:
Je vais commencer, puis Danièle Simpson et Glenn Rollans parleront, suivis de Marie-Louise Nadeau et André Cornellier. Nous allons essayer de ne pas dépasser les 10 minutes.
Bonjour. Merci de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité.
Je m'appelle Roanie Levy. Je suis avocate générale et directrice, Politique des affaires extérieures, à Access Copyright.
Access Copyright est une organisation sans but lucratif qui a été établie en 1988 par des éditeurs et des créateurs — des auteurs. Nous avons deux objectifs. Le premier est de faciliter la diffusion et l'utilisation des oeuvres publiées et de notre patrimoine culturel canadien et de les rendre plus accessibles au public, y compris au secteur de l'enseignement. Notre deuxième objectif est de garantir que les auteurs et les éditeurs reçoivent une rémunération raisonnable afin qu'ils puissent continuer de jouer ce rôle essentiel.
[Français]
De nombreuses personnes ont témoigné au sujet des possibilités et défis présentés par les médias numériques. Des notions comme modèle d'affaires, technologie, financement industriel, nouveaux acteurs, accès, interopérabilité, compétence et d'autres ont donné et donneront encore lieu à bien des discussions.
Quoique le mandat pour ces séances ne visait pas le droit d'auteur en tant que tel, presque chaque assemblée a mentionné la Loi sur le droit d'auteur ainsi que la nécessité d'y apporter des amendements, peut-être au désespoir des membres du comité.
Un élément concernant le droit d'auteur semble ressortir. Des témoins sont revenus sur le sujet à plusieurs reprises. Il s'agit de l'utilisation équitable. Pour la plupart, vous avez entendu les témoins venus devant vous demander qu'un changement simple et cumulatif soit apporté aux dispositions sur l'utilisation équitable. Vous avez entendu que l'ajout d'un seul mot, soit « notamment » en français, ou de deux mots, soit « such as » en anglais, résoudrait les besoins d'accès des consommateurs et des utilisateurs d'oeuvres protégées par le droit d'auteur.
Or, vous entendrez aujourd'hui que non seulement cette modification proposée n'est pas simple et ne résoudra pas les besoins d'accès des consommateurs et des utilisateurs mais, qui plus est, un tel changement aurait un incidence considérable sur la capacité des créateurs et des détenteurs de droits à monétiser l'utilisation de leurs oeuvres.
[Traduction]
L'ajout du mot « notamment » peut avoir des répercussions si néfastes sur les modèles de gestion existants et à venir que plus de 50 organisations canadiennes représentant des centaines de milliers d'artistes, de chorégraphes, de compositeurs, de réalisateurs, d'enseignants, d'illustrateurs, de journalistes, de musiciens, d'interprètes, de photographes, de dramaturges, de cinéastes, d'éditeurs, de chansonniers, de vidéographes et d'écrivains de tous les coins du pays se sont ralliés pour présenter un document durant les consultations sur le droit d'auteur afin de prévenir les politiques contre les risques liés à l'allongement de la liste relative à l'utilisation équitable.
Ces centaines de milliers de Canadiens créatifs demandent au gouvernement de leur fournir un contexte juridique sûr qui leur permettre de continuer d'être rémunérés pour leur travail sans craindre d'avoir à consacrer leur temps, leur énergie et leur revenu à des litiges.
Je vais d'abord expliquer brièvement le fonctionnement de l'utilisation équitable, au Canada. Les dispositions canadiennes à ce sujet permettent l'utilisation équitable d'une oeuvre aux fins d'étude privée, ou de recherche, research or private study; de critique ou de compte rendu, criticism or review ou de communication de nouvelles, news reporting. Un utilisateur peut copier une oeuvre sans obtenir la permission du titulaire et sans le rémunérer, pour l'un de ces motifs, à condition que l'utilisation soit également équitable.
L'ajout du mot « notamment » à la liste actuelle sur l'utilisation équitable transformerait cette liste exhaustive de cinq fins en liste indicative. Il s'agirait d'un changement considérable des dispositions canadiennes actuelles en matière d'utilisation équitable. Ce changement ne serait ni simple ni cumulatif, comme l'allèguent certains défenseurs d'une ouverture à cet égard.
Laissez-moi vous expliquer pourquoi. L'ajout du mot « notamment » crée une situation où tout le monde est perdant puisque tout devient incertain et matière à litiges coûteux. Effectivement, l'élargissement de la notion d'utilisation équitable — ou de « fair use », comme on l'appelle aux États-Unis — donne aux tribunaux le pouvoir de trancher une question qui devrait être déterminée par le Parlement.
Prenons un instant pour visualiser comment cette construction constante de la notion d'utilisation équitable par les tribunaux se passerait. Les tribunaux détermineraient essentiellement si une utilisation particulière est équitable par suite d'un conflit entre deux parties privées. En s'appuyant sur les éléments de preuve qui sont nécessaires au règlement d'un conflit individuel et privé particulier, les tribunaux établiraient ou rétabliraient les limites du droit d'auteur et de la notion d'utilisation équitable.
En outre, dans le contexte de litiges privés, les tribunaux ne seraient jamais en mesure de rendre des décisions qui tiennent compte des enjeux politiques comportant des considérations ou des facteurs d'ordre public importants et ayant des répercussions économiques, sociales, politiques, fiscales, culturelles et sur l'emploi, ainsi que des répercussions sur les investissements et l'innovation, de même que la conservation ou la promotion des valeurs culturelles particulières dans tout le pays, y compris le Québec, parmi les peuples autochtones, et dans les provinces de l'Atlantique.
Non seulement l'établissement de limites relatives au droit d'auteur et à la notion d'utilisation équitable constitue une renonciation aux droits du gouvernement de prendre des décisions qui auront des répercussions énormes sur le Canada en tant que pays multiculturel, mais les tribunaux n'ont pas la capacité d'y rendre justice.
Ce que je viens d'expliquer ne relève pas simplement de la conjecture. Nous vivons déjà dans l'incertitude créée par des décisions des tribunaux fondées sur un ensemble de faits particuliers que les utilisateurs appliquent à un autre ensemble de faits. Par exemple, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de CCH, décision que d'autres ont déjà évoquée, a rendu beaucoup plus difficile la négociation de licences, par Access Copyright, pour la reproduction d'ouvrages dans toutes les industries, par photocopie.
