:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Madame et messieurs les députés, bonjour.
[Traduction]
Je suis heureuse de pouvoir témoigner aujourd'hui sur le thème des violences sexuelles commises envers les femmes et les enfants dans les États fragiles et les situations de conflit. J'aimerais vous communiquer quelques observations relevées pendant une récente visite en République démocratique du Congo.
Je profiterai aussi de l'occasion pour présenter, à titre d'analyste de recherche au Centre Pearson pour le maintien de la paix, un certain nombre de recommandations qui visent à intensifier les efforts pour prévenir la violence sexuelle dans les situations de conflit et d'après-conflit et pour y réagir.
Je ferai mon exposé en français, mais je pourrai répondre à vos questions dans les deux langues.
[Français]
Comme je viens de le mentionner, je représente le Centre Pearson pour le maintien de la paix, un organisme non gouvernemental qui a pour mandat d'améliorer l'efficacité des opérations de paix grâce à la recherche, à l'éducation, à la formation et au renforcement des capacités.
Le centre sensibilise le personnel policier et militaire quant aux violences sexuelles et à la prévention de celles-ci en situations de conflit et post-conflit, à travers divers cours de formation, séminaires et tables rondes.
Un des objectifs premiers de notre visite en RDC était d'étudier plus à fond différents aspects des priorités particulières de la mission des Nations Unies en RDC, la MONUSCO, notamment la protection des civils et la lutte contre la violence sexuelle, et ce, afin de mieux concevoir et planifier nos programmes, et d'obtenir de l'information utile pour l'élaboration de nos cours.
La violence sexuelle n'est pas une réalité propre aux pays en situation de conflit ou post-conflit. On retrouve bien entendu des cas de violence aux quatre coins du monde. Ce qui différencie cette violence de celle qu'on retrouve lors de conflits armés, et plus précisément en RDC, est l'empreinte permanente qu'elle laisse non seulement sur les victimes, mais sur des communautés entières.
La violence issue de la guerre est plus pernicieuse. Elle a pour but de détruire, d'humilier les familles et de disséminer les populations. Les auteurs sont sans merci, allant jusqu'à couper les seins des femmes à coups de machette, à mutiler son sexe avec des bouteilles brisées ou une arme à feu. Pire encore, si c'est possible, ces violences n'affectent pas juste les victimes; la stigmatisation est telle que leur famille et leur communauté en souffrent également.
Selon la campagne de l'ONU contre les violences sexuelles dans les situations de conflit, jusqu'à 500 000 femmes auraient été violées durant le génocide au Rwanda, plus de 64 000 durant le conflit au Sierra Leone et plus de 40 000 lors de la guerre en Bosnie-Herzégovine.
En 2009, on estime que plus de 15 000 femmes auraient été violées dans l'Est de la RDC. Au Darfour, environ 100 femmes sont violées chaque jour. Il est difficile d'y croire, mais cette réalité existe.
C'est sous cet angle que la résolution 1820 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée en 2008, dénonce l'utilisation du viol et des violences sexuelles en tant qu'armes de guerre dans les conflits armés.
La résolution qui donne suite à la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité, va jusqu'à reconnaître que la violence sexuelle systématique envers les femmes en situation de conflit porte non seulement atteinte à la dignité et aux droits humains de la femme, mais constitue un crime de guerre et un crime contre l'humanité.
Malgré ces résolutions et les nombreux efforts internationaux, la plus grande injustice se trouve au niveau de l'impunité des auteurs de viols et de crimes sexuels. Dans les situations de conflit, la vaste majorité des agresseurs demeurent impunis.
Tout dernièrement, au mois de juillet 2010, environ 200 rebelles ont envahi la région de Walikale dans la province du Nord-Kivu, en RDC. Ils ont pillé, puis violé plus de 300 femmes et filles pendant trois jours, démontrant l'emploi incontestable des violences sexuelles sur la population vulnérable.
