FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 22 novembre 2001
La vice-présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.)): Bonjour.
Nous nous occuperons du Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux quand nous aurons le quorum.
Je vais donc commencer par accueillir nos témoins. Nous sommes heureux de pouvoir poursuivre avec vous notre étude de l'intégration nord-américaine et du rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité. Nous allons aujourd'hui aborder le thème des priorités et des options stratégiques étrangères du Canada à la lumière des événements tragiques du 11 septembre. Nous pensons que nos témoins d'aujourd'hui sont éminemment qualifiés pour guider nos réflexions.
Nous commencerons par l'honorable Barbara McDougall, qui est présidente de l'Institut canadien des affaires internationales. Elle connaît parfaitement le fonctionnement de la Chambre et de notre comité puisqu'elle a été ministre. Bienvenue. C'est un plaisir de vous accueillir.
Mme Barbara McDougall (présidente, Institut canadien des affaires internationales): Merci beaucoup, madame la présidente. Cela fait longtemps que je n'ai comparu devant un comité parlementaire, et je dois dire que parfois cela n'a pas été de tout repos. J'espère que ce ne sera pas le cas aujourd'hui.
En fait, si je peux faire une petite digression, ma meilleure comparution à un comité a été une comparution devant un comité du Sénat en 1985, à propos de la faillite de deux banques. C'était la première fois qu'on télévisait un comité sénatorial, et la salle était bondée de toutes les personnes qui avaient pu y avoir accès, qui portaient leurs plus belles cravates et s'étaient fait couper les cheveux de frais. J'avais eu une partie de tennis la veille et j'étais mal tombée, et je suis arrivée au comité avec deux yeux au beurre noir. J'ai fait mieux aujourd'hui. Je ne suis pas tombée dans les escaliers et je ne me suis pas défigurée, en tout cas pas encore.
Premièrement, je suis très heureuse que vous ayez invité l'Institut canadien des affaires internationales à vous faire un exposé car cette organisation de politique étrangère qui regroupe des membres de l'ensemble du pays et s'intéresse depuis longtemps à tous les aspects de notre politique étrangère aide le Parlement et le gouvernement depuis près de 75 ans à s'occuper de ces questions.
Je vais vous présenter un saupoudrage de points de vue sur diverses questions. Je vous parlerai un peu des relations à l'intérieur de l'Amérique du Nord. Je vous parlerai de mondialisation et de questions régionales, des répercussions économiques de certaines questions de sécurité, et j'aborderai un peu aussi la question de l'immigration.
Comme votre comité le sait bien, quand on parle d'intégration nord-américaine, on parle de quelque chose de très inégal. L'ALÉNA est fondamentalement un accord commercial. Ce n'est même pas un accord économique, et encore moins un document politique, c'est purement une question de commerce. Alors, quand on parle d'intégration nord-américaine, on parle vraiment d'un ensemble de trois relations bilatérales: une relation canado-américaine qui est de plus en plus intégrée—et pour certains de plus en plus inquiétante, quoique ce ne soit pas mon point de vue—avec une intégration solidement établie depuis de nombreuses années maintenant; une relation États-Unis-Mexique dans laquelle l'intégration a un caractère très précis, un caractère commercial, mais aussi une connotation négative liée à l'immigration illégale qui inquiète aussi bien les Américains que les Mexicains. Je participais cette fin de semaine à une conférence sur ce sujet à San Francisco, et le Mexicain du groupe d'orateurs a parlé presque exclusivement de questions d'immigration et des mesures à prendre face au problème des Mexicains qui immigrent illégalement aux États-Unis. La troisième relation bilatérale, c'est évidemment la relation Canada-Mexique, avec dans ce cas une intégration quasiment inexistante.
• 0915
Il n'existe pas la moindre institution dont on pourrait dire
qu'elle s'occupe de près ou de loin d'intégration, et
particulièrement d'intégration trilatérale. Il n'y a même pas de
programme régulier de rencontres des trois dirigeants politiques ou
des trois groupes parlementaires sur une base trilatérale, bien
qu'il existe des liens bilatéraux bien développés entre le Canada
et les États-Unis.
Même si le président Bush a déclaré, pour des raisons politiques, à Mexico, une semaine avant le 11 septembre que l'ALÉNA entraînerait la transformation inévitable du Mexique en pays membre de l'Amérique du Nord plutôt que de l'Amérique latine, la population mexicaine est très ambivalente et doute fort de cette intégration, pour des raisons historiques, que manifestement je n'ai pas à vous expliquer, et pour des raisons de langue et d'économie.
Le 11 septembre a démontré que les amitiés internationales peuvent être très brèves et très superficielles. Le président Bush avait déclaré que le Mexique était le meilleur ami des États-Unis, mais il ne l'a pas répété depuis. Maintenant, c'est la Grande-Bretagne qui est le nouvel meilleur ami. Je me souviens que lorsque j'étais ministre, James Baker avait annoncé à Tokyo que le Japon était le meilleur ami des États-Unis. Tout dépend donc de la semaine. Il n'y a toutefois pas le moindre doute que la relation bilatérale Canada-États-Unis est solide et a de l'importance pour les États-Unis quoi que disent les Américains dans la capitale où ils se trouvent ce jour-là. Le 11 septembre a démontré qu'il fallait absolument examiner la relation du Canada avec les États-Unis, sur le plan bilatéral et dans un contexte mondial, et c'est ce dont je vais vous parler aujourd'hui.