Le droit des éditeurs et des créateurs de percevoir, par exemple, 20 millions de dollars par année pour la reproduction de leurs oeuvres dans les secteurs de l'enseignement primaire et secondaire est à risque. Les ministères de l'Éducation allèguent que, en raison de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de CCH — affaire qui concernait des avocats — les enseignants qui photocopient chacun des 265 millions de pages d'ouvrages publiés font une utilisation équitable de ces ouvrages.
C'est la Commission du droit d'auteur, laquelle est un tribunal spécialisé, qui a établi ce montant de 20 millions de dollars en tant que rémunération équitable et raisonnable après avoir analysé les éléments de preuve exhaustifs sur l'utilisation et la valeur des ouvrages photocopiés par les enseignants d'écoles primaires et secondaires. Souvent, les enseignants font ces photocopies au lieu d'acheter les livres. Ce montant tenait également compte d'une allocation pour l'utilisation équitable.
Le secteur de l'édition scolaire dépend de ces revenus pour protéger ses investissements au Canada. Il s'agit d'un secteur dans lequel les Canadiens de tout le pays ont des besoins uniques et importants, et l'investissement de capitaux nécessaires pour répondre à ces besoins est considérable. Néanmoins, l'avenir de ces 20 millions de dollars par année est entre les mains des tribunaux.
L'élargissement de la notion d'utilisation équitable par l'ajout du mot « notamment » ou l'ajout de nombreuses nouvelles fins aggravera beaucoup la situation dans laquelle se trouvent les créateurs, qui est déjà très difficile. Au lieu d'avoir à composer avec cinq fins permises, les créateurs dépendraient de l'interprétation de l'équité faite par un tribunal qui se fondera sur une longue liste de nouvelles utilisations ou même sur une disposition qui permet d'accepter toutes les utilisations.
Ce que certains qualifient de souplesse constitue donc, dans les faits, une responsabilité pour les créateurs et les utilisateurs du droit d'auteur. Un assouplissement de la notion d'utilisation équitable obligerait les titulaires et les utilisateurs d'un droit d'auteur à deviner ce que sont les limites du droit d'auteur et de l'utilisation équitable.
C'est pourquoi Lawrence Lessig, qui est un défenseur très connu de la culture libre, affirme que l'utilisation équitable américaine, qui est associée à une liste non limitative de fins, équivaut essentiellement au « droit d'embaucher un avocat ». David Nimmer, universitaire très connu qui s'est spécialisé dans le droit d'auteur, qualifie également l'utilisation équitable de « conte de fée » dont la complexité lui a valu quatre comparutions devant la Cour suprême des États-Unis et qui a tout de même donné lieu à un système dont « le résultat serait le même... si le Congrès avait institué un jeu de fléchettes plutôt que les quatre facteurs d'utilisation équitable qui sont inclus dans la Copyright Act... ». Nimmer faisait allusion à la liste indicative dans la Copyright Act américaine.
Effectivement, ce niveau d'incertitude n'avantage personne. Il est peut-être difficile de prévoir toutes les répercussions d'un élargissement de la notion d'utilisation équitable, mais le fait qu'il y aura des conséquences imprévues est entièrement prévisible.
L'ajout du mot « notamment » ou l'ajout de choses comme l'enseignement, la formation ou l'utilisation privée à la liste de fins nuirait grandement aux modèles de gestion existants et à venir. Une telle mesure pourrait faire obstacle à la gestion collective des droits d'auteur, qui est de plus en plus importante dans un contexte numérique. La gestion collective permet de répondre aux besoins des utilisateurs en leur fournissant un accès rapide et abordable à des oeuvres tout en leur garantissant qu'ils n'enfreignent pas les droits d'auteur et en versant une rémunération aux titulaires de droits pour leurs efforts créatifs et leurs investissements. L'élargissement de la notion d'utilisation équitable aurait également des répercussions négatives sur le régime de la copie privée et sèmera la confusion dans les contrats existants entre les créateurs, les titulaires de droits et les utilisateurs.
Presque tous les pays ou les entités qui ont subi de telles pressions de la part des utilisateurs qui souhaitaient l'élargissement de la notion d'utilisation équitable ont récemment décidé de rejeter ou de ne pas adopter un tel modèle. Ces pays et entités comprennent l'Australie, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'Union européenne. Ils l'ont rejeté pour les raisons que j'ai décrites, mais j'aimerais vous lire l'un des motifs fournis par le gouvernement du Royaume-Uni, qui a rejeté l'idée d'adopter un tel modèle d'utilisation équitable, en 1981: « À la lumière des difficultés que doivent déjà surmonter les titulaires de droits d'auteur pour protéger leurs droits, le gouvernement est d'avis qu'un amendement pouvant donner lieu à de nouveaux empiétements sur le droit d'auteur fondamental n'est pas justifié. »
Je crois que vous serez d'accord avec moi si je dis que, le moins qu'on puisse dire, c'est que les titulaires de droits d'auteur ont de la difficulté à protéger leurs droits dans le contexte numérique dans lequel nous vivons. La déclaration de 1981 que je viens de citer est plus vraie aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été. Il n'est donc pas surprenant que le gouvernement du Royaume-Uni ait de nouveau rejeté la notion quand il a réexaminé la question, en 2008. Le Canada devrait suivre son exemple.
Merci.
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Bonjour. Mon nom est Danièle Simpson. Je suis présidente de Copibec et vice-présidente de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois. Je voudrais vous remercier de nous avoir donné cette occasion de présenter les points de vue de ces deux associations à propos de l'impact du développement numérique sur l'industrie du livre.
L'Union des écrivaines et des écrivains québécois, l'UNEQ, existe depuis 33 ans et a été reconnue en 1990 comme l'association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature au Québec en vertu de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs.
Copibec, la société québécoise de gestion collective des droits de reproduction des oeuvres littéraires, a été créée en 1997 par l'UNEQ et par l'Association nationale des éditeurs de livres. Elle représente plus de 850 éditeurs et 17 000 auteurs québécois de livres, de journaux et de périodiques, incluant les artistes en arts visuels qui y publient. Elle représente également les auteurs et les éditeurs d'une vingtaine de pays par le biais d'ententes bilatérales avec des sociétés de gestion étrangères. Copibec redistribue annuellement près de 13 millions de dollars aux titulaires de droits.
