CIMM Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 4 novembre 2003
¹ | 1535 |
Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.)) |
Mme Ann Cavoukian (commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario) |
¹ | 1540 |
¹ | 1545 |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
º | 1600 |
Le président |
M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Alliance canadienne) |
º | 1605 |
Mme Ann Cavoukian |
M. Grant McNally |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1610 |
Le président |
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.) |
Mme Ann Cavoukian |
M. Sarkis Assadourian |
Mme Ann Cavoukian |
M. Sarkis Assadourian |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1615 |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ) |
º | 1620 |
Mme Ann Cavoukian |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.) |
º | 1625 |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1630 |
M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD) |
Mme Ann Cavoukian |
M. Brian Masse |
º | 1635 |
Mme Ann Cavoukian |
M. Brian Masse |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
M. Massimo Pacetti (Saint-Léonard—Saint-Michel, Lib.) |
Mme Ann Cavoukian |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
M. Massimo Pacetti |
Le président |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1640 |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
M. Massimo Pacetti |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.) |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1645 |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
M. Jerry Pickard |
Le président |
M. Jerry Pickard |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1650 |
Le président |
M. Chuck Strahl (Fraser Valley) |
Mme Ann Cavoukian |
M. Chuck Strahl |
Le président |
M. Chuck Strahl |
Le président |
M. Chuck Strahl |
Le président |
M. Chuck Strahl |
Mme Ann Cavoukian |
º | 1655 |
Le président |
» | 1700 |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
M. Grant McNally |
Mme Ann Cavoukian |
» | 1705 |
M. Brian Masse |
Mme Ann Cavoukian |
M. Brian Masse |
Le président |
M. Jerry Pickard |
» | 1710 |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
M. Sarkis Assadourian |
Mme Ann Cavoukian |
» | 1715 |
Le président |
M. Chuck Strahl |
Mme Ann Cavoukian |
M. Chuck Strahl |
Mme Ann Cavoukian |
M. Chuck Strahl |
Le président |
Mme Ann Cavoukian |
Le président |
M. Sarkis Assadourian |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 4 novembre 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1535)
[Traduction]
Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.)): Bonjour, chers collègues.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la carte d'identité nationale.
J'ai le privilège de souhaiter aujourd'hui la bienvenue à la commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario, Mme Ann Cavoukian, qui nous fera part aujourd'hui de ses idées à ce sujet.
Vous vous rappellerez que des commissaires à la protection de la vie privée de partout au Canada mais aussi du monde entier ont eu l'amabilité de nous faire part de leurs opinions sur la question, dans le cadre du débat national que nous avons entamé autour de la question de la carte d'identité nationale et de la technologie biométrique.
Au nom du comité, je souhaite donc la bienvenue à Ottawa à Mme Cavoukian. Je vois que vous avez demandé à votre adjoint, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Marleau, qui a d'ailleurs déjà comparu il y a quelque temps, de vous accompagner. Bienvenue à tous les deux.
Mme Ann Cavoukian (commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario): Merci beaucoup.
C'est pour mon plus grand plaisir que M. Marleau a accepté avec bienveillance de m'accompagner aujourd'hui.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à vous faire part de mon point de vue sur la carte d'identité nationale et la technologie biométrique. Ce sont deux concepts qui, vous le savez, ont de profondes répercussions sur la population canadienne.
J'ai préparé un mémoire qui vous sera distribué sous peu. J'aimerais aujourd'hui mettre en lumière certaines des questions abordées dans le texte, avant de passer à une discussion plus générale.
Pour commencer, j'aimerais distinguer clairement les notions de carte nationale d'identité et de technologie biométrique. Il s'agit, en effet, de deux concepts tout à fait distincts.
J'espère pouvoir laisser de côté après quelques remarques préliminaires la question de la carte nationale d'identité, car, à mon avis, elle est à éliminer. On n'en a absolument pas besoin, et j'espère que je vous en aurai convaincu à la fin de mes propos. Je n'y consacrerai donc que quelques instants.
M. Robert Marleau, commissaire à la protection de la vie privée du Canada par intérim, qui a aimablement accepté de m'accompagner aujourd'hui, vous a déjà fait un excellent exposé sur le sujet, et il a longuement expliqué et en détail pourquoi il était contre la création d'une carte de ce genre. Je vous renvoie donc à son excellente comparution. Je me contenterai d'insister sur certains de ces arguments.
En premier lieu, on n'a pas encore démontré à la population canadienne le bien-fondé d'une telle carte. Or, il faudrait pouvoir la justifier de façon irréfutable, étant donné les coûts énormes qu'entraînerait la création d'une carte d'identité, à la fois du point de vue financier et du point de vue de la vie privée. Vous avez sans doute entendu dire que cette carte pourrait coûter entre cinq et sept milliards de dollars, et j'ai l'impression que cela pourrait être encore plus.
En outre, une carte d'identité nationale, qui nécessiterait d'énormes bases de données, réseau et infrastructure connexes, comme l'expliquait M. Marleau, en même temps qu'elle générerait une forte demande d'accès à l'information de la part de divers ministères, nous rendrait particulièrement vulnérables sur le plan de la vie privée et de la sécurité. Si le Pentagone peut être piraté, le piratage peut donc être considéré comme un réel danger; de plus, la collecte d'autant de renseignements personnels et leur stockage dans une seule mégabanque de données seront l'équivalent d'un Fort Knox des bases de données et renseignements personnels, et agiront comme un énorme aimant.
Je digresse, mais j'y reviendrai.
Quand je parle d'abus potentiels, je pense à la mauvaise utilisation ou à la falsification de données personnelles très délicates de la part de gens à l'interne comme à l'externe. Vous savez sans doute que dans près de 80 p. 100 des cas, il s'agit d'atteintes à la sécurité de la part, par exemple, d'employés sans scrupule. On pourrait également s'inquiéter de l'intérêt que pourrait y porter le crime organisé; ces données pourraient permettre la surveillance et le profilage malveillants de la population canadienne.
La seule justification que l'on ait présentée à ce jour et qui pourrait légitimer—même si c'est de très loin—la nécessité de se doter d'un outil de ce genre, c'est l'obligation pour le Canada de se conformer à la loi américaine, et notamment à la Enhanced Border Security and Visa Entry Reform Act. Cette loi oblige les citoyens des pays qui ne sont pas tenus de demander un visa pour se rendre aux États-Unis de présenter dès octobre 2004 un passeport lisible à la machine doté d'identificateurs biométriques. Par conséquent, d'ici la fin de l'année prochaine, les citoyens de bien des pays devront disposer, aux termes de cette loi, de documents de voyage comportant des identificateurs biométriques pour pouvoir voyager aux États-Unis.
Il est probable, toutefois, que le Canada, sera soustrait à cette exigence. Hier, quand j'étais à Washington et que je discutais de cette question, on a semblé laisser entendre qu'il ne faisait aucun doute que le Canada y serait soustrait.
Cependant, ne serait-ce que pour les fins de la discussion, je ferai comme si on nous demandait de disposer de documents de voyage comportant des identificateurs biométriques. Je crois toutefois qu'il serait de loin préférable d'inclure ces données biométriques dans le passeport canadien, qui est déjà un document de voyage, plutôt que de créer tout un nouveau système qui coûtera non seulement très cher mais qui créerait en quelque sorte un passeport intérieur qu'utiliseraient les Canadiens chez eux.
¹ (1540)
Non seulement il coûterait beaucoup moins cher d'ajouter des données biométriques à un document de voyage déjà existant, tel que le passeport, mais la collecte de ces données biométriques pourrait être également limitée aux Canadiens qui choisiraient de voyager à l'étranger. Autrement dit, il s'agirait d'un système facultatif : si vous envisagez de vous rendre à l'étranger, vous pourriez décider sciemment de faire inscrire dans votre passeport des données biométriques. C'est tout à fait différent d'imposer des données biométriques sur un document qui serait utilisé sur notre territoire.
Maintenant que j'ai parlé de l'ajout de données biométriques, j'aimerais consacrer le reste de mon exposé à l'intégration des mesures de protection de la vie privée dans les systèmes biométriques qui pourraient être envisagés de façon générale, pour des fins de voyage ou pour d'autres fins.
J'ai toujours pensé que la biométrie, si elle est conçue et mise en oeuvre en tenant compte dès le départ des principes de protection de la vie privée, peut être instaurée de façon à protéger les renseignements personnels et à respecter la vie privée. Je sais que cela peut sembler parfois contradictoire, mais c'est tout à fait possible—et nous verrons comment y arriver. Pour ce faire, cependant, il existe un certain nombre de difficultés à surmonter. L'exercice est complexe : il faut y consacrer le temps voulu et examiner les différents scénarios.
Permettez-moi de revoir avec vous pendant quelques instants les fondements de la biométrie, car pour comprendre les répercussions que peut avoir le système biométrique, il faut d'abord faire la distinction entre, d'une part, l'authentification, qui est une comparaison entre deux éléments—et je m'expliquerai dans un instant—et, d'autre part, l'identification, qui est une comparaison entre un élément biométrique et de nombreux autres.
Si l'on tient à mettre en oeuvre un système biométrique, il faut privilégier l'authentification, et la raison en est fort simple. Si l'on prend, par exemple, l'empreinte digitale, une comparaison un à un supposerait que l'on intégrerait à votre passeport cette donnée biométrique. Ainsi, lorsque vous présenteriez à l'inspecteur votre passeport au moment de traverser la frontière, celui-ci ferait lire votre passeport par une machine qui en lirait les données biométriques, en même temps qu'il vous demanderait de passer votre doigt sur un lecteur pour que ce dernier balaie votre doigt et en lise la véritable empreinte digitale. Votre empreinte digitale serait ensuite comparée à l'image qui se trouve dans votre passeport, de façon biunivoque, ce qui servirait à authentifier votre identité. La comparaison confirmerait, par conséquent, « que le doigt correspond à l'empreinte digitale inscrite sur le passeport. »
Dans les cas de comparaison biunivoque, les taux d'exactitude sont bien plus grands et la protection des renseignements personnels beaucoup plus poussée, car cette comparaison ne nécessite pas la création d'une banque de données centrale comprenant des milliers, voire des millions, d'empreintes digitales. J'aborderai dans un instant les problèmes associés à ce type de banque de données. Mais sachez que la comparaison biunivoque n'exige pas la création d'une banque de données centrale qui contiendrait un grand nombre de renseignements délicats.
Voici maintenant comment se fait l'identification dans un rapport un à plusieurs dans une banque de données biométriques. On compare votre empreinte digitale à un grand nombre d'empreintes digitales contenues dans la banque de données pour déterminer si vous êtes un terroriste ou pourriez en être un. Autrement dit, suis-je inscrit sur une liste de surveillance quelque part dans le monde? L'objectif très louable de ce système, c'est de mettre le grappin sur les criminels avant qu'ils ne pénètrent sur votre territoire.
Je ne saurais trop insister sur le fait que, dans le contexte d'applications sur une très grande échelle de milliers, voire de millions, d'empreintes digitales, le système de comparaison de un à plusieurs ne marche pas. L'un des problèmes fondamentaux dans l'utilisation des données biométriques pour des fins d'identification, comme je viens de vous le décrire, c'est le suivant : même si les taux de précision semblent être très élevés et atteindre même 99,99 p. 100, cela reste néanmoins totalement inadéquat pour des fins de sécurité dans les aéroports ou pour vérifier si quelqu'un se trouve sur une liste de surveillance de terroristes ou de criminels.
J'ai communiqué avec un cryptographe et expert en sécurité réputé, très illustre dans son domaine. Il s'agit de Bruce Schneier, qui est la référence dans ce domaine. Pour votre gouverne, il vient d'écrire un volume intitulé Beyond Fear: Thinking Sensibly About Security in an Uncertain World. Comme je connais M. Schneier, j'ai communiqué avec lui pour lui demander s'il me permettrait de le citer ici aujourd'hui. Il m'a aimablement autorisée à le faire. D'ailleurs, je recommande à quiconque s'intéresse à la question, de lire le livre en question, dans lequel il décrit avec soin pourquoi cette comparaison co-univoque ne donnera pas de résultat.
¹ (1545)
Je lui ai expliqué que je comparaissais devant le comité permanent et que je ne voulais pas que vous ayez à me croire sur parole; je souhaitais plutôt que le comité sache ce qu'en pensait le grand expert mondial dans ce domaine. Il m'a donc permis d'utiliser la citation suivante que je vais vous lire et que j'expliquerai plus en détail : « Si le taux d'erreur dans la lecture des empreintes digitales est de 1 pour 10 000—ce qui représente un taux de précision de 99,99 p. 100, ce qui est très élevé—l'empreinte digitale de la personne faisant l'objet de la vérification et qui est comparée à un million d'autres empreintes digitales produira 100 résultats positifs. » Autrement dit, si je passe mon doigt sur le lecteur optique et que celui-ci le compare à un million d'empreintes digitales qui se trouvent dans la banque de données, la lecture produira 100 résultats faux positifs, c'est-à-dire que les noms de 100 personnes dont les empreintes digitales correspondent aux miennes apparaîtront!
