:
Bonjour, mesdames et messieurs.
Bienvenue à la 15e séance du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie. Nous poursuivons notre étude de l'industrie canadienne du logiciel de divertissement.
Chers collègues, nous devons nous occuper de quelques travaux; je vais donc mettre de côté une dizaine de minutes vers la fin. Je sais que notre ordre du jour prévoit cinq minutes, mais nous en réserverons environ le double, parce qu'il y a habituellement une transition, le temps de laisser partir les témoins. Nous aurons à régler deux points, l'un en séance publique et l'autre à huis clos.
Sans plus tarder, permettez-moi de vous présenter les témoins d'aujourd'hui.
Notre premier témoin nous vient de Jeux Warner Bros. Montréal. Il s'agit de Martin Carrier, vice-président et chef de studio.
Ensuite, par vidéoconférence, à partir de Vancouver, en Colombie-Britannique, nous accueillons Richard Smith, directeur et professeur du programme de maîtrise en médias numériques du Centre for Digital Media.
Il y a également Michael Schmalz, président de Digital Extremes, qui se joint à nous par vidéoconférence à partir de London, en Ontario.
Chers collègues, j'aimerais préciser un point avant de passer aux observations préliminaires de M. Carrier. N'oubliez pas qu'il y a des gens qui comparaissent par téléconférence. Je sais qu'il est facile de les oublier, parce qu'ils sont à l'écran, au lieu d'être ici parmi nous. Veuillez donc vous assurer de leur poser des questions, à eux aussi.
Monsieur Carrier, nous vous écoutons.
[Traduction]
Merci beaucoup de m'avoir invité ce matin. J'aimerais d'abord vous présenter mes excuses. J'ai une vraie « grippe d'homme », ce qui fait que je parle avec une voix un peu à la Clint Eastwood. Mais ce n'est peut-être pas si mal, étant donné que je travaille pour Warner Bros.
[Français]
Je m'appelle Martin Carrier. Je suis chef de studio chez Jeux Warner Bros. Montréal. Cela me fait plaisir de comparaître aujourd'hui pour vous aider à mieux comprendre le secteur canadien du jeu vidéo. J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité. À la suite de ma présentation, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Je me présente devant vous sous trois titres, à savoir comme représentant de Warner Bros., mais aussi à titre de président d'Alliance numérique, le regroupement de l'industrie du jeu vidéo au Québec, et à titre de membre du conseil d'administration de l'Association canadienne du logiciel de divertissement, connue sous l'acronyme anglais ESAC.
Je travaille dans l'industrie du jeu vidéo au Canada depuis 1997. J'ai commencé ma carrière chez Ubisoft Montréal. J'ai aussi travaillé à Paris. De 2008 à 2010, j'ai travaillé comme consultant afin de mettre sur pied un nouveau studio à Montréal, qui est devenu le studio de Warner Bros.
Je vais vous parler un peu de Jeux Warner Bros. Montréal, le studio de développement de Warner Bros.
[Traduction]
J'ai seulement quelques observations à faire. On m'a dit, avant le début de la séance, qu'il y a ici quelques mordus des Looney Tunes. J'en ai entendu quelques-uns faire d'excellentes imitations. Évidemment, on connaît Warner Bros. par l'intermédiaire de la télévision et du grand écran. Warner Bros. existe depuis 90 ans, et elle est reconnue pour certains des grands classiques réalisés durant cette période. Il y a environ sept ans, nous nous sommes tournés vers le domaine des jeux vidéo afin de fournir une partie de notre contenu aux nouvelles masses de consommateurs, à savoir les amateurs de jeux vidéo. Nous utilisons d'excellentes marques, et nous pouvons distribuer le contenu au moyen de jeux vidéo.
Lorsque Warner Bros. a décidé de se lancer dans le monde des jeux vidéo, elle s'est mise à acheter des studios partout dans le monde. Elle en possède notamment au Royaume-Uni ainsi qu'à Seattle, Chicago et Boston. En 2010, nous avons décidé de créer un studio au Canada. J'ai dit aux gens de Warner Bros. que les films, c'est à Hollywood que ça se passe, mais les jeux vidéo, c'est à Montréal.