La communauté internationale a vite réagi, déplorant l'inaction de la MONUSCO face aux attaques et revendiquant un plus grand effort de la part de la mission pour protéger les civils.
La question se pose: aurait-on pu prévenir ces déplorables événements? Les opinions varient. Certains disent que les observateurs militaires auraient pu mieux percevoir les signaux de violence et prévenir l'attaque par leur simple présence. D'autres prétendent que la mission aurait dû utiliser la force et attaquer les assaillants. Pour d'autres encore, la mission, malgré ses efforts, n'aurait pu prévenir l'incident.
Il est compréhensible de vouloir blâmer la MONUSCO. Après tout, la mission a pour mandat de prioriser la protection des civils.
Par contre, en tant que membre de la communauté internationale, on doit poser la question suivante: est-ce que nos attentes vont au-delà de ce que la mission peut accomplir avec ses ressources humaines et financières?
En effet, les médias, à la recherche de sensationnalisme, ont peine à mentionner que les observateurs militaires, au nombre de 30, n'auraient peut-être pas pu affronter les 200 rebelles.
D'autant plus qu'une distance de 30 kilomètres en Amérique du Nord ou en Europe peut prendre de 20 à 30 minutes alors que, dans le contexte congolais, une telle distance peut prendre jusqu'à deux ou trois jours en véhicule 4 x 4. Cela s'ajoute à l'absence de système de communications, plus particulièrement dans les villages éloignés.
Face à cette réalité, est-ce la responsabilité de la MONUSCO de protéger chaque personne où qu'elle soit et en tout temps? Ce débat est inévitable et durera aussi longtemps que l'insécurité perdurera et que les institutions nationales de la sécurité ne seront pas en mesure d'assurer pleinement la protection des populations civiles sur l'ensemble de son territoire. Il est important de se rappeler que le mandat de la mission de l'ONU en RDC n'est pas un mandat exécutif. En d'autres mots, les Nations Unies ont pour responsabilité d'appuyer les efforts du gouvernement de la RDC visant à lutter contre l'impunité et à protéger les civils contre les violations du droit international humanitaire et des droits humains.
Il n'y a pas de solution facile et rapide. Il est intéressant de voir les multiples initiatives de la MONUSCO visant à créer et à améliorer les liens avec les communautés, et de sensibiliser les hauts dirigeants des pays concernés à la problématique des violences sexuelles. Malgré leur importance, l'impact est difficilement identifiable dans un contexte de conflit où groupes rebelles et armés utilisent les violences sexuelles comme arme de guerre et où règne l'impunité. La prévention est nécessairement une des meilleures formes de lutte contre les violences sexuelles. Par exemple, une des lacunes identifiées lors de notre visite est le manque de communication entre les forces militaires et policières de l'ONU et les communautés locales. Cette communication constitue un élément critique de toute stratégie préventive permettant une meilleure compréhension du contexte local et des signaux d'alarme.
Le déploiement d'un plus grand nombre de femmes policières et militaires constitue une autre stratégie de prévention. Par exemple, le personnel féminin peut faciliter l'accès aux femmes locales, améliore l'appui à leurs besoins et, ainsi, permet d'accroître la sensation de sécurité des populations locales. De plus, comme les femmes représentent souvent plus de la moitié de la population adulte d'une société déterminée, il apparaît logique que, dans le cadre d'une opération de paix, on cherche à parvenir à un certain équilibre entre hommes et femmes dans la dotation du personnel. Par contre, la prévention ne peut se faire sans la présence d'un système de sécurité et judiciaire dans lequel la population peut avoir confiance et qui met fin à l'impunité de la violence faite aux femmes, qu'elle soit commise par des civils, des miliciens ou des soldats. À son tour, la réforme du système de sécurité ne peut s'accomplir sans la volonté politique et la détermination des acteurs concernés.