Revenons à la citation : « Cela se confirmera pour chaque personne faisant l'objet d'une vérification. Ce genre de système serait donc parfaitement futile, puisque chacun produirait des résultats faux positifs. Je pourrais aussi mettre en place un système semblable à 10 $ et tout aussi efficace : chaque fois qu'une personne passe dans le portillon, une petite lumière rouge s'allume. Mon système bon marché serait tout aussi efficace que votre système biométrique pour détecter les terroristes ».
Bref, ce serait parfaitement inefficace. Ce serait encore pire, car si chaque facteur biométrique produit 100 résultats, il vous faudra toute une armée de commis et d'adjoints pour faire le tri entre tous les résultats.
Je pourrai vous donner plus de détails au cours de la période de questions. Mais sachez que la biométrie n'est pas à toute épreuve. Ce n'est certainement pas un système aussi parfait qu'on veut bien vous le laisser croire au cinéma, comme dans le film Minority Report que j'ai d'ailleurs adoré. Nous n'en sommes pas encore là. Tant que la technologie ne sera pas parfaitement maîtrisée, cela ne constituera aucunement un système fiable permettant d'attraper qui que ce soit—criminels comme bons citoyens—à l'aéroport.
La difficulté vient de ce que dès que l'on veut appliquer un système sur une aussi grande échelle, il s'écroule. Non seulement on perd toute précision, mais le système ralentira tout à l'aéroport, du trafic aérien jusqu'aux voyageurs. Ce serait invivable et je m'étonne qu'on en discute toujours.
À titre de comparaison, sachez que la banque de données d'empreintes digitales du FBI en contient plus de 46 millions. L'équivalent canadien, géré par la GRC, en contient environ 2,7 millions. Si vous songez à des listes de surveillance extraites de ces banques de données ou autres types d'information, ou même si vous envisagez de comparer des centaines de milliers, voire des millions de données, c'est impensable et cela ne donnera aucun résultat. Et je n'ai même pas encore abordé les questions de protection des renseignements personnels qui justifieraient qu'on abandonne cette idée, mais sachez que du point de vue purement technique, le système échouera.
L'exemple de M. Schneier illustre clairement l'erreur que vous commettriez en croyant que la biométrie convient parfaitement pour l'identification à une grande échelle.
Il est vrai que les systèmes biométriques sont excellents pour confirmer l'identité d'une personne, c'est-à-dire pour déterminer si les données correspondent à une personne en particulier. Autrement dit, cette donnée biométrique correspond-elle à la personne X? Mais il est beaucoup plus difficile de déterminer si ces données biométriques correspondent à des données qui se trouvent dans une banque de données sur les terroristes et criminels.
Ce problème s'aggrave lorsque le système interroge non seulement la base de données de terroristes connus, mais également d'autres bases de données plus ou moins étroitement reliées pour déterminer si la personne en question est un terroriste potentiel ou pourrait menacer la sécurité publique—comme la banque de données du FBI.
Si, malgré toutes les raisons que je vous ai données de ne pas utiliser la biométrie pour des fins d'identification à grande échelle, le gouvernement du Canada persistait à vouloir mettre au point un système de ce genre, il nous faut alors nous attarder à la question des faux résultats positifs.
¹ (1550)
Le faux résultat positif survient lorsqu'on me compare à une banque de données... Mais laissez-moi d'abord vous donner un exemple de faux résultat négatif. Supposons qu'Oussama ben Laden arrive à l'aéroport Pearson et veuille entrer au Canada. Grâce à votre système biométrique, vous lui demandez de passer son doigt sur le lecteur pour pouvoir faire une comparaison co-univoque. Supposons que le système fonctionne en sa faveur et donne un faux résultat négatif : cela signifie qu'Oussama ben Laden est inscrit dans la banque de données comme criminel connu, mais que la comparaison avec le doigt du voyageur est négative et qu'on laisse entrer celui-ci au pays. Le système n'a pas identifié le voyageur comme étant Oussama ben Laden. On parle ici de faux résultat négatif, parce que le voyageur est effectivement celui qui est inscrit dans la banque de données, mais qu'il n'y a pas correspondance. La comparaison est négative.
Passons au faux résultat positif : supposons qu'à mon arrivée à l'aéroport, je m'enregistre comme étant Ann Cavoukian et que l'on compare mon empreinte digitale à la banque de données; supposons que le système m'identifie à tort comme étant Oussama ben Laden. Oubliez un instant que je suis une femme et qu'il est un homme. Le résultat sortira automatiquement et on cessera de faire d'autres recherches plus approfondies.
Je décris la situation avec un peu d'humour, je l'espère, mais je peux vous assurer que si cela s'avérait, ma vie deviendrait un enfer comme le deviendrait la vie de quiconque serait victime du système. Imaginez qu'un de vos fils soit identifié comme étant ben Laden ou n'importe quel autre terroriste par suite d'un résultat faux positif. Imaginez qu'on le méprenne pour quelqu'un qui se trouve sur la liste de surveillance de la banque de données. Quiconque serait faussement accusé de cette façon vivrait un véritable enfer.
Mais il serait tout aussi catastrophique qu'un criminel notoire, comme Oussama ben Laden, puisse duper le système avec un faux résultat négatif.
Laissez-moi maintenant revenir à mon texte.
Une personne faussement identifiée de cette façon pourrait éprouver de graves problèmes. Identifiée faussement comme une menace à la sécurité, elle subirait à tout le moins un dérangement et de l'embarras, ce qui n'est rien en comparaison de conséquences plus graves. Des retards importants pourraient survenir dans les projets de voyage. Son voyage pourrait être retardé, voire reporté. Ces problèmes peuvent être très graves à plusieurs niveaux, du point de vue humain et du point de vue financier, sans parler des interrogatoires supplémentaires auxquels la personne serait soumise, ce qui est très difficile du point de vue émotif.
Imaginez maintenant la difficulté que vous auriez à vous faire extraire de la banque de données dans laquelle vous êtes inscrit. Il vous faudrait parvenir à convaincre quelqu'un que vous avez été accusé à tort et que vous ne devriez pas être inclus dans la banque de données. Il devrait être possible pour la victime de convaincre quelqu'un de son innocence puis de faire corriger l'erreur, ce qui risque d'être extrêmement difficile. Aux États-Unis, si vous êtes à tort inscrit dans une banque de données biométriques ou autre, il vous est extrêmement difficile de vous en faire enlever. Je frissonne à l'idée que le Canada puisse vouloir faire de même.
Imaginez aussi la difficulté que vous auriez à convaincre le personnel de sécurité que la correspondance biométrique est fausse alors que le système est alors censé être infaillible.
Tant de choses peuvent mal tourner; mais je vais tenter d'être brève.
Outre les problèmes personnels que cela entraînerait pour des milliers d'innocents, imaginez un peu les problèmes d'ordre pratique que feraient surgir un grand nombre de faux résultats positifs pour le personnel de sécurité de l'aéroport. Il faudrait, au bas mot, du personnel, des ressources et des installations supplémentaires pour le traitement secondaire des personnes faussement ciblées. En outre, le nombre élevé de faux positifs pourrait paralyser le personnel de sécurité, qui tenterait de faire correspondre des clichés qui sont souvent de mauvaise qualité.
La possibilité que de simples citoyens canadiens soient faussement identifiés comme étant des menaces à la sécurité illustre l'importance d'intégrer dans tout système biométrique une procédure de recours. Cela est important même dans un système de comparaison bi-univoque, car des erreurs peuvent toujours se glisser. Il doit être possible d'établir rapidement et facilement sa véritable identité et de réfuter l'identification biométrique.
Laissez-moi aborder rapidement la question de l'usurpation d'identité pour essayer de dissiper un mythe. Une des raisons les plus souvent invoquées pour justifier, à tort, la biométrie, c'est l'usurpation d'identité. Si je vous le dis, c'est parce que c'est l'argument que l'on avait invoqué pour prôner la carte d'identité et pour prôner l'utilisation de la biométrie. Or, j'affirme que c'est exactement le contraire.
Tout élément biométrique unique contenu dans une banque de données énorme et utilisé pour lier différents éléments d'information ne fait qu'augmenter le risque d'usurpation d'identité. C'est notamment parce que la biométrie est l'équivalent d'un numéro d'identification personnelle ou NIP—comme celui que vous utilisez pour aller au guichet automatique—qu'il est impossible de modifier.
Ne vous illusionnez pas en croyant qu'il est impossible de falsifier des données biométriques. C'est tout à fait possible. D'ailleurs, mon texte vous décrit une technique très simple qui utilise un bonbon, l'ourson de gélatine.
¹ (1555)
Lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité d'un renseignement biométrique pour usurper une identité, le temps et les efforts nécessaires à la victime innocente pour rétablir son identité iront bien au-delà des 14 mois requis en moyenne pour résoudre une usurpation d'identité relativement simple résultant du vol d'un numéro d'identification personnelle ou de renseignements sur sa carte de crédit. L'acquisition d'une identité comportant un identificateur biométrique est encore plus payante. On ne peut pas sous-estimer non plus le fait que des bases de données comportant des renseignements liés entre eux au moyen de modèles biométriques représente des cibles très tentantes.
J'ai déjà expliqué que ce système deviendrait le Fort Knox des banques de données et agirait comme d'irrésistibles aimants. Les bases de données conçues pour lutter contre les terroristes et les criminels seront irrésistibles pour ces derniers. Il ne faut jamais sous-estimer le temps et les ressources qu'un pirate pourrait consacrer à accéder à un tel système.
Les systèmes actuels sont déjà la cible non pas de terroristes mais de brillants cryptographes qui s'adonnent au déplombage. Les cryptographes qui forcent le système informatique se rient souvent de la biométrie et de la facilité avec laquelle il leur est possible de mystifier en direct les logiciels pour assumer l'identité d'autrui.
Comme je l'ai dit, l'un des risques, c'est que le système biométrique soit mystifié et qu'on lui fasse accepter de fausses données biométriques en utilisant de fausses empreintes digitales, comme celles que l'on peut laisser sur des bonbons en gélatine.
Je l'ai déjà dit au début : je suis disposée à envisager le recours à la biométrie pour des fins d'identification et de comparaison biunivoques, dans la mesure où elle est assortie de garanties appropriées en matière de protection des renseignements personnels. Il existe des solutions aux problèmes que j'ai soulevés.
Laissez-moi vous donner un exemple. En 1994, lorsque la ville de Toronto, qui fait partie de mon territoire, a envisagé de recourir à la biométrie pour réduire les cas de fraude dans le régime d'aide sociale, mon bureau a collaboré avec la ville et le gouvernement de l'Ontario pendant plusieurs années pour élaborer un ensemble d'exigences qui ont par la suite été inscrites dans un texte de loi, la Loi sur le programme Ontario au travail.
Nous avons dit au gouvernement que s'il voulait bel et bien utiliser la biométrie à cette fin, il devrait respecter un certain nombre de critères afin de bien protéger la vie privée et offrir suffisamment de garanties pour que nous soyons prêts à le considérer favorablement. Nous avons ensuite demandé au gouvernement de les inscrire dans la loi, car l'affaire était trop sérieuse pour qu'elle fasse l'objet uniquement d'une décision politique.
Je dois dire à sa décharge que c'est ce qu'a fait le gouvernement ontarien. Si je ne m'abuse, cette loi est le cadre législatif le plus rigoureux qui ait été adopté, où que ce soit dans le monde, en vue de l'implantation d'un système biométrique par un organisme gouvernemental.
Cette loi prévoit plusieurs choses, mais établit que, pour utiliser le système biométrique aux fins de l'aide sociale, plusieurs critères doivent être respectés. Ce sont notamment que les renseignements biométriques doivent être stockés sous forme codée; que les renseignements biométriques originaux doivent être détruits après l'encodage; que les renseignements biométriques stockés ne peuvent être transmis que sous forme codée.
Voici maintenant le critère le plus important, que je vais vous lire : « Ni le directeur ni un administrateur ne pourront implanter un système qui puisse reconstituer ou reproduire l'échantillon biométrique original à partir de l'information biométrique codée ou un système qui puisse comparer l'échantillon à une copie ou à une reproduction des renseignements biométriques qui n'ont pas été obtenus auprès de la personne concernée.»
Autrement dit, il ne serait pas possible d'avoir un détournement de l'utilisation des renseignements biométriques de la banque de données, puisque lesdits renseignements ne pourraient être utilisés que pour les fins déclarées. Il doit donc être parfaitement impossible pour le système de comparer ses propres images biométriques à celles d'une autre banque de données établie à d'autres fins.
Je terminerai avec les cinq grands principes qui, à mon avis, doivent être respectés avant que l'on envisage l'instauration d'un système biométrique au Canada.
En premier lieu, le gouvernement doit énoncer clairement le problème qu'il compte résoudre par l'instauration d'un système biométrique. Cela semble peut-être sauter aux yeux, mais je me devais de le répéter.
En deuxième lieu, des consultations élargies doivent avoir lieu, pour permettre aux nombreux groupes d'intérêts du Canada de faire part de leurs points de vue.
