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Aujourd'hui, le 10 mars 2011, nous tenons la 50
e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international dans le cadre de la 40
e législature.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des implications de la Loi sur l'immunité des États.
Nous accueillons deux témoins aujourd'hui. L'un d'eux est ici, et l'autre témoignera par téléconférence. Nous leur demanderons d'y aller de leur exposé, puis nous passerons aux questions, qui s'adresseront aux deux.
Après, je propose que nous réduisions le temps alloué aux questions pour nous occuper des deux ou trois motions présentées par des membres du comité et pour voir si nous pouvons parvenir à un consensus. Puisque nous ne savons pas combien de temps sera nécessaire pour en débattre, je propose de traiter de ces deux points à la fin plutôt qu'au début. Cela vous convient-il?
Une voix: D'accord.
Le président: Bien. Fantastique.
Nous allons commencer par M. Larocque. Il vient de l'Université d'Ottawa, et il est dans la salle. Quand il aura terminé, nous donnerons la parole à M. Grossman, qui se joindra à nous par vidéoconférence, de Montréal.
Monsieur Larocque, vous pouvez commencer.
:
Membres distingués de ce comité, je vous remercie chaleureusement de m'avoir invité à témoigner devant vous concernant les implications de la Loi sur l'immunité des États et du projet de loi . Je suis conscient que le projet de loi n'est pas présentement à l'étude devant ce comité. Cependant, mes propos relativement aux implications de la Loi sur l'immunité des États reflètent mon soutien à ce que le projet de loi C-483 prévoit apporter à l'état du droit.
[Traduction]
Je m'appelle François Larocque. Je suis avocat, professeur agrégé et vice-doyen de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Ces 10 dernières années, j'ai consacré ma recherche universitaire aux diverses questions d'ordre juridique liées aux litiges en matière de droits de la personne, à l'échelle internationale; il s'agit de poursuites judiciaires intentées dans un pays par rapport à des violations graves aux droits fondamentaux de la personne commises dans un autre pays.
À titre d'avocat en exercice — directement ou comme conseiller, tant au Canada qu'au Royaume-Uni —, j'ai participé à plusieurs poursuites intentées par des survivants d'actes de torture cherchant à obtenir le droit de recours civil contre les gouvernements qui les ont torturés. Il y a notamment le procès Bouzari et, tout récemment, les poursuites intentées contre l'Iran par la succession de Zahra Kazemi et par Stephan Hachemi.
[Français]
Dans le cadre de ces poursuites, les tribunaux de l'Ontario et du Québec ont conclu que la Loi sur l'immunité des États avait pour effet de protéger les gouvernements qui commettent la torture et de protéger aussi les tortionnaires. Autrement dit, notre Loi sur l'immunité des États a pour effet d'assurer l'impunité face aux violations les plus claires du droit international.
Manifestement, l'actuelle Loi sur l'immunité des États est déficiente et doit être modifiée, afin que les Canadiens et les Canadiennes qui ont survécu aux supplices de la torture aient accès à la réparation en justice à laquelle ils ont droit. C'est pourquoi j'estime que le projet de loi C-483 mérite le soutien de tous les honorables membres de ce comité lorsqu'il sera à l'étude, ce que je souhaite.
[Traduction]
Le projet de loi est une bonne idée dont le temps est venu, tout simplement. Dans mon exposé, comme il est indiqué dans le résumé que j'ai fait circuler, j'aborderai brièvement trois points. Je serai honoré de donner plus de détails à ce sujet dans mes réponses aux questions des députés.
Comme vous le savez, les crimes pour lesquels le projet de loi prévoit créer une exception en vertu de la Loi sur l'immunité des États — le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et la torture — sont prohibés en vertu des normes impératives du droit international, du droit canadien et de la common law. Il n'y a pas d'exemples plus éloquents de violation des droits fondamentaux et universels de la personne que ces crimes.