Ces propos ne m'ont pas valu la sympathie du milieu du cinéma à Montréal. Quoi qu'il en soit, je demeure convaincu que c'est le lieu par excellence pour les jeux vidéo.
[Français]
Les activités du studio de Montréal ont débuté le 1er juin 2010. Lors de cette première journée, nous étions quatre personnes. Je suis fier de vous dire qu'aujourd'hui, 400 personnes travaillent à Montréal pour Warner Bros. Nous travaillons sur les grandes marques du studio, dont tout ce qui a trait aux DC Comics tels que Superman, Batman, Wonder Woman, Green Arrow, The Flash et tous les autres, et aussi, bien sûr, aux Looney Tunes, comme j'en ai glissé un mot. Énormément de propriétés appartiennent à Warner Bros.
En quatre ans, nous avons lancé quatre titres majeurs. Il s'agit tout d'abord de Batman Arkham City Armored Edition pour la Wii U. Cela inclut aussi deux titres pour enfants, soit Cartoon Universe, qui met en vedette les Looney Tunes et Scooby-Doo, ainsi que LEGO Legend of CHIMA Online, qui peut se jouer en ligne sur le Web et, simultanément, sur les appareils mobiles iPhone et iPad, ce qui constitue une première dans le marché. Quant à Batman Arkham Origins, c'est notre plus importante sortie. Ce jeu a été mis en vente le 25 octobre dernier. Ce jeu a figuré au premier rang des ventes mondiales dès sa sortie et a terminé l'année parmi les vingt premières places au palmarès des ventes. C'est un immense succès pour un jeune studio comme le nôtre.
Pour arriver à ce niveau de succès et de qualité, nous pouvons compter sur des équipes multidisciplinaires composées d'artistes, de designers et de programmeurs informatiques. Il est clair que, à Montréal, nous possédons un bassin de talent incroyable. Il faut noter que dans un rayon de 2 km, à peu près 6 000 personnes travaillent dans le domaine du jeu vidéo. C'est une concentration inégalée nulle part ailleurs dans le monde. C'est un atout incroyable et une des raisons qui expliquent notre croissance fulgurante à Montréal.
À partir de notre studio de Montréal, nous avons également construit notre centre d'excellence mondiale en matière de contrôle de la qualité.
[Traduction]
On les appelle aussi des testeurs, et ils s'occupent de l'assurance de la qualité de nos produits.
[Français]
Grâce à nos activités de production et celles liées aux tests, nous créons des centaines d'emplois au Québec, contribuant ainsi à un écosystème qui emploie 9 000 personnes dans la province.
Forts du succès que nous avons connu à ce jour, nous anticipons passer de 400 à 500 personnes dans le studio, au plus tard en 2018. Nous pouvons donc dire sans réserve que la maison mère de Warner Bros. basée à Burbank, en Californie, fait confiance à son studio canadien et à l'environnement d'affaires où il évolue. Il faut souligner que cet environnement d'affaires et l'expertise particulière des talents canadiens sont importants pour la croissance du studio.
Quand on me pose la question, j'aime rappeler qu'au Canada, le jeu vidéo a pris racine dans les années 1980, lorsque l'ONF a lancé des programmes d'animation numérique, amenant ainsi Daniel Langlois à créer Softimage. Cela a mis sur pied une communauté créative et technologique, qui a ensuite mené au monde du jeu vidéo.
De cette étincelle, le secteur s’est éventuellement propulsé en avant en misant sur un environnement académique fort et des partenariats avec les institutions. Au Québec, les crédits d'impôt furent la réelle bougie d'allumage qui a permis de catalyser les conditions existantes, à savoir la haute technologie, l'environnement académique et la créativité.
