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Très bien. Merci, monsieur le président.
Comme on vous l'a dit, je m'appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa où j'occupe la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. Je suis également chroniqueur dans le domaine du droit et de la technologie pour le Toronto Star et l'Ottawa Citizen. J'ai fait partie du groupe de travail national sur le pourriel; j'ai siégé, pendant de nombreuses années, au conseil d'administration de l'Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, l'ACEI, qui régit les noms de domaine point.ca; et je siège au comité consultatif d'experts de la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, mais je comparais aujourd'hui devant le comité à titre personnel et mes opinions n'engagent que moi.
Le comité a posé plusieurs questions, mais je pense que deux d'entre elles touchent au cœur du problème. Premièrement, en quoi les changements survenus dans le domaine des nouveaux médias ont-ils changé le visage des médias? Deuxièmement, que peut faire le gouvernement? Je voudrais essayer d'ouvrir au moins la discussion sur ces deux sujets.
Premièrement, quels ont été les changements? Nous sommes en train de passer d'un monde largement caractérisé comme un monde de rareté à un monde d'abondance dans lequel nous voyons les Canadiens jouer un rôle important. Des maisons de disques comme Nettwerk Records, en Colombie-Britannique ou Arts&Crafts, à Toronto ont été parmi les premières à se servir d'Internet pour faire connaître leurs artistes et à bénéficier de son grand potentiel. Malgré quelques difficultés, le marché canadien de la musique numérique a connu une expansion plus rapide que le marché des États-Unis au cours des quatre dernières années. En fait, nous nous classons au septième rang mondial des ventes de musique numérique, c'est-à-dire pratiquement au même niveau que sur le marché des ventes hors ligne où nous occupons la sixième place.
L'industrie canadienne du logiciel de divertissement connaît une croissance rapide grâce à des investissements réguliers au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique. Ces investissements sont dictés non pas par un cadre juridique, mais plutôt par le talent, la créativité et le succès commercial. Les petits joueurs obtiennent également des bons résultats dans des nouveaux marchés comme les applications iPhone et Facebook. Le réseau de télévision canadien The Score fait figure de chef de file en Amérique du Nord pour son application en ligne. Des sociétés comme Polar Mobile fournissent maintenant des applications iPhone au marché mondial.
Les Canadiens jouent également un rôle clé dans les nouveaux modèles de livres. Par exemple, Wikitravel est un des sites de voyages les plus appréciés sur Internet. Il a été lancé en 2003 par deux Montréalais, Evan Prodromou et Michele Ann Jenkins. Ils ont utilisé la technologie de collaboration Wiki qui a fait le succès de Wikipedia pour inviter les voyageurs à faire part de leurs observations et de leurs expériences au sujet de différents endroits dans le monde afin de créer un guide de voyage généré par la communauté internaute. Ce site a accumulé plus de 30 000 guides de voyage en 18 langues différentes grâce à 10 000 contributions hebdomadaires. Le contenu fait l'objet d'une licence Creative Commons qui permet au public de l'utiliser, de le copier et de s'en servir comme base de création. Forts de ce succès, ils ont créé Wikitravel Press. C'est une nouvelle façon d'aborder l'édition de guides de voyage grâce à des outils de collaboration Internet et à des technologies d'impression sur demande.
Les exemples de succès ne se limitent pas aux nouveaux arrivants. Prenez l'Office national du film du Canada. Je ne m'attends pas à ce que l'ONF remplace YouTube dans l'esprit de bien des gens pour ce qui est des vidéos sur Internet, mais une série d'innovations ont souligné l'avantage de la libre diffusion et la possibilité que le contenu canadien rejoigne un auditoire mondial. L'année dernière, quelques mois avant son 70e anniversaire, l'ONF a lancé l'Espace de visionnement en ligne, un portail Internet destiné à rendre ses films plus facilement accessibles aux Canadiens et aux cinéphiles du monde entier. Pour atteindre son objectif, elle s'est engagé à être la plus ouverte, transparente et accessible possible, y compris en rendant ses films librement disponibles et intégrables dans les sites Web de tiers.
En janvier 2009, il y a juste un peu plus d'un an, l'ONF a commencé avec 500 films. Aujourd'hui, ce chiffre a presque triplé passant à près de 1 500 films, extraits et bandes annonce et cette sélection plus importante s'est accompagnée d'une augmentation massive de l'auditoire. Il y a eu 3,7 millions de visionnements en ligne rien qu'au cours de la première année: 2,2 millions à partir du Canada et 1,5 million à partir du reste du monde. Ce chiffre va encore croître car en janvier, les films canadiens de l'ONF ont fait l'objet de 20 000 visionnements quotidiens. C'est le chiffre par jour.
