[Français]
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.
Cela me fait plaisir d'être avec vous, aujourd'hui, pour vous parler des violences sexuelles dans les conflits armés dans les États fragiles et dans les pays hôtes des opérations de maintien de la paix.
Dans la première partie de mon témoignage de 10 minutes, j'aimerais exposer brièvement les conséquences des violences sexuelles sur les femmes, sur le plan individuel et sur le plan collectif. Ensuite, j'aimerais décrire les motifs du recours à la violence sexuelle comme arme de guerre et vous expliquer pourquoi, une fois les hostilités terminées, les femmes continuent d'être victimes de violence sexuelle.
Dans mon dernier point, j'aimerais faire la lumière sur l'exploitation et les abus sexuels commis par les Casques bleus et le personnel humanitaire lorsque déployés en mission d'opération de paix.
Je présenterai d'abord un bref aperçu des violences sexuelles. En 2008, lors d'une conférence de haut niveau sur le rôle des missions de paix dans la lutte contre les violences sexuelles, l'ancien commandant adjoint de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo — la MONUC —, le major-général Patrick Cammaert, a affirmé qu'il était plus dangereux d'être une femme qu'un soldat dans l'Est de la République démocratique du Congo. Malheureusement, la RDC n'est pas l'exception, mais la règle. En effet, 70 p. 100 des victimes actuelles des conflits sont des civils et non des combattants, et la majorité de ces victimes sont des femmes et des jeunes filles. Le nombre de femmes aux prises avec ce type de violence reste sans commune mesure. Il y a eu 60 000 femmes violées en Bosnie-Herzégovine, entre 250 000 et 500 000 femmes violées durant le génocide au Rwanda et plus de 64 000 femmes violées durant le conflit en Sierra Leone. Il est aussi à noter que ces chiffres sont des estimations, parce que la plupart des viols ne sont pas dénoncés par les victimes.
Les violences sexuelles peuvent prendre plusieurs formes. On retrouve, entre autres, le viol, l'agression sexuelle à l'aide d'objets étrangers, les mutilations des seins ou des organes génitaux, le mariage ou les grossesses forcées, la torture et l'esclavage sexuel. Elles touchent toutes les femmes, indépendamment de leur âge, de leur statut social, de leur nationalité ou appartenance ethnique ou de leur affiliation politique. J'aimerais ouvrir une parenthèse parce qu'une étude récente démontre qu'en Afrique subsaharienne l'âge des victimes de violence sexuelle ne cesse de diminuer, notamment en raison du sida que les agresseurs craignent de contracter. Ainsi, 68 p. 100 des victimes en RDC sont âgées de 11 à 18 ans.
Pour des milliers de femmes, le viol est une condamnation à perpétuité. Faute de soins psychomédicaux, de foyers d'accueil et d'hébergement, d'assistance à la réintégration ou de recours légaux, les victimes de viols auront à vivre avec des séquelles psychologiques et physiques pour le reste de leur vie. Dans de nombreux cas, vue la brutalité des violences sexuelles, les femmes peuvent, comme conséquences physiques, développer l'infertilité, des fistules et de l'incontinence. Elles ont des problèmes de santé à vie.
Autre fait aggravant, le viol demeure un tabou dans plusieurs sociétés. Les victimes de viol seront souvent ostracisées et finiront en marge de la société. Par exemple, en Somalie, une femme mariée qui dénonce son viol est assurée que son mari lui demandera le divorce pour avoir fait honte à la famille et au mari. Par crainte de représailles, par peur du sida, pour avoir souillé l'honneur de la famille, il arrive fréquemment que les membres de la famille immédiate élargie, les époux, les communautés entières rejettent les femmes victimes de violence sexuelle.
Le deuxième point que j'aimerais aborder est la question des violences sexuelles en tant que conflit. Les crimes sexuels à l'encontre des femmes et des jeunes filles ne sont pas commis dans un type particulier de conflit. Que ce soit une guerre de sécession, un génocide, une campagne d'épuration ethnique ou une guerre interétatique, il y a violence sexuelle à l'égard des femmes. Ils ne sont pas commis non plus par un groupe armé spécifique. Des soldats des armées nationales, des miliciens, des paramilitaires et des mercenaires commettent ces crimes. Le viol est une arme de guerre parce qu'il est employé délibérément et systématiquement à l'encontre des populations civiles. Les viols sont planifiés à l'avance, ils se déroulent dans un espace public, sur les routes ou les champs, à la vue de la famille et de la communauté. Ils visent à contrôler, humilier et instaurer un climat de terreur dans les communautés. C'est une arme très efficace, si vous permettez l'expression, parce que la terreur qu'elle instaure pousse les populations locales ou les populations des communautés à fuir sur les routes et à se réfugier dans des camps ou ailleurs.
