Je déclare ouverte la séance numéro 38 du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées.
Mesdames et messieurs les membres, nous avons quelques travaux du comité à expédier à la fin de la séance d'aujourd'hui, et donc au lieu d'accorder une heure complète au premier groupe de témoins et devoir ensuite abréger l'audition du deuxième groupe, je vais probablement accorder 50 minutes environ au cours de la première heure, 50 minutes au cours de la deuxième, et nous pourrons alors passer à nos travaux du comité.
Nous sommes très heureux de recevoir aujourd'hui Cindy Blackstock, de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières nations du Canada. Mme Blackstock en est la directrice générale.
Nous sommes heureux également de recevoir Conrad Saulis. Conrad est le directeur de la politique à l'Association nationale des centres d'amitié.
Nous sommes réellement reconnaissants de votre présence aujourd'hui. Comme vous le savez, nous menons une étude sur les soutiens fédéraux qui sont offerts, et devraient être offerts, aux parents adoptifs. Nous savons que les enfants autochtones, et les mécanismes d'adoption autochtones, représentent un élément très important de cette problématique, et nous sommes donc ravis de vous recevoir ici.
Nous vous invitons chacun à faire un exposé d'environ cinq à sept minutes. Il nous restera ainsi du temps pour poser des questions.
Madame Blackstock.
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Merci, madame la présidente.
Mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.
Vous avez aujourd'hui l'occasion de faire une différence dans la vie de milliers d'enfants des Premières nations.
Les Canadiens sont si souvent atterrés par les désavantages que connaissent les enfants des Premières nations, des Métis et des Inuits, et par le fait qu'ils durent depuis si longtemps, que d'aucuns se demandent si des remèdes sont possibles. Je vous assure que oui. Le remède est l'équité à fondement culturel pour tous les enfants du pays. C'est aussi simple que cela.
L'une des premières choses à comprendre est la raison pour laquelle l'adoption, comme madame la présidente l'a fait remarquer, est une question tellement cruciale dans le cas des enfants autochtones. C'est parce qu'ils sont sur-représentés dans le système d'aide à l'enfance, enlevés à leurs familles dans des proportions de six à huit fois supérieures à celles des enfants non autochtones, comme l'indique la vérificatrice générale du Canada dans son rapport de 2008, et la raison pour laquelle on les enlève n'est pas qu'ils sont maltraités, mais plutôt qu'ils sont délaissés, en butte à la pauvreté, à la vétusté du logement et à l'abus de substances de la personne qui en a la charge.
La bonne nouvelle c'est qu'il est possible de porter remède à tous ces facteurs. La mauvaise nouvelle, c'est que les enfants autochtones dans les réserves, comme la vérificatrice générale l'a confirmé en 2008 et comme de nombreux rapports d'experts l'ont établi au cours des 10 dernières années, reçoivent des services à l'enfance et à la famille inéquitables qui ne permettent pas de les laisser au domicile familial en toute sécurité.
Beaucoup autour de cette table savent que le Canada fait actuellement l'objet d'une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour discrimination raciale envers les enfants des Premières nations sur le plan des services d'aide à l'enfance. Nous tenons à ce que cette cause soit jugée sur le fond, avant tout afin que les enfants aient une possibilité égale de demeurer chez eux. Le Canada cherche à s'extriquer de cette audience en invoquant des subtilités juridiques. Nous pensons que c'est là une question d'importance primordiale: la justice envers les enfants autochtones, en 2010, ne doit jamais être tributaire de subtilités juridiques. C'est pour le Canada une question de conscience, de morale et de respect de l'engagement pris dans les excuses présentées par le premier ministre et plus récemment par le gouvernement lorsqu'il a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Si l'on remédiait aux raisons qui font que tant d'enfants des Premières nations sont confiés aux services de protection de l'enfance, nous pourrions alors nous attaquer de façon beaucoup plus efficace et sensible à la question de l'adoption.
Il existe plusieurs formes d'adoption. Il y a l'adoption à l'occidentale, qui crée réellement un lien entre un enfant et un parent. Ce type d'adoption a été imposé aux sociétés autochtones. Vous êtes nombreux à savoir qu'au cours d'une période appelée « la rafle des années 60 », des enfants autochtones ont été massivement enlevés à leurs parents et placés en adoption dans des foyers non autochtones, souvent de manière permanente, et ce au Canada et aux États-Unis, un procédé si fréquent qu'il a amené le juge Edwin Kimelman en 1983 à publier un rapport d'étude intitulé « No Quiet Place » dans lequel il a conclu que toute cette pratique équivalait à un génocide culturel. Il est compréhensible, dans ces conditions, que de nombreuses Premières nations aient voulu imposer un moratoire sur l'adoption, voyant combien d'enfants autochtones étaient enlevés à leur famille, souvent parce qu'on leur refusait le même accès aux services élémentaires dont jouissent les autres Canadiens.
Au cours des 20 dernières années, les Premières nations se sont réappropriées leur faculté, leur forme d'adoption traditionnelle. Les collectivités autochtones, dans tout le pays, pratiquaient l'adoption depuis des milliers d'années. Simplement, on appelait cela autrement. Il n'existe pas réellement de mot pour la désigner, car dans la conception autochtone, c'est l'adoption d'un enfant par la communauté. Elle consiste à entourer l'enfant de multiples gardiens et à créer un filet de sécurité tel que si l'un de ces pourvoyeurs n'est plus en mesure de s'occuper de l'enfant, d'autres adultes dans le cercle, qui connaissent et comprennent leurs responsabilités et leur amour et relation à cet enfant, vont prendre le relais.
Dans le mémoire que je vous ai remis, je donne en exemple la Yellowhead Tribal Services Agency en Alberta. Le gouvernement fédéral n'offre malheureusement pas de financement systématique pour les programmes d'adoption des Premières nations, ni pour soutenir les parents autochtones désireux d'adopter ou ayant placé leurs enfants en adoption. Mais cette collectivité a reçu du gouvernement albertain des fonds pour un projet pilote. C'est un programme très holistique. Il offre un soutien non seulement aux parents biologiques et aux parents adoptifs, mais aussi aux familles élargies et nations. Il intervient avant, pendant et après l'adoption. Tout cela est fondé sur les conceptions coutumières de l'adoption et de la relation avec les enfants de la Yellowhead Tribal Services Agency.