Le site se sert aussi de la technologie mobile pour améliorer l'accès du public. En octobre dernier, il y a quelques mois, il a lancé une application iPhone qui a été téléchargée plus de 170 000 fois et a permis plus d'un demi-million de visionnements sur cet appareil mobile omniprésent.
Également, la SRC a expérimenté de nouveaux modèles de diffusion. En 2008, elle a diffusé une version de l'émission Canada's Next Great Prime Minister sans aucune protection de droit d'auteur au moyen de BitTorrent, le protocole poste-à-poste qui est souvent associé au partage illégal de fichiers. Le public a pu télécharger, copier et partager cette émission sans aucune restriction.
L'utilisation de BitTorrent peut étonner ceux qui ont le tort d'associer automatiquement le partage de fichiers au piratage. BitTorrent et les autres technologies poste-à-poste ont de plus en plus de succès auprès des entreprises légitimes qui apprécient cette possibilité de diffuser du contenu de façon efficace et rentable. C'est devenu particulièrement important pour les cinéastes et créateurs indépendants canadiens qui voient là une façon moins coûteuse de diffuser leurs œuvres.
En fait, le modèle de la SRC s'est inspiré de celui de la société de radiodiffusion norvégienne. Cette société s'était servie de BitTorrent pour diffuser Nordkalotten 365, une des émissions les plus prisées du pays. Cette formule a eu du succès, car il y a eu des dizaines de milliers de téléchargement, pratiquement sans aucun frais pour le radiodiffuseur.
Ce n'est là qu'une minuscule partie des exemples de réussite que nous constatons actuellement. Nous pourrions voir, secteur par secteur, à quel point Internet se révèle extrêmement précieux pour les créateurs, les consommateurs et les producteurs. Mais je voudrais revenir à la question de savoir ce que le gouvernement canadien devrait faire. Je commencerai par cinq éléments.
Il y a d'abord les réseaux canadiens. Les réseaux de télécommunications canadiens faisaient jadis l'envie du reste du monde. Ce n'est plus le cas, car nous avons été largement dépassés dans pratiquement tous les classements internationaux. Il faudrait, en priorité, faire en sorte que les Canadiens aient accès à des réseaux à haute vitesse comparables à ceux des leaders mondiaux actuels comme le Japon et la Corée du Sud. Je sais qu'on considère souvent que ce problème concerne le secteur de l'industrie, mais il présente une dimension patrimoniale cruciale. Nous devons reconnaître que les politiques à l'égard des réseaux à haute vitesse et qu'une tarification concurrentielle des services sans fil sont directement reliées au succès des nouveaux médias étant donné qu'ils représentent des systèmes de distribution essentiels du contenu numérique canadien. Il y a plusieurs questions à résoudre à ce niveau-là.
Nous avons besoin d'un accès universel afin que tous les Canadiens puissent accéder à ces nouveaux médias.
Nous devons favoriser l'investissement dans les réseaux rapides de fibre optique jusqu'au domicile pour permettre la mise en place des modèles de distribution par Internet et éliminer le goulot d'étranglement qui est parfois causé par l'espace d'écran limité ou la disponibilité limitée des canaux qui a nui à certains créateurs canadiens par le passé.
Il faut aider les Canadiens à participer au processus de création et de participation. Nous sommes nombreux à reconnaître que la ligne de démarcation entre les créateurs et les utilisateurs devient de plus en plus floue et nous avons besoin de réseaux qui faciliteront à la fois la participation et la consommation.
Enfin, nous devons veiller à faire respecter des règles régissant le réseau, y compris la neutralité du Net et les lignes directrices sur la gestion du trafic Internet afin que tout le contenu soit sur un pied d'égalité et ne soit pas victime d'une limitation de l'accès en fonction du genre de contenu ou du logiciel utilisé pour le diffuser.
La question suivante est celle de la numérisation. À mon avis, il y a peu d'enjeux qui soient aussi importants que la numérisation pour la politique à l'égard des nouveaux médias. La plupart des pays ont reconnu la nécessité de veiller à préserver le contenu national pour les générations futures et à le rendre plus facilement accessible pour le public. Toutefois, au Canada les projets ont tardé à se réaliser à tel point qu'on pourrait croire que quelqu'un a appuyé sur la touche « Supprimer » pour ce qui est des perspectives de bibliothèque numérique canadienne digne de ce nom.