Lors de sa visite en RDC au mois d'avril dernier, l'ancienne gouverneure générale et commandante en chef du Canada, Mme Michaëlle Jean, a affirmé que « c'est en donnant des moyens aux femmes que l'on donne aux familles, aux communautés, aux pays auxquels elles appartiennent des chances d'une vie meilleure et plus juste ». Il est important de mentionner que la violence sexuelle empêche la participation même des femmes au sein de leur société, condition qui fut identifiée par la résolution 1325 comme étant un élément essentiel à l'obtention d'une paix durable. La mise en oeuvre du plan d'action national sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU constitue une autre stratégie de lutte contre les violences sexuelles, par l'intermédiaire de la mise en application des différents indicateurs et de leur suivi.
Finalement, il est aussi important de soulever le rôle des donateurs dans la lutte contre les violences sexuelles. Malgré leurs bonnes intentions, on constate souvent un manque de compréhension du contexte de la part des donateurs. Il est important que ces donateurs prennent une approche holistique visant à s'assurer que les communautés entières bénéficient des fonds tout en répondant aux besoins spécifiques des victimes de violences sexuelles.
Si cette visite nous a appris une chose, c'est que le travail et les efforts continus de la MONUSCO, de concert avec les agences et organisations humanitaires présentes sur le terrain ainsi que les acteurs nationaux concernés, sont essentiels dans la lutte contre les violences sexuelles. Plus d'efforts sont et seront cependant nécessaires dans le futur. Il serait important à court terme que l'évaluation des situations actuelles permette de dégager des axes de développement et d'investissement qui auront un effet concret sur le terrain.
J'aimerais conclure en citant Mme Marie-Jacqueline Kumbu, du ministère du Genre, de la Famille et de l'Enfant en RDC: « Le mal vient très vite, mais la maladie s'en va tout doucement. » En effet, c'est grâce aux efforts contenus et concertés de la communauté internationale que nous pourrons espérer une amélioration de la situation des femmes et des enfants qui subissent les situations de conflit.
Je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
:
Madame la députée, messieurs les députés, bonjour. J'aimerais vous remercier de cette invitation aujourd'hui et de cette occasion de vous présenter et d'aborder un sujet d'énorme importance: la problématique des violences sexuelles commises envers les femmes et les enfants dans les États fragiles et les situations de conflit.
Comme ma collègue, Mme St-Pierre, a présenté son témoignage en français, je ferai ma présentation en anglais. Par contre, je suis disposée à répondre à vos questions en français ou en anglais, à la suite de nos présentations.
[Traduction]
Comme vous le savez, la violence sexuelle dans les zones de conflit en Afrique est un problème complexe que l'Ouest observe avec inquiétude mais sans beaucoup intervenir. Vous savez aussi qu'au cours des 15 dernières années, un certain nombre de conflits — au Rwanda, au Darfour, au Sud-Soudan, en Sierra Leone, en RDC — sont devenus synonymes de viols et de violences sexuelles à grande échelle, en combinaison avec d'autres actes de brutalité. Les hommes sont parfois victimes de violence sexuelle, mais les femmes et les enfants sont les cibles principales.
Dans le contexte de la RDC, on estime que des centaines de milliers — peut-être près d'un demi-million — de femmes et de filles de tous âges ont été violées au cours des 13 dernières années de guerre. Les actes eux-mêmes sont souvent de nature extrêmement brutale, et ce, délibérément. Les femmes et les filles peuvent aussi être victimes d'attaques répétées et elles peuvent souffrir de blessures physiques et psychologiques permanentes.
J'aimerais parler aujourd'hui des résultats de trois initiatives que j'ai dirigées ou codirigées à titre de coordonnatrice du projet FORCE, de directrice adjointe de Paix durable et en collaboration avec d'autres instituts et réseaux, notamment l'institut d'études africaines de l'Université Carleton et la coalition internationale Publish What You Pay.
Financé par la Fondation du droit de l'Ontario, le projet FORCE est hébergé au Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne à l'Université d'Ottawa. C'est un projet qui fait la promotion de l'égalité des femmes et des filles en Afrique, et l'accent porte sur les violences sexuelles perpétrées contre les femmes et les filles dans la région des Grands Lacs africains.