L'inquiétude actuelle des acteurs du monde de l'écrit, qu'ils soient auteurs ou éditeurs, est de voir réduit, par l'élargissement de la notion d'utilisation équitable ou par l'adoption de nouvelles exceptions, les revenus qui leur sont nécessaires pour poursuivre, les uns, leurs activités de création, et les autres, leurs activités de diffusion. Il semble y avoir, dans les demandes des usagers, confusion entre accessibilité et gratuité, comme si la seule façon de voir à ce que ces oeuvres soient accessibles était d'en rendre l'accès gratuit.
Cette confusion, si elle était reprise par les législateurs, aurait des conséquences dramatiques sur l'industrie du livre. Imaginons par exemple que les reproductions d'oeuvres faites dans le milieu de l'éducation soient considérées comme de l'utilisation équitable. Cela entraînerait, pour les auteurs et les éditeurs, une perte de 9 millions de dollars, en plus de placer Copibec dans une situation précaire puisque les redevances du milieu de l'éducation représentent 70 p. 100 de ses revenus. On risquerait alors de ne plus avoir au Québec de société dont la responsabilité première est de protéger le droit des auteurs et des éditeurs d'oeuvres littéraires. Cela signifierait que ceux-ci devraient s'en charger personnellement, avec le fardeau financier que cela suppose.
Or, l'Observatoire de la culture et des communications du Québec a démontré, dans sa dernière enquête effectuée en 2004, que seuls 9 p. 100 des écrivains trouvaient dans leurs activités de création la principale source de leurs revenus et que 60 p. 100 d'entre eux se voyaient dans l'obligation d'exercer un second métier pour survivre économiquement. Dans ces conditions, comment pourrait-on justifier de les priver davantage de revenus?
Quant aux éditeurs, il faut savoir que les coûts de production d'un manuel scolaire accompagné d'un guide pédagogique peuvent atteindre 1 million de dollars. L'élargissement de la notion d'utilisation équitable risquerait non seulement d'invalider les ententes actuelles que Copibec a signées avec le ministère de l'Éducation, mais fragiliserait aussi considérablement l'industrie de l'édition au Québec qui n'a accès qu'à un petit marché, mais dont l'existence est essentielle à la survie de sa culture. On nuirait également à l'ensemble des travailleurs qui oeuvrent dans ce domaine.
Voyons maintenant ce qu'il en est, toujours en éducation, de ces fameux coûts de reproduction pour le ministère de l'Éducation, des Loisirs et du Sport ainsi que pour les établissements scolaires postsecondaires. Sur un budget total de 14 milliards de dollars, le ministère de l'Éducation verse 3 millions de dollars pour les écoles primaires et secondaires afin de compenser l'utilisation de 68 millions de copies de livres, d'articles de journaux et de revues ou d'oeuvres artistiques, soit moins de 3 $ par élève. Ajoutez à cela 70 000 $ pour l'exécution d'oeuvres dramatiques dans les écoles et 600 000 $ pour la reproduction d'oeuvres musicales et vous obtenez au total moins de 0,0003 p. 100 du budget du ministère. Pour les collèges, le tarif est de 10 $ par étudiant à temps complet, pour 21 millions de copies, et pour les universités, de 23,50 $ par étudiant, pour 86 millions de copies. On le voit, la reproduction des oeuvres en éducation est considérable. Elle représente plus de 175 millions de copies par année, soit l'équivalant de 875 000 livres de 200 pages chacun. Par contre, le coût engendré par la juste rémunération des ayant droits, lui, est minime.
Encore une fois, dans ces conditions, comment peut-on justifier de priver les auteurs et les éditeurs de revenus qui leur sont nécessaires?
La Loi sur le droit d'auteur a établi un équilibre satisfaisant entre les droits des créateurs et les droits des usagers. Passer du modèle de l'utilisation équitable, le fair dealing, à celui de l'usage équitable, le fair use, comme certains le demandent, introduirait dans le droit canadien un concept étranger qui est loin de faire l'unanimité dans son pays d'origine, alors qu'il existe des façons de faire au Canada qui reflètent les valeurs des Canadiens. Cela créerait une confusion et des incertitudes qui mineraient les énergies des créateurs comme des usagers.
À l'heure actuelle, la Loi sur le droit d'auteur actuelle vise à protéger l'intérêt public en assurant l'accessibilité des oeuvres. Elle n'a pas pour but de satisfaire les besoins personnels d'usagers qui souhaiteraient ne pas avoir à payer pour les contenus qu'ils recherchent alors qu'ils n'hésitent pas à défrayer le coût des supports numériques. C'est cet esprit de la loi qu'il faut conserver, d'autant plus qu'il n'existe pas de problème d'accès aux oeuvres.
Les sociétés de gestion jouent adéquatement leur rôle de guichet unique en offrant l'accès à un vaste répertoire d'oeuvres nationales et étrangères et en dispensant les usagers, par la signature d'une licence globale, d'avoir à demander la permission à chaque titulaire pour utiliser son oeuvre. Il n'y a pas de surprise non plus en ce qui concerne les tarifs puisqu'ils sont négociés au préalable avec les usagers. De plus, la presque totalité des revenus sont ensuite versés aux ayants droit, tant ici qu'à l'étranger.
Les sociétés de gestion sont donc tout à fait en mesure de faire face aux changements technologiques, mais surtout, rien ne justifie une gratuité qui favoriserait exclusivement les usagers en expropriant injustement les auteurs de revenus auxquels leur travail leur donne droit.
Vous allez probablement être obligé de m'arrêter parce que je ne lirai pas de déclaration préparée. Je vais essayer de respecter la limite de temps.
Je suis très reconnaissant d'avoir la chance de parler au comité, aujourd'hui. Je travaille en tant qu'écrivain et en tant qu'éditeur depuis environ 30 ans. Je suis associé dans une entreprise d'Edmonton qui s'appelle Lone Pine Publishing et qui oeuvre dans tout le Canada et aux États-Unis. Nous sommes membres de la Book Publishers Association of Alberta et de l'Association of Canadian Publishers. Ces deux associations sont signataires du document que Roanie a mentionné sur les enjeux liés à l'utilisation équitable.
