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Merci beaucoup. Merci beaucoup de votre accueil.
J'essaierai d'être aussi brève que possible. On m'a dit que je disposais de 10 minutes pour vous faire part des préoccupations d'Amnistie internationale, notamment à l'égard du Venezuela.
Ici, au secrétariat, on m'a confié le programme des Amériques, et je suis l'une des directrices de programme. Au sujet du Venezuela, « impunité » est le mot qui résume les principales inquiétudes de notre organisation. Le problème de l'impunité sévit au pays depuis quelques décennies, y compris sous la présente administration.
Depuis 20 ans, les violations des droits de la personne commises par les forces de sécurité ne sont pas l'objet d'enquêtes approfondies et, habituellement, on ne traduit personne en justice. En 2008, le bureau du procureur général a candidement admis qu'il avait reçu, seulement entre 2000 et 2007, 6 000 plaintes relativement à de présumés assassinats par la police. Il a annoncé la création d'un groupe spécial d'enquête sur ces affaires, mais aujourd'hui, deux ans plus tard, nous n'avons encore pas de nouvelles sur ces enquêtes.
Entre-temps, nous continuons d'être saisis de cas de violations des droits de la personne commises par la police. Par exemple, en mars, dans l'État d'Anzoategui, la police à enlevé trois hommes, dans des circonstances nébuleuses. Les familles ont porté plainte au procureur général. Il n'y a pas eu d'enquête impartiale. Les victimes n'ont pas encore été retrouvées, et personne n'a encore été traduit en justice.
Dans l'État d'Aragua, une campagne est menée contre une famille depuis environ six ans. En novembre 2003, elle a dénoncé le meurtre de l'un de ses membres par la police. Depuis, trois autres de ses membres ont été tués. La famille subit un harcèlement continuel. La Commission interaméricaine des droits de l'homme a réclamé la protection de cette famille. Cette protection a été sporadique. Comme vous pouvez le constater, elle a été inefficace, puisque trois autres membres de la famille ont été tués depuis. Encore une fois, il n'y a pas eu d'enquête impartiale, et personne n'a été traduit en justice. La famille, menacée, vit dans la peur.
Voilà pour l'impunité. Nous sommes également préoccupés par la répression exercée contre ceux qui critiquent le gouvernement. Comme vous le savez, le gouvernement du président Hugo Chavez a adopté une loi, en 2001, pour modifier les politiques économique et sociale. Elle a fortement polarisé la population. Il en est résulté, en 2002, une tentative de coup d'État pendant laquelle le président a perdu le pouvoir pendant 48 heures. Depuis, la polarisation s'est accentuée. Elle a eu pour effet, ces dernières années, de diminuer la tolérance du gouvernement et des autorités à l'égard de toute critique.
Le premier signe évident de cette intolérance s'est manifesté en 2007, avec la décision de ne pas renouveler le permis de Radio Caracas Televisión, une station dont l'orientation était nettement antigouvernementale.
L'année dernière, on a retiré à 34 stations radiophoniques leur licence. Les autorités ont invoqué des raisons administratives. Détail intéressant, l'orientation de toutes ces stations était antigouvernementale.
D'après le rapporteur spécial sur la liberté d'expression de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, le véritable motif du retrait de ces licences est la position antigouvernementale des stations. Au cours des quelque huit derniers mois, la répression est de plus en plus inquiétante. Il ne s'agit pas seulement du non-renouvellement ou du retrait de licences de diffusion. Non, ce qui inquiète ce sont les méthodes que commencent à employer les autorités.
Par exemple, en août dernier, l'un des préfets de Caracas, qui fait partie de l'opposition, Richard Blanco, a été détenu jusqu'en avril, prétendument pour s'en être pris à un policier et pour incitation à la violence. On n'a pas produit la preuve qu'il ait commis ces actions. Son arrestation semble répondre à des motifs politiques. Il a été libéré, mais il reste passible de poursuites.
Depuis décembre 2009, la juge Maria Lourdes Afiuni, croupit en prison. Le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, le rapporteur spécial sur l'indépendance du judiciaire et la rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme ont demandé sa libération immédiate. Elle a été détenue immédiatement après que le président Chavez eut décrété, dans son émission télévisée et radiophonique hebdomadaire, qu'elle était corrompue parce qu'elle avait libéré sous caution un banquier qui s'était ensuite enfui du pays. Mais il est évident que sa détention découle uniquement de l'accusation de corruption lancée par le président. Malgré l'intervention du groupe de travail et des rapporteurs spéciaux, qui ont demandé sa libération immédiate et inconditionnelle, elle est encore en prison.
Parmi les derniers mois écoulés, mars semble avoir été particulièrement marqué par la répression contre les dissidents, les opposants ou les critiques. C'est ainsi qu'on a arrêté et détenu pendant quelques jours le chef de la chaîne de télévision Globovisión, une autre qui est connue pour son orientation antigouvernementale. Maintenant libre, il reste passible de poursuites pour avoir critiqué le président Chavez devant l'Association interaméricaine de la presse.