Troisièmement, il faut adopter une loi qui limite l'utilisation des renseignements biométriques à des fins précises et assujettisse la collecte, l'utilisation et la divulgation des renseignements biométriques à des limites claires.
º (1600)
En quatrième lieu, il faut assurer une surveillance rigoureuse, efficace et indépendante de tous les procédés associés aux renseignements biométriques par l'entremise, par exemple, du commissaire à la vie privée du gouvernement fédéral.
Cinquièmement, une évaluation complète de l'incidence sur la vie privée doit être effectuée, de même qu'il faut mener une évaluation complète du système pour déterminer les points forts et les faiblesses sur le plan de la vie privée.
Je l'ai déjà dit : Il est important de bien concevoir et de bien gérer un système biométrique. Avec un bon cadre législatif, des normes de conception visant à protéger la vie privée et des mesures de surveillance, il est possible d'instaurer un système biométrique tout en assurant la protection de la vie privée. Cependant, pareil système peut devenir de fait un système d'identification s'il est utilisé de façon abusive et instauré de manière inadéquate, ce qui aurait des effets néfastes sur la société. À mon avis, ce n'est pas une vision canadienne de voir les choses.
Enfin, je vous remercie de m'avoir invitée à vous faire part de mon point de vue sur cette question. Merci de votre attention et du temps que vous m'avez consacré. Votre comité se livre actuellement à un débat public essentiel sur un sujet qui se répercutera sur toute la population canadienne. Je vous félicite de vos efforts et je ne saurais vous dire à quel point la protection de la vie privée est chère à tant de Canadiens. Nos libertés sont au coeur même de ce que nous chérissons dans notre pays, et la protection des renseignements personnels est justement l'une de ces libertés si chéries.
Merci beaucoup; je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président: Je tiens à vous remercie, Ann, pour un mémoire très exhaustif. Il ne fait aucun doute que vous possédez beaucoup d'expérience dans ce domaine et que vous avez beaucoup réfléchi à la question, et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous parler ici pour nous faire part de votre expérience surtout en ce qui concerne la question de la biométrie.
Donc au nom du comité, je tiens à nouveau à vous remercier pour les renseignements très utiles que vous nous avez donnés aujourd'hui. Je suis sûr que nous aurons beaucoup de questions à vous poser.
Grant.
M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Alliance canadienne): Je vous remercie, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier, madame Cavoukian, pour votre présentation.
Je suppose que si vous avons l'intention d'adopter la carte d'identité nationale, nous devrons aussi interdire les oursons de gélatine.
Je suppose en fait que l'élément le plus important qui se dégage de cette partie de votre présentation, c'est que la technologie n'est pas infaillible et qu'essentiellement nous faisons fausse route en mettant nos espoirs dans un système qui ne nous donnera pas vraiment ce que nous voulons, à savoir une sécurité accrue.
Vous avez dit que l'authentification représenterait le meilleur système biométrique si on avait recours à la biométrie. Pourtant, même avec un tel système, si quelqu'un se procurait de façon frauduleuse des documents de base nécessaires pour obtenir un passeport—c'est-à-dire un faux numéro d'assurance sociale ou un faux permis de conduire ou un document de ce genre—ces documents pourraient être utilisés pour obtenir un passeport. Ne sommes-nous pas alors en train d'introduire ce même défaut dans le programme biométrique?
º (1605)
Mme Ann Cavoukian: Oui, vous avez tout à fait raison. L'authentification ne permettra qu'un seul point de comparaison. Elle permettra de s'assurer que la personne qui détient les documents de voyage correspond à la personne dont l'empreinte est lue. Mais pour s'assurer de la véritable identité de la personne munie du document de voyage, il faut un système d'inscription extrêmement solide. Car c'est au moment de l'inscription que l'identité est établie. Donc il serait effectivement possible pour une personne qui s'inscrit de présenter de faux documents et d'obtenir un passeport qui porte ses indicateurs biométriques.
Je m'utiliserai comme exemple. J'obtiens des faux documents et je me présente sous l'identité de Ann Smith. J'obtiens un passeport sous le nom de Ann Smith. À partir de ce moment-là, je serai Ann Smith, et mes indicateurs biométriques correspondront aux indicateurs biométriques de Ann Smith sur le passeport. J'aurai authentifié cette identité.
L'une des notions les plus difficiles avec lesquelles nous aurons à nous débattre comme société, c'est comment établir sa véritable identité. Comment peut-on établir sa véritable identité? C'est une question extrêmement difficile et complexe. Mais je tiens à vous assurer que la biométrie n'apporte aucune garantie à cet égard, parce qu'on peut tromper la biométrie; des gens peuvent obtenir des documents au moment où ils tâchent d'établir leur véritable identité, qui seront également de faux documents. Je ne veux pas dire qu'il s'agit d'un processus simple, l'établissement de la véritable identité lors de l'inscription, mais nous devons réfléchir au meilleur moyen, au niveau mondial, de nous assurer que les documents de voyage sont effectivement remis aux bonnes personnes.
C'est une question très complexe. Il ne suffit pas de dire que nous aurons un indicateur biométrique qui nous permettra de faire la comparaison.
M. Grant McNally: À votre avis, la meilleure utilisation que nous pourrions faire de nos ressources consisterait-elle alors à améliorer la sécurité de ces documents de base, au lieu de consacrer des milliards de dollars dans un programme qui nous donnera un faux sentiment d'espoir, et selon votre témoignage, qui aggravera les atteintes de toutes sortes à la sécurité si les renseignements personnels concernant les citoyens se retrouvent dans ces autres domaines?
Si nous optons pour ce programme de carte d'identité nationale, n'allons-nous pas empirer la situation au lieu de l'améliorer? Ne devrions-nous pas consacrer de l'argent à...
Mme Ann Cavoukian: À mon avis, ce serait bien pire. En effet, on aurait alors, je suppose, un faux sentiment de sécurité, sans le moindre fondement.
Quelqu'un m'a demandé, faites semblant que vous participez à un débat : Si vous étiez pour la partie adverse, pourriez-vous défendre une carte d'identité nationale? Je suis plutôt ingénieuse, mais je n'ai rien trouvé. Vraiment pas. C'est qu'il n'y a aucune raison de mettre en place un système comme celui-là, de dépenser des milliards de dollars pour se retrouver avec moins que rien.
Le président: Je peux trouver plusieurs personnes qui le contesteraient.
Mme Ann Cavoukian: J'ai hâte. C'est la raison pour laquelle je suis ici. Je donne mon opinion personnelle.
Je partage votre avis, je pense que nous pouvons consacrer nos ressources à travailler avec les autres pays afin de trouver le meilleur système, le système le plus solide et le plus sécuritaire possible à mettre en place pour l'inscription, pour identifier qui vous êtes. Vous savez, dans plusieurs autres pays... Regardez EI AI et les Israéliens et la façon dont ils déterminent si vous présentez un risque sur le plan de la sécurité. Ils comptent beaucoup sur le facteur humain, sur l'intervention humaine, sur des impressions. Je pense qu'il nous faut inclure certains de ces aspects.
Il n'y a pas de solution miracle. Penser qu'on peut compter sur la technologie, surtout sur la biométrie serait une erreur. Si vous parlez aux biométriciens de partout au monde—j'ai choisi M. Bruce Schneier parce que je pense qu'il est à l'avant-garde dans ce domaine—vous parlez doucement. Ce que je dis n'est pas controversé. Et ils sont tous d'accord pour dire que dans le cas d'une application généralisée, oubliez cela—ça ne fonctionnera pas. Mais on ne semble pas vraiment bien l'exprimer. J'espère que maintenant cela commence à se faire.
º (1610)
Le président: Sarkis.
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.
Je vous souhaite la bienvenue madame. Je suis enchanté de vous voir. Nous nous connaissons depuis de nombreuses années et c'est un plaisir de vous revoir.
Je constate aussi que Big Brother est là derrière vous. Robert Marleau vous surveille.
Ann, il y a deux semaines, on a diffusé un documentaire à la télévision, je crois que c'était à CBC, sur les plaques d'immatriculation. Si un criminel met la main sur vos plaques, dépense 200 $, il peut obtenir toutes sortes de renseignements à votre sujet, ce qu'il veut. Je pense que c'est vous ou quelqu'un d'autre au gouvernement ontarien qui avez dit que cela s'est effectivement produit, mais les avantages sont beaucoup plus grands que les quelques éléments criminels qui utilisent cette information pour usurper votre identité. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
J'ai quelques questions, et je vais toutes les poser.
Vous avez dit que cette carte coûtera entre cinq et sept milliards de dollars. Avez-vous une idée de ce que coûtent les permis de conduire de l'Ontario—simplement une idée? Vous n'avez pas à me répondre maintenant, vous pouvez l'inclure dans votre réponse.
Vous mentionnez également que 99,9 p. 100 d'exactitude, c'est insuffisant. J'aimerais donc savoir si la technologie existait, est-ce que vous adopteriez une carte biométrique si le taux d'exactitude était de 100 p. 100?
Ma dernière question découle du fait que vous avez dit qu'Israël utilise le jugement humain pour déterminer si une personne est ou non un terroriste. Le gouvernement américain fait cela aussi depuis deux ans. J'ai été interpellé deux ou trois fois et insulté tout simplement parce que je suis né en Syrie. Je n'y suis pour rien. Vous probablement...
Mme Ann Cavoukian: J'ai été interpellée moi aussi.
M. Sarkis Assadourian: C'est ce que donne le jugement humain, cela n'a rien à voir avec ce que je fais, mais avec mon nom, mon lieu de naissance, mon passeport. On a vérifié mon passeport. On a dit : « Vous vous êtes rendu dans des pays arabes? » J'ai répondu : « Oui. Pourquoi? Comme député, je voyage, et alors? » On m'a alors demandé pourquoi je m'étais rendu là et j'ai dit : « Excusez-moi, pourquoi ne pas venir et écouter? »
Ce genre d'intervention humaine est tout à fait injuste lorsqu'on en abuse.
Je veux également mentionner qu'aujourd'hui, je parlais de l'affaire Arar. On nous a dit que dans le cas d'Arar, on s'était trompé d'identité, ou qu'il y avait eu confusion à cause de son second prénom. Or, il a dit qu'il n'avait pas de second prénom.
On peut remédier à ce genre de choses en utilisant une bonne carte d'identité—une carte biométrique.
Voilà donc quatre ou cinq questions à votre intention.
Mme Ann Cavoukian: Monsieur Assadourian, je vais commencer par la fin. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Depuis le 11 septembre—et je vais très souvent aux États-Unis pour parler à l'occasion de toutes sortes d'événements— je suis régulièrement interpellée. Je suis arménienne tout comme M. Assadourian. Nous sommes nés ailleurs qu'au Canada. Je suis persuadée que ce n'est pas par hasard, c'est à cause de ces facteurs qu'on nous arrête pour un deuxième examen.
Je peux vous assurer que cela ne me plaît pas plus qu'à vous. C'est très difficile à subir, et il faut être très calme et dire : « Évidemment, je vous en prie, posez-moi toutes les questions que vous souhaitez. » C'est très difficile. Je partage votre préoccupation.
Je peux vous dire qu'en ce moment, si nous mettons en place un système biométrique à des fins d'identification, du genre co-univoque, non seulement vous et moi allons être interpellés chaque fois, mais tous ceux qui sont dans cette salle, dans ce pays, le seront aussi. On s'ingérera ainsi dans la vie des Canadiens moyens de façon quotidienne. Ce sera intenable. À vrai dire, cela ne se produirait pas. On tenterait l'expérience pendant une semaine et le tollé serait tel que ce serait fini. On dépenserait donc des milliards de dollars pour démanteler le système.
Je ne sais pas—vraiment je ne sais pas, monsieur—ce que coûte un permis de conduire. Vraiment pas, et je ne vais pas me risquer à deviner. Mais je vais...
M. Sarkis Assadourian: Excusez-moi. Comment savez-vous que cela coûtera entre cinq et sept milliards de dollars...
Mme Ann Cavoukian: Ce sont les prévisions qui ont été...
Le président: Ce sont les prévisions.
Mme Ann Cavoukian: Oui, de plusieurs sources. J'ai les mêmes prévisions que vous et c'est ce que j'ai utilisé.
Je ne veux pas trop parler du registre des armes à feu, mais si je comprends bien, on a dépensé au-delà d'un milliard de dollars, et c'était pourtant assez simple. Il s'agit d'une base de données de noms et d'adresses, qui possède quelle arme, où. C'est simple et jusqu'à présent, cela a coûté un milliard de dollars et ça ne fonctionne pas.
Pensez-vous vraiment que vous allez pouvoir mettre en place un système complexe pour seulement sept milliards de dollars? Dans mon esprit, ce sera dix fois plus. Je pense que cela coûtera beaucoup plus parce qu'il y aura un très grand nombre d'erreurs et qu'il faudra continuer à mettre en place...
Une voix: Environ 70 milliards de dollars?
º (1615)
Mme Ann Cavoukian: Je sais, j'exagère, mais cela ne me surprendrait pas du tout. Tout ce que je dis, c'est que je ne pense pas que ces sommes soient exagérées.
