CIMM Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 18 mars 2003
Á | 1110 |
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.) |
Á | 1115 |
Le président |
L'hon. R. Salhany (juge (retraité), À titre individuel) |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Alliance canadienne) |
M. R. Salhany |
Á | 1130 |
Mme Diane Ablonczy |
M. R. Salhany |
Mme Diane Ablonczy |
M. R. Salhany |
Á | 1135 |
Le président |
M. R. Salhany |
Mme Diane Ablonczy |
Le président |
M. John Bryden |
Á | 1140 |
M. R. Salhany |
M. John Bryden |
M. R. Salhany |
M. John Bryden |
M. R. Salhany |
Á | 1145 |
M. John Bryden |
M. R. Salhany |
Le président |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ) |
M. R. Salhany |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
Á | 1150 |
M. R. Salhany |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
M. R. Salhany |
Mme Libby Davies |
M. R. Salhany |
Á | 1155 |
Mme Libby Davies |
M. R. Salhany |
Le président |
M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.) |
 | 1200 |
M. R. Salhany |
 | 1205 |
Le président |
M. Sarkis Assadourian |
M. R. Salhany |
M. Sarkis Assadourian |
M. R. Salhany |
M. Sarkis Assadourian |
M. R. Salhany |
 | 1210 |
Le président |
M. R. Salhany |
Le président |
M. R. Salhany |
Le président |
M. George Radwanski (commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada) |
 | 1215 |
 | 1220 |
Le président |
Mme Diane Ablonczy |
 | 1225 |
M. George Radwanski |
Le président |
M. George Radwanski |
Mme Diane Ablonczy |
M. George Radwanski |
 | 1230 |
Le président |
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.) |
M. George Radwanski |
 | 1235 |
Le président |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
 | 1240 |
M. George Radwanski |
Le président |
Mme Libby Davies |
 | 1245 |
Le président |
Mme Libby Davies |
M. George Radwanski |
 | 1250 |
Le président |
M. Massimo Pacetti (Saint-Léonard—Saint-Michel, Lib.) |
M. George Radwanski |
 | 1255 |
Le président |
M. George Radwanski |
· | 1300 |
Le président |
M. Sarkis Assadourian |
M. George Radwanski |
· | 1305 |
M. Sarkis Assadourian |
Le président |
M. Andrew Telegdi |
Le président |
M. George Radwanski |
· | 1310 |
Le président |
· | 1315 |
M. George Radwanski |
Le président |
M. George Radwanski |
Le président |
M. George Radwanski |
Le président |
M. George Radwanski |
Le président |
M. George Radwanski |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration |
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l |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 18 mars 2003
[Enregistrement électronique]
Á (1110)
[Traduction]
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Il y a une erreur ici, je crois. Nous avons 111 900 $; la deuxième fois, cela dit 11 900 $.
Á (1115)
Le président: Oui, vous avez raison. Notre budget de fonctionnement est de 111 900 $.
La proposition a été faite pour le voyage à l'étranger. Merci, John.
(La motion est adoptée.)
Le président : Quelqu'un peut-il proposer la motion pour notre budget de fonctionnement de 111 900 $ pour l'année? Merci, Yvon.
(La motion est adoptée.)
Le président : La troisième motion est que le président soit autorisé à approuver le paiement d'une réunion de travail offerte par le comité durant son voyage en février 2003. C'était lorsqu'on était en déplacement.
(La motion est adoptée.)
Le président : Il y a ensuite une motion pour que le comité publie un communiqué pour annoncer le sujet de l'étude qu'il entreprend sur une carte d'identité nationale.
(La motion est adoptée.)
Le président : La dernière motion est que le comité offre un cadeau-souvenir aux représentants des gouvernements étrangers qui participeront à son étude.
(La motion est adoptée.)
Le président : Merci.
Je vous rappelle que certains membres du comité, même si nous n'avons pas eu de réponse du NPD et des conservateurs, se rendent à Washington la semaine prochaine. Jerry et moi allons représenter notre parti et nous serons accompagnés de Diane et de Madeleine. Jusqu'à présent, je n'ai pas eu de nouvelles des deux autres membres. Nous discuterons avec nos collègues américains des questions frontalières, d'immigration et de citoyenneté.
Nous avons l'honneur aujourd'hui d'accueillir le juge Salhany pour discuter du projet de loi C-18, loi concernant la citoyenneté canadienne. Je vous remercie beaucoup de prendre le temps de nous faire part de votre expérience sous le régime de l'ancienne loi. Je crois savoir que vous avez eu l'occasion de prendre connaissance de la nouvelle et que vous pourrez nous dire ce que vous en pensez. C'est nous qui adoptons les lois mais c'est vous qui les interprétez et les appliquez; nous sommes donc ravis de connaître votre avis. C'est très important pour nous. Le comité vous souhaite la bienvenue.
L'hon. R. Salhany (juge (retraité), À titre individuel): Merci.
Il y a environ un mois, au moment où je me préparais à partir en vacances, j'ai reçu un fax de l'adjoint d'Andrew qui me disait qu'Andrew tenait beaucoup à ce que je commente ces points. On m'a fait parvenir le texte des articles 16, 17 et 18 et on m'a demandé ce que j'en pensais. Il m'a aussi fait parvenir les commentaires. Je les ai lus et la plupart m'ont paru excellents. Je n'ai donc pas l'intention de les reprendre aujourd'hui. J'ai plutôt pensé aborder trois points qui m'intéressent—et qui intéresseront sans doute d'autres juges—et vous inviter à me poser des questions. Peut-être pourrais-je ainsi être d'une certaine utilité au comité.
Les articles 16, 17 et 18 discutent des trois méthodes de révocation de la citoyenneté. L'article 16 porte sur l'action intentée par le ministre devant la Cour fédérale, l'article 17 traite des instances relatives aux certificats portées devant la Cour fédérale et l'article 18 porte sur les cas limités de ceux qui n'ont la citoyenneté que depuis cinq ans ou moins. Je veux parler de ces trois cas en commençant par l'article qui porte sur les comportements qui se soldent par la perte de la citoyenneté.
Le premier élément est très bien connu des avocats et des juges : il s'agit des fausses déclarations, simples, claires avec des siècles d'interprétation. Le deuxième est la fraude, claire, avec des siècles d'interprétation. Le troisième est celui qui me préoccupe: «dissimulation intentionnelle de faits essentiels». Qu'est-ce que ça signifie? Mettez douze avocats dans une pièce et ils vous donneront douze réponses différentes. Je ne vois pas pourquoi on cet élément. Pour moi, la fraude et les fausses déclarations englobent toute conduite concevable par quelqu'un dont la citoyenneté devrait être révoquée. Dans certains commentaires, on recommande de donner une définition. Pourquoi donner une définition si les fausses déclarations et la fraude englobent tous les cas de figure? Pourquoi l'ajouter?
Á (1120)
L'autre question qui me préoccupe, c'est la procédure relative aux certificats prévue à l'article 17. La procédure impose un fardeau aux juges. De par la nature même du processus judiciaire et vu leur formation, les juges ne sont pas préparés à rendre une décision. Pour le comprendre, il faut connaître le processus judiciaire; vous le connaissez tous, mais permettez-moi de vous le rappeler. Notre système repose sur la procédure accusatoire, qui se distingue de la procédure inquisitoire issue du code de Napoléon. La procédure accusatoire suppose que si vous placez dans un tribunal deux adversaires sur un pied d'égalité devant un juge impartial qui ne sait rien de l'affaire, sans idée reçue, l'interrogatoire et le contre-interrogatoire feront apparaître la vérité. Que ce soit le cas ou non, cela varie dans chaque affaire, mais telle est la présomption. La procédure européenne, que je n'ai pas à décrire dans les détails—elle varie d'ailleurs selon les pays—veut que le juge fasse office de ce que l'on appelle en France le juge d'instruction. Il peut interroger le témoin et établir sa crédibilité. Celle-ci comporte deux éléments. Le premier est la fiabilité. Nous partons toujours du principe que le témoignage ne doit pas être cru. Pourquoi? Il y a deux raisons à cela. D'abord, le témoin peut ne pas être fiable, c'est-à-dire qu'il ne connaît peut-être pas les faits qu'il présente au tribunal; deuxièmement, il peut les connaître mais il peut mentir. Dans la procédure accusatoire, quand les deux parties interrogent et contre-interrogent, on présume que la vérité apparaîtra.
Que dit l'article 17? Essentiellement, on va demander au juge, qui de par sa formation et son expérience n'a jamais instruit une affaire et a appris qu'au tribunal il est censé rester muet et écouter ce que chaque partie a à dire puis de prendre une décision fondée sur ce qui est raisonnable et l'examen de la preuve et on va lui demander, donc, d'être l'interrogateur et le contre-interrogateur. C'est ce que dit le paragraphe 17(4), en particulier l'alinéa d): «il examine... à huis clos les renseignements et autres éléments de preuve». Le juge doit donc décider si l'intérêt national est en jeu. Comment un juge, qui par sa formation est censé écouter les deux parties présenter la preuve et contre-interroger, doit-il prendre cette décision?
Une des choses que nous avons apprise comme juges c'est que ceux à qui on offre quelque chose ont tendance à mentir. Imaginez qu'ici vous avez un indicateur—et je parle ici d'une affaire de sécurité nationale. Celui-ci a sans doute été accusé d'activités terroristes ou d'atteinte à la sécurité nationale. La police lui dit de lui donner plus de renseignements et plus d'information sur ses activités sans quoi elle va porter des accusations. Pour sauver sa peau, celui-ci va tout d'un coup dénoncer des gens et peut-être les accuser faussement d'avoir attenté à la sécurité nationale. Comme le juge est-il censé contrôler cela? Normalement, le juge entend les deux parties présenter la preuve et il tire ses conclusions. Comment le juge est-il censé prendre cette décision?
Le juge doit ensuite décider en vertu de l'article 17 si les faits sont reliés à la sécurité nationale ou à celle de l'indicateur. Dans l'affirmative, sur la foi de ce qu'une partie, le substitut du Procureur, a présenté, tout ce que l'autre partie reçoit, celle dont la citoyenneté risque d'être révoquée, est un résumé. Comment peut-elle contrôler la crédibilité de cette preuve si elle n'a pas d'avocat pour contre-interroger et vérifier la fiabilité et l'honnêteté du témoin? La personne est alors censée se défendre; c'est tout simplement impossible en vertu de cette disposition.
Á (1125)
Ma dernière observation portera sur la procédure d'appel. J'en discutais plus tôt avec Andrew et il m'a dit qu'il y avait un mécanisme d'appel à l'article 16. Je lui ai demandé: «Où est-il»? Il m'a répondu: «Eh bien, ça n'est pas là, mais il y a un droit d'appel automatique, n'est-ce pas»? Il n'y a pas de droit d'appel automatique. Comment fait-on pour en appeler d'une décision en vertu de l'article 16? En vertu de l'article 17, il y a un déni d'appel. En vertu de l'article 18, il n'y a aucune disposition d'appel. Comment peut-on s'assurer que le juge qui a entendu l'affaire a appliqué les principes de la justice naturelle et la procédure légale? Comment peut-on être convaincu que le juge a abouti à la bonne conclusion? Nous avons appris il y a longtemps que les juges peuvent se tromper et la Cour d'appel ainsi que la Cour suprême du Canada m'ont dit à l'occasion que j'avais moi-même fait des erreurs. Je suis heureux qu'on me l'ait dit parce que cela aurait été terrible si j'avais débouté quelqu'un à cause d'une erreur de ma part. J'ai du mal à comprendre pourquoi le texte tient à refuser aux gens le droit de faire appel devant la Cour fédérale où des juges ont le loisir de prendre connaissance de la transcription des témoignages et de décider si, sur la foi de la preuve présentée, la conclusion tirée par le juge d'instance était appropriée dans les circonstances.
C'était mes observations. Je répondrai maintenant à vos questions.
Le président: Merci beaucoup, votre honneur. Cela nous aide beaucoup d'entendre le point de vue d'un magistrat sur notre loi et sur la façon dont, dans la pratique, celle-ci est applicable ou non. D'autres ont déjà fait certaines des suggestions que vous avez faites, et nous aurons maintenant l'occasion de tester la procédure accusatoire, politiquement parlant, et de vous interroger.
Diane.
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Alliance canadienne): Merci, votre honneur.
