourquoi je ne l'avais pas sur moi et je leur ai répondu que je n'en avais pas besoin parce que je voyageais en train.

    Cette réponse apparemment ne leur a pas plu et cela m'a occasionné toutes sortes de problèmes. Ils m'ont interrogé pendant une demi-heure. Ils m'ont posé toutes sortes de questions et ils avaient mon passeport. Cela m'a inquiété parce que jusque-là, j'avais toujours pu voyager, au Royaume-Uni et dans d'autres pays, et cela avec mon seul passeport. Il semblait donc que, pour une raison que je ne m'explique pas, cela ne suffisait pas au service américain d'immigration dont les agents voulaient absolument voir mon permis de conduire. Je me suis donc posé toutes sortes de questions.

    Il me semble qu'une carte d'identité nationale risquerait de poser le même genre de problèmes que ceux que présente actuellement le passeport, et il serait donc plus logique de consacrer le temps et les ressources nécessaires pour briser les lacunes du système actuellement en place pour le passeport au lieu de créer un tout autre système d'identification mais qui serait somme toute parallèle et qui présenterait le même genre de problèmes et le même genre de lacunes.

    Dans un autre ordre d'idées, la mise en place d'un système de carte d'identité nationale risquerait d'être extrêmement coûteux. Le comité a d'ailleurs étudié la chose et le commissaire à la protection de la vie privée en a également parlé.

    Personnellement, je soutiens qu'une carte d'identité nationale serait une pièce d'identité parfaitement inutile étant donné que les citoyens canadiens ont déjà le passeport et le permis de conduire. Un immigrant reçu a sa carte de résident, une carte dotée de tous les derniers perfectionnements technologiques. Je soutiens donc qu'une carte d'identité nationale aurait essentiellement le même rôle qu'un passeport. Et comme les Canadiens ont déjà un passeport, ce ne serait pas trop demander que le passeport devienne la principale pièce d'identité d'un Canadien qui se rend à l'étranger, par exemple auprès des agents d'immigration américains. L'État aurait plutôt intérêt à dépenser les deniers publics pour préserver l'intégrité et améliorer la sécurité des documents de base et multiplier les vérifications préalables à l'émission d'un document habilitant, au lieu de créer toute une série de nouveaux documents habilitants comme une carte d'identité nationale.

    Lorsque j'étais en vacances il y a deux ans, j'ai rencontré un employé du Bureau des passeports. Nous étions dans le train et, pendant le dîner, nous avons commencé à bavarder. Comme c'était après le 11 septembre, je lui ai demandé en quoi les choses avaient changé depuis lors au Bureau des passeports. Je lui ai demandé par exemple si le Bureau vérifiait absolument toutes les demandes de passeport qui lui parvenaient. Il m'a répondu que certaines enquêtes étaient effectivement effectuées, mais qu'un pourcentage important des demandes de passeport étaient acceptées sans aucune vérification des documents à l'appui et que les passeports étaient ainsi délivrés sans autre forme de procès. Certes, c'est de l'ouï-dire, mais il vaudrait probablement la peine de vérifier si un pourcentage suffisamment important de demandes de passeport font l'objet d'une vérification approfondie, c'est-à-dire une vérification des extraits de naissance, d'une vérification par téléphone auprès des répondants, etc., afin que, statistiquement, nous puissions avoir la relative certitude de pouvoir dépister toute demande potentiellement frauduleuse.

¹  +-(1555)  

    Voilà pour l'essentiel. Un exemple qui m'a paru particulièrement choquant est celui de M. Leo Nkounga, qui venait du Cameroun. Il a résidé au Canada pendant 16 ans. Il est arrivé ici en 1984 et a obtenu un baccalauréat de l'Université d'Ottawa. Il a commis plusieurs crimes. Il a été défendu par une bonne vingtaine d'avocats. C'est lui qui procurait de faux passeports. Il en a procuré deux à Ahmed Ressam.

    Il a vécu illégalement au Canada à partir de 1986. Il s'est soustrait à deux ordonnances d'expulsion, il a constamment changé d'adresse et a réussi à échapper aux autorités. Sa première ordonnance d'expulsion date de 1993 et il n'a été expulsé qu'en 1998. On l'a mis dans un avion à destination du Cameroun. Six semaines plus tard, il revenait au Canada avec une nouvelle identité. Ces renseignements proviennent de l'émission d'actualités de CBC intitulée Disclosure, diffusée cette année.

    Le problème qui semble se manifester a été évoqué en ces termes par un procureur fédéral américain : « Je n'accuse pas la GRC ni l'Immigration. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais vu de l'extérieur, il semble que la main gauche ait ignoré ce que faisait la main droite ». Il parlait des communications entre les Affaires étrangères, la GRC, le SCRS, etc.

º  +-(1600)  

+-

    Le président: Est-ce que c'est un Américain qui posait cette question?

+-

    M. Joseph Lawson: C'est un journaliste canadien de CBC qui reprenait les commentaires d'un procureur fédéral américain.

+-

    Le président: Tiens donc! Comme si les Américains savaient ce que faisaient leurs pieds et leurs mains le 11 septembre! Ils ont toujours quelque chose à nous reprocher. Très bien.

+-

    M. Joseph Lawson: Dont acte.

+-

    Le président: Merci, monsieur Lawson.

    Je sais que vous avez préparé des recommandations. Nous aurons certainement des questions à vous poser. Vous avez dépassé vos dix minutes. On peut dire que vous nous avez donné matière à réflexion et que vous avez bien fait vos devoirs. Je vous félicite, vous et M. Babb, d'avoir pris le temps de préparer vos interventions.

    M. Peter Hope-Tindall. Est-ce que Hope est votre deuxième prénom, ou est-ce que votre nom de famille comporte un trait d'union?

+-

    M. Peter Hope-Tindall (À titre individuel): C'est un nom de famille à trait d'union, monsieur le président.

+-

    Le président: J'aimerais connaître l'origine de ce nom.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Je peux vous le dire très volontiers. Avant notre mariage, ma femme s'appelait Hope et je m'appelais Tindall. Une fois mariés, nous avons opté pour une formule très égalitaire, à savoir Hope-Tindall. Je n'ai eu aucune difficulté à faire modifier tous mes papiers d'identité, mais à l'époque, Eaton a refusé de me faire une nouvelle carte, prétextant qu'un homme ne pouvait pas changer de nom en se mariant.

+-

    Le président: C'est pour cela que je vous ai posé la question, car je voyais un certain rapport entre votre nom et notre sujet. Je vous remercie d'être venu en compagnie de votre merveilleuse assistante. Il semble qu'elle soit bien au courant de cette histoire.

    Merci beaucoup, Peter.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Merci, monsieur le président.

    Je m'appelle Peter Hope-Tindall. Je travaille pour un cabinet d'experts-conseils de Toronto, dataPrivacy Partners. Je suis par ailleurs membre des Computer Professionals for Social Responsibility, CPSR, et d'Electronic Frontier Canada, EFC, qui a été représenté très talentueusement devant votre comité par Richard Rosenberg plus tôt cette année.

    Je suis très honoré de comparaître aujourd'hui devant le comité permanent. Ayant moi-même immigré au Canada et ayant acquis la citoyenneté canadienne, c'est avec un grand plaisir que je comparais devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration.

    Je vais essayer de me présenter : j'ai étudié l'informatique et j'ai travaillé pendant plusieurs années sur de grosses bases de données. En début de carrière, j'ai acquis la capacité de m'accommoder de systèmes qui ne fonctionnaient pas très bien et qui étaient généralement mal conçus. J'ai donc été amené à travailler sur de gros systèmes qui présentaient des problèmes de rendement.

    Depuis 1997, je m'occupe de systèmes de biométrie et d'identification. J'ai travaillé pour la commissaire ontarienne de l'accès à l'information et de la protection de la vie privée, Mme Ann Cavoukian, pour qui j'ai fait l'analyse d'un projet de système de biométrie destiné à la ville de Toronto et appelé CIBS, ou système d'identification de la clientèle et des prestations.

