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Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de présenter mon point de vue devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne. Je viens ici vous soumettre mon avis à titre de professeur universitaire, donc de chercheur et d'enseignant, dans le domaine de la démocratie et du pluralisme, particulièrement en Amérique latine. Mon rôle de directeur de l'Observatoire des Amériques à l'Université du Québec à Montréal ainsi que celui de rédacteur en chef de la Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes sous-tendent ma vue d'ensemble de la région et des rapports entre le Canada et le reste de l'hémisphère.
Sur une note plus personnelle, puisque je me présente devant vous à titre personnel et non à titre de porte-parole des institutions auxquelles je suis professionnellement associé, je tiens à souligner que, ayant vécu jusqu'à l'âge de 19 ans sous l'un des régimes militaires les plus barbares de l'Amérique du Sud, j'ai beaucoup de réticence à politiser ou à instrumentaliser la question des droits de la personne, car cela revient ultimement à la banaliser. Si j'ai quelque chose à apporter à vos réflexions et débats, c'est une contribution modeste qui pourra servir à enrichir leur contexte.
Les nations latino-américaines sont nées il y a déjà deux siècles avec la promesse révolutionnaire de l'égalité et de la liberté, mais la majorité de leurs populations ont surtout connu l'exclusion ou l'oppression. L'Amérique latine est la région du soi-disant tiers monde qui affiche la plus longue histoire de lutte pour la justice sociale et qui demeure pourtant la région la plus inégalitaire de la planète en fait de concentration des richesses. C'est pourquoi les lectures superficielles, les leçons morales et les catégories fourre-tout sont rarement utiles pour saisir la réalité latino-américaine. De plus, elles tendent à indisposer les Latino-Américains eux-mêmes.
Suis-je en train de dire qu'il faudra relativiser ou adapter la notion des droits de la personne pour l'appliquer à l'Amérique latine? Pas du tout. Mais il faut certainement s'entendre sur nos définitions et les appliquer de manière cohérente avant de porter un jugement. Vous aurez compris que je dresse ici un portrait du Venezuela qui, au chapitre des droits de la personne, n'est ni noir ni blanc. Il va de soi que plusieurs événements récents dans ce pays sont extrêmement troublants, surtout en ce qui concerne certaines limitations de la liberté d'expression et l'affaiblissement de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Tout cela est lié au personnalisme de la figure présidentielle.
Le fait que certains observateurs interprètent ces problèmes à la lumière de l'idéologie ou de la politique extérieure du gouvernement vénézuélien me semble pourtant contestable. Il est clair pour moi, comme pour bien des spécialistes de la politique latino-américaine, que ces dérives inquiétantes, contraires à une véritable démocratie, ne sont pas exclusives ou nécessairement associées aux régimes de gauche. Je n'oserais pas justifier devant vous l'évident penchant populiste du président Hugo Chávez en évoquant le fait que même dans les sociétés occidentales les plus développées, de la France à l'Italie aux États-Unis, la confusion entre politique et marketing électoral, le contrôle partisan de l'information, la gestion douteuse des finances publiques, la démagogie ou la démonisation de l'adversaire sont malheureusement devenus monnaie courante. Dans le contexte latino-américain, la présidence messianique, soutenue populairement mais autoritaire dans son exercice et visant à se perpétuer dans le pouvoir, a une fâcheuse tendance à revenir, et ce, dans ses différentes versions, qu'elles soient conservatrices, néolibérales ou socialistes.
J'insiste: la situation des droits de la personne au Venezuela est inquiétante à plusieurs égards. Je n'ai pas à vous refaire la liste des incidents qui ont attiré votre attention depuis le début de vos délibérations. Il y a essentiellement trois grands thèmes à dégager.
Premièrement, il y a la sphère proprement politique. Le gouvernement Chávez utilise sa majorité parlementaire pour atteindre ses buts et n'a pas peur de pousser les limites de ce qui est légitime ou de réinterpréter ce qui est légal à son avantage. Il va se soi que notre idéal démocratique nous amène à privilégier la négociation et le compromis, mais il me semble que le jeu politique au Venezuela, même en considérant les nombreux dérapages et le climat d'agressivité qui s'est installé dans les rapports avec l'opposition, demeure acceptable à l'aune des standards régionaux. Autrement dit, il est de mon avis, m'appuyant entre autres sur des sources très respectées comme PROVEA et Red de Apoyo, que la vie institutionnelle au Venezuela fait face à des défis considérables et qu'elle présente des défaillances significatives, mais que cela ne nous autorise pas à déclarer de l'extérieur cette démocratie, plus que d'autres en Amérique latine, en danger imminent.