En ce qui concerne les témoignages qui peuvent être entendus autrement qu'en conformité avec les règles normales de la preuve, je comprends qu'il y a ici des inquiétudes. Personne ne veut que quelqu'un se voit dépouillé de sa citoyenneté en se fondant sur des éléments de preuve qui n'ont pas été examinés comme il se doit. Vous avez été très éloquent sur ce point. Je sais que des dispositions semblables figuraient dans la Loi sur la citoyenneté. Avez-vous déjà eu à entendre une affaire dans laquelle ce genre d'éléments de preuve ont été présentés? Quand j'ai déjà posé cette question, on m'a dit que ces dispositions avaient toujours été là parce qu'il arrive que le gouvernement canadien se voit communiquer de l'information provenant de services du renseignement ou de gouvernements étrangers à la condition qu'il ne les révèle pas publiquement; mais il est très important de protéger notre pays contre des terroristes ou des criminels étrangers dangereux. Pouvez-vous envisager des cas où ce genre de preuve qui est communiquée à certaines conditions pourrait être acceptée même si elle n'est pas assujettie aux règles normales de la preuve, d'une divulgation et du contre-interrogatoire?
M. R. Salhany: J'ai toujours des soupçons quand quelqu'un se porte volontaire après avoir été arrêté pour une infraction—je parle ici du droit pénal mais cela peut aussi s'appliquer au droit civil—et qui se fait dire qu'il va aller en prison pour 100 ans. Ne nous leurrons pas, c'est comme ça qu'agissent les policiers. Dans ce cas-ci, on lui dit qu'il va perdre sa citoyenneté à moins qu'il ne dénonce ses complices; ne t'inquiètes pas, la loi va protéger ton anonymat. Qu'est-ce qu'il a à perdre? Il va dénoncer tel ou tel autre et inventer des histoires. Comment vérifiez-vous ce témoignage? Il n'y a en réalité aucun moyen de tester la crédibilité de cette personne.
Le Canada n'est pas le seul pays à avoir eu des problèmes de ce genre et à avoir cherché une solution. La solution des Britanniques a été d'assermenter les avocats de la défense et ils ont du mal. Ils disent comprendre qu'il n'y a pas de droit à l'interrogatoire et au contre-interrogatoire et que la seule protection pour quelqu'un est d'avoir un avocat qui conteste la preuve. Ils ont donc autorisé les avocats de la défense à être assermentés et ils devront protéger la sécurité nationale. Ils ne vont pas révéler l'information à leurs clients mais seront autorisés à savoir quelle est l'information pour pouvoir contre-interroger les témoins et vérifier les éléments de preuve. En Angleterre, apparemment, cette façon de procéder a été très critiquée.
Pendant des années, nous nous sommes battus pour créer ce que l'on appelle la procédure régulière légale et cela signifie essentiellement que vous avez le droit de faire face à votre accusé dans un tribunal ouvert et de lui dire dites-moi ce que j'ai fait et laissez-moi tester votre crédibilité, votre fiabilité et votre honnêteté. Ce principe a été institué et les tribunaux ont finalement accepté qu'il soit appliqué il y a 400 ans. Aujourd'hui, nous sommes dans un état de panique, on peut le comprendre, vu le 11 septembre et tout le monde s'inquiète. C'est à des moments comme celui-ci que nous devons nous assurer que les principes institués il y a longtemps sont protégés et il ne faut pas céder à la panique et dépouiller les gens de leurs droits.
Á (1130)
Mme Diane Ablonczy: À votre avis, donc, les risques d'abus de cette disposition et la nécessité de maintenir le principe de la légalité doivent primer le recours à des témoignages secrets.
M. R. Salhany: Non, je dis qu'il y a une meilleure façon que de simplement refuser à quelqu'un l'application régulière de la loi. C'est essentiellement ce qui arrive ici. Tout ce qu'a à faire le substitut du Procureur, c'est invoquer la sécurité nationale et la protection de l'indicateur. On dit ici que le juge doit en tenir compte. Comment? Un juge n'a pas ce qu'il faut pour interroger et contre-interroger, pour décider s'il y a un fondement. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion d'examiner d'autres méthodes, mais il y en a sûrement une. Peut-être s'agit-il d'assermenter les avocats de la défense. C'est peut-être le seul compromis qui satisfera les deux parties.
Mme Diane Ablonczy: J'ai vu que vous en avez contre la formulation de l'article 16 qui parle de la «dissimulation intentionnelle de faits essentiels». Vous dites que c'est vague et que ce n'est pas défini clairement. Une des inquiétudes que j'ai et que je ne cesse de soulever—les membres du comité en ont l'habitude—c'est le cas prévu à l'article 21, où quelqu'un peut se voir dépouiller de sa citoyenneté si le cabinet a des motifs raisonnables de croire qu'une personne «a fait preuve d'un grave mépris à l'égard des principes et des valeurs sur lesquels se fonde une société libre et démocratique». Je ne sais pas si vous avez examiné cette disposition, mais vu cette formulation, avez-vous des inquiétudes analogues à propos du manque de certitude et l'absence de définition de ce que l'on entend par grave mépris à l'égard des principes et des valeurs sur lesquels se fonde une société libre et démocratique?
M. R. Salhany: En bref, je vous dirai que je m'inquiète toujours lorsqu'une loi emploie des termes peu précis, car cela signifie qu'il incombera au juge d'en préciser le sens. Vous demandez aux juges, qui n'ont pas l'expérience et ne savent pas vraiment ce que le Parlement tente de faire, de trouver la réponse. Le libellé d'une loi devrait être aussi précis que possible. Je peux vous dire que, après avoir passé près de 40 ans à interpréter ces dispositions, surtout les dispositions du Code criminel, car c'est paraît-il ma spécialité, je constate que les lois sont de plus en plus vagues. J'ai l'impression que, quand les légistes ne savent pas quoi faire ni comment régler un problème particulier, ils emploient un libellé imprécis dans l'espoir que quelqu'un, un jour, réglera la question et, ce faisant, ils encouragent le recours aux tribunaux.
Tout ce que je peux dire au sujet de cet article-ci, c'est que je ne peux pas imaginer que la fraude ou une fausse déclaration ne puisse s'appliquer à toutes ces situations. Pourquoi alors employer d'autres termes qui, à mon sens, ne font que semer la confusion?
Á (1135)
Le président: Si vous me le permettez, notre collègue, Diane, vient de poser des questions très pertinentes et j'aimerais en profiter pour donner des informations au comité.
Vous avez demandé si cela figurait dans la vieille loi sur la citoyenneté. La réponse est non. C'est prévu dans ce projet de loi, et ce l'était dans l'ancienne loi sur l'immigration et celle que nous venons d'adopter, ainsi que dans le projet de loi antiterrorisme que nous venons d'adopter.
De plus, aux termes de l'article 21, c'est dorénavant le ministre, et pas même un juge, qui se prononce sur la question de savoir s'il y a eu mépris grave à l'égard des valeurs canadiennes. Cette décision n'incombera plus à un juge, mais bien à un ministre ou au gouvernement.
M. R. Salhany: Est-ce qu'on établira des critères à partir desquels cette évaluation pourrait être faite? Si au moins on fixait des critères, ce serait plus précis et on saurait comment trancher.
Mme Diane Ablonczy: Quand j'ai interrogé les représentants du ministère, on m'a répondu que les critères seraient semblables à ceux énoncés dans l'arrêt Oakes. Cela soulève certaines objections que je n'ai pas le temps d'aborder maintenant, mais essentiellement, cela signifie que les valeurs qui pourraient être violées ne sont pas définies. De plus, est-ce que chaque citoyen devra prouver qu'il a respecté toutes les valeurs sur lesquelles se fonde une société libre et démocratique? Il me semble que ce sont les valeurs de la société en général et qu'il n'est pas nécessaire que chaque citoyen les respecte en tout temps. Je pourrais avancer d'autres arguments si nous avions un peu plus de temps pour en discuter, mais peut-être que mes collègues voudront eux-mêmes en discuter avec vous.
Le président: Assurément.
Je cède la parole à John Bryden.
M. John Bryden: Merci, monsieur le président.
J'aimerais poursuivre dans la même veine que Mme Ablonczy. Je vous donne une copie de l'article 21. Il tient sur à peine huit ou neuf lignes, mais il est très pertinent à notre discussion. Je m'inquiète aussi beaucoup de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, mais c'est peut-être une allusion à l'article 21 qui parle d'un grave mépris. Il semble que certains de ces changements à la loi visent à faire ressortir ceux qui ont été reconnus coupables de génocide, de crimes de guerre, de ce genre de choses. L'article 17 sert à les identifier de façon rétroactive. Si on remplaçait l'expression «dissimulation intentionnelle de faits essentiels» par «dissimulation intentionnelle d'un grave mépris à l'égard des principes et valeurs sur lesquels se fonde une société libre et démocratique», répondrait-on à votre objection quant à l'imprécision du libellé?
Á (1140)
M. R. Salhany: Pas du tout.
M. John Bryden: Alors, pourrait-on améliorer le libellé de l'article 21 en faisant un renvoi précis à la loi? Plutôt que de dire «des principes et des valeurs sur lesquels se fonde une société libre et démocratique», préféreriez-vous, en votre qualité de juge, qu'on dise «un grave mépris à l'égard des principes et des valeurs sur lesquels se fonde la Charte des droits et libertés» ou «la Constitution du Canada». La Charte définit certains droits et libertés, ce qui faciliterait l'interprétation des articles 17 et 21 puisqu'il s'agirait d'un grave mépris à l'égard de quelque chose qui figure dans la loi, dans la Charte canadienne des droits et libertés?
M. R. Salhany: Vous dites que la Charte définit certains droits et libertés. En fait, la Charte les établit, mais le paragraphe 24(2) permet l'exclusion de certaines preuves et cela a aussi donné lieu à beaucoup d'interprétation de la part des juges. Or, il me semble qu'on préférerait la précision afin de prévenir les litiges devant les tribunaux. J'en reviens à mon principal argument. Si la fraude et la fausse déclaration s'appliquent à tout, pourquoi ajouter «dissimulation intentionnelle de faits essentiels»? Les gens arrivent au pays, nous les accueillons, nous leur accordons la citoyenneté. Puis, si nous constatons qu'ils sont coupables de fraude, qu'ils ont menti ou fait de fausses déclarations, nous jugeons bon de revenir sur notre décision de les avoir accueillis. Cela ne justifie-t-il pas la révocation de la citoyenneté? Pourquoi devons-nous employer les termes «dissimulation intentionnelle de faits essentiels»? Qu'entend-on par «essentiels»?
M. John Bryden: Moi, je me demande si on ne pourrait pas corriger la situation en précisant qu'il s'agit de mépris à l'égard de la Charte des droits et libertés, autrement dit que vous avez dissimulé le fait que vous avez commis des crimes de guerre, par exemple.
Je vous donne un meilleur exemple que j'ai déjà employé dans d'autres situations. Il y a bien des pays dans le monde qui sont des sociétés démocratiques où l'on permet les exécutions sommaires. Or, notre charte ne permet pas les exécutions extrajudiciaires. Ceux qui ont autorisé ou fait des exécutions extrajudiciaires auraient donc fait montre d'un grave mépris à l'égard de la Charte, mais peut-être pas à l'égard des règles et principes d'une société démocratique. Suffirait-il alors de parler de dissimulation intentionnelle d'un grave mépris à l'égard de la Charte des droits et liberté quand quelqu'un n'a pas révélé qu'il avait fait ou autorisé des exécutions sommaires dans son pays d'origine? Voilà ma première question.
Deuxièmement, si l'on tente d'exclure les personnes provenant d'États où certains actes sont permis par l'État alors qu'ils ne le sont pas par le Canada en raison de la Charte, ne serait-il pas préférable de remplacer, à l'article 21, les termes «des principes et des valeurs sur lesquels se fonde une société libre et démocratique» par une mention de notre constitution ou de la charte des droits?
M. R. Salhany: D'emblée, si votre libellé est précis, je suis pour. Mais cette sélection n'aurait-elle pas dû être faite plus tôt? Les questions qui vous préoccupent, par exemple, sur les exécutions sommaires, n'auraient-elles pas dû être posées au moment où l'immigrant a fait sa demande de résidence?
Á (1145)
M. John Bryden: Excusez-moi de vous interrompre, mais les réponses qu'on donne à la Commission du statut de réfugié ne sont pas toujours véridiques.
M. R. Salhany: Si on ment, on fait une fausse déclaration et c'est de la fraude; si cette personne n'avait pas menti, elle n'aurait pas pu rester au pays. Voilà où je veux en venir. La fraude est commise au détriment de quelqu'un et, en l'occurrence, elle est commise au détriment du gouvernement. Sans cette fausse déclaration, cette personne n'aurait pas pu entrer au Canada. La fraude s'applique donc à ces cas-là. Voilà pourquoi j'ai dit que j'ignore ce qu'on entend par «dissimulation intentionnelle de faits essentiels». Cela va susciter beaucoup de préoccupation et d'autres procédures judiciaires.