Le projet de loi est une bonne idée parce qu'il règle une incohérence internationale. Bien que les pays de droit civil permettent aux victimes d'intenter des poursuites dans le cadre d'un procès pénal, le Canada ne le permet pas. Je suis d'avis que les Canadiens qui ont survécu à la torture et à des crimes contre l'humanité méritent tout autant de pouvoir poursuivre les auteurs de ces crimes que les survivants qui habitent en France, en Italie ou en Espagne. Le projet de loi C-483 réglerait ce problème.
Le projet de loi est également une bonne idée parce qu'il règle une incohérence canadienne. En 2000, lorsque le Canada a adopté la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre pour satisfaire à ses engagements en vertu du Statut de Rome, il a expressément retiré tout droit à l'immunité dans le cadre des procès pénaux pour ces crimes, mais n'a rien fait pour permettre les poursuites civiles pour ces mêmes gestes.
Je suis d'avis que si un tortionnaire ou un génocidaire ne peut invoquer l'immunité dans le cadre d'un procès pénal, il n'y a en principe aucune raison justifiant qu'on lui permette de réclamer l'immunité dans le cadre d'une poursuite civile.
[Français]
J'arrive au deuxième point du plan de la présentation que j'ai fait circuler.
Le projet de loi s'inscrit dans la tendance mondiale visant le retrait de l'immunité à l'égard des violations graves des droits fondamentaux de la personne. Dans leur témoignage de mardi dernier, Matt Eisenbrandt et Jayne Stoyles, du Centre canadien pour la justice internationale, ont évoqué à cet égard les développements juridiques dans la Loi sur l'immunité des États aux États-Unis, dans la jurisprudence de la Cour de cassation de l'Italie et dans les travaux du Comité des Nations Unies contre la torture. En 2005, ce comité reprochait au Canada d'avoir manqué à ses obligations internationales en ne permettant pas à toutes victimes de torture d'obtenir, dans tous les cas, la réparation en justice à laquelle elles ont droit.
Je tiens à souligner deux développements supplémentaires. Premièrement, dans son rapport de 2005, le Comité des Nations Unies contre la torture a émis des commentaires négatifs à l'égard du Canada. Il a fait les mêmes reproches à l'égard d'autres pays, en l'occurrence le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud. Selon le comité, ces pays, comme le Canada, ne respectent ni la lettre ni l'esprit de la Convention contre la torture. C'est quelque chose que je tenais à porter à votre attention.
Deuxièmement, vous le savez peut-être déjà, il y a eu la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens qui a été conclue en 2004. À l'heure actuelle, seulement 28 pays ont signé cette convention et 11 seulement l'ont ratifiée. Pour tout dire, c'est une convention qui ne fait pas l'unanimité à l'échelle internationale parce qu'elle codifie et reprend essentiellement les mêmes exceptions que nous retrouvons dans notre Loi sur l'immunité des États, une loi qui est déficiente.
Je tiens à souligner quelque chose au sujet de cette convention. Des huit pays qui l'ont ratifiée, trois d'entre eux — la Suisse, la Norvège et la Suède — ont déclaré que cette convention ne portait pas préjudice au développement en droit international d'une exception qui favoriserait le déni d'immunité en cas de poursuite pour des violations graves du droit international.
Je vous ai fourni, avec le plan que j'ai fait circuler, un exemple de ces déclarations interprétatives, soit celle de la Suisse, qui a été émise le 16 avril 2010. Je vais la lire en anglais:
[Traduction]
La Suisse considère que l'article 12...
[Français]
il s'agit de l'article équivalant à l'article 6 de notre loi canadienne prévoyant une exception pour les délits commis en sol canadien
[Traduction]
... ne règle pas la question des actions en réparation pécuniaire pour violations graves de droits de l'homme prétendument attribuables à un État et commises en dehors de l'État du for. Par conséquent, cette convention ne préjuge pas les développements du droit international dans ce domaine;
[Français]
Pour tout dire, l'état du droit en matière d'immunité à l'échelle internationale est en pleine évolution.
[Traduction]
Mon troisième et dernier point est que le projet de loi est une bonne idée parce qu'il répond aux recommandations des tribunaux qui ont entendu les affaires Bouzari, Arar et Kazemi.
