:
Merci beaucoup, c'est un grand plaisir que d'être ici avec vous.
[Traduction]
Je présidais le comité qui a rédigé ce rapport, et mon collègue, le sénateur Segal, en faisait partie aussi. Il était le vice-président du comité. Nous sommes des partenaires. Nous parlons de notre rapport aux personnes que ça intéresse parce que nous croyons avec ferveur que c'est un sujet important que nous devons aborder.
Nous allons vous mettre un peu en contexte. Au cours des deux dernières années, dans le cadre de son étude sur la pauvreté, le logement et l'itinérance, le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a tenu environ 35 audiences et cinq tables rondes et a rendu visite à 20 organismes dans neuf villes du Canada. Nous avons eu l'occasion d'entendre près de 200 témoins, dont certains vivent dans la pauvreté et sont des itinérants. D'autres oeuvrent pour des organismes communautaires ou travaillent en tant qu'analystes dans des organisations bénévoles et universitaires.
Très franchement, ce que nous avons entendu était épouvantable. Nous avons constaté — donnée stupéfiante — qu'un Canadien sur 10 vivait dans la pauvreté. Cela représente 3,4 millions de personnes, ou l'équivalent de tous les hommes, femmes et enfants des provinces de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve-et-Labrador, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Saskatchewan réunis. Pour ces personnes — nos concitoyens —, chaque jour est une bataille en raison de leur faible revenu, du logement inabordable, des vêtements inadéquats et de l'impossibilité de manger à sa faim. Chaque jour apporte son lot de décisions déchirantes: faut-il faire l'épicerie ou payer le loyer? Faut-il acheter de nouvelles chaussures pour les enfants ou faire un versement hypothécaire? Faut-il abandonner ses études et obtenir un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille? Ces familles peinent à joindre les deux bouts, alors pour ce qui est de rêver à leur avenir...
Ce qui est particulièrement troublant c'est que de ce nombre, environ 800 000 sont des enfants. Cette statistique est extrêmement déplorable étant donné l'engagement pris par la Chambre des communes en 1989 afin d'éliminer la pauvreté infantile d'ici 2000. À l'inverse, aucun progrès n'a été réalisé, puisque le taux de pauvreté infantile dans la plupart des provinces se situe aujourd'hui au-dessus de 10 p. 100. Ce taux varie, mais il est maintenant à l'un de ses niveaux les plus élevés.
Nous comprenons tous les arguments moraux contre la pauvreté, les souffrances et les désirs qui se côtoient douloureusement dans une terre d'abondance, le prix inacceptable des vies dépréciées, des rêves déçus et du potentiel brimé. Je crois que de nombreuses personnes dans ce pays ne se rendent pas compte du coût économique de la pauvreté, à quel point nous en payons tous le prix. Notre fardeau fiscal augmente, l'économie s'affaiblit, la facture des soins de santé gonfle et l'aliénation et le crime s'accroissent. Je veux aujourd'hui examiner ces coûts économiques et résumer certaines des mesures que nous avons proposées dans notre rapport pour les réduire. Soyons bien clairs: compte tenu des défis démographiques et économiques que nous devrons relever, nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre de payer pour la pauvreté.
Selon une étude ontarienne récente menée par des économistes et des spécialistes des politiques, comme Don Drummond, Judith Maxwell et James Milway, la pauvreté nous coûterait environ 7,5 milliards de dollars par année pour les soins de santé et entre 8 milliards et 13 milliards de dollars pour la perte de productivité. Et lorsqu'on ajoute d'autres facteurs, la facture de la pauvreté s'élève à plus de 30 milliards de dollars par année. C'est plus que la moitié du déficit fédéral actuel. Imaginez ce que l'élimination de la pauvreté signifierait pour notre situation fiscale, notre capacité de financer l'éducation, l'innovation, les soins de santé et notre capacité de prendre soin des personnes âgées.
Un rapport récent de la Chambre de commerce du Canada décrit le défi démographique auquel nous serons bientôt confrontés en termes clairs. Comme notre population vieillit et que la croissance de notre population d'âge actif ralentit, nous devrons faire face à des pénuries importantes de main-d'oeuvre. Le tiers de l'ensemble des travailleurs devrait prendre sa retraite au cours des deux prochaines décennies. Autrement dit, la proportion de personnes qui travaillent, paient des impôts et contribuent aux fonds de pension et aux soins de santé sera réduite de moitié.
