:
Bienvenue à la 37
e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce mardi 7 décembre 2010.
[Traduction]
Nous sommes le 7 décembre, une date tristement célèbre en raison des événements d'il y a 69 ans.
Aujourd'hui, nous accueillons des témoins très attendus, qui sont venus nous parler du fâcheux sujet qu'est l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants dans les situations de conflit. Je crois que M. Tougas va se concentrer principalement sur la RDC.
Du Centre Pearson pour le maintien de la paix, nous recevons Peter Miller, vice-président, Programmes, et Sophie Toupin, responsable des projets; et de l'Entraide Missionnaire, nous accueillons Denis Tougas.
Habituellement, nous accordons 10 minutes à nos témoins pour leur déclaration préliminaire, puis nous passons aux questions.
Ai-je raison de croire que les deux personnes du Centre Pearson n'auront qu'un exposé, mais répondront ensemble aux questions?
Une voix: Oui.
Le président: Parfait. M. Tougas fera cavalier seul.
Dans ce cas, je vous demanderais de commencer.
Je rappelle aux députés que la séance d'aujourd'hui est télévisée; je vous prie donc d'avoir un comportement exemplaire.
J'inviterais nos témoins à commencer, s'il vous plaît.
:
Merci, monsieur le président.
je m'appelle Peter Miller. Je suis un agent de la Gendarmerie royale du Canada à la retraite et je travaille actuellement avec le Centre Pearson pour le maintien de la paix. Mes commentaires ne tiendront pas seulement compte de mon expérience avec le Centre Pearson pour le maintien de la paix, mais aussi de mon expérience d'ancien agent de police qui a participé à trois missions des Nations Unies.
Le sujet d'aujourd'hui est la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre. De mon point de vue, qui est celui d'une personne qui l'a vécu et qui en a été témoin quotidiennement dans le cadre de missions — depuis environ 1996 —, je me dis que j'aurais espéré que la situation se serait améliorée. Aujourd'hui, j'aurais aimé voir des progrès par rapport à la situation qui prévalait en Haïti en 1996 et au Timor-Oriental entre 2001 et 2003. On observe que beaucoup de problèmes qui existaient déjà à l'époque sont toujours présents.
En dépit de l'adoption de diverses résolutions du Conseil de sécurité, les femmes sont toujours victimes d'exploitation sexuelle. Les enfants sont agressés sur le chemin de l'école; les femmes sont agressées sexuellement tandis qu'elles vont chercher de l'eau . Elles ne peuvent s'occuper des tâches essentielles pour satisfaire aux nécessités de la vie sans mettre leur vie en danger ou sans être agressées sexuellement.
Cela ne se produit pas seulement dans les pays que j'ai mentionnés, mais dans tous les pays du monde où il y a des conflits. Par exemple, on estime qu'en Sierra Leone, entre 50 000 et 64 000 femmes et enfants ont été victimes d'abus sexuels; en Bosnie-Herzégovine, on parle de 20 000 à 50 000. Au Rwanda, entre 250 000 et 500 000 personnes, majoritairement des femmes, ont été agressées sexuellement.
La situation ne s'améliore pas, et je pense qu'un des plus importants problèmes est qu'il y a peu de femmes au sein des corps policiers. La faible représentation des femmes dans l'ensemble du secteur de la sécurité est une autre question, et c'est aussi un problème important. Les femmes n'ont pas voix au chapitre dans l'ensemble du système judiciaire et du secteur de la sécurité; il est donc nécessaire d'intégrer les femmes dans ces processus.
Malgré les tentatives d'augmentation de la représentation des femmes, toujours moins de 10 p. 100 des agents de police qui servent dans les missions de l'ONU sont des femmes. Selon ma collègue, je crois que la participation des femmes — comme policières — dans les opérations de maintien de la paix est de 8 p. 100. L'ONU a fixé un objectif d'environ 20 p. 100 d'ici 2014, ce qui sera un pas dans la bonne direction. Cependant, ces pays ont besoin de lois, des lois pour protéger les femmes et les enfants, et nous n'en sommes pas encore là.
