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Merci beaucoup, monsieur Reid. Je suis reconnaissant et honoré d'être ici aujourd'hui.
Je vais parler pendant environ 15 minutes, pas plus, pour tracer un bref tableau de la situation des droits de la personne au Venezuela et peut-être que nous pourrons parler davantage de certains des points que j'aurai soulevés par après, au cours de discussion.
En ce qui concerne mes propres antécédents, je fais de la recherche sur l'Amérique latine depuis 1983. J'ai écrit 4 ouvrages dans le domaine de la sécurité et de la politique en Amérique latine, y compris mon premier livre intitulé Discovering the Americas, qui est une histoire de la politique étrangère canadienne face à l'Amérique latine jusqu'à l'époque de l'ALENA.
Je reviens tout juste d'un voyage de six semaines en Amérique latine, en Colombie, en Équateur et au Venezuela. Au Venezuela, j'ai interviewé des groupes de défenseurs des droits de la personne, des universitaires, des groupes de gens d'affaires et des responsables gouvernementaux de diverses tendances idéologiques.
Mon exposé aujourd'hui se divise en quatre parties brèves. Premièrement, je vais parler du contexte à partir duquel nous devrions envisager les droits de la personne au Venezuela. Je vais ensuite passer à une discussion des problèmes, ce que je considère comme les aspects positifs, les aspects négatifs et certaines des questions plus ambiguës liées aux droits de la personne au Venezuela. Je vais ensuite aborder la question des points de référence — à savoir, à quoi devrions-nous comparer les droits de la personne au Venezuela? Enfin, et je pense que c'est très important, je vais parler de ce que le Canada peut faire face à la question des droits de la personne au Venezuela.
En ce qui concerne le contexte, vous savez probablement déjà, parce que je sais que vous avez entendu d'autres témoins avant moi, que chaque fois que nous discutons de la politique ou des droits de la personne au Venezuela, la discussion est fortement polarisée. Elle est fortement polarisée au Venezuela même et elle est fortement polarisée à l'extérieur du Venezuela. Au sein du Venezuela, vous avez une situation où les gens qui étaient récemment pauvres, qui ont profité des politiques économiques de Chávez, lui donnent un très fort appui, tandis que la classe moyenne, la classe supérieure ou ceux qui pourraient avoir des affinités pour l'entreprise locale ou internationale trouvent que ses politiques sont très contraires à leurs intérêts.
À l'extérieur du Venezuela, je pense que la discussion est également polarisée entre ceux qui représentent, peut-être, les forces de la droite aux États-Unis, qui disent des choses très négatives au sujet de Chávez sans jamais faire état de ses réalisations positives. Je pense que ce point de vue a tendance à prévaloir dans les médias internationaux, nord-américains et de l'Europe de l'Ouest.
Il existe un autre pôle, celui des universitaires et des ONG de gauche qui se sont fabriqués une image romantique de Chávez. Pour eux, tous les problèmes du Venezuela sont liés à ce qu'ils appellent l'impérialisme américain. Ce que je vous suggérerais, c'est que la voie la plus prudente serait probablement quelque part entre ces deux pôles, et non à l'une ou l'autre des extrémités, mais en prenant conscience des réalisations positives et des aspects négatifs, en termes de droits de la personne.
Je vais commencer par certains aspects positifs et ensuite, je vais parler de certains des aspects négatifs et peut-être ensuite, de certaines questions ambiguës. Je vais parler de ces aspects sous forme de grands titres que nous pourrons peut-être étoffer davantage par après.