Dans son rapport, la Chambre de commerce du Canada précise également que pour pallier les pénuries prochaines de main-d'oeuvre, nous devons miser sur les segments sous-utilisés de notre société, c'est-à-dire les personnes âgées, les Autochtones, les personnes handicapées et les nouveaux arrivants. Ce sont précisément ces groupes ainsi que les chefs de famille monoparentale, lesquels sont surtout des femmes, qui sont les plus vulnérables à la pauvreté selon notre étude. Il s'avère que les groupes qui croupissent dans la pauvreté sont ceux-là mêmes auxquels nous devrons trouver des emplois et qui devront payer des impôts dans l'avenir.
Nous sommes donc à la jonction de deux grands défis que doit relever notre société: les coûts économiques permanents de la pauvreté et la bombe à retardement du vieillissement de la population. Mais la bonne nouvelle, possibilité incroyable s'il en est une, c'est que nous pouvons relever les deux défis en même temps. En aidant plus de gens à sortir de la pauvreté, nous contribuerons à pourvoir les emplois qui doivent l'être. Nous économiserons des milliards de dollars que nous devons tous payer en raison de la pauvreté.
Mais ce n'est pas comme si nous ne faisions rien au sujet de la pauvreté. Selon Statistique Canada, nous dépensons 150 milliards de dollars chaque année en paiements de transfert fédéraux et provinciaux. Et cela ne comprend pas les coûts relatifs à l'éducation et aux soins de santé. Alors qu'obtenons-nous pour les 150 milliards de dollars que nous dépensons? Deux mots ne suffisent pas. Les chiffres relatifs aux enfants — par exemple, 800 000 enfants qui vivent dans la pauvreté — ne sont pas simplement des statistiques stériles. Ce sont des feux rouges clignotants.
Par exemple, nous savons que des enfants nés pauvres ont plus de risques de mourir durant la petite enfance et que, s'ils vivent, il est probable que leur poids de naissance soit moins élevé et qu'ils aient plus d'incapacités. Lorsqu'ils grandissent, ils ont plus de risques de souffrir de malnutrition et d'avoir des problèmes de santé. Ils seront plus souvent absents de l'école et, petit à petit, ils prendront du retard. Il n'est pas étonnant qu'ils aient moins de chances de réussir et plus de risques d'abandonner leurs études. Lorsqu'ils arrivent à l'âge adulte, ils risquent davantage de souffrir de maladies chroniques. Puisqu'ils atteignent un niveau de scolarité moins élevé, ils ont un salaire moins élevé et paient moins d'impôts, sont moins productifs, ont plus de problèmes de santé et utilisent davantage les services sociaux. Tout cela signifie des coûts plus élevés pour la société.
Notre comité a aussi découvert quelque chose d'autre, quelque chose de plus répandu au sujet de la pauvreté dans notre pays. Nous avons constaté que le fait que tous les ordres de gouvernement, malgré toutes leurs bonnes intentions, aient élaboré des politiques sociales pendant des décennies a mené à deux résultats tout aussi désastreux. Premièrement, même si tous les programmes obtiennent les résultats escomptés, le revenu des moins nantis ne suffit souvent qu'à les maintenir dans la pauvreté. Deuxièmement, dans leur application la plus déplorable, les politiques et les programmes actuels emprisonnent les gens dans la pauvreté, en créant des effets inattendus, mais néanmoins pervers, qui font qu'il est pratiquement impossible d'échapper à la dépendance aux programmes de sécurité du revenu ou aux refuges pour sans-abri.
Voici la situation. Nous dépensons 150 milliards de dollars par année. Trois millions et demi de personnes vivent dans la pauvreté, y compris 800 000 enfants. Il va sans dire que toute entreprise qui a dépensé 150 milliards de dollars dans des programmes sans atteindre ses buts pourrait conclure qu'un remaniement est nécessaire, et nous devrions arriver à la même conclusion.
Cependant, des signes sont encourageants. Pendant nos travaux, nous avons découvert des exemples de pratiques et de programmes prometteurs — pour la plupart à l'échelle communautaire — qui permettent réellement d'obtenir des résultats et de sortir des gens de la pauvreté et de l'itinérance. Nous ciblons et nous soulignons ces initiatives dans notre rapport. Mais malheureusement, ces exemples ne sont que des promesses filtrées au compte-goutte dans un système par ailleurs dysfonctionnel qui doit être révisé.
Notre comité a étudié la gamme complète de programmes de sécurité du revenu: les allégements fiscaux, l'aide sociale, l'assurance-emploi, la sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti. Nous avons fait un certain nombre de recommandations précises — en fait, 74 au total — en vue d'instaurer des améliorations. Nous avons suggéré plusieurs changements à l'assurance-emploi afin qu'elle soit juste et plus efficace.