En ce qui concerne le permis de conduire en Ontario—les numéros de plaque d'immatriculation—en fait, n'importe qui peut obtenir les numéros de plaque, les noter, aller au ministère des Transports et obtenir l'information pertinente. Depuis 1987 que je suis en poste, nous tentons d'apporter des changements à ce système.
Nous avons travaillé avec les représentants du ministère des Transports et nous avons réussi à obtenir un succès bien modeste, mais c'est quelque chose. Par le passé, nous recevions des plaintes de femmes qui, par exemple, se rendaient dans un bar en fin de semaine, s'amusaient bien et rentraient à la maison en voiture. Un homme avait peut-être demandé son nom et son adresse à une femme qui avait refusé en disant bonsoir. Il suffisait alors de la suivre, de noter le numéro de la plaque, d'aller au ministère des Transports et d'obtenir son nom et son adresse—l'information la plus essentielle—pour ensuite l'ennuyer. C'était évidemment inacceptable.
Nous avons travaillé pendant des années avec le ministère des Transports et nous avons réussi à faire supprimer l'adresse personnelle. Donc si quelqu'un essaie de l'obtenir maintenant, c'est impossible. Ça ne vous semble peut-être pas un grand succès, mais il nous a fallu longtemps pour y parvenir.
Il existe de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi l'information est diffusée au public, aux forces de l'ordre, aux forces policières, aux pouvoirs publics, aux responsables du stationnement, aux ambulanciers. Il y a une longue liste que je serais heureuse de discuter avec vous. Nous avons des rapports sur ce sujet. Nous tentons d'ajouter un plus grand élément de protection de la vie privée.
Le fait est que dans notre société, certains renseignements sont rendus publics sous prétexte que c'est à l'avantage de la société.
Merci.
Le président: Madame, je vous demanderais d'être un peu plus brève dans vos réponses.
Mme Ann Cavoukian: Excusez-moi. J'ai tendance à parler et...
Le président: Tous veulent vous poser des questions et il ne reste qu'environ une heure.
Mme Ann Cavoukian: Je serai brève. Merci.
Le président: Merci.
Madeleine.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Je veux tout d'abord vous remercier d'être parmi nous cet après-midi.
J'ai écouté votre présentation, que j'avais eu le temps de lire presque complètement déjà, avec beaucoup d'intérêt. Or, j'ai été réjouie d'entendre que vous étiez extrêmement critique quant à la mise en oeuvre d'un fichier central. Pour ma part, c'est l'éventualité qui me perturbe le plus. Je suis donc rassurée de constater que je ne suis pas la seule. En outre, vous avez souligné la nécessité de mener une vaste consultation avant de procéder à la mise en oeuvre d'un système de cette importance. La mise en application d'un genre de carte d'identité pour les bénéficiaires de l'aide sociale à Toronto pourrait possiblement être considérée comme un projet-pilote.
À ce sujet, je voudrais vous demander comment, en pratique, la Ville de Toronto a mené sa consultation. S'est-elle limitée à la ville de Toronto ou s'est-elle au contraire étendue à toute la province de l'Ontario?
J'aimerais aussi savoir si, après un peu moins de 10 ans d'utilisation, vous êtes en mesure de nous dire si une opération de ce type a rapporté suffisamment de bénéfices pour que vous puissiez affirmer avoir fait le bon choix.
Il s'agit de questions auxquelles vous pourrez sûrement répondre très facilement. J'en aurai d'autres par la suite, à condition que M. le président veuille bien me donner la parole.
º (1620)
[Traduction]
Mme Ann Cavoukian: Merci beaucoup.
Au sujet de la ville de Toronto, il faut savoir qu'aucun système n'a été restauré.
Le projet se limitait à la ville de Toronto, et de nombreuses consultations publiques avaient été menées auprès des habitants de la ville. Il y avait eu des audiences à l'Hôtel de ville au cours desquelles différents groupes de citoyens s'étaient présentés. C'est tout à leur honneur, comme je l'ai déjà dit, de nous avoir consultés longuement et d'avoir élaboré, avec le gouvernement provincial, une liste de critères à respecter.
J'ai été moi-même surprise, car les critères que nous avions proposés à des fins de protection des renseignements personnels étaient extrêmement élevés. Pour nous, c'étaient les seuls qui étaient acceptables, et la ville y avait souscrit.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent que le projet de la ville de Toronto n'ait pas été poursuivi, notamment pour des raisons d'ententes contractuelles. La ville n'a pas réussi à trouver le bon fournisseur, car elle voulait avoir un système de comparaison co-univoque, avec un rapport de un à plusieurs. La ville voulait comparer les assistés sociaux qui se présentaient à ses bureaux à une banque de données des assistés sociaux qui recevaient déjà un chèque de bien-être, pour s'assurer que les demandeurs n'essayaient pas d'obtenir un deuxième chèque.
Je ne me souviens plus du nombre exact, mais je crois que la banque de données comprenait plusieurs centaines de milliers d'empreintes digitales. Rappelez-vous ce que je vous ai dit plus tôt : la comparaison est extrêmement difficile dans ces cas-là; elle prête le flanc à beaucoup d'erreurs et problèmes. La ville a donc eu énormément de mal à trouver un fournisseur qui soit capable de faire quoi que ce soit sur une aussi vaste échelle. Elle a fini par trouver quelqu'un qui a sous-traité le projet, et elle s'est rendue jusqu'à l'étape du projet pilote, qui n'a pas produit les résultats attendus. Le projet était semé d'embûches et d'erreurs.
Ce n'était même pas les questions de protection des renseignements personnels qui ont fait achoppé le projet, à ce moment-là. Nous n'en étions même pas parvenus à cette étape-là, parce que le système n'a jamais démarré vraiment et n'a pas réussi à surmonter les problèmes de conception et a dû être abandonné. Mais je me réjouis, car il nous a permis d'obtenir une loi formidable qui est considérée comme la plus avant-gardiste qui soit dans le monde entier. Les résultats ont donc été bénéfiques.
Mais comme le système n'existe toujours pas, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: On a un projet de loi qui semble prévoir des balises intéressantes, mais tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas été mis en vigueur, tout cela restera, en fin de compte, assez hypothétique.
À mon avis, nous ne sommes pas très avancés: nous avons un beau projet, mais comme il n'a pas été mis de l'avant, c'est comme si nous n'en avions pas.
[Traduction]
Mme Ann Cavoukian: Permettez-moi de réagir rapidement.
Le cadre législatif proposé est excellent. Ce que je crains, c'est que si la loi devait être rédigée aujourd'hui, elle ne serait pas aussi musclée qu'il le faudrait. Rappelez-vous que, à l'époque, la ville de Toronto et le gouvernement ontarien étaient tous deux déterminés à mettre de l'avant le projet et à le faire fonctionner. Ils ne voulaient donc pas que les questions de protection des renseignements personnels deviennent un obstacle.
Ils étaient déterminés à trouver une solution lorsqu'ils nous ont pressentis. C'est pourquoi, lorsque nous avons proposé nos propres critères pour la protection des renseignements personnels, ils les ont acceptés. Je ne sais si ce serait le cas aujourd'hui. Mais votre cadre est très serré.
Vous avez raison de dire qu'il doit être mis à l'épreuve. Je serais ravie de le faire pour vous. S'il respectait les normes, nous serions en bonne posture.
Le président: Je crois que M. Marleau s'est déjà engagé à rédiger la loi pour notre compte si c'est ce que nous décidons de faire. Je le vois hocher la tête avec enthousiasme.
Raymonde.
Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je suis allée à Washington le printemps dernier, et un certain nombre de représentants du gouvernement américain m'ont parlé de la biométrie et de la façon dont ils s'en servaient à l'interne au sein d'un gouvernement très complexe. Cela voulait dire des cartes d'identité pour absolument tous les Américains et dans certains cas pour les non-Américains qui travaillent pour le gouvernement des États-Unis n'importe où dans le monde. Que ce soit aux Philippines, à Haïti ou à Washington, tout le monde avait ou devait avoir dans un avenir très rapproché, une carte d'identité biométrique qui préciserait par exemple que cette personne aurait accès à l'immeuble A mais non à l'immeuble B, etc.
Or, j'imagine qu'il faut pour cela une très grande base de données, car il y a des milliers et des milliers de fonctionnaires américains partout dans le monde. Vous êtes sans doute au courant. J'aimerais que vous nous parliez de la correspondance co-univoque. Vous dites qu'il y a une correspondance biunivoque et qu'il y a également une correspondance co-univoque, et qu'il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre les deux car il s'agit de deux cas très différents. Je suis d'accord là-dessus. Donc, j'aimerais tout d'abord que vous fassiez quelques observations à ce sujet.
Ensuite, en ce qui a trait à ce que vous appelez le processus d'inscription et ce que nous appelons les « documents de base », les certificats de naissance, etc., au Québec, la loi vient tout juste d'être révisée à l'égard de ces documents. Cela n'a pas été facile. Il est très difficile de prouver son identité.
S'il est difficile de prouver l'identité de quelqu'un qui est né au Québec ou au Canada, alors imaginez comme cela peut être difficile de le faire pour quelqu'un qui est né à l'extérieur du continent nord-américain ou à l'extérieur des États-Unis et du Canada, dans un pays où il se peut que l'identité, ou le lien avec la famille ou la collectivité en général, ne soit pas aussi statique qu'il l'est dans notre culture. Sans vouloir nommer le pays, je pense que vous savez de quoi je parle. Ces documents de base sont certainement un gros problème.
Or, nous avons eu un problème ici au gouvernement, il y a deux ans je crois. Je veux parler ici de la possibilité d'une base de données centrale, où nous avons constaté que DRHC, Développement des ressources humaines Canada, avait facilité la communication entre différents systèmes afin de faciliter les services à la population canadienne. Nous savons que nous avons ensuite été obligés de démanteler tout le système et de redonner toutes les données aux personnes intéressées. Cela représentait des millions et des millions d'éléments d'information.
Ce sont là tous des éléments d'information que je mets ensemble, de toute évidence.
En Ontario, comment envisagez-vous de contrôler la surveillance de ces bases de données? Parce que vous avez des bases de données. Il y a le permis de conduire. Le permis de conduire n'est pas une correspondance biunivoque. Je ne pense pas que M. Assadourian mette en fait le doigt sur une machine. Je pense qu'il y a aussi une carte de santé, pour laquelle il n'y a pas non plus de correspondance biunivoque.
Étant donné les facteurs que je viens tout juste de mentionner, comment peut-on contrôler l'authenticité du document, que la personne est vraiment celle qu'elle dit être? Deuxièmement, comment peut-on contrôler l'information afin qu'on ne se retrouve pas petit à petit avec un autre système du genre Big Brother?
º (1625)
Mme Ann Cavoukian: Vous avez tout à fait raison. Vous soulevez d'excellentes questions.
En ce qui concerne l'idée de l'usage abusif des renseignements personnels, c'est que l'information qui avait été recueillie à certaines fins au moment de sa collecte était utilisée plus tard à d'autres fonctions ou à d'autres fins sans que cela n'ait été autorisé—cela montre bien où se produit le détournement d'utilisation.
C'est une question qui préoccupe les commissaires à la protection de la vie privée tous les jours. Il n'est pas nécessaire de recourir à la biométrie pour avoir cette préoccupation. À l'heure actuelle, nous nous assurons que les ministères qui relèvent de notre compétence respectent les exigences des lois sur la protection de la vie privée que nous faisons tous observer.
Nous veillons à faire observer la loi sur la protection de la vie privée en Ontario, par exemple. La loi le dit très clairement : on recueille des renseignements à des fins bien précises; on détermine le lien entre les données et le sujet, le citoyen; on limite ensuite l'utilisation de l'information à cette fin à moins d'avoir le consentement de la personne sur lesquelles les données ont été recueillies afin que ces dernières soient utilisées à d'autres fins.
Ce n'est pas facile à faire. Mais la façon dont nous le faisons lorsque nous travaillons avec des ministères qui disent : « Nous avons tous ces renseignements de programme »—la santé a des renseignements de programme; les transports ont de l'information sur les permis de conduire, le ministère du Revenu a de l'information sur les impôts.... Et ils comprennent que tous ces renseignements doivent être gardés séparément; l'information ne peut simplement pas être combinée, sinon elle se retrouvera avec le scénario de DRHC.
Cependant, ils nous disent : « Ce serait vraiment utile et pratique pour les citoyens de cette province d'avoir des renseignements comme le nom et l'adresse. Si on fait un changement d'adresse, ne serait-il pas logique d'avoir un point d'entrée où un citoyen peut s'adresser pour dire qu'il a changé d'adresse, et cette information serait envoyée à tous les différents programmes? »
Nous écoutons ces suggestions. Elles me semblent logiques. C'est ce que nous appelons les données de base. Nous écoutons—nous nous targuons d'être raisonnables—et nous disons : « Très bien, cela a du bon sens. Je suis un citoyen; je voudrais faire cela tout autant que n'importe qui d'autre. Pourquoi ne pas traiter l'information de cette façon? »—un peu comme une roue, avec le centre et les rayons de la roue. On peut créer un système où l'on a un point d'entrée des données pour les données de base—le nom, l'adresse, le numéro de téléphone, des renseignements qu'il faut communiquer à tous les ministères du gouvernement—mais ce sont là les seuls renseignements que l'on partage. Ces renseignements peuvent être donnés aux ministères, mais les divers ministères ne peuvent renvoyer les renseignements à un noyau central unique.