Lorsque nous regardons les aspects positifs des droits de la personne au Venezuela, les principales réalisations ont été faites dans le domaine du développement social et économique, en particulier une redistribution du revenu. D'après les données statistiques de la CEPALC, le président Chávez a réduit la pauvreté de 34 p. 100 au cours des 11 dernières années, de 1999 à 2009. Lorsque nous regardons un autre indicateur de la réduction de la pauvreté et du développement social, l'indice de développement humain des Nations Unies, qui classe les pays de la première place jusqu'à environ la 180e place — et je dirais que c'est une mesure encore plus fidèle —, l'an dernier, en 2009, le Venezuela arrivait au 58e rang. À titre de comparaison, cela le plaçait en avant du Brésil, 75e rang, de la Colombie, 77e rang, du Pérou, 78e rang, et de l'Équateur, 80e rang. L'indice de développement humain du Venezuela s'est amélioré entre 2005 et 2009. En 2005, le Venezuela arrivait au 75e rang et, en 2009, au 58e rang.
Plus précisément, il y a un plus grand accès à l'éducation au Venezuela à tous les niveaux, depuis l'école primaire jusqu'à l'université. Il y a un plus grand accès aux soins médicaux; il y a des subventions pour le logement et pour l'alimentation. Il y a eu une redistribution limitée des terres. Je ne pense pas que nous devrions sous-estimer la valeur de ces réalisations. Et je dirais que personne dans ma génération, et je suis à la mi-cinquantaine, n'a fait plus pour aider les pauvres que Chávez. En même temps, il y a des problèmes distincts en ce qui concerne les droits de la personne au Venezuela. Et une trinité de ces problèmes, liés les uns aux autre, comprendrait l'impunité. Et peu importe à qui vous parlez au Venezuela, que ce soit les ONG, les universitaires ou les gens sur la rue, même le gouvernement, l'impunité pour le crime semble un problème énorme et croissant. Les crimes surviennent ou les problèmes surviennent et ils ne font tout simplement pas l'objet d'une enquête ou d'un suivi.
En ce qui concerne la criminalité, les crimes violents en particulier ont augmenté sous le gouvernement Chávez. Comme vous le savez, Caracas figure maintenant au deuxième rang des villes les plus violentes d'Amérique latine, ne cédant le pas qu'à Ciudad Juárez — c'est la ville frontière entre le Mexique et les États-Unis et qui est sur la ligne de front en ce qui concerne les guerres de narcotrafiquants.
Liée à la criminalité et à l'impunité, la corruption est le troisième problème. L'Organisation des États américains a publié un rapport majeur sur la corruption au Venezuela avec la participation du gouvernement; encore une fois, c'est quelque chose qui touche les gens de toutes les classes sociales, que vous ayez affaire à la bureaucratie, aux tribunaux, à la police, etc.
Un autre aspect clairement négatif des droits de la personne au Venezuela, c'est la détérioration des conditions imposées à la population carcérale, qui a doublé au cours des 11 dernières années, même si les crimes ont monté en flèche.
Lorsque nous regardons les aspects plus nuancés des droits de la personne au Venezuela, c'est là qu'il y a certains débats. Un de ces derniers comprend la liberté d'expression. Lorsque nous regardons les plaintes concernant la liberté d'expression, elles ont tendance à être concentrées spécifiquement au niveau des médias électroniques, de la télévision et de la radio, là où les masses prennent leur information. Les plaintes n'ont pas tendance à porter sur les médias imprimés. Le fait est que six stations de télévision et 32 stations de radio ont été fermées par le gouvernement Chávez au cours des deux dernières années. Un autre fait, c'est qu'un certain nombre de journalistes ont été attaqués par des assaillants inconnus en toute impunité.
Où est le débat ici, alors? Lorsque nous regardons le point de vue des ONG qui représentent ces journaliste et qui disent que les stations de télévision ont été fermées, elles vous diront qu'il y a un problème avec la liberté d'expression, la liberté de parole, et qu'il y a un totalitarisme croissant au sein du gouvernement qui tente de limiter la liberté de parole. Lorsque vous demandez au gouvernement quel est le problème, il vous répondra que ces stations ont été fermées parce qu'elles diffusaient des messages subversifs et qu'elles tentaient d'encourager l'utilisation des armes contre le gouvernement démocratiquement élu, que cela n'est pas une question de liberté d'expression, mais une question de terrorisme, de subversion, de trahison. Nous pourrons développer davantage ce débat plus tard.