En ce qui concerne l'éducation et la formation, comme vous le savez bien, la réussite sur le marché du travail d'aujourd'hui, qui évolue à un rythme rapide, dépend souvent du fait de posséder les compétences appropriées. En termes clairs, il y a un lien direct entre le niveau d'études et le salaire reçu. Une impasse classique résume cette situation. La pauvreté empêche beaucoup de gens d'obtenir le niveau d'études et la formation dont ils ont besoin, et leur manque de compétence les empêche d'obtenir l'emploi qui leur permettrait de sortir de la pauvreté.
Il est essentiel de briser ce cycle, et cela commence dans les premières années de vie. Toutes les études confirment que les enfants qui arrivent à l'école prêts à apprendre deviennent des adultes motivés par la réussite. Nous recommandons donc, entre autres, une initiative fédérale-provinciale sur l'apprentissage pendant la petite enfance. Je mets l'accent sur l'apprentissage, l'éducation, par opposition aux services de garde et au gardiennage. En ce qui a trait aux programmes de développement de la petite enfance, le médecin hygiéniste en chef du Canada a indiqué récemment qu'un dollar investi dans les premières années de vie permettait d'économiser entre trois et neuf dollars qui seraient autrement dépensés plus tard dans les systèmes de santé et de justice pénale, ainsi que dans l'aide sociale.
Nous avons aussi pu constater directement l'importance de l'appui à l'école intermédiaire pour les enfants vulnérables, aux fins de l'obtention de leur diplôme d'études secondaires, et de la hausse du degré d'alphabétisation dans le cas des jeunes adultes ainsi que de l'acquisition de compétences à tout âge. C'est pourquoi nous proposons d'offrir un soutien fiscal supplémentaire pour les études postsecondaires des étudiants qui font partie de groupes qui sont sous-représentés dans ces établissements d'enseignement, comme les Autochtones, et pour les initiatives qui permettent aux jeunes démunis de rester à l'école. Selon une étude, si les Autochtones canadiens étaient en mesure d'accroître leur niveau d'études pour qu'il soit équivalent à celui des autres Canadiens, notre production économique globale augmenterait de 179 milliards de dollars d'ici 2026, et les recettes fiscales du gouvernement augmenteraient de 3,5 milliards de dollars. Ce serait bien pour les Autochtones et pour tous les Canadiens.
Nous avons aussi examiné la question de la santé, parce qu'il y a un lien clair entre le fait de vivre dans la pauvreté et d'avoir des problèmes de santé. Le quart des Canadiens, ceux qui sont les plus pauvres, utilise deux fois plus les services de santé que le quart le mieux nanti de la population. En fait, selon Statistique Canada, la pauvreté diminue davantage l'espérance de vie que le cancer.
Nous présentons également des exemples de crédits d'impôts fructueux. Par exemple, le supplément de la prestation nationale pour enfants enrichit les ménages et les personnes à faible revenu. En tant que mesure cruciale pour éliminer la pauvreté infantile, nous proposons de faire passer la prestation nationale pour enfants de 3 400 $ à 5 000 $ d'ici 2012.
La prestation fiscale pour le revenu de travail, qui s'ajoute au salaire que touchent les personnes à très faible revenu, est une autre mesure fiscale qui est très prometteuse parce qu'elle rend le travail plus rémunérateur. Nous recommandons l'augmentation de cette prestation afin qu'aucun bénéficiaire ne se retrouve sous le seuil de la pauvreté.
Parce que nos personnes âgées méritent aussi de la dignité une fois à la retraite, nous recommandons aussi d'augmenter le supplément de revenu garanti afin qu'aucune d'entre elles ne se retrouve sous le seuil de la pauvreté.
Je vais dire quelques mots sur les personnes qui sont aux prises avec des incapacités. Le groupe des personnes handicapées est hautement marginalisé. Ces personnes n'ont pas accès à une éducation de qualité, ont un taux d'emploi plus faible et ont plus de risques d'être pauvres. Nous croyons qu'il faudrait offrir la garantie d'un revenu de base aux personnes gravement handicapées et, au moins à court terme, rendre remboursable le crédit d'impôt pour personnes handicapées.
Tout comme le supplément de revenu garanti a permis à des dizaines de milliers de personnes âgées de se sortir de la pauvreté, un revenu garanti pour les personnes gravement handicapées permettrait immédiatement de retirer environ 500 000 personnes des listes de l'aide sociale.
Laissez-moi parler très brièvement du logement et de l'itinérance. Je crois que nous comprenons tous intuitivement l'importance d'avoir un foyer décent. Un foyer stabilise les personnes et les familles. Il constitue le fondement d'une meilleur réussite scolaire et permet d'obtenir une plus grande stabilité en milieu de travail. Les spécialistes de la santé nous affirment également qu'un foyer approprié est un des principes déterminants de la santé qui a un effet positif sur la santé à long terme.