Dans chacune de ces affaires, à tort ou à raison — je dirais à tort —, les tribunaux canadiens ont conclu que la création d'une nouvelle exception à l'immunité des États concernant les violations graves à la loi internationale relève uniquement du Parlement. Le projet de loi créerait de telles exceptions pour cas d'infractions à la loi internationale les plus évidents et ferait en sorte que seules les demandes légitimes seraient entendues par nos tribunaux.
Dans le même ordre d'idées, je recommanderais au comité — s'il devait un jour étudier l'avant-projet d'une mesure législative visant à modifier la Loi sur l'immunité des États — d'adopter un libellé qui clarifierait la relation entre la Loi sur l'immunité des États et l'évolution constante du droit relatif à l'immunité des États de la loi internationale et de la common law. Le dernier article que je vous ai fourni, qui est la disposition interprétative de la Suisse à cet égard, est un bon exemple de ce genre de libellé.
En terminant, le projet de loi n'est pas seulement une bonne idée; c'est aussi la bonne chose à faire pour retirer l'immunité aux gouvernements qui violent ouvertement les droits fondamentaux de la personne . Il donne aussi accès à la justice aux survivants, qui ont déjà tant souffert.
Je remercie le comité du temps qu'il m'a accordé.
[Français]
Membres distingués du comité, j'aimerais vous remercier sincèrement de cette occasion de témoigner devant vous. Je crois que tout le monde ici présent reconnaît l'importance des questions dont ce comité est saisi. On a distribué à cet égard un bref survol du contenu de mes commentaires aujourd'hui.
Je suis un avocat montréalais au sein du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt. Je suis membre du Barreau du Québec et de l'Association du Barreau de l'Ontario. J'enseigne actuellement un cours sur le droit de la preuve à l'Université McGill. Au cours de ma carrière, j'ai eu le privilège de travailler avec l'honorable juge Michel Bastarache, alors qu'il était juge à la Cour suprême du Canada, et avec l'honorable Irwin Cotler sur des questions touchant aux droits de la personne, dont celle concernant l'immunité des États. J'agis présentement comme procureur pour le Centre canadien pour la justice internationale dans le dossier Kazemi contre l'Iran. Je dois souligner que je témoigne aujourd'hui uniquement à titre personnel et non en tant que représentant de l'une de ces organisations.
[Traduction]
Dans le document que j'ai fait parvenir au comité, j'ai souligné trois principes que je considérerais comme les points de départ de notre étude des implications de la Loi sur l'immunité des États. Je crois que ces principes suscitent relativement peu de controverse.
Le premier, c'est que nous sommes convaincus que notre système judiciaire est équitable autant pour les Canadiens que pour les parties qui comparaissent devant les tribunaux. Sur la scène internationale, nos tribunaux ont, à juste titre, la réputation d'être des bastions de justice et d'impartialité. De plus, j'aimerais insister sur le fait que dans notre système judiciaire, il existe des procédures accessibles à tous les défendeurs leur permettant de rejeter sommairement les accusations ou les allégations abusives ou non fondées qui pèsent contre eux. Il n'est pas nécessaire que cela se limite aux cas liés aux États étrangers; tous les défendeurs peuvent s'en prévaloir. Cela fait partie de l'équité et de la teneur de notre système judiciaire.
Le deuxième principe, c'est qu'en droit canadien, le caractère absolu de l'immunité n'existe pas. Récemment, dans sa décision dans l'affaire Kuwait Airways, la Cour suprême a eu l'occasion de donner son avis sur cette question précise. Comme il est indiqué au paragraphe 24 de la décision, la Loi sur l'immunité des États a clairement écarté la doctrine du caractère absolu de l'immunité de juridiction des États étrangers. En l'occurrence, le principe sur lequel nous nous fondons pour entreprendre cette étude, celui qui nous amène à étudier les implications de la Loi sur l'immunité des États, c'est que pour les États étrangers, le caractère absolu de l'immunité n'existe pas.