    À la demande de Mme Cavoukian qui, par ailleurs, a réclamé que l'Ontario se dote d'une loi contenant ce que certains considèrent comme les meilleures mesures juridiques de protection en biométrie de la planète, j'ai collaboré avec les concepteurs du système et les fonctionnaires de la ville de Toronto pour proposer des améliorations pratiques et réalisables afin d'apaiser les craintes que pouvait susciter le système en matière de protection de la vie privée et de le rendre conforme à la loi.

    Plus récemment—et, chose intéressante, l'autre témoin l'a mentionné— j'ai fait office d'architecte à la protection de la vie privée dans le projet ontarien de carte à puce. J'avais pour mission de déceler les problèmes de protection de la vie privée dans le cadre de la conception du projet et d'utiliser la technologie de façon à régler ces problèmes; c'était en quelque sorte une mission de recherche et de destruction des problèmes de protection de la vie privée. Nous avons veillé à intégrer dans la mesure du possible la protection de la vie privée dans ce système selon une procédure officielle que je me plais à qualifier de conception axée sur la protection de la vie privée, c'est-à-dire une intensification délibérée de la protection de la vie privée dans un système complexe.

    Pour parler maintenant de biométrie et de système national d'identification, certains ont affirmé qu'une carte d'identité nationale comportant des moyens biométriques d'identification permettrait de résoudre deux problèmes considérables au Canada. Tout d'abord, elle ferait du Canada un pays plus sûr et nous mettrait à l'abri des terroristes et de ceux qui veulent s'en prendre à nous. Deuxièmement, elle ferait obstacle à l'usurpation d'identité, qui préoccupe de plus en plus de Canadiens et d'entreprises canadiennes.

    En ce qui concerne l'argument du terrorisme, je voudrais dire que la biométrie et les systèmes de sécurité quels qu'ils soient ne réussiront jamais à nous protéger intégralement du terrorisme. Il y aura toujours de mauvaises personnes prêtes à faire le mal. La biométrie ne pourra jamais nous protéger intégralement.

    Le 11 septembre 2001, tous les terroristes ont voyagé sous leur véritable nom. Il n'y a pas eu de problèmes d'identification. Même si tous les aéroports américains avaient été dotés d'un système de biométrie fonctionnant avec une parfaite efficacité, ce qui est peu vraisemblable, seuls deux des terroristes risquaient d'être arrêtés. Ils se trouvaient dans l'avion qui a percuté le Pentagone.

    En ce qui concerne l'argument de l'usurpation d'identité, on considère au Canada—et c'est aussi le point de vue de la Federal Trade Commission des États-Unis—qu'il s'agit là pour l'essentiel d'un problème concernant le monde de la finance dans le secteur privé. Il n'y a pas à s'y tromper. Je sais que personne ne s'est présenté à Revenu Canada en prétendant être moi pour payer mes impôts. Ce n'est jamais ainsi que les choses se passent.

    L'usurpation d'identité se manifeste sous la forme de l'utilisation frauduleuse d'une carte de crédit, de fraude sur une hypothèque, de l'obtention de faux prêts et d'autres manoeuvres financières frauduleuses. À moins de concevoir que les Canadiens se servent d'une carte d'identité nationale comportant des caractéristiques biométriques à chaque fois qu'ils se servent de leur carte de crédit ou qu'ils entrent dans une banque, la carte d'identité ne présente à peu près aucun intérêt face au problème de l'usurpation d'identité.

    Ma formation en informatique m'amène à dire qu'il faut parler du problème et analyser les solutions proposées en toute franchise. Je ne suis pas devin et je ne sais pas si nous aurons ou non besoin de la biométrie un jour, mais je considère que les justifications présentées jusqu'à maintenant sont douteuses et incomplètes. Certains de mes correspondants plus agressifs les ont même qualifiées de spécieuses.

    L'identification est la bombe atomique des technologies qui violent la vie privée. Il ne nous faudrait y recourir qu'en dernier ressort, lorsque toutes les autres méthodes ont échoué et uniquement lorsque son emploi est raisonnable dans les circonstances. Elle représente une grave menace à la liberté et de ce fait, l'État ne doit y recourir qu'avec parcimonie.

º  +-(1605)  

    Les propos du ministre m'ont paru convaincants. Il a dit le 8 octobre, au forum sur la biométrie, que la transparence et le respect de la vie privée étaient de mise. On ne peut que féliciter le ministre et ce comité—et à ce propos, je partage l'opinion de mon collègue : vous avez présenté un excellent rapport provisoire qui expose bien les questions à résoudre pour que le débat aboutisse—il faut donc vous féliciter d'avoir bien débattu de la question et d'avoir envisagé toutes les solutions.

    C'est un privilège extraordinaire que de vivre dans un pays où l'on peut débattre librement de ces choses, au lieu de devoir laisser l'exécutif concevoir et imposer ses politiques. Cela nous évite de refaire les erreurs que d'autres ont faites en réagissant de façon automatique à des menaces.

    À la clôture du forum sur la biométrie, le ministre Coderre nous a lancé un défi. Il a dit que la protection de la vie privée n'était plus aussi prééminente dans le contexte actuel. Je ne suis pas d'accord avec lui, mais même si c'était vrai, cela ne justifierait en rien que l'on multiplie les atteintes à la vie privée. Le ministre Coderre a invité les défenseurs de la vie privée à prendre contact avec lui.

    J'ai été bien étonné d'apprendre dans la presse que la commissaire ontarienne à la vie privée, Mme Ann Cavoukian, pour qui j'ai travaillé, n'avait pas été invitée à ce forum. Mme Cavoukian est tout simplement l'expert canadien en la matière. Si elle y avait participé, elle aurait certainement pu éclairer le ministre sur la biométrie et le caractère indispensable de la protection de la vie privée. Je crois que votre comité va accueillir Mme Cavoukian le 4 novembre, et je me permets de vous recommander ses propos.

    Soyons clairs. Nous sommes engagés sur une voie très difficile. Il faut résister à la tentation de la facilité, qui consisterait à donner une fausse impression de sécurité au détriment des libertés individuelles. Il faut au contraire faire appel à l'ingéniosité des Canadiens, faire confiance aux valeurs canadiennes et exiger un système qui aille plus loin, qui propose des avantages concrets en matière de sécurité tout en intégrant de solides mesures de protection de la vie privée.

    Je suis convaincu qu'il est possible de mettre en place un système biométrique respectueux de la vie privée, qui favorise l'authentification plutôt que l'identification, qui soit respectueux de l'individu par son caractère volontaire et non obligatoire, qui fasse appel aux meilleures technologies, qui comporte les meilleures protections statutaires et qui fasse l'objet de mesures indépendantes de surveillance susceptibles de faire échec aux fraudes. Il est possible, mais difficile, de concevoir un tel système.

    Je me préoccupe du présent. Je me préoccupe du monde dans lequel nous vivons, mais je me préoccupe aussi de l'avenir. Ce que je crains le plus, c'est une situation dans laquelle le remède est pire que la maladie et où les solutions retenues risquent d'avoir sur les libertés et sur les consciences une incidence plus grande que les problèmes qu'elles sont censées résoudre.

    En conclusion, je voudrais dire que mes craintes deviennent tout à fait personnelles lorsque je pense à l'avenir que nous réservons à nos enfants. Comme l'a signalé le président, ma fille de huit ans, Katryn Hope-Tindall, assiste aux délibérations d'aujourd'hui. Les décisions que nous prenons aujourd'hui formeront l'héritage de Kathryn dans le monde de demain. Elles vont déterminer si ma fille jouira des mêmes droits et de la même liberté de mouvement que nous, si elle pourra s'exprimer librement ou si elle devra se soumettre à la surveillance panoptique. Est-ce que je suis inquiet? Oui, très inquiet, mais j'arrive à dormir un peu mieux quand je sais que des parlementaires comme vous cherchent la bonne réponse en notre nom. Je vous remercie au nom de tous les Canadiens de ne pas avoir choisi la voie de la facilité. Continuez à chercher la bonne réponse, et vous la trouverez.

    Je suis à votre disposition, monsieur le président, pour répondre aux questions.

º  +-(1610)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, Peter. Votre exposé était tout à fait impressionnant. Les trois témoignages recueillis aujourd'hui étaient très pertinents, ils ont suscité des questions non seulement pour nous mais pour tous les Canadiens.