Vous avez peut-être entendu dire que l'Ontario sous l'ancien gouvernement envisageait de mettre en place une carte à puce. Cette carte visait à faire quelque chose comme cela, c'est-à-dire harmoniser les données de base et avoir un point d'application. Les données de base sont les renseignements de base. Lorsque nous leur avons parlé—nous voulons être raisonnables et écouter leurs préoccupations—nous avons insisté pour que les renseignements de programme qui sont en fait des renseignements sur la santé, le dossier de conduite automobile, les dossiers d'impôt, ne puissent jamais être combinés, partagés, ou même puissent faire l'objet d'usage abusif à des fins qui n'étaient pas prévues au moment de leur collecte. Nous avons constaté que nos ministères étaient très sensibles à ce problème.
Je pense qu'à DRHC, cela s'est produit avec le temps. Je ne voudrais pas spéculer, mais c'est le résultat. C'est ce qui peut arriver et c'est pourquoi nous devons rester extrêmement vigilants.
M. Fontana m'a demandé de conclure, alors je vais dire une autre chose au sujet des documents de base. Vous avez tout à fait raison; je pense que la plus grande difficulté pour notre société est le problème de la gestion d'identité et de l'utilisation adéquate et de la création de documents de base qui sont sûrs—et en fait, qui correspondent réellement à la personne : il s'agit d'un problème extrêmement complexe. Je ne veux même pas laisser entendre que j'ai les réponses à ces questions. J'ai certaines idées. Je pense que cela pourrait faire l'objet d'un autre exposé comme celui-ci, et je serais heureuse d'en discuter avec vous davantage.
º (1630)
M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD): Madame, vous avez fait un bon résumé dans votre exposé. Un autre point intéressant que l'on oublie parfois est la raison pour laquelle nous faisons cela. Il faut faire une analyse coûts-avantages, tout en soulignant que ce sont les États-Unis qui exigent que nous débattions de cette question.
Pouvez-vous nous parler davantage de votre voyage récent à Washington et de ce que vous avez entendu là-bas? On craint que le Canada soit obligé de participer. Nous aurons peut-être une exemption ou l'exemption fera peut-être en sorte que le tout soit reporté. Que pensez-vous de la situation actuelle et de ce qui va arriver à cet égard? Cela pourrait avoir plusieurs conséquences qui pourraient réellement affecter le bien-être socio-économique de notre pays.
Mme Ann Cavoukian: Je n'en sais pas plus que quelqu'un d'autre, mais je pense que nous serons exemptés de l'exigence de produire un identificateur biométrique pour nous rendre aux États-Unis d'ici octobre 2004. C'est la date qu'on nous a donnée.
Je dis cela car lorsqu'on parle aux Américains, ils nous considèrent comme leurs voisins. Nous partageons une très longue frontière avec eux. Ils ne veulent pas nous empêcher de nous rendre dans leur pays pour un certain nombre de raisons, la plus importante étant d'ordre économique. Pensez à tous les retraités qui passent l'hiver dans le sud en Californie, en Floride et en Arizona. Est-ce qu'ils veulent vraiment limiter ces voyages et les rendre plus difficiles?
Je me rappelle que peu après les attentats du 11 septembre on a resserré les exigences à la frontière, ce qui est compréhensible, et les gens qui ont protesté le plus fort étaient ceux qui vivaient dans les villes frontalières aux États-Unis—à Détroit et Windsor, et il y en a beaucoup au pays—car cela nuisait au commerce. Ils ne faisaient pas autant d'affaires qu'ils en faisaient habituellement avec les Canadiens. Ils ont donc protesté haut et fort auprès de leurs législateurs qui ont changé les choses.
Donc, je pense que nous oublions parfois que les Américains veulent que nous voyagions tout autant que nous le voulons, et qu'ils nous considèrent comme un voisin amical. Naturellement, nous devons régler les problèmes de sécurité. Nous avons une très longue frontière. Donc, je pense que si nous pouvions peut-être les voir sous un jour différent, tenter de coopérer pour voir comment nous pouvons ensemble régler ce problème au niveau de la gestion de l'identité et de la sécurité des documents de voyage, nous pourrions très bien travailler ensemble.
Je n'ai pas du tout eu l'impression que les Américains souhaitaient nous empêcher de nous rendre dans leur pays, rendre notre vie plus difficile ou imposer un identificateur biométrique. Je n'ai pas du tout eu cette impression.
M. Brian Masse: Je suis heureux de vous entendre dire que le commerce avec les Canadiens est important pour eux également. Je crois qu'il y a 38 ou 39 États pour lesquels nous sommes le principal partenaire commercial. Je suis de Windsor en Ontario et je peux vous dire jusqu'à quel point cela a affecté notre ville.
Cela est intéressant, car je sais que M. Assadourian a parlé du système d'enregistrement d'entrée et de sortie du territoire aux fins de sécurité nationale. C'est une question que j'ai soulevée et pour laquelle le gouvernement, je crois, n'a pas fait suffisamment, et je crois que le gouvernement n' a pas fait suffisamment pour les 17 pays, je crois, qui sont considérés dans la catégorie des pays ayant une sous-citoyenneté. Ce sont des citoyens canadiens du Liban, de la Syrie, et d'une série de pays qui n'ont pas le droit d'entrer aux États-Unis sans qu'on ne prenne leurs empreintes digitales et leur photo.
Dans ma circonscription, j'ai des médecins, des avocats, des gens dont le travail consiste à sauver des vies, qui sont considérés comme un risque pour la sécurité lorsqu'ils traversent la frontière. C'est de l'hypocrisie.
Qu'arriverait-il si leur information biométrique se retrouvait sur une carte avec leur nationalité? Nous avons des citoyens canadiens qui ont leur citoyenneté, mais leur nationalité pourrait donner lieu à une catégorisation différente pour eux dans un système biométrique. Quelle serait la meilleure façon pour nous de traiter ces renseignements personnels? Car ils seraient immédiatement traités différemment s'ils allaient aux États-Unis car de toute évidence on les arrêterait immédiatement en raison de leur nationalité.
º (1635)
Mme Ann Cavoukian: Mais je pense que ça arrive maintenant—et je dis cela parce que je suis d'origine arménienne. Je ne suis pas née ici, et j'aurais voulu que mes parents attendent seulement encore quatre ans car alors je serais née ici. J'ai toujours dit que dans un passeport, il devrait y avoir une case où on pourrait noter ce genre de chose.
Le lieu de naissance figure déjà dans le passeport. Même si cela n'indique pas nécessairement la nationalité, l'information est déjà partagée. Cela se fait à l'échelle internationale en vertu d'un protocole national.
Si l'on disposait de données biométriques qui permettaient une comparaison biunivoque, les choses seraient plus simples car comme je l'ai dit, même si ce type de comparaison n'est pas à toute épreuve, il est beaucoup plus fiable, et si le gouvernement l'adoptait, ce serait beaucoup plus facile.
Prenez par exemple le système CANPASS. Il existe actuellement pour les entrées aux États-Unis. Je pense qu'il fait intervenir la reconnaissance de la configuration de la main, et c'est un système volontaire, ce qui fait toute sa valeur. J'y ai à vrai dire songé car les choses seraient alors beaucoup plus simples. Le passage est automatique. Si les données biométriques sont acceptables et que la comparaison est biunivoque, cela facilite l'entrée dans un pays.
En fait donc, cela peut faciliter les choses. Les problèmes ne seront peut-être pas écartés, mais cela réduit au minimum le besoin de fournir les renseignements personnels que vous avez évoqués.
M. Brian Masse: Il nous faudrait leur faire accepter que nos ressortissants canadiens de telle ou telle origine ne menacent pas leur pays, chose que nous devons prouver de toute façon. C'est à cela qu'il faut en venir, je suppose.
Mme Ann Cavoukian: En effet.
Le président: Merci, Brian. Vous y êtes parvenu.
Nous passons à Massimo.
M. Massimo Pacetti (Saint-Léonard—Saint-Michel, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je suis heureux de vous rencontrer.
Rapidement, vous avez commencé par dire qu'il y a deux questions distinctes en l'occurrence, la carte d'identité et les données biométriques. Pensez-vous que nous avons besoin d'une carte d'identité nationale?
Mme Ann Cavoukian: Non, absolument pas.
M. Massimo Pacetti: Comment allons-nous identifier quelqu'un qui ne conduit pas ou qui ne voyage pas?
Mme Ann Cavoukian: Il existe en Ontario ce que nous appelons la carte de majorité qui, si je ne m'abuse, sert précisément à identifier les gens qui ne conduisent pas et qui ne veulent pas utiliser de passeport comme document de voyage.
Je pense qu'il y a d'autres méthodes.
M. Massimo Pacetti: Cela peut servir comme document de voyage, je veux bien, mais je songeais à une carte d'identité, chose que nous n'avons pas au Canada. Je me rends compte que nous n'avons pas de système nous permettant de nous identifier, à part une carte d'assurance-maladie en vigueur dans toutes les provinces. Et si quelqu'un ne conduit pas...
Au Québec, cela ne fait que cinq ans que figure une photographie sur la carte Santé et le permis de conduire.
Mme Ann Cavoukian: Je ne vois pas pourquoi il nous faudrait une carte d'identité nationale. Je ne pense pas qu'il soit opportun d'obliger les gens à présenter une carte pour s'identifier à tout venant.
M. Massimo Pacetti: D'accord.
Je voudrais poser quelques brèves questions. Si nous adoptons la carte d'identité avec base de données, cela vous convient dans la mesure où la comparaison est biunivoque, n'est-ce pas?
Mme Ann Cavoukian: Je préfère cela à une comparaison co-univoque.
M. Massimo Pacetti: Mais pour cela ne faudrait-il pas également une base de données?
Mme Ann Cavoukian: Non, et c'est pourquoi j'ai dit que même avec une comparaison biunivoque... Permettez-moi de vous expliquer...
M. Massimo Pacetti: Non, permettez-moi de le faire. Sur les passeports...
Le président: Massimo, laissez-la donner des explications et vous aurez ensuite la parole.
M. Massimo Pacetti: Non, parce que je vais aller plus vite.
Sur le passeport...
Mme Ann Cavoukian: Je peux aller vite moi aussi.
L'avantage d'une comparaison biunivoque est qu'elle n'exige pas de base de données. En fait, il s'agit avant tout d'éviter la base de données.
Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de bases de données clandestines qui seront constituées, mais c'est précisément pour cela qu'il existe un protocole de protection de la vie privée, des vérifications et un système transparent, pour exclure la possibilité de bases de données subreptices.
Excusez-moi.
M. Massimo Pacetti: Les passeports que nous avons actuellement comptent-ils sur une comparaison biunivoque?
Mme Ann Cavoukian: Non. Ils sont émis suivant des normes internationales et ce sont des ordinateurs qui emmagasinent les renseignements.
º (1640)
M. Massimo Pacetti: Ainsi une comparaison biunivoque se passerait de base de données. On imprimerait une carte, et les choses s'arrêteraient là. La photographie ne serait pas versée dans un dossier quelque part, n'est-ce pas?
Mme Ann Cavoukian: Non, car je parle ici de la composante biométrique. Je ne demande pas que l'on modifie les normes internationales pour les passeports. Je ne suis pas qualifiée pour le faire. Je dis que si l'on ajoute la composante biométrique, ce qui est beaucoup plus délicat que toute autre forme de renseignement, il faut que ce soit une comparaison biunivoque. Je dis cela parce qu'une comparaison co-univoque ne donnera pas de résultat.
Le président: Voilà la façon de faire : un feu roulant de questions et réponses.
Dernière question.
M. Massimo Pacetti: Mes questions sont brèves. Je n'exagère pas.
La difficulté selon moi est que si le gouvernement ne prend pas les choses en main ou ne fait pas quelque chose... Dans les ministères, comme Revenu Canada ou l'ADRC, le Bureau des passeports, il y a des tonnes de bases de données et il y a également celles que possèdent les institutions bancaires. Tout le monde a déjà tous les renseignements et étant donné que ces données sont délicates—l'existence de l'Internet et des dossiers téléphoniques—je me demande si nous ne devrions pas du moins surveiller ces données ou les contrôler d'une façon quelconque.
Mme Ann Cavoukian: Je pense qu'il y a une surveillance dès à présent. Il existe des lois provinciales et fédérales sur la protection de la vie privée.
Au mois de janvier, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui est une loi fédérale visant le secteur privé, s'appliquera à toutes les entreprises provinciales. Ainsi, au Canada, les renseignements personnels seront protégés par disposition législative dans le secteur public comme dans le secteur privé. C'est une surveillance colossale et une grande quantité de dispositions législatives qui contrôlent ces renseignements.