Il faut bien le dire, les programmes gouvernementaux, soit les crédits d’impôts provinciaux ou les crédits fédéraux pour la R-D tel le programme de RS&DE, nous permettent d’être compétitifs en tant que studio à l’intérieur du groupe Warner Bros. Comme nous nous appelons « Warner Bros. », des gens viennent nous voir chaque semaine pour nous inciter à ouvrir un studio sur leur territoire. Il faut savoir qu'à Montréal, nous livrons une concurrence à l'échelle internationale pour obtenir un mandat. Il est donc important de bénéficier d'un environnement compétitif et réglementaire pour nous aider à cette fin.
Cela nous permet aussi de prendre certains risques et d'innover en créant un jeu comme LEGO Legends of Chima.
Je vois que M. Van Kesteren a un iPad, je crois.
[Traduction]
Il est peut-être en train de jouer à Lego Legends of Chima en ligne, au moment même où l'on se parle.
Des voix: Oh, oh!
M. Martin Carrier: C'est possible. Je vais vérifier tout à l'heure.
Une voix: C'est un jeu à plusieurs joueurs.
M. Martin Carrier: Oui, alors quelqu'un d'autre utilise peut-être son iPhone pour jouer avec M. Van Kesteren.
Voilà le type d'innovation que nous avons réussi à créer à Montréal grâce aux différents programmes dont je viens de parler. Ce jeu, qui utilise la licence Lego, est unique en son genre, parce qu'on peut jouer sur le Web ou sur un appareil iOS d'Apple.
[Français]
Nous sommes en concurrence avec d'autres entreprises du Canada pour l’obtention de différents programmes. Au fil des rencontres de ce comité, vous avez eu la chance de découvrir une industrie qui vaut la peine d'être appuyée et dont le futur est étincelant.
Je n'oublie pas de mentionner que les programmes fédéraux de recherche-développement pourraient être bonifiés pour encourager des secteurs qui démontrent une forte croissance et qui contribuent de façon particulière au développement de nouvelles technologies et d'expertises.
Le jeu vidéo est un secteur où le Canada excelle. Nous nous disons la même chose que ce que le Canada s'est dit aux Jeux olympiques de Sotchi: « Let's go for gold ». Cependant, comme au hockey, il nous faut des gens de talent pour réussir.
Cela m'amène à vous parler de la main-d’oeuvre, qui est un enjeu clé pour notre secteur. J'entends par main-d'oeuvre les talents qui existent au Canada. D'autres l'ont mentionné au comité avant moi. Nous sommes en concurrence avec des studios partout dans le monde. Nous sommes même en concurrence avec nos propres studios, par exemple ceux à Londres, en Angleterre. Il arrive que nous recherchions des gens ayant une expertise très pointue, mais il y en a très peu à travers le monde. Pour nous, il est important d'avoir accès aux meilleurs candidats des quatre coins du monde.
Bien que le Canada soit bien placé pour former les meilleurs employés, il faut parfois se tourner vers l'étranger pour combler certains postes exigeant une expertise et un niveau d'expérience particuliers. Parfois, il n'y a que quelques personnes dans l'industrie globale qui détiennent une expérience pertinente ou qui ont développé des techniques ou des procédés novateurs.
[Traduction]
Je vais vous donner un petit exemple. Nous avons dû partir à la recherche de talents à l'échelle mondiale avant d'entreprendre le développement de notre jeu Batman: Arkham Origins. Il nous fallait trouver un directeur artistique — quelqu'un de très calé en technologie, mais aussi de très créatif, comme le laisse entendre le titre du poste. Nous avons fini par repérer le candidat idéal en Caroline du Nord. C'était un Écossais, qui avait travaillé à Vancouver pour EA, mais qui avait déménagé en Caroline du Nord pour occuper un poste chez Epic. Nous avons réussi à le ramener à Montréal.
C'est simplement pour vous donner une idée du flux de talents qui peut être mis à contribution dans notre industrie. Et quand nous avons besoin de telle ou telle personne, nous tenons absolument à l'embaucher. Nous espérons donc que les programmes fédéraux nous permettront d'avoir une marge de manoeuvre afin de pouvoir faire entrer ces gens au pays au plus vite. Si nous trouvons un candidat, vous pouvez être certains que quelqu'un d'autre a déjà l'oeil sur lui. Nous préférons employer ces gens ici pour enrichir notre bassin de nos jeunes talents, au lieu de les voir partir ailleurs.