Ce qui est si extraordinaire dans ce programme, c'est que plus de 100 enfants ont été placés, dont beaucoup n'étaient pas des bébés mais des enfants ayant des besoins spéciaux — votre enfant de huit ans souffrant de syndrome d'alcoolisme foetal — ou des adolescents. Pas une seule adoption n'a été un échec. C'est sans précédent dans la vaste majorité des agences d'adoption non autochtones. Cela a valu à l'agence plusieurs prix d'excellence à l'étranger. L'agence a généreusement partagé son modèle avec d'autres Premières nations, notamment les tribus Cowichan en Colombie-Britannique, qui bénéficient d'un mentorat de la YTSA et qui parviennent actuellement à recréer avec grand succès ce modèle dans leur culture particulière.
Je vous soumets que l'une des choses que le gouvernement fédéral devrait faire serait d'appuyer ces pratiques exemplaires, car nous savons qu'elles donnent de bons résultats pour les enfants des Premières nations et leurs familles et les parents adoptifs.
Un autre aspect concerne l'adoption internationale. Alors que l'on reconnaît de plus en plus l'importance de souligner l'identité des enfants autochtones placés en adoption, que ce soit dans la société générale ou auprès d'Autochtones, il n'existe absolument aucun mécanisme pour déterminer si les enfants venant d'autres pays placés en adoption chez nous bénéficient d'une reconnaissance de leur patrimoine ancestral.
Réfléchissez à cela pendant un instant, membres du comité. La plus grande population autochtone du monde se trouve en Chine. Beaucoup d'enfants venant de ce pays sont adoptés chez nous. Le deuxième plus grand pays du monde sur le plan des peuples autochtones est l'Inde et pourtant ces enfants ne sont pas identifiés comme indigènes et ne bénéficient d'aucun soutien.
Je vais juste vous renvoyer à la dernière page de mon mémoire, la page 6, où je présente une série de recommandations.
La première est d'offrir des soutiens équitables et culturellement adaptés aux enfants dans leur propre famille. Les enfants ne devraient pas être placés en adoption parce que leurs familles sont privées de chances égales de les élever correctement en leur sein.
L'autre est que le gouvernement fédéral devrait établir un partenariat véritable avec les Premières nations, dans les réserves et en dehors, de façon à fournir des soutiens holistiques, similaires à ceux offerts par Yellowhead Tribal Services, aux parents adoptifs, aux enfants et aux collectivités, de même qu'à leurs familles naturelles. Le gouvernement fédéral doit également oeuvrer avec des organisations telles que l'Association nationale des centres d'amitié pour assurer que ces services soient offerts hors réserve, car actuellement les programmes autochtones hors réserve sont très clairsemés.
La dernière recommandation est en rapport avec le principe de Jordan. Ce dernier a été adopté par le Parlement en 2007 sous forme d'une motion d'initiative parlementaire. Il suppose que les enfants des Premières nations et leurs familles ne soient pas privés des services offerts aux autres Canadiens pour cause de conflits de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Le gouvernement fédéral, depuis son adoption, a choisi de l'appliquer de façon étroite, exclusivement aux enfants présentant des besoins médicaux complexes. Ce n'est pas ce que prévoit le texte original de la motion, ce n'est pas ce qu'exige le principe de Jordan. Il s'applique à tous les services gouvernementaux. S'il était suivi, chaque famille autochtone disposerait des mêmes soutiens à l'adoption que les autres Canadiens.
Merci, madame la présidente.
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Merci, madame la présidente.
Je veux vous remercier, ainsi que les membres du comité, de nous avoir invités à comparaître sur ce sujet très important et sérieux, comme Cindy vient de le souligner avec éloquence.
Lorsque je prépare les exposés que je présente devant les divers comités auxquels l'ANCA comparaît, je fais toujours mes propres petites recherches. En l'occurrence, je n'ai rien trouvé qui soit une bonne nouvelle ou un bon scénario, ni rien de positif. Je suis tombé surtout sur des choses décevantes en cherchant à me renseigner sur la problématique de l'adoption d'Autochtones en milieu urbain. J'airais voulu trouver des choses plus positives. Mais en revanche, comme Cindy l'a dit avec grande éloquence, je pense qu'il y a une occasion à saisir. Il y a toujours des occasions.
Les occasions sont fonction de notre volonté propre de dialoguer les uns avec les autres, de nous écouter, d'apprendre auprès des autres et auprès d'experts comme Cindy pour voir quelles sont les pratiques exemplaires dans le domaine. Il en existe dans les réserves et, en dépit de leur nombre limité, les organismes de service à l'enfance et aux familles en milieu urbain et les organismes de service aux enfants et aux familles métis ont eux aussi leurs pratiques exemplaires.
J'ai découvert au cours de mes recherches — et je songe là en particulier à l'Ontario — que l'un des obstacles les plus difficiles à franchir est de savoir reconnaître ce qu'est l'adoption coutumière, avec ses caracréristiques propres à chaque collectivité autochtone. Il semble exister le désir dans le système établi de la société d'aide à l'enfance d'ériger des compartiments et de les transposer d'une collectivité à une autre.
Nous sommes toujours fiers des particularités de nos collectivités. Même si nous appartenons à une nation donnée — que ce soit la Nation ojibway ou la Nation oneida — les collectivités au sein de ces nations sont distinctes. La même chose est vraie en zone urbaine, bien qu'il y ait davantage de mélanges. En outre, dans chaque cas il se pose des problèmes spécifiques.
Comme je l'ai dit, cela a été l'un des sujets de recherche les plus désolants que j'aie rencontrés.
Je suis un ancien travailleur social au sein de ma collectivité autochtone de Tobique, au Nouveau-Brunswick. J'y étais le directeur-superviseur de l'agence d'aide à l'enfance à l'époque, au début des années 1980, et j'ai donc quelques connaissances. J'ai eu l'occasion, il y a quelques années, d'animer une table ronde ici, à Ottawa, avec quelques parents adoptifs d' enfants autochtones. Ils ont expliqué avec éloquence, grande tristesse et, souvent en fondant en larmes, combien ils étaient frustrés par le système.