Aujourd'hui au Canada, au moins trois millions de personnes se battent pour obtenir un logement abordable. Lorsque je dis « abordable », je m'appuie sur la règle standard de la Société canadienne d'hypothèques et de logement du 30 p. 100 du revenu. Nous devons faire mieux et nous avons besoin de directives du gouvernement fédéral. Plus précisément, nous recommandons un financement approprié et soutenu par le biais de l'initiative du logement abordable pour augmenter l'offre de logements abordables. Nous devons rendre permanent le Programme d'aide à la remise en état des logements et nous devons faire en sorte d'avoir des programmes de logement à long terme afin de tenir compte des échéanciers liés à l'urbanisme et à l'aménagement à l'échelle locale et provinciale.
Régler le problème de l'itinérance ne signifie pas seulement qu'il faut faire ce qui est moralement acceptable; c'est aussi une question d'argent. Le fait est que c'est plus coûteux pour nous tous de laisser quelqu'un dans la rue plutôt que de lui fournir un logement décent et des services d'appui. Pas plus tard que la semaine dernière, Ed Stelmach, le premier ministre de l'Alberta, a déclaré qu'un sans-abri coûtait en moyenne 100 000 $ par année à la société, y compris les soins de santé. Si un sans-abri obtient un toit permanent, ce coût diminue à environ 35 000 $ par année. Ce sont les statistiques de l'Alberta.
Nous devons donc faire un meilleur travail dans les dossiers du logement et de l'itinérance. Il est temps que les gouvernements fédéral et provinciaux fassent front commun à ce sujet et élaborent une stratégie nationale dans ces domaines.
Pour terminer, madame la présidente, à la base de notre rapport se trouve le principe du simple bon sens, qui veut que les programmes sociaux sortent les gens de la pauvreté au lieu de les y laisser. Il est temps de donner aux gens les outils dont ils ont besoin pour sortir de la pauvreté. La pauvreté n'est pas inoffensive. Elle a un effet sur nous tous. Elle est coûteuse pour tout le monde. Nous dépensons beaucoup d'argent et n'obtenons pas les résultats escomptés. Nous ne sommes pas d'avis qu'il faut dépenser plus d'argent. Nous devons le dépenser de façon plus intelligente, plus efficace.
Dans le contexte économique mondial actuel, étant donné le défi démographique que pose la société vieillissante, il est plus important que jamais de créer ce type de possibilités et d'utiliser la contribution créative des personnes piégées par la pauvreté. En réalité, notre niveau de prospérité futur dépend de la manière dont nous réglerons notre problème actuel de pauvreté. Autrement dit, nous ne pouvons plus nous permettre d'assumer les coûts de la pauvreté.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
[Français]
Mesdames et messieurs du comité, je vous remercie de nous avoir invités ici pour discuter de notre rapport.
Le sénateur Eggleton a couvert bon nombre de conclusions émanant de l'étude de deux ans du sous-comité sénatorial, et je suis tout à fait d'accord pour dire que, dans un pays comme le Canada, il est inacceptable qu'un si grand nombre de nos concitoyens se retrouvent dans cette situation insoutenable qu'est la pauvreté.
J'aimerais me concentrer en particulier sur deux recommandations du rapport. Tout d'abord, il y a la recommandation 53, qui énonce que le gouvernement fédéral devrait élaborer et mettre en oeuvre un programme de revenu de base garanti, fixé au niveau du seuil de la pauvreté ou légèrement au-dessus, pour les personnes gravement handicapées.
En effet, il n'y a absolument aucune raison de forcer les Canadiens atteints d'un grave handicap à se débrouiller dans le labyrinthe qu'est l'aide au revenu. Et même s'ils arrivent à s'y retrouver, ce serait une raison suffisante pour que le gouvernement fédéral garantisse une qualité de vie telle qu'aucune personne handicapée au Canada n'aurait à vivre dans la pauvreté.
Bien que le seuil de faible revenu ne constitue pas une mesure directe de la pauvreté, comme nous le rappellent si souvent ceux qui étudient la question, il s'agit pour l'instant de l'unique moyen de fournir à Statistique Canada des chiffres sur les habitants les moins nantis de notre pays.
Non seulement cette recommandation apporterait un tant soit peu de soutien et de dignité aux personnes handicapées, mais elle constituerait aussi une solution économique en évitant à l'État les coûts élevés des processus bureaucratiques relatifs aux demandes, aux examens et aux évaluations.