Le troisième principe, c'est que la torture, le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre — autrement dit, les crimes dont traite le projet de loi — sont des crimes particulièrement odieux, et le gouvernement ne devrait pas tourner le dos aux victimes de ces actes. Et ce que je veux dire, c'est que cela vaut autant pour le côté moral que judiciaire.
Sur le plan juridique, le Canada a des obligations internationales par rapport à la torture, au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre. En droit international coutumier, tous ces crimes sont clairement interdits. Au niveau pénal, comme M. Larocque l'a mentionné, le Canada a adopté des mesures pour certains de ces crimes. J'aimerais souligner qu'à l'échelle internationale, en vertu de certains mécanismes comme la Convention des Nations Unies contre la torture, le Canada a des obligations précises au civil aussi. L'article 14 de la Convention des Nations Unies contre la torture stipule:
Tout État partie [cela comprend le Canada] garantit, dans son système juridique, à la victime d'un acte de torture, le droit d'obtenir réparation et d'être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible.
Partant du troisième principe, c'est-à-dire de l'obligation morale et juridique du Canada de ne pas abandonner les victimes à leur sort, nous arrivons à l'essentiel de mon exposé: par rapport à ces crimes, quels aspects de la Loi sur l'immunité des États et de ses implications devons-nous examiner? Cela m'amène à appuyer le projet de loi sans réserve et à demander au comité de faire de même. Dans cette optique, nous pouvons considérer le projet de loi C-483 non seulement comme une mesure, mais en fait — à bien des égards — comme une mesure conservatrice qui traite des questions de l'immunité des États dans un contexte d'impunité, dans le contexte des crimes les plus odieux connus de l'humanité.
Je crois qu'il est juste de dire qu'il appartient au Parlement de régler la question par l'adoption d'une mesure législative. En effet, comme l'a dit M. Larocque, dans la mesure où les tribunaux canadiens ont statué sur cette question et conclu que l'immunité de l'État existe dans ces domaines, ils l'ont fait en fonction de la Loi sur l'immunité des États, et en se fondant sur le principe selon lequel ils estiment représenter la volonté du Parlement.
Je dirais, bien respectueusement, que le Parlement n'avait pas l'intention de régler la question de l'immunité des États étrangers à cet égard. Cependant, relativement à la torture, au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre, d'un point de vue international, de même qu'en fonction du principe général des pays de droit civil, on constate — par le biais de leur système de partie civile et par des décisions comme celle de l'Italie, comme M. Larocque l'a mentionné — que l'immunité est quelque chose que la loi internationale ne permet plus, même dans le contexte civil. Si les tribunaux canadiens accordent l'immunité pour ces crimes, on suppose que c'est uniquement parce que les décisions sont fondées sur la Loi sur l'immunité des États. À cet égard, nous croyons que le comité et le Parlement ont l'obligation morale et légale d'adopter le projet de loi .
En clair, la Loi sur l'immunité des États est une loi fédérale qui ne devrait pas être utilisée comme base pour perpétuer une injustice contre les victimes. À cet égard, le projet de loi ne peut être considéré comme rien d'autre qu'une exception à une exception. Dans certaines circonstances seulement, c'est ce qui, selon certains juristes, supprime un obstacle que semble créer la Loi sur l'immunité et c'est ce qui permet à la justice de suivre son cours dans le cadre de notre système judiciaire reconnu et juste.
De plus, le projet de loi respecte le rôle des parties en litige. Le litige est un processus très difficile, et j'oserais dire que c'est particulièrement vrai pour les victimes de crimes comme la torture et le génocide. Financièrement et psychologiquement, le litige est difficile. Le projet de loi n'enlève pas ce fardeau pour les demandeurs. Qui plus est, il ne force pas l'État canadien à jouer un rôle actif dans la poursuite des États étrangers en justice. Il permet simplement aux victimes de crimes atroces de laisser la justice suivre sont cours. Il élimine simplement un obstacle pour les victimes de ces crimes, dans la mesure où l'on considère que la Loi sur l'immunité des États crée cet obstacle.