Le président: Merci.
À vous la parole, Madeleine.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le juge, et merci d'être présent aujourd'hui. C'est toujours intéressant, quand on discute d'une loi, d'entendre le point de vue de la personne qui, au bout du compte, devra prendre la décision.
Comme le président l'a dit, un grand nombre de nos témoins ont manifesté une inquiétude extrêmement grande, notamment à l'endroit des articles 17 et 18. Je pense qu'autour de cette table, la majorité est convaincue qu'il faut absolument améliorer la loi.
Pensez-vous qu'une façon de la rendre meilleure pourrait être de préciser un peu au début de la loi, là où il y a toutes les définitions, ce que veulent dire les valeurs auxquelles on fait référence en se basant sur le jugement Oakes, dont vous connaissez très certainement la teneur, où certaines choses ont été précisées puisque le juge a rendu son jugement en se basant là-dessus? Est-ce une chose qui vous paraîtrait souhaitable et suffisante? C'est ma première question.
[Traduction]
M. R. Salhany: En ma qualité de juge, je préfère toujours une loi précise et qui définit clairement ce que nous sommes censés faire, plutôt qu'un libellé vague qui peut faire l'objet de différentes interprétations par les juges. Quand différents juges interprètent la loi différemment, il faut demander à la Cour d'appel de donner une seule définition au libellé et, ensuite, il arrive que la Cour suprême du Canada ne soit pas d'accord avec la Cour d'appel. L'imprécision entraîne de nombreux problèmes. Je suis d'accord pour dire que les définitions sont très importantes et doivent être aussi précises que possible. Je le répète, d'après mon expérience, les légistes préfèrent rester vagues car il est difficile de définir des expressions telles que «dissimulation intentionnelle de faits essentiels». J'abonde dans le même sens que vous: il est important d'avoir un article comportant les définitions au tout début du texte législatif.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: J'ai une deuxième question, qui n'a pas été abordée aujourd'hui et qui me préoccupe beaucoup. C'est au sujet de cette période de probation pour tous les nouveaux citoyens canadiens, qui seront en sursis pendant un maximum de cinq ans.
J'avoue que ça me trouble. C'est un peu comme si au terme de mes études en soins infirmiers, j'avais été reconnue comme étant vraiment une professionnelle cinq ans plus tard seulement. C'est une chose avec laquelle j'ai beaucoup de difficulté.
Par ailleurs, on sait qu'il y a longtemps, la période d'attente pour obtenir la citoyenneté était de cinq ans. Maintenant, c'est trois ans. Est-ce qu'il ne serait pas plus sage d'allonger la période pour obtenir la citoyenneté canadienne de façon à permettre d'effectuer les enquêtes et de trouver tout ce qui peut servir à démontrer que telle personne n'est pas vraiment le type de personne qu'on veut avoir au Canada, plutôt que d'octroyer la citoyenneté et finalement, peut-être deux ans et demi plus tard, de dire qu'on a changé d'avis?
J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que ça va toucher tous les nouveaux citoyens canadiens, et il y en a beaucoup.
Á (1150)
[Traduction]
M. R. Salhany: Vous avez tout à fait raison. Il faut que l'enquête soit faite à l'étape de la demande de résidence. Une fois qu'on obtient la citoyenneté, on entre dans une nouvelle catégorie. Il importe que les citoyens jouissent de l'application régulière de la loi, mais ce n'est pas nécessaire pour les résidents permanents, car ceux-ci n'ont pas encore acquis le statut spécial que seule la citoyenneté peut conférer. Cependant, je me dois de préciser que la Cour suprême du Canada a jugé que la Charte s'applique non seulement aux citoyens du pays, mais à tous ceux qui s'y trouvent. Ce problème s'ajoute aux autres. Mais je suis d'accord avec vous pour dire que l'enquête doit durer longtemps. À cette étape, une fois que la décision est rendue, il devrait être très difficile de retirer à quelqu'un sa citoyenneté.
Le président: Merci.
Libby, vous avez la parole.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup d'être venu. Je suis désolée d'avoir manqué une partie de votre témoignage, mais j'ai quand même pu écouter les remarques que vous avez faites ces dernières minutes.
Quand je regarde la liste des organisations et des personnes qui sont venues témoigner devant notre comité jusqu'à présent, je peux dire que, dans l'ensemble, ce projet de loi suscite une vigoureuse opposition. Bon nombre des groupes et des personnes que nous avons entendus ont exprimé les mêmes préoccupations que vous.
J'aimerais revenir à l'article 17 qui prévoit la révocation de la citoyenneté par le biais du certificat de sécurité. La difficulté, c'est que la révocation peut se faire sans que l'on ait pu voir toutes les preuves et sans possibilité d'appel. Ça ne me semble même pas constitutionnel. Si ces mesures sont adoptées, j'imagine qu'elles seront contestées en vertu de la Charte.
M. R. Salhany: Peut-être, mais on n'aura pas nécessairement gain de cause, car les tribunaux estiment qu'il faut s'en remettre à la volonté du Parlement. Il n'y a aucun droit constitutionnel d'appel. Rien dans la Charte ne confère le droit constitutionnel d'appel. Voilà pourquoi ça m'inquiète qu'il n'y ait rien à cet égard dans ce projet de loi. L'article 17 et le projet de loi dans son ensemble ne prévoient aucun droit d'appel.
Mme Libby Davies: Dans quelle mesure cette disposition touche-t-elle les autres procédures ou mesures législatives? Je ne suis pas avocate, mais j'ai quand même une vague idée de ce que sont les valeurs démocratiques sur lesquelles repose la société canadienne. Pour moi, l'une de ces valeurs, même si elle n'est peut-être énoncée nulle part, est le droit d'appel, le droit de prendre connaissance des preuves qui seront utilisées contre moi, même si elles le seront dans le cadre d'une procédure judiciaire. C'est donc un peu contradictoire. Nous ne précisons pas ces valeurs, mais pour moi, c'en est une. Si je dois faire face à des accusations, j'ai le droit de savoir ce qu'on me reproche. Dans les autres lois en général, on reconnaît généralement un droit d'appel, ainsi que le droit de connaître la teneur des allégations et des accusations, n'est-ce pas?
M. R. Salhany: En droit pénal, il est clair que chacun a le droit de savoir, de faire face à son accusateur et d' exiger que celui-ci porte ses accusations en audience publique du tribunal. Il y a aussi une interprétation judiciaire concernant les informateurs. Ainsi, il y a bien des crimes sur lesquels la police a du mal à enquêter; elle fait donc appel à des indicateurs, lesquels fournissent des preuves à la police contre une garantie de protection. Les tribunaux ont déclaré qu'ils n'ordonneraient pas nécessairement la divulgation du nom et des antécédents de l'indicateur si celui-ci ne peut se protéger ni se défendre. Les tribunaux disent donc simplement qu'il faut révéler qui est cette personne et l'amener à confronter son accusateur devant le tribunal. Dans tous ces cas, la Couronne retire ses accusations. En droit pénal, du moins, on reconnaît qu'il est important que l'accusé puisse interroger et contre-interroger les témoins afin d'établir leur crédibilité.
Á (1155)
Mme Libby Davies: Par conséquent, si nous conservons cette disposition, en théorie, si je fais l'objet d'une procédure judiciaire aux termes de cette loi, je ne pourrais jouir de cette discrétion qui existe en procédure criminelle, n'est-ce pas?
M. R. Salhany: L'alinéa 17(4)b) dit que le juge «est tenu de garantir la confidentialité des renseignements [...] dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui». Comment le juge peut-il prendre cette décision? Sur quoi se fonde-t-il? Il se fonde sur les déclarations de la Couronne. Le substitut du Procureur lui dit que son témoin est un indicateur de police qui doit rester anonyme pour des raisons de sécurité nationale. Si le juge a des doutes, il ne peut que s'en remettre au substitut qui lui affirme qu'une enquête complète a été menée. Le juge n'est pas en mesure d'établir la véracité de ces affirmations. Je ne veux pas dire par là que le substitut du Procureur ment, mais ils peuvent tromper les juges.
Je vous donne un exemple simple. Un jour, la police arrive chez moi et me dit que, selon ses renseignements, j'aurais porté atteinte à la sécurité nationale. Quand je demande qui a fourni ces renseignements, les policiers me répondent qu'ils ne peuvent me le dire. Si je veux savoir quelles sont les accusations qu'on porte contre moi, on me répond qu'un résumé de ces accusations me sera remis plus tard. Si je veux contester ces allégations, on me répond qu'on ne peut me les divulguer parce qu'il s'agit de sécurité nationale. Il se peut que l'accusateur soit l'un de vos voisins qui, pour une raison ou une autre, vous en veut. Supposons que votre voisin a réussi, d'une façon ou d'une autre, à obtenir de la Couronne qu'elle lui accorde l'immunité. Cet accusateur peut dénoncer toutes sortes de gens sous le couvert de l'anonymat. Vous ne pouvez rien faire contre cela.
Le président: Nous savons tous que Libby Davies ne présente absolument aucun risque pour la sécurité nationale—du moins, certains d'entre nous sont prêts à se porter garants d'elle.
Je cède la parole à Andrew.
M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Soyez le bienvenu. Nous sommes heureux de vous accueillir. Je sais que vous avez beaucoup réfléchi à l'absence d'un droit d'appel. L'article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; à mes yeux, peu de choses sont aussi intimement liées à la sécurité de la personne que la citoyenneté. Il importe donc de faire en sorte que la citoyenneté ne puisse être retirée que conformément aux principes de justice fondamentale.
Vous avez dit qu'il nous fallait être plus précis dans le projet de loi, surtout en ce qui a trait au mécanisme d'appel. Honnêtement, si le gouvernement accuse quelqu'un de fraude, il devrait en faire la preuve. Vous avez aussi exprimé des réserves concernant l'expression «dissimulation intentionnelle de faits essentiels». Les légistes avaient proposé dans le passé une autre version du projet de loi qui ne comprenait pas le mot «intentionnellement», ce qui aurait prêté davantage à confusion.
Dans une procédure judiciaire normale, si on veut révoquer la citoyenneté pour motif de fraude, la fraude étant quelque chose que les tribunaux comprennent bien—ils traitent de milliers de cas de fraude chaque année et il devrait peut-être y en avoir plus, compte tenu des affaires comme Enron—si vous portez des accusations de fraude et que cela entraîne une sanction aussi radicale que la révocation de la citoyenneté, la norme de droit pénal devrait s'appliquer, et c'est ce que nous ont clairement dit les témoins. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et que vous nous disiez si vous êtes satisfaits de la loi actuelle. Manifestement, nous ne voulons pas refaire les mêmes erreurs dans la nouvelle loi.
 (1200)
M. R. Salhany: Premièrement, l'article 7 garantit à tous le droit à l'application régulière de la loi, ce qui signifie le droit d'interroger et de contre-interroger les témoins et de confronter son accusateur. C'est un élément si fondamental de notre régime juridique que toute tentative de le supprimer est radicale. Nous vivons à une époque marquée par la peur, et c'est précisément dans de telles circonstances que nous devons nous assurer de protéger les droits individuels.
Vous voulez que je vous parle de présomption. Comme vous le savez, il y a deux présomptions en droit : la preuve doit être établie selon la prépondérance des probabilités ou hors de tout doute raisonnable. L'établissement de la preuve hors de tout doute raisonnable existe chez nous depuis l'affaire Wilmington, au début du siècle. C'est un lourd fardeau pour les jurys, mais moins lourd pour les juges. Les juges se permettent de faire appel à leur bon sens. Mais dans des cas comme ceux qui nous intéressent, il me semblerait suffisant d'établir la preuve selon la prépondérance des probabilités. Je sais que certains juges de la Cour fédérale estiment que cette norme se situe entre la preuve établie hors de tout doute raisonnable et selon la prépondérance des probabilités, mais j'ignore exactement ce que cela signifie. Je pense qu'ils ont employé des termes tels que «preuve convaincante». Les juges eux-mêmes se débattent avec cette norme de preuve et ont tenté de trouver le juste milieu.