Je reconnais toutefois que, aujourd'hui, nous nous penchons principalement sur les possibilités et les enjeux liés au contexte numérique. Je voulais mentionner que j'ai récemment été associé dans Les Éditions Duval, qui est un éditeur scolaire albertain oeuvrant dans le secteur de l'enseignement de la maternelle à la 12e année. J'ai également été administrateur de la University of Alberta Press. J'ai donc une expérience assez variée dans les domaines de l'édition universitaire et scolaire, et dans le « marché du livre », qui est l'équivalent de la librairie dans le secteur de l'édition.
En ce qui concerne les questions liées au contexte numérique, le domaine de l'enseignement a une grande avance. De 20 à 30 p.100 de ce secteur sont maintenant en format numérique. Dès 1995, Les Éditions Duval ont créé un programme d'enseignement de la langue crie à trois niveaux sous forme de ressources numériques interactives. À titre de comparaison, jusqu'à maintenant, Lone Pine a utilisé la publication assistée par ordinateur pour 300 de ses 800 titres, mais aucune de ces éditions n'a été diffusée dans le marché numérique.
Ce n'est pas par manque de possibilités. Je considère que le monde numérique offre des possibilités spectaculaires. Je pense que, dans l'enseignement, nous avons vu que les ressources peuvent être plus transférables et plus efficaces. On peut inclure, dans ces ressources, de nombreuses fonctions. Elles peuvent également être plus esthétiques. À mon avis, le design dans le monde numérique fait des progrès.
Il reste à savoir si ces ressources peuvent permettre à leurs producteurs professionnels de subvenir à leurs besoins. La raison pour laquelle Lone Pine n'a toujours pas diffusé ses 300 à 400 ouvrages sous forme numérique, c'est que les règles du marché n'ont toujours pas, à mon avis, été bien établies.
Si le Canada veut se démarquer en tant que chef de file dans l'économie numérique, je crois qu'il doit paver la voie à la protection des droits d'auteur pour les producteurs de ressources originales. Cela comprend les écrivains, les artistes visuels et les éditeurs, qui sont les créateurs de ces ressources. Si les producteurs ont des droits d'auteur et peuvent se fier aux règles du marché, je crois qu'ils deviendront des participants très enthousiastes.
Dans le marché du livre, les oeuvres numériques ne représentent que 1 à 5 p. 100 des oeuvres produites, et cela varie d'un secteur à l'autre. Dans l'édition scientifique, juridique, technique et médicale, ce pourcentage est beaucoup plus élevé que dans le marché du livre. Même dans ce secteur en général, il y a des genres qui sont beaucoup plus populaires sous forme numérique. Les romans d'amour, par exemple, sont populaires sous forme de ressources numériques, et les employées de bureau ont tendance à les télécharger pour les lire durant l'heure du dîner. Les taux de téléchargement de certains éditeurs font des pics incroyables à l'heure du dîner. On peut associer certains types de lecture à certaines parties de la journée.
Dans le marché du livre, en général, je crois que les éditeurs participeront avec plus de confiance aux activités numériques s'ils sont protégés adéquatement. Ils doivent pouvoir s'attendre à une rémunération raisonnable, à une plus grande accessibilité à leur oeuvre en raison de sa forme numérique et, en quelque sorte, à l'amélioration de leurs possibilités d'affaires. Les affaires d'un éditeur touchent ses écrivains, ses concepteurs, ses réviseurs et ses vendeurs, ainsi que les détaillants. Les retombées sont considérables, et il est important de protéger ces personnes, à mon avis.
Je ne veux pas aborder l'utilisation équitable particulièrement, alors je conclurai mon exposé en mentionnant notre point de vue relatif au rôle des sociétés de gestion collective. Je pense que les sociétés de gestion collective comme Access Copyright ou COPIBEC jouent un rôle essentiel dans notre économie.
Pour Lone Pine, les possibilités sont illimitées parce que nous sommes éditeurs dans le domaine de l'histoire naturelle et du jardinage. Dans le monde numérique, nous pouvons désagréger le contenu et le réorganiser en applications ou en courts textes à télécharger. Il s'agit d'une possibilité dans le domaine de l'enseignement, également.
Dans le contexte d'un élargissement de la notion d'utilisation équitable, je crois que les utilisateurs sont beaucoup plus nombreux à croire qu'une rémunération ne doit pas être versée dans les cas d'utilisations limitées; c'est ce que nous avons vu dans certaines causes ayant fait jurisprudence aux États-Unis, par exemple, dans le contexte relatif à l'utilisation équitable.
En tant qu'éditeurs, nous sommes souvent accusés de ne pas adhérer sans réserve à des modèles de gestion numériques ou de ne pas en créer. Ces modèles existent, mais ils ne fonctionnent pas très bien, et ce sera le cas tant et aussi longtemps que le monde de l'édition ne se sentira pas en confiance d'intégrer ce marché. Ces modèles fonctionneront pour les gens qui créent des ouvrages dans le cadre de leur emploi normal en tant que formateurs ou professeurs, mais ils ne fonctionneront pas pour les gens dont la profession est écrivain, illustrateur, photographe ou éditeur.
Si on s'attend à ce qu'un modèle de gestion fondé sur des tarifs négligeables fonctionne, les utilisations négligeables doivent être rémunérées. Elles doivent être rétribuées. Si elles ne le sont pas et si une proportion plus élevée d'utilisations sont restreintes, les répercussions sur le revenu des gens qui gagnent leur vie dans ce domaine seront très graves, et un grand nombre d'entre nous ne pourrons plus gagner notre croûte.
Selon moi, si nous élargissons la notion d'utilisation équitable, certains secteurs testeront les limites de cette notion très stratégiquement et en adoptant une approche axée sur la rentabilité. Les grands systèmes de renseignements, comme les ministères provinciaux et les établissements d'enseignement importants ont déjà montré qu'ils s'intéressaient beaucoup à la question. C'est ironique parce que, s'ils veulent avoir accès à des connaissances et à de l'information, les créateurs, eux aussi, veulent qu'ils y aient accès. C'est réciproque. Un écrivain ou un éditeur dont personne ne consulte les ouvrages n'a aucune raison de travailler.
Si nous créons un tel contexte et que nos clients principaux souhaitent qu'une proportion de plus en plus importante de leur contenu soit gratuite, les connaissances qu'ils souhaitent avoir est ce qu'ils valorisent le moins, du point de vue des transactions monétaires. Ils paient les FSI, qui sont des acteurs majeurs dans cette économie. Ils paient des professionnels, des professionnels de l'information et des libraires, ainsi de suite. Ils paient les appareils qu'ils utilisent: les projecteurs dans les salles de classe, les portables et les ordinateurs.