    Kathryn, veux-tu ajouter quelque chose à ce qu'a dit ton papa? Il a parlé de toi et de ton avenir.

    J'ai quand même remarqué qu'elle est tombée endormie pendant votre discours, Peter. Je l'ai trouvé très impressionnant, mais peut-être qu'elle vous a vu répéter trop souvent.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est une future parlementaire, monsieur le président, mais je crois qu'elle est trop timide pour...

+-

    Le président: Il ne faut jamais se fier aux apparences, Peter. De toute façon, j'ai été content de vous voir au forum.

    Les trois exposés nous ont donné matière à réflexion, et je suis certain que les membres du comité ont des questions à vous poser.

    Nous allons commencer par Grant.

+-

    M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie de vos exposés. Pour l'essentiel, je suis d'accord avec vous.

    Monsieur Lawson, je considère que votre argument, selon lequel les documents habilitants n'ont que la valeur des documents de base d'origine, est essentiel dans ce débat, comme l'idée voulant qu'aucun système ne soit inviolable. Je crois que vous l'avez tous dit, et c'est aussi ce qui figure dans notre rapport.

    Monsieur Hope-Tindall, j'aimerais revenir à la fin de votre exposé, où vous avez évoqué les solutions possibles, et vous avez dit que vous ne saviez pas si la biométrie était la solution de l'avenir, mais vous avez parlé de la mise en place d'un système utile. Vous préférez l'authentification à l'identification—je crois que c'est le mot que vous avez employé. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette fin de votre exposé? Vous êtes expert en informatique et vous considérez ces questions depuis plusieurs années. Quelle orientation faudrait-il prendre plutôt que de suivre la voie tracée par le ministre?

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Merci beaucoup pour votre question.

    Il existe deux différentes façons d'utiliser le système biométrique. En termes techniques, nous parlons de correspondance bijective et de correspondance injective lors du processus d'identification. En termes non techniques, dans la correspondance injective, l'agent de douanes examine 34 millions de passeports, un à la fois, pour essayer de trouver le bon au cours du processus d'identification.

    L'autre façon consiste à utiliser un système biométrique de correspondance bijective. C'est ce que nous appelons l'authentification. Il s'agit de dire comparez-moi à ma carte biométrique qui se trouve dans mon passeport. C'est une méthode beaucoup plus respectueuse de la vie privée, car la personne peut porter sur elle son modèle biométrique. Une personne peut la porter dans la poche. Le fait qu'une personne ait le contrôle de sa fiche biométrique a non seulement une bonne valeur optique mais c'est utile également pour s'assurer que personne d'autre n'en abuse.

    Pour ce qui est des autres mesures que nous pouvons prendre afin de protéger les systèmes biométriques, j'ai tendance à adopter une approche assez pragmatique et à dire que notre objectif consiste à introduire un système qui respecte davantage la vie privée. Qu'est-ce que cela veut dire? Un plus grand respect de la vie privée se traduit par un plus grand nombre d'éléments de contrôle, d'éléments de consentement et d'un moins grand nombre d'éléments d'usage de la part d'autres personnes.

    Une question dont j'ai beaucoup parlé ces dernières années consiste à mettre au point un système qui mettrait l'accent sur trois aspects de la vie privée : l'identification, l'observabilité et la possibilité d'établir des liens. L'identification est la mesure dans laquelle on identifie une transaction donnée. La possibilité d'établir des liens est la mesure dans laquelle une série de transactions sont liées ensemble. Un bon exemple est le suivant : si je vais aux États-Unis, ils peuvent scanner mon passeport et vérifier à l'écran le nombre de fois que j'ai traversé la frontière pour me rendre aux États-Unis. Ils ont établi des liens pour chaque fois que j'ai traversé la frontière. L'observabilité consiste à savoir si un élément d'information peut être observé. Un bon exemple est la base de données du SIPV/DP qui a été créée récemment par l'Agence canadienne des douanes et du revenu. Le ministre a intentionnellement choisi de faire en sorte que certains éléments de données ne puissent être observés. Ils sont éliminés de la transmission après avoir été envoyés à l'ADRC. On a par exemple éliminé le choix de repas ethniques de la base de données. Cet élément ne peut être observé.

    J'ai donc tendance à adopter un point de vue assez technique et je dirais qu'il faut examiner ces trois questions et améliorer le système à mesure que nous le mettons en place. J'ai également parlé de deux autres choses, notamment l'utilisation de systèmes volontaires plutôt que de systèmes obligatoires, car ces méthodes nous permettent de vraiment respecter l'élément consentement des pratiques d'information équitables. Un bon exemple serait le système canadien des services voyageurs ou CANPASS qui a été mis en place également récemment par l'ADRC. J'ai tendance à être fauteur de troubles et à défendre la vie privée, mais je pense que nous devons accorder une assez grande place aux programmes respectueux de la vie privée et à mon avis il s'agit là d'un programme qui respecte merveilleusement la vie privée. Les gens peuvent choisir de s'inscrire ou de ne pas s'inscrire. Il y a une autre possibilité s'ils ne souhaitent pas utiliser un élément biométrique pour une raison ou pour une autre.

    Enfin, je pense qu'il est extrêmement important—et je pense que c'est pour cette raison que le comité examine cette question—que nous ayons en place des dispositions statutaires spécifiques de protection qui reconnaissent que la biométrie est différente des autres formes d'information personnelle et mérite une plus grande protection et des sanctions criminelles spécifiques lorsqu'elle est mal utilisée.

º  +-(1615)  

+-

    Le président: Jerry.

+-

    M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex): Merci, monsieur le président.

    J'ai entendu beaucoup de choses négatives. Y a-t-il à votre avis, messieurs, des éléments positifs à la carte d'identité nationale?

+-

    M. Joseph Lawson: Je pense qu'il pourrait y avoir un élément positif, mais à mon avis...

+-

    M. Jerry Pickard: Quels sont ces éléments positifs?

+-

    M. Joseph Lawson: Je pense qu'avant que nous puissions vraiment en examiner les aspects positifs, il faut réaliser qu'il semble y avoir une grande redondance. Je pense qu'avant d'évaluer les aspects positifs, nous devons d'abord voir ce qui est en place et comment nous pouvons utiliser ces ressources pour améliorer ce que nous avons avant de commencer à examiner d'autres modes d'identification.

    J'essaie de répondre à votre question de façon positive, et je suppose que je n'y vois pas vraiment grand-chose de positif. Je trouve que c'est très redondant. Si nous avons des problèmes avec notre système de passeport, corrigeons le système existant.

+-

    Le président: Monsieur Babb, avez-vous quelque chose à répondre à la question de M. Pickard?

+-

    M. C.E. Babb: Je ne vois vraiment pas d'avantages à une carte d'identité nationale, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en existe pas, mais je n'en vois aucun.

    Je suppose que je souhaiterais que nous nous assurions que ce que nous faisons est extrêmement bien fait. Je regrette, aucun exemple ne me vient à l'esprit, mais il me semble que l'administration des passeports, ou de toute autre chose, doit être extrêmement bien faite et doit être maintenue avant que nous nous lancions dans quelque chose d'aussi gros et d'extravagant qu'une carte d'identité nationale.

+-

    M. Jerry Pickard: Je pense que tous les Canadiens pourraient reconnaître comme vous le dites que les choses doivent être faites correctement et adéquatement et bien. C'est une évidence, il me semble, et quelque chose que chacun...

    Par exemple, quand je parlais de quelque chose de bon, bien que cela ne relève pas de la compétence du gouvernement fédéral mais bien de celle des provinces, j'ai entendu dire que tous les gouvernements provinciaux, d'un océan à l'autre, avaient des difficultés avec la carte d'assurance-maladie, l'identification et la fraude. Une carte, comme la carte d'identité nationale, pourrait-elle être sûre, réduire le nombre de cas où des gens reçoivent des services gouvernementaux auxquels ils n'ont pas droit?

+-

    M. C.E. Babb: J'ai deux choses à dire. J'espère ainsi répondre à votre question; si ce n'est pas le cas, veuillez m'interrompre et me le dire, je vous en prie.

    Tout d'abord, je pense que toute cette affaire de fraude des régimes d'assurance-maladie—et dans le cas de l'Ontario, la fraude concernant le régime OHIP—est très exagérée. C'est ce que je pense.