[Traduction]
Ensuite, j'espère sincèrement que le gouvernement ira de l'avant avec la recommandation numéro cinq, dont voici le libellé:
Le Comité recommande que le gouvernement fédéral publie d'ici le 31 décembre 2010 un livre vert qui présentera les coûts et les avantages des mesures actuelles de soutien du revenu et de différentes options visant à réduire et à éliminer la pauvreté, y compris un revenu annuel de base fondé sur un impôt négatif, ainsi qu'une évaluation détaillée des projets pilotes concernant un revenu de base qui ont été menés au Nouveau-Brunswick et au Manitoba.
Et ça a déjà eu lieu dans le passé.
Comme l'a précisé le sénateur Eggleton, le Canada dépense actuellement plus de 150 milliards de dollars en transferts chaque année, sans compter les soins de santé et l'éducation. L'idée d'un revenu de base pour tous a été présentée la première fois, il y a 40 ans, lors d'un congrès d'orientation du Parti progressiste-conservateur dirigé par M. Stanfield. Par la suite, M. Trudeau et M. Schryer ont présenté le projet Mincome pour faire l'essai de ce concept à Dauphin, au Manitoba. Ce projet a eu un succès remarquable. Il n'était pas très coûteux, mais il a eu pour effet de réduire certaines des pathologies les plus graves liées à la pauvreté, dont je serai heureux de discuter si le temps le permet.
[Français]
Le gouvernement du Québec, alors péquiste, a tenu des propos en vue d'un revenu garanti, durant la dernière période de son service avant le déclenchement des élections, et cela faisait partie intégrante d'une idée de solidarité sociale qui était fondamentale pour nos amis péquistes dans la province.
M. Donald Macdonald, ministre des Finances au sein du gouvernement de M. Trudeau, était responsable d'une commission royale sur l'avenir économique du Canada.
[Traduction]
M. Macdonald a fait une proposition en faveur d'un revenu annuel garanti dans les années 1980, dans le cadre de l'évaluation globale de notre avenir économique à ce moment-là.
Nous avons la preuve qu'il y a une façon plus efficace de s'assurer que personne ne vit sous le seuil de la pauvreté que la manière dont nous procédons actuellement. Cette façon de faire serait productive sur le plan économique. Nous savons que nous n'avons plus à imposer aux gens qui vivent sous le seuil de la pauvreté l'incroyable labyrinthe bureaucratique de règles auquel ils doivent faire face en ce moment.
[Français]
Pour citer un exemple, dans ma propre province, l'Ontario,
[Traduction]
le manuel d'administration actuel pour un intervenant qui traite avec des bénéficiaires de l'aide sociale comporte 800 règlements qui doivent être appliqués dans chaque cas.
[Français]
Il y a de 800 règlements! On peut bien avoir un travailleur social avec une capacité immense,
[Traduction]
mais c'est une proposition intolérable du point de vue de la protection de tous les jours.
Dans certaines communautés du Canada, lorsque vous faites une demande d'aide sociale, on vous dit de vous asseoir et de regarder un film qui vous explique pourquoi vous ne devriez pas faire de demande avant que vous n'ayez vraiment reçu l'autorisation de le faire. En passant, le comité sur la pauvreté rurale dirigé par le sénateur Fairbairn de l'Alberta pour le Parti libéral a découvert que les chiffres dans le Canada rural étaient en fait plus effrayants que ceux des villes. Environ 15 p. 100 de la population vivrait sous le seuil de la pauvreté.
Je sais que des spécialistes et des analystes de la Bibliothèque du Parlement et d'autres personnes affirment que la pauvreté est très complexe, qu'elle résulte d'une série de problèmes — le manque de travail, la division de la famille, l'abus d'alcool et d'autres drogues, le crime — et que même la mesure de la pauvreté ne permet pas la prise de décisions stratégiques clés. Eh bien, si vous examinez la mesure de la pauvreté que nous utilisons au Canada depuis longtemps,
[Français]
le seuil de pauvreté de Statistique Canada
[Traduction]
ou la mesure de la pauvreté du Fraser Institute,
[Français]
qui est un peu plus « mince », comme on dit,
[Traduction]
le bénéficiaire de l'aide social moyen dans notre pays reçoit entre 11 000 et 15 000 $ de moins par année que ce qui est prévu par l'une ou l'autre de ces mesures. Alors le fait que nous ne puissions pas être certains de la mesure justifie la complaisance qui, je crois, minimise essentiellement l'importance du problème.
J'ai un dernier point à présenter.