Relativement à certaines autres questions clés, il y a actuellement en Haïti — où j'ai déjà servi — 1,3 million de personnes déplacées qui vivent dans des camps pour personnes déplacées. Les femmes et les enfants vivant dans de tels camps sont encore plus vulnérables que lorsqu'elles vivent dans leur propre maison.
C'est une situation généralisée. En ce moment — et ce n'est un secret pour personne —, Haïti vit une crise. Nous devons faire quelque chose pour régler ce problème. Des femmes et des enfants se font violer tous les jours. Selon toute vraisemblance, pendant que nous sommes assis ici, il y a une femme, quelque part dans le monde, qui se fait violer.
Sur ce, je cède la parole à ma collègue, qui ajoutera quelques commentaires.
:
Je m'appelle Denis Tougas. Je vous remercie de me recevoir. Je représente l'Entraide missionnaire qui, depuis 1989, regroupe la Table de concertation sur la région des Grands Lacs. Cela rassemble des missionnaires et des organismes de coopération internationale qui sont sur place depuis très longtemps.
Ma présentation fait suite à celle de mes prédécesseurs, mais elle est plus concrète encore. Je voudrais répondre à la question suivante. Devant une situation comme celle qui prévaut au Congo, qu'est-ce qu'on peut faire concrètement? Qu'est-ce qu'on fait?
Je vais revenir sur le programme canadien portant sur la prévention des violences sexuelles à l'Est du Congo et tenter d'en tirer des leçons. Par la même occasion, je vous parlerai de ce qui se fait, de ce qui peut être fait malgré les difficultés. Vous avez sans doute entendu ici même des critiques sur les interventions que fait non seulement le Canada, mais aussi la communauté internationale, quand vient le temps de soutenir les femmes ou d'intervenir, à partir du terrain, pour faire cesser ces violences.
Ce dont je vais vous parler provient des sources et des documents suivants: deux rapports intérimaires de l'ACDI; un rapport confidentiel de l'ACDI obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information par la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités; un rapport d'évaluation indépendant réalisé en 2009 par l'organisme Ideaborn et portant sur l'ensemble du projet conjoint entre le Canada et la Belgique; des contacts que j'ai eus régulièrement avec les membres et des visites sur le terrain.
Je vous rappelle rapidement les grands traits du projet canadien. En vertu d'une décision de la ministre de la Coopération internationale, Aileen Carroll, en 2005, le projet représente 15 millions de dollars sur quatre ans. Commencé en 2006, il va se terminer en mars 2011. Il comporte trois objectifs: contribuer à la prévention et à la réduction des violences sexuelles; assurer la prise en charge des victimes, et renforcer les capacités des acteurs et des structures impliqués dans la prise en charge. On compte cinq volets: la prévention des violences, la prise en charge médico-sanitaire, le suivi psycho-social, le soutien socioéconomique et la réinsertion dans les communautés; le soutien aux recours juridiques. On parle ici de deux provinces: le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, qui comptent huit millions d'habitants. Il s'agit d'un territoire grand comme celui compris entre Ottawa et Toronto. Il a 250 km de largeur. Les caractéristiques du projet — et ce sont des choix effectués dans le cadre de la coopération canadienne — sont les suivantes: passer par les agences des Nations Unies et en faire les agents d'exécution, mais surtout s'associer à la Belgique pour réaliser un projet conjoint portant sur l'ensemble de ces territoires. Il y a trois agences: le Fonds des Nations Unies pour la population, ou FNUAP, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, ou UNICEF, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, qui est fusionné à la Division des droits de l'homme de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo, ou MONUC. Dans le cas du FNUAP, c'est dirigé à partir de Washington. L'exécution se fait à partir de Kinshasa. Tout ce qui touche les relations, les rapports avec les femmes, les soins et tout le reste, se fait par l'intermédiaire d'ONG locales et internationales sur le terrain.
Pour vous qui êtes de l'administration publique, je vais expliquer où se trouve ce projet à l'intérieur du cadre national. Ce projet doit être coordonné à ce que l'on appelle sur place l'Initiative conjointe, une structure parapluie qui rassemble tous les ministères congolais concernés, 10 agences des Nations Unies, les grands bailleurs de fonds et les plus grandes ONG. Dans le cas des deux provinces et des territoires, la coordination doit se faire avec le Commission provinciale de lutte contre les violences sexuelles.