Notre incapacité à suivre le mouvement est devenue évidente ces dernières années. À titre de comparaison, en septembre 2005, l'Union européenne a lancé i2010, un plan d'action pour la numérisation. Le lancement d'Europeana a suivi quelques années plus tard. C'est un site Web qui donne directement accès à plus de 4,6 millions de livres numérisés, de journaux, d'extraits de films, de cartes, de photographies et de documents en provenance de toute l'Europe. Ce site devrait accueillir 10 millions de ces objets d'ici la fin de cette année.
De son côté, le Canada n'a pratiquement pas franchi la barrière de départ de la numérisation. Bibliothèque et Archives Canada a été chargé de cette responsabilité, mais n'a pas pu obtenir le soutien nécessaire pour réaliser un plan d'ensemble. Le ministère du Patrimoine canadien semble tout indiqué pour lancer une stratégie visant à favoriser l'accès aux œuvres canadiennes. Il a financé quelques petits efforts de numérisation, mais s'est montré peu intéressé à adopter une vision semblable à celle que nous voyons en Europe avec Europeana.
Vient ensuite la question du gouvernement comme utilisateur modèle. Ces dernières années, de nombreux pays, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, ont lancé des initiatives de libération des données. D'autres, comme l'Australie, ont adopté des licences ouvertes pour rendre le contenu gouvernemental plus facilement utilisable et accessible. Nous avons commencé à voir quelques initiatives de ce genre au Canada au niveau municipal. Des villes comme Vancouver, Edmonton et Toronto ont ouvert la voie.
L'ouverture des données gouvernementales est conforme aux objectifs de transparence du gouvernement et peut avoir un excellent potentiel économique en invitant les entreprises canadiennes à ajouter de la valeur aux données publiques. La politique canadienne devrait inclure des principes tels que la libération des données de l'État, l'élimination du droit d'auteur de la Couronne et un plus grand nombre de licences ouvertes pour les données gouvernementales, y compris les vidéos du gouvernement et ce genre de chose, ainsi qu'un engagement à faire en sorte que les marchés publics donnent au moins des chances égales aux logiciels en libre accès. Le gouvernement fédéral devrait, comme c'est le cas au niveau municipal, envisager de se tourner vers des données, des normes et des logiciels libres et ouverts.
La politique culturelle vient en quatrième lieu. La politique culture canadienne a pendant longtemps mis l'accent sur la création et la promotion de la culture canadienne. Le gouvernement a déjà commencé à réorienter une grande partie de son aide vers les nouveaux médias et les plateformes numériques. Avec le passage d'un monde de rareté, caractérisé par une bande passante limitée et la difficulté d'accéder à la culture, à un monde d'abondance où l'accès à la culture est pratiquement illimité, les politiques canadiennes doivent également s'éloigner d'une réglementation de plus en plus difficile à appliquer qui limite l'accès au contenu étranger en cherchant plutôt à soutenir la création et la promotion du contenu canadien.
À bien des égards, la politique culturelle est plus importante que jamais. Nous devons veiller à ce qu'elle devienne pertinente en étant efficace dans le contexte actuel. En fait, compte tenu des nouvelles enchères qui doivent avoir lieu d'ici deux ans pour la répartition du spectre, je crois qu'il faudrait songer sérieusement à réserver une partie du produit de cette vente au financement d'une stratégie numérique, y compris de la culture numérique. Nous pouvons utiliser une partie de ces recettes directement dans ce domaine.
Enfin, et cinquièmement, je ne puis m'empêcher de parler du droit d'auteur. Il va sans dire que la politique du droit d'auteur fait partie intégrante d'une stratégie gouvernementale à l'égard des nouveaux médias. Je crois absolument indispensable que, dans le cadre de cette politique, l'équilibre qui existe actuellement à l'égard du droit d'auteur hors ligne soit préservé en ligne. Cela veut dire que les créateurs doivent recevoir une rémunération adéquate et avoir la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour pouvoir créer. Cela veut dire que les utilisateurs doivent conserver leurs droits. Cela veut dire que la propriété intellectuelle ne doit pas causer trop de difficultés aux entreprises lorsqu'elles cherchent à innover dans ce domaine.