Malheureusement, ce que je dis ne figure pas dans mon mémoire. Mais je pense qu'il importe de vous faire savoir les difficultés que les parents adoptifs rencontrent auprès du gouvernement fédéral, et en particulier du ministère des Affaires indiennes — et dans une certaine mesure de la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits, au titre des prestations de santé non assurées — pour accéder aux services et pouvoir s'occuper correctement de l'enfant, s'il s'agit d'un enfant autochtone inscrit.
En milieu urbain, nous avons un tel mélange d'Autochtones. Nous avons beaucoup de gens des Premières nations, beaucoup de Métis, particulièrement dans l'Est, à Montréal et à Ottawa, et aussi beaucoup d'Inuits.
Cela met sous forte pression les rares organismes d'aide à l'enfance qui existent. Il y en a un à Toronto, Native Child and Family Services of Toronto, et aussi à Vancouver, l'Aboriginal Child and Family Services Society. Je suis certain que celui de Toronto s'occupe d'adoptions.
Il se pose un certain nombre de problèmes. J'aimerais vous lire un extrait d'un article sur lequel je suis tombé au cours de mes recherches. Il est intitulé « La crise de l'adoption ». On y lit:
En avril 2007, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a publié un rapport intitulé « Les enfants: des citoyens sans voix ». Il constatait l'existence d'une crise de l'adoption au Canada. Il appelait « les gouvernements canadiens à reconnaître la crise de l'adoption sévissant au pays et de s'y attaquer, plus particulièrement en ce qui touche les enfants autochtones ». Bien que les familles autochtones soient plus portées à adopter que les non-Autochtones, il reste une pénurie chronique de parents d'accueil et adoptifs autochtones.
Depuis, un rapport de mai 2008 de la vérificatrice générale du Canada a conclu que le gouvernement fédéral ne fournit pas aux organismes de services à l'enfance et aux familles des Premières nations un financement suffisant pour répondre au nombre ou aux besoins des enfants sous garde.
Et voici quelques faits saillants:
Le rapport indiquait que la formule de financement n'a pas été révisée depuis 1998, et n'a pas été rajustée selon l'inflation depuis 1995.
Plus tôt cette année, la Commission canadienne des droits de la personne a ouvert une enquête sur une plainte concernant les enfants des Premières nations placés sous la garde de l'État.
En Ontario, 9 200 enfants sont actuellement disponibles pour adoption. Sur ce nombre, 1 191 (13 p. 100) sont des enfants d'origine autochtone.
Je crois que je vais m'arrêter là.
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Merci, madame la présidente.
Madame Blackstock, monsieur Saulis, permettez-moi de vous dire combien j'ai apprécié vos exposés, pour toutes sortes de raisons. L'une d'elles est que vous n'êtes pas venus pour dire: « Voilà les problèmes ». Vous nous avez aussi apporté les solutions. Je pense que le moment de se pencher sur les problèmes, si je puis exprimer les choses ainsi, est réellement passé. Nous savons quels sont les problèmes; il nous appartient en tant que législateurs, des deux côtés de la table, de voir comment mettre en oeuvre les suggestions et les recommandations que vous avez formulées dans ce domaine.
Je suis totalement d'accord avec vous lorsque vous parlez de suicide culturel. J'ai travaillé avec divers groupes autochtones, particulièrement au Québec, et je sais ce qui se passe lorsque les enfants sont enlevés de leur environnement familial et transposés dans une culture et une langue totalement différentes. Je suis donc très heureuse que vous ayez dit cela haut et clair.
J'aimerais savoir tout d'abord comment se passe l'adoption traditionnelle, au sein du groupe autochtone particulier auquel l'enfant appartient en premier lieu. Est-ce que le gouvernement fédéral ou provincial a un rôle à jouer? Voilà ma première question, et j'en aurai d'autres.
Je laisse répondre qui veut.
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Merci, madame Blackstock et monsieur Saulis, d'être ici aujourd'hui pour nous éclairer dans la poursuite de cette étude qui porte, je le rappelle, sur des mesures de soutien par le gouvernement fédéral aux parents adoptifs. Je pense que vous me voyez déjà venir, je tenterai de ramener la discussion à l'objectif de notre présente étude. Je crois que vous le faites bien aussi, madame Blackstock, dans le rapport que vous avez soumis.
Dans ce rapport-là, vous dites notamment, et cela va de pair avec ce que vous avez soulevé un peu plus tôt:
On reconnaît que le parent biologique a un don spécial et unique d'apporter une contribution à l'enfant qui ne peut pas être fournie par d'autres membres de la collectivité, de sorte que des mesures actives sont prises pour veiller à ce que l'enfant connaisse son ou ses parents, sa famille élargie et son clan.
Vous revenez donc constamment à ce sentiment d'appartenance qui doit accompagner l'enfant jusqu'à l'âge adulte par rapport à ses lieux d'origine et, particulièrement, à ses parents biologiques.
Ma première question s'adresse à vous deux. En fonction de cette préoccupation que vous avez d'abord d'apporter un soutien à la famille pour que l'enfant reste dans la famille, quelles sont ces mesures concrètes qui peuvent être appliquées, mais qui sont, si vous les connaissez, de compétence fédérale?
Vous le dites bien aussi dans votre rapport et je pense aussi que nos analystes nous l'ont rappelé. Depuis 1951, des compétences ont été léguées aux provinces, particulièrement au sujet de la santé, du bien-être, de l'éducation, mais en partie aussi, de l'adoption. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Quels sont les services très précis sur lesquels nous devons nous pencher en ce qui concerne les obligations du gouvernement fédéral?
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Merci beaucoup de votre question, monsieur Lessard.