Il y a également une tendance vers la persécution des opposants politiques du gouvernement. Cela comprendrait un cas récent, l'affaire Azocar, dans laquelle un opposant de Chávez s'est vu interdire de présenter sa candidature à cause d'une accusation de corruption. Un cas semblable, celui de l'ancien gouverneur de Zulia, un État important du Venezuela où est située Maracaibo, a été accusé de corruption et a subi des pressions pour fuir le pays. Mon point de vue, c'est que ces personnes sont probablement coupables de corruption; cependant, il y a une règle de deux poids deux mesures, c'est-à-dire que les supporters du gouvernement Chávez ne sont pas accusés de corruption et il est probable qu'un grand nombre d'entre eux sont aussi coupables que son opposition. Alors, il a été facile pour lui d'accuser sélectivement ses opposants de corruption, mais il y a une règle de deux poids deux mesures.
Un autre problème nuancé en ce qui a trait aux droits de la personne serait le genre de démocratie pratiqué au Venezuela. Au Canada, dans les pays développés nordiques, nous sommes habitués à un mode de démocratie fondé sur des freins et contrepoids. Le modèle vénézuélien et le modèle appliqué dans d'autres pays de l'ALBA ont tendance à être davantage fondés sur le référendum. Ce que vous obtenez dans ce genre de situation, je dirais, bien que ce soit suffisamment démocratique en termes de vote, c'est la tyrannie de la majorité, c'est-à-dire que la même majorité domine à chaque élection et que la minorité est constamment exclue.
Dans un pays comme le Canada, lorsque nous regardons qui sont nos minorités ou lorsque nous examinons la protection des droits des minorités, nous pourrions envisager des gens de couleur, des groupes ethniques, des minorités religieuses, des gens ayant des orientations sexuelles différentes et ainsi de suite. Lorsque nous regardons le contexte vénézuélien, il est important de comprendre que ce qui se passe, c'est une guerre entre les classes. Cette perspective, l'analyse de classe, n'en est pas une que nous utilisons de manière typique au Canada, mais je vous dirais que si vous ne comprenez pas cela, vous ne comprendrez pas ce qui se passe au Venezuela. Lorsque nous regardons cette tyrannie de la majorité, ce que nous voyons, c'est que la majorité de la population des pauvres, ou de ceux qui ont profité des politiques de Chávez, domine tandis que la classe moyenne, la classe aisée et les intérêts d'affaires trouvent très peu d'espace pour l'expression de leurs intérêts, et cela semble se perpétuer.
Enfin, en ce qui concerne les intérêts nuancés, j'ai commencé par mentionner certains des aspects positifs du gouvernement Chávez en terme de réalisations sociales et économiques. Ce que nous avons vu au cours des deux dernières années, ce sont des erreurs commises par le gouvernement Chávez qui sont venues ternir ces réalisations ou qui sont en train de créer des problèmes économiques graves. Comme vous le savez peut-être, l'économie du Venezuela s'est contractée de 5,9 p. 100 au premier trimestre de cette année, indice de la plus grave récession dans tous les pays d'Amérique du Sud à l'heure actuelle.
Les politiques fortement socialistes fonctionnent dans le secteur pétrolier. La part du gouvernement dans le secteur pétrolier s'élève à 86 p. 100; c'est-à-dire que lorsque vous additionnez toutes les taxes dans le programme, la part du gouvernement dans le secteur pétrolier est de 86 p. 100 . Le gouvernement peut s'en tirer parce que le pétrole est un produit tellement précieux. Lorsque vous essayez d'appliquer des points de vue idéologiques semblables dans les secteurs agricoles ou manufacturiers, cela ne fonctionne pas. Lorsque vous essayez d'appliquer ces politiques dans le secteur agricole, les agriculteurs cessent de produire et le résultat que nous voyons à l'heure actuelle au Venezuela, c'est qu'il y a constamment des pénuries de produits alimentaires à cause de ces politiques. De la même manière, lorsque vous essayez d'appliquer ces politiques dans le secteur manufacturier, les usines ferment leurs portes. Elles déménagent, disons, en Colombie où la fiscalité est moins lourde. Ce que je suggère, alors, c'est que le genre de politiques qui fonctionnent dans le secteur pétrolier ne fonctionnent pas dans d'autres secteurs. Elles ont créé des pénuries alimentaires; elles ont également créé un chômage plus élevé, ce qui a exacerbé cette situation économique.