    Deuxièmement, je tiens à dire que quand Allan Rock était ministre de la Santé avant la Commission Romanow, il a paru à la télévision et semblait, quand il y réfléchissait ou que quelqu'un lui posait une question à ce sujet, avoir un air rêveur et réjoui à la pensée d'un régime de santé national où les gens ne léseraient pas les gouvernements provinciaux; ils n'en abuseraient pas, parce que nous allions avoir ce vaste système national d'information en matière de santé. Je pense qu'il comparaissait avec Michael Decter.

    Eh bien, bon sang, je pense que la perspective d'une carte de santé nationale est horrible, et cela signifie que je dis qu'une carte d'identité nationale l'est tout autant. Si l'Ontario vient à bien surveiller l'administration du régime de santé OHIP et que les diverses autres provinces le peuvent aussi, c'est formidable, et je pense que cela nous mènera loin. Mais de là à dire, d'accord, optons pour une carte de santé nationale, je pense que ce serait désastreux.

º  +-(1620)  

+-

    M. Jerry Pickard: Vous pensez donc qu'on pourra le faire à l'échelle provinciale mais non pas nationale.

+-

    M. C.E. Babb: C'est tellement difficile à gérer. Les provinces ont beaucoup de mal, comme vous le savez, à concevoir, à établir et à rentabiliser les systèmes d'information. Ils s'y essaient une fois, puis à nouveau et encore et encore. C'est à Toronto que ça se passe; c'est renversant.

+-

    M. Jerry Pickard: D'accord. Je pense que je vous ai compris.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Vous me permettez d'ajouter quelque chose?

    En réponse à votre première question, quand vous demandiez s'il y a de bons éléments dans l'idée d'une carte nationale d'identité, je pense qu'il y a d'excellents éléments, très utiles, pour les applications que nous entrevoyons pour une carte d'identité nationale. Par exemple, utiliser une carte d'identité nationale pour accélérer les passages à la frontière.

    Une partie du travail que j'ai fait récemment de concert avec l'OCDE a consisté à examiner, sur le plan des voyages internationaux, la biométrie et la standardisation des titres de voyage. Il ne fait pas de doute qu'il y a là des problèmes à régler et voilà une application; il nous faut une solution. Je ne sais pas s'il faut pour cela que chaque Canadien se voit délivrer une carte d'identité nationale ou si cela pourrait être réglé par un passeport à données biométriques pour ceux qui vont à l'étranger.

    De même, je suis en désaccord avec mes collègues ici, et je pense qu'il y a de toute évidence de bons usages à une carte d'identité nationale. Il y a des gens sans la moindre pièce d'identité.

    Si je vais ramasser un colis chez Purolator et si je donne ma signature on me demande une pièce d'identité et je m'amuse toujours avec eux. Normalement, je leur donne ma carte Santé de l'Ontario et ils notent le numéro. Je leur dis : « Qu'est-ce que vous faites? » Ils me répondent « Eh bien je note votre numéro ». Je dis « Pourquoi notez-vous le numéro? » Normalement ils me disent « C'est pour vous protéger, pour s'assurer que personne d'autre ne ramasse votre colis ». Alors je dis « Non, ça, c'est la raison pour laquelle vous regardez la carte; la raison pour laquelle vous notez le numéro, c'est parce que votre employeur ne vous fait pas confiance et qu'il y a une piste de vérification ».

    Puis, quand c'est terminé, normalement je leur dis qu'ils viennent d'enfreindre la Loi sur le contrôle des cartes Santé et des numéros de carte Santé de l'Ontario et qu'ils sont passibles d'une amende de 2 500 $ pour avoir noté mon numéro de carte Santé.

+-

    M. Jerry Pickard: Essayez-vous de la percevoir sur-le-champ?

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Habituellement.

    Mais il y a des gens qui n'ont pas de permis de conduire et qui dans le monde d'aujourd'hui ont du mal à établir leur identité. Dans certaines provinces, il y a des permis de conduire pour des gens qui ne conduisent pas pour leur permettre d'avoir une pièce d'identité. Il est évident qu'il faut une pièce quelconque.

    Je ne sais vraiment pas si on peut se contenter des documents qui existent déjà ou s'il faut une carte d'identité nationale, mais le fait de poser la question soulève les problèmes à régler et permet de se demander si une carte nationale est la solution ou s'il faut quelque chose d'autre.

º  +-(1625)  

+-

    M. Jerry Pickard: Il y a énormément de questions que j'aimerais poser mais nous n'avons pas le temps. J'ai très peu de temps pour poser des questions.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Pour ce qui est de la deuxième question, au sujet de la fraude en matière de santé...

+-

    M. Jerry Pickard: C'est au président de décider.

+-

    Le président: Peter, laissez-lui poser son autre question puis vous pourrez y répondre en même temps.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Oh, je vous demande pardon, monsieur le président.

+-

    Le président: Je ne sais pas à qui il va poser la troisième question.

+-

    M. Jerry Pickard: Je crois—et ce que je crois est peut-être bien différent de ce que vous croyez ou de ce que d'autres pensent—qu'il y a des choses internes que les cartes pourraient nous aider à faire, avec des garanties solides d'identité, incontestables. Je ne pense pas que toute l'information puisse être accessible à qui que ce soit. Nous avons la technologie qui nous permet d'aller bien au-delà de ça.

    Mais je crois aussi que le Canada, comme membre de la communauté internationale, en particulier du G-8, de l'OCDE ou de toute autre grande organisation, doit avancer en parallèle ou devancer ce que nous voyons comme la tendance générale de l'avenir. Que l'on parle d'appliquer certaines choses aujourd'hui ou dans cinq ou dix ans d'ici, il nous faut un long préavis pour discuter des grandes questions et essayer de voir où nous nous situons dans un monde où la sécurité sera bien différente dans 10 ans. Je suis convaincu que nous évoluons. Nous ne sommes pas une société stagnante à l'échelle nationale ou internationale et il pourra ressortir quelque chose de positif de cette évolution.

    Comme Peter l'a dit, la sécurité du Canada ne sera pas améliorée par une carte d'identité nationale. Ce n'est pas le cas. Mais la sécurité du monde pourra s'améliorer si, avec le temps, tout le monde civilisé crée les moyens qui nous permettront d'identifier les gens qui sont sans danger. À ce moment-là, nous pourrons passer pas mal plus de temps à examiner ceux qui n'ont pas de pièce acceptable et les traiter différemment.

    Donc, nous avançons, et comment cela se fait fait partie du débat. Parfois, j'ai le sentiment qu'on est un peu étroit d'esprit à ce sujet dans ce débat—c'est ce que j'ai entendu jusqu'ici, en tout cas.

    Je ne sais pas si vous voulez répondre à cela, Peter, mais vous êtes bien placé pour aborder ce genre de grandes questions. C'est pourquoi j'ai posé la question.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Merci beaucoup de la question.

    Je parle à beaucoup de gens de l'Immigration qui disent précisément ça, que si nous pouvons rendre le processus plus efficace sur le plan international, mettons, si nous pouvons faire passer rapidement ceux dont on a déjà vérifié les antécédents, alors on peut passer plus de temps pour faire subir une inspection secondaire à tous les autres. Ils me disent en général qu'à leur avis cela va améliorer la sécurité des voyageurs à l'échelle internationale et je suis donc tout à fait d'accord avec vous. Je pense que la technologie a son rôle à jouer, peut améliorer l'efficacité et permettre de répartir les ressources aux points d'entrée de manière à mieux cibler ceux qui présentent les plus grands risques.

    Je n'applique pas le même raisonnement à l'intérieur de nos frontières. Je ne pense pas qu'une carte d'identité nationale, par exemple, rendra une ville ou une rue plus sûre parce que cela signifierait interpeller les gens dans la rue : « Qu'est-ce que vous faites ici? Pourquoi êtes-vous dans cette ville? »—poser des questions personnelles et limiter les libertés fondamentales, ce dont on n'a pas l'habitude.