En clair, je dirais que les États étrangers accusés d'avoir commis un génocide et d'autres crimes atroces ne méritent pas d'être traités mieux que d'autres défendeurs dans notre système judiciaire.
Le projet de loi ne fait pas beaucoup de choses importantes. Il n'accorde rien de plus aux tribunaux canadiens. Au contraire, il favorise de façon explicite les recours utilisés dans les tribunaux de ces pays étrangers. Il n'étend pas la compétence territoriale des tribunaux canadiens à cet égard, et il ne s'agit pas d'une innovation au point de vue international ou national.
La Loi sur l'immunité des États reconnaît déjà que des exceptions à l'immunité existent et que l'immunité absolue n'est pas la règle au Canada. En d'autres termes, ce que nous examinons, c'est la possibilité de tracer une ligne. Nous ne sommes pas saisis de la question de savoir si l'immunité des États étrangers est une bonne idée. Ce type d'immunité absolue a déjà été rejeté par le Parlement et les tribunaux, et sur la scène internationale.
La question qui nous occupe, c'est de savoir où tracer la ligne. Je fais respectueusement valoir qu'il ne faut pas tracer la ligne d'une façon qui nous amènerait à punir deux fois les victimes de torture, de génocide, de crime contre l'humanité et de crime de guerre. Je fais respectueusement valoir aux membres honorables du comité que l'appui du projet de loi fera progresser le droit au Canada, sera utile pour que justice soit faite et fera en sorte que les États étrangers défendeurs qui sont accusés de crimes atroces ne bénéficieront pas d'un traitement de faveur indu en vertu de la loi.
Je serai ravi de répondre à vos questions à cet égard. Je vous remercie beaucoup du temps que vous m'avez alloué.
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Je remercie beaucoup les témoins de leur présence.
Bien entendu, j'appuie fermement le projet de loi que propose mon honorable collègue, M. Cotler. Je veux seulement faire deux ou trois remarques pour ensuite poser une question.
La tendance que j'observe, c'est que petit à petit, nous acceptons le droit international et reconnaissons davantage sa valeur, et je crois que le projet de loi apporte une contribution en ce sens. Il démolit la culture de l'impunité derrière laquelle bon nombre d'États et de dictateurs peuvent se cacher depuis tant d'années alors qu'ils tuent massivement leur population.
Si la mesure législative était déjà en vigueur, j'aimerais savoir quel effet elle aurait sur deux situations en particulier. Je veux vous entendre tous les deux à ce sujet ou connaître le point de vue de celui d'entre vous qui se sent le plus à l'aise pour répondre.
Dans le cas de Stephan Hachemi, dont la mère a été tuée en Iran, est-ce que la mesure législative lui permettrait de poursuivre plus facilement au civil les tueurs d'une citoyenne canadienne, soit sa mère?
L'autre cas, c'est celui du retour de Duvalier à Haïti. Je suis très préoccupé par ce qui se passe dans ce pays. Beaucoup d'Haïtiens au Canada ont souffert sous son régime. Seraient-ils capables de le poursuivre pendant qu'il se trouve à Haïti? Je crois que son retour accroît l'instabilité au pays. Si la mesure législative était en place, permettrait-elle aux Canadiens qui vivent ici d'agir?
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Je vais tenter de répondre en premier et je laisserai David répondre dès qu'il sera prêt.
En ce qui concerne la situation de Stephan Hachemi, le projet de loi serait utile. Toutefois, comme vous le savez peut-être, la Cour supérieure du Québec a reconnu que Stephan Hachemi avait déjà les motifs nécessaires pour entamer des poursuites et que l'immunité ne s'appliquait pas dans son cas, en raison des troubles émotionnels dont il a souffert au Canada. Puisqu'il a subi des torts ici, l'Iran ne bénéficiait donc pas de l'immunité.
Cela étant dit, le jugement qu'a rendu la Cour supérieure du Québec a créé une situation particulière où les membres de la famille d'une victime de torture obtiennent réparation, mais où les victimes elles-mêmes qui sont à l'extérieur du Canada n'ont aucun recours. Le projet de loi serait donc utile à cet égard, vraiment très utile.