Parmi les nombreuses initiatives que nous avons parrainées, je parlerai de trois ateliers où les conférenciers représentaient diverses régions d'Afrique en situation de conflit ou d'après-conflit. Ces ateliers bilingues auxquels ont participé 130 personnes étaient consacrés au phénomène de la violence sexuelle et du conflit. Le premier traitait des causes, des conséquences et des solutions possibles, le second, des expériences et de la prestation de services de soutien aux survivantes africaines qui vivent maintenant au Canada, et le troisième, des aspects liés au genre dans les activités du secteur minier dans les situations de conflit en Afrique.
En m'appuyant sur ces trois initiatives en particulier, j'ai tenté d'extraire l'essentiel des discussions des participants afin de vous présenter aujourd'hui des constatations et des recommandations générales.
En termes généraux, les constatations reflètent, au fond, une discussion plus vaste sur le pouvoir et la sécurité, et par sécurité j'entends la sécurité humaine et la sécurité au sens strict. L'accent porte sur la sécurité proprement dite, il faut le souligner. Il importe de préciser dès le départ qu'il ne s'agit pas d'un enjeu féminin. Le problème est souvent écarté pour cette raison; il n'éveille généralement pas de volonté politique et n'attire pas les ressources qu'il mérite ou qui seraient nécessaires pour passer à l'action.
C'est une question de sécurité au sens strict. Clairement, la violence liée au genre ruine évidement des vies humaines, mais elle blesse aussi des collectivités entières. La capacité des collectivités de maintenir la stabilité et de contrer et de minimiser le conflit local s'en trouve diminuée, ce qui a des conséquences régionales et nationales en termes de consolidation de la paix.
Dans le cadre de cette discussion sur le pouvoir et la sécurité, le premier de trois grands thèmes qui se dégagent de ces ateliers est le risque de simplification. Une compréhension trop peu nuancée du phénomène, qui ne tient pas compte des dimensions locales du conflit, peut donner lieu à des gestes qui ont des conséquences fortuites, malgré les bonnes intentions.
Nous risquons de négliger la dynamique et les tensions du pouvoir local qui minent les efforts de pacification, y compris les efforts pour contrer la violence contre les femmes et les filles. Nous risquons de négliger le pouvoir de la collectivité locale et de la société civile locale, et ce faisant nous contribuons à leur affaiblissement et à leur fractionnement. Les intervenants locaux savent ce qu'il faut faire, mais personne ne les écoute parce que souvent leur discours n'est pas ce que les donneurs veulent entendre, il ne correspond pas à l'analyse dominante du conflit ou il ne s'inscrit pas dans leur liste de priorités.
Un deuxième grand thème dégagé des ateliers était que nous devons adopter une approche ascendante, nous devons aussi lier le phénomène local au contexte général et à la dynamique structurale plus vaste du pouvoir. Cela nécessite une réflexion critique sur notre rôle et sur l'incidence des gestes que nous posons en tant que donateurs, intervenants humanitaires, consommateurs et intervenants du secteur privé, puis la prise de mesures fondées sur cette réflexion critique.
Les participants à l'atelier ont demandé de lier le phénomène général, y compris les actions et la dynamique transnationales, qui forme le fond de scène de la violence et de sa perpétuation. Cela signifie que nous devons cesser de considérer le viol comme un phénomène naturel dans un conflit ou comme une caractéristique naturelle de certaines sociétés. Le viol et la violence extrême fondés sur le genre surviennent dans des contextes politiques et économiques particuliers et servent les intérêts de ceux qui tirent parti de l'instabilité prolongée.
Dans la région des Grands Lacs, la prolongation du chaos est ancrée dans les marchés mondiaux licites et illicites. Les ressources naturelles locales sont très lucratives. L'accès à ces matières est facile lorsque les collectivités sont fragmentées et que les habitants désespérés sont, par exemple, disposés à creuser pour survivre — même les enfants. Les revenus sont dans une large mesure utilisés pour acheter des armes de poing et des armes légères et pour en alimenter le marché et le commerce. Dans ce contexte, le crime, la violence et la lutte pour la vie sont normalisés, ce qui rend les femmes, les filles et les enfants particulièrement vulnérables.