Elle ne touche pas que les femmes: elle perturbe les communautés dans leur entier.
J'aimerais ajouter que la fin des hostilités ne signifie pas pour autant la fin des violences à l'égard des femmes. Dans les États sortant d'un conflit armé, l'influx de réfugiés ou de personnes déplacées, la présence d'un grand nombre d'ex-combattants démobilisés, souvent sans perspective d'emploi, et la présence massive d'armes à feu sont autant de facteurs qui contribuent à la persistance des violences sexuelles à l'encontre des femmes. Dans la majorité des États fragiles, les systèmes judiciaires et politiques ne sont pas fonctionnels. En fait, c'est en résumé la définition d'un État fragile. Ces femmes n'ont donc aucunement recours à une application régulière de la loi. Autrement dit, la majorité des violences sexuelles reste impunie.
Finalement, la dégradation générale des normes sociales, causée par des années de conflits, d'insécurité chronique ou de pauvreté, favorise l'essor des mouvements intégristes, notamment religieux mais autres également. Ceux-ci causent préjudice à ces femmes et haussent leur vulnérabilité à l'égard des violences sexuelles.
En ce qui concerne les violences sexuelles commises par les Casques bleus, ce n'est pas un fait nouveau. En effet, des cas d'abus ont déjà été rapportés au Cambodge, en Sierra Leone, au Libéria et au Kosovo. Cela dit, la médiatisation des abus sexuels commis récemment par les contingents indiens en RDC a rendu le problème plus visible et a suscité une plus grande préoccupation de la part des Nations Unies ainsi que des ONG internationales.
La MONUC a un bureau qui voit à établir des guides et à prévenir les cas d'abus sexuels. En outre, le secrétaire général de l'ONU a décrété une politique de tolérance zéro et un code de conduite interdisant au personnel de se livrer à des actes immoraux de violence ou d'exploitation sexuelle physique ou autre à l'égard des populations civiles. Or, malgré les mesures de prévention et de réparation, les cas persistent. On parle ici de l'éclosion des industries du sexe, du trafic de personnes à des fins d'esclavage sexuel, en passant par l'augmentation de la prévalence du VIH au sein des populations qui accueillent les opérations de maintien de la paix.
Les abus sexuels commis par les Casques bleus et autre personnel humanitaire ont souvent été traités comme des dommages collatéraux. C'est en quelque sorte une manière cavalière de dire que « boys will be boys » et que là où il y a des militaires, il y a nécessairement de la prostitution. Toutefois, il est crucial de souligner que certaines conditions permettent ce genre de comportement répréhensible. N'oublions pas que les opérations de paix se déroulent en général dans un contexte d'extrême pauvreté où l'État de droit est considérablement affaibli. Ce contexte entraîne d'importantes disparités de statut entre le personnel déployé sur le terrain et les populations locales. Ce rapport de forces inégales favorise l'essor des comportements et des abus sexuels commis par les Casques bleus.
En RDC, l'exploitation et les abus sexuels commis par les Casques bleus se traduisent essentiellement par un échange de faveurs sexuelles contre de l'argent, des biens matériels ou d'autres biens. Il existe donc un vrai marché de faveurs sexuelles à proximité des campements de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo.
Pour terminer, je dirai que la violence sexuelle en temps de conflit armé est une arme universelle qui permet à ceux qui l'emploient de dépouiller leurs victimes de leur dignité et de détruire en elles tout sentiment d'amour-propre. En détruisant le corps des femmes, les violences sexuelles réduisent la capacité de celles-ci de jouer un rôle actif dans le relèvement des sociétés après un conflit ou dans le relèvement d'une société au sein d'un État fragile.
Merci beaucoup.
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Mesdames et messieurs les députés, bonjour et merci de me recevoir au sein de ce sous-comité.
Mon allocution, aujourd'hui, portera sur la situation des femmes et des enfants en République démocratique du Congo et, notamment, sur la question des violences sexuelles et de la perpétuation de ces violences sexuelles en RDC. Plus particulièrement, je parlerai de la région située à l'est de la RDC.