En tant que commissaires à la protection de la vie privée, il nous incombe de veiller à ce que ces lois soient respectées et nous faisons de gros efforts à cet égard. Je ne dis pas que le système est parfait, mais nous exerçons une vaste surveillance sur ces banques de données et l'intérêt de maintenir l'incompatibilité de ces banques de données plutôt que de les centraliser sert précisément à réduire l'accès à un vaste bassin de données personnelles.
Je sais que l'Internet permet d'accéder à des données et que l'on pourrait frauduleusement accéder à telle ou telle banque de données et s'y relier, mais ce méfait serait rendu beaucoup plus facile si les données étaient centralisées en un seul endroit.
Le président: Monsieur Pickard.
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais revenir à deux ou trois sujets qui ont été abordés.
Vous avez parlé d'un coût de l'ordre de cinq à sept milliards de dollars et vous avez dit que cela pourrait même être dix fois plus. J'espère que nous ne nous acheminons pas vers un débat sur une somme de 70 milliards de dollars. Je fais mes calculs et je ne sais pas quelle est la source de vos chiffres mais d'après moi, cela représenterait 270 dollars par citoyen pour l'émission d'une carte. Renseignements pris, un tel coût n'a rien à voir avec ce qu'il en coûte pour les cartes délivrées aux immigrants, ou les autres cartes Feuille d'érable.
Avez-vous la preuve qu'en Ontario un permis de conduire ou une carte Santé coûte 270 dollars? Où êtes-vous allée chercher ces chiffres?
Mme Ann Cavoukian: Je vous avoue ne pas savoir pour les 270 $ et je vous prie de m'excuser. Je n'ai pas...
M. Jerry Pickard: J'ai divisé 7 milliards de dollars par 30 millions de personnes et je suis arrivé à 270 $. C'est comme ça que j'ai fait mon calcul.
Mme Ann Cavoukian: Vous avez divisé 7 milliards de dollars par 30 millions?
M. Jerry Pickard: Avec une population de 30 millions d'habitants, vous dites que cela coûterait 7 milliards de dollars.
Mme Ann Cavoukian: Je n'ai pas fait le calcul des coûts en l'occurrence. Tout comme les membres de votre comité, je me fie au calcul que d'autres ont fait.
M. Jerry Pickard: C'était des hypothèses. Je n'ai pas de preuve que ces calculs sont justes.
Mme Ann Cavoukian: Eh bien, vous ne pouvez pas compter sur moi pour vous en fournir. Je n'en ai pas.
M. Jerry Pickard: Vous ne faites que reprendre une autre rumeur.
Mme Ann Cavoukian: Je répète ce que d'autres ont affirmé. C'est cela.
M. Jerry Pickard: C'est ce que j'essayais de dire. Vous n'avez pas la preuve que ce que vous affirmez est juste.
Mme Ann Cavoukian: Toutefois, sauf votre respect, monsieur, si le registre des armes à feu a coûté plus d'un milliard de dollars...
M. Jerry Pickard: Le registre des armes à feu n'a rien à voir avec cela.
Mme Ann Cavoukian: C'est beaucoup plus simple que ce que nous envisageons de faire : 1 milliard de dollars, et cela n'a abouti à rien, et vous me dites que...
º (1645)
M. Jerry Pickard: Sauf votre respect, le registre des armes à feu n'a rien à voir avec cela.
Mme Ann Cavoukian: Pourquoi pas? Je suis une contribuable, une citoyenne. Pourquoi ne puis-je pas en parler?
M. Jerry Pickard: Qu'est-ce que le registre des armes à feu a à voir avec une carte d'identité?
Mme Ann Cavoukian: La base de données de ce registre est relativement simple à constituer et elle a coûté 1 milliard de dollars. Elle ne fonctionne pas. Ne me dites pas qu'une base de données beaucoup plus complexe ne pourrait pas coûter sept fois plus. Je n'accepte pas cela.
M. Jerry Pickard: Pardon? Vous prétendez pouvoir extrapoler les coûts de la carte à partir des coûts de la base de données de l'enregistrement des armes à feu?
Mme Ann Cavoukian: Je peux extrapoler à partir de la base de données de l'enregistrement des armes à feu, c'est un exemple. Il y a au moins deux autres rapports qui affirment que cela coûterait de 5 à 7 milliards de dollars. Quant à moi, je vous dis que c'est une estimation raisonnable.
Cela dit, vous avez tout à fait raison, je n'ai pas fait de calcul moi-même.
M. Jerry Pickard: Vous n'avez pas de preuve... c'est cela.
Mme Ann Cavoukian: C'est cela.
M. Jerry Pickard: Merci.
S'agissant de l'identification des gens, je conviens avec vous que c'est seulement grâce à des documents authentiques que l'on peut identifier quelqu'un et cela est très important. Pour obtenir un permis de conduire, il faut présenter toute une série de documents de base.
D'ordinaire, les gouvernements ont des processus tout à fait satisfaisants pour traiter les demandes de permis de conduire, de carte Santé ou de passeport. Selon moi, il vaut beaucoup mieux dépenser de l'argent pour garantir que les documents sources des détenteurs de passeport canadien sont tous étudiés, archivés, agencés convenablement afin que la personne qui est titulaire du passeport soit identifiée correctement et que ce passeport prenne alors toute sa valeur.
Mme Ann Cavoukian: Je suis tout à fait d'accord avec vous.
M. Jerry Pickard: Selon moi, pour obtenir une carte d'identité nationale, tout citoyen, sans conteste, devrait présenter les meilleurs documents de base, et il faudrait disposer du personnel nécessaire pour qu'ils soient étudiés, analysés et authentifiés.
Je conviens avec vous qu'il pourrait y avoir des erreurs. Cela ne fait pas de doute. Chaque fois que l'on conçoit un système qui touche 30 millions de personnes, la possibilité d'erreurs existe. Toutefois, si notre objectif est d'identifier les Canadiens correctement, ne vaut-il pas la peine d'instaurer sérieusement un processus bien organisé?
Je ne songe pas ici à n'importe quel type d'identification mais tout simplement à une carte d'identité nationale. Je ne songe pas ici à des données biométriques ou à d'autres types de renseignements qui pourraient offrir une protection accrue. Je songe tout simplement à une simple carte, authentifiée, car si nous l'adoptons—si nous avons la carte appropriée—alors je pense que nous pourrons dépenser... Quand une personne voudra traverser la frontière, demander un permis de conduire, ou autre chose, si on peut garantir que le titulaire de la carte est bien en face de vous, on pourra gagner beaucoup de temps et s'épargner des efforts. Le travail se bornera alors à faire les vérifications pour ceux qui n'auront pas de carte d'identité ou ceux qui n'auront pas satisfait aux exigences de sécurité. Ainsi, si les choses sont faites correctement, nous pourrons compter sur une carte qui identifiera les Canadiens de façon très précise. On pourra ensuite délivrer un passeport, faire autre chose, à partir de ce privilège.
Le président: Je me demande si on peut demander à notre témoin de répondre à votre préambule.
M. Jerry Pickard: Cela dit—et c'est une autre chose que vous avez dite—nous pouvons isoler les renseignements et garantir que leur transfert d'un ministère à l'autre... La loi prévoit des protections et je suis sûr que nous pouvons nous prémunir contre les abus. Qu'est-ce qu'il y a de mal à une bonne carte d'identité nationale si tout le travail est fait correctement et si le coût en est raisonnable?
Mme Ann Cavoukian: Je pense que la première question à laquelle il faut répondre est la suivante : Pourquoi mettrions-nous ce processus en branle plutôt que de renforcer les documents de base que nous avons déjà. Je suis d'accord avec vous. Des documents d'identité véridiques et authentiques sont très importants et ils doivent s'appuyer sur des faits. Actuellement, nous délivrons des documents de base et je pense que si on renforçait le processus d'acquisition et d'émission, comme l'Ontario l'a fait récemment pour les certificats de naissance, ce serait un objectif tout à fait louable que nous pourrions tous nous employer à atteindre.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de créer une toute nouvelle infrastructure pour atteindre notre objectif car cela aurait des conséquences pour la protection de la vie privée tout comme des conséquences financières. Selon moi, essayer de travailler avec ce que nous avons déjà en resserrant les processus, comme vous l'avez dit, en introduisant des protocoles sûrs, serait préférable.
Comme je l'ai dit, la seule justification que le ministre Coderre ait donnée pour l'introduction d'une carte d'identité nationale est le fait que les États-Unis exigeront que les Canadiens qui entrent dans leur pays présentent une identification biométrique à la fin de 2004. C'est l'argument que le cabinet du ministre m'a présenté pour justifier une carte d'identité et selon moi, cet argument n'est pas solide. Voilà.
º (1650)
Le président: Merci, monsieur Pickard. S'il y a encore du temps, vous aurez un autre tour.
Chuck.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley): Merci, monsieur le président. Merci, madame, d'être venue aujourd'hui.
Je trouve ce que vous dites désarçonnant. Vous tergiversez tant que nous n'arrivons pas à savoir si vous êtes pour ou contre. De toute façon, cela nous change, mais c'est un peu désarçonnant. Nous ne sommes pas habitués à ce genre de bavardage. Nous aimons les longues explications sans nécessairement une conclusion en vue. Je dois vous avouer que vous êtes une anomalie dans nos parages.
Mme Ann Cavoukian: Excusez-moi.
M. Chuck Strahl: Il faudrait que cela nous arrive plus souvent.
Il me semble que la difficulté ne tienne pas à la carte mais à tout le système qu'il faudrait mettre en place. On ne peut pas tout simplement pas arriver à concevoir une carte qui soit très efficace à partir de ce que nous avons à l'heure actuelle. Il faut créer tout un système. Ce fut là la difficulté pour le registre des armes à feu. Je sais que cela n'a pas grand-chose à voir mais il me semble que c'est là le problème et c'est ce qui rend nerveux beaucoup d'entre nous.
Nous en parlons parce que nous avons tous des exemples à donner. Nous avons tous des exemples personnels dans nos circonscriptions; certains de nos commettants ont reçu des renseignements du centre de contrôle des armes à feu, lesquels ne leur étaient pas destinés, et qui révélaient toutes sortes de renseignements personnels sur quelqu'un d'autre, y compris la liste de toutes leurs armes à feu et où ils les entreposaient. Tout cela à la mauvaise adresse. Cela peut être très important car s'agissant d'une arme à feu, quelqu'un est désormais au courant de son existence et pourrait la voler. Elle pourrait être ciblée. De toute façon, tout cela ne regarde pas les autres, et c'est très inquiétant.
Si on retient ce système de biométrie, peu importe le coût, ce genre d'erreurs va se produire inévitablement. Les gens auront donc un faux sentiment de sécurité.
Monsieur le président, imaginez un peu que je reçoive une carte par la poste. Je suppose que les renseignements qu'elle contient à mon sujet sont justes mais je n'en sais rien. Disons que je l'utilise pour mon premier voyage à Hawaï, à l'occasion de mon 50e anniversaire. Me voilà à l'aéroport, et la lecture de la carte par la machine pose problème.
Le président: On voit tout de suite les problèmes.
M. Chuck Strahl: Imaginez : je suis condamné à rester au Canada pour le restant de ma vie, un Canadien, dans un système canadien.
Le président: Ce n'est pas tant le gouvernement du Canada que je crains dans un tel cas mais votre femme.
M. Chuck Strahl: Eh bien, oui, c'est vrai et je ne veux même pas y penser.
Il me semble que c'est une chose atroce.
Vous êtes fermement et catégoriquement opposée à cela. Pourquoi n'êtes-vous pas intervenue lors du processus consultatif initial de M. Coderre? N'étiez-vous pas disponible pour apporter un peu d'équilibre à la discussion? Ou bien étiez-vous...
Le président: Chuck, c'est une question injuste et je vais vous expliquer pourquoi. Le comité se penche sur cette question depuis le mois de mai et nous avons entendu le témoignage de plusieurs commissaires à la protection de la vie privée, y compris d'anciens commissaires. Il y a eu celui de la Colombie-Britannique. Quand nous nous sommes déplacés à travers le Canada, nous avons entendu les commissaires à la vie privée de chaque province et ceux des pays où nous nous sommes rendus. Ce n'est pas que Ann ne voulait pas témoigner; c'est une question d'organisation de l'emploi du temps.
M. Chuck Strahl: D'accord. Merci. Vous pouvez me répondre si vous pensez devoir ajouter quelque chose.
Mon autre question ou observation sera donc ceci... Je sais que nous n'allons pas vous faire changer d'avis; vous vous opposez catégoriquement à cette proposition. Cependant, deux choses me viennent à l'esprit. D'abord, certains diront que cette initiative réduira le profilage racial et améliorera les choses pour les gens comme vous qui sont nés dans d'autres pays. Cela simplifiera la vie à ces gens lorsqu'ils veulent traverser la frontière. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?