Au vu de tout cela, il nous faut examiner de près le rôle de notre secteur privé, son rôle et son incidence sur les états fragiles, et nous devons le faire dans une optique de genre.
Les participants aux ateliers, toutefois, ont aussi critiqué les donateurs, les organismes de financement et les ONG. Ils réclament des interventions étrangères, mais ils reconnaissent que les donateurs sont parfois des éléments qui perpétuent une dynamique et des structures du pouvoir plus vastes et généralement négatives.
Par exemple, l'acheminement des fonds en cascade, le plus souvent par l'entremise d'organismes de l'ONU et d'organismes internationaux, crée une structure très descendante qui filtre l'exécution des diverses ententes contractuelles. En règle générale, plus il y a de niveaux, plus l'aide est hors contexte et moins elle est adaptée aux besoins locaux; en outre, les besoins des agences d'exécution, des donateurs et des ONG sont considérés comme plus importants que ceux des collectivités et des populations les plus vulnérables.
Le troisième grand thème qui se dégage des ateliers est celui de la représentation et de l'écoute. Il nous faut reconnaître les Africains, les filles et les femmes africaines en particulier, comme des intervenants de plein droit et, de fait, des spécialistes de leur propre situation. Nous devons amplifier leurs voix et favoriser leur protection et leurs efforts de pacification. Il nous faut valider leurs efforts de recherche et reconnaître les formes locales de connaissance.
D'innombrables programmes déterminés par les donateurs présentent les femmes et les filles comme des victimes et écartent tout simplement leur point de vue. De fait, certains participants africains à nos ateliers et d'autres intervenants ont dit que les donateurs étrangers éveillaient de plus en plus de méfiance.
Au Congo, les femmes et les organisations locales hésitent de plus en plus à collaborer. Elles refusent souvent de partager leur recherche et les données locales ou de fournir une contribution parce qu'elles ont été consultées par le passé puis oubliées, parce que rien ne montre que leur point de vue entre en compte.
Les études et l'information locales ont été utilisées, appropriées et même déformées ou utilisées pour justifier des programmes ou des projets qui n'étaient pas appuyés localement. Certains ont de plus en plus l'impression que leurs points de vue et leurs expériences sont rejetés et que le contrôle étranger sur les données et les renseignements personnels a contribué à leur affaiblissement.
Dans ce qu'il nous reste de temps, j'aimerais présenter trois ensembles de recommandations fondées, en partie, sur les thèmes des ateliers dont j'ai parlé:
Premièrement, nous devons repenser la façon dont nous abordons le problème. Il s'agit d'un problème de sécurité, pas d'un enjeu féminin.
Nous devons reconnaître la complexité du problème et nous y attaquer à partir de la base pour mieux analyser les recoupements entre la dimension locale et la dimension mondiale.
Il nous faut nous replacer dans l'équation, examiner d'un oeil critique notre rôle de donateurs et d'intervenants du secteur de l'aide, notre influence de consommateurs de biens précieux extraits des zones de conflit, et examiner soigneusement et surveiller de façon continue les effets que produit notre secteur privé dans ces régions.
Ici, j'aimerais rappeler que Mme St-Pierre a mentionné le plan d'action national pour les femmes, la paix et la sécurité, qui a été très bien accueilli mais d'où le secteur privé était absent.
Nous devons modifier le discours dominant et les modes d'analyse, nous éloigner des approches stratégiques ou de programme descendantes qui prévalent. Ici, nos travaux de recherche et nos étude sur le conflit et les économies de guerre doivent englober le genre et l'analyse selon le genre, des aspects largement négligés jusqu'à maintenant. Mais les questions de genre sont également écartées de la politique étrangère du Canada, littéralement.