Ici, je voudrais souligner trois questions clés. Premièrement, le Canada devrait mettre en œuvre les traités Internet de l'OMPI. Cela dit, ces traités laissent énormément de souplesse quant à la façon de les mettre en œuvre, surtout en ce qui concerne les règles anticontournement — les verrous numériques — comme cela a été récemment confirmé dans un rapport du Conference Board du Canada sur la propriété intellectuelle. Cela signifie que nous pouvons mettre les traités en œuvre et appliquer les règles anticontournement lorsqu'il y a effectivement violation du droit d'auteur.
Deuxièmement, il y a la question de la responsabilité de l'intermédiaire, c'est-à-dire généralement le fournisseur d'accès Internet. À mon avis, cela ne devrait pas poser de problème. Les deux projets de loi sur le droit d'auteur à l'ère numérique que nous avons vus par le passé, le projet de loi et le projet de loi adoptaient la même approche: la double notification. Il s'agit, pour le détenteur du droit d'auteur, d'envoyer une notification au fournisseur d'accès Internet qui a alors l'obligation de transmettre cette notification à l'abonné.
Ces notifications sont efficaces. La Business Software Alliance a souligné leur efficacité étant donné qu'un grand nombre d'usagers qui reçoivent une notification modifient leur conduite en conséquence. En fait, l'Association canadienne du logiciel de divertissement a attiré l'attention sur sa propre étude selon laquelle 29 p. 100 des utilisateurs n'ont pas répondu à la notification, ce qui veut dire que 71 p. 100 l'ont fait, ce qui est un chiffre impressionnant. Je pense que ce sont là des résultats assez convaincants.
Troisièmement, il y a l'utilisation équitable. Nous reconnaissons tous, actuellement, que cela pose un problème. Des activités courantes comme l'enregistrement d'émissions de télévision ou le changement de support ne sont pas couvertes. Cela n'inclut pas certaines activités artistiques comme la parodie. Certaines utilisations didactiques ne sont pas couvertes et les entreprises novatrices ne peuvent pas non plus compter sur une exemption. Cela touche au cœur de la création de nouveaux médias.
La solution que je proposerais et que je crois simple et directe, consiste à ajouter les mots « telles que » afin que la liste des utilisations équitables soit donnée à titre d'exemple au lieu d'être limitative, ce qui l'assouplirait sans compromettre l'équité, ce qui est crucial. Il s'agit d'utilisations équitables et non pas d'utilisations gratuites. L'inclusion de l'expression « telles que » engloberait toutes les restrictions qui existent actuellement à l'égard des utilisations équitables pour faire en sorte que les utilisations soient équitables, mais sans les limiter aux catégories étroites qui existent actuellement.
Nous vivons à une époque extrêmement intéressante, pleine de potentiel pour les créateurs, les consommateurs et les entreprises canadiennes. Internet et le monde numérique offrent de nouvelles façons de relever les défis d'hier tels que le manque de temps de diffusion, la difficulté de rejoindre l'auditoire et, de plus en plus, les coûts de production élevés, surtout en ce qui concerne la diffusion.
À mon avis, c'est une excellente chose que le comité s'attaque à cette question importante. Je suis prêt à répondre à vos questions.
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Nous sommes absolument d'accord pour dire que nous avons désespérément besoin d'une stratégie nationale pour le numérique. Je signale que les cinq enjeux dont j'ai parlé ne représentent pas la totalité du problème. Quand nous parlons d'une stratégie numérique, je pense que cela comprend également un certain nombre d'autres domaines.
D'après ce que le gouvernement a dit, dans le discours du Trône ou certaines déclarations du ministre de l'Industrie, cette stratégie sera peut-être présentée. Je crois donc que nous sommes nombreux à attendre impatiemment de savoir exactement ce que le gouvernement envisage.
Vous avez raison de dire que cette stratégie aurait dû être mise en place depuis longtemps et je ne pense pas que le gouvernement actuel soit seul à blâmer. À bien des égards, nous avons passé une dizaine d'années à tergiverser, en restant pratiquement à la case départ. Si vous jetez un coup d'oeil en arrière, nous avions une stratégie très solide pour le numérique à la fin des années 1990. Il y avait alors un ministre de l'Industrie, John Manley, qui a occupé ce même poste pendant longtemps. C'est un des grands dossiers qui ont retenu son attention, ce qui a suscité toute une série de politiques, allant de la Loi sur la protection des renseignements personnels aux initiatives permettant que toutes les écoles soient connectées à toutes sortes de choses différentes. Je pense que cela a eu des effets très positifs.