Enfin, il y a la possibilité des vols d'identité. C'est un gros problème dans ma circonscription. Les vols de courrier sont un grave problème à Chilliwack. Des milliers d'envois disparaissent. Certains se sont fait voler leur identité. C'est le crime organisé qui est responsable. Les groupes du crime organisé se servent de ces renseignements et les vendent à d'autres groupes de criminels. À Chilliwack, des milliers de personnes sont déjà touchées par le problème. Je m'inquiète à la pensée de ce que le crime organisé pourrait faire d'une carte comme celle-ci. Si elle vaut des centaines de millions de dollars, le crime organisé sera prêt à dépenser cet argent pour y avoir accès.
Mme Ann Cavoukian: Pour répondre à vos questions dans l'ordre, je dirai tout d'abord que je ne suis pas restée silencieuse sur cette question. Je n'ai tout simplement pas été invitée à la rencontre de M. Coderre, même si j'ai essayé à maintes reprises d'y aller.
Pour ce qui est du profilage racial, si vous avez un système où l'on compare une personne à bien d'autres dans une base de données pour établir son identité, cela n'éliminera pas du tout le profilage racial parce qu'il y aura beaucoup de faux positifs et de fausses erreurs pour chaque personne et qu'on devra utiliser un système manuel pour déceler les faux positifs. Le système électronique ou en direct ne suffira pas. Il produira beaucoup d'erreurs, comme l'a dit M. Schneier. Il faudra ensuite utiliser le système de rechange, c'est-à-dire le système manuel qui consiste à faire un tri et à examiner visuellement les dossiers. Cela n'éliminera pas du tout le profilage racial.
Quant aux vols d'identité, il n'y a rien de pire que ces vols. Comme vous l'avez certainement entendu vous-même, on nous signale constamment que ce type de fraude à la consommation augmente rapidement au Canada. Le problème des données biométriques, c'est que si on a des données biométriques dans une base de données, ces données seront accessibles aux voleurs d'identité tout comme le sont les bases de données de numéros d'assurance sociale ou de numéros de cartes de crédit ou de tout autre renseignement. Les dommages causés seront cependant beaucoup plus importants, dix fois plus, parce que si quelqu'un vole vos données biométriques, puisque tous les membres de la société considèrent que les données biométriques ne peuvent pas être reproduites, cela deviendra extrêmement difficile de prouver que vous êtes une victime de vol d'identité et que le voleur se sert lui-même de véritables données biométriques. Ce sera donc dix fois plus difficile pour les victimes des vols d'identité de faire rectifier la situation.
C'est ce que les gens ne comprennent pas. Ils ont l'impression que nos données biométriques nous appartiennent et que personne d'autre ne peut les voler. C'est faux. Les cryptographes parlent maintenant de systèmes en direct. Il existe des systèmes de chiffrement qui exigent une réponse du destinataire, ce qui signifie que si vous envoyez un message, et que le destinataire ne juge pas que vous êtes vraiment vous, il peut vous demander une preuve que vous devrez fournir, par exemple une signature numérique.
De façon générale, un système biométrique ne demande pas de réponse de ce genre. Il n'y a qu'une réponse possible : c'est moi. Si j'envoie mes données biométriques et que quelqu'un les reproduit sur le Web, il peut ensuite dire qu'il est moi dans tous les cas. Ce sera extrêmement difficile d'établir le contraire. À mon avis, cela ne va qu'intensifier le programme des vols d'identité et non l'éliminer.
º (1655)
Le président: Si vous me le permettez, je voudrais poser quelques questions pour terminer.
Le cadre législatif que vous avez instauré il y a 10 ans, comme vous dites, était vraiment arrivé à point nommé et je pense qu'il était très approprié. Je vous remercie de ces lignes directrices. Je voudrais vous poser quelques questions pour avoir une idée plus complète du système.
Vous êtes chargée de protéger la vie privée en Ontario. Nous essayons de déterminer comment nous pouvons protéger et préserver la vie privée des gens. Comment pouvons-nous garantir, en même temps que nous protégeons la vie privée, que nous pouvons aussi nous identifier et prouver qui nous sommes?
Nous parlons peut-être de vie privée, mais selon moi, cette désignation n'est plus appropriée, tout est maintenant cloisonné. Il existe diverses bases de données pour les cartes Santé, les permis de conduire, les cartes d'assurance sociale, etc. Le fait est que personne jusqu'ici n'a réussi à établir un lien entre ces bases de données et c'est ce qui a permis de protéger la confidentialité de ces données. Tout le monde s'inquiète maintenant de l'existence d'une base de données nationale.
Pouvons-nous vraiment protéger les renseignements personnels?
» (1700)
Mme Ann Cavoukian: Oui, et je vous dirai pourquoi dans un instant.
Le président: L'agence d'évaluation du crédit peut vous dire absolument tout ce que vous voulez savoir sur Joe Fontana. Vous pouvez aller voir ceux qui s'occupent de numéros d'assurance sociale ou diverses autres personnes. Il suffit de prendre le temps de communiquer avec tous les ministères du gouvernement, aux échelons provincial, fédéral et municipal, et avec les compagnies de cartes de crédit. Vous serez pleinement renseignée sur qui je suis.
Ce ne sera pas facile, mais je sais que nous devons protéger les renseignements personnels. Au bout du compte, les renseignements personnels disent qui nous sommes. Si nous n'avons pas de vie privée, nous perdons notre identité. Je voudrais que vous me disiez si nous avons vraiment une vie privée.
Deuxièmement, en ce qui concerne ce que vous dites à propos d'un document de base, le comité est bien au courant de la situation et, d'après certains témoins, il faut aussi établir la véracité de ces documents de base. Le problème, c'est que nous n'avons pas de document national de base. Les certificats de naissance sont provinciaux et les permis de conduire aussi. Nous avons un passeport, que l'on obtient volontairement, mais uniquement pour voyager. Ceux qui sont nés au Canada ne peuvent pas obtenir de carte de citoyenneté.
Quel document de base national avons-nous si nous en avons besoin? Je pense que nous pouvons nous entendre sur la nécessité d'avoir des documents de base.
Enfin, relativement à la protection de la vie privée, je vais reprendre votre exemple et celui de Sarkis à propos de ce qui s'est produit dans le monde depuis le 11 septembre. Nous pourrions par exemple modifier les passeports pour dire que le lieu de naissance ne constitue pas un renseignement important. Pourquoi devrait-on savoir où vous êtes née ou bien où Chuck, Madeleine, Brian et Joe Fontana sont nés? Le fait est que nous sommes citoyens canadiens et que nous avons un passeport canadien. Quelle différence cela peut-il faire si nous sommes nés à Tombouctou, en Italie, en Arménie ou ailleurs? Pouvez-vous me dire ce que vous penseriez d'un tel changement?
Mme Ann Cavoukian: J'en serais ravie. Si vous pouviez le faire, je vous appuierais de tout coeur. J'en serais personnellement ravie parce que mon lieu de naissance ne correspond pas à mon lieu de résidence ou à ma citoyenneté. Ce serait très important pour moi.
Si je n'ai pas essayé de le faire moi-même, c'est à cause des protocoles internationaux qui prévoient des exigences trop strictes à l'égard des passeports pour que j'essaie de les modifier et que je ne pense pas pouvoir réussir. Je préfère m'efforcer de protéger la vie privée au Canada vu que cela relève de ma compétence et que je pense que nous pouvons y réussir.
Je ne dirais pas que nous n'avons pas vraiment de vie privée parce que je voyage régulièrement aux États-Unis et en Europe et que nous avons maintenant une plus grande protection de nos renseignements personnels depuis l'adoption de la directive de l'Union européenne sur la protection des données, depuis l'adoption de la loi fédérale LPRPDE au Canada, après l'adoption de diverses lois provinciales dans la même veine et, depuis, du cadre deréférence d’exonération, appelé le Safe Harbor Framework, par les États-Unis en réponse à la directive de l'Union européenne et du fait que les États-Unis prendront des mesures qui correspondront à la LPRPDE.
Il y a maintenant davantage de protection des renseignements personnels sur le plan commercial parce que les consommateurs s'attendent plus qu'auparavant que leurs renseignements restent confidentiels. Les consommateurs ne plus prêts à accepter n'importe quoi. Si vous jetez un coup d'oeil aux chiffres du commerce électronique, au commerce électronique de détail, vous verrez que c'est un échec total. Ils ne correspondent pas du tout au succès auquel on s'attendait au début du millénaire et à la fin des années 90.
Ce phénomène tient tout simplement au fait qu'il y a eu une réaction des consommateurs à l'obtention sans restrictions de toutes sortes de données personnelles après la création du Web. Les consommateurs en ont eu assez. Ils savent que les entreprises créent des profils personnels. Ils savent que les renseignements à leur sujet sont partagés avec d'autres entreprises et que l'on peut pister leurs allées et venues sur le Web et ils en ont assez. Ils ont décidé que cela devait cesser.
Ce qui est arrivé après le 11 septembre est très intéressant. Pendant une certaine période, surtout aux États-Unis, les membres du public ont fait beaucoup plus confiance au gouvernement qu'auparavant parce qu'ils avaient peur. La peur est une chose qui motive beaucoup. Ce qui est étonnant, c'est que la méfiance qu'éprouvait le public à l'égard du gouvernement a été dirigée plutôt vers le secteur privé. Les consommateurs ont commencé à réclamer davantage que leurs renseignements personnels soient protégés par les entreprises. Il est donc devenu nécessaire pour les entreprises de mériter la confiance des consommateurs. Tout à coup, les entreprises sont venues me voir et voir d'autres personnes comme moi pour demander comment elles pouvaient protéger les renseignements sur leurs clients. Toutes les entreprises ont commencé à vouloir cette protection et à vouloir que leurs renseignements personnels soient protégés comme jamais auparavant.
Je suis une optimiste, mais je suis convaincue que nos renseignements personnels seront beaucoup mieux protégés à l'avenir. Je suis tout à fait d'accord qu'il existe des bases de données contenant des renseignements personnels dans le monde entier. Nous avons l'automatisation, nous avons la technologie et nous avons des réseaux de plus en plus vastes. Cela ne va pas changer. En même temps, cependant, on est en train d'adopter des pratiques commerciales qui protègent les renseignements personnels. Non seulement le gouvernement, mais aussi les entreprises comprennent maintenant que c'est bon pour le commerce de protéger les renseignements personnels et que, s'ils considèrent la protection des renseignements personnels comme un outil de gestion de l'information, cela augmentera la compétitivité par rapport aux entreprises. C'est ce que l'on pense maintenant dans le monde des affaires. Quand une entreprise jugera que c'est à son avantage économique de protéger les renseignements personnels, elle y verra. Si cela peut augmenter sa marge bénéficiaire, elle s'en occupera.
Je pense donc qu'il pourrait y avoir à l'avenir une bien meilleure protection des renseignements personnels plutôt que le contraire.
Le président: Grant, Brian et ensuite Jerry, je pense.
M. Grant McNally: Merci, monsieur le président.
J'aimerais revenir au seul argument présenté par le ministre, c'est-à-dire que les États-Unis allaient exiger un document biométrique. Comment répondre à cet argument, quelle solution de rechange pourriez-vous suggérer nous permettant d'éliminer tous les arguments présentés par le ministre?
Mme Ann Cavoukian: Tout simplement, je dirais qu'il faut d'abord s'assurer que les États-Unis vont vraiment exiger les identificateurs biométriques de tous les Canadiens d'ici la fin de l'an 2004. Procéder sans connaître la réponse serait prématuré d'après moi. Voici une première réponse.
Mais si la réponse est oui, que nous devons avoir recours à un identificateur biométrique et que le Canada ne sera pas miraculeusement exempté, eh bien, je dirais qu'il faut explorer la possibilité de doter nos documents de voyage, tels que le passeport, d'un identificateur biométrique permettant la comparaison un à un. D'après moi, c'est la façon la plus sûre et la moins coûteuse, et je crois qu'un tel système satisfera les États-Unis plus que n'importe quel autre.
» (1705)
M. Brian Masse: J'ai une question qui porte sur un point que vous avez soulevé dans votre exposé, notamment l'observation que les bases de données constitueraient une cible intéressante. Quel serait le taux de sécurité de ces données et avez-vous une idée du montant que cela va nous coûter pour protéger la collecte et le stockage des données sur les citoyens? Est-ce qu'on a fait des analyses pour établir combien ça va nous coûter de façon continue pour assurer l'intégrité du système?
Mme Ann Cavoukian: Ce coût n'a pas de limite. Et je ne fais pas preuve d'insolence. Quand je vous ai parlé du Pentagone et de Microsoft, eh bien, on a réussi à percer les systèmes de Microsoft. Vous pouvez imaginer les moyens financiers dont dispose la société Microsoft pour protéger ses bases de données.
La sécurité est un but très difficile à atteindre, et c'est un but louable. Nous devons tous faire notre part. À mon bureau, nous disposons de barrières de sécurité et de mécanismes de chiffrement. Nous avons toutes ces choses-là, mais je reçois toujours du pourriel. Par conséquent, c'est un grand problème et la question des pourriels est insignifiante par rapport à nos objectifs de sécurité.