En ce qui concerne Duvalier, à mon avis, comme il n'est plus chef d'État il ne pourrait pas bénéficier de l'immunité d'aucune façon. Ainsi, les règles normales de juridiction s'appliqueraient. Si jamais l'on faisait valoir qu'il mérite l'immunité, il est clair que le contenu du projet de loi viendrait annuler cet argument.
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Je vais en profiter pour continuer sur la même lancée que M. Larocque.
Le projet de loi pourrait être utile aux plaideurs, car il élimine l'argument de l'immunité automatique qui permet aux États d'invoquer l'impunité en méprisant les tribunaux canadiens.
En ce qui a trait à la situation d'Hachemi et de Kazemi, nous avons un jugement de la Cour supérieure du Québec. J'approuve la décision de la cour dans la mesure où elle permet à l'affaire Stephan Hachemi de se poursuivre. Il y a présentement appel sur cette affaire, où l'on tranchera la question concernant M. Hachemi et la succession.
Les faits dans cette affaire nous permettent de dire que le libellé actuel de la Loi sur l'immunité des États fait en sorte qu'on peut poursuivre l'Iran sans susciter la question de l'immunité au Canada. Toutefois, nous sommes encore dans l'attente d'un jugement à cet effet. Nous n'avons même pas encore été devant la Cour d'appel. Il est certain que les faits dans l'affaire Kazemi sont utiles.
L'élément du projet de loi qui nous aide le plus, c'est que nous pouvons démolir, dès le début, l'argument de l'impunité que présentent les États étrangers sans devoir passer par tous ces débats. Dans l'exemple d'Haïti, dans la mesure où une telle demande serait faite, le projet de loi la détruirait. Je crois que c'est le fait de réduire à néant cette demande qui importe concernant l'argument de l'impunité, pas seulement de l'immunité, mais de l'impunité des États étrangers.
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Merci, monsieur le président.
Je suis ravi que nos deux témoins fassent valoir leur expérience aujourd'hui.
Je vais commencer par M. Larocque. Bien sûr, monsieur Grossman, si vous voulez répondre aussi, je serai heureux d'écouter ce que vous aurez à dire.
Je suppose que vous connaissez tous les deux le projet de loi du sénateur LeBreton. Il y a des ressemblances. Je pense que le projet de loi aurait été plus efficace si l'on avait jugé bon d'y ajouter ce que M. Cotler a inclus dans le sien en ce qui a trait au génocide, aux crimes contre l'humanité, etc. Les Canadiens en général seraient très surpris du confort, si l'on peut dire, que nous procurons aux autres pays dont les leaders contribuent à la torture. Je suis certain qu'ils seraient surpris et assez incrédules.
L'une des préoccupations, par contre, c'est d'en venir à un point où dans la loi, nous commençons à qualifier des pays de terroristes. Il faut alors déterminer qui est un terroriste et qui ne l'est pas et, bien entendu, certains pays occidentaux ont tendance à être sélectifs. Par exemple, en 1979, j'ai passé six mois en Arabie saoudite et j'ai vu des gens là-bas qui étaient soumis à de la torture par leur propre gouvernement pour diverses raisons.
Songez au fait que les gens qui ont participé aux attentats du 11 septembre venaient d'Arabie saoudite, mais nous ne disons pas que l'Arabie saoudite est un pays terroriste; de plus, des milliers de personnes vont à Cuba chaque année, et des pays choisissent de qualifier Cuba d'État terroriste. Il doit y avoir un équilibre. Ce que je veux dire, c'est que si l'on parle d'extradition des États-Unis vers la Syrie, c'est très troublant.
De quelle façon régleriez-vous la situation? Devrait-on même aller jusqu'à qualifier des États de terroristes?
:
Je vais répondre en ajoutant très rapidement deux points pratiques et un point théorique.