Je passe tout de suite aux résultats. Ici, je ne vais pas rendre justice complètement au projet canadien parce que je n'en ai pas le temps, mais je vais souligner ce qui peut nous être utile pour améliorer les choses.
Il est important de signaler que la décision du Canada a été majeure pour le Congo. C'était la première fois qu'un pays fournissait une telle somme, soit 15 millions de dollars, pour un projet de cette importance, dans une région particulièrement difficile.
Tenter de réaliser ce programme conjointement avec la Belgique a été une deuxième très bonne décision. À partir de 2005, le Canada a pris le leadership quant à la question du soin aux victimes de violences sexuelles.
Les résultats statistiques sont impressionnants. En voici quelques-uns: 21 897 victimes prises en charge au niveau médical et 22 500 au niveau psycho-social; 2 800 participantes aux activités génératrices de revenus; 1 150 dossiers présentés devant les tribunaux. Le renforcement des cliniques médicales locales et la création de cliniques mobiles, une invention canadienne, ont été les mesures les plus significatives. Cependant — et c'est là que commence mon intervention —, le projet canadien a été et est toujours très critiqué, sur place, par les groupes de femmes. Pour moi, c'est un élément majeur. Je vais vous citer des propos que j'ai entendus et ce que m'ont livrés par écrit des groupes de femmes. Les suivants, qui datent d'octobre 2007, vont comme suit:
Depuis que notre pays a été dévasté par la guerre, nous avons vu arriver les ONGI humanitaires [...] pour assister les personnes vulnérables, surtout les déplacées de guerres, et renforcer la société civile locale [...]. Les ONG nationales dites locales, sans moyens suffisants, ont assisté les victimes avant que les dispositifs humanitaires s'installent. Ces mêmes organisations dites locales fournissent les données aux ONGI qui les utilisent pour élaborer leurs projets. Mais une fois les projets financés, ces ONGI ne veulent plus collaborer dans l'exécution de projets avec les ONG locales sous prétexte qu'elles ne sont pas crédibles ou ne sont pas professionnelles ou encore sont très exigeantes.
Un an plus tard, une délégation de l'ACDI s'est rendue sur place pour rencontrer des partenaires à Uvira, un petit centre important. Je vous cite ce qui suit:
À la question de savoir comment les agents de l'ACDI ont évalué l'état des victimes, la délégation a répondu qu'il y aura une visite spéciale pour cela. La rencontre s'est terminée en laissant les participantes insatisfaites et découragées p.c.q. elles s'attendaient à un échange pendant un temps suffisant. Curieusement, aucune visite des bureaux des ONG bénéficiaires des financements ACDI n' a été faite. Et aucune question ne leur a été posée sur la gestion des fonds.
Je termine avec une dernière citation. Il y a un an, soit en décembre 2009, lors d'une rencontre à Goma, 20 organismes ont lancé un appel urgent pour que les efforts visant à mettre fin aux violences sexuelles soit réévalués. Je vous cite ce qui suit:
Il est essentiel que les intervenants nationaux et internationaux partagent une vision commune qui tient compte des réalités des victimes de violence sexuelle, de leurs besoins immédiats, de leurs droits et des objectifs à long terme pour l'avenir. Les victimes doivent être consultées régulièrement et prendre part à toutes les phases du processus décisionnel [...]. Nous devons commencer à parler avec les victimes et à écouter ce qu'elles ont à dire.
Pourquoi ces critiques récurrentes? Comme vous l'avez entendu, elles portent sur le fait qu'on n'écoute pas ce que les groupes de femmes ont à dire et qu'on n'est pas collé à la réalité. Ce sont pourtant deux des objectifs importants du programme. Je peux donner comme explication le choix qu'a fait le Canada de passer par des agences des Nations Unies plutôt que par des groupes de la société civile tels que des ONG internationales, des ONG locales, des institutions locales et des Églises qui sont prêtes à faire ce travail et qui le font déjà. Le choix qui a été fait simplifiait la gestion de l'ACDI: moins de ressources humaines et une supervision légère. En effet, les agents sont allés sur place deux fois par année. Le projet a été conçu comme une action d'urgence réclamant une exécution rapide, ce que peuvent réaliser les agences internationales.