À mon avis, c'est très simple. Le gouvernement fédéral a l'obligation, dans les réserves, de financer de façon adéquate et souple les services à l'enfance et à la famille, qu'il s'agisse d'adoption ou du bien-être de l'enfance, et ce à un niveau équitable et culturellement adapté. Ce n'est pas là ma norme que j'énonce, c'est celle du ministère des Affaires indiennes.
Selon le rapport de la vérificatrice générale de 2008, il n'a pas respecté cette norme. En dépit du lancement de ce que l'on appelle un modèle de financement majoré, sa propre évaluation, effectuée en 2010 par le ministère des Affaires indiennes lui-même, reprend le constat de la vérificatrice générale, qui disait que ce n'est pas équitable.
La bonne nouvelle, c'est qu'il existe une solution. Déjà en 2005, un rapport d'experts rédigé par plus de 20 universitaires éminents de tout le pays, dont cinq économistes, avait chiffré le déficit des services à l'enfance et à la famille dans les réserves. À l'époque, il en aurait coûté moins d'un demi pour cent de l'excédent budgétaire fédéral pour donner à ces enfants une chance équitable de rester en toute sécurité dans leur famille. Le gouvernement fédéral a choisi de ne pas donner suite, et n'a pas mis en oeuvre cette solution jusqu'à ce jour.
Nous demandons donc au gouvernement fédéral de prendre des mesures immédiates pour assurer aux enfants et à leurs familles des services équitablement et culturellement adaptés, sur le plan de l'adoption et de la protection de l'enfance dans les réserves.
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Merci, monsieur, de votre question.
Il importe de réfléchir à ce qu'est le délaissement. Trop souvent, nous, les Canadiens, pensons que c'est lorsqu'un parent ne remplit pas son rôle correctement. Mais lorsque vous considérez la pauvreté et la vétusté des logements, particulièrement chez les Première nations, vous voyez que ce sont des facteurs qui échappent au contrôle des gens vivant en réserve, car ils ne sont pas propriétaires de leur domicile. Leur développement économique est restreint par la Loi sur les Indiens. Ainsi, ce que nous avons créé, avec les services inéquitables dans les réserves, c'est ce que j'appelle souvent une « tempête parfaite de désavantages ». Si vous placez n'importe quel enfant dans ces conditions, les parents auront du mal à s'en occuper correctement.
La bonne nouvelle, c'est que le gouvernement fédéral possède le contrôle sur le logement dans les réserves. Il contrôle la Loi sur les Indiens. Il pourrait promouvoir le développement économique. Il pourrait assurer l'équité des services à l'enfance. Si cela était fait, monsieur, je suis convaincue que nous pourrions finalement tourner la page du désavantage des enfants autochtones. Nous aurions un fondement solide sur lequel créer d'autres opportunités. D'aucuns pourront demander: Eh bien, Cindy, est-ce que cela va régler tous les problèmes? Bien sûr que non. Mais cela donnerait la meilleure perspective de réussite.
Ce n'est pas pour rien que l'iniquité n'est pas un déterminant de l'aide. Nous, en tant que Canadiens et particulièrement vous, les responsables du gouvernement fédéral, avons tous l'occasion de faire en sorte que cette génération grandisse en sachant ce que c'est que d'être traité équitablement, soutenu et respecté par le gouvernement du Canada.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'attendais avec grande impatience cet exposé d'aujourd'hui. Cindy, en particulier, votre réputation d'experte vous a précédée et diverses personnes vous ont recommandée comme une riche ressource pour notre comité.
Je vais aller droit au but car je veux comprendre et voir les choses en perspective. J'ai toujours du mal avec ce thème de la pauvreté, que l'on met à l'origine de tous les problèmes et ainsi de suite. Je viens d'une famille à faible revenu, d'une famille pauvre, pourrait-on dire. Si nous avions su ce qu'était le seuil de pauvreté dans notre famille, il aurait été tellement au-dessus de ce que nous avions qu'il aurait été totalement inatteignable. Mais nous ne savions même pas qu'il existait un seuil de pauvreté.
J'étais l'aîné de cinq garçons et une fille. Mon père a connu des périodes de chômage. Si ma mère et mon père tombent sur le Hansard, ils liront peut-être ce que je dis aujourd'hui. Selon les normes d'aujourd'hui, même notre maison, comparée aux maisons des Autochtones et ainsi de suite, aura été tout au bas de la gamme, ou peut-être même condamnée. Je sais qu'elle a été démolie ultérieurement. Mais elle était chaude en hiver. Nous avions de la nourriture, beaucoup de légumes du jardin et ainsi de suite.
Malgré tout, la pauvreté n'a pas fait éclater notre famille. Très peu de nos désirs étaient satisfaits, mais la plupart de nos besoins l'étaient, même si nous en doutions parfois.
Je dis cela simplement pour faire savoir que je ne pense pas que la pauvreté en soi soit le facteur déterminant de la dissolution des familles. Elle ne l'a certainement pas été dans notre cas, au contraire, elle nous a rapprochés. La foi était un élément important et l'éducation était soulignée. Nous avions ce type de soutien.
Quoiqu'il en soit, sur cette toile de fond...
Vous avez brossé là un très joli tableau. Nous avons entendu quelques témoignages de jeunes enfants, en fait, qui se voient parfois intimidés ou à qui l'on fait honte parce qu'ils sont adoptés. Il est donc très agréable d'avoir connaissance de ce processus où l'on honore les enfants. Je vous en remercie.
Je tiens à vous remercier tous deux encore une fois d'être venus nous rencontrer.
Je vais suspendre la séance pendant trois minutes le temps que les témoins suivants prennent place. Merci encore.
La présidente: Nous reprenons la séance. Nous n'avons que 45 minutes, car nous avons aussi des travaux du comité à expédier. Je demande aux témoins et aux membres de prendre leur place et nous allons commencer.
Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui quelques témoins qui vont partager avec nous leur expérience personnelle de l'adoption d'enfants autochtones. Nous retrouvons Laura Eggertson. Mme Eggertson a déjà comparu ici. Elle est là aujourd'hui comme représentante du Conseil d'adoption du Canada mais aussi pour nous faire part de son expérience personnelle de l'adoption d'enfants.
Nous sommes très heureux de vous recevoir.