[Français]
Les professionnels qualifiés étrangers sont essentiels pour combler les pénuries importantes lorsqu'ils réussissent à conférer un avantage au studio sur le plan du transfert des connaissances.
Les délais et les restrictions au Programme des travailleurs étrangers temporaires nuisent à la satisfaction des besoins du secteur canadien des jeux vidéo, qui embauche des travailleurs hautement qualifiés — j'insiste sur le fait qu'ils sont hautement qualifiés —, payés beaucoup plus que la moyenne nationale et qui contribuent à l'essor d'un secteur qui est un chef de file dans l'économie numérique.
Comme vous l'avez sûrement entendu de la part de certains de mes collègues, chaque personne que nous faisons venir représente un investissement majeur. Nous n'agissons pas à la légère. Nous faisons ces investissements de façon très calculée et espérons obtenir un excellent rendement en matière de connaissances et de leadership. Comme on l'indique souvent, peu de personnes proviennent de l'étranger, mais ce sont des personnes importantes et, souvent, leur apport favorise la rétention d'emplois.
En terminant, j'aimerais souligner le fait que le secteur du jeu vidéo est un secteur niche au sein des autres industries numériques. Il démontre que le Canada peut concurrencer dans le monde et réussir. Ce secteur démontre que le Canada peut et doit continuer d'encourager la création d'emplois pour les travailleurs de l'avenir.
Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre à vos questions.
:
Bonjour à tous. Je suis heureux de me joindre à vous. Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de m'avoir invité à participer aux travaux du comité. Je suis particulièrement reconnaissant de pouvoir témoigner par vidéoconférence, sans avoir à me déplacer.
Je suis professeur à l'Université Simon Fraser, mais j'occupe la fonction de directeur du Centre for Digital Media, une initiative conjointe menée par quatre universités: l'Université de la Colombie-Britannique, l'Université Simon Fraser, l’Université d’art et de design Emily Carr et l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique. Nous offrons un programme de maîtrise à vocation professionnelle dans le domaine des médias numériques. C'est l'un des principaux résultats de la collaboration entre les quatre universités.
Cette initiative, on la doit à un don d’une entreprise canadienne appelée Finning, un chef de file mondial d'équipement lourd, qui vend notamment des bouteurs Caterpillar, des camions, etc. L'entreprise est établie au Canada, mais elle a une présence mondiale. Depuis le milieu du dernier siècle, elle assure l'assemblage final, la personnalisation et l’entretien des moteurs d'une économie fondée sur les ressources.
Quand l’entreprise a changé le lieu de son siège social, situé près des gares de triage à Southeast False Creek, à Vancouver, elle a donné les 18 acres de terrain aux quatre universités. Depuis, nous nous consacrons à un projet quasi identique: l'assemblage final, la personnalisation et l’entretien des moteurs — non pas physiques, mais intellectuels — d'une économie numérique fondée sur des gens hautement qualifiés.
Établir un lien entre les tracteurs Caterpillar et les gens, c'est un peu tiré par les cheveux, mais d'un autre côté, il est vrai que les jeunes technophiles — dont l'autre témoin vient de parler — sont les moteurs de l'économie d'aujourd'hui. Comme je l'ai dit, la principale activité de notre centre consiste à offrir un programme de maîtrise à vocation professionnelle, mais nous disposons aussi de l'espace pour accueillir des entreprises de médias numériques dérivées de notre école et d'autres entreprises qui sont attirées par le site. Il s'agit d'entreprises aussi bien canadiennes qu'étrangères. Nous organisons aussi des événements, en plus d'offrir des cours sans crédit.
Bon nombre de nos diplômés créent leur propre entreprise, et nous essayons d'appuyer ces entrepreneurs en leur offrant de l'espace et du soutien, mais je vais m'attarder sur le programme proprement dit. Je parlerai également des emplois que décrochent les étudiants et les diplômés, ainsi que des entreprises qu'ils créent après l'obtention de leur diplôme.