Ils paient tout dans le système, et quand vient le temps de prendre en charge une dépense relativement modeste — pour acheter, comme Danièle l'a mentionné, du contenu informatif — ils refusent de payer.
En tant que parent de trois étudiants à l'université, je peux comprendre que c'est cher. C'est très cher quand on pense au montant dépensé. Toutefois, il faut tenir compte de la valeur reçue. Dans les écoles primaires et secondaires canadiennes, nous dépensons annuellement seulement environ 50 $ par étudiant sur des ressources pédagogiques. Dans les universités, où ce montant s'élève à 1 000 $ par année dans le cadre du budget d'études, la valeur de retour est énorme. Je crois qu'il faut tenir compte de la valeur autant que des dépenses.
Je pense que Roanie a mentionné que les dépenses ont été faussement représentées dans cette discussion puisque, quand vous parlez de millions — et Danièle a également mentionné cela — les montants peuvent sembler énormes, mais, quand ces millions sont comparés aux milliards qui sont dépensés, ils perdent de l'importance. Ces millions sont, après tout, distribués dans la communauté de créateurs et d'éditeurs canadiens. Je crois qu'il est reconnu que ces professions sont mal rétribuées, et l'origine du problème est le montant que nous dépensons pour ces choses.
Nous voyons donc un lien très étroit — ou du moins, moi, j'en vois un — entre les défenseurs d'un élargissement de la définition d'utilisation équitable et les défenseurs de l'ajout d'exemptions dans la Loi sur le droit d'auteur. Par exemple, une exception concernant le milieu de l'enseignement casserait sans aucun doute les prix du secteur de l'édition scolaire. Cette possibilité est l'une des raisons pour lesquelles je ne suis plus éditeur scolaire.
Il y a également un lien entre cette situation et les préoccupations relatives aux sociétés de gestion collectives. Soit dit en passant, je voudrais souligner que, quand j'entends parler d'Access Copyright ou de COPIBEC, de l'extérieur, je constate qu'ils sont considérés comme des institutions, comme des organismes monolithiques qui intimident les autres acteurs du système. Elles sont pourtant très petites en comparaison au système, et il s'agit de véritables sociétés collectives. Il s'agit d'endroits où nous nous rassemblons et qui nous permettent de mettre nos ressources en commun en cas de litige, situation qui m'effraie énormément dans le contexte d'un élargissement de la notion d'utilisation équitable. Ces endroits nous permettent également de mettre nos ressources en commun en matière de licences afin de mettre de l'ordre dans un système qui en a besoin.
Le contexte indésirable que nous avons décrit en serait un où les règles manquent de clarté. Je pense que la relation entre les intérêts des utilisateurs des droits d'auteur et ceux des créateurs exigent de bonnes clôtures. Les bonnes clôtures font les bons voisins. C'est ce que je recherche en ce qui concerne le nouveau droit d'auteur; de bonnes clôtures: une définition claire et non une définition large.
Merci beaucoup.
La Société québécoise des auteurs dramatiques a été fondée pour gérer une entente financière conclue entre le ministère de l'Éducation, des Loisirs et du Sport, le MELS, autrefois le MEQ, sur les paiements des droits d'auteur dûs pour les pièces de théâtre jouées par les élèves dans les écoles du Québec. Cette entente, en plus de permettre à la SOCAN de verser des redevances majoritairement aux auteurs du Québec mais aussi du Canada et de l'étranger, balise l'utilisation des oeuvres dramatiques pour la scène et leur transmission sur quel que support que ce soit.
Nous détenons les mandats de gestion de 250 auteurs dramatiques québécois et canadiens pour les droits, entre autres, de représentation en milieu scolaire, de reprographie, de télécommunications et numériques. Nous avons aussi une entente de gestion avec COPIBEC pour les copies de textes de pièces de théâtre à des fins d'études et de répétitions sur support papier ou numérique.
Avant que nous signions nos ententes avec le MELS, c'est-à-dire avant 1994, et avec COPIBEC au cours des années 2000, il n'y avait tout simplement pas ou très peu de redevances pour les auteurs dramatiques dans le secteur scolaire. Or, actuellement, l'application des exceptions sur l'utilisation équitable, dont l'article 29.5 de la Loi sur le droit d'auteur, prive les auteurs dramatiques joués dans les écoles du Québec de 55 p. 100 de leurs revenus potentiels.
En effet, entre les années scolaires 2006 et 2009, sur 1 950 représentations jouées dans les écoles du Québec, 887 ont été redevables de droits d'auteur, soit 45 p. 100 d'entre elles. C'est beaucoup quand on sait qu'un auteur dramatique au Québec gagne en moyenne 5 000 $ en droits d'auteur par année. Il nous apparaît clair — et les chiffres parlent d'eux-mêmes — que les auteurs dramatiques contribuent déjà largement à l'utilisation équitable. Nous sommes persuadés qu'élargir l'utilisation équitable, en plus de provoquer une confusion certaine chez les utilisateurs déjà perplexes face aux actuelles exceptions, serait dramatique — excusez le jeu de mots — pour les auteurs et pour notre petit organisme voué à la défense de leurs droits.
Nous n'avons pas les ressources financières et humaines nécessaires pour prouver, au cas par cas, que tel organisme a erré ou mal interprété l'utilisation équitable. En matière de droits numériques, nous autorisons actuellement les utilisateurs à capter les représentations à des fins d'archives. Nous autorisons sur demande la diffusion d'extraits de deux à trois minutes sur Internet en autant que l'utilisateur s'engage à respecter l'oeuvre diffusée.
Mais comment garder le contrôle actuel sur la transmission d'oeuvres dramatiques par l'entremise d'Internet si l'utilisation équitable est encore élargie? Et comment justifier auprès des auteurs dramatiques le recul de leurs acquis qui se traduit par une nouvelle perte de revenus et de contrôle sur la diffusion de leurs oeuvres, autant sur scène que sur Internet? Ne sabrez pas dans ce qui a été acquis au fil des ans. Ça fonctionne bien. C'est une question de survie pour nous et de respect pour les oeuvres des auteurs dramatiques.
Merci.
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Mon nom est André Cornellier. Je suis artiste et photographe. Je suis également directeur d'UMA, la Maison de l'image et de la photographie, et je suis membre de la Coalition canadienne des photographes, qui représente 14 000 travailleurs dans l'industrie de la photographie.