Comme vous le savez, depuis de nombreuses années, en République démocratique du Congo, il y a une série de conflits régionaux, nationaux et également interethniques qui ont fait un nombre incalculable — puisqu'on n'arrive pas à avoir de statistiques à ce sujet — de victimes de violence sexuelle.
Ces violences ont été commises à la fois dans le cadre de combats, d'opérations de représailles, d'opérations de ratissage à la recherche de l'ennemi, ou bien encore tout simplement à la faveur d'un contexte d'insécurité général, qui est le résultat de la multiplication de groupes armés qui se cachent dans les forêts et sortent de temps en temps pour attaquer les villages et les paysans.
Selon les chiffres qui nous sont rapportés, les ONG et les Nations Unies considèrent qu'il y aurait eu 13 000 viols en 2006 et 15 000 en 2009, ce qui revient à peu près à dire que 40 femmes par jour, en moyenne, sont violées en République démocratique du Congo.
Cela nous amène à nous poser une question. Est-ce que nous, nous accepterions qu'au Québec et dans les provinces de l'Atlantique, 40 femmes par jour soient violées?
Par ailleurs, on estime également qu'à l'heure actuelle, parmi les femmes vivant au Nord et au Sud-Kivu, 40 p. 100 d'entre elles ont été victimes de violence sexuelle.
Aujourd'hui, malgré le fait que les accords de paix aient été conclus, qu'il y ait des opérations « de pacification », c'est-à-dire des opérations à la recherche des FDLR, des Forces démocratiques de libération du Rwanda, donc d'anciens Hutus Interahamwe, on estime quand même que 70 p. 100 des violences sexuelles sont commises par les membres de l'armée congolaise, les FARDC.
Pourquoi cette situation se produit-elle? C'est tout simplement parce que le règne de l'impunité existe sur le plan national, que ce soit chez les civils ou dans la hiérarchie militaire. C'est aussi le résultat des opérations de brassage qui ont été menées au moment où on a voulu pacifier la région et donc réincorporer les soldats rebelles dans les rangs de l'armée nationale avec, bien entendu, des soldats qui sont malheureusement, malgré les efforts de la communauté internationale, peu formés aux règles du droit humanitaire.
Il y a un autre fait inquiétant en République démocratique du Congo. C'est que la violence sexuelle ne reste pas du domaine du militaire; elle s'étend parmi les civils. D'ailleurs, les organisations non gouvernementales de terrain rapportent qu'il y aurait de plus en plus de violence sexuelle commise par des individus en civil, donc non armés.
En RDC, il faut savoir que tous les groupes armés, à un moment ou à un autre, ont commis des violences sexuelles, que cette violence sexuelle a brisé absolument tous les tabous culturels de la société congolaise et que des enfants, des bébés, des enfants prépubères, des femmes enceintes, qui allaitent ou qui sont ménopausées, et également une proportion d'hommes au sujet desquels on a du mal à se documenter, ont été violés. Ça a bien sûr des impacts multiples sur le plan de la santé, sur la situation socioéconomique des femmes et de leurs enfants, ainsi que sur le tissu social, comme l'a dit ma collègue.
Voici quelques statistiques: en matière de santé, 22 p. 100 des femmes qui ont été violées sont porteuses du VIH-sida. Un certain nombre d'entre elles ont dû subir des opérations chirurgicales lorsque c'était possible. Elles souffrent, par ailleurs, du syndrome de stress post-traumatique qui se manifeste par des crises d'angoisse, de l'insomnie et de la dépression, sans compter qu'il y a des grossesses forcées qui ont des conséquences physiques et psychologiques qui vont nuire au bien-être de l'enfant né du viol.
Il y a également, au nombre des problèmes particuliers que l'on a en RDC, outre la stigmatisation et le rejet de la part de la communauté, le fait que les déplacements forcés, dûs justement à des campagnes de viol et de terreur, provoquent le déplacement de la population. Cela, finalement, fragilise d'un point de vue économique les communautés, et notamment les femmes, parce que cela les coupe de leurs moyens traditionnels de subsistance. En effet, une grande majorité de victimes de violence sexuelle sont des paysannes qui ont été violées alors qu'elles cultivaient leurs champs ou bien qu'elles se rendaient au marché.