Cependant, des mesures d'urgence qui durent aussi longtemps devraient être examinées. Je vais vous parler d'une difficulté que vous allez comprendre rapidement. D'immenses problèmes de coordination et d'harmonisation, qui n'avaient pas été prévus au début, sont survenus. Vous le savez sans doute. Chaque agence des Nations Unies a sa propre structure, ses propres méthodes, ses propres instruments. Par exemple, pour identifier les victimes de violence sexuelle dans cette région, il y a eu pendant un certain temps 12 formulaires différents, qui ne pouvaient pas être coordonnés.
Évidemment, il y a la dilution des fonds. Le Canada a versé des fonds au FNUAP, à New York, mais entre New York et le petit village congolais de Kamituga, il y a eu beaucoup d'intermédiaires. Je vous donne un exemple des conséquences négatives que cela a entraîné. Voici un extrait du rapport d'évaluation qui a été réalisé:
Dans les rapports entre les Agences et les différents partenaires d'exécution des Projets, tous les partenaires n'étaient pas logés à la même enseigne. Il y a eu parfois des contrats en cascade jusqu'à 5 niveaux. L'Agence contracte avec un partenaire qui sous-contracte avec un autre qui sous-sous-contracte avec un autre encore, et ainsi de suite. Dans cette cascade de délégation et de sous-délégation, il y a au moins deux conséquences. D'une part, plus il y a des niveaux de contractualisation, plus il y a des frais pour la gestion et l'administration, et moins il y a des ressources pour les acteurs qui sont au contact direct avec les victimes et qui exécutent effectivement les activités. Le renforcement des capacités des organisations a profité davantage aux grandes organisations de niveau national ou même international qui reçoivent plus de fonds et qui en plus, ont généralement des capacités pour négocier avec les Agences.
Malgré les bonnes intentions de départ, le projet n'a été ni élaboré ni mis en oeuvre selon les besoins et les capacités des groupes locaux, comme l'a reconnu l'évaluation. Voici un extrait de ce dernier:
La prise en charge des victimes des violences sexuelles doit être conçue à partir des besoins des victimes en tenant compte des éléments de contexte et non à partir des besoins des organisations et des agences.
Le constat est assez clair.
Voici une deuxième explication. L'approche individuelle que nous utilisons, ici en Occident, à l'égard du problème des violences sexuelles est inadéquate et a complètement disqualifié les capacités des Congolaises et des Congolais. De toute évidence, les soins médicaux doivent s'adresser à chacune des victimes individuellement, une par une, même si leur nombre se chiffre à 200 000. Par contre, tout le reste, soit le suivi psychosocial, l'accompagnement et la réinsertion dans les communautés, ne peut se faire au niveau individuel. Dans le cadre du projet, on a voulu intégrer la méthode de counselling individuel auprès de chacune des victimes. Or c'est impossible et contraire à la tradition africaine, comme c'est le cas ici au Canada dans le cas des Autochtones. Ce fait a d'ailleurs été reconnu. Il y a une comparaison intéressante à faire, à cet égard. Les Congolaises se sont senties démunies, incompétentes, dépendantes des experts internationaux, qui coûtent beaucoup plus cher. Voici à ce sujet un extrait du rapport d'évaluation:
C'est la participation communautaire, le volontariat des acteurs qui a permis d'aboutir au niveau de résultats obtenus. Sans cette participation communautaire, s'il avait fallu rémunérer les conseillères, les agents psychosociaux, on n'aurait pas obtenu le même rapport ressources utilisées/résultats obtenus.
Ceci n'était ni voulu ni prévu au début, mais c'est ce qui s'est passé. Là où les groupes de femmes ont eu une certaine liberté, dans les villages, elles se sont approprié leur méthode de counselling et d'accompagnement de groupe. Dans le rapport d'Ideaborn, on ne reconnaît pas qu'il y a là une approche véritablement différente de celle appliquée par l'ensemble des agences internationales qui interviennent sur le terrain. C'est une différence dont il faudrait tenir compte.