Au cours des 10 dernières années, les gouvernements des deux partis qui se sont succédé n'ont pas fait grand-chose. À mon avis, notre recul dans le domaine des télécommunications, par exemple, en résulte directement. Nous nous sommes reposés sur nos lauriers, ou presque. Je suis donc absolument d'accord.
Vous avez mentionné la nécessité de résoudre la question du droit d'auteur. Je suis certainement d'accord et d'après le discours du Trône, je crois que ce sera fait. Je ferais remarquer qu'une des critiques à l'endroit du dernier projet de loi, le , en dehors de sa teneur dont je me ferai un plaisir de parler, bien entendu, portait sur le manque de consultations publiques à ce sujet. Il faut reconnaître que l'été dernier, le gouvernement a mené la consultation la meilleure et la plus ouverte que nous ayons eue, selon moi, sur le droit d'auteur. Plus de 8 000 Canadiens ont pris la peine d'y participer.
En tout cas, cela montre clairement à nos élus que c'est important, non seulement pour les groupes de créateurs et les groupes de l'industrie, mais aussi pour un très grand nombre de citoyens. Quand le gouvernement mène une consultation au milieu de l'été et que 8 000 personnes se présentent pour donner leur opinion, cela compte.
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Nous entendons le même genre de choses. Pour terminer sur le sujet de ces consultations, j'estime qu'elles étaient ouvertes. Il est vrai qu'il y a eu des tables rondes, mais tous ceux qui voulaient présenter leur point de vue ont pu le faire. J'ai reçu de nombreux courriels, surtout de jeunes Canadiens disant que c'était la première fois qu'ils participaient à une consultation publique. J'ai trouvé encourageant de voir non seulement de tels chiffres, mais également la participation de jeunes qui jusqu'ici semblaient être plutôt apathiques au sujet de la politique et des processus politiques. J'ai donc trouvé que c'était une bonne chose.
Pour ce qui est des enjeux particuliers, au cours de mon exposé, j'ai essayé d'en souligner trois. Il y a notamment les traités Internet de l'OMPI. Certaines personnes n'étaient pas d'accord, je crois, quant aux traités comme tels et à la nécessité de les mettre en œuvre. Dans un certain sens, la locomotive est en marche. Tout le monde est maintenant d'accord pour dire que nous devons donner suite à ces traités. Néanmoins, les dispositions détaillées de ces traités sont d'une importance cruciale et elles offrent énormément de latitude. Nous devons faire en sorte de les mettre en œuvre afin d'assurer une protection adéquate dans le contexte numérique, mais nous devons également veiller à ce que la souplesse de ce traité se reflète aussi dans la loi canadienne. Cela signifie, je pense, qu'il faut établir si ceux qui crochètent la serrure numérique, qui contournent les technologies commettent une violation des droits d'auteur.
Une personne qui contourne les restrictions, disons pour protéger sa vie privée, parce qu'elle craint que quelqu'un examine ses habitudes d'écoute, par exemple, au moyen d'une serrure numérique, devrait pouvoir contourner cette serrure. Ce n'est pas une violation du droit d'auteur. C'est pour veiller à ce que sa vie privée soit bien protégée. Par contre, celui qui le fait pour pouvoir graver 1 000 DVD et les vendre au coin de la rue devrait certainement tomber sous le coup de l'application rigoureuse de la loi. Voilà pour cette question.
La deuxième question concerne le rôle des intermédiaires, des fournisseurs d'accès Internet. Comme je l'ai mentionné, dans les projets de loi précédents, le modèle que nous avons vu est celui de la double notification et je crois qu'il s'est révélé efficace. À mon avis, la méthode qui consiste à « notifier et arrêter » en vigueur dans d'autres pays s'est révélée très problématique. Et pire encore, le modèle que certains pays ont commencé à expérimenter et qui consiste à exclure littéralement les gens d'Internet après trois infractions me paraît totalement disproportionnée. Cela va à l'encontre des politiques qu'ils essaient de mettre en œuvre du point de vue de la stratégique numérique.
En troisième lieu, il y a la question de l'utilisation équitable. À bien des égards, cette question devient plus pertinente dans un contexte numérique. Une poursuite est en cours en Colombie-Britannique contre des créateurs qui ont parodié un journal et qui ont été poursuivis par ce journal en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. Ces créateurs ont fait valoir qu'il s'agissait d'une parodie évidente et non pas d'une copie du journal en question. Le tribunal a déclaré que malheureusement, l'utilisation équitable ne couvre pas la parodie. Cela fait plus de 20 ans, presque 30 ans que le magnétoscope existe, mais les consommateurs ne peuvent toujours pas légalement enregistrer une émission de télévision.