Cela a des impacts également sur le plan de l'éducation. Les enfants qui se trouvent à l'Est ont peu ou n'ont pas accès à l'éducation. En RDC, selon les statistiques de la Banque mondiale de 2008, on considère que 58 p. 100 des enfants sont inscrits à l'école primaire et que le taux d'abandon est de 20 p. 100. Par ailleurs, il faut savoir qu'un certain nombre d'enfants sont recrutés ou enrôlés dans les bandes armées lorsqu'ils se rendent ou se trouvent à l'école.
Il faut savoir qu'en République démocratique du Congo, le Parlement a adopté une loi, la loi de 2006, contre les violences sexuelles. Cette loi amende l'ancien Code pénal de 1940 et introduit de nouvelles infraction. Elle a également le mérite de préciser les circonstances — ou la définition — dans lesquelles se passe le viol. Cela fait quatre ans que cette loi est en vigueur et, pour autant, les résultats restent extrêmement insatisfaisants. Il y a un certain nombre de raisons pratiques, logistiques, à cela. Je vais les mentionner brièvement.
Il y a une difficulté particulière à la République démocratique du Congo, notamment à l'Est: l'organisation judiciaire du parquet, des tribunaux, ne favorise pas la poursuite en raison de l'éloignement des organes judiciaires et, notamment, de la séparation entre le parquet et le tribunal, à savoir que dans une ville se trouve le parquet ou la poursuite et, dans l'autre, le tribunal. Dans un pays où les déplacements et les moyens de communication sont difficiles, cela pose un problème sur le plan de l'activité judiciaire. D'autre part, ni la police ni la poursuite n'ont les moyens logistiques de se déplacer afin d'enquêter sur place et d'interroger des témoins. Par ailleurs, les magistrats et les policiers ne sont pas formés aux techniques d'interrogatoire ni à la prise en charge des victimes de violence sexuelle. Il y a un autre point: les victimes n'ont pas les moyens de payer la consultation médicale et l'attestation du médecin qui servira de preuve au moment du procès. Elles n'ont pas non plus les moyens d'assumer les frais de procédure et de déplacement pour se rendre au tribunal.
Il y a une autre difficulté: de nombreux détenus qui sont poursuivis pour des crimes de violence sexuelle sont régulièrement remis en liberté provisoire et profitent de celle-ci pour prendre le large et s'enfuir.
Il y a un autre problème de taille: les personnes qui sont en situation de pouvoir et qui commettent des violences sexuelles en RDC ont une immunité de facto, et la justice, finalement, ne poursuit que ce qu'on appelle les « petits poissons ».
Il serait utile de faire quelque chose, notamment dans le cadre de cette initiative qui a été mise en place par le secrétaire général des Nations Unies et auxquelles ont répondu un certain nombre de pays — 25 à l'heure actuelle. Il s'agirait mettre en place un plan d'action nationale pour la mise en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU portant sur les femmes, la paix et la sécurité.
Dans les recommandations ou dans les indicateurs de mise en oeuvre, il est mentionné qu'il est absolument impératif de lutter contre l'impunité. Cela m'apparaît absolument fondamental, dans le cas de la République démocratique du Congo, de pouvoir doter les institutions judiciaires et policières des capacités de pouvoir poursuivre et juger adéquatement.
Cela veut dire avoir les capacités matérielles de le faire. Il faut former les policiers. Il faut également payer les magistrats et les policiers pour éviter la corruption. À l'heure actuelle, en RDC, il existe des cours itinérantes financées, notamment, par la coopération belge, l'ACDI et des ONG qui se rendent dans les régions reculées pour assurer la justice.
Il faut aussi insister auprès du gouvernement congolais pour qu'il respecte sa politique de tolérance zéro en matière de violence sexuelle, et cela, à tous les sommets de la hiérarchie civile ou militaire.
Une autre piste serait de réduire les frais judiciaires pour les victimes de violence sexuelle, voire les en exonérer. À l'heure actuelle, les organisations non gouvernementales et, dans le cas de la coopération bilatérale, des programmes vont financer la prise en charge de l'accompagnement judiciaire de ces victimes. Il y a, bien sûr, d'autres points que l'on pourrait évoquer, mais l'impératif est la restauration et le maintien de la paix. Cela me semble aller de soi.