[Français]
De temps en temps, on parle au Canada et dans les provinces d'un projet sociétal. Alors, si on ne considère pas l'idée de pauvreté, de l'éradication de la pauvreté, de la diminution de la pauvreté, de la création de possibilités égales pour tout le monde, comme un projet sociétal,
[Traduction]
je ne sais pas de quoi d'autre nous parlerions, parce que pour chaque activité criminelle relative à une pathologie qui envoie des gens en prison et à l'hôpital, la pauvreté empire encore les choses.
Je ne suis pas du même parti que notre collègue qui est ici et, en tant que conservateur, je ne suis pas certain que le gouvernement peut régler tous les problèmes ou devrait même essayer de le faire. Mais je sais ceci: nous avons réglé le problème pour les personnes âgées dans les années 1970 au moment où plusieurs gouvernements ont décidé que lorsqu'une personne atteignait l'âge de 65 ans au Canada et qu'elle remplissait sa déclaration d'impôt, elle devait recevoir un appoint. Dans les années 1970, nous avons fait passer le niveau de pauvreté de 30 p. 100 à environ 2,9 p. 100. Il a maintenant remonté un peu.
[Français]
Et tous les gouvernements l'ont fait, les rouges, les bleus, nos amis les indépendantistes, le NPD, tout le monde l'a fait.
[Traduction]
Pourquoi? Parce que nous avions tous en commun le respect de nos citoyens âgés, et devinez quoi? Selon les études de l'OCDE, le Canada fait maintenant partie des cinq pays les mieux classés pour ce qui est de la condition des personnes âgées. Nos résultats sont supérieurs à ceux de nombreux autres pays. Ils sont par contre médiocres pour ce qui est de la population canadienne en âge de travailler dans toutes les provinces. Dans ce domaine, le Canada se classe à peu près 17e sur 18 dans l'OCDE.
Je crois que les principes sont là, et mon collègue le sénateur Eggleton et moi-même sommes honorés d'être ici et très heureux que votre comité accepte de se charger de ce dossier. Nous savons que le Sénat peut parfois avoir un petit peu d'influence, mais nous respectons ceux qui ont le pouvoir de décision et nous comptons sur vous pour mener à bien ce dossier.
Mille fois merci.
:
Merci, madame la présidente.
Nous sommes très heureux d'accueillir parmi nous aujourd'hui messieurs les sénateurs. Nous vous remercions de prendre le temps de vous joindre à nous et, surtout, d'avoir pris le temps de mener cette étude très approfondie sur la pauvreté.
Je sais que le sénateur Eggleton est un ardent défenseur de cette cause dans notre caucus et dans tout le pays. Je sais que le sénateur Segal en est un également. J'ai eu la chance de l'entendre s'exprimer sur ses positions à plusieurs reprises.
Je crois que vous minimisez quelque peu l'importance du Sénat. Le Sénat a accompli des travaux qui comptent parmi les plus importants issus du Parlement au cours des dernières années, dont certains ont mené à des développements extrêmement positifs pour la société canadienne. Grâce à ce rapport, auquel s'ajoutent les réalisations de notre comité, j'espère que nous pourrons faire avancer autant les choses en matière de problèmes sociaux, en particulier pour ceux qui vivent actuellement dans la pauvreté.
Le sénateur Eggleton m'a tenu au courant tout au long des travaux, dans la mesure du possible. Quand j'ai reçu le rapport final, j'ai prêté attention à la question du revenu de base, notamment pour les Canadiens handicapés. L'une des deux recommandations mentionnées consiste à publier un livre vert présentant des mesures de soutien de revenu et le projet de revenu de base. J'aimerais commenter la recommandation 53 et la question des personnes handicapées.
Vous avez mentionné, à juste titre, que nous avions apporté des solutions importantes à la pauvreté chez les personnes âgées. Le taux de pauvreté demeure élevé dans certains cas, en particulier chez les femmes âgées qui vivent seules, mais nous avons fait des progrès grâce aux prestations combinées de SRG et de SV. Plusieurs personnes se demandent comment nous pourrions faire la même chose pour les personnes handicapées.
Votre rapport met en lumière de nombreux faits très intéressants mais déplorables concernant la situation au Canada. À la page 152, il mentionne que les niveaux des prestations versées aux personnes handicapées « ont baissé en dollars indexés pour la période de 1997 à 2005, ces diminutions allant de 1,5 p. 100 au Nouveau-Brunswick à 19,2 p. 100 à l'Île-du-Prince-Édouard. Dans sept des dix provinces, les taux d'aide sociale accordée aux personnes handicapées en 2005 étaient les plus bas depuis au moins 1986. »
En ce qui concerne la question du revenu annuel de base pour les personnes handicapées, j'aimerais citer un autre passage de votre document. Michael Mendelson fait référence à l'idée que « nous permettrons au Canada de passer de la note D à la note B+ sur le plan de l'aide accordée aux personnes handicapées — pas encore un A+, mais une nette amélioration de la situation. »
En fait, je crois que la situation des personnes handicapées au Canada n'est pas très reluisante. Pourriez-vous expliquer brièvement en quoi le revenu annuel de base pourrait aider véritablement les personnes handicapées?