    Je veux revenir à votre question de tout à l'heure à propos de la carte Santé en Ontario parce qu'il se trouve que je suis un peu au courant pour avoir déjà travaillé dans ce domaine. Il y a deux éléments de fraude, à mon avis. D'abord il y a l'utilisation de la carte de quelqu'un d'autre, lorsque quelqu'un utilise soit une fausse carte ou une carte authentique qui ne lui appartient pas pour obtenir des services de santé.

    J'ignore dans quelle mesure c'est un véritable problème. Les gens ne font pas la queue pour faire traiter gratuitement une crise cardiaque en se servant de ma carte Santé. Le vrai problème, ce sont les gens qui ont des cartes Santé authentiques de l'Ontario mais qui vivent dans le nord-est des États-Unis et qui viennent ici pour se faire soigner.

    Délivrer un document, une carte Santé biométrique, ne fera qu'accroître la confiance que l'on a dans ces gens-là. Une fois que c'est fait, le problème n'est plus d'ordre biométrique. Le problème n'est plus la carte, c'est la rigueur du mécanisme de délivrance, s'assurer qu'on a bien vérifié les antécédents pour s'assurer que la personne y a droit.

    Les intervenants qui m'ont précédé en ont parlé dans le contexte des passeports. C'est un problème qui existe partout au gouvernement chaque fois qu'un document est délivré.

º  +-(1630)  

+-

    M. Jerry Pickard: Votre commentaire est extrêmement pertinent et vous avez tout à fait raison. Le plus important, c'est d'effectuer les vérifications quant à l'identité des titulaires de façon rigoureuse. Aujourd'hui, nous sommes détenteurs de bien des cartes qui ont été émises sans que des vérifications aient été faites de façon aussi rigoureuse qu'aujourd'hui, car nous ne comprenions pas la façon dont la technologie évoluait, alors qu'aujourd'hui, c'est ce sur quoi porte le débat. C'est extrêmement important.

    Merci.

[Français]

+-

    Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Merci, monsieur le président.

    D'abord, bon après-midi à vous trois. S'il y a une question qui préoccupe tous les membres du comité, c'est le fait qu'on ne considère pas que les Canadiens et les Québécois sont actuellement suffisamment informés des tenants et aboutissants de tout ce que signifie une carte d'identité nationale. Vous avez raison quand vous dites que la majorité des gens qu'on a entendus avaient une vision négative d'une carte d'identité nationale.

    Par contre, il y a une chose que notre étude va très certainement faire, elle va modifier la perception des gens à l'effet que si on a une carte, cela va augmenter la sécurité. Depuis le 11 septembre 2001, c'est devenu un peu la hantise de tout le monde, et on s'imagine qu'un instrument comme une carte d'identité serait presque une certitude qu'on va être protégé. Alors, je pense que le comité a comme responsabilité de remettre les choses en perspective et de ne pas donner à une carte d'identité un rôle qu'elle n'a pas.

    Vos positions sont assez claires: vous n'en voulez pas. Par contre, il y a une chose que je retiens, c'est que les documents officiels dont on dispose actuellement, comme le passeport, qui est un document facultatif que l'on demande quand on en a de besoin--de toute façon, cela coûte assez cher que si on n'en a pas besoin, on ne le demande pas--, pourrait très certainement être davantage sécuritaire pour celui qui le possède, afin qu'il ne tombe pas entre d'autres mains. On a eu beaucoup d'exemples.

    Il y a une question qui me préoccupe même si à un moment donné, monsieur Hope-Tindall, vous avez fait mentionné qu'une carte d'identité pourrait, par exemple, être facultative. Si on a une carte d'identité facultative, cela respecte l'espèce de contrôle relatif du citoyen là-dessus. Je ne vous ai pas entendu nous donner votre opinion sur l'existence d'un fichier central. Même si c'est facultatif, s'il y a 100 000 Canadiens qui la demandent, est-il pensable qu'une telle carte existe sans qu'il y ait un fichier central?

    Si vous me dites que c'est possible, je vais en être ravie, parce que c'est le fichier qui me dérange vraiment plus que la carte. Ce qui me dérange, c'est le fichier et ce qu'on ferait avec les éléments qui pourraient être dedans. On a beau entendre plein de gens dire qu'on est vraiment en mesure actuellement d'assurer l'étanchéité des données et tout cela, disons que j'ai un peu de doutes à ce sujet. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Merci beaucoup, et veuillez m'excuser si je réponds en anglais. Je suis limité dans ma capacité à parler de protection des renseignements personnels et de sécurité dans les deux langues.

    Ce que vous avez dit au sujet du Québec est très pertinent. Au Québec, on est devenu expert dans les questions de protection des renseignements personnels, et nous pourrions tirer de grands enseignements de ce qui se fait dans votre province, particulièrement en ce qui concerne la protection des renseignements personnels et les données biométriques.

    J'ai eu le privilège d'entendre Mme Jennifer Stoddart à la dernière conférence sur la biométrie et je l'avais déjà entendue s'exprimer là-dessus à plusieurs autres reprises. Elle a confirmé la surveillance extrême qui s'exerce dans l'utilisation de ce type de technologie. Il est d'ailleurs extrêmement rassurant de voir à quel point l'Ontario et le Québec jouent un rôle de leadership en la matière.

    Quant à savoir si la carte devrait être facultative ou obligatoire, j'ai dit plus précisément que je préférerais que l'on inscrive les données biométriques sur une carte facultative plutôt qu'obligatoire, ce qui ne veut pas dire que les cartes obligatoires devraient être complètement bannies dans notre société. Comme le reconnaissent tous ceux qui oeuvrent dans la protection des renseignements personnels, il arrive parfois que le consentement n'ait pas été véritablement donné. À preuve, la carte Santé de l'Ontario. On a toujours le choix de refuser de donner les renseignements lorsqu'on demande la carte, mais vous n'obtiendrez jamais votre carte si vous ne divulguez pas tous les renseignements demandés.

    Cette question a été relativement bien étudiée dans les universités et a fait l'objet de plusieurs recherches, et certains de mes collègues ont laissé entendre qu'il serait possible de compenser l'absence de véritable consentement par une transparence et une surveillance accrues.

    Quant à un registre central, c'est justement le regroupement et l'accumulation de renseignements dans un registre central qui nous préoccupent, même s'il est possible d'agir à certains égards pour atténuer ces craintes.

    Dans le cas d'un système biométrique, on peut bien inscrire le nom et le numéro de la carte dans un registre central, mais on pourrait décider de n'inscrire les données biométriques que sur la carte, celle-ci ne quittant jamais le portefeuille du titulaire; on éviterait ainsi d'ériger une banque de données biométriques centrale.

    L'envers de la médaille, c'est que si vous perdez votre carte, il ne vous est plus possible de simplement composer un numéro de téléphone pour vous en faire envoyer une autre; non, il vous faut faire une nouvelle demande au complet pour faire réinscrire vos données biométriques sur une nouvelle carte. Mais je ne considère pas cela comme un problème insurmontable, puisque c'est ce que l'on fait déjà avec les passeports. Si je perds mon passeport, je ne peux pas m'en faire envoyer un autre par téléphone. Je dois me rendre sur place, au Bureau des passeports, expliquer ce qui est arrivé à mon ancien passeport, signaler son vol à la police, par exemple, et faire une nouvelle demande au complet.

    Il y aurait plusieurs choses à faire pour que l'État envahisse moins la vie privée par toutes sortes de registres centraux. On pourrait distribuer les données, ou encore avoir recours à la cryptographie, ou au cryptage des données, et ce de façon stratégique afin de rendre les données illisibles à ceux qui voudraient se les procurer.

    J'ai déjà proposé à d'autres tribunes d'avoir recours au cryptage des données pour l'application régulière de la loi. Qu'est-ce que j'entends par cela? On a déjà étudié le système des données biométriques grâce auquel on inscrit en amont de façon très brute les données biométriques afin de faire sortir en aval un nom—ou de façon plus réaliste, car cela ne donne pas de si bons résultats que cela—toute une série de noms qui se rapprochent de façon étroite des données. Mais si vous obteniez en aval un nom encodé plutôt qu'un nom lisible par tous, on pourrait imposer un outil technologique, comme une clé de décodage, pour pouvoir établir l'identité du titulaire. Ainsi, cette clé de décodage pourrait rester entre les mains d'un organe de surveillance, comme le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée, ou entre les mains d'un juge. Chaque fois qu'une agence souhaiterait établir l'identité de quelqu'un, cette agence devrait d'abord obtenir une ordonnance d'un tribunal, ordonnance qu'elle présenterait ensuite au gardien de la clé, ce qui lui permettrait de décoder le nom.