Le deuxième grand thème est celui de la rhétorique inflammatoire de M. Chávez. Je ne veux surtout pas minimiser l'importance des bévues d'un président qui s'impose sur la scène publique, dénigrant les uns et apostrophant les autres. Les paroles batailleuses d'un leader charismatique, nous le savons très bien, peuvent devenir, chez certains, les mots d'ordre d'une conduite pernicieuse. Les occurrences d'intimidation dont a été victime la communauté juive vénézuélienne ont été relevées dans vos échanges et elles ont fait l'objet de remarques très sévères dans le dernier rapport de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Bien sûr, cette situation exige notre vigilance, mais il serait erroné de parler d'une minorité persécutée ou systématiquement écartée, ou de donner l'impression que la société vénézuélienne serait devenue intolérante. La communauté juive du Venezuela est bien intégrée à la vie nationale et participe activement à l'essor culturel du pays, jouant un rôle de premier plan dans bien des organisations de la société civile.
Je dirai donc que ces deux thèmes — les agissements d'un gouvernement qui, fort d'un contrôle des instances de pouvoir et d'un appui populaire considérable, frôlent parfois les limites de l'illégitimité politique et les discours combatifs qui peuvent, sous certaines conditions, fomenter les tensions dans la société et même pousser les esprits exaltés à l'action — sont sans doute pertinents pour une discussion sur la situation au Venezuela, mais ils ne font pas de ce pays un cas complètement hors norme dans la région.
Également, il est nécessaire de comprendre que le rôle des médias au Venezuela, comme partout en Amérique latine, doit être saisi au-delà des schématismes qui font du secteur privé le seul garant d'une diversité de voies. L'enjeu médiatique est très complexe et comporte des dimensions autant politiques qu'économiques.
Le troisième thème, en revanche, s'avère plus problématique. Je parle ici, bien sûr, des pratiques d'intimidation, de harcèlement, de censure et de punition qui ont pour cible certains membres de l'opposition, des journalistes critiques ou tout simplement des citoyens qui expriment ouvertement leur désaccord avec le gouvernement. Il n'y a pourtant pas lieu de parler, à mon avis, d'un régime répressif ou d'une généralisation de la violence politique ou de la coercition extrajudiciaire. Il est néanmoins clair que la dissidence et la contestation, des enjeux fondamentaux en démocratie, ont été fragilisées au Venezuela.
Quand les citoyens qui n'appuient pas les grands desseins de leur gouvernement, s'agisse-t-il d'une guerre contre l'axe du mal ou de révolution bolivarienne, sont taxés d'antipatriotiques ou de traîtres, la démocratie en souffre, mais quand la protestation sociale est arbitrairement criminalisée, quand des individus sont nommément montrés du doigt par le pouvoir en raison de leur opinion ou quand des inculpations à caractère politique sont portées à l'égard d'opposants, tout en donnant à l'opération un semblant de légalité, la réponse de la société civile et de la communauté internationale doit être énergique. Le Canada ne doit jamais rester indifférent quand ce type de transgression a lieu en Amérique latine, peu importe la couleur du gouvernement en place.
J'aimerais aborder, avant de conclure, un aspect auquel j'ai fait allusion au début de ma présentation: la question des définitions et des priorités. J'ai indiqué que je ne prône aucunement une relativisation des droits de la personne. Une violation est une violation, peu importe le contexte culturel ou historique, mais le caractère absolu des droits fondamentaux ne nous autorise pas pour autant à nous replier dans une lecture réductrice. En ce sens, la Commission économique pour l'Amérique latine — la CEPAL —, le prestigieux organisme des Nations Unies dont le siège social est au Chili, proposait en 2007 une approche holistique pour évaluer la situation d'une communauté, employant des indicateurs qui mesurent, entre autres, le droit à la vie, à la santé, à la fécondité et aux choix familiaux, à la dignité, à l'intimité, etc. Ce type de démarche se trouve en nette continuité avec celle de la sécurité humaine, un élément clé de la politique extérieure canadienne dans les années 1990. La sécurité humaine cherche à combiner la protection des libertés fondamentales avec la lutte contre la privation économique ainsi qu'un certain équilibre entre les droits individuels et le bien-être collectif, entre les besoins matériels et les revendications culturelles ou identitaires.