Par conséquent il s'agira d'un coût permanent. Vous ne pouvez pas prévoir toutes les mesures de sécurité au tout début, une fois pour toutes—comme les barrières de sécurité—et ensuite croire le travail terminé. C'est plutôt comme un jeu d'échecs : point, contrepoint. Vous élaborez un bon système de sécurité et ensuite les vilains trouvent moyen de percer cette sécurité, de déchiffrer le code. Et ensuite votre service d'informatique va améliorer le chiffrement pour protéger davantage les données. C'est donc un jeu d'échecs permanent avec des points et des contrepoints : vous déplacez votre pion dans l'espoir de garder une certaine distance entre les autres, et il faut être toujours vigilant. M. Schneier décrit le processus comme un processus sans fin.
M. Brian Masse: Merci.
Le président: Jerry, suivi de Sarkis.
M. Jerry Pickard: Je pense que nous devons accepter que la technologie va continuer d'évoluer. C'est ce qui arrivera que nous maintenions le statu quo ou non. Cependant, pour revenir au sujet de la discussion, une carte d'identité représente toutes sortes de choses pour les gens.
Le comité examine maintenant la possibilité d'avoir une carte d'identité nationale et nous envisageons cette question sous tous ses angles. Personne n'a présenté d'arguments pour dire qu'une carte nationale n'était pas une bonne chose si nous pouvions identifier les Canadiens le mieux possible et nous assurer qu'ils ont tous une carte d'identité nationale.
Pour l'instant, vous pourrez peut-être vous servir de votre permis de conduire de la Colombie-Britannique, comme l'a signalé le président, ou de votre carte Santé de la Nouvelle-Écosse, mais si vous n'avez pas plus de 16 ans, vous risquez de ne pas avoir de carte d'identité du tout et la même chose si vous êtes âgé de 70 ans.
Quel problème y aurait-il à ce que tous les Canadiens aient une carte de base, qui soit la mieux documentée possible, sans qu'on ait tous ces autres arguments au sujet de la protection des renseignements personnels? Je parle simplement d'une carte qui prouverait votre identité. Elle établirait votre identité le mieux possible.
Ce ne serait pas un document de voyage comme le passeport. Cette carte ne pourrait pas servir à autre chose. Ce serait simplement une carte d'identité nationale disant que vous êtes Canadien, qui ne ferait que vous identifier sans établir un lien avec votre carte de crédit ou avec une multitude d'autres choses comme le craignent les gens.
Il semble que, dès qu'on parle de carte, chacun imagine les millions de choses qui pourraient être liées à cette carte et partagées. Je ne suis vraiment pas convaincu que nous devions envisager de tels problèmes. À titre de commissaire à la protection de la vie privée, vous dites que nous ne voulons certainement pas qu'on puisse établir de tels liens. Je pense que la plupart des Canadiens seraient d'accord. Cela ne veut cependant pas dire que la plupart des Canadiens n'accepteraient pas d'avoir une carte qui les identifie comme étant Canadiens, une carte pour laquelle les renseignements auraient été examinés attentivement. À l'heure actuelle, personne ne possède de documents de base qui prouvent leur identité de Canadien.
» (1710)
Mme Ann Cavoukian: Je ne vois pas pourquoi les Canadiens seraient d'accord pour une carte de ce genre si la raison d'être de cette carte est une chose que l'on n'exige pas maintenant.
Je vais me faire l'avocat du diable. Si vous avez maintenant toutes sortes de cartes, c'est pour des raisons particulières, comme un permis de conduire. Ce n'est pas une carte d'identité. On s'en sert comme carte d'identité, mais le permis de conduire vous est délivré pour montrer que vous êtes autorisé à conduire un véhicule à moteur en Ontario. C'est une carte d'accréditation autrement dit. Une carte de crédit vous permet d'acheter des choses. Les cartes d'assurance sociale ont un autre but. Aucune de ces cartes n'a été établie pour vous identifier, comme vous dites.
J'ignore pourquoi nous aurions besoin d'une carte de ce genre au Canada. Nous n'avons pas le type de système qui existe dans des pays du tiers monde ou des pays totalitaires, où l'on doit pouvoir prouver son identité et avoir toujours ses papiers avec soi. Les autorités réclament souvent les cartes d'identité dans ces pays.
Nous avons beaucoup de liberté au Canada. C'est l'une des choses qui nous distinguent. Il me semble qu'être obligé de s'identifier, si ce n'est pas pour conduire un véhicule, traverser la frontière ou quelque chose du genre, ne correspond pas à la façon de faire au Canada. À mon humble avis, je ne pense pas qu'une telle chose serait bien accueillie par les Canadiens.
Quel en serait le but? Pourquoi devrions-nous nous identifier pour le simple plaisir de nous identifier, à moins de voyager quelque part ou de devoir établir son identité dans un but particulier?
Votre but est peut-être très louable si vous voulez créer une carte d'identité qui ne serait reliée à aucune autre base de données et qui ne servirait à aucune autre fin, mais c'est ainsi que commencent toujours les cartes d'identité.
Au début des numéros d'assurance sociale, en 1967, le premier ministre Diefenbaker avait dit que le numéro d'assurance sociale ne servirait qu'à deux choses : au Régime d'assistance publique du Canada et au Régime d'assurance-chômage. Le numéro d'assurance sociale ne devait servir qu'à ces deux choses. Vous savez comme moi à combien de choses il sert maintenant. La carte d'assurance sociale est devenue la carte d'identité de facto au Canada. On s'en sert aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Le gouvernement a essayé de réduire le nombre d'utilisations de cette carte il y a bien des années, mais il a eu bien du mal à le faire.
Je vous crois volontiers quand vous dites que vous voulez simplement créer une carte d'identité nationale. Je crois cependant qu'il serait trop difficile de résister à la tentation de s'en servir pour autre chose, surtout sur le plan de la sécurité. Je ne pense pas que ce soit réaliste.
Le président: Sarkis, pour terminer.
M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup.
Je serai très bref. D'abord, je trouve que les principes que vous mentionnez aux pages 7 et 8 sont merveilleux. J'espère que notre attaché de recherche en prendra note et inclura ces principes dans le rapport final du comité.
Avez-vous déjà comparé ce que nous proposons maintenant à ce qui se fait dans les pays de l'Union européenne qui ont des normes semblables aux nôtres? En avez-vous déjà discuté avec eux? Je sais que mes collègues qui voyagent en Europe discutent de cette question avec les experts d'autres pays. Je suis certain qu'ils ont des inquiétudes semblables aux nôtres. Avez-vous communiqué avec certains de ces experts étrangers? Dans l'affirmative, que pensez-vous de leur approche?
On me dit que certains pays essaient de créer des cartes d'identité comme celle dont nous discutons. Pourquoi cela serait-il acceptable pour eux mais pas pour nous? Si vous avez déjà eu des discussions avec les experts de ces pays, pouvez-vous éclairer notre lanterne?
Mme Ann Cavoukian: Vous avez tout à fait raison. D'autres pays, y compris des pays de l'Union européenne, ont des cartes d'identité.
Ce qui m'inquiète dans le cas des cartes d'identité de pays comme l'Espagne, par exemple, qui contiennent des indicateurs biométriques, c'est que ces renseignements ne sont pas utilisés uniquement à des fins d'identification. Le secteur privé peut avoir accès à ces renseignements pour renforcer le commerce. Ces cartes ont des utilisations beaucoup plus vastes que celles que nous envisagerions au Canada.
J'ignore si c'est de là que vient la carte en Espagne, mais si j'ai bien compris, la seule loi qui régisse les cartes d'identité a été adoptée en 1947. Cela m'inquiète beaucoup. J'ai voyagé en Espagne. Quand je parle aux Espagnols de documents d'identité, je constate que les Espagnols ont une notion très différente de la nôtre de ces documents et de la façon dont ils sont traités.
Nous tenons beaucoup à notre liberté. J'insiste là-dessus parce que je ne suis pas née au Canada. Mes parents ont immigré au Canada et ont adoré ce pays à cause des libertés dont nous jouissons. C'est une chose que nous ne considérons pas comme allant de soi.
Quand je songe aux libertés dont nous jouissons au Canada, que nous trouvons toutes naturelles parce que nous en profitons régulièrement, je constate que ces libertés viennent du fait que nous ne sommes pas obligés de prouver qui nous sommes à divers fonctionnaires qui nous le demandent. C'est une chose fondamentale. On ne pense pas vraiment que cela constitue la protection de ses renseignements personnels, mais pourtant ce l'est.
Pensez à un État totalitaire ou policier. La première chose qu'on y perd, c'est sa vie privée. L'État vous impose un système de surveillance. Souvent, il le fait grâce à des choses comme des cartes d'identité parce que celles-ci permettent au gouvernement et aux forces de l'ordre de surveiller vos activités et vos mouvements.
Je ne veux pas dire que c'est ce qui se produirait au Canada, pas du tout, mais c'est ainsi que cela commence. Dans notre société libre et démocratique, nous devons rester toujours vigilants pour préserver les droits auxquels nous tenons.
Je ne voudrais pas que nous nous engagions sur cette pente glissante. Je ne vois pas pourquoi nous le ferions quand il n'existe à mon avis aucun besoin d'une carte d'identité.
» (1715)
Le président: Chuck, vous vouliez faire une observation.
M. Chuck Strahl: L'autre jour, je devais faire une réservation aérienne par l'entremise du MDN. Les préposés refusaient de prendre ma réservation si je ne donnais pas mon numéro d'assurance sociale.
J'ai maintenant cessé de protester. Je donne mes renseignements à tout le monde. Je gage que tous les groupes du crime organisé au Canada ont des renseignements sur moi.
Mme Ann Cavoukian: Ne faites pas cela.
M. Chuck Strahl: Oui, je sais. C'était assez curieux. J'avais laissé l'espace en blanc sur le formulaire de demande et le préposé a rappelé pour dire : « Nous allons réserver votre vol. Nous avons votre numéro de passeport. Nous avons à peu près tout. Cependant, nous ne ferons pas votre réservation si nous n'avons pas votre numéro d'assurance sociale? Voilà où en sont rendues les choses. C'est ce qui m'inquiète, tout comme vous.
Ce que je veux savoir, cependant, c'est si un nouveau système améliorerait vraiment les choses? Supposons que vous avez raison quand vous énumérez toutes les raisons pour lesquelles ce serait dysfonctionnel. Je suis d'accord avec toutes ces raisons. Comment cela pourrait-il améliorer vraiment le système? Si nous craignons l'arrivée de terroristes étrangers au Canada, nous devons supposer que chaque terroriste étranger devrait s'enregistrer et enregistrer aussi des renseignements biométriques, parrainés, j'imagine, par un gouvernement étranger, dont certains parrainent déjà des terroristes.
Ce serait comme leur donner carte blanche de se déplacer librement au Canada sans qu'on leur pose de questions.
Mme Ann Cavoukian: C'est un très bon point. Cela légitimerait des terroristes ou des terroristes en puissance en leur donnant les documents véridiques qu'ils ne peuvent pas maintenant obtenir.
Comme vous le savez certainement, les auteurs des attentats du 11 septembre avaient utilisé leurs vraies identités. Ils n'utilisaient pas de faux documents. Pas du tout. Nous ne savons pas qui peut être un terroriste. Nous n'avons pas la capacité ou des mécanismes pour prédire qui peut être un terroriste.
Je pense donc qu'il serait prématuré de penser que nous avons la capacité voulue pour mettre au point des systèmes hautement perfectionnés qui permettront d'identifier ces gens. Vous avez raison.
M. Chuck Strahl: Merci.
Le président: Merci, madame Cavoukian. Je tiens à vous remercier encore une fois de cette discussion très intéressante. Le comité a discuté de cette question avec bien des Canadiens. Nous sommes encore au milieu du débat à propos de l'identité nationale et des indicateurs biométriques. Votre opinion sur ces questions est très importante pour le comité et je tiens donc à vous remercier de votre témoignage.
Mme Ann Cavoukian: Merci beaucoup. Je vous suis très reconnaissante de m'avoir invitée. C'est un honneur pour moi.
Le président: Je signale aux membres du comité que nous nous réunissons jeudi matin avec le nouveau président de la CISR. Je pense que c'est Madeleine qui présidera parce que ni Jerry ni moi ne serons là.
Je rappelle au comité que cela fait maintenant un an que notre comité a été établi et je pense qu'il a accompli de l'excellent travail. Si je n'ai pas d'autre occasion de vous le dire publiquement, je voudrais...
M. Sarkis Assadourian: Nous invitez-vous à dîner, monsieur le président?
Le président: Volontiers, Sarkis.
Je voudrais que vous pensiez à une chose. Je peux vous dire que nous avons travaillé très fort. Notre comité a publié sept rapports, dont quatre très volumineux, nous avons tenu 81 réunions officielles, 16 réunions non officielles, nous avons eu trois délégations étrangères, entendu plus de 300 témoins et nous avons aussi voyagé à l'étranger au service du Canada.
Vu que cela fait un an que nous avons commencé nos travaux, je tiens à dire que nous avons fait de l'excellent travail jusqu'ici. Je tiens à vous remercier tous de votre temps, de votre travail et de votre dévouement.
Nous nous reverrons donc jeudi et peut-être plus tard, qui sait?
La séance est levée.