C'est l'industrie des médias numériques qui est à l'origine de la création de notre école. En toute honnêteté, cette idée ne provient pas des universités. C'est vraiment l'industrie qui a mobilisé les autres parties, surtout grâce à un don de 1,25 million de dollars par Electronic Arts, ce qui a permis de lancer le projet. On a fait bouger les choses en s'adressant à un organisme appelé le Premier's Technology Council, établi par un gouvernement antérieur, et on a fini par obtenir un financement provincial d'environ 40 millions de dollars pour le démarrage et le fonctionnement de l'école.
Nous avions adopté une vision d'envergure pour notre centre: devenir la plaque tournante mondiale dans le domaine des médias numériques. Nous avions sollicité beaucoup d'autres fonds, mais ces demandes n'ont pas abouti. N'empêche que le financement que nous avons reçu — environ 40 millions de dollars — nous a permis d'obtenir de bons résultats. Grâce à cet appui initial important, conjugué à une bonne planification des activités et, bien franchement, à des frais de scolarité élevés, l'école arrive à faire ses frais, même lorsqu'on tient compte de tous les coûts: installations, fonctionnement, corps professoral et personnel. C'est là un exploit assez remarquable, car il est rare qu'un programme d'études supérieures au Canada ne dépende pas de l'argent des contribuables.
Chaque année, une cinquantaine d'étudiants s'inscrivent à notre programme intensif d'un an. Ils suivent des cours et réalisent des projets, après quoi ils font un stage de quatre à huit mois qui s'étalent sur deux semestres. Au cours d’une année typique, environ les deux tiers de nos étudiants viennent de l'étranger, et ils paient des frais de scolarité de 52 000 $. Les étudiants canadiens, quant à eux, paient les deux tiers de ce montant, soit environ 30 000 $.
Ils obtiennent un diplôme d'études supérieures, plus précisément une maîtrise en médias numériques, qui est accréditée par les quatre universités. Un diplôme muni de quatre sceaux, ça ne court pas les rues. Cette entente entre les quatre universités comporte ses avantages, mais elle présente aussi son lot de défis. Je dois assister à beaucoup de réunions d’assemblées universitaires, et tout le reste. Mais nous avons simplifié un peu les choses: un des partenaires, l'Université Simon Fraser, s'occupe de la gestion, c'est-à-dire des services financiers, des services aux étudiants et des services universitaires.
Je suis sûr que vous ne vous intéressez pas tant au fonctionnement quotidien de l'école qu'aux résultats de carrière. J'y reviendrai dans un instant, mais je voulais d'abord parler un peu de la spécificité de notre programme, car je crois que cela montre bien en quoi l'économie numérique est différente et pourquoi elle a besoin d'un type spécial d'éducation et de soutien.
Dans notre cas, il s'agit d'un diplôme d'études supérieures. Nos étudiants arrivent avec un baccalauréat en main, et ce, dans une vaste gamme de domaines. Environ le quart des gens que nous recrutons ont une formation dite technique. Ils ont des diplômes en informatique et en génie. Près d'un autre quart des étudiants viennent du domaine des arts et de l'animation, puis l'autre moitié viennent de presque n'importe quel domaine — affaires, finances, sciences, arts ou sciences humaines. Au fond, les médias numériques représentent un mélange d'arts et de technologie, et c'est généralement grâce à des gens qui se trouvent entre les deux, parce qu'on essaie d'allier le contenu à la technologie.
Notre programme comporte trois aspects. Il y a les travaux liés aux cours, comme tout titulaire de diplôme de deuxième ou de premier cycle pourrait s'y attendre. Les cours sont offerts dans une classe ordinaire, même s'il y a beaucoup de tableaux blancs et de salles pour les activités de groupes, mais c'est assez semblable à ce qu'on peut trouver dans d'autres universités.