Nous avons également Joy et Dan Loney, ainsi que Jennifer Lewis.
Encore une fois, mesdames et monsieur, veuillez garder l'oeil sur moi qui surveille le temps. Le temps nous est vraiment compté. Je n'aime pas vous interrompre, mais nous respectons tous certaines règles. J'aimerais que vous ne dépassiez pas cinq à sept minutes. Je vous ferai savoir lorsqu'il vous restera environ deux minutes. Vous saurez alors que vous devez réellement conclure.
Laura, voulez-vous commencer avec votre histoire? Merci.
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Merci beaucoup, madame la présidente, de votre nouvelle invitation.
Je vais parler de mon expérience, moi qui ne suis pas Autochtone, de l'adoption de deux enfants autochtones.
Tout d'abord, je tiens à dire ma fierté d'être la mère de deux jeunes femmes ojibway. J'ai adopté ma première fille, Miranda, lorsqu'elle avait huit ans. À l'époque, elle était en foyer d'accueil non autochtone à Kenora. J'ai vu sa photo dans Canada's Waiting Children, qui est un répertoire national de photos géré par le Conseil d'adoption du Canada. Elle a été la première personne adoptée par le biais de cette liste, bien que je ne le savais pas à l'époque.
Je suis adoptée moi-même, et j'ai donc toujours envisagé l'adoption comme un moyen de construire une famille. En ma capacité de journaliste, j'avais couvert beaucoup de sujets autochtones et visité de nombreuses collectivités des Premières nations, où j'ai vécu des expériences très positives. J'étais résolue à adopter un enfant autochtone et à promouvoir la culture et le patrimoine de cet enfant. Mes enfants savent qui ils sont et j'en suis fière.
Ma maison a toujours été remplie d'oeuvres d'art et de livres autochtones et je nouais des contacts avec les collectivités autochtones chaque fois que possible, là où je vivais. Ici, à Ottawa, j'ai reçu un grand soutien de la part du Wabano Centre for Aboriginal Health. Lorsque j'ai adopté, la travailleuse sociale de Miranda à Kenora m'a dit que sa bande avait été informée qu'elle était une pupille de l'État offerte en adoption. Sa communauté avait ainsi l'occasion de dresser un plan pour elle, mais n'y est pas parvenue. Aujourd'hui, en tant que parent non autochtone, je ne serais probablement pas autorisée à adopter Miranda.
Le climat politique entourant l'adoption d'enfants autochtones par des parents non autochtones est difficile. Vous en avez déjà eu quelques échos aujourd'hui. Je peux vous dire que le fait d'être assise là m'a mis très mal à l'aise. Quelques sous-entendus planaient, soit que comme non-Autochtone je suis un parent inférieur pour mes enfants autochtones. Je dois dire que cela me met mal à l'aise car je ne crois pas que ce soit vrai. Ce n'est pas idéal, mais je ne pense pas que nous devrions fonder des familles sur la base de la race, perçue comme barrière, pas plus qu'il ne faudrait les fonder sur une base raciale.
Sachez également que j'ai ramené Miranda dans sa communauté d'origine à l'âge de 16 ans et qu'elle a depuis renoué contact avec sa famille naturelle. J'espère que si vous invitez des témoins jeunes, elle aura l'occasion de vous en parler. Je pense qu'elle avait besoin de renouer ce contact, même si cela n'a pas été une expérience facile pour personne.
Cinq ans après avoir adopté Miranda, j'ai adopté ma deuxième fille, qui appartenait à la Première nation Aamjiwnaang, également connue comme les Chippewas de Sarnia. Cette procédure d'adoption a été sensiblement différente et j'ai rencontré à l'époque des représentants de sa bande. Sans vouloir approuver par écrit l'adoption par une famille non autochtone, ils ne s'y sont pas opposés. Dans la pratique, ils ont donné leur consentement tacite, sans le mettre par écrit.
La position du Conseil d'adoption du Canada est que, tout d'abord, le gouvernement fédéral devrait, ainsi que Cindy Blackstock l'a dit, financer les agences de protection de l'enfance autochtones au moins aussi bien que les agences provinciales afin qu'elles puissent appuyer les familles et éventuellement empêcher que des enfants autochtones — comme on le souhaite à tous les autres enfants — doivent être placés en garde. Cependant, une fois que les enfants autochtones sont placés en garde, il faut faire plus pour recruter des familles adoptives autochtones. Nous pensons également qu'il faut donner la priorité à la recherche de familles aimantes, qualifiées, permanentes, quelle que soit leur race. Les familles non autochtones devraient être encouragées et aidées à établir des plans culturels en vue de nourrir la culture de leurs enfants. Quantité de parents adoptifs merveilleux sont Autochtones et quantité de merveilleux parents adoptifs ne le sont pas, et ils élèvent des enfants autochtones.
Il y a quelques années, la merveilleuse Joan Glode, des Mi'kmaq Children and Family Services en Nouvelle-Écosse, a raconté à un groupe de parents adoptifs, dont j'étais, que lorsqu'elle travaillait avec la Nouvelle-Écosse à un projet de loi portant sur l'adoption, l'on y a défini une famille autochtone comme comptant un ou plusieurs membres autochtones. Cela m'a mis les larmes aux yeux et c'est ainsi que je décris aujourd'hui ma famille. Nous sommes devenus une famille autochtone lorsque j'ai adopté mes enfants. Dans certaines régions de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, les Premières nations reconnaissent ce principe d'inclusion. Elles ont en fait adopté des parents non autochtones, les accueillant par une cérémonie de la couverture. Je crois que l'une de ces agences, dont on vous a parlé aujourd'hui, est Yellowhead. C'est là l'approche que j'aimerais voir les particuliers, les collectivités et les autorités fédérales et provinciales et leurs agences adopter à travers le pays. Au lieu d'exclure, incluons.
Merci.
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Merci de nous donner cette occasion de parler.
Ce matin, lorsque nous nous sommes tous réveillés, 30 000 enfants se sont réveillés aussi sans famille à eux. Pourquoi cela me perturbe-t-il, et pourquoi cela devrait-il vous perturber? Parce que ce sont là des enfants canadiens. En tant que mère de 14 enfants, cela m'attriste de savoir qu'un seul enfant dans ce pays étonnant puisse ne pas avoir sa famille à lui.