Je termine en abordant la question très difficile des résultats issus du projet canadien et aussi de l'ensemble des projets. Les violences continuent, et maintenant, elles se répandent. Ce ne sont plus les rebelles qui les commettent. Ce sont maintenant les forces armées de la République démocratique du Congo, de même que de plus en plus de civils. À cet égard, l'impunité est la règle générale. Au sujet des deux objectifs du projet, qui étaient de contribuer à la prévention et à la réduction des violences sexuelles et au renforcement des capacités des acteurs, on a tout faux. Je crois qu'il faudrait vraiment revoir les pratiques. Pourquoi? Je vous donne quelques raisons.
D'abord, l'évaluation du projet conjoint indique que dans l'ensemble de ses activités, les femmes violées sont présentées uniquement comme des victimes sans recours. Jamais les violences sexuelles n'ont été présentées comme des atteintes aux droits de la personne, ou comme des crimes de guerre, et cela, autant lors les rencontres de sensibilisation que devant les tribunaux. C'est un aspect pourtant essentiel dans le soutien aux groupes de femmes militantes. Ces dernières peuvent apporter de réels changements dans les mentalités, dans une région où l'égalité entre les hommes et les femmes, si elle est promue dans la législation, n'est pas intégrée dans les moeurs et coutumes.
Ensuite, dans le projet conjoint, on utilise les mêmes normes en ce qui a trait à la violence sexuelle que celles qui sont utilisées dans des projets bilatéraux de construction de routes et d'écoles ou de renforcement des institutions politiques. Ce faisant, on a un peu dénaturé les résultats — je termine ici. On a produit des statistiques éloquentes, et avec raison. On doit le reconnaître. Cependant, en menant le programme de cette façon, en évaluant les résultats en fonction des objectifs, et en instrumentalisant chacun des volets, on a fait en sorte de complètement dépolitiser cette problématique. Or, dans le cas de la République démocratique du Congo, les violences sexuelles sont une question éminemment politique.
Ce n'est ni le Canada ni la communauté internationale qui va résoudre ce problème en RDC. Ce sont les Congolaises et les Congolais eux-mêmes qui vont le faire. Cependant, dans les projets d'accompagnement, de soutien, de renforcement, nous devons faire en sorte que nos actions contribuent à ce que les Congolaises, plus particulièrement, disposent d'un plus grand pouvoir, pour le dire simplement.
Je termine ici. Même si j'ai pris beaucoup de temps, j'aurais beaucoup d'autres suggestions et propositions spécifiques pour le Canada dans sa contribution à la RDC.
:
Merci, monsieur Tougas.
Je remercie également tous nos témoins.
[Traduction]
Nous avons assez de temps pour une série de questions à sept minutes. Je vais essayer de voir à ce que nous terminions un peu plus tôt parce que M. Marston m'a parlé d'un point qui, à mon avis, mérite qu'on s'en occupe à la fin de la réunion, et j'aimerais réserver assez de temps pour le faire. Nous avons aussi une motion qui pourrait être présentée par M. Hiebert.
Je vais profiter du fait que j'ai la parole en ce moment pour poser une question à M. Miller.
Un des problèmes que nous avons eus par rapport à cette question — et c'est un problème pour tous ceux qui se penchent là-dessus —, c'est qu'il s'agit, tout bien considéré, d'une situation fort différente des génocides, où il est relativement facile de faire le décompte du nombre de victimes. Il peut y avoir des tentatives de le cacher, comme ce fut le cas à Katyn, par exemple, mais il est très difficile de dissimuler les preuves — les données statistiques — sur le nombre de personnes tuées. Le problème, c'est que nous avons tendance à ne pas obtenir les chiffres concernant les abus sexuels, les viols, etc.
Vous avez mentionné des chiffres assez probants: 50 000 en Bosnie et quelque part entre un quart de million et un demi-million au Rwanda. Ce sont des chiffres arrondis, de toute évidence. Pour notre gouverne, y a-t-il une source centralisée où l'on recueille ce genre de données? C'est ma première question. Deuxièmement, à ce sujet, devrions-nous considérer qu'il s'agit là du nombre de victimes ou du nombre d'incidents?
:
Merci, monsieur le président.
Je vais aussi prendre votre question comme point de départ, parce que c'est une question que je voulais poser.
[Français]
Je vais poser la même question à Peter Miller et à Sophie Toupin. S'il y a du temps, je vais aussi poser une question à Denis Tougas.