Nous offrons des cours de créativité et de narration, de gestion de projets, de théorie des médias numériques, de droit et d'affaires. Ces cours sont donnés durant tout le premier semestre, après quoi les étudiants entament le deuxième semestre, une particularité de notre école, parce qu'il s'agit d'un semestre de projets. Les étudiants s'occupent d'un projet d'équipe commandité: il y a un vrai client, de vrais produits livrables et une vraie échéance. Un membre du corps professoral offre de l'encadrement, et le commanditaire assure également une supervision hebdomadaire. Il s'agit d'un apprentissage expérientiel à son meilleur, axé sur la réalisation de projets; les étudiants apprennent la matière de façon instinctive, en livrant des produits concrets à de vrais clients, ce qui leur permet de créer le réseau dont ils auront besoin après l'obtention de leur diplôme.
Ils suivent en même temps un cours de conception d'interactions, mais autrement, ils travaillent quatre jours par semaine sur une thèse de maîtrise d'un équivalent de 12 crédits. Ils travaillent en groupe pour concevoir un produit. Ils réalisent un prototype, en démontrent le bien-fondé ou produisent une tranche verticale d'un jeu. Il s'agit, en quelque sorte, d'un travail de recherche et de développement appliqués.
Le troisième semestre peut être une reprise du deuxième; les étudiants peuvent s'occuper d'un autre projet commandité, mais ils ont aussi l'occasion d'élargir et d'approfondir leurs connaissances en suivant un cours à option, très souvent auprès d'une de nos universités partenaires. Ils peuvent aller à l'Université de la Colombie-Britannique, à l'Université Simon Fraser, à l'Université Emily Carr ou à l'Institut de technologie de la Colombie-Britannique. Ils ont également l'occasion de remplacer le deuxième projet par ce qu'on appelle un « projet de lancement », dans le cadre duquel ils mettent au point un produit, en partant d'une idée qui leur est propre. Environ le tiers de nos étudiants choisissent cette option. En réalité, il s'agit des premiers pas vers la création d'une entreprise.
Au quatrième semestre — c'est-à-dire, après une année de travaux de cours, à leur retour à l'automne —, les étudiants peuvent commencer un semestre de stage. Environ les deux tiers d'entre eux font un stage régulier, c'est-à-dire un stage rémunéré au sein d'une entreprise de médias numériques, habituellement située à Vancouver, mais aussi n'importe où dans le monde. Presque le tiers des autres étudiants choisissent de reprendre le projet de lancement qu'ils avaient réalisé à l'été et de le transformer en une vraie entreprise. Ils font ce que nous appelons un « stage entrepreneurial », dans lequel ils créent une entreprise et ils en deviennent les premiers stagiaires embauchés. Nous offrons de l'espace et un encadrement aux entrepreneurs, aux résidents, etc., ainsi que certaines des installations physiques dont ils ont besoin.
Un petit nombre d'étudiants cherchent à poursuivre leurs études — par exemple, obtenir un doctorat. Nous leur donnons l'occasion de travailler dans un laboratoire ou ailleurs. C'est ce que nous appelons de l'entrepreneuriat universitaire.
Quels sont les résultats de ce type d'éducation? D'abord, nos taux de placement sont très élevés. Il s'agit d'un programme que l'industrie avait demandé et encouragé. L'industrie embauche presque tous nos diplômés, immédiatement après leurs études ou au bout de quelques mois. Nos étudiants affichent de très bons résultats pour ce qui est de rester dans l'industrie. Il s'agit d'une industrie très instable, et il y a beaucoup de travail ingrat, ce qui pousse parfois les gens à quitter le domaine, mais nos étudiants accèdent à des postes supérieurs de conception de produits, de gestion de produits et de direction. En fait, la véritable motivation de notre école, c'était le constat que le Canada produisait d'excellents diplômés de premier cycle dans le domaine des médias numériques, mais pas assez de personnes ayant une formation en gestion.
Nos étudiants sont capables d'affronter les hauts et les bas qui sont inévitables dans cette industrie, de persévérer et de démarrer des entreprises. Depuis la mise sur pied du programme en 2007, 11 entreprises dérivées ont été créées.