    Vous voyez qu'il y a plusieurs initiatives à prendre si l'on tient à ce que l'État n'envahisse pas complètement notre vie privée par ce procédé. On ne résoudra jamais le problème complètement, mais notre objectif restera toujours d'accroître la protection des renseignements personnels dans le système.

º  +-(1635)  

+-

    Le président: Monsieur Lawson, voulez-vous répondre vous aussi à la question de Madeleine?

+-

    M. Joseph Lawson: La seule façon qu'ont les individus de protéger les renseignements qui les concernent, c'est de faire en sorte que tous les renseignements les concernant soient compartimentés, répartis ça et là. Ainsi, tous les renseignements sur mon état de santé se retrouveront dans une banque de données au ministère de la Santé, tandis que l'information qui se trouve sur mon permis de conduire sera consignée dans une autre banque de données, ailleurs. Puis, tous les renseignements financiers me concernant seront regroupés dans une autre banque de données. L'important, c'est que personne ne puisse de façon indépendante regrouper tous les renseignements me concernant.

    Lorsque j'ouvre un compte dans une banque, je ne souhaite certainement pas qu'un caissier de 18 ou de 19 ans puisse, d'une simple pression sur un bouton, avoir toute mon histoire financière sous les yeux. Pour brouiller les pistes, je choisirais délibérément d'aller investir une partie de mon argent dans une autre banque. Si je le faisais, ce ne serait pas parce que je veux cacher quoi que ce soit, mais parce que tous ces renseignements me concernent moi seul. Et même si tous les renseignements ne sont pas centralisés dans une seule banque de données, ce que je crains, c'est que cette carte ne représente un moyen possible pour un tiers de l'indexer et de regrouper tous les renseignements de ma vie privée, ce qui lui permettrait éventuellement de former un tout et de me voler mon identité.

    Une fois votre identité volée, vous êtes anéanti. Par conséquent, d'un simple point de vue pratique, je veux être celui qui garde la maîtrise de toute l'information me concernant. Ainsi, je peux garder tous mes renseignements en divers compartiments, de sorte que personne ne puisse regrouper le tout sans mon consentement exprès.

º  +-(1640)  

+-

    Le président: Bien.

+-

    M. C.E. Babb: Je n'ai pas de commentaire.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Puis-je avoir quelques instants de plus?

+-

    Le président: Bien sûr, car ce que vous dites est très instructif.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Je voudrais ajouter une chose, même si cela me cause des problèmes chaque fois que j'en parle.

    Lorsque les gouvernements traitent de l'information classifiée, ils la distribuent aux utilisateurs de cette information. Supposons une agence de surveillance électronique qui collige des renseignements sur les transmissions électroniques et qui fournit l'information aux utilisateurs de cette information, soit une agence de décodage de ces renseignements, le cabinet d'un président ou le cabinet d'un premier ministre. Cette agence fait très attention de compartimenter les renseignements afin d'en empêcher le regroupement et afin que personne n'ait en sa possession un trop grand nombre de renseignements à la fois. Cette agence peut également en faire la vérification de façon très poussée et faire un suivi de ceux à qui elle envoie les documents pour savoir qui les lit, qui a accès à quoi et qui fait quoi avec ce renseignement.

    Voilà le genre de technologie dont nous devons nous servir pour protéger les renseignements personnels. La technologie de l'information classifiée est celle qu'il nous faut utiliser pour protéger les renseignements personnels et pour que l'information soit gardée de façon sécuritaire et compartimentée.

+-

    Le président: Sophia.

+-

    Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Veuillez excuser mon retard.

    Chacun d'entre nous possède au moins une demi-douzaine de cartes, si ce n'est plus. Je m'adresse aux trois témoins. Si j'ai bien compris, monsieur Lawson, vous dites que chaque carte a une fonction en soi. Je ne parle même pas ici de la banque. Toute carte d'identité sert à une fin, tout en ne révélant qu'une partie des renseignements vous concernant.

    Êtes-vous plus à l'aise avec cela? Vous ai-je bien compris?

+-

    M. Joseph Lawson: C'est exactement ce que j'essayais d'expliquer. Ceux qui veulent usurper votre identité cherchent à en savoir suffisamment pour vous de façon à se faire passer constamment pour vous. Pour empêcher qu'on usurpe toute votre identité, il faut empêcher qu'on mette la main sur la totalité des renseignements vous concernant. Voilà pourquoi j'ai suggéré de laisser l'individu avoir lui-même la maîtrise de tous les renseignements le concernant.

+-

    Mme Sophia Leung: D'accord, mais à l'inverse, on peut parfois être détenteur d'un trop grand nombre de cartes qui servent toutes à des fins différentes. Dans l'intérêt du débat, que diriez-vous de l'idée d'avoir une seule carte à des fins d'identité?

    Prenons par exemple la nouvelle carte CANPASS pour les voyageurs aériens. Elle est très pratique. Mais lorsque je suis allée l'autre jour dans une banque et que j'ai voulu présenter cette carte-là pour ne pas avoir à sortir mon permis de conduire, on ne l'a pas reconnue. On m'a demandé de quoi il s'agissait et refusé de l'utiliser. Pourtant, ma photo se trouvait sur la carte et pouvait donc servir à m'identifier.

    Elle pourrait être très pratique, mais on ne semble pas connaître son existence ni savoir qu'elle est tout aussi valable que d'autres cartes. C'est parce qu'elle est très rare et qu'elle ne circule pas assez. Moi-même, je viens tout juste de l'obtenir.

+-

    Le président: De quelle carte s'agit-il?

+-

    Mme Sophia Leung: Il s'agit de la carte CANPASS-Air de l'ADRC, très pratique lorsque l'on sort souvent du Canada. Elle permet de faire la lecture de votre empreinte rétinienne. C'est une technologie qui m'intéresse.

+-

    Le président: L'ADRC? Eh bien, maintenant, elle sait tout sur vous.

+-

    Mme Sophia Leung: Je dis simplement que c'est une carte à la fine pointe de la technologie. Malheureusement, parce qu'elle n'est pas connue et que personne n'en parle, on ne sait pas qu'elle peut servir de carte d'identité et on continue à vous demander votre permis de conduire. Pourtant, il y a des tas de gens qui ne conduisent pas de voiture. Cela me semble un peu trop rigide.

    Dans l'intérêt du débat, que diriez-vous de n'avoir qu'une seule carte?

+-

    M. Joseph Lawson: On pourrait débattre des institutions pour savoir laquelle devrait avoir le droit de colliger des renseignements au sujet de quelqu'un. Mais on pourrait aussi se demander à quel moment une institution a en main trop d'information à votre sujet.

    Par exemple, les banques et institutions financières ont l'habitude de demander les numéros d'assurance sociale car cela leur est très utile pour l'indexation. Pour ouvrir un compte dans une banque, vous êtes obligé de prouver votre solvabilité, même si vous ne souhaitez pas nécessairement obtenir un prêt. La banque vous demandera donc cette information pour établir votre profil de solvabilité. Après, elle cherchera à vous vendre une carte de crédit.

    Sans vouloir étirer le débat là-dessus, sachez qu'il se pourrait qu'à un moment donné, nous soyons obligés de limiter la quantité de renseignements qu'une organisation peut détenir à votre sujet. Malheureusement, à partir du moment où une institution telle qu'une banque prend l'habitude de demander ce type de renseignements, elle continue à le demander par défaut.

    Cela présente des avantages et des inconvénients. Vous laissez entendre qu'il serait avantageux de n'avoir qu'une carte pour tout. Pour ma part, je ne souhaite pas nécessairement que ma banque sache tout sur moi, car ce sont des renseignements qui me concernent et que je devrais pouvoir garder pour moi si je le souhaite. Je ne veux certes pas qu'on m'appelle le soir chez moi, à l'heure du souper, pour essayer de me vendre une carte de crédit. C'est casse-pied.

º  +-(1645)  

+-

    Mme Sophia Leung: Merci.