Me reste-t-il cinq minutes? Par ailleurs, je peux conclure, si vous me donnez deux minutes.
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Laissez-moi vous lire un dernier élément.
La plupart des analystes s'entendent pour affirmer que le virage à gauche qui a lieu en Amérique latine depuis une dizaine d'années, et dont Hugo Chávez incarne la variante la plus flamboyante, n'a pas eu, dans son ensemble, un effet négatif démontrable sur la qualité de la démocratie de la région.
Deux Venezuela, deux pays s'affrontent autour d'enjeux névralgiques qu'il ne faut pas réduire à des caricatures pro-Chávez ou anti-Chávez. À ce propos, il ne faut pas non plus se cacher que la polarisation gauche-droite au Venezuela reflète, jusqu'à un certain point, un clivage de classes sociales.
En ce qui me concerne, je ne tairai pas ma critique des abus de pouvoir des gouvernements latino-américains, y compris celui du Venezuela, mais je vous dis respectueusement que je serais très déçu de voir le Canada mobiliser la question des droits de la personne sur la base d'affinités idéologiques ou d'intérêts économiques, ce qui, d'ailleurs, ne manquerait pas de nuire à sa réputation comme une force de conciliation et de médiation dans l'hémisphère.
Merci.
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Je ne connais pas cette situation en détail, mais je peux vous dire que, de façon générale, cela fait partie d'une tendance qui, bien sûr, est inquiétante. Comme vous l'avez mentionné, ça va dans le sens d'un rétrécissement de l'espace public. On ne peut que trouver cela lamentable. Cela a pour effet de réduire plutôt que de renforcer la démocratie vénézuélienne.
Cela dit, ce type d'opération a lieu même à Caracas. Vous connaissez peut-être un peu les événements reliés au maire de la capitale vénézuélienne. À cet égard, bien des choses sont allées dans le sens d'une réduction du pouvoir au niveau municipal ou à d'autres niveaux d'exercice de la politique quand elles ne correspondaient pas à la position idéologique ou politique du pouvoir central. J'insiste pour dire que ces événements sont fort inquiétants. Ils ont été bien documentés dans des rapports, dont celui de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
Le but de ma présentation était d'apporter des nuances. Autant cela reflète certains défis et défaillances du système politique et de la démocratie vénézuélienne, autant on ne peut pas dire qu'une loi, au sens strict du terme, ait été violée. Le gouvernement utilise et mobilise son appui populaire et celui qu'il reçoit du Parlement pour adopter des lois qui, selon nous et selon bien des Vénézuéliens, sont illégitimes. Par contre, cela ne doit pas nous empêcher de voir, en autant qu'on puisse observer la situation, que ça n'a pas constitué une violation de la Constitution du pays. Comme je l'ai mentionné, on a tenté à maintes reprises de pousser jusqu'au bout les limites du légitime et du légal. Selon notre compréhension de la démocratie, c'est assez négatif. Néanmoins, on ne peut pas parler d'un régime non démocratique.
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C'est tout à fait vrai. Je n'ai pas lu les éléments que j'ai apportés relativement aux statistiques sur les droits de la personne et sur les libertés fondamentales. C'est bien sûr fondamental, comme le nom l'indique. Comme vous l'avez mentionné, et comme j'ai tenté de le proposer dès le départ, il faut aussi parler de ce que l'on peut appeler le droit à une vie convenable, à des conditions de vie acceptables, à la dignité humaine, et ainsi de suite.
Pour revenir à votre question, la situation actuelle n'est pas idéale, cela va de soi. Cependant, il importe de la comparer à une situation précédente, même si le Venezuela n'a pas connu de dictature militaire au cours des années 1960 ou 1970 comme cela a été le cas à peu près partout ailleurs dans le coin sud, dont en Argentine — mon pays d'origine —, au Brésil, au Chili, au Paraguay, et ainsi de suite. Il est clair qu'une majorité de la population vénézuélienne, lors de cette situation précédente, s'est trouvée dans une situation assez peu intéressante sur le plan du respect des droits de la personne, et aussi dans le sens plus élargi de ce qu'est un droit de la personne: accès à l'éducation, à la santé, ainsi de suite. Il ne faut donc pas le nier, le gouvernement Chávez a fait des progrès considérables. En ce qui concerne la dimension sociale des droits, c'est reconnu par tous. Il est intéressant de le souligner.