Vous vous concentrez sur l'industrie du logiciel de divertissement, c'est-à-dire les jeux vidéo. Environ 40 % de nos diplômés se dirigent directement dans l'industrie des jeux vidéo, mais je pense qu'il importe de souligner que les 60 % restants s'orientent dans une foule d'autres secteurs. Je pense que ces statistiques illustrent l'énorme incidence que les jeux vidéo ont sur tous les autres secteurs, notamment les services bancaires, les soins de santé, l'éducation et le commerce de détail. Nos étudiants oeuvrent dans tous ces secteurs.
Nous avons tiré des leçons en ce qui concerne l'engagement, la façon d'attirer et de conserver les clients et les moyens d'aider les gens à tenir le coup. Toutes ces leçons que nous avons tirées dans les mondes virtuels s'appliquent au monde réel. Prenons l'exemple de l'impression tridimensionnelle et de la réalité immersive ou augmentée. Nos étudiants font partie de cette révolution qui est en train de transformer le monde entier, et pas seulement le monde des jeux vidéo.
Notre école a été mise sur pied à la même époque où le iPhone a été lancé. Il y a donc eu une période où tout gravitait autour du monde virtuel et électronique. La réalité a plus tard changé et tout tournait autour du monde des technologies mobiles et omniprésentes. Nous avons connu toute une évolution.
Je pense que la troisième transition est imminente. Il y a ce que nous appelons I'Internet, la réalité augmentée et tous les différents dispositifs qui sont désormais intégrés dans nos voitures, nos maisons et nos environnements bâtis. Nous traversons une période très excitante, mais aussi très difficile.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de discuter du rôle de premier plan que les gens hautement qualifiés joueront dans cet avenir.
:
J'aimerais remercier les membres du comité de m'avoir invité à comparaître. Je suis ravi de raconter l'histoire de Digital Extremes et de répondre à vos questions au sujet de notre entreprise ou de la place que nous occupons dans l'industrie des jeux vidéo au Canada et dans le monde.
Digital Extremes est un concepteur indépendant de jeux vidéo, ce qui signifie que nous ne sommes associés à aucun autre éditeur ou à aucun autre intervenant de l'industrie. Nous travaillons de façon complètement indépendante d'eux. Créée en 1993, notre entreprise existe donc depuis 21 ans. Nous avons un studio de 35 000 pieds carrés qui est actuellement situé à London, et nous employons environ 200 personnes.
Les jeux que nous concevons sont principalement vendus au détail, puisqu'il s'agit surtout de jeux pour console. Au cours des 10 ou 12 dernières années, nous nous sommes concentrés sur la conception de jeux vidéo pour grosse console et avons travaillé avec un certain nombre d'éditeurs différents, en mettant au point des jeux seuls ainsi qu'en collaboration avec d'autres entreprises de jeux vidéo. Nous avons travaillé sur certains des jeux à succès de l'industrie tels que Halo et BioShock. Nous avons réalisé quelques projets à la commande tels qu'une adaptation d'une bande dessinée du jeu The Darkness ainsi qu'une adaptation d'un film pour un jeu vidéo à gros budget pour Star Trek, en collaboration avec Paramount.
Lorsque nous avons démarré Digital Extremes en 1993, l'industrie des jeux vidéo n'existait essentiellement pas en Amérique du Nord. Il n'y en avait pas ici. Nous concevions des jeux de billard électrique hautement pixélisés qui étaient distribués sur des clones de 386 ordinateurs par jour, à l'époque où Internet n'existait pas encore vraiment. Les gens recevaient nos jeux gratuitement lorsqu'ils achetaient un ordinateur cloné et y jouaient un peu. À la fin du jeu, un texte s'affichait à l'écran dans lequel on leur demandait que s'ils aimaient notre jeu, ils devaient envoyer un chèque et nous leur ferions parvenir le reste du jeu ou des niveaux ou des jeux supplémentaires.