+-

    Le président: Je suis sensible à tous vos arguments, mais je voudrais vous expliquer le point de vue du comité.

    Vous vous êtes tous prononcés relativement contre l'idée d'une carte d'identité nationale, en particulier à cause des liens qui pourraient être établis avec des systèmes centraux de données et à cause de l'interconnexion possible. Dans chacun des exemples que vous avez donnés, vous avez mentionné les difficultés qu'il pourrait y avoir à établir sa propre identité ou la nécessité de demander à quelqu'un d'authentifier votre identité, lorsqu'on vous demande certains renseignements à l'aide d'un permis de conduire ou d'une carte Santé, par exemple. Que diriez-vous d'une carte d'identité nationale qui n'aurait d'autre but que de prouver qui vous êtes, sans qu'il soit possible de faire le lien entre la carte et une banque de données nationale ni aucune autre banque de données, et sans que cette carte ne comporte d'informations autres que celles qui se trouvent dans un document de base.

    Ma deuxième question s'adresse à vous tous. Vous avez soulevé une question très importante en ce qui a trait à nos documents de base, étant donné qu'il faut s'assurer de l'intégrité de tout ce qui vient après le document de base. Nous aussi, nous nous sommes posé des questions graves à leur sujet, mais ce que vous nous avez dit est très instructif puisque notre rapport ne s'interroge pas uniquement sur l'opportunité pour les Canadiens d'avoir une carte nationale d'identité en plastique, par exemple, mais surtout sur la façon dont nous déterminons notre identité. Il se peut fort bien que notre rapport doive conclure qu'il faut d'abord protéger nos documents de base. Certains ne savent même pas de quoi il s'agit. Il existe différents documents de base d'une province à l'autre, et il existe aussi des documents de base canadiens; puis, il y a les documents facultatifs, etc.

    Revenons aux questions fondamentales. D'abord, comment faire pour garantir la véracité de nos documents de base? Que devrions-nous faire? Faudrait-il faire venir tous les Canadiens pour qu'ils confirment leur identité? Toute la question de biométrie est accessoire par rapport à la question de la carte d'identité nationale, et c'est d'ailleurs ce qu'on avait conclu au forum. Par conséquent, comment faire pour garantir la véracité des documents de base? Qu'avez-vous à nous suggérer là-dessus? Devons-nous créer un nouveau document de base pour assurer l'intégrité du système? En deuxième lieu, nous faut-il une carte d'identité nationale uniquement pour pouvoir décliner notre identité, c'est-à-dire pour qu'elle serve de norme nationale mais à rien d'autre?

    En troisième lieu, la biométrie n'est qu'un outil : naguère, on se servait d'une photo, puis d'une bande magnétique, et aujourd'hui, on se sert de l'image de votre iris comme sur la carte CANPASS de Mme Leung. Donc, la biométrie servirait-elle à vérifier vos affirmations quant à votre identité, dans la mesure où vous êtes en face du vérificateur, plutôt que servir à établir la connexion avec d'autres renseignements. C'est une question très importante à laquelle je vous demande tous de répondre.

    Peter, vous voudrez peut-être réagir à ma prochaine question : j'ai entendu dire au forum qu'à partir du moment où nous aurons décidé quel était le problème que nous voulions résoudre, il suffirait alors de réunir les vendeurs et les gens de la technologie dont vous faites partie avec tous ceux qui s'intéressent de près à ce type de chose, dans le but de mettre au point une carte qui résoudra le problème que nous avons ciblé au départ. Cela m'a frappé. Mais nous n'en sommes même pas encore au point de pouvoir le cerner, ce problème. Certains affirment que nous voulons protéger le Canada. Est-ce vrai? Ou ne cherchons-nous pas plutôt à protéger tous ceux qui individuellement se trouvent au Canada? Essayons-nous aussi de protéger le monde entier? Tentons-nous de nous protéger contre ceux qui arrivent au Canada ou de nous protéger contre ceux qui sont déjà au Canada? Voilà toutes les questions que nous nous posons et pourquoi nous trouvons instructif ce que vous nous avez dit.

    Chacun de vous voudra peut-être répondre en premier lieu à la question que j'ai posée sur les documents de base, et nous suggérer des façons d'en assurer la véracité. D'après ce que vous nous avez expliqué, si vous n'avez pas votre permis de conduire, on s'interroge parfois sur votre identité et on ne semble pas vouloir vous faire confiance... Monsieur Babb, vous qui avez vécu en Virginie, vous voudrez peut-être nous confirmer que les différences culturelles entre les États-Unis et le Canada ont quelque chose à voir avec tout ce débat.

    Commençons par vous, monsieur Babb.

º  +-(1650)  

+-

    M. C.E. Babb: D'accord, je vais répondre.

    Je ne suis pas un admirateur des États-Unis. Je ne suis pas un admirateur de leur gouvernement ni du nôtre. Je suis pourtant citoyen américain. En raison de toute cette intimidation, c'est un parti pris que j'ai. Je ne pense pas répondre ainsi à votre question, mais ça m'énerve au plus haut point de voir comment ils se comportent. C'est très inquiétant. J'ai peur qu'ils aient ici beaucoup trop d'influence.

    Cela ne répond pas à votre question.

    Je pense que nous faisons avec ce que nous avons, les documents de base, et on les améliore, on les rend plus utiles et que sais-je encore. Je ne vois pas la moindre raison pour laquelle une carte d'identité nationale serait utile. Je pense que ce serait un gaspillage terrible. Je pense que cela coûterait énormément d'argent pour l'intérêt que cela présente.

    Enfin, pour répondre en partie à votre question, Peter m'inquiète. Il en sait tellement, mais je n'aimerais pas qu'il ait la responsabilité de prendre les décisions concernant ce qu'il y a lieu de faire.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Je ne voudrais pas avoir à le faire non plus.

+-

    Le président: C'est notre travail.

+-

    M. C.E. Babb: C'est juste, vous avez raison.

    C'est le mieux que je puisse faire.

+-

    Le président: Monsieur Babb, a-t-on jamais usurpé votre identité et, deuxièmement, vous sentez-vous menacé pour ce qui est de votre identité? Avez-vous déjà eu un problème à ce sujet au Canada ou dans d'autres pays?

+-

    M. C.E. Babb: Oui, de deux façons, on a usurpé mon identité et j'ai perdu des papiers d'identité.

+-

    Le président: Mais on a facilement résolu l'affaire, je suppose.

+-

    M. C.E. Babb: Oui.

+-

    M. Joseph Lawson: Pour ce qui est des documents de base, je pense que le plus important c'est certainement le certificat de naissance. La solution n'est pas nécessairement spectaculaire, mais simplement pour assurer l'intégrité administrative et veiller à ce qu'il existe des normes d'uniformité minimales d'une province à l'autre concernant les aspects techniques du certificat de naissance, comme les filigranes numériques et les codes à barres, pour garantir l'authenticité d'un certificat, le fait qu'il n'a pas été altéré. En outre, du point de vue administratif, c'est aussi pour garantir que la personne à qui on délivre un certificat de naissance de remplacement est bel et bien la personne qu'elle dit être.

    Je dirais que c'est probablement le document le plus important.

+-

    Le président: Que fait-on dans le cas d'un nouveau-né de trois jours ou d'une faute d'enregistrement? Des données biométriques seraient-elles utiles dans le cas d'un document de base?

+-

    M. Joseph Lawson: Eh bien, pour ce qui est du plan administratif, on fait appeler quelqu'un au téléphone simplement pour s'assurer que la personne qui obtient le document est bel et bien qui elle prétend être.

    À nouveau, mon instinct me dit que vous aurez des difficultés dans le cas des personnes qui commanderont des certificats de naissance de remplacement—des gens de 25, de 30 ou de 40 ans qui appelleront ou écriront pour obtenir illicitement un certificat de remplacement. Il faut s'assurer que ces gens sont bel et bien ce qu'ils prétendent être.

    Pour répondre à votre question au sujet de la carte d'identité, la simple carte d'identité, ce que je constate, c'est qu'il y a redondance et je pense au coût que cela supposerait.