Il faut aussi agir sur le plan de la réparation parce qu'il va falloir, à un moment donné, penser à une façon de réintégrer des générations d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont été complètement cassés par la guerre et par les violences sexuelles. Il faut également — dans le droit fil de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU — écouter et donner une voix aux ONG congolaises, notamment sur le plan de l'élaboration des plans de paix et des politiques nationales ainsi que dans l'élaboration des plans et des programmes internationaux de lutte contre les violences sexuelles.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Bienvenue, mesdames. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Il est à la fois très sombre et inquiétant.
Il y a 10 ans déjà, on adoptait la résolution 1325 des Nations Unies. C'était la première à reconnaître que des femmes étaient utilisées comme armes de guerre. Au cours de ces 10 dernières années, il y a malheureusement eu des cas au Darfour, en République démocratique du Congo et même en Haïti, où il n'y a pas de conflit armé présentement, mais où règne la dévastation à la suite d'événements climatiques. On fait état d'un très grand nombre d'abus sexuels à l'égard des femmes dans les camps de réfugiés haïtiens. Le gouvernement nous a présenté il y a à peine un mois son plan d'action visant à mettre en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies portant sur les femmes, la paix et la sécurité.
Madame Breton-Le Goff, le gouvernement a annoncé le 17 novembre, par l'entremise de l'ACDI, un projet en République démocratique du Congo. Bien qu'il y ait des outils, un plan d'action, et que la résolution 1325 ait été adoptée il y a 10 ans, les violences ne diminuent pas, au contraire. Les femmes sont de plus en plus utilisées. Dans la foulée du G8, les pays donateurs se sont engagés à investir davantage et à se concentrer sur les objectifs du millénaire, mais si on ne résout pas les problèmes de violence à l'égard des femmes, si on ne fournit pas les outils et la formation nécessaires pour contrer ce phénomène, on ne pourra jamais atteindre les fameux objectifs de 2015. Vous nous dites que 40 femmes sont violées chaque jour. C'est incroyable. Si ça se produisait ici, je ne pense pas qu'on fermerait les yeux sur cette situation.
Est-ce qu'on permet suffisamment aux femmes de ces pays de participer à la réconciliation, de faire entendre leur voix? C'est leur corps; ce sont elles qui sont le plus utilisées lors de ces guerres d'hommes.
Tout d'abord, je tiens à dire à quel point je vous suis reconnaissant de vos témoignages d'aujourd'hui. Ces atrocités qui se produisent au Congo et ailleurs sont horrifiantes, et j'éprouve beaucoup d'empathie à l'égard de cette question.
Au cours de votre déclaration, vous avez demandé ce que nous ferions si nous apprenions que 40 viols sont commis chaque jour au Canada. Cela a piqué ma curiosité, alors j'ai envoyé rapidement une demande à mon personnel pour savoir combien d'agressions sexuelles — car dans notre pays, nous définissons cela en tant qu'agressions sexuelles, et non en tant que viols — ont lieu sur une base annuelle au Canada.
Pour mettre les choses en perspective, vous avez dit que 16 000 viols se produisaient pour une population de 71 millions au Congo. Cela fait environ 43 viols par jour, ou à peu près deux personnes sur 10 000.
Au Canada, environ 21 000 agressions sexuelles du premier au troisième niveau sont commises annuellement. Cela fait six sur 10 000, ou environ 57 par jour.
Aux États-Unis, 88 000 personnes sont violées chaque année. Cela représente un taux de 28 par 10 000, ou de 241 personnes par jour.
Ces chiffres sont horribles. Personne ne prétend qu'ils sont acceptables. Mais lorsqu'on met les choses en contexte, comment expliquez-vous cette comparaison, c'est-à-dire qu'à première vue, la situation paraît encore pire au Canada qu'elle ne l'est au Congo actuellement?
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Eh bien, le problème avec les chiffres, surtout dans le contexte d'un conflit...
Je vais revenir au français.
[Français]
La question des chiffres est une question très épineuse et souvent très contestée. De prime abord, les chiffres paraissent immenses, mais en fait, ils ne reflètent vraiment pas la réalité sur le terrain.