Merci aux distingués membres du comité de nous recevoir aujourd'hui.
Vous vous intéressez aux répercussions de l'ère numérique sur notre industrie et vous vous demandez ce que vous pouvez faire pour nous aider. Je vous dirai une chose que vous pouvez faire et une chose que vous ne devez pas faire.
[Français]
Parlons d'abord de quelle manière vous pouvez nous aider. Les photographes d'ici n'ont pas les mêmes droits que les autres artistes canadiens et que les autres photographes des pays industrialisés. En effet, le paragraphe 10(2) de la Loi sur le droit d'auteur du Canada stipule que les droits d'auteur appartiennent à celui qui possède le négatif. Il n'y a plus de négatif à l'époque numérique. D'autre part, pourquoi le droit d'auteur appartiendrait-il à celui qui achète le film plutôt qu'à l'artiste qui a créé l'oeuvre? Est-ce que l'on donne le droit d'auteur à celui qui fournit la guitare ou à l'artiste qui compose l'oeuvre?
Le gouvernement actuel a déjà présenté, au printemps 2008, un amendement dans le cadre du projet de loi qui élimine les paragraphes 10(2) et 13(2) et redonne le droit d'auteur au photographe. Nous désirons que le gouvernement conservateur présente le même amendement dans le prochain projet de loi, d'autant plus que les libéraux ont aussi proposé cet amendement en 2005 dans le cadre du projet de loi .
Parlons maintenant de ce que le gouvernement ne devrait pas faire. Le gouvernement doit faire en sorte qu'Internet soit accessible à tous et partout. Il doit s'assurer que l'autoroute de l'information soit accessible partout à un coût abordable. Cela aidera au développement du commerce et de la culture canadienne. En même temps, il doit résister à l'idée de rendre le contenu gratuit. En effet, quand le gouvernement construit des routes et des autoroutes pour que les produits et services soient accessibles partout, ce qu'on y transporte ne devient pas gratuit. Rendre disponible ne veut pas dire rendre gratuit. Cela veut dire que ce qui n'était pas disponible dans une région y est maintenant disponible et que les gens peuvent maintenant l'acheter.
Quel est l'intérêt de construire un réfrigérateur si, parce qu'on le transporte sur une autoroute, il devient gratuit? Est-ce que le fait de vendre des souliers plutôt que de les donner a inhibé le commerce des souliers? Est-ce que cela fait en sorte qu'il n'y a plus d'autres compagnies qui ont créé de nouveaux souliers?
Il en va de même pour Internet. Créer l'autoroute de l'information ne veut pas dire que ce qui y est transporté doit être gratuit. Le droit de posséder et de jouir de ses inventions ou de ses créations est un droit fondamental pour un commerce équitable. Cela encourage réellement la création. Prétend-on que quand tout est gratuit, on encourage la création? Où est donc l'encouragement?
Quand nous prônons le respect du droit d'auteur, on se fait dire que nous freinons la création, que nous ne comprenons rien, que nous devons faire face aux nouvelles idées et aux nouveaux besoins de la révolution numérique. Les 29 et 30 avril 2008, un colloque a eu lieu à Toronto. Y étaient réunis tous les segments de la culture canadienne, représentant toutes les opinions sur le droit d'auteur. Plus de 140 000 créateurs de tous les domaines y étaient représentés: musique, arts visuels, arts de la scène, écriture, film, vidéo. Il y avait aussi des promoteurs d'un Internet gratuit, ceux qui s'opposent à tout droit d'auteur. Il y avait les promoteurs du Creative Commons, il y avait M. Geist, il y avait des artistes « appropriationnistes » et plusieurs représentants de la relève et des jeunes générations. Toutes les idées et tous les âges y étaient représentés.
Un jeune artiste, dans la vingtaine, a fait une présentation d'une de ses créations. Il s'agissait d'un vidéo de trois minutes. Il avait pris sur Internet des centaines d'images et il les avait montées en couches superposées. Ses créations étaient composées de nombreuses images recombinées. Les images de la vidéo étaient des collages. Des centaines de collages à la suite les uns des autres composaient une symphonie d'images très colorées. Il nous expliquait que s'il avait eu à demander les droits pour chacune de ces images, il lui aurait fallu des mois d'ouvrage et des coûts de dizaines de milliers de dollars. Il demandait donc d'abolir les droits d'auteur sur Internet ou de faire une exception pour qu'il soit affranchi du droit d'auteur puisqu'on freinait sa créativité.
On lui a fait part d'un cas hypothétique. Si une compagnie, comme Ubisoft par exemple, créait un nouveau jeu électronique et, ayant aimé ses images, décidait de les prendre sur Internet et de les intégrer à leurs logiciels, de les utiliser pour l'emballage d'un produit ou quoi que ce soit d'autre, cela ne devrait pas lui causer de problème. Il a répondu sans hésitation qu'il les poursuivrait.
Le 30 janvier dernier, je me trouvais dans les bureaux d'une jeune maison de design de Montréal. Lors d'une conversation, les deux designers, sachant que je travaillais pour la reconnaissance des droits d'auteur, m'ont dit que je ne comprenais pas les besoins de leur génération. L'un deux me disait qu'il faisait de la musique avec des amis et qu'ils préféraient diffuser leur musique sur Internet pour que les gens puissent la télécharger gratuitement dans le but de se faire connaître. À cause de cela, les modèles anciens que j'appuyais n'étaient plus valables. Il ne devait plus y avoir de droits d'auteur.
Je lui ai demandé s'il y avait un problème advenant le cas où un groupe au Canada ou aux États-Unix aimerait leur musique et voudrait l'enregistrer à leur tour et la distribuer sur CD et sur l'Internet. Il a répondu sans hésitation qu'il les poursuivrait.
Il y a des centaines d'exemples de ce type. Ils disent tous qu'ils ne veulent pas de droits d'auteur pour ne pas inhiber leur créativité ou la distribution de leurs créations, mais ils veulent tous poursuivre ceux qui s'approprient leurs oeuvres. Comment pourraient-ils poursuivre s'il n'y a pas de loi qui les protège?