Je me nomme Joy Loney, et mon mari Dan et moi avons 14 enfants. Il y a 12 ans, nous avons ouvert notre foyer pour devenir des parents d'accueil. Nous ignorions alors l'impact que cela aurait sur nos vies. Au cours des six prochaines années, notre famille s'est accrue de six enfants, dont nous avons eu le privilège d'adopter quatre. Trois d'entre eux sont des enfants autochtones inscrits.
De toutes les familles sondées au Canada, 43 p. 100 disent qu'elles envisageraient d'adopter un enfant. Cela signifie qu'il existe un foyer pour chaque enfant qui attend d'être adopté ici même, au Canada, aujourd'hui. Il existe plus qu'un nombre suffisant de foyers attendant d'adopter des enfants, mais de nombreux obstacles se dressent sur le chemin de ces adoptions potentielles. Les statistiques américaines montrent que 51 p. 100 des enfants qui restent sans être adoptés et qui sortent du système d'accueil finissent chômeurs, 30 p. 100 reçoivent l'assistance publique et 25 p. 100 sont sans domicile. Tout porte à croire que les résultats au Canada sont similaires. Le fait de ne pas placer ces enfants dans des foyers qui vont les soutenir, qui vont les aider à éviter ces résultats comporte un coût évident pour notre société.
En tant que mère, je vous apporte la passion d'un coeur maternel pour tous ces enfants qui attendent d'être adoptés au Canada. Nous avons besoin que le gouvernement fédéral contribue aux solutions à cette crise nationale.
Mon mari, Dan, va maintenant parler de la manière dont cette crise nationale peut être résolue et de ce qu'il faut faire au niveau fédéral.
Comment résoudre cette crise? Nous pensons que la seule façon est d'écarter les goulots d'étranglement dans la procédure d'adoption et de s'attaquer à la peur, à la frustration et aux contraintes financières qui entourent l'adoption.
La peur peut être éradiquée par des programmes fédéraux offrant un soutien aux familles adoptives, en les familiarisant avec toutes les difficultés qu'elles vont rencontrer, depuis les problèmes de trouble de l'attachement jusqu'au syndrome d'alcoolisme foetal et les difficultés d'apprentissage. Nous recommandons que le gouvernement fédéral crée un centre de ressources basé sur l'Internet pour répondre aux questions et renseigner sur toutes les épreuves que les parents adoptifs vont rencontrer. Nous suggérons des séminaires en ligne pour assurer une éducation continue et aider les familles adoptives à résoudre les problèmes bien avant qu'ils surviennent au cours du développement de l'enfant adopté. Cette ressource pourrait comprendre aussi des blogues interactifs dans lesquels les parents adoptifs pourraient former des groupes de soutien en ligne à l'intention de toutes les familles adoptives. Le but de ces initiatives serait de lever les craintes que de nombreuses familles éprouvent devant la perspective d'adopter des enfants canadiens.
Les lourdeurs bureaucratiques, source de frustration, doivent être minimisées de façon à accélérer la procédure d'adoption et réduire le délai actuel qui est de un à trois ans. Notre propre adoption de nos quatre enfants a pris plus de quatre ans et le processus a été émotivement éprouvant du fait de la longue incertitude et de la crainte que l'adoption soit refusée. Pouvez-vous imaginer être enceinte pendant quatre ans et devoir gérer les montagnes russes émotionnelles de l'attente que l'arrivée de votre enfant dans la famille devienne réalité?
Nous avons besoin d'une base de données centrale de tous les enfants admissibles à l'adoption au Canada au niveau fédéral, afin de pouvoir suivre les statistiques et les progrès en matière d'adoption. À ce stade, il n'existe pas de point central au niveau fédéral qui suive les enfants canadiens en foyer d'accueil et disponibles pour adoption. C'est pourquoi nous ne savons jamais réellement combien d'enfants au total sont dans le système. Au niveau provincial, les enfants se perdent dans le système en changeant de province, et les provinces ne communiquent pas entre elles pour suivre la trace des enfants exposés à risque. Nous trouvons cela très alarmant.
Les finances tendent à être un énorme souci pour les familles intéressées par l'adoption. On croit souvent, à tort, qu'adopter des enfants au Canada peut être très cher et coûter entre 10 000 $ et 30 000 $, comme dans le cas des adoptions étrangères. D'autres craintes sont que les parents ne pourront pas soutenir financièrement les frais occasionnés par les enfants adoptés au long de leur vie.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral envisage d'offrir des crédits d'impôt pour la nourriture, les vêtements et les frais de transport de façon à compenser les frais accrus encourus par les familles adoptives.
Le logement tend à être le plus gros coût et la plus grande préoccupation des familles, et nous demandons à ce comité d'envisager un prêt hypothécaire de la Banque du Canada au taux directeur pendant la vie d'un enfant jusqu'à l'âge de 21 ans, afin de réduire les coûts de logement d'une famille en expansion.
De nombreuses familles s'inquiètent grandement du financement de l'éducation postsecondaire, une inquiétude qu'amoindrirait une bourse pour les enfants adoptés. Ce soutien de l'État serait un gros encouragement pour les familles à adopter des enfants, en contribuant à minimiser leurs soucis financiers.
Je me nomme Jennifer Lewis et je suis réellement reconnaissante de l'invitation à comparaître aujourd'hui pour vous faire part de l'histoire de ma famille.
Je suis mariée et mère de quatre enfants, dont trois naturels et un adopté. Mon mari et moi avons toujours souhaité adopter un enfant; notre idée était, à un moment donné de notre vie conjugale, d'ajouter une petite fille chinoise à notre famille. Après la naissance de trois enfants naturels et une attente d'une adoption internationale de presque quatre ans, nous avons pesé la possibilité et considéré l'âge de nos enfants, notre souhait étant d'éviter un trop grand écart d'âge.