Une autre personne arrêtée en mars a été l'ancien gouverneur de l'État de Zulia, Oswaldo Alvarez. Il vient d'être libéré après quelque deux mois de détention. Il aurait dit, dans une entrevue, et ce serait l'unique motif de sa détention, que le Venezuela était un paradis pour le trafic de drogue. Il reste passible de poursuites.
On semble donc utiliser de plus en plus l'appareil de justice pénale pour sanctionner les opposants au régime. La Commission interaméricaine a déclaré, très récemment, que cela montrait l'absence d'indépendance du système juridique.
La situation des défenseurs des droits de la personne nous inquiète également. On semble les intimider, les harceler et les attaquer. En novembre dernier, l'un d'eux, dans l'État de Lara, a été abattu par des inconnus. Il travaillait pour le comité des victimes contre l'impunité, qui faisait un film sur les cas vérifiés de victimes de présumées violations des droits de la personne, commises par la police de l'État.
Mijail Martínez a été abattu. Il n'y a pas eu d'enquête approfondie ni impartiale. Personne n'a été traduit en justice pour ce crime.
Tout dernièrement, il y a quelques semaines, début mai, le défenseur des droits de la personne Rocío San Miguel a révélé, à Caracas, que des militaires avaient violé la constitution, en se rangeant du côté du parti au pouvoir. Elle a reçu des menaces de mort.
Dans ce cas, ces menaces et ces attaques sont inquiétantes par le fait qu'il n'y a pas d'enquête et que personne n'est traduit en justice. D'autre part, il ne semble pas exister de volonté politique pour condamner ces infractions commises par les autorités.
Je tiens à consacrer les dernières minutes qui me restent pour vous parler de progrès, parce qu'il y en a eu ces dernières années au Venezuela, relativement aux droits de la personne. Par exemple, pour combattre la violence contre les femmes, le président Chavez a promulgué, en 2007, une loi très progressiste sur le droit des femmes de mener une vie à l'abri de la violence. Un an plus tard, Amnistie Internationale a lancé une campagne pour faire pression en faveur de l'application de cette loi très détaillée afin de combattre la violence que subissent les Vénézuéliennes.
On a créé des commissariats spéciaux de police ainsi que des services spéciaux au bureau du vérificateur général, mais cela n'a pas suffit. Le bureau du vérificateur général a déjà fait preuve de transparence en disant que, entre janvier et août 2009 seulement, il avait reçu 12 000 plaintes dénonçant des cas de violence contre les femmes, mais que, faute de ressources, il n'avait pu s'occuper que de la moitié d'entre eux.
Malgré cette note d'optimisme, il faut encore consacrer plus de ressources pour combattre la violence contre les femmes après la promulgation de l'excellente loi de 2007.
Il importe également de noter les progrès des droits sociaux et économiques. D'après le Rapport mondial sur le développement humain 2009, des Nations Unies, l'accès aux soins de santé primaires a augmenté depuis l'arrivée du gouvernement au pouvoir, en 1999 et il est près de 100 p. 100. On a presque extirpé l'analphabétisme. La mortalité infantile a diminué de plus de la moitié. D'après le rapport de 2009 — le plus récent —, le Venezuela se situe dans le groupe de 45 pays dont l'indice de développement humain est élevé. Ce groupe suit celui des 38 pays ayant un indice de développement très élevé, parmi lesquels le Canada, d'autres pays occidentaux et des pays d'Europe. Les droits économiques, sociaux et culturels ont fait des progrès.
Je vais conclure en précisant la nature du problème, puis je répondrai à vos questions, qui ne manqueront pas, j'en suis sûre. Tout récemment, en février, la Commission interaméricaine a publié un rapport sur la situation des droits de la personne au Venezuela. Si vous permettez, je terminerai en en citant deux paragraphes. On y lit que:
... le respect des autres droits fondamentaux ne peut pas être sacrifié à celui des droits économiques, sociaux et culturels. Les droits de la personne constituent un tout indissoluble et, comme on le lit dans le préambule de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, on ne pourra atteindre l'idéal selon lequel les hommes jouissent de leur liberté à l'abri de la crainte et de la pauvreté qu'en instaurant les conditions voulues pour qu'ils jouissent tous de leurs droits économiques, sociaux et culturels ainsi que de leurs droits civils et politiques.
La Commission interaméricaine conclut que l'intolérance politique, l'absence d'indépendance du système judiciaire, les limites imposées à la liberté d'expression, le climat hostile au libre exercice de la contestation politique, l'insécurité des citoyens et, notamment, l'impunité générale concomitante sont tous des facteurs d'affaiblissement de la primauté du droit au Venezuela. En conséquence, les Vénézuéliens aujourd'hui ne jouissent pas de tous les droits de la personne garantis par la Convention américaine aux droits de l'homme.
Je m'arrête ici, consciente du temps qui fuit, et je répondrai à toutes les questions ou à toutes les observations que vous pourrez formuler.
Merci.