Premièrement, si le gouvernement fédéral adopte un mode opératoire qui consiste à ajouter continuellement des pays à la liste et à surveiller tout ce qui se passe, cela lui imposera une dure obligation sur le plan pratique. Si le Canada est bien intentionné et de bonne foi et s’il tient à demeurer équitable, il sera forcé de veiller à ce que la liste soit toujours à jour, au fur et à mesure que les circonstances évoluent.
Mon deuxième point découlant du premier est que le Canada devra alors s’employer à faire traduire des États étrangers en justice beaucoup plus activement que ne le prévoit le projet de loi .
Comme je l’ai mentionné, le projet de loi impose aux plaideurs privés le fardeau de rechercher un règlement à leurs différends devant les tribunaux. Le gouvernement fera en sorte qu’il y ait cette exception à l’immunité des États mais, ensuite, il ne sera pas forcé de prendre position. Il n’aura pas besoin de déclarer qu’il appuie ou non tel ou tel État. Cette tâche incombera aux plaideurs.
En exerçant des pressions sur le gouvernement pour qu’il tienne à jour une liste de pays contrevenants, on lui demande vraiment de jouer un rôle très actif qui peut lui sembler approprié ou non à ce moment-là.
Finalement, par principe, je n’ai aucun mal à dire que tous les États tortionnaires, tous les États qui se rendent coupables de génocides, tous les États qui commettent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre devraient être exposés par un projet de loi qui prévoit une exception à l’égard de l’immunité des États, car nous croyons que notre système de justice est capable de repousser les plaintes frivoles et abusives. Nous avons foi en sa capacité de le faire.
Il ne fait aucun doute que, dans la mesure où un État est accusé injustement, la cause n’aura pas de répercussions sur lui. Par contre, si nous n’adoptons pas cette position, il y a de bonnes chances que ce projet de loi n’atteigne pas son objectif qui est d’amoindrir grandement l’impunité dont jouissent les États étrangers par rapport à ces crimes.
En ce qui concerne le principe selon lequel tout État avec lequel nous n’avons pas conclu un traité est tenu de se soumettre à notre compétence, je répondrais simplement qu’à bien des égards, nous avons admis que ce n’était pas le cas. Comme je l’ai déjà mentionné, le droit canadien ne reconnaît pas la notion d’immunité absolue. Nous sommes simplement en train de fixer des limites en ce moment. Donc, le point de vue selon lequel tous les États doivent nécessairement se soumettre à la compétence canadienne pour que nos tribunaux puissent porter des jugements à leur égard est une position qui a déjà été invalidée par la version actuelle de la Loi sur l’immunité des États.
Pour ce qui est de ce qui se déroule dans la sphère privée par rapport à des enjeux comme les génocides, les crimes contre l’humanité, la torture et les crimes de guerre, encore une fois, nous ne pouvons pas vous donner une réponse complètement claire. Comme je l’ai indiqué, nous plaidons en ce moment l’affaire Kazemi. Plusieurs éléments précis de cette cause indiquent clairement qu’il est possible que nous puissions exercer notre compétence sur l’Iran, en l’occurrence l’absence de son consentement.
De manière plus générale, j’ajouterais simplement que le consentement à l’égard de la compétence ne représente pas nécessairement le point de départ lorsqu’il est question de ces crimes ou de l’objet de ces poursuites. Il faudra déterminer au cas par cas si un État particulier se soumet ouvertement au jugement des tribunaux de notre pays. À mon avis, le projet de loi indique sans ambages aux pays étrangers que nous n’accepterons pas qu’ils tournent délibérément le dos à notre système de justice et ce, en toute impunité. Nous n’accepterons pas qu’ils déclarent n’être nullement assujettis à nos tribunaux dans ces contextes. Même si, dans le cadre de leur droit national ou de leurs interactions avec leurs citoyens, ces pays étrangers indiquent qu’ils refusent de se soumettre à nos tribunaux, les Canadiens et le gouvernement canadien décréteront qu’ils n’acceptent pas l’excuse de l’impunité lorsque les crimes sont d’une telle gravité. Selon moi, c’est la position de principe qu’adopte le projet de loi C-483.