Dans le plan d'action national pour les femmes, la paix et la sécurité, il n'y a pas une seule mention du mot « genre ». Je serais très heureuse de discuter du plan d'action national plus en détail, si nous pouvons nous y arrêter un peu pendant la période de questions, car je crois que c'est certainement un sujet d'intérêt.
Outre qu'il faut repenser notre formulation du problème, nous devons reformuler le thème des femmes et des filles africaines et de leurs collectivités. Il nous faut éviter de perpétuer les stéréotypes concernant la violence sexuelle, le conflit et l'Afrique. Des représentations nuisibles et très déformées ne font que reproduire les structures d'inégalité du pouvoir et miner les capacités locales de cerner et de corriger les problèmes.
Finalement, nous devons repenser nos programmes et politiques concernant la violence sexuelle, pour y intégrer cette nouvelle vision du problème et de ceux qui en sont prisonniers.
Par dessus tout, il faut un appui à la recherche locale approfondie. Cette recherche fait terriblement défaut, et sans elle les politiques et les programmes demeurent faibles et sont parfois mal avisés.
Cela nécessite aussi la consultation pertinente et régulière des organisations locales de la société civile, y compris les églises, et des organisations de la société civile canadienne, qui ont une vaste expérience de la région. Un cycle de rétroaction centré sur la consultation améliore directement l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques et des programmes.
En outre, il faut définir une vision et une stratégie à long terme pour appuyer la stabilité sociale, et non pas simplement ramener la violence à des niveaux jugés « normaux » pour l'Afrique.
En conclusion, je reconnais que les nombreuses idées générales qui ont été présentées ici posent des difficultés, mais j'espère sincèrement que ces réflexions et les résultats des ateliers pourront contribuer à améliorer les programmes et les politiques, mais surtout la sécurité des femmes et des filles dans des situations de conflit et d'après-conflit.
Merci. Je suis impatiente de répondre à vos questions et de vous fournir plus de détails.
:
Comme Mme St-Pierre l'a mentionné, elle et moi avons participé au processus consultatif. En fait, Paix durable a mené des consultations nationales au cours de l'été. L'initiative a été bien accueillie par les membres de la société civile. Nous étions heureux que cela se fasse, finalement. Il a fallu littéralement des années pour élaborer le plan, alors nous étions très heureux de voir le document.
Je crois qu'en règle générale, les représentants de la société civile le considère comme un point de départ. C'est quelque chose à améliorer. Ce n'est pas aussi solide que nous le souhaiterions, je pense, mais comme je l'ai dit, c'est un point de départ. Alors outre l'omission évidente du mot « genre » — une omission qui a, je crois, d'énormes conséquences analytiques pour la mise en oeuvre — et l'allocation de nouvelles ressources pour assurer une mise en oeuvre à l'échelle du gouvernement du Canada, personne n'a été désigné, à ce que je sache, pour veiller à ce que cela se produise. C'est un autre type de ressources qui fait défaut.
Si j'ai bien compris, cela relève d'Affaires étrangères, et Affaires étrangères a la responsabilité de superviser la coordination et la mise en oeuvre dans les ministères. Chaque ministère doit mettre sur pied son propre mécanisme d'évaluation. C'est ce que je crois comprendre.
Selon moi — et je pense que c'est aussi l'opinion de divers membres de la société civile —, c'est un point de départ. Le document est certainement formulé à la forme passive. Il n'est pas terriblement dynamique, pas aussi proactif que nous le souhaiterions. Il y a certainement un élément de leadership qui, disons, laisse à désirer.
Il n'est pas étonnant que les intérêts canadiens soient reflétés dans le document. Il s'agit de former du personnel canadien et de veiller à se doter des capacités voulues. Je crois que tout cela est très interne, très tourné vers l'intérieur en termes d'orientation, cela ne reflète aucun leadership dans le dossier — du moins pas autant que je le voudrais. Il y a dans le libellé du document des passages comme « le gouvernement du Canada encourage », « appuie », « préconise », mais il pourrait être beaucoup plus actif et engagé, et vraiment piloter le dossier.