À mon avis, ce genre de choses rend la loi tout à fait anachronique. Si nous la mettons à jour dans le contexte du numérique, nous devons apporter la souplesse nécessaire à cette disposition concernant l'utilisation équitable.
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Il y a là plusieurs éléments que je vais essayer de démêler.
Premièrement, je ne pense pas que nous allons renoncer de sitôt à la technologie câblée en faveur du sans-fil. Nous allons probablement voir les deux coexister comme c'est le cas aujourd'hui, mais avec des vitesses plus rapides. Il y a, je pense, dans l'espace sans fil, des limites physiques qui ne lui permettront pas d'offrir dans les foyers les gigaoctets que Google propose d'offrir à l'essai dans certaines localités des États-Unis. Nous n'en arriverons pas là.
Tant que la demande de vitesse de plus en plus rapide existera, je pense que la fibre aura un rôle à jouer pour la technologie câblée dans les foyers. Il y a aussi, sans aucun doute, une demande de vitesse rapide dans l'espace sans fil, car je pense qu'Internet mobile représentera une part importante de l'utilisation d'Internet. Il est clair, selon moi, que ces technologies continueront de coexister, qu'elles deviendront plus rapides et joueront un rôle de plus en plus important dans nos vies.
Vous avez soulevé la question de la réglementation du contenu en provenance de l'étranger. J'ai fait brièvement allusion, dans ma déclaration préliminaire, à la difficulté d'adapter les politiques culturelles pour la transition de la rareté à l'abondance. Tout est là, dans un certain sens. Dans un monde de rareté, vous pouviez éliminer certains types de contenu; vous pouviez maintenir la rareté, ce qui rendait les choses plus faciles à réglementer. Aujourd'hui, nous vivons dans un monde d'abondance où il est tout simplement impossible d'empêcher l'entrée du contenu, ce qui crée de sérieux défis pour ceux qui veulent une réglementation fondée sur cette rareté. Je crois donc très difficile de filtrer le contenu.
Toutefois, cela ne veut pas dire forcément que la loi ne s'applique plus. Je pense par exemple aux lois contre le pourriel ou les discours haineux ou à toutes sortes de règles différentes. Elles disent que si vous êtes au Canada, ces lois continuent de s'appliquer. Si vous êtes hors de nos frontières, il nous sera effectivement très difficile de les appliquer, mais nous allons au moins veiller à ce que les Canadiens respectent les lois qui sont en place et que nous pouvons appliquer.
Je ne crois donc pas qu'Internet soit une zone de non-droit où rien ne s'applique. La loi continue de s'appliquer. Mais nous savons depuis 15 ans, je pense, que la capacité de réglementer le contenu étranger est presque inexistante à moins de vouloir essayer de faire comme la Chine.
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Merci. Ce sont d'excellentes questions.
Je me réjouis que vous souleviez la question de l'ACEI et des noms de domaines « point.ca ». J'ai siégé à ce conseil pendant six ans. Je pense que c'est un organisme bien géré, qui fait un excellent travail. Plus d'un million de noms de domaines point.ca sont enregistrés.
Nous devons reconnaître que cela génère d'importantes sommes d'argent. Vous enregistrez un nom de domaine et vous payez année après année pour le renouvellement de la licence. Comme les coûts du registre sont relativement bas, cela génère d'importants fonds excédentaires.
À mon avis, il faudrait faire quelque chose de positif avec ces fonds excédentaires. Le gouvernement joue encore un rôle. Il siège au conseil de l'ACEI en tant que membre d'office. J'ai effectivement proposé de donner un nom de domaine gratuitement à tout le monde. Ce serait à la fois un moyen d'inciter les Canadiens à aller en ligne… Je pense que cela stimulerait l'investissement dans l'entreprise, car si les gens ont un nom de domaine, ils veulent commencer à s'en servir. C'est donc une bonne chose dans ce sens.
Du point de vue de l'ACEI, je ne pense pas que cela réduira ses recettes étant donné qu'il y aura toujours des entreprises qui voudront des noms de domaines supplémentaires pour lesquels elles devront payer. À mon avis, ce serait pour le Canada une façon agréable et tangible d'augmenter sa présence en ligne sous la forme du point.ca.