S'il y a plus de viols par jour au Canada, c'est que ces viols sont souvent déclarés. En comparaison, en République démocratique du Congo, au Soudan, au Darfour ou en Somalie, les viols ne sont pas dénoncés, à proprement parler, ou ne sont pas comptabilisés. C'est très difficile de trouver des statistiques. Cela peut paraître plus grave au Canada, car on peut avancer l'hypothèse que chaque crime est dénoncé. En réalité, on pourrait même prétendre que sur un crime dénoncé en RDC ou en Somalie, il y en a cinq, six ou sept autres qui ne sont pas dénoncés. Ils ne sont pas dénoncés parce que les femmes ne veulent pas être étiquetées en tant que victimes de violence sexuelle. Elles ne veulent pas subir l'ostracisme ni la stigmatisation, parce que ça va affecter leur vie future.
Comme je l'ai expliqué, en Somalie, il y a divorce, et les leviers du pouvoir — ne serait-ce que le pouvoir économique — appartiennent aux hommes. Les femmes n'ont pas de statut social proprement dit. Sans hommes, elles ne sont rien. Leur accès à des besoins matériels ou de première nécessité est complètement diminué. C'est pour ça que beaucoup de viols ne sont pas dénoncés. Ils ne sont pas dénoncés en raison de tous les problèmes liés à la justice ou à l'accessibilité de la justice qu'a évoqués ma collègue. Il y a toutes sortes de facteurs qui font en sorte que la plupart des crimes ne sont pas dénoncés.
Les chiffres sont un sujet un peu épineux. Je m'avance sans doute, mais il y a beaucoup plus de viols que ce que l'on croit au départ.
Ça expliquerait un peu le décalage, que vous avez soulevé, entre le nombre de crimes aux États-Unis et au Canada dans des sociétés dites fonctionnelles, où il y a un système judiciaire et où de l'aide est apportée aux victimes. J'avance l'idée, mais...
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Merci, monsieur le président.
Je pense qu'il y a un fait que nous ne pouvons ignorer ici, à savoir que dans ces pays, le viol est un crime porteur de honte. Il est utilisé pour salir des femmes, qui feront alors insulte à l'homme à cause de l'inégalité dans la relation homme-femme. Je crois que nous devons aborder cette situation avec beaucoup de précaution, car nous nous laissons tous emporter par une telle conversation. Nous sommes ébranlés lorsque nous songeons à ce qui arrive aux femmes, aux enfants et aux jeunes garçons dans ces pays. En tant que Canadiens, nous avons tendance à chercher des réponses faciles à ces questions. Mais elles sont bien plus complexes que cela.
Je vais vous donner un exemple personnel. Tout à l'heure, on a évoqué la charia. En 1979, j'ai passé six mois en Arabie saoudite, et là-bas, on pouvait voir clairement les différences d'ordre culturel entre les hommes et les femmes. Dans mon bureau, il y avait un interprète qui avait été assigné à l'armée américaine pendant 16 ans. Il semblait très bien éduqué, et c'était un homme fort sympathique et bien de sa personne. Alors que nous parlions de la situation des femmes, et de la sienne en particulier, j'ai été vraiment frappé par ce qu'il m'a dit: « Mon père et ma mère sont les plus importants, car je descends d'eux; mon frère arrive en deuxième place car nous avons le même sang; viennent ensuite mes enfants, qui partagent le même sang que moi, et mes fils portent mon nom. » Si vous me voyez sur le point de m'étouffer, c'est qu'ensuite, il a ajouté: « Ma voiture arrive en quatrième, et ma femme, en cinquième place. » Lorsque je lui ai demandé pourquoi diable il ferait passer sa femme après son automobile, il m'a répondu que tout le monde avait besoin d'un moyen de transport, mais que n'importe qui pouvait s'acheter une épouse ».
Lorsque je voyais cet homme en compagnie de sa femme, il la traitait respectueusement en public. Vous n'auriez jamais deviné la mentalité sociale qu'il y avait derrière. C'est cette même position donnée aux femmes dans la société qui ouvre la porte à ce que des gens commencent à... Dès qu'une personne est considérée moins que rien, ce qu'on lui fera n'aura pas grande importance.
Ce qui me préoccupe vraiment, dans les témoignages que nous entendons aujourd'hui, c'est la question des militaires dans ces pays où les armées commettent de tels actes. J'ai l'impression que les supérieurs de ces soldats auront donné des ordres en ce sens, ou auront fait preuve d'une indifférence bienveillante pour permettre que cela se produise.
Existe-t-il des preuves que les dirigeants militaires de ces pays ont sanctionné ces activités, que ce soit publiquement ou en privé?