Dans les cas de citoyenneté que je connais, lorsque le juge a rejeté la demande de révocation contre un citoyen accusé de crime de guerre, le juge a parlé de «preuve convaincante». La plupart des juges exigent qu'on établisse la preuve selon la prépondérance des probabilités. Si la balance de la justice semble pencher un peu plus d'un côté que de l'autre, la preuve a été établie selon la prépondérance des probabilités. Si le fardeau de la preuve est source de préoccupation et que le gouvernement ne veuille pas aller jusqu'à exiger que la preuve soit faite hors de tout doute raisonnable, vous pourriez certainement trouver un terme qui constituerait un compromis acceptable.
Pour répondre à la troisième question, il y a quelques années, on m'a demandé de commenter une décision qui avait été rendue par un juge de la Cour fédérale. J'ai conclu que ce juge avait rendu la mauvaise décision. Mais ce n'était que mon opinion personnelle. Je suis certain qu'il estimait que je ne parlais pas en connaissance de cause, mais on m'avait tout simplement demandé de donner mon opinion à partir des preuves qui avaient été présentées. Je suis pour ma part convaincu que s'il y avait eu appel, la décision aurait été infirmée, mais l'appel n'était pas possible et il n'y en a pas eu.
Je suis certain que les juges de la Cour fédérale ont du mal avec la loi en vigueur et seraient très heureux que l'on précise ses dispositions.
 (1205)
Le président: Merci.
Je cède maintenant la parole à M. Assadourian.
M. Sarkis Assadourian: Merci, monsieur le président.
Il est bon de vous voir comparaître comme témoin, pour une fois.
Avant que deux ministres n'approuvent et ne signent un certificat, le certificat est passé par chacun de leur ministère. Essentiellement, quand le certificat est remis au juge, il a été examiné et approuvé par deux ministres, n'est-ce pas?
M. R. Salhany: Vous tenez pour acquis que les ministres approuvent le contenu des certificats avant de les signer, mais est-ce vraiment le cas? Vous connaissez la réponse à cette question mieux que moi. Les ministres s'en remettent-ils à leurs conseillers? J'ai été procureur de la Couronne et avocat de la défense. Je ne faisais pas ma propre enquête, je me fiais à ce que me disaient les policiers. Je ne faisais pas mes propres recherches.
M. Sarkis Assadourian: Je présume que le juge aura le droit ou même l'obligation d'interroger les représentants du ministère s'il estime que le certificat comporte des irrégularités, n'est-ce pas?
M. R. Salhany: Le juge aura le droit d'interroger l'avocat du substitut du Procureur à propos de la preuve qui est présentée.
M. Sarkis Assadourian: Là où je veux en venir, c'est que le juge peut faire une erreur. Nous sommes tous humains, nous faisons tous des erreurs. Alors, si au lieu que ce soit un seul juge qui prenne la décision c'était un groupe de trois juges qui déterminerait si un certificat est justifié ou pas? Cela éliminerait toute injustice pour la personne et réduirait les risques d'être injuste envers un citoyen canadien. Seriez-vous en faveur de cette solution?
M. R. Salhany: J'aimerais une procédure où un seul juge recevrait le certificat et aurait ensuite un moyen permettant aux deux parties d'examiner la preuve grâce à un interrogatoire et un contre-interrogatoire. Le juge n'est pas formé pour faire l'instruction, interroger ou contre-interroger. Il a pu avoir été un extraordinaire avocat plaidant—parfois, quand je siégeais comme juge, je me disais que je pourrais faire un meilleur contre-interrogatoire que les avocats qui étaient devant moi, mais j'ai dû apprendre à me taire. Ce n'est pas la fonction du juge. De par notre formation et notre expérience et vu la nature du processus, nous sommes censés écouter ce que les deux parties ont à dire. Je ne sais pas comment nous pourrions faire l'instruction. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, c'est ce que fait le juge d'instruction dans le système français. Il fait enquête, il interroge, il fait tout puis présente le résultat au tribunal. Il est mieux placé pour le faire mais il n'en est pas ainsi dans notre système où le juge est censé écouter les deux parties.
 (1210)
Le président: Votre honneur, l'article 17 ouvre de nouvelles voies. Sarkis vient de parler d'un groupe de trois juges. Vous avez dit que le modèle français pourrait être examiné. Je sais que le comité est en faveur de l'application régulière de la loi même pour ce qui est du certificat. Comme vous le savez, la question fait actuellement les manchettes dans certaines affaires de terrorisme. Peut-être pourriez-vous, après réflexion, nous proposer un mécanisme qui marcherait, que nous pourrions étudier et soumettre à nos ministres et à nos collègues de la justice. Si vous pouviez y réfléchir et nous communiquer vos suggestions, nous en serions très heureux.
Deuxièmement, votre témoignage est très important pour nous et a été très instructif. Vous dites que beaucoup de ces situations peuvent être évitées, qu'il faut être précis à l'article 21 et ailleurs et je suis d'accord avec vous. Quand vous devenez citoyen, vous avez le droit à la citoyenneté mais le privilège de devenir un citoyen canadien, un résident permanent, c'est différent. Il y a un système quasi judiciaire en amont, le juge de citoyenneté, qui a un contact direct avec la personne en lui faisant passer une entrevue: les requérants doivent avoir une connaissance du Canada, de notre langue et aussi prouver certaines choses, la résidence, etc. et il faut regarder la demande qui est présentée. Le projet de loi parle de supprimer les juges de la citoyenneté et de les remplacer par des commissaires qui auront en fait des fonctions cérémoniales et l'administration de la bureaucratie aura la discrétion qui est maintenant entre les mains du juge de la citoyenneté. Comme vous l'avez dit, peut-être devrions-nous prendre un peu de temps au début pour nous assurer que tout est correct et peut-être faut-il l'interaction ou l'appréciation d'une personne indépendante, pas l'administration, pour faire cette évaluation d'un citoyen canadien potentiel.
M. R. Salhany: Je suis 100 p. 100 d'accord avec vous. Je pense qu'il est important au début d'avoir quelqu'un qui examine soigneusement les candidatures pour établir la résidence et ainsi de suite.
Je vais réfléchir à la question du processus.
Le président: Ça a été un plaisir et un honneur pour nous de vous accueillir, monsieur le juge. Merci beaucoup.
M. R. Salhany: Merci de m'avoir invité. Merci beaucoup.
Le président: Nous allons maintenant passer au prochain témoin, le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. George Radwanski. Il sera question de la carte d'identité nationale, l'autre question examinée par le comité. Nous avons parcouru le pays et entendu quantité de témoins, y compris d'autres commissaires à la vie privée.
Monsieur Radwanski, au nom du comité je vous remercie de comparaître devant nous et c'est avec plaisir que nous écouterons votre intervention. Je suis certain que nous aurons énormément de questions à vous poser, comme nous en avons eu à poser à vos collègues partout au pays.
M. George Radwanski (commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président.
J’apprécie beaucoup cette possibilité qui m’est donnée aujourd’hui de vous entretenir de la carte d’identité nationale comportant des identificateurs biométriques. En premier lieu, sachez que je suis d’avis qu’une telle carte d’identité nationale n’a pas sa raison d’être au Canada. Rien ne le justifie. Une telle mesure aurait des répercussions considérables sur les droits à la vie privée. Cette mesure irait totalement à l’encontre de nos traditions et de nos valeurs canadiennes. Son coût de mise en œuvre varierait de 3 à 5 milliards de dollars, vraisemblablement plus près de 5 milliards de dollars, ce qui constitue des dépenses qui seraient plus utiles si elles portaient sur des mesures visant à nous aider plutôt qu’à nous nuire.
La création d’une carte d’identité nationale est non seulement un concept inutile, mais il ne reçoit aucun appui. Votre comité a entendu jusqu’à aujourd’hui, 61 témoignages sur cette question. Seuls cinq d’entre eux sont favorables à la création d’une telle carte. Sur ce nombre, on compte les témoignages de trois simples citoyens, d’une firme de recherche et de consultation sur les questions liées à l’immigration et d’un groupement représentant les immigrantes. Aucun de ces cinq témoins «favorables» n’avait demandé à se présenter devant le comité pour appuyer la création de la carte. Cette question a été soulevée au cours de leur témoignage sur d’autres sujets. Depuis novembre dernier, 21 journaux au Canada ont publié des éditoriaux dans lesquels on s’oppose à la création d’une carte d’identité nationale. Aucun journal n’a publié un éditorial à l’appui de sa création.
Même le ministre Coderre, qui a demandé à ce comité d’étudier la question de la création d’une carte d’identité nationale, ne s’est pas dit favorable à une telle mesure. M. Coderre a déclaré qu’il souhaite simplement que l’on discute de la question. De plus, un collègue de M. Coderre au sein même du Cabinet—son prédécesseur comme ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration—a pris l'initiative hautement inusitée de rejeter publiquement le concept. Je crois que le débat que souhaitait M. Coderre est terminé et j’espère que nous pouvons tous convenir que le parti du NON l’a dominé outrageusement.
Permettez-moi de brièvement résumer pourquoi en ma qualité de mandataire du Parlement, responsable de la protection et de la défense des droits à la vie privée des Canadiens et des Canadiennes, il est de mon devoir de m’opposer à la création d’une telle carte d’identité nationale. Une carte d’identité nationale modifierait en profondeur la société canadienne et empiéterait considérablement sur les droits à l’anonymat qui constituent une partie clé de nos droits fondamentaux à la vie privée. Au Canada, les agents de l’État ne sont pas habilités à nous demander de s’identifier dans le cadre de nos activités de tous les jours, à moins que nous ne soyons mis en état d’arrestation ou que nous exécutions une activité demandant un permis, comme conduire un véhicule. La police ne peut arrêter les gens dans la rue et leur dire «Vos papiers, s’il vous plaît». La création d’un passeport interne de facto changerait inévitablement cette situation. La création d’une carte d’identité nationale, comportant des identificateurs biométriques, qui serait utilisée à des fins de plus en plus nombreuses, ouvrirait la porte à la surveillance continue de nos activités, de nos transactions et de nos allées et venues.
Il n’existe aucune possibilité réelle que le port d’une telle carte se fasse de façon volontaire. Même si au départ elle était émise sur la base d’une acceptation volontaire, qui pourrait croire que le gouvernement investirait des milliards de dollars pour créer une telle carte et le réseau nécessaire de lecteurs biométriques et qu’il permettrait ensuite qu’elle soit utilisée par un petit nombre de citoyens? De toute façon, à mesure que le gouvernement et les entreprises commenceraient à demander aux personnes de s’identifier à l’aide d’une telle carte, la pression pour s’y conformer risque d’être énorme. Les personnes qui n’en possédaient pas seraient de plus en plus suspectes.
Depuis le 11 septembre, je me suis efforcé de bien faire comprendre à maintes reprises, qu’en ma qualité de Commissaire à la protection de la vie privée, je ne chercherai jamais à m’opposer aux mesures nécessaires et justifiables visant à nous protéger contre le terrorisme, même si elles portent quelque peu atteinte à la vie privée. Mais j’ai aussi recommandé que de telles mesures doivent satisfaire à certains critères en matière de nécessité, d’efficacité, de proportionnalité et d’absence de mesures moins envahissantes. À mon avis, la carte d’identité nationale comportant des identificateurs biométriques échoue lamentablement sur tous ces points.
Personne, même pas le ministre Coderre, n’a déclaré que l’émission de cette carte était nécessaire. Dans l’exercice de ses fonctions, si un ministre au sein du gouvernement est convaincu qu’une mesure est nécessaire, il ne demande pas qu’elle soit soumise à des discussions d’ordre général. Il se prononce sans détours pour qu’elle soit adoptée, ce que M. Coderre n’a pas fait. Il n’a fait que suggérer, sans trop de détails, que l’émission d’une carte d’identité comportant des identificateurs biométriques faciliterait l’entrée aux États-Unis, contribuerait à diminuer les vols d’identité et pourrait d’une façon quelconque aider à la lutte contre le terrorisme. Ces arguments sont bien loin de démontrer l’urgence d’adopter une telle mesure.
 (1215)
Le deuxième critère, l'efficacité pour ce qui est de satisfaire à un besoin prouvé, ne s'applique pas dans le cas présent, puisqu'aucun besoin n'existe en la matière. Par contre, une carte d'identité nationale ne pourrait en aucun cas engendrer un seul des avantages vaguement cités par le ministre. Nous disposons déjà d'un document qui facilite l'entrée aux États-Unis ou dans tout autre pays—le passeport canadien. On ne comprend pas bien pourquoi M. Coderre croit que les États-Unis dépenseraient des milliards de dollars pour installer un vaste de réseau de lecteurs biométriques reliés à tous les points de passage frontalier d'un océan à l'autre, et ce, uniquement pour traiter les cartes d'identité émises par le Canada.