Bref, je crois que les questions de ressources et la nécessité d'une mise en oeuvre et d'une évaluation adéquates, peut-être plus de clarté concernant la reddition de comptes et la surveillance à long terme... Certains intervenants de la société civile souhaitent que l'on établisse des évaluations du rendement de chaque unité gouvernementale, et la responsabilité de la mise en oeuvre du plan pourrait alors être liée au rendement en fonction de ces indicateurs.
Nous pourrions également nous inspirer des États-Unis, qui ont un ambassadeur pour les affaires féminines mondiales au Département d'État. Pourquoi ne pourrions nous pas créer un poste, peut-être au sein du Cabinet, désigner un responsable du leadership, de la surveillance et de la mise en oeuvre de ce plan d'action national?
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour, mesdames, et bienvenue à notre comité. Merci de prendre de votre temps pour partager avec nous vos connaissances et votre savoir. Pour nous, c'est très enrichissant et très porteur quant au sujet que l'on traite actuellement. Malheureusement, nous avons très peu de temps. Autrement, on pourrait approfondir certaines remarques.
Par exemple, madame Lebert, vous avez dit lors de votre témoignage que vous aviez fait des recommandations. Mais il y a quelque chose qui m'a un peu chicoté quand vous avez parlé de tout ce qui a trait à l'analyse sexospécifique. En fait, vous dites que cela a été évacué des textes des Affaires étrangères, c'est-à-dire qu'on ne retrouvera plus cela. J'essaie de comprendre. En enlevant ça, on diminue l'effort et on fait fi de tout ce que l'on réclame depuis des années à l'égard de la parité, de l'analyse des genres et des façons de mettre en oeuvre des mesures qui vont bien fonctionner.
Dans le même sens, vous avez dit, par exemple, en ce qui concerne les voix et la représentation, qu'un plus grand nombre de femmes devraient non seulement participer aux consultations, mais aussi être présentes sur le terrain pour la formation et la prévention. Donc, cela m'inquiète un peu.
On a parlé du plan d'action, un peu plus tôt. Par rapport à vos recommandations et à ce que vous avez soulevé quant à la compréhension de la situation malsaine qui prévaut présentement en ce qui concerne les violences envers les femmes, avez-vous perçu que le gouvernement tient compte de vos recommandations dans le plan d'action qu'il propose actuellement?
Selon ce qu'on entend au sujet du plan d'action du gouvernement, on a l'impression qu'il s'agit davantage d'une profession de foi que d'un plan d'action qui recommanderait de mettre en oeuvre des mesures efficaces, solides qui auraient un impact. Évidemment, sans financement, c'est très difficile. On a tous des rêves qui sont souvent portés par l'imaginaire, mais il faut qu'on ait un produit pour les mettre en oeuvre.
Je trouve cela un peu dommage parce que, encore aujourd'hui, en 2010, j'ai l'impression qu'on met cet aspect à l'écart et qu'on ne veut pas le voir. Plus on s'éloigne des ONG sur le terrain, moins on les écoute, même si on a l'impression qu'on les écoute beaucoup. On continue de fermer les yeux sur cette question, et l'impunité demeure, à mon avis. Je trouve incroyable que la moitié de la planète regarde ces tragédies sans qu'on mette quoi que ce soit en oeuvre pour contrer et changer toute cette mentalité d'hommes.
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Ma formation est en anthropologie. Alors, j'ai beaucoup d'expérience de travail au niveau local. Selon moi, c'est vraiment quelque chose de central à une bonne analyse concrète.
Les plans d'action nationaux sont hyper importants au niveau macro, mais ce n'est pas assez. Le gouvernement du Canada, comme membre des Nations Unies, a subi des pressions pour développer un plan national. Nous sommes le 22e pays à le faire. En fait, je crois que ça c'est fait six ans après que soit venue la recommandation du secrétaire général des Nations Unies.