Par exemple, y a-t-il eu de la criminalisation de la protestation sociale avant Chávez? Bien sûr. Est-ce que les conditions d'emprisonnement, la brutalité policière, l'action des militaires dans des opérations à l'intérieur du pays existaient avant Chávez? Bien sûr. C'est pourquoi je tiens à souligner ce contexte. Il faut tenir compte de la situation précédente, comme vous l'avez mentionné, pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui au Venezuela. Je tiens également à parler d'une dimension de l'Amérique latine, et le Venezuela fait partie de cette réalité de la région: il s'agit du continent le plus inégalitaire de la planète. Cela veut dire que la majorité n'a pas accès à toutes sortes de droits, y compris les droits politiques, jusqu'à l'avènement de la démocratie. Le Venezuela a fait des progrès majeurs en ce qui concerne les droits des couches moins aisées de la population.
Il faut bien voir que le clivage idéologique et politique du Venezuela est aussi, à certains égards, un clivage de classes. Les classes populaires appuient Chávez parce que leurs conditions de vie se sont sensiblement améliorées. Aujourd'hui, la situation est-elle parfaite, idéale du point de vue des libertés fondamentales? Non, nous venons de voir qu'il y a des incidents et des tendances troublantes. Par contre, en ce qui concerne la comparaison avec la Colombie, bien sûr vous avez tout à fait raison. Encore une fois, sans nier les problèmes qu'on constate au Venezuela, il faut voir aussi ce qui se passe en Colombie, au Honduras et ailleurs également, en Argentine, au Chili. Peu importe, parfois il y a un gouvernement dit de gauche, parfois dit de droite. Je tiens à souligner que la situation au Venezuela est inquiétante, troublante, mais elle n'est pas hors norme par rapport à d'autres contextes. Cibler le Venezuela en raison de l'idéologie de son gouvernement me semble à tout le moins injuste.
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Tout d'abord, je vous présente des excuses car il fait très chaud ici.
Une voix: En effet.
M. Wayne Marston: Cette chaleur nous gêne tous. Certains d'entre nous ont retiré leurs vestes.
Merci de votre exposé. Quand on sait qu'on va devoir poser des questions, on se demande parfois quelles questions choisir si bien que je prends toujours quantité de notes au fur et à mesure.
Quand on considère le Venezuela sous l'angle des droits de la personne plutôt que... comme vous le disiez tout à l'heure, plutôt que du point de vue économique ou politique. Mais si on fait la comparaison avec la Colombie, ou encore le Honduras ou d'autres pays d'Amérique du Sud, qu'obtient-on? Tout d'abord, de nos jours, quels résultats constate-t-on?
Mardi, nous avons entendu des témoins qui, dans une perspective historique, se sont montrés très enthousiastes étant donné le fait que dans les rues, il y avait un dialogue, des discussions concernant la constitution et que les gens étaient interpellés. Le citoyen moyen était plus interpellé qu'à tout autre moment de l'histoire du pays.
Ainsi, je voudrais votre opinion par comparaison à d'autres pays... tout d'abord, est-ce le cas, y a-t-il un dialogue qui s'est engagé?
On nous a également dit que l'armée s'était rapprochée de la population. Souvent, quand on songe aux pays d'Amérique du Sud, on pense que la population a une grande crainte de l'armée nationale ou des commandos qui y sont associés. J'aimerais recueillir votre avis à ce propos, pour commencer.
Je vais employer ici le terme « populisme », qui est bien connu des Latino-Américains et des analystes de l'Amérique latine. Le sens qu'on donne à ce mot en Amérique latine diffère un peu de celui qu'on lui donne en Amérique du Nord. Il renvoie à une forme de politique très répandue sur le continent. On parle ici de gouvernements qui sont très proches du peuple, ce qui correspond à l'image que nous avons ici, mais aussi d'une vision selon laquelle l'État se rapproche du peuple. Le populisme latino-américain a toujours une facette positive, notamment à l'égard de ses capacités — vous avez mentionné l'armée — et du fait que les institutions peuvent se rapprocher de la population. J'insiste pour dire qu'il ne s'agit pas de toute la population, mais d'une majorité ciblée de personnes qui, tout au long de l'histoire du Venezuela ou d'ailleurs, ont été soumises à de l'injustice sociale.