C'est ainsi que notre entreprise a démarré. Nous avons eu la chance, peu de temps après, de faire équipe avec une entreprise américaine, Epic Games, et de travailler sur Unreal, qui est essentiellement un jeu d'ordinateur.
En 2003, en tant que concepteur indépendant, nous nous sommes aperçus que l'industrie se dirigeait vers les consoles. Cette année-là, plus de gens jouaient à des jeux vidéo sur des consoles telles que Xbox et PlayStation que sur leurs ordinateurs. Nous avons donc adapté nos techniques et notre technologie et sommes devenus principalement un concepteur de jeux vidéo pour console. Depuis 10 ans environ, nous créons des jeux, d'abord pour le Xbox puis pour le Xbox 360, ainsi que pour la PlayStation. Là encore, c'était surtout des projets à la commande.
Durant ces années, l'industrie a bien entendu évolué de manières que nous n'aurions jamais envisagées. Elle a pris des proportions spectaculaires et est devenue un environnement où il est de plus en plus difficile pour un concepteur indépendant de soutenir la concurrence. Contrairement à certains des plus gros éditeurs qui existent depuis 15 ou 20 ans, dont les noms ne changent pas, il est très inhabituel qu'un concepteur indépendant survive dans l'industrie aussi longtemps. Un grand nombre de nos entreprises indépendantes de conception de jeux ne connaissent pas de gros succès et font faillite.
Je tiens à souligner que nous, les créateurs de contenu, sommes probablement ceux dans la situation la plus précaire de l'industrie des jeux, car lorsque les choses tournent mal — et les cinq dernières années ont été, bien franchement, très difficiles pour l'industrie —, c'est à ce moment-là que les épreuves nous frappent de plein fouet. Vous verrez qu'un grand nombre des mises à pied et des fermetures de studios ont une incidence sur les concepteurs de jeux indépendants.
Au cours des 10 dernières années, Digital Extremes a conçu sa propre technologie de conception de jeux brevetée, avec l'aide du programme fédéral de RS et DE. Cela nous a donné quelques avantages concurrentiels pour nous permettre de créer des jeux vidéo plus efficacement et certaines fonctions que d'autres concepteurs ont du mal à mettre au point.
La dernière transition que nous avons connue est probablement survenue au cours de la dernière année ou deux. Nous nous sommes éloignés de la vente au détail des jeux pour passer à la distribution numérique, à un modèle de jeu libre par l'entremise de microtransactions. On revient à la source de l'industrie du jeu, il y a de cela près de 20 ans. C'est un cycle intéressant dans le cadre duquel nous publierons un jeu sur Internet gratuitement. Les gens le téléchargent sans frais et, s'ils l'aiment, ils peuvent acheter des fonctions additionnelles par l'entremise d'un modèle de microtransactions par Internet. À l'heure actuelle, notre dernier jeu, Warframe, est vendu selon ce modèle dans environ 125 pays différents et génère d'excellents bénéfices.
Je tiens également à souligner que depuis 10 ans, les collèges et les universités réussissent très bien à former des concepteurs, des artistes et des programmeurs de premier échelon. Nous avons beaucoup de chance d'avoir un aussi bon système.
Malheureusement, pendant nombre de ces années, les Américains et d'autres de nos amis ont constaté que nous avions d'excellentes ressources, et un grand nombre de nos professionnels de l'industrie du jeu ont déménagé aux États-Unis et ailleurs. Ainsi, l'un des thèmes qui reviennent couramment, c'est qu'il demeure difficile de trouver des employés de niveaux intermédiaire et supérieur qui possèdent 5, 10 ou 15 années d'expérience. Nous voulons faire prendre de l'expansion à l'industrie, et les politiques actuelles en matière d'immigration nous rendent la tâche difficile, surtout pour permettre aux concepteurs indépendants de puiser dans le bassin de talents d'expérience à l'étranger.
Nous sommes d'avis que le système d'immigration est davantage conçu pour empêcher les gens d'entrer au pays que pour trouver des raisons d'accueillir des personnes qualifiées. J'appuie donc également ce point qui a été soulevé plus tôt aujourd'hui.