[Traduction]
Monsieur Miller, vous avez parlé de la violence sexuelle comme d'un phénomène universel. Les exemples que vous avez donnés — le Sierra Leone, la Bosnie et le Rwanda — ne sont que certains cas. Comme vous l'avez dit, et vous êtes mieux placé que n'importe lequel d'entre nous pour le savoir, on pourrait continuer la liste avec la RDC, le Soudan, etc.
Pour ce qui est des problèmes, vous avez nommé deux problèmes fondamentaux: la sous-représentation des femmes tant dans les corps policiers que dans les forces de sécurité et le besoin d'intégrer les femmes dans ces processus, aussi du fait qu'elles sont particulièrement vulnérables dans les camps pour personnes déplacées, comme ceux en Haïti, où il y a 1,3 million de personnes.
[Français]
Madame Toupin, vous avez parlé d'une approche globale qui est nécessaire pour résoudre ces problèmes.
[Traduction]
Je vous demanderais tous les deux de répondre à la même question. Quels sont les principaux obstacles — au Congo, en Haïti, au Soudan et au Pakistan — à la protection contre les violences sexuelles à l'égard des femmes et des enfants?
Pour vous aider, je vais préciser la question, si vous le permettez.
[Français]
Est-ce qu'il y a des lois, des politiques gouvernementales, qui empêchent
[Traduction]
prémunir les femmes et les enfants contre la violence sexuelle? C'est la première question.
[Français]
Est-ce qu'il y a des lois, des politiques gouvernementales
[Traduction]
qui favorisent un environnement propice à cette violence sexuelle
[Français]
faite aux femmes et aux enfants?
:
Merci, monsieur Cotler.
Relativement à cela, il semble que certains des principaux obstacles sont que les pays où nous travaillons et que nous visitons... La semaine dernière, j'étais en Ouganda et je parlais au chef de police du Sud-Soudan. Quand je lui ai demandé quel est son plus important défi, il n'a pas parlé de la sécurité relative au référendum. Il a parlé de la violence sexuelle fondée sur le genre et de l'aide internationale nécessaire pour la formation des agents de police.
Il a aussi dit que la question ne concernait pas que les forces policières. La question renvoie au fait que le système judiciaire doit avoir les lois nécessaires pour poursuivre ces gens, et elle renvoie aussi aux tribunaux.
Il y a beaucoup d'obstacles de nature structurelle. Vous parlez de nombreux de nouveaux pays. Au Timor-Oriental, où j'ai travaillé, il n'y avait aucune loi au début, de sorte que les gens voyaient là la possibilité d'avoir carte blanche et de faire ce qu'ils voulaient.
Ce sont certains des obstacles. Le CPMP, le Centre Pearson pour le maintien de la paix, a fait beaucoup de travail au Soudan dans le cadre des missions de la MINUAD, et de la mission au Soudan aussi, l'UNMISUD, pour offrir aux agents de police de la formation sur les méthodes d'enquête sur la violence sexuelle fondée sur le genre. Nous ne formons pas seulement les agents de police locaux, mais aussi les agents de police de l'ONU, qui viennent de partout dans le monde, mais qui n'ont pas eux-mêmes l'expérience nécessaire pour mener ces enquêtes.
Voilà un des obstacles principaux: l'absence de l'expertise nécessaire pour enquêter sur ces crimes très graves.
Je cède la parole à Sophie. Elle veut peut-être ajouter quelque chose.
:
Merci, monsieur le président.
Il y a beaucoup d'informations dans ce que vous dites. De plus, vos interventions suscitent beaucoup de questions. Je vais essayer d'aller droit au but.
Madame Toupin, vous avez parlé du projet de former plus de femmes pour les intégrer aux processus de maintien de la paix. À ce sujet, on dit qu'à ce jour, il y a encore moins de 10 p. 100 de femmes dans les effectifs. J'imagine que vous avez un programme et du financement. Est-ce que ce financement est à terme? Est-ce que le programme va être reconduit? Est-ce que votre financement de base pour réaliser ce genre de projet est menacé?