Dans une situation où l'État, plutôt que de se tourner vers l'élite, se tourne vers des populations moins aisées qui ont été exclues durant des décennies, voire des siècles, le populisme peut être vu comme un phénomène tout à fait intéressant. Ça incite la participation et ce que les politologues appellent l'incorporation des citoyens à la politique, notamment. C'est un phénomène qu'on peut observer au Venezuela, comme on l'a observé en Argentine au cours des années 1940 avec Juan Perón.
Cela dit, le populisme comporte des dangers, bien sûr. Il ne faut pas se le cacher. Un populisme qui jouit de l'appui populaire et repose sur cette figure charismatique et ce discours inflammatoire a tendance, comme je l'ai mentionné, à concentrer le pouvoir et à instrumentaliser les institutions de l'État à l'intérieur de son projet politique. Or, dans ce cas, il y a des dangers. Le populisme est-il toujours bon ou mauvais? Ça dépend. En Amérique latine, ça peut être un vecteur d'intégration pour les hommes et les femmes qui ont été exclus, mais ça peut aussi être un vecteur d'autoritarisme. Ça a été le cas dans plusieurs pays. Je pense qu'au Venezuela, il y a lieu de s'inquiéter de certaines tendances. En revanche, le système politique et la société vénézuélienne en général ont, à mon avis, les outils et la volonté nécessaires pour trouver une façon de faire les choses dans le sens d'une véritable démocratie qui, éventuellement, tiendra compte des libertés fondamentales et des droits sociaux dont j'ai parlé plus tôt.
Pour faire suite à vos propos, je mets l'accent encore une fois sur la question de la participation. J'enseigne cela à mes étudiants dans le cadre de cours sur la démocratie. Cela veut dire deux choses: une participation effective à la politique — et il ne s'agit pas uniquement de voter, mais de beaucoup plus — et une dimension subjective qui donne l'impression qu'on fait partie d'un processus. Je pense qu'au Venezuela, il se passe quelque chose de très intéressant. Beaucoup de gens se sentent engagés, non seulement parce qu'ils ont un accès effectif à certaines parties du système politique et économique, relativement à la répartition de la richesse, mais aussi parce qu'ils sont fiers d'appartenir à un processus de changement social.
Or ce processus de changement social, comme pour d'autres, notamment nos voisins du Sud, mène à des polarisations extrêmes. C'est ce qu'on voit présentement au Venezuela et ailleurs également. C'est un défaut inhérent à la démocratie, surtout de nos jours, étant donné qu'on divise les populations ou que les populations se divisent, peu importe qui est la cause première. Dans ces conditions, les excès de discours et parfois même d'actions sont malheureusement de plus en plus répandus. On observe cela au Venezuela.
Est-ce que la démocratie est menacée de façon imminente au Venezuela, plus qu'en Colombie ou ailleurs? Je ne le pense pas. Le Venezuela fait face à des défis particuliers et graves, mais il y en a aussi en Colombie, au Honduras, comme vous l'avez mentionné, et ailleurs. Ça touche les gouvernements de droite et de gauche, les libéraux et les socialistes, peu importe.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Armony, merci de votre témoignage.
J'aimerais attirer votre attention sur certains renseignements que j'ai obtenus et voir ce que vous en pensez.
Il y a quelques jours, nous avons entendu les représentants d'un groupe qui s'appelle Hands Off Venezuela. Ils ont fait des commentaires éclaboussants concernant la situation au Venezuela. Je voudrais pouvoir comparer le témoignage de cette organisation et votre perspective car leurs propos à certains égards m'ont semblé un peu étonnants.
Permettez-moi de citer le rapport du département d'État des États-Unis sur les droits de la personne au Venezuela en 2008.
Vous avez évoqué PROVEA, le Programme vénézuélien d'éducation-action en droits de la personne et vous avez ajouté que cette organisation était tout à fait crédible.