Nous avons alors entendu parler d'un jeune garçon dont la situation nous a touchés. Sa mère était une jeune célibataire qui n'était pas tout à fait prête à jouer son rôle de mère. Faire la fête lui souriait bien plus que de s'occuper de son enfant en permanence. Son fils avait presque deux ans et il était sérieusement négligé.
La Société d'aide à l'enfance avait reçu plusieurs appels à son sujet, mais estimait qu'il n'était pas en danger, que sa situation n'était simplement pas idéale. Elle avait trop de cas à traiter pour se pencher sur celui d'un enfant négligé, car elle devait se concentrer sur les cas extrêmes.
La mère savait que son enfant était en détresse et elle a pris la décision de rompre le cycle de négligence et de mauvais traitements qui marquait alors sa vie. Elle a lancé un appel à l'aide, demandé si quelqu'un était prêt à le prendre avant qu'elle lui fasse du mal. Elle est l'une de mes héroïnes.
Nous avons dit oui. Mais nous étions naïfs. Nous n'étions pas qualifiés, mais nos coeurs étaient grand ouverts. C'était un enfant magnifique, mais plein de rage, profondément blessé et totalement incapable de faire confiance à quiconque. Il n'avait pas encore deux ans et il faisait son lit, se coupait les ongles tout seul, il lavait lui-même la vaisselle qu'il avait utilisée, non pas parce qu'il était intelligent — et il l'était — mais parce qu'on l'y obligeait.
Nous nous sommes lancés dans cette démarche sans hésiter. Nous n'avions aucune idée de ce qui nous attendait, au plan juridique, mental, affectif ou matériel. La mère nous a choisis; elle savait que son enfant était en danger et voulait qu'il fasse partie de notre famille. Nous avons cherché un avocat — c'est pour dire à quel point nous étions mal renseignés. Notre recherche nous a menés à une agence d'adoption privée où ils nous ont dit, après avoir pris connaissance de la situation de l'enfant et de la nôtre, qu'ils pourraient nous aider rapidement en accélérant le processus et les séances d'évaluation familiales.
Deux semaines après le premier coup de téléphone, c'est-à-dire l'appel à l'aide, nous rencontrions le travailleur social et assistions à la dissection de notre famille, de notre mariage, de nos enfants et de nos antécédents. Nous avons passé quatre mois sous un microscope. On a mis en question nos motifs, notre communication, notre mariage et les rapports avec nos enfants. Nous sortions habituellement de ces rencontres vidés et complètement à nu, sachant, pendant tout ce temps, que l'enfant était dans la même situation difficile, qu'il était toujours aussi délaissé. Parfois l'inquiétude m'empêchait de dormir. Il était l'un de mes bébés. Je le savais avant même de l'avoir tenu dans mes bras.
Nous n'étions pas les seuls à vivre le stress de la transition. Sa mère naturelle, qui avait déjà décidé de le donner en adoption, voulait juste en finir car ces adieux prolongés étaient de plus en plus pénibles pour elle. Vers la fin, elle n'a plus été capable d'attendre et a renoncé à ses droits avant même qu'on nous autorise à emmener l'enfant chez nous en toute légalité.
Il a fallu réagir en urgence et trouver des personnes pour le prendre en charge toutes les nuits pendant deux semaines, jusqu'à ce que nous obtenions l'approbation nécessaire. Nous ne savions pas quand ce serait le cas. Des amis nous ont offert des pièces libres afin que l'enfant puisse passer la journée avec nous et dormir ailleurs que dans notre maison afin de ne pas compromettre le processus d'adoption. C'était très éprouvant pour nous tous. Mais une fois ces lits trouvés, sa mère naturelle a choisi la journée de la transition, un jour que je n'oublierai jamais.
Personne n'arrivera à me convaincre que les enfants ressentent moins les choses que les adultes. Parfois, ils sont même plus conscients de ce qui se passe. Je sais que cela était vrai de notre petit garçon. Il savait qu'elle le quittait pour toujours et il a réagi en conséquence. Je n'ai jamais entendu un cri comme celui qui est sorti de ce petit corps ce jour-là — jamais avant, et jamais depuis. Il a tremblé et pleuré à gros sanglots, pleinement conscient de cette perte, et une partie de son coeur s'est brisée. C'est l'impression qu'il donnait, et six ans plus tard, nous devons encore composer avec cette situation de temps à autre: un coeur brisé plus enclin à repousser l'amour plutôt qu'à le recevoir, et à mettre les autres à l'épreuve plutôt qu'à leur faire confiance.
Une fois nos droits parentaux établis, deux semaines après le « jour du départ », nous avons cru qu'il pourrait s'intégrer doucement dans notre famille. Pendant un an nous avons pensé cela tous les jours, et tous les jours, par ses gestes, il nous suppliait de le rejeter.
On l'avait arraché au seul vécu qu'il avait jamais connu et il voulait nous le faire payer. Quand nous l'embrassions, il mordait; si nous le félicitions, il explosait. Il se tapait la tête contre les murs et se jetait en bas des marches. Il se roulait par terre d'un bout à l'autre de la pièce en hurlant pendant des heures et des heures, et parfois pendant tout le temps où il était éveillé.
Nous l'aimions, nous pleurions, nous despérions et nous nous sommes cramponnés avec encore plus de ténacité. On nous a dit qu'il souffrait d'un trouble de l'attachement, mais ce n'était pas nécessaire puisque nous le vivions. En me rappelant combien j'avais été proche de mes enfants biologiques, je me suis souvenue du temps passé à les tenir dans mes bras lorsqu'ils étaient bébés, à les bercer et à les border. Alors, nous l'emmaillotions et le prenions dans nos bras. Et il hurlait. Et nous le gardions dans nos bras encore plus longtemps.
Le stress était intolérable. La barre pour l'adoption avait été mise si haut que nous avions l'impression d'avoir tout juste reçu l'approbation nécessaire pour être parents. Nous avions l'impression de faillir. Nos enfants étaient stressés. Ils avaient tous attendu avec impatience l'arrivée d'un petit frère, mais il les avait rejetés tour à tour. En tant que famille, nous avons décidé de dresser la liste de toutes ses qualités afin de pouvoir les crier au milieu de ses crises. Il avait un rire incroyable. Il gloussait. Il adorait aider. Il nous faisait rire. Quand il s'éloignait de nous, ces choses nous aidaient à tenir bon.