:
Merci, madame la présidente.
Je vous remercie d'être ici. Je dois vous dire qu'on est toujours heureux de rencontrer des gens qui enrichissent l'analyse de la pauvreté. Je suis particulièrement content car j'ai suivi, de loin comme mes collègues du comité, vos travaux. Il est rafraîchissant de constater que votre réflexion et vos constats nous rejoignent beaucoup même si vous n'êtes pas du même parti.
Je vais peut-être vous surprendre, mais je vais aborder cette question d'un tout autre angle, par rapport à la pauvreté proprement dite. J'aimerais partir d'un certain nombre d'énoncés contenus dans votre rapport, car ils résument bien la situation. Ainsi, vous avez écrit: « Nous ne pouvons nous permettre les coûts économiques et sociaux de l’inaction à l’égard de la pauvreté, coûts qui dépassent 20 milliards de dollars. » Il me semble que, selon vous, on ne devrait plus considérer les investissements servant à sortir les gens de la pauvreté comme une dépense, mais plutôt comme un investissement.
Je citerai maintenant M. Tom Gribbons: « Au fond, les gens ne veulent pas mieux vivre dans la pauvreté; ils veulent pouvoir sortir de la pauvreté. »
Ces postulats m'amènent à mon propos. Tout comme plusieurs autres personnes, vous avez, dans votre étude, couvert à peu près tous les champs où se manifeste la pauvreté. J'ai fait la découverte de sous-comités au Sénat qui ont étudié la pauvreté chez les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain, de façon spécifique. Vous avez aussi étudié la pauvreté en milieu rural. Vous venez d'étudier le vieillissement de la population en milieu urbain.
Le 15 novembre 1999, la Chambre des communes a adopté une résolution qui disait qu'il fallait éliminer la pauvreté. Cela visait particulièrement les enfants. Depuis 2000, on fait à peu près le même constat. Je pense que le problème n'est pas que l'on ne connaît pas bien la pauvreté, mais qu'on ne prend pas les moyens pour la combattre. C'est aussi le fait de politiques qui aggravent la pauvreté. Il existe des facteurs aggravants de la pauvreté.
Au cours de cette période où on devait éliminer la pauvreté, on a pris des décisions qui l'ont aggravée. Le logement est un facteur aggravant de la pauvreté. L'aide financière aux provinces pour le logement a été réduite pendant 10 ans, au cours de cette période. On a exclu un maximum de gens de l'assurance-emploi, les subventions aux infrastructures municipales ont été réduites, on a retiré un ensemble de ressources pour encadrer les communautés autochtones et on a réduit des paiements de transfert en éducation et en santé, transférant des responsabilités aux provinces qui ne pouvaient pas les assumer. J'en passe bien d'autres.
:
Permettez-moi de citer l’un de mes économistes favoris. Milton Friedman, de l’Université de Chicago, a dit un jour au sujet du gouvernement américain que si l’on donnait au gouvernement fédéral la responsabilité du Sahara, il y aurait une pénurie de sable au bout de cinq ans.
Des voix: Oh, oh!
Le sénateur Hugh Segal: Mon opinion générale est donc que s’il y a moyen de laisser toute liberté de mouvement aux autorités locales et aux organismes à but non lucratif locaux, c’est toujours le meilleur choix.
Permettez-moi de mentionner la Calgary Homeless Foundation. Cette fondation n’est dirigée ni par des représentants du gouvernement, ni par des politiciens, mais par des PDG à la retraite, des cadres de sociétés pétrolières, des avocats-fiscalistes, et des membres de groupes confessionnels locaux. Tous ces gens ont jugé inacceptable que 250 personnes vivent dans la rue à Londres, en Angleterre, mais il y a 500 personnes qui vivent dans la rue à Calgary. Ils ont trouvé bizarre aussi que 2 500 personnes couchent tous les soirs dans un centre, qui touche 40 dollars par tête — c’est ce que reçoit l’Armée du Salut — pour son excellent travail d’accueil d’urgence. Quarante fois 2 500, 365 fois par année, cela représente un montant appréciable à investir dans le logement, et une bien meilleure réaction.
Ils ont réalisé un amalgame du secteur privé et du secteur sans but lucratif, et se procurent de vieux édifices, qu’ils remettent en état. Ils reçoivent une aide partielle du gouvernement. Ils disent aux propriétaires de terrains vagues, pourquoi ne pas vous en défaire à un prix notionnel, afin de nous permettre de...?