En ce qui concerne les cas de vol d'identité, ces fraudes se produisent rarement dans des situations de face à face. Elles se font par téléphone, par la poste et dans le domaine du commerce électronique—toutes des situations où l'utilisation d'une carte d'identité ne s'applique tout simplement pas. Ces cartes pourraient même faire l'objet de fraude. Peu importe leur niveau de technicité, elles n'auront de valeur, comme tout autre document d'identité, qu'en fonction de leur utilité comme moyen de permettre aux particuliers de s'identifier. Même la carte d'identité la plus sophistiquée ne peut longtemps freiner les activités d'organisations criminelles ou terroristes disposant de matériel à la fine pointe de la technologie. Toute technologie peut être modifiée ou utilisée à des fins malveillantes. De fait, l'utilisation d'une carte unique et présumée infaillible aggraverait la situation.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, plusieurs des auteurs des attentats du 11 septembre étaient bien établis au sein de leur collectivité respective et utilisaient leur nom véritable. Si les États-Unis avaient émis des cartes d'identité—ce qu'ils n'ont aucune intention de faire, d'après toutes les informations que j'ai pu recueillir—, ils y auraient été admissibles. La carte d'identité est inutile dans la lutte contre les terroristes mis en veilleuse qui ne se sont jamais déclarés comme tels, contre les terroristes qui se fabriquent de fausses identités pour obtenir une carte et contre ceux qui arrivent en qualité de touristes et de visiteurs qui n'auraient pas de toute façon de carte d'identité.
Quant au critère de la proportionnalité, il est clair que les atteintes à la vie privée ne peuvent pas être proportionnelles aux avantages si ces derniers sont négligeables. Et, dans ce cas-ci, les atteintes à la vie privée seraient massives. En premier lieu, nous ferions face à une situation où le gouvernement du Canada exigera que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes se soumettent au prélèvement des empreintes digitales ou rétiniennes. Cette mesure en soi constitue une ingérence d'une ampleur inimaginable. La carte deviendrait un passeport interne que nous serions tenus de présenter sur demande aux autorités, ce qui en ferait un puissant outil de contrôle social. Les entreprises feraient aussi confiance à la carte et en feraient une condition de la prestation de leurs services. Toutes ces mesures contribueraient à créer une société où toutes nos activités et toutes nos transactions pourraient être enregistrées, suivies et liées à notre identité. Et si cette carte devait—ce qui semble probable—combiner d'autres éléments comme le permis de conduire, la carte-santé donnant accès aux dossiers de santé électroniques et d'autres cartes du genre, l'atteinte à la vie privée ne ferait que s'aggraver.
Cela nous amène au dernier critère et à la conclusion de mon exposé: existe-t-il une mesure de rechange moins envahissante? Dans le cas présent, la solution de rechange est simple: pas de carte d'identité nationale! Je demande instamment et respectueusement aux membres du comité d'exprimer un non retentissant.
Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre aux questions.
 (1220)
Le président: Merci, monsieur Radwanski.
Comme vous le savez, le comité vient tout juste d'amorcer le débat qui nous a été en quelque sorte imposé. Nous allons nous renseigner sur la position des États-Unis quand nous irons là-bas la semaine prochaine. Comme je l'ai dit et comme vous l'avez indiqué, le ministre a donné au comité une occasion unique en lui remettant une feuille vierge et en lui demandant de déterminer s'il y a lieu d'y inscrire quelque chose. Vous vous êtes manifestement documenté en ce qui concerne le nombre de témoins—je ne savais pas moi-même combien de témoins nous avions entendus. Permettez-moi de vous dire que nous ne sommes pas pressés de prendre des décisions faciles. Nous vous sommes très reconnaissants pour vos observations.
Diane.
Mme Diane Ablonczy: Merci, monsieur Radwanski. Je n'ai pas besoin de vous le dire à vous, mais je tiens à dire aux Canadiens qui suivent nos délibérations aujourd'hui que vous êtes un des trois chiens de garde indépendants qui sont chargés de protéger l'intérêt public. Vous êtes une espèce rare, et nous devrions vous être très reconnaissants de ce que vous faites et porter beaucoup d'intérêt à ce que vous avez à dire.
Quand le ministre est venu témoigner devant notre comité en février, il nous a dit que près de 100 pays utilisent une carte d'identité nationale. Le groupe Privacy International nous a toutefois dit le contraire. Il soutient en fait que la carte d'identité nationale polyvalente et intégrée existe dans très peu de pays, même si on a entrepris de la mettre en place en Chine, à Singapour, en Malaisie et en Thaïlande, autant de pays que nous voulons éviter d'émuler à bien des égards. Je me demande si vous pourriez éclairer le comité, à partir de l'étude que vous en avez faite, sur l'utilisation des cartes d'identité nationales, et nous indiquer notamment s'il y a d'autres pays qui font appel aux identificateurs biométriques.
 (1225)
M. George Radwanski: La plupart des pays d'Europe ont une carte d'identité quelconque, le plus souvent volontaire, mais qui a parfois des fonctions multiples. On ne fait que commencer à explorer la possibilité de recourir à la biométrie. Il n'y a que quatre pays d'Europe où la carte d'identité est obligatoire: la Belgique, l'Espagne, la Grèce et l'Allemagne.
Le président: Le comité va se déplacer pour essayer de savoir pourquoi ces pays ont pris cette décision.
M. George Radwanski: Je tiens à signaler que les pays anglophones, notamment ceux qui ont une tradition de common law, n'en ont pas. En Australie, l'idée avait été proposée et rejetée en masse. Aux États-Unis, d'après les conversations que j'ai eues, on trouve impensable d'essayer d'instaurer une carte d'identité nationale, sans même parler d'obliger tous les citoyens à fournir des empreintes digitales ou rétiniennes. En Grande-Bretagne, on songe à la possibilité d'adopter une «carte d'admissibilité», qui serait en somme une carte d'identité nationale. La bataille est loin d'être gagnée. Nous verrons ce qui arrivera, mais je ne serais pas surpris qu'on y renonce là aussi. Le phénomène est loin d'être universel. En fait, nous avons demandé au bureau du ministre Coderre de nous fournir la liste des 100 pays qui ont une carte d'identité, et on nous a répondu qu'il n'y avait pas de liste de ces pays, et au ministère on nous a répondu la même chose.
Mme Diane Ablonczy: Comme je l'ai déjà dit, le public suit nos délibérations. Quand on parle d'une carte d'identité nationale, les citoyens ont parfois tendance à dire que cela ne pose pas de problème pour eux puisqu'ils n'ont rien à cacher. J'aimerais que vous répliquiez à cette façon de voir les choses. Pensez-vous que c'est là une affirmation raisonnable de la part d'un citoyen honnête? Que répondriez-vous si vous étiez député comme moi à ceux qui tiennent ce genre de discours?
M. George Radwanski: On entend souvent ce genre de discours de nos jours au sujet de beaucoup de situations d'ingérence dans la vie privée au nom de la sécurité, et j'y vois un raisonnement très boiteux. Le postulat selon lequel, si l'on n'a rien à cacher, on n'a rien à craindre, pourrait logiquement conduire, par exemple, à la conclusion que nous ne devrions pas nous en faire si la police pouvait entrer comme elle voulait dans nos foyers à n'importe quel moment simplement pour vérifier que nous ne sommes pas en train d'enfreindre quelque loi. Pourquoi pas? Nous n'avons rien à cacher. Nous ne devrions pas nous en faire si la police ou d'autres agents de l'État pouvaient en toute liberté écouter toutes nos conversations téléphoniques et lire tout le courrier que nous recevons. Pourquoi pas? Nous n'avons rien à cacher. Le fait est que nous avons tous des choses à cacher, pas parce qu'elles sont mal ou honteuses, encore moins illégales, mais simplement parce qu'elles relèvent de notre vie privée.
Dans une société où les gens savent que, à n'importe quel moment, certaines personnes, notamment des agents de l'État, pourraient surveiller tout ce qu'ils font, noter, enregistrer, faire des recoupements, juger et peut-être mal interpréter toutes leurs communications, toutes leurs transactions, tous leurs faits et gestes, on ne peut pas dire que le citoyen est vraiment libre. Certains disent : je ne vois pas d'inconvénient à devoir présenter une carte; mais si le fait de devoir présenter sa carte veut dire qu'on pourrait être arrêté dans la rue et devoir donner la preuve de son identité, cela conduit, tout d'abord, à la perte de notre droit fondamental, comme je l'ai dit, à l'anonymat. Deuxièmement, si l'on se met à se servir de la carte à des fins multiples—ce qui va se produire si l'on investit ainsi d'importantes sommes dans l'élaboration de cette carte qui est censée être à l'épreuve de toutes les fraudes—les entreprises finiront elles aussi par vouloir s'en servir pour vérifier si vous êtes bien qui vous dites être, si vous voulez payer avec une carte de crédit ou je ne sais trop quoi encore. Il y a de fortes chances qu'il reste une trace écrite chaque fois qu'on vous demandera ainsi votre carte par mesure de précaution. On pourrait ainsi retracer où vous êtes allé, ce que vous avez fait, où vous avez fait vos achats, où vous avez voyagé. Si l'on décide de se servir de la carte pour tous les contacts que vous aurez avec le gouvernement, encore là, l'idée des cloisonnements entre les diverses composantes de l'appareil gouvernemental avec lequel vous traitez se perd, car tout pourrait être retracé grâce à la carte.
Si l'on n'a rien à cacher, on n'a rien à craindre, mais si le vol d'identité est déjà un problème, qu'en sera-t-il si quelqu'un peut s'approprier votre identité biométrique? Cela serait tout à fait possible. On peut, par exemple, faire des reproductions au latex d'empreintes digitales et s'en servir dans un lecteur. Je suis sûr qu'on finira par trouver aussi des moyens de tromper les lecteurs d'empreintes rétiniennes en se servant de lentilles de contact ou de quelque autre moyen. Avec une carte nationale, nous aurions un système d'une envergure telle que les criminels ou les terroristes ultra sophistiqués pourraient soudoyer ceux qui notent les données biométriques et réussir ainsi à s'en servir. Supposons que quelqu'un s'approprie votre identité biométrique. Si quelqu'un s'approprie votre numéro d'assurance sociale, comme cela arrive déjà à l'occasion, le gouvernement n'a qu'à émettre une nouvelle carte avec un nouveau numéro, mais si l'on vous vole votre identité biométrique, le gouvernement ne peut pas vraiment vous donner de nouvelles empreintes digitales ou rétiniennes.
Il y a donc des problèmes très sérieux dont il faut tenir compte. Quand les gens disent qu'ils sont pour l'instauration de cette carte, sauf tout le respect que je leur dois, je réponds qu'ils sont peut-être pour parce qu'ils n'en connaissent pas encore toutes les répercussions. C'est ce qui est arrivé dans d'autres pays, où le gouvernement s'est retrouvé en pleine controverse parce qu'il ne semblait pas y avoir tellement d'opposition jusqu'au moment où la carte a fait l'objet d'un vrai débat et que les gens étaient sidérés.
 (1230)
Le président: Beaucoup de députés veulent poser des questions, alors je vais devoir m'assurer que nous ne parlons pas tous en même temps.
David.
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président et merci de votre présence ici aujourd'hui, monsieur Radwanski.
Tout d'abord, pour beaucoup des transactions que nous effectuons aujourd'hui, nous devons montrer une forme quelconque de carte d'identité, et je ne songe pas uniquement ici aux transactions effectuées à l'aide d'une carte de crédit, mais à bien d'autres transactions, comme écrire un chèque. Nous avons des cartes d'identité provinciales. Nous avons notre permis de conduire, notre carte d'assurance-santé, notre certificat de naissance au Québec—les autres provinces n'en sont pas toutes rendues là encore—et notre numéro d'assurance sociale, que nous utilisons rarement. Vous opposeriez-vous à ce que ces quatre cartes soient fondues en une seule?
Ma deuxième question porte sur les transactions effectuées à l'aide d'une carte de crédit. Vous avez évoqué la difficulté de retracer les transactions. Les compagnies de cartes de crédit font un travail de recherche absolument incroyable. Je sais pertinemment que toutes les transactions que j'effectue sont consignées quelque part, et à un moment donné cette information est transmise à quelqu'un d'autre, car je reçois des documents par le courrier qui me montrent bien que l'information n'aurait pu venir que de ma carte de crédit. Nous ne pouvons déjà pas empêcher ce genre de choses à l'heure actuelle. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez.