Six ans plus tard, car c'est là une histoire d'espoir et d'amour, ce petit bonhomme adore toujours rire et nous faire rire. Il a fait beaucoup de chemin.
Notre première année dans le rôle de parents adoptifs a été remplie de stress, d'amour, de larmes, de victoires, de tragédies et de triomphes, elle a exigé notre attention sans partage, et tout notre temps. Nous avions besoin de cette période de transition pour créer un sentiment d'appartenance chez ce petit garçon qui avait tant souffert. Nous en avions besoin pour devenir une famille. Pendant cette période, nous avons été confrontés à des choses auxquelles rien ne nous avait préparé, et nous en sommes sortis plus forts que nous aurions pu imaginer.
Les enfants ont besoin de toute l'aide que nous pouvons leur apporter et les parents qui, d'un mouvement du coeur, décident de prendre un enfant avec eux doivent être en mesure de lui donner toute l'attention voulue. Nous formons une famille complète, non pas parfaite, mais unie, et nous n'aurions pas pu arriver à ce résultat sans y consacrer le temps et les efforts nécessaires. C'est un investissement qui en vaut la peine.
Je crois que la force d'un pays repose sur celle de ses familles, et son avenir sur la santé et le bien-être de ses enfants. Je suis persuadée qu'en gardant cela à l'esprit, le gouvernement peut faciliter cette période de transition pour les parents adoptifs et leurs enfants en éliminant certains facteurs de stress nuisibles aux plans financier et social.
Je suis bien consciente des difficultés de légiférer sur une question qui relève principalement des provinces. Je suis néanmoins persuadée qu'au Canada nous pouvons tomber d'accord sur une décision en faveur des enfants sans être entravés par les questions de compétence fédérale-provinciale — un congé transitionnel pour les parents et un effort à l'échelle nationale en vue d'unifier les stratégies d'adoption, qui diffèrent grandement d'une province à l'autre — car c'est un beau voyage que celui qui mène de la fracture à la guérison, et nous devrions tous l'entreprendre et le faciliter.
Merci.
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Merci, madame la présidente, et merci à nos témoins. J'adore toute cette discussion sur les enfants. Ma femme est la plus jeune de huit. Son père est maintenant grand-père à l'âge de 56 ans, et d'autres petits-enfants sont en route. C'est excellent — 14 enfants — mais je me laisse égarer.
Madame Lewis, merci de m'avoir aidé à me défaire complètement de côté-ci de la table pendant votre témoignage.
Dans le peu de temps dont je dispose, j'aimerais aborder plusieurs choses et je vais vous demander de répondre brièvement, si possible, et je tâcherai de poser des questions concises.
Il est un domaine ici qui appelle une exploration un peu plus poussée, celui de la mesure transitionnelle pour adoption — le congé transitionnel, ou une prestation de ce type.
Dans le régime d'assurance-emploi, le congé parental est fondé sur les notions d'attachement et de soin des enfants, et il peut être partagé entre les parents, le père et la mère. Le congé de maternité est considéré comme à part puisqu'il vise, comme les tribunaux l'ont établi, les aspects physiologiques de l'accouchement et le temps nécessaire au rétablissement, par exemple. C'est pourquoi les mères biologiques qui donnent leur enfant en adoption ont droit au congé de maternité mais non au congé parental.
Si l'on va établir une sorte de congé transitionnel ou d'adoption, ou quelque soit le nom qu'on va lui donner, je présume, selon mon optique, qu'il va falloir établir les raisons pour lesquelles les parents adoptifs ou les pourvoyeurs de soins en ont besoin, par opposition au congé parental.
Madame Lewis, je pense que votre témoignage a déjà donné une réponse.
Madame Eggertson, je ne sais pas si vous avez des enfants naturels en sus de vos enfants adoptés. Quelle est la différence du point de vue d'un parent? Quelles sont les difficultés particulières que vous rencontrez en tant que parent, peut-être sur le plan psychologique, que vous n'avez pas connues avec vos enfants naturels? Si vous le pouvez, sondez un peu les profondeurs de cela pour nous.
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Étant donné que l'une des questions venait de moi, je vais prendre la parole et il pourra l'avoir plus tard, au cas où nous manquions de temps. Mais je suis impatient de connaître sa réponse.
Oui, c'est vraiment une nécessité. La question est de savoir ce qui s'est passé et si cela va se reproduire. Comment des décisions comme celles-ci qui pénalisent les plus pauvres d'entre les pauvres du pays sont-elles prises? Si cette décision n'a pas été prise au niveau du cabinet ou au niveau ministériel, il est d'autant plus important de déterminer comment cela a pu arriver et durer si longtemps.
Il est à porter au crédit de Gerry Byrne d'avoir soulevé cette affaire à la Chambre et de l'avoir mise sous les projecteurs. Il en a été félicité à juste titre.
Mais la question est de savoir comment cela a pu se produire. Fait-on la même chose avec l'AE? Fait-on la même chose avec le crédit d'impôt pour personnes handicapées? Il est bien joli de remercier le Parti libéral d'avoir levé ce lièvre et d'assurer qu'on va régler le problème dans ce cas-ci, mais que s'est-il produit? Nous devons déterminer ce qui s'est passé dans ce cas-ci et comment une décision aussi préjudiciable à des personnes qui ont très peu de choix a pu être prise.
Comment savons-nous que cela ne va pas se reproduire avec d'autres mesures, dans d'autres secteurs de cet énorme ministère? C'est l'un des plus gros ministères du gouvernement, qui prend des décisions sur l'éducation et beaucoup d'autres aspects qui se répercutent sur la vie des Canadiens handicapés, âgés, démunis. La question est de savoir ce qui s'est passé et pourquoi.
Je pense qu'il incombe au comité et, franchement, je pense que cela fait partie de sa responsabilité fiduciaire, de déterminer ce qui s'est passé dans un cas aussi grave.