Je crois que les femmes sur le terrain voient cela comme quelque chose d'important, mais, étant donné que ça se passe au niveau macro, ce n'est pas assez, ça ne suffit pas. Parfois, il y a peu de tractions au niveau local,
[Traduction]
cela ne filtre pas vers le bas
[Français]
au niveau local.
Aussi, c'est très important, mais encore, sans ressources, sans volonté politique, sans personnel pour s'assurer que ce sera bien intégré et évalué, on n'avance pas tellement.
Comme anthropologue, il s'agit de voir et de mieux comprendre comment ces genres de structures, ces genres d'approches, ces normes peuvent affecter et améliorer la situation au niveau local. Et sans intégration de l'aspect local et de ces structures macros, je ne sais pas s'il y aura des impacts.
Depuis quelques années, il y a des plans d'action nationaux dans certains pays d'Afrique, mais on voit honnêtement très peu d'impacts. C'est important. Il y a là aussi absence de volonté politique et de ressources. Il faut toujours faire cela en combinant ce qui se passe localement.
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Une précision, pour commencer: je ne considère pas que le plan d'action ou les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU concernant les femmes, la paix et la sécurité soient des solutions symboliques. Je les considère comme essentiels. Je ne crois pas qu'ils soient suffisants. Je crois que notre plan d'action actuel est un point de départ et que nous pouvons l'améliorer. Je crois que nous avons besoin de ce genre d'engagement au niveau international.
Je dis, toutefois, qu'il y a un manque d'action au niveau d'ensemble avec ce qui se passe au niveau local. Il nous faut les deux, essentiellement, pour mieux comprendre ce qui se passe à la jonction des deux et obtenir des résultats.
Oui, l'orientation stratégique fait défaut, mais je crois, parce que j'ai travaillé avec des fonctionnaires canadiens, que l'on veut vraiment faire une différence et, évidemment, améliorer la vie des femmes et des filles sur le terrain. Le plan est bien conçu. Selon moi, il est faible, mais nous devons y ajouter des ressources et une volonté politique. Nous devons nommer des gens pour le concrétiser et évaluer ses résultats et consulter continuellement les organisations de la société civile pour obtenir des résultats. À l'heure actuelle, à ma connaissance, nous n'avons même pas de repères pour mesurer nos progrès. Il faut en créer.
Pour ce qui est des ressources, oui, j'ai été très vague. Je veux dire deux choses. Je pense aux sociétés minières canadiennes qui oeuvrent dans la région des Grands Lacs, bien sûr, mais j'ai aussi parlé de l'activité minière artisanale, qui est beaucoup plus pernicieuse. Elle se situe au niveau local, et il y a de nombreux intermédiaires entre ceux qui achètent ces minéraux et ceux qui les extraient. Je parle donc de l'industrie de l'extraction dans son ensemble, et ces deux types d'activités présentent certains aspects qui sont moins prestigieux, moins positifs, je crois.
J'ignore si vous avez suivi ce dossier de près, mais je crois que Global Witness et le Centre canadien pour la justice internationale ont intenté des poursuites au civil au Québec contre la société Anvil, il y a environ deux semaines, précisément pour sa contribution présumée aux violences survenues dans le sud de la RDC. Des questions ont été soulevées au sujet d'autres entreprises aussi — et certainement au niveau local. Je crois que l'affaire Anvil sera intéressante à suivre en raison des préoccupations qui ont été exprimées. On ne sait pas toujours que faire de ces préoccupations, car la loi internationale, évidemment... Je ne suis pas avocate, mais je crois qu'il est très difficile de poursuivre une société transnationale pour exiger des comptes. Alors oui, je pense aux deux.
Vous avez aussi parlé de financement indépendant. Quand j'ai travaillé à Paix durable, précédemment, et que j'ai participé aux consultations, le financement n'était certainement pas indépendant. Les fonds venaient du MAECI pour ces consultations. Et le Centre des droits de la personne, où je suis coordonnatrice du projet FORCE, est actuellement financé par la Fondation du droit de l'Ontario.