M. George Radwanski: Je vais répondre à la deuxième question en premier. J'espère que vous ne voulez pas dire par là qu'il n'y a aucun espoir, qu'il y a déjà tellement d'ingérence dans notre vie privée qu'il vaut mieux renoncer, car je ne suis certainement pas de cet avis. Les compagnies de cartes de crédit obtiennent de toute évidence une quantité considérable d'information. Il est vrai aussi que la Loi sur la protection des renseignements personnels qui régit la protection de la vie privée dans le secteur privé, sera entièrement en vigueur en janvier prochain, si bien que toutes les provinces y seront soumises ou seront soumises à une loi provinciale très semblable. Les Canadiens ont des droits quand ils traitent avec le secteur privé pour ce qui est de protéger leur vie privée. Par exemple, si vous ne consentez pas à ce que l'information relative à votre carte de crédit soit communiquée à des tiers à des fins commerciales, vous pouvez m'adresser une plainte si vous constatez que vous recevez des documents qui n'auraient pu venir que de la communication de cette information, et vous pouvez avoir l'assurance que mon bureau va faire enquête. Il y a une autre différence importante en ce sens que les compagnies de cartes de crédit recueillent de l'information qu'il leur arrive de partager avec d'autres, mais elles ne partagent généralement pas cette information avec le gouvernement. Si toutefois nous avions une carte émise par l'État et qui peut passer sous un lecteur relié à une base nationale, le gouvernement aurait quelque part la trace de cette lecture, et là encore on se retrouverait dans une situation très différente du fait qu'on pourrait faire des recoupements entre les informations et qu'on pourrait savoir où vous étiez à tel moment, et quels sont les lieux que vous fréquentez, etc.
Quant au deuxième point que vous avez soulevé, l'idée de combiner les différentes cartes d'identité que nous avons à l'heure actuelle, non, je ne trouverais cela guère rassurant. En fait, une des meilleures protections que nous avons contre la violation de notre vie privée et, pis encore, contre le vol de notre identité, c'est la multiplicité des documents d'identité et le fait que nous avons divers types de documents d'identité qui sont utilisés à diverses fins. Ainsi, seuls certains types d'entités sont autorisés à vous demander votre numéro d'assurance sociale. Seules certaines sont autorisées à vous demander votre permis de conduire. Vous pourriez choisir de présenter plutôt un autre document d'identité. Si tous ces documents étaient combinés, premièrement, cela réduirait encore davantage le pouvoir que nous avons de décider de l'utilisation qui peut être faite de l'information que nous donnons et, deuxièmement, cela nous rendrait encore bien plus vulnérables aux abus de toutes sortes.
Il convient aussi de se demander ce qui arriverait si vous perdiez la carte ou s'il y avait un problème technique qui ferait en sorte qu'elle ne pourrait plus être utilisée. S'il vous est déjà arrivé de ne pas pouvoir vous servir de votre carte de débit bancaire parce que, tout d'un coup, elle est démagnétisée ou qu'il y a un problème quelconque, alors que vous aviez l'habitude de toujours vous en servir et que vous n'avez pas prévu que ce ne serait pas possible, vous savez comme cela peut être embêtant. Qu'arrive-t-il si votre identité toute entière est liée à une seule carte, qui pourrait être difficile à remplacer, étant donné les éléments biométriques, etc.? Plus il y a d'éléments dans une carte, plus il y a de risque que vous n'ayez plus d'identité, et je ne parle même pas du risque que divers types de données soient utilisées à différentes fins. Si, par exemple, la carte vous servait à la fois de carte d'assurance-santé et de permis de conduire, l'information pertinente étant soit consignée électroniquement sur une puce intégrée à la carte soit versée dans des bases de données auxquelles la puce donnerait accès et qui seraient aussi forcément raccordées les unes aux autres, combien de temps pensez-vous qu'il faudrait, par exemple, pour que la police soutienne que, quand on arrête un automobiliste pour une raison quelconque et qu'on demande à voir son permis de conduire, comme on y a déjà accès, il n'est que logique qu'on soit autorisé à vérifier aussi les renseignements médicaux de l'automobiliste simplement pour s'assurer qu'il n'est pas sous les soins d'un psychiatre ou qu'il ne prend pas de médicaments ou que sais-je encore? Je vous assure qu'il ne faudrait pas beaucoup de temps pour que nous en arrivions là et qu'il y aurait ceux qui diraient qu'il n'y a rien de mal à cela et que c'est ce que le public voudrait : c'est l'argument qu'on entend chaque fois qu'il est question de passer d'une mesure à d'autres mesures et qui conduisent à une ingérence encore plus grande dans la vie privée.
Ainsi, l'idée d'avoir une carte où tout cela combiné est, à mon humble avis, une solution en quête d'un problème.
 (1235)
Le président: Très bien.
Madeleine.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le commissaire. Depuis le début du troisième millénaire, il y a un sentiment de paranoïa qui s'est installé un peu partout sur la planète. On se méfie de tout le monde. Quelquefois, même nos amis deviennent suspects. Ce climat de paranoïa s'est installé particulièrement dans le monde développé. Nos amis les Américains sont très paranoïaques, et tout est interprété un peu à la lumière de la paranoïa.
Quand il a été question de la carte de résident permanent, qui maintenant existe, on avait des réserves très claires, en tout cas au niveau du comité. On était très clairs sur le fait qu'on ne voulait pas qu'il y ait de données biométriques sur la carte. Le ministre est venu témoigner au sujet de la carte d'identité; on en aura peut-être une, ou peut-être pas. On en aura peut-être une dans 20 ou 30 ans, mais je ne serai plus là.
Dans le contexte actuel, les tracasseries que beaucoup de nos concitoyens ont à subir aux douanes américaines ne vont pas aller en diminuant. J'étais très réfractaire à l'idée que le lieu de naissance soit inscrit sur cette carte. Par contre, le lieu de naissance est inscrit dans nos passeports. Je ne sais pas s'il y a des lois internationales qui y obligent, car je ne suis pas vraiment légiste. Mais seriez-vous plutôt favorable à ce que le lieu de naissance des citoyens canadiens ne soit pas indiqué dans le passeport? C'est ma première question.
Ensuite, vous avez parlé de trois à cinq milliards de dollars. Vous devez avoir un gros budget pour être capable d'arriver à des chiffres comme ceux-là. J'aimerais savoir sur quoi vous vous êtes basé pour arriver à cette évaluation, parce que le passé étant garant de l'avenir, ce sera peut-être 20 milliards de dollars. On ne le sait pas.
 (1240)
M. George Radwanski: Pour répondre à votre première question, je dirai que quand il y a eu ces histoires avec les Américains qui regardaient le lieu de naissance sur les passeports, j'ai bel et bien fait une recommandation au ministre des Affaires étrangères. J'indiquais qu'il fallait bien réfléchir sur la possibilité d'enlever le lieu de naissance des passeports. Cette recommandation a été rejetée de façon sommaire. On a dit non, et c'était tout.
Sur la question des frais, si vous me le permettez, je donnerai mon explication en anglais, simplement parce que je ne veux pas faire d'erreur dans les chiffres.
[Traduction]
Je suis arrivé à ce montant de deux façons. Premièrement, au Royaume-Uni, où il est question d'instaurer cette carte d'admissibilité, le coût, d'après les estimations qui ont été faites par le gouvernement, serait d'environ 1,5 milliard de livres, soit l'équivalent de 4 milliards $CAN environ. Mais ce montant a été critiqué par des experts au Royaume-Uni qui soutiennent qu'il est bien trop bas, parce qu'il ne tient pas compte de ce qu'il en coûterait de mettre en place le réseau de lecteurs biométriques nécessaires pour que la carte puisse être utilisée. D'après les meilleures estimations que j'ai pu obtenir du Royaume-Uni, le réseau de lecteurs ferait doubler le coût, ce qui nous amènerait à l'équivalent d'environ 8 milliards $CAN. Le Canada a environ la moitié de la population du Royaume-Uni. Le calcul approximatif serait donc de quelque 4 milliards de dollars, sauf que les frais généraux ne seraient pas nécessairement réduits de moitié. Il se peut que le coût de toute cette infrastructure, de la technologie, etc., ne puisse pas être calculé simplement en divisant par deux parce que notre population est la moitié de la leur. Il pourrait donc s'élever jusqu'à 5 milliards de dollars.
Pour le cas où certains verraient là une exagération, je vous signale que, d'après un rapport de DRHC au Parlement de 1999, un système de carte d'identité semblable au NAS, mais qui comporterait des éléments biométriques, aurait coûté quelque 3,6 milliards de dollars, et l'idée a ainsi été rejetée pour des raisons de coût. Les années ont passé, et nous savons tous ce qu'il arrive des estimations de coût comme celle-là une fois qu'on se met effectivement à instaurer un système entièrement nouveau. Il se peut donc que mon estimation, de 3 à 5 milliards de dollars, soit très prudente.
Le président: Libby.
Mme Libby Davies: Merci beaucoup.
Je suis très heureuse que vous soyez là aujourd'hui, car je trouve que vous avez présenté des arguments très convaincants pour que l'idée de cette carte d'identité nationale soit rejetée, parce qu'il s'agit d'une ingérence incomparable dans la vie privée des gens, mais aussi parce que, si cette ingérence ne nous inquiétait pas, la carte ne donnerait même pas les résultats escomptés sur le plan de l'efficience et du bon sens. Vous nous en avez donné des preuves convaincantes à mon avis. Je trouve en fait regrettable de devoir poursuivre ce débat. Je suis d'accord avec vous.
 (1245)
Le président: C'est ça, la démocratie, Libby.
Mme Libby Davies: Mais je pense que la réaction de ceux que nous avons entendus a été plutôt défavorable, même la réaction de ceux à qui on a posé la question à la fin de leur témoignage sur autre chose et qui ont fini par dire, sans trop de conviction, qu'ils étudieraient la chose—c'est ce que nous avons eu de plus favorable comme réponse.
Je ne suis pas d'accord avec vous sur un point cependant. Vous avez dit que le ministre avait lancé l'idée pour qu'elle fasse l'objet d'un débat public sans vraiment avoir pris de position. Eh bien, il ne l'a peut-être pas fait de façon catégorique, mais il me semble que, d'après ce qu'il a présenté au comité et d'après ce qu'il a dit depuis, il cherche vraiment à vendre cette idée. Il nous a d'ailleurs parlé dans son exposé de tous les avantages de cette carte et il n'a pas vraiment du tout parlé des problèmes qu'elle pourrait entraîner. Je m'inscris donc légèrement en faux par rapport à ce que vous avez dit à ce sujet.
Ce qui me dérange énormément, c'est qu'on vante les mérites de cette carte sur le plan de la commodité. Cela fait suite à la question de mon collègue : Vous n'avez rien à craindre si vous n'avez rien fait de mal; il serait commode d'avoir toute cette information au même endroit. Je trouve cela particulièrement dangereux, parce qu'on peut vraiment tromper les gens ainsi.
Si le système proposé était adopté, il ferait l'objet d'abus flagrant de la part de divers bureaux, par exemple, ou organismes de l'État, mais c'est l'abus systématique qui s'installerait avec la collecte de données, avec le couplage graduel de ces données et avec l'utilisation de la carte de manière à cibler certaines personnes, qui conduirait à mon avis à des cas d'abus individuel. Je ne sais pas si vous avez des renseignements sur ce qui arrive dans les cas de profilage racial, où cette carte pourrait être utilisée pour certains membres de notre société qui «éveilleraient les soupçons» à cause de la façon dont ils réagiraient s'ils étaient interceptés par un policier.
M. George Radwanski: Je trouve intéressant que vous parliez de cela, parce que j'étais justement à Fredericton hier soir où j'ai prononcé un discours sur la vie privée et la discrimination raciale. Le thème de mon discours était que, même si, à première vue, vie privée et discrimination raciale sont deux questions distinctes, l'une étant liée à la protection des renseignements personnels et l'autre aux droits de la personne, elles convergent en ce sens que, quand on viole la vie privée, ce sont ceux qui se distinguent des autres, notamment les minorités visibles, qui sont le plus souvent ciblés et dont la vie privée est le plus susceptible d'être violée.
Je vous donne un autre exemple, celui de la surveillance vidéo de rues publiques par la police. C'est là une autre question qui, comme vous le savez peut-être, me préoccupe énormément. J'en ai parlé avec les experts les plus en vue en Grande-Bretagne, où le nombre de caméras de surveillance des rues est plus nombreux que dans n'importe quel autre pays du monde occidental. Leurs recherches montrent que, quand la police se trouve derrière ces caméras, qui sont bien sûr munies d'un zoom qui permet d'obtenir des gros plans sur certaines personnes, ce sont surtout les membres de minorités visibles, les jeunes et les personnes manifestement pauvres qu'on cible. Alors, qui est le plus susceptible d'être ciblé par ce genre d'ingérence dans la vie privée? Un jeune, membre d'une minorité visible, qui est pauvre. Qui est le plus susceptible d'être ciblé et de perdre son anonymat? Oui, ce sont les membres des minorités visibles, même si, pour tout vous dire, cela ne change pas grand-chose à la situation actuelle.