Enfin, il y a une tentative de la part du gouvernement de contrôler le taux de change de la monnaie du pays, ce qui, je pense, n'a absolument pas fonctionné. Le taux de change officiel est de 4,3 p. 100; je pense que sur le marché noir, c'est maintenant environ le double de cela, alors, vous avez un marché parallèle qui est perçu comme la véritable économie. Lorsque cela se produit, et lorsque le gouvernement tente de le rattraper, un des résultats, c'est une inflation élevée. Le Venezuela est maintenant aux prises avec un des taux d'inflation les plus élevés en Amérique latine; on l'estime à environ 30 p. 100 si elle se maintient pour le reste de l'année, et à certains endroits, elle est plus élevée. L'inflation élevée touche davantage les pauvres, alors, bien qu'il y ait eu de nombreuses réalisations, certaines des politiques, surtout au cours de la dernière année, semblent avoir contribué à une détérioration de la situation.
Je vais passer à un autre point majeur: quel est le point de référence? Lorsque vous comparez n'importe quel pays d'Amérique du Sud ou d'Amérique latine au Canada, la comparaison ne tiendra pas la route. Quel serait le point de référence naturel avec lequel comparer le Venezuela? Ce serait son voisin d'à côté. C'est un pays qui a une géographie semblable, une taille semblable, une population semblable et un PIB semblable. C'est le pays avec lequel le Canada a adopté hier, à la Chambre des communes, un accord de libre-échange: la Colombie.
Tout le monde vous dira que lorsque vous examinez les droits de la personne en Colombie, du côté positif, la situation s'améliore. La situation en Colombie est plus sûre qu'elle ne l'a jamais été, et je travaille en Colombie depuis 1987. Mais en même temps, la situation des droits de la personne en Colombie est absolument déplorable. On a déplacé de force 286 000 personnes l'an dernier, 21 syndicalistes ont été assassinés l'an dernier et 90 p. 100 des forces paramilitaires en Colombie qui se sont rendues aux autorités n'ont pas fait l'objet d'une enquête. Il y a eu toutes sortes de scandales et je pourrais continuer ainsi longtemps.
Si on examine la situation des droits de la personne au Venezuela, et que l'on remet les choses en contexte, je dirais en toute objectivité que la situation est bien pire en Colombie.
Finalement, que peut faire le Canada? Comme je l'ai dit, j'ai commencé ma carrière en étudiant les politiques étrangères du Canada en Amérique latine, et j'ai d'ailleurs écrit un livre à ce sujet. J'ai ainsi constaté que le Canada avait tenté par le passé de participer à la résolution de conflits. De la révolution cubaine en 1959 à la révolution sandiniste au Nicaragua de 1979 à 1989, les libéraux et les conservateurs, sous les gouvernements Trudeau, Clark et Mulroney, ont réussi à résoudre des conflits et à agir comme médiateurs. L'une des problématiques observées à l'heure actuelle en Amérique du Sud, c'est la course effrénée aux armements à laquelle se livrent la Colombie et le Venezuela, une entreprise de près de 10 milliards de dollars chacun. On constate également qu'une certaine forme de polarisation et qu'un climat d'animosité se sont installés dans la région.
Je recommande fortement d'orienter les politiques étrangères canadiennes vers la résolution de conflits plutôt que de favoriser la constitutionnalisation de l'extrémisme, et il est urgent d'agir.
Merci beaucoup.