Je vais rapidement passer à un autre sujet. Monsieur Tougas, je crois savoir que si tout cela ne fonctionne pas, en résumé, c'est qu'on ne met pas à contribution la société civile, on ne la consulte pas, on ne tient pas compte, sur le plan international ou chez les pays donateurs, de la problématique, des moeurs, de la culture, des valeurs. C'est pourquoi on n'a pas les résultats qui étaient souhaités au moment où on a mis en place le premier projet qui va se terminer avec l'écoulement des 15 millions de dollars que le gouvernement canadien a avancés.
On nous dit que le plan d'action du gouvernement, qu'il a émis au moment où il souhaitait avoir un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, est un très bon plan qui contient des voeux pieux, mais qui ne renferme rien de nouveau, tant pour ce qui est du financement que des objectifs à atteindre.
J'aimerais que vous commentiez cette question. Je vais arrêter pour vous donner la parole.
:
Merci, monsieur le président.
Nous avons accueilli un certain nombre de témoins. Une des choses qui ressort des témoignages que nous avons entendus, c'est que dans les conflits ou les guerres où l'on utilise les agressions sexuelles comme un instrument de guerre, ces actes semblent se répandre dans la société. Dans beaucoup de sociétés dont nous avons entendu parler, les femmes, en particulier, sont rabaissées, avant toute chose.
Il semblerait, aussi, que dans certains de ces conflits, les dirigeants militaires ignorent ces activités, s'ils ne les encouragent pas, parce que cela entache les autres tribus ou les autres groupes. Pendant une réunion précédente, on a souligné à quel point les femmes sont ciblées.
Eh bien, je penserais que ce sont les hommes qui sont ciblés et que les femmes sont le moyen d'atteindre les hommes d'une collectivité. Si on a une société où on évite les femmes après qu'elles aient été victimes d'une attaque dans laquelle elles n'ont aucune responsabilité, et qu'il n'y a personne pour attraper les responsables... Pendant que j'écoute les témoignages sur les efforts qui sont faits pour les aider, je suis curieux de savoir ce qui se passe de l'autre côté.
Quels efforts ont été faits pour changer les mentalités, tant chez les militaires que dans la société afin, d'abord, de valoriser les femmes? Je vous dirais que de placer des femmes dans les postes dont vous parlez fait certainement partie de la solution, mais il me semble que ce doit être un processus d'éducation beaucoup plus large.
Quelqu'un aimerait faire un commentaire?
:
D'autres programmes ont été mis en place. Ceux-ci faisaient des victimes des actrices du rassemblement communautaire. Ce sont des projets, je ne vous le cacherai pas, qui ont été présentés à l'ACDI en 1996-1997, mais qui ont été refusés sous prétexte qu'aucun scientifique n'avait démontré l'utilité de telles choses.
Toutefois, des récents projets ont démontré le bien-fondé de ne pas travailler uniquement avec des victimes, mais plutôt avec un ensemble de femmes. Le dernier projet auquel je fais référence a été mené par la Commission épiscopale Justice et Paix de l'Église catholique dans trois territoires. Ce projet a connu beaucoup de succès. Les femmes n'ont pas été mises de côté, elles ont participé aux activités d'éducation, d'alphabétisation, ainsi qu'aux activités économiques.
Je reviendrais à la première question que vous avez posée. Au Congo, le viol n'était pas une pratique courante avant 1996. Il y avait des violences, mais jamais de cette ampleur. Plutôt que la pression, les convictions morales des chefs et la tradition empêchaient cela. Dans un village, on ne permettait pas que quelqu'un soit violé.
La guerre est venue et les miliciens ont enrôlé des jeunes. Ceux-ci sont devenus armés, plus riches et ont défié les autorités des Églises. Ils ont défié les autorités traditionnelles et les ont ridiculisées. La cohésion a complètement éclaté.
Comme vous l'avez entendu, les actes dont on parle maintenant ne sont pas des actes de désir sexuel. Quand on viole des femmes devant leurs maris et devant leurs enfants, on veut casser quelque chose. Malheureusement, c'est efficace.
Au Congo, il commence maintenant à y avoir un nouveau type de réaction. Quand il y a des viols massifs, comme à Walikale au mois de septembre alors que 300 femmes ont été violées dans 7 villages, les maris, plutôt que de renvoyer leurs femmes, se sont rassemblés en se disant que c'était une attaque contre eux, les hommes avec leurs femmes.
Je crois qu'il faut aller dans ce type de direction.