Cela ne démontre pas qu'ils ne veulent pas de droits d'auteur, cela ne démontre qu'une chose: l'ignorance du droit d'auteur. Lorsqu'on écoute avec soin et qu'on essaye de comprendre leurs pensées, on comprend qu'ils veulent pouvoir décider quand partager gratuitement leurs créations et quand en tirer des bénéfices. Le droit de décider où, quand et comment on veut partager ses créations, cela s'appelle le droit d'auteur.
Le droit d'auteur actuel remplit bien sa mission et protège les créateurs anciens et nouveaux, ceux d'hier et ceux de demain. Il leur permet de donner gratuitement leurs oeuvres ou d'en tirer des bénéfices et de créer de nouvelles oeuvres originales. N'ouvrez-pas la porte à toutes ces exceptions qui vous sont demandées. Les exceptions que vous créez aujourd'hui pour soi-disant faciliter la création se retourneront demain contre ceux qui les auront demandées et ils ne pourront pas protéger leurs propres oeuvres. Donner la permission de plagier encourage les plagiaires et non le talent. Les vrais artistes n'ont jamais eu peur de quelques contraintes. Le respect des droits encourage la création. Si vous acquiescez aujourd'hui à des demandes d'exceptions, dans 20 ans, ils seront les premiers à vous reprocher, avec raison, de ne pas avoir protégé leurs créations et leur patrimoine.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Dans un premier temps, je dois vous avouer que je trouve aberrant qu'on puisse penser, ne serait-ce qu'un seul instant, non seulement à enlever la capacité de créer, mais à ne pas protéger le créateur d'une oeuvre. La base même de cette création, c'est sa capacité à la diffuser, c'est un revenu. Il ne faut pas embarquer dans le free for all. Personnellement, j'ai toujours été un de ceux qui veulent avant tout protéger le créateur. C'est la base même.
J'ai une fille de 17 ans et un fils de 14 ans. Vous me voyez donc venir avec le fameux débat générationnel sur l'accessibilité. J'ai le pressentiment que, malheureusement, il y a une culture où on banalise l'accessibilité. On mêle droits acquis et privilèges. C'est un privilège d'avoir accès à une oeuvre. D'un autre côté, je me mets à la place du consommateur. C'est clair que s'il veut une plus grande diffusion. Le consommateur doit avoir accès à la création d'une oeuvre et en devenir un certain porte-étendard. C'est de cela qu'on parle en termes d'équilibre.
Je n'ai aucun problème avec la question du rapport de forces, ni avec la possibilité qu'on puisse vous donner les outils de défense nécessaires ainsi qu'une certaine protection. Si vous n'avez pas cette capacité de négociation, vous êtes à la merci de quelqu'un.
On a le sentiment que la technologie va beaucoup plus vite que la loi. Ainsi, une loi qu'on change aujourd'hui va être caduque d'ici un ou deux ans. Je me rappelle tout le travail qu'on a fait. Vous avez parlé d u projet de loi et c'est toujours la même chose. On parlait à l'époque de cassettes et de CD. Maintenant, on se retrouve avec des iPod et des iPad et on ne sait pas ce qui va arriver au bout du compte. C'est une question qui a l'air philosophique, mais qui, à mon avis, est importante comme législateur. Quelle est votre définition de la flexibilité?
Dans le fond, on a besoin d'un modèle d'affaires pour que vous puissiez vous protéger tout en permettant qu'on puisse accéder de façon décente à cette oeuvre à des fins d'éducation ou d'autres fins. Mettez-vous à notre place.
Je vais commencer peut-être avec Mme Levy et Mme Simpson puisqu'elles vivent de ces exceptions. Comment définissez-vous cette flexibilité? Il y a une évolution certaine. Je veux protéger le créateur et permettre une plus grande diffusion. Madame Levy, peut-être, pour commencer?
C'est une discussion fascinante. Si je dois partir avant la fin, ce n'est pas par manque de respect. Les deux dernières semaines ont été folles, et j'essaie de ne rien sacrifier.
Je ne le suis peut-être pas, mais j'allègue être le seul député qui a essayé de gagner sa vie grâce au droit d'auteur, et c'est pourquoi j'ai dû acheter un complet et devenir un politicien...
Des voix: Oh, oh!
M. Charlie Angus: ... alors cela m'intéresse beaucoup.
Je reçois de l'argent, pas beaucoup, environ 12 $ tous les trois ans, pour un article que j'ai rédigé quand j'étais beaucoup plus jeune. Il est dans un manuel. J'apprécie ces 12 $. D'un autre côté, j'ai dirigé une revue pendant 12 ans et nous publiions beaucoup de choses en ligne gratuitement. Beaucoup d'écoles utilisaient ce matériel. Il s'agissait d'un modèle de gestion que nous essayions de mettre sur pied. Je peux donc voir les deux côtés de la médaille.
J'ai lu un article très intéressant dans mon journal local l'autre jour. Un journaliste cri avait découvert des livres qui avaient été perdus et qui étaient épuisés, des livres dans lesquels les premiers missionnaires parlaient de la langue crie. Ils sont maintenant sur Google Livres. Il était très excité.
Je m'intéresse aux possibilités que nous offre la culture numérique. Je représente une circonscription qui comprend de nombreuses collectivités isolées, où les gens utilisent l'information à distance. J'aimerais donc commencer par essayer de bien comprendre la question.
Dans le cadre du plan conservateur pour la formation à distance, dans le dernier projet de loi, les écoles seraient dans l'obligation de détruire les leçons 30 jours après la communication des notes. Elles seraient obligées de faire tout ce qu'elles peuvent pour essentiellement empêcher les élèves de conserver des copies des leçons. Est-ce que c'est juste?
Eh bien, nous avons un peu parlé des médias numériques et émergents, puis une discussion sur les droits d'auteur a pris le dessus. Il semble que, malgré le fait...
Ce que je souhaitais véritablement, et ce que nous souhaitons tous, je crois, pour citer Star Trek, l'une de mes émissions préférées quand j'étais enfant, c'est d'aller hardiment dans ce nouvel univers et de tirer parti de toutes les occasions d'accroître le rayonnement des artistes canadiens et, de fait, de les enrichir sur le plan pécuniaire. En outre, nous voulons nous assurer d'offrir un accès accru, amélioré, aux artistes canadiens, tant au du Canada qu'à l'étranger.
Je pense que c'est vraiment la direction que nous voulons prendre. Nous voulons proposer au ministre et au gouvernement une stratégie et des recommandations pour aider les Canadiens et les Canadiennes à saisir ces occasions.