Voilà donc pour la proposition point.ca. Quant à ce que le gouvernement peut faire, permettez-moi de revenir un instant sur une des questions dont on ne voit pas toujours le lien immédiat avec les nouveaux médias. C'est la question du gouvernement ouvert.
Une des choses que le gouvernement devrait faire pour préparer les Canadiens pour ce nouveau monde serait de se préparer lui-même. En réalité, nous parlons de toutes ces nouveautés passionnantes, mais c'est dans le secteur privé qu'a lieu l'innovation. On s'attend de plus en plus à ce que le gouvernement s'engage dans la même voie afin que les consultations se déroulent dans le même esprit d'ouverture que celui qu'adoptent les entreprises et les groupes publics. On s'attend à ce que le gouvernement essaie de faire le même genre de choses, à ce qu'il rend son propre contenu disponible afin que les gens puissent l'utiliser, le réutiliser et le développer à des fins culturelles, économiques et politiques et pour toutes sortes d'usages différents.
Dans certains de ces domaines, l'objectif est à portée de main. L'idéal, selon moi, serait d'éliminer simplement les droits d'auteur de la Couronne. Je ne trouve pas normal d'avoir à demander la permission d'utiliser des documents du gouvernement. Toutefois, si nous ne sommes pas prêts à le faire, nous pouvons, comme les Australiens, opter pour la licence Creative Commons disant que tout le monde peut utiliser les documents du gouvernement, particulièrement à des fins non commerciales, sans avoir à demander la permission.
Il n'est même pas nécessaire de changer la loi. Il nous suffit de modifier la politique afin que le gouvernement commence à faire le même genre de choses que ce qui se fait dans le secteur privé, qu'il joue un rôle plus utile dans la vie des Canadiens et qu'il se prépare lui-même pour ce monde des nouveaux médias.
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Je vais commencer par la deuxième partie concernant le gouvernement.
Depuis un certain nombre d'années, nous avons vu le gouvernement en ligne en tant que gouvernement électronique livrant des services gouvernementaux en ligne. C'est une excellente chose. En fait, le Canada était considéré comme étant à l'avant-garde. Aujourd'hui, de nombreux pays insistent sur ce qui n'est peut-être pas considéré comme un gouvernement électronique, mais plutôt un gouvernement ouvert en disant que nous pouvons avoir accès à un grand nombre de séries de données gouvernementales qui ne portent pas toutes sur des questions de politique. Cela va des données météorologiques — des données classiques que nous trouvons normal d'obtenir — aux données produites par le gouvernement et aux écosystèmes économiques qui se basent sur ces données. Toutefois, pour le moment, il y a encore beaucoup de données — des données démographiques, des données sur la main-d'œuvre, des données de Statistique Canada et d'Industrie Canada, dans des séries de données qui ne sont pas facilement accessibles.
Dans d'autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, nous voyons qu'on essaie de mettre ces données en ligne et de permettre de les mélanger et de les réutiliser librement afin que le public puisse y ajouter une valeur. Je ne peux pas vous dire tout ce que cela donnera si ce n'est que cela va permettre de créer certaines choses.
À Vancouver, la municipalité publie toutes ses données, que ce soit sur la collecte des ordures ou d'autres types de services municipaux et vous dit que vous pouvez en faire ce que vous voulez. Ce matin, j'ai participé à une réunion sur le gouvernement ouvert et une des initiatives dont on a parlé était VanTrash. Pour une raison que j'ignore, Vancouver modifie chaque mois les dates de la collecte des ordures. Je ne comprends pas pourquoi, mais apparemment, c'est ce que fait la municipalité. En quoi consiste cette initiative. En fusionnant Google Map et les données fournies par les autorités municipales, on permet aux citoyens de voir où ils en sont et ils reçoivent un avis par courriel la veille du jour où leurs ordures sont ramassées. C'est le genre de choses auxquelles le gouvernement électronique nous fait généralement penser, mais en fait, ce n'est pas le gouvernement qui fournit ce service, mais le public qui utilise ces données pour obtenir des renseignements complémentaires.
Je pense donc que cela va largement se répandre et que ce sera très utile.
En ce qui concerne la numérisation, il y a un certain nombre d'initiatives à cet égard. L'Université de l'Alberta essaie de mettre en ligne certains éléments de notre patrimoine culturel. L'initiative de numérisation la plus connue est celle de Google. Bien entendu, elle consiste à numériser des livres.