Au fait, c’est un exemple de ce que les organismes locaux peuvent faire, mais non les gouvernements. La Homeless Foundation a déclaré qu’elle éliminerait l'itinérance en dix ans. Notez qu’elle ne dit pas alléger ou améliorer un peu, mais bien éliminer. Selon sa définition, nul ne doit passer plus de sept jours dans un centre d’accueil avant de se trouver un logis. Après un an, la fondation a déjà atteint 15 p. 100 de sa cible.
Nous avons besoin d’un cadre de référence qui puisse guider les organismes locaux, je suis d’accord avec vous sur ce point.
Je juge regrettable — bien que je comprenne pourquoi il l’estimait nécessaire — que M. Martin, le ministre des Finances, ait coupé l’investissement dans le logement social. Alors qu’il était maire de Toronto, ce même M. Martin avait en fait investi beaucoup de fonds municipaux dans ce type de logement. Ils ont fait là une chose terrible, mais ils la jugeaient indispensable.
Mon gouvernement a commencé à réinvestir, et j’en suis fier, mais j’aimerais que ce réinvestissement soit conçu pour laisser aux municipalités et aux organismes sans but lucratif locaux la plus grande liberté de décision possible, sans les assujettir à des contraintes définies par la bureaucratie, qui de toute façon ne fonctionnent pas à l’extérieur du cercle privilégié d’Ottawa.
Ce serait ma préférence.
:
Merci, madame la présidente.
Merci à vous deux pour votre présence parmi nous.
Je me vois obligée d’apporter un correctif aux observations du sénateur Segal au sujet du logement. On avait effectivement fait des coupures, mais aussi un important réinvestissement, comme vous le savez pertinemment. C’est à cette époque que nous avons lancé l'Initiative de partenariats en action communautaire, ou IPAC, qui porte aujourd’hui un nouveau nom.
En ce qui me concerne, une stratégie de logement nationale — en fait, je suis contente que vous ayez utilisé l’expression — ne revient pas à imposer un moule unique. Elle consiste en un partenariat sur toute la ligne. Elle consiste, je l’espère bien, en différents modèles, depuis la location jusqu’à la propriété, appliqués au moyen de partenariats avec les municipalités, tout comme le programme d’itinérance. Sans compter le programme sans but lucratif... et le programme d’habitation coopérative, en fait l’un des meilleurs programmes de logement au pays. Ma circonscription contient d’excellents logements, qui relèvent de ce programme.
Le logement était l’un des éléments que j’allais analyser. Selon moi, quatre ou cinq choses sont au cœur même de la pauvreté. Le logement en est une composante, il va sans dire, et le logement est aussi capital pour la santé et l’éducation. En fait, l’Ontario est engagée dans une étude de la corrélation entre déterminants de la santé et logement. Je suis convaincue qu’un lien sera établi.
Les quatre ou cinq choses dont nous devons nous occuper sont l’éducation de la petite enfance et les soins de l’enfant, le soutien au revenu des familles, l’éducation et la formation. Les fonds sont disponibles, mais dans certains domaines...
Vous dites que certains programmes ne donnent pas de très bons résultats. Nous dépensons 150 milliards de dollars, mais certains ne touchent pas le but visé. Tandis que nous examinons le revenu annuel de base et d’autres éléments, nous devrions peut-être comprimer d’autres programmes, les rationaliser et bien les étudier.
Je me demande si vous avez examiné certains programmes sous l’angle de leur efficacité. Le crédit d'impôt pour la garde d'enfants n’est pas remboursable, c'est-à-dire que seules certaines familles peuvent y avoir accès. Vous le pouvez si vous avez de l’argent; si vous n’en avez pas, les 1 200 $ de la prestation pour enfants, ici encore, ne fournissent pas... C’est probablement un peu plus que ce montant. Elle ne vous rend pas riche et elle n’assure pas la garde d’enfants. Elle ne fait donc ni l’un, ni l’autre, et elle n’aide pas les femmes.
Nous dépensons des sommes immenses pour les REER — je crois qu’ils coûtent 16 ou 17 milliards de dollars au Trésor —, mais le Canadien moyen n’en tire pas vraiment avantage. Nous savons par exemple que c’est une structure de pension qui ne règle pas à long terme le problème de la pauvreté des aînés.
Il existe des choses de ce genre. Je me demande si vous avez examiné les programmes sous l’angle des dépenses fiscales. Les avez-vous un peu décortiqués? Avez-vous fait une analyse pour déterminer où il était possible de rationaliser le changement?