Vous parlez de la possibilité d'abus; il pourrait y avoir des cas d'abus individuel comme ceux dont vous avez parlé, mais ce qui m'inquiète encore beaucoup plus, ce sont les abus systémiques. L'expression «s'aventurer sur un terrain glissant» est devenue presque galvaudée, mais il n'y a qu'à voir comme ces choses ont tendance à évoluer; je pourrais vous donner bien des exemples, mais je vais commencer à tout le moins par l'exemple de cette carte. Comme vous le savez, il y avait certaines réserves au sujet de cette carte pour les immigrants reçus appelée carte feuille d'érable. Il y a eu beaucoup de discussions avec mon bureau sur cette question. On nous avait donné l'assurance, tout d'abord, qu'il n'était pas du tout question de se servir de cette carte comme moyen d'ouvrir la porte à l'instauration d'une carte pour tous les Canadiens. On nous avait dit explicitement que cela n'arriverait pas. Deuxièmement, on nous avait dit qu'il n'était pas question d'inclure de données biométriques sur cette carte. Nous avons appris depuis, bien sûr, que la carte a été conçue de manière à pouvoir y intégrer des données biométriques et qu'on a retenu les services d'une entreprise américaine pour examiner les diverses possibilités à cet égard, les diverses technologies biométriques qui pourraient être intéressantes.
Je vous donne un autre exemple classique qui permet de bien situer dans leur contexte les mesures que l'actuel gouvernement a prises récemment en matière de renseignements personnels: il s'agit de l'accès par l'Agence des douanes et du revenu du Canada aux informations détaillées sur les voyageurs dans le cadre du contrôle douanier. C'est là quelque chose qui a été instauré par des modifications qui ont été apportées à la Loi sur les douanes avant le 11 septembre; nous avions alors reçu l'assurance expresse du gouvernement, de l'ADRC, que les renseignements en question ne seraient pas systématiquement conservés et qu'ils ne seraient utilisés que pour identifier des personnes devant faire l'objet d'un contrôle plus approfondi, après quoi ils seraient détruits. L'été dernier, on m'a dit que les renseignements allaient être conservés pendant six ans, soi-disant à des fins d'analyse judiciaire pour lutter contre le terrorisme, mais qu'on pourrait aussi y avoir accès en vertu des dispositions de la Loi sur les douanes relatives au partage d'information, et ce, pour une gamme presque illimitée d'autres fins gouvernementales. Je n'ai eu aucun succès jusqu'à maintenant pour ce qui est de changer cela.
Ainsi, quand on nous donne l'assurance que la carte ne sera utilisée que de telle façon et pas de telle autre, que telle chose ne va pas arriver ou que telle autre chose ne va pas se produire, il faut prendre tout cela avec un grain de sel.
 (1250)
J'ajouterais un autre élément. Lorsqu'il a pris la parole sur la question au Forum des politiques publiques, le ministre Coderre a contesté que la police puisse arrêter les gens dans la rue et exiger leur carte. Cela va à l'encontre de la Charte et c'est impossible, a-t-il dit. Eh bien, ce n'est pas si simple que cela. Tout d'abord, à cause de l'obstruction du gouvernement, j'ai appris à mes dépens qu'il est très difficile d'élever une contestation en vertu de la Charte au Canada. Deuxièmement, c'est très cher et cela prend beaucoup de temps. Enfin, qui sait? Si un jour le Code criminel était modifié, par exemple pour exiger que les gens produisent leur carte d'identité lorsque des autorités légitimes l'exigent, la Cour suprême jugerait-elle cela anticonstitutionnel ou estimerait-elle que cela est raisonnable dans une société libre et démocratique puisque c'est le cas dans d'autres pays? Qui sait? Je dis: n'ouvrons pas la porte, ne nous engageons pas dans cette voie, ne prenons pas le risque.
Le président: D'accord.
Massimo.
M. Massimo Pacetti (Saint-Léonard—Saint-Michel, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Radwanski, c'était un plaisir de faire votre connaissance. Merci d'être venu.
Jusqu'à présent, je dirais que je suis en faveur de cette idée. Je vais aller à l'encontre de certains de mes collègues. J'aime la commodité. Si cette carte peut me faciliter la vie, je suis pour. Mais certains de vos arguments sont tout à fait valables. C'est la raison pour laquelle nous allons tenir un débat sur la question. Vous avez dit que beaucoup de gens sont contre. Nous avons entendu quelqu'un à Montréal qui s'est élevé contre la carte d'identité. Il a dit, si c'est facultatif, blablabla, mais je pense que je vais sans doute finir par en obtenir une moi-même.
Vous avez dit que cette carte envahirait notre vie privée. C'est le cas aujourd'hui. Mon collègue David a déjà parlé du fait que les cartes de crédit laissaient des traces, mais il y a pire encore, il y a l'Internet. Vous ne me convaincrez pas qu'il n'y a personne qui sache quels sont tous les sites que nous visitons. Il y a des dossiers de téléphone, des cartes d'appel, des téléphones cellulaires, tout cela existe déjà. Vous dites que le gouvernement n'a pas accès à nos dossiers. Nous produisons nos déclarations de revenus. Nous remplissons des formulaires pour des pensions, des subventions—ça ne cesse jamais. L'information est donc déjà là.
Je souscris à certains de vos arguments, mais la question que je vous pose est la suivante : ne peut-on pas se servir de cette carte pour nous faciliter la vie?
M. George Radwanski: Comme je l'ai dit, je ne suis pas convaincu qu'elle nous faciliterait la vie. Cela pourrait devenir l'enfer si quelque chose ne va pas avec cette carte, si votre identité, même avec la carte, vous est volée, ce qui est une véritable possibilité, je crois, ou si vous la perdez. Je ne suis pas sûr que cela vous faciliterait la vie.
Deuxièmement, ces choses sont rarement recommandées par ceux qui tiennent absolument à faire quelque chose de nettement répréhensible. Ce qu'ils disent toujours, c'est qu'il faut sacrifier la vie privée sur l'autel d'un bien supérieur comme la commodité, la sécurité, l'efficacité, de meilleurs rapports avec le gouvernement, comme vous voudrez. C'est toujours pour un intérêt supérieur. Mais à force de gruger ici et là, toujours pour une fin raisonnable, on finira par ne plus avoir de vie privée et l'on sera dans le monde de Big Brother.
Quand vous dites qu'il y a quantité d'information qui existe déjà sur nous—nos dossiers de téléphone ou les sites Internet que nous consultons—c'est un autre combat que je mène actuellement. Aujourd'hui, le gouvernement ne peut pas obtenir vos dossiers de téléphone ou de furetage sur Internet sans mandat et il lui faut pour cela une sacrée bonne raison. Il y a aussi une autre idée avancée par le ministère de la Justice et d'autres appelée initiative d'accès légal—quant à moi ça devrait être illégal—qui rendrait beaucoup plus facile pour le gouvernement l'accès, par exemple, à toutes vos activités en ligne, vos correspondants de courrier électronique, peut-être la teneur de ces messages, chaque site Web visité et chaque page ouverte. Actuellement, il ne le peut pas et je me bats pour empêcher de lui faciliter les choses. Il en va de même pour vos dossiers de cartes de crédit et du reste. Le gouvernement ne peut pas y avoir accès facilement.
Il y a une différence. Tout comme l'envahissement de la vie privée par le secteur privé est une source d'inquiétude—et le gouvernement l'a reconnu en adoptant une nouvelle loi applicable au secteur privé pour protéger un peu plus nos rapports avec lui—l'intrusion du secteur public sera encore plus inquiétante si l'État peut suivre vos mouvements, les observer, suivre vos transactions et constituer des dossiers complets sur vous. Ce genre de choses n'a pas sa place dans une société libre et démocratique. Personnellement, je serais prêt à accepter de me passer de pas mal de commodité pour ne pas sacrifier ma liberté.
 (1255)
Le président: Pourrais-je poser une question supplémentaire? Je sais que vous êtes un ardent défenseur de la vie privée, mais vous parlez sans cesse du vilain gouvernement. Je n'ai pas pris position là-dessus. Le vilain gouvernement collecte toute cette information, commet toutes sortes d'horreurs, mais qu'en est-il de l'autre côté de la médaille, ceux qui ont déjà de l'information sur moi, qui savent où je dépense mon argent et où je fais telle et telle chose? Est-ce que ce n'est pas eux que l'on devrait craindre et pas les autorités légitimes? Soyons honnêtes, on se leurre si on pense avoir une vie privée. Vous pouvez fouiller mes ordures, obtenir mon ADN et monter un dossier sur Joe Fontana et ce n'est pas l'État le coupable; ça peut être n'importe qui qui essaie d'usurper mon identité. Parlez-nous donc du problème dans son entier. Pourquoi les Canadiens devraient-ils redouter les pouvoirs publics? Qu'en est-il des éléments louches de la société, ceux qui voudraient tirer profit de notre vie privée et de qui nous sommes?
M. George Radwanski: L'un n'exclut pas l'autre, mais que l'on s'entende bien: je ne parle pas ici d'un gouvernement malfaisant. Le Canada a un gouvernement qui, globalement, respecte la population et ses droits. Par rapport à d'autres pays du monde, nous avons beaucoup de chance d'avoir le genre de gouvernement que nous avons. Cela n'a rien à voir, toutefois, avec le fait qu'il est malsain, dans une société libre, pour le gouvernement d'avoir trop d'information regroupée sur les citoyens. Une partie du problème, c'est que vous ne saurez jamais qui constituera le gouvernement ni jusqu'où la situation pourra changer. C'est une chose de dire que ce sont des gens bien qui ne feraient jamais telle ou telle chose, mais les gouvernements changent, les temps aussi, et l'information détenue à propos de gens qui n'est pas utilisée ou ne l'est qu'à des fins bénignes pourrait un jour l'être de façon bien différente en d'autres circonstances.
Vous n'avez pas besoin d'aller très loin pour voir des exemples dans d'autres pays, même dans des démocraties, de ce genre de comportement. Je pense aux listes d'ennemis et le reste qui ont fini par conduire à la destitution de Richard Nixon aux États-Unis. Prenez la conduite du FBI sous J. Edgar Hoover ou de la GRC au Canada qui, il n'y a pas si longtemps, échappait à ce point aux autorités qu'on a dû constituer une commission royale d'enquête. Ils incendiaient des fermes et Dieu sait quoi encore.
On veut protéger les droits fondamentaux non pas parce que l'État est malfaisant mais parce que dans une société libre, le gouvernement ne recueille que l'information dont il a besoin et uniquement aux fins pour lesquelles il en a besoin. La Loi sur la protection de la vie privée qui a créé mon poste et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui englobe dorénavant le secteur privé, sont des lois du Parlement. Elles sont la reconnaissance par le Parlement de l'importance de la vie privée et j'implore tous ceux qui sont autour de cette table ainsi que tous les Canadiens de ne pas baisser les bras et de dire que la vie privée fout le camp de toute façon, alors à quoi bon s'en faire? Au contraire, il faut être aux aguets et les Canadiens sont de plus en plus conscients de l'importance de la vie privée et de se protéger.
Pour ce qui est des malfaisants qui collectent l'information, c'est la raison pour laquelle il y a un régime juridique de plus en plus contraignant. Si une société privée abuse de l'information, on peut recourir à la nouvelle loi applicable au secteur privé; pour ceux qui fouillent dans vos ordures, c'est déjà passible de prison dans certains endroits; si l'on usurpe votre identité, c'est un crime. Dire que nous ne devrions pas tolérer les invasions inutiles de notre vie privée par l'État ne signifie pas que l'on devrait les tolérer par d'autres.
· (1300)
Le président: D'accord.
Sarkis.
M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup.
C'est toujours un plaisir de vous entendre, monsieur Radwanski.
Comme vous, je pense qu'on aura beau avoir des montagnes de renseignements, ce n'est pas ça qui va stopper le terrorisme. On parle du genre de renseignements qui vont figurer sur cette carte d'identité. Sachez que j'étais à New York la semaine dernière et que nous avons eu l'occasion de rencontrer les experts de la lutte contre le terrorisme de l'État de New York, y compris le gouverneur Pataki. Ils ont dit que l'idée de la carte d'identité leur plaisait. Ils ont aussi dit que la plupart des États limitrophes du Canada examinent l'idée et que, si mes souvenirs sont bons, ils allaient la réclamer à Washington. C'est essentiellement de cela qu'il était question.