L'initiative de Google est une excellente initiative, mais si la seule source de numérisation importante est Google, cela pose un problème. Nous devons reconnaître que notre pays est relativement petit. Si nous le voulions, nous pourrions créer une bibliothèque numérique nationale dans laquelle tout serait numérisé. Nous pourrions commencer simplement par les ouvrages qui sont dans le domaine public. Si vous voulez commencer par ce qui n'est pas controversé, qui n'est plus protégé par le droit d'auteur et numériser tout ce qui est du domaine public, vous pourrez ensuite trouver le moyen de commencer à numériser toutes les autres œuvres.
L'Allemagne essaie de s'orienter dans cette voie en prévoyant un mode de paiement lorsque les œuvres sont utilisées. Toutefois, si vous le faites, y a-t-il un meilleur moyen de permettre aux Canadiens et au reste du monde d'avoir accès à la culture canadienne qu'en la rendant accessible sous une forme numérique?
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Je préciserais simplement que pour ce qui est de BitTorrernt, en fait, j'ai dit que l'utilisation de BitTorrent était une grande réussite pour la SRC même s'il est évident que BitTorrent est un protocole qui connaît un grand succès en ce sens que beaucoup de gens l'utilisent, même si quelques personnes ont des difficultés avec certaines de ses utilisations.
Je dois toutefois mentionner — et je parlerai à la fois des utilisateurs et des fournisseurs d'accès Internet — que certains des groupes qui se sont le plus exprimés devant le CRTC lors des audiences sur la gestion du trafic, à propos des FAI, étaient des groupes de créateurs. C'était des documentaristes, l'ACTRA et l'ACPFT qui nous disent qu'à leurs yeux, un protocole comme BitTorrent est un nouveau mode de distribution très rentable et également un moyen de diffuser leurs œuvres. On reconnaît de plus en plus que c'est utile à bien des égards. Bien entendu, il y a certaines activités illégales, mais il y a aussi beaucoup d'activités autorisées.
Pour ce qui est de l'attitude des FAI à l'égard de ce genre de contenu, je pense qu'ils sont assez ambivalents. Bien entendu, si vous prenez les FAI qui proposent des vitesses de plus en plus rapides et qui vous disent que vous pouvez télécharger plus rapidement, ce n'est pas de la blague. Il ne s'agit pas seulement d'une page Web ordinaire comme celle d'un journal ou de mon site Web, mais de la capacité d'accéder au contenu, qu'il soit diffusé en continu ou parfois disponible par l'entremise de protocoles comme BitTorrent. Cela attire certainement les clients, mais augmente aussi l'utilisation de la large bande.
Le problème que cela soulève dans le contexte des FAI — sans revenir encore une fois sur les audiences du CRTC — est qu'un grand nombre de FAI ont également une filière vidéo, de vidéo sur demande ou de câblodistribution. Il risque d'y avoir une concurrence entre ce service vidéo et les autres moyens de distribution, y compris la diffusion en continu et BitTorrent. Si vous voulez faire en sorte que les créateurs indépendants, par exemple, puissent utiliser ces nouveaux systèmes de distribution, vous devez veiller à ce que la plateforme soit traitée de façon suffisamment neutre. Il ne faut pas que le fournisseur ait intérêt à promouvoir sur une voie plus rapide certains types de contenu en reléguant le reste à une voie plus lente ou en le diffusant au ralenti comme nous le constatons aujourd'hui. C'est, je pense, un sérieux problème.
Pour ce qui est de promouvoir le contenu canadien, reconnaissons qu'il y a une quantité sans précédent de contenu canadien en ligne. Mais il y a également un volume sans précédent de contenu américain, français et britannique, tout simplement parce qu'il y a actuellement un volume de création sans précédent. C'est une bonne nouvelle. La difficulté est, en effet, de trouver certains contenus. Y a-t-il des programmes auxquels nous pourrions penser? Il y en a certainement. En réalité, les réussites sont parfois le fruit du travail et parfois le fruit du hasard. Il y a toutes sortes de facteurs à l'origine d'un succès fulgurant. Quand je pense aux Têtes à claques et d'autres genres de choses, elles ont eu un grand succès et cela en ligne. Si la conception traditionnelle de la politique culturelle canadienne était de favoriser la création de contenu canadien, je pense que ce contenu est créé. À certains égards, nous connaissons un grand succès actuellement sur ce plan.