Selon PROVEA, tel que signalé dans le rapport du département d'État des États-Unis, dans les 12 mois précédant le mois de septembre, les forces de sécurité se sont rendues responsables de 205 décès. La moitié d'entre eux étaient qualifiés d'exécutions et dans 5 p. 100 des cas, c'était à la suite de torture. D'autres ONG ont signalé qu'il y aurait jusqu'à 57 prisonniers politiques actuellement dans ce pays. Le même rapport signale que, malgré la Constitution qui prévoit le droit à la liberté d'expression, il existe des mesures pratiques qui poussent à l'« autocensure », comme une loi infligeant de 6 à 30 mois d'emprisonnement sans possibilité de caution à quiconque insulte le président, les peines étant moins lourdes pour les grades intermédiaires. Le gouvernement continue d'entraver le syndicalisme en limitant le nombre de dirigeants syndicaux et en refusant de négocier des conventions collectives.
Fort de ces déclarations publiques, nous savons que Chavez appuie solidement le régime iranien d'Ahmadinejad, un régime que nous avons étudié l'an dernier du point de vue de ses atteintes aux droits de la personne.
Voilà ce que nous savons de source plutôt fiable. Vous avez évoqué certaines atrocités — ou certaines activités, pour utiliser un mot moins lourd. Toutefois, à la toute fin de votre témoignage, vous laissez entendre que tout cela doit être analysé dans un contexte.
En fait, vous avez dit deux choses. Vous avez dit que relativiser les droits de la personne n'était pas souhaitable. Une atteinte demeure une atteinte, quel que soit le contexte historique... Et ensuite vous avez évoqué le contexte « régional ». Vous avez ajouté que le Canada devrait jouer le rôle de courtier honnête et ne pas s'en mêler.
Comment justifiez-vous la perpétration de telles atrocités indépendamment du contexte historique ou régional, tout en affirmant qu'on ne devrait pas trop s'en mêler car cela pourrait ternir notre propre réputation?
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Non, je n'ai pas dit qu'on ne doit pas s'engager. En fait, j'ai dit tout à fait le contraire. J'ai dit que le Canada ne doit jamais rester indifférent devant ce type de transgression et j'ai précisé que pour cela, peu importait la couleur du gouvernement en place. Encore une fois, j'insiste. Non seulement j'ai suivi les études de PROVEA, mais j'ai aussi imprimé quelques éléments de la Red de Apoyo por la Justicia y la Paz — qu'on nomme en anglais Justice and Peace Support Network —, qui est aussi très reconnue et respectée au Venezuela et sur le plan international. Ils sont extrêmement sévères lorsqu'ils dénoncent la brutalité policière et l'action répressive de l'État.
Je n'ai jamais dit cela, au contraire. Depuis le début, je prétends qu'il faut tenir compte de tous ces éléments et les dénoncer. J'ai dit qu'il faut continuer à dénoncer toute entrave à la liberté d'expression et toute opération ou action de l'État allant à l'encontre des droits de la personne. Cela dit, j'ai proposé de contextualiser et souhaité, comme citoyen du Canada, que le Canada demeure un partenaire fiable, un intermédiaire impartial, etc. Nous, comme pays et comme nation, devons dénoncer les violations des droits de la personne au Venezuela, et nous devons faire la même chose avec la même fermeté quand cela se produit, par exemple, en Colombie ou au Honduras.
En outre, je crains qu'on ait parfois tendance à trouver les problèmes et les violations des droits de la personne plus graves dans certains pays avec lesquels on n'a pas d'affinité idéologique, ou à leur accorder plus d'attention comparativement à ce qui se passe ailleurs. On doit tout simplement dénoncer ce contexte et savoir qu'un droit de la personne comporte beaucoup de choses. Évidemment, le droit des journalistes de dire ce qu'ils veulent, y compris critiquer le gouvernement, doit être tout à fait soutenu et respecté, mais il faut aussi défendre ce que nous pouvons appeler la sécurité humaine, c'est-à-dire tout ce qui l'accompagne, y compris le droit à la vie et à la dignité, à un accès à la santé, à l'éducation et tout cela.
Il faut donc voir cet ensemble d'éléments pour pouvoir dire que la situation dans l'État du Venezuela est grave à certains égards, mais à d'autres égards, on peut faire des comparaisons avantageuses vis-à-vis d'autres pays de la région.