L'an dernier, en octobre, je crois, les États-Unis ont commencé à prendre les empreintes digitales des Canadiens nés dans certains pays: l'Irak, l'Iran, la Syrie, le Soudan et le Yémen, je crois. Nous n'avons pas eu d'autre choix que d'acquiescer parce que nous vivons à côté d'un géant, que ça nous plaise ou pas, que l'on soit d'accord ou pas, et ce sont les lois qu'ils adoptent. C'est un État souverain. Vous voulez y aller, il faut vous y plier. Hier, ils ont commencé à exiger un visa pour certains pays du Commonwealth. Là encore, nous n'avions rien à dire. Si vous voulez aller aux États-Unis, c'est la règle. Si vous ne voulez pas y aller, restez heureux où vous êtes. Qu'arriverait-il si demain, le mois prochain ou l'an prochain les États-Unis disaient voici la carte d'identité dont vous avez besoin pour entrer ici? Peu importe d'où vous venez, si vous voulez venir dans mon pays, que vous soyez Britannique, Anglo-Saxon pure race, Français, Arabe, peu importe, il faut que vous fassiez prendre vos empreintes digitales avant de venir. Quels conseils donneriez-vous aux Canadiens qui veulent se rendre aux États-Unis pour travailler, visiter leurs familles ou autre chose?
M. George Radwanski: Eh bien, sauf votre respect, c'est fort simple. Les États-Unis sont un pays souverain et ils peuvent faire ce qui leur plaît. Le Canada est également un pays souverain et il a bien le droit d'adopter des mesures en harmonie avec nos valeurs. Évidemment, si les autorités américaines exigent de prendre les empreintes digitales des étrangers qui souhaitent entrer chez eux, les Canadiens comme tous les citoyens étrangers ont le droit de décider si le jeu en vaut la chandelle. C'est logique. C'est fort différent d'une mesure en vertu de laquelle le gouvernement du Canada procéderait à la prise d'empreintes digitales et à la reconnaissance rétinienne ou autre mesure biométrique de chaque citoyen canadien, même ceux qui n'ont aucune envie d'aller aux États-Unis. M. Coderre prétend qu'il vaut mieux le faire nous-mêmes que de laisser les Américains le faire pour nous; c'est une façon assez étrange de concevoir nos droits. Renonçons à nos droits et renonçons à certains éléments de notre dignité, ici au Canada, puisque les Américains pourraient exiger qu'on le fasse pour entrer aux États-Unis. Je ne suis pas d'accord. Il s'agit à mon avis de deux questions distinctes, pour tout vous dire.
· (1305)
M. Sarkis Assadourian: Merci.
Le président: Merci.
Andrew.
M. Andrew Telegdi: Merci beaucoup.
Je suis heureux que vous soyez des nôtres. J'ai entendu d'autres commissaires à la protection de la vie privée, deux dans l'Ouest en plus de vous-même, et aucun d'entre vous n'a abordé la question de la carte d'identité nationale.
Je suis né en Hongrie et, à l'époque, c'était un pays communiste et on exigeait que chaque citoyen ait une carte d'identité nationale. Celle-ci a été supprimée quand le pays est devenu démocratique. Je le souligne dans l'intérêt des membres du comité puisque si nous voulons parler des dangers inhérents à la renonciation à nos droits—je le vois comme l'approche du saucisson, on renonce à une tranche à la fois—, on aboutit à la situation évoquée par George Orwell dans Mille neuf cent quatre-vingt-quatre —peut-être aurait-il dû l'appeler 2004.
À mon avis, un des vrais dangers, pour ce qui est de trouver un système qui réglera tous les problèmes de sécurité, c'est que d'investir dans une carte d'identité nationale, comme vous l'avez mentionné, nécessite des sommes d'argent importantes, mais sitôt compromis, on se retrouve Gros-Jean comme devant. Imaginez si nous engloutissions 5 milliards de dollars dans une pareille entreprise et que quelqu'un se faufilait aux États-Unis à l'aide d'une de ces cartes d'identité nationale. Tout le système s'écroulerait et deviendrait parfaitement inutile. Que ferions-nous alors? Une fois ces considérations prises en compte, l'idée ne semble plus très logique.
Je crois que c'est Benjamin Franklin qui a dit que ceux qui étaient prêts à renoncer à leur liberté au nom de la sécurité ne méritent ni sécurité ni liberté. Permettez-moi de citer un autre Américain, George Washington. Essentiellement, il a dit que la vigilance éternelle est le prix à payer pour la liberté. À mon avis, cela veut dire qu'on ne peut pas se fier à une seule carte d'identité.
Des millions de cartes de crédit sont balayées par des dispositifs électroniques tous les jours. L'autre jour, on m'a avisé que mon numéro de compte de carte de crédit était connu et que je pouvais le faire changer.
Le danger, c'est de chercher une panacée. Le monde n'est pas si simple. On prétend souvent que lorsqu'on n'a rien à cacher, on n'a rien à craindre. Détrompez-vous, il existe des gens qui ont été condamnés injustement pour toutes sortes de raison. Tout porte croire qu'ils n'avaient rien à cacher et tout à craindre.
Je vous félicite, vous et votre bureau, pour l'excellent travail que vous accomplissez et vous exhorte à remplir le mandat qui vous a été confié.
Le président: On aurait cru entendre un message politique payé ou une bonne infopub pour vous, George.
M. George Radwanski: Ce sont des propos flatteurs que j'accueille avec gratitude. Je dois dire que les propos tenus autour de cette table sont encourageants puisque mes préoccupations semblent être partagées par beaucoup de membres du comité.
Je dois admettre que les démarches du comité pour rencontrer des Américains ou des Allemands à ce sujet me laissent perplexe puisque cette mesure n'a pour ainsi dire pas d'appui au Canada. Il me semble d'ailleurs que les membres du comité ne semblent pas trop en accord avec le principe non plus. J'aimerais ne pas m'inquiéter que des membres du gouvernement, du moins de ce comité, soient incités par leur gouvernement à trouver des aspects positifs à la carte qui n'est pourtant pas méritoire afin de faire progresser l'idée plutôt que de la tuer dans l'oeuf.
· (1310)
Le président: Peut-être pourrais-je répondre à votre question, et d'ailleurs, ce sera peut-être une bonne façon de conclure, mais j'ai d'abord quelques questions à vous poser.
D'abord, je crois que vous ne connaissez peut-être pas la personnalité de ce comité aussi bien que moi. Nous sommes tous des esprits indépendants, les libéraux inclus, alors je ne crois pas qu'on serait une cible de choix pour celui qui voudrait nous obliger à faire quelque chose qu'on ne souhaite pas. Il est inhabituel que l'on confie à un comité le mandat d'organiser un débat sur une question d'ordre public aussi importante. Cela s'explique peut-être par les attentats du 11 septembre ou parce qu'une guerre est imminente, mais une chose est certaine : la population est inquiète et la sécurité est à l'ordre du jour.
Il est fort possible que nous n'ayons pas besoin d'un système d'identité nationale, mais on sait très bien que nos documents d'identification ne sont pas toujours sûrs et que cela occasionne parfois des problèmes. Certaines questions doivent être soulevées auprès de nos homologues américains. Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que nous sommes un pays souverain, et je n'admettrai pas que l'on adopte une carte d'identité nationale ici parce que les Américains nous ont demandé de le faire. Ils n'en veulent pas; alors comment peuvent-ils exiger que d'autres pays en adoptent une—parce que je suis convaincu qu'ils le font—même si leur propre population s'y est opposée et qu'ils n'en veulent pas eux-mêmes. C'est une question de protection de la vie privée à laquelle les Américains tiennent tant, tout comme nous.
Il est inhabituel qu'on nous donne carte blanche, mais je puis vous assurer qu'à la suite de nos débats et de nos enquêtes auprès des autres pays afin de savoir quels documents d'identification sont employés ailleurs, nous avons découvert que nos documents d'identification de base posent problème. Je suis d'accord avec vous, George, il est important que nous fassions cet exercice afin de protéger notre vie privée.
Vous êtes un ardent protecteur de la vie privée. Du point de vue politique, il nous incombe de tenir compte de l'équilibre, à savoir la protection de la société, non seulement contre les attentats terroristes, mais aussi contre la criminalité. C'est ce qu'on essaie de comprendre. Comment faire la part des choses pour ce qui est de la commodité, de la vie privée et des questions de sécurité? Les caméras sont l'exemple parfait. Elles sont une invasion de la vie privée, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, mais elles ont tout de même permis de réduire le nombre de crimes dans les centres-villes. À titre de législateur, je dois donc me demander, comme vous l'avez indiqué, quels éléments de la vie privée doivent être sacrifiés dans l'intérêt public, à savoir la réduction des crimes, l'amélioration de la sécurité collective et ainsi de suite. C'est la décision difficile que devra prendre ce comité lorsque viendra le temps de rédiger notre rapport.
Je me demande s'il n'y a pas un avantage à prendre en compte. Il n'y a pas que la question de la protection de la vie privée sur laquelle on s'entend tous, mais également cet aspect qui doit faire partie de notre étude, du moins dans le cadre de notre comité.
· (1315)
M. George Radwanski: C'est une excellente question et la réponse se trouve en partie dans les quatre critères dont j'ai parlé plus tôt et qui permettent de trouver le juste milieu entre la sécurité et la vie privée : la nécessité, l'efficacité, la proportionnalité et l'absence d'autres solutions.
Puisque vous soulevez la question des caméras de surveillance vidéo, c'est un sujet que je connais malheureusement très bien. Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que cela réduit la criminalité. J'ai parlé à des sommités du monde entier de la surveillance vidéo des endroits publics, et rien ne prouve que cela permet de réduire le crime; il semble plutôt que les criminels se déplacent là où il n'y a pas de caméras. Je m'intéresse particulièrement à ce dossier depuis que la GRC a installé une caméra de surveillance vidéo dans une rue de Kelowna. Au plus fort du débat sur ce sujet, un porte-parole de la GRC, cité dans le Vancouver Sun, a expliqué que la présence de caméras de surveillance vidéo au centre-ville pousserait les criminels vers les quartiers résidentiels, mais que c'était tant mieux, parce que les propriétaires de ces quartiers sont plus susceptibles d'appeler la police s'ils sont témoins d'un crime. C'est donc un sujet qui donne lieu à des raisonnements un peu étranges.
Je vous ferai aussi part de la réflexion suivante. Londres est la ville du monde occidental qui a le plus de caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics. En 2001, la dernière année pour laquelle nous avons des statistiques fiables est l'année où il y a eu le plus de caméras de vidéosurveillance, le crime de rue a augmenté de 40 p. 100. Je vous encourage donc à prendre avec un grain de sel les affirmations selon lesquelles les caméras de vidéosurveillance de la police comportent des avantages qui justifient cette intrusion dans la vie privée des gens.
Le président: Ces informations proviennent du chef de police.
M. George Radwanski: Ce n'est pas nécessairement une bonne chose.
Le président: Je vois.
George, je vous remercie beaucoup. Comme l'ont démontré mes collègues par leurs questions, nous apprécions beaucoup que vous nous ayez donné votre opinion aussi franchement et que vous nous ayez suggéré des critères. Comme je l'ai déjà dit, nous ne faisons qu'amorcer le débat. Je crois qu'il serait important et très sain qu'on tienne un débat national sur certaines de ces questions. Qui sait quelles seront les conclusions? Au moins, les Canadiens auront eu la chance de s'exprimer. Des sondages menés récemment à l'échelle du pays ont indiqué que les Canadiens souhaitent une carte d'identité nationale.
M. George Radwanski: Excusez-moi, monsieur, mais je me dois de vous interrompre.
Le président: Je peux vous remettre un exemplaire des résultats du sondage.
M. George Radwanski: Je les ai vus. Me permettez-vous de faire une intervention?
Le président: George, vous avez dit que la majorité des Canadiens est contre. Moi, je vous fais remarquer que ce n'est que dans le cadre de ce sondage national qu'on a posé la question aux Canadiens.
M. George Radwanski: J'ai vu ce sondage, monsieur, et, sauf votre respect, il est loin d'être parfait et ne prouve rien.
Le président: Voilà pourquoi notre comité veut sonder les Canadiens directement. Nous leur demandons de nous faire part de leurs vues, comme vous le faites.
Merci beaucoup. Au plaisir.