    On a un jour usurpé mon identité. Quelqu'un est allé à ma banque... un prélèvement automatique additionnel a commencé à figurer à un moment donné sur mes relevés. Quelqu'un faisait frauduleusement prélever sur mon compte le paiement d'une location de téléviseur. Il m'a fallu trois mois pour y mettre fin, et à la banque on m'a dit qu'on était désolé mais que ça ne les concernait pas. Quoi qu'il en soit, quelqu'un a loué un téléviseur à mes frais pendant six mois. Je ne m'en étais pas rendu compte parce que je croyais qu'il s'agissait de frais de services bancaires.

+-

    Le président: Vous devez effectuer énormément de transactions bancaires pour avoir à payer autant de frais de services bancaires. Pensez-y, cela m'est arrivé à moi aussi. Ce n'est pas un problème.

    Peter.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Merci, monsieur le président.

    Je vais diviser votre question en trois parties, parce qu'il s'agit de trois problèmes différents.

    Le premier problème est celui du document lui-même et de l'impossibilité de le contrefaire ou de le modifier. Il existe déjà diverses technologies dans ce domaine. Vous savez peut-être que l'Alberta a récemment introduit un nouveau permis de conduire qui utilise le même type de technologie que celle dont on s'est servi pour imprimer la carte feuille d'érable de résident permanent. J'appelle cela la technologie de la pérennité, puisqu'au lieu d'imprimer la carte avec de l'encre, on incruste au laser vos nom, adresse et photo sur la carte, ce qui la rend très difficile à contrefaire ou à modifier. Voilà donc un problème de résolu, ou voilà à tout le moins un avantage que nous avons sur les malfaiteurs, pour l'instant du moins. Cela peut toujours changer, au fur et à mesure que les malfaiteurs auront plus de moyens à leur disposition ou qu'ils réussiront à fabriquer des cartes feuille d'érable ou des cartes en utilisant eux aussi la technologie de pointe.

    Le deuxième problème, dont j'ai déjà parlé, c'est la rigueur des démarches à suivre pour obtenir ces documents de base. Dans mon cas personnel, il nous a été très difficile d'obtenir de l'Ontario un certificat de naissance détaillé pour Kathryn car, pour l'obtenir, il fallait inscrire sur la demande l'heure exacte de la naissance; or cela posait problème en soi, puisque le médecin accoucheur était un médecin de réserve, notre médecin à nous n'étant pas disponible. Vous voyez que depuis le 11 septembre, l'information demandée est exhaustive et doit être très rigoureuse pour obtenir un certificat de naissance en Ontario. De plus, il faut que quelqu'un réponde de vous, comme vous l'aurez peut-être remarqué dans les nouvelles demandes de passeport, là où on exige encore plus d'information qu'avant. D'ailleurs, quelqu'un a déjà inscrit mon nom comme référence pour l'obtention d'un passeport et j'ai été très impressionné de voir le Bureau des passeports m'appeler et prendre le temps de vérifier auprès de moi que je connaissais bel et bien la personne.

    Ce sont toutes des mesures très simples à prendre pour rendre la démarche plus rigoureuse et, comme l'a laissé entendre un des autres témoins, si certaines demandes ne font pas l'objet des vérifications appropriées, il me semble que c'est au Bureau des passeports de régler ce problème.

    Dans le cas de certains documents importants, comme les certificats de naissance ou les titres de compétences, les renseignements devraient être vérifiés avec beaucoup de rigueur, comme s'il s'agissait d'une mini-vérification de sécurité. Tous ceux qui travaillent sur la colline du Parlement doivent faire l'objet d'une vérification de fiabilité approfondie. On pourrait peut-être faire la même chose, ou à peu près, dans le cas de tous ceux qui présentent une demande de passeport pour s'assurer que la demande est légitime. Une fois la vérification effectuée, on pourrait alors se débarrasser de l'information accumulée pendant le traitement de la demande.

    Quant à vérifier avec autant de rigueur l'information demandée pour des documents tels que des certificats de naissance dans le cas de bébés nouveau-nés, je ne suis pas sûr que cela soit nécessaire. À mon avis, il faudrait surtout vérifier avec rigueur les autres documents, lorsqu'on réémet, par exemple, les certificats de naissance des années plus tard ou lorsqu'on émet des documents de base au ministère de Citoyenneté et de l'Immigration, comme la carte de la citoyenneté ou la carte feuille d'érable, qui est la carte de résidence permanente. Ces deux cartes devraient être imperméables à toute tentative de fraude—comme l'est déjà la carte feuille d'érable—et leur émission devrait être faite en fonction de critères extrêmement rigoureux.

º  +-(1655)  

+-

    Le président: Au sujet de la carte de citoyenneté, que diriez-vous de l'idée d'en émettre une à tous les Canadiens, qu'ils soient nés au Canada ou pas? Vous savez que les seules personnes à obtenir aujourd'hui une carte de citoyenneté...mais je pense qu'on peut en demander une, même si on est né au Canada.

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Il est tout à fait possible de demander une carte prouvant votre citoyenneté canadienne.

+-

    Le président: Est-ce que celle-ci devrait être de facto la carte d'identité, la carte permanente dite feuille d'érable ne servant que de carte secondaire?

+-

    M. Peter Hope-Tindall: Monsieur le président, j'attire votre attention sur l'élément de protection de la vie privée lié au consentement; de ce point de vue, nous nous inquiétons de voir dans quelle mesure l'individu a le choix d'en demander une ou non et dans quelle mesure l'individu est forcé de le faire. Pour ma part, j'ai une carte de citoyenneté. Je suis citoyen canadien naturalisé. Je suis devenu citoyen canadien en 1991, et même si la carte porte une vieille photo de moi qui me donne pour certains un air patibulaire, elle porte toujours mon ancien nom, Tindall. Elle ne me sert pas vraiment à grand-chose, sauf pour obtenir mon passeport. Cela peut peut-être être très utile. Mais sauf dans ce cas, je la garde dans un coffret de sûreté. Personne n'a le droit d'exiger que je la lui montre. Mais si je désire la montrer de mon propre gré, elle peut me servir à confirmer mon identité. À mon avis, cela représente une utilisation raisonnable de cette carte, avec la protection de mes renseignements personnels.

    Cela me préoccupe beaucoup d'entendre dire qu'il faudrait obliger tout le monde à obtenir une carte. Ce qui m'inquiète beaucoup aussi, c'est que l'on permette à des gens d'exiger ce numéro de carte qui peut servir à identifier de façon tout à fait unique une personne et qui peut servir à faire des liens entre différentes situations, tout comme on se sert depuis quelque temps du numéro d'assurance sociale.

»  -(1700)  

+-

    Le président: Dernière question : devrait-on d'abord cerner le problème puis mettre au point la technologie nécessaire, plutôt que de se laisser convaincre par une solution toute faite, en espérant qu'elle conviendra à la situation?

+-

    M. Peter Hope-Tindall: J'ai l'impression que les vendeurs de technologie voudront vous convaincre qu'ils ont le système parfait à vous proposer : ce pourrait être un système biométrique assorti d'un nouveau système à trucs et machins qui résoudrait tous vos problèmes et qui coûterait la bagatelle de 10 milliards de dollars, ou presque.

    À mon avis, la meilleure façon de procéder, c'est d'abord de définir le problème, puis de trouver des solutions qui donneront des résultats. À vrai dire, ces solutions pourraient certes coûter plus cher car elles tiendront compte de la protection des renseignements personnels, mais c'est le coût à payer pour vivre dans une société libre et démocratique.

+-

    Le président: Vous avez été très généreux de votre temps et de vos pensées, les plus intimes. Nous vous en remercions.

    Au nom du comité, je vous remercie de votre généreuse contribution à notre réflexion. Nous pourrons en tirer de grandes leçons, plus nous interrogerons les Canadiens et plus nous chercherons des réponses. Nous espérons que notre rapport final traduira du mieux possible les grandes valeurs canadiennes que nous avons abordées et qui me remontent le moral.

    Merci beaucoup. Bonne chance.

+-

    M. C.E. Babb: Merci de nous avoir écoutés patiemment et d'avoir réagi à nos commentaires. Cette rencontre a été extrêmement gratifiante.

-

    Le président: C'est ce que les parlementaires sont censés faire.

    Merci beaucoup.

    La séance est levée.