En ce qui a trait au droit d'auteur, je comprends qu'il fait partie intégrante de cela. Je comprends que vous voulez un contexte où, comme vous l'avez dit, les bonnes clôtures font les bons voisins. Vous voulez savoir ce que sont ces clôtures au juste. Je comprends cela. Au Canada, nous travaillons depuis 1996 à mettre à jour nos lois sur le droit d'auteur. Cette bataille se poursuit.
J'ai quelques questions à vous poser. J'aimerais en quelque sorte me faire l'avocat du diable et vous poser des questions qui, sans nécessairement refléter mes vues sur la question, me donneront une idée de ce à quoi vous faites face quand vous parlez de droits d'auteur.
En ce qui concerne la question de l'utilisation équitable ou de l'expression « notamment », l'une des raisons pour lesquelles nous devons rédiger un nouveau projet de loi sur les droits d'auteur, c'est que la technologie a changé, et que notre projet de loi sur les droits d'auteur ne protège plus les détenteurs de droits d'auteur. Au Canada, nous faisons face au problème de la redistribution illégale. D'autres administrations nous considèrent comme un contrevenant. J'ai rencontré les représentants de certaines de ces autres administrations; je suis convaincu que d'autres personnes autour de la table l'ont fait également.
Si nous rédigeons un projet de loi qui n'offre pas une certaine souplesse, nous allons nous retrouver au même point. Nous pourrions nous retrouver dans cette même position beaucoup plus rapidement que la dernière fois, parce que la technologie change encore plus rapidement qu'elle ne le faisait il y a quelques années.
Si nous ne sommes pas du tout disposés à examiner la notion d'utilisation équitable ou la façon dont nous l'interprétons, qu'est-ce qui vous pousse à croire que le prochain projet de loi sur le droit d'auteur serait mieux conçu pour suivre les progrès de la technologie que ne l'est celui devant lequel nous nous trouvons présentement? Qu'est-ce qui nous empêcherait de nous retrouver dans la même situation dans un an ou deux ou que sais-je?
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Assez curieusement, vous concluez avec celui dont je voulais vous parler, Claude Robinson. J'aimerais résumer ce cas pour les gens autour de la table parce que tous ne connaissent pas l'histoire de Claude Robinson. Monsieur Del Mastro, connaissez-vous l'histoire de Claude Robinson?
Non. On a bien deux solitudes.
Claude Robinson est un artiste qui était extrêmement prolifique il y a 14 ans et qui a été obligé, pour faire reconnaître ses droits d'auteur, de poursuivre la compagnie Cinar, une compagnie internationale de films d'animation. Vous en avez peut-être entendu parler car cela a fait scandale ici, à Ottawa. On accusait la compagnie de fraude et d'avoir utilisé des prête-noms.
Claude Robinson a poursuivi Cinar. En fait, il les poursuit depuis 14 ans. C'est un créateur, un artiste qui n'a rien produit depuis 14 ans, car il a dû se transformer en investigateur et en avocat pour défendre sa cause. Il a gagné, dans un tribunal de première instance, mais les riches et puissantes compagnies internationales, dont Cinar, sont allées en appel. Il est encore obligé de se défendre devant les tribunaux. Il n'a plus d'argent, imaginez!
Justement, au Québec, il y a eu un mouvement de solidarité comme, je pense, on en connaît seulement au Québec. On a ramassé 250 000 dollars pour lui. Le montant est même de 262 000 dollars parce que j'ai fait une collecte au sein du Bloc québécois. Ce problème de droits d'auteur est patent au Québec et est très connu. Tout le monde parle de Claude Robinson. Il ne faut pas transformer nos artistes et nos créateurs en avocats.
Vous me dites que l'utilisation équitable transformerait les artistes en avocats. Est-ce exact?
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Je pense que je vais peut-être répondre à plusieurs des questions ou des aspects qui ont été soulevés. Je crois effectivement qu'il y a un risque bien réel de les transformer, sinon en avocats, alors en plaignants qui courent les tribunaux pour que le fonctionnement du système soit précisé.
D'après moi, les enjeux relatifs à la souplesse et à la capacité d'adaptation trouveront une réponse partielle dans toute réponse précise à la question. Si la Loi sur le droit d'auteur présente des limites, si l'utilisation équitable est clairement circonscrite, et si les exceptions en matière de droit d'auteur sont clairement précisées... Nous avons mentionné la parodie comme étant une exception dont il serait très simple de définir les limites; par contre, une exception relative à des aspects pédagogiques serait beaucoup plus difficile à définir.
Selon moi, si ces choses sont clarifiées, et que cela s'accompagne d'un renforcement du rôle des sociétés de gestion des droits d'auteur, nous allons voir disparaître certaines des poursuites qui se déroulent à l'arrière plan — ou encore à l'avant-plan, comme c'est le cas maintenant —, de même que, pour certaines, la possibilité de poursuites. Si les règles sont claires, nous allons revenir à une relation de travail entre les créateurs et les utilisateurs d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Les utilisateurs, particulièrement ceux qui travaillent à grande échelle, ne seront pas tentés d'interrompre la discussion sur le coût éventuel d'une ressource juste pour voir s'ils peuvent l'avoir sans payer.
Ces règles, qui renforcent le rôle des sociétés de gestion des droits d'auteur et celui des transactions entre les détenteurs de droits d'auteur et les utilisateurs d'oeuvres, même si elles laissent quelques zones grises, ramèneront les gens à la table de négociation, d'une certaine manière. Là, à titre de fournisseurs, nous pourrons offrir l'information aux personnes qui s'en servent à un coût et selon des modalités raisonnables. S'ils nous répondent qu'ils souhaiteraient avoir des modalités différentes, alors nous pourrions en parler.
Il existe plusieurs moyens de gérer cette situation: la licence collective; la licence octroyée directement par le propriétaire, comme un artiste visuel, à un utilisateur; ou encore le prix ordinaire que vous pouvez lire sur le contreplat inférieur d'un livre ou sur un livre numérique vendu en ligne.
Ainsi, d'une certaine manière, une mise à jour pourrait simplement être une confirmation des modalités qui se trouvent présentement dans la Loi sur le droit d'auteur. Jusqu'à un certain point, cela servirait de mise à jour, préciserait les règles du jeu et ramènerait les gens dans une relation plus raisonnable.