Bien que les actes terroristes aient eu lieu en sol américain et que 30 Canadiens aient perdu la vie, la toile de fond de ces événements se compose d'un ensemble compliqué d'événements et d'attitudes ethniques, religieuses, dominatrices, obsessives, géopolitiques et historiques dont l'origine se trouve de l'autre côté du globe. Depuis le 11 septembre, nous avons beaucoup lu sur les raisons et les causes profondes du terrorisme. Je ne pense pas que nous commencions même à comprendre de quoi il s'agit, mais incontestablement, les événements eux-mêmes, bien qu'ils se situent dans ce contexte, ont un fondement beaucoup plus vaste, bien au-delà de l'Amérique du Nord, et découlent, dans bien des cas, de griefs historiques de longue date.
Cela nous amène à tirer deux conclusions. D'abord que la mondialisation a une incidence sur les questions et les modèles régionaux. Deuxièmement, les relations régionales et dans ce cas-ci bilatérales sont essentielles à notre avenir et à tous les aspects de notre vie. Il n'y a pas une conversation au Canada aujourd'hui qui ne fasse mention des États-Unis. Que l'on parle de culture, d'affaires, de politique, de sécurité, de périmètre, de théâtre, de shopping, il y a toujours cette comparaison avec les États-Unis, il y a toujours ce que nous faisons vis-à-vis des États-Unis, c'est presque dans l'air que nous respirons.
L'intégration s'est amplifiée et répandue depuis l'accord de libre-échange, mais cela n'a pas été le début. Sans cet accord, il se serait produit l'une de deux choses: l'intégration, particulièrement sur le plan économique, se serait poursuivie, mais à un rythme de croissance beaucoup plus lent et à un coût considérablement plus élevé pour les Canadiens à cause des barrières tarifaires et non tarifaires en existence à l'époque; ou encore, un gouvernement subséquent, comme celui-ci, aurait signé un traité de libre-échange très semblable à celui que nous avons. En fait, envisager ce continent sans intégration ou sans accord de ce genre fait peur. Le Canada avec sa population de 30 millions d'habitants est perché au haut de cet hémisphère et il y a 600 millions d'habitants en dessous. Nous serions là comme un petit béret au haut du continent, et notre tâche comme Canadiens consiste à gérer l'intégration dans notre intérêt et non pas de la combattre.
• 0920
La première chose à l'ordre du jour après le 11 septembre,
évidemment, s'était de s'assurer que la frontière avec les
États-Unis demeure ouverte autant que possible et que l'on élimine
les empêchements au commerce. Je sais que nous sommes ici
aujourd'hui pour parler de sécurité, mais la plus grande menace à
notre sécurité c'est toute menace à notre stabilité économique et
à notre commerce avec les États-Unis. Il y en a déjà des signes.
Par exemple, la société Dell Computer a annoncé qu'elle passe d'un
inventaire de trois jours comme d'habitude à un inventaire de sept
jours pour se protéger contre les retards dans le transport. La
menace pour le Canada dans ces circonstances est évidemment une
menace économique, à cause du coût accru de faire des affaires,
mais aussi parce que cela peut avoir une influence sur les
investissements au Canada dans des produits destinés à un marché
intégré.
Il devient donc d'autant plus urgent, si je peux dire, d'harmoniser les procédures afin de faciliter le commerce, et certaines initiatives étaient déjà en cours. On semblait se diriger, et c'était en préparation, vers au moins le prédédouanement coopératif. Des discussions étaient en cours sur le cautionnement des camions des sociétés de transport de façon à ce que ceux-ci puissent circuler librement sans s'arrêter à la frontière, comme en Europe. Voilà la menace économique à notre sécurité, la menace réelle, une menace à laquelle il est très important que le gouvernement et le milieu des affaires, le secteur privé, s'attaquent très rapidement afin de s'assurer que ces obstacles ne continuent pas, car nous allons voir notre produit intérieur brut diminuer s'il y a des retards à la frontière.
Nous devons également être prêts à nous montrer beaucoup plus durs en ce qui concerne l'immigration et la sécurité. Comprenez bien que cela ne signifie pas harmoniser nos politiques en matière d'immigration avec celles des États-Unis. Cela ne signifie pas changer notre attitude à l'égard de l'origine des immigrants. Le Canada est un pays hétérogène, comme on le fait remarquer à presque tous les jours depuis un mois, et nous devons continuer à revenir sur ce point de façon à ce que rien ne menace le genre de politique d'immigration que nous voulons. Il n'y a rien à redire de notre immigration ou de notre politique en matière d'immigration, ni d'ailleurs de notre politique sur les réfugiés.
Là où nous avons des problèmes, c'est au niveau de nos politiques sur la sécurité et le renseignement et sur nos procédures d'expulsion. Ce que l'on nous a crûment fait remarquer, ce n'est pas que dans ce cas-ci les terroristes sont venus du Canada, mais que nous tous, Canadiens et Américains, nous sommes de plus en plus vulnérables et qu'il nous faut améliorer nos contrôles de sécurité dans le cas de ceux qui arrivent au pays et rechercher, agressivement ceux qui réclament le statut de réfugié ou qui viennent avec un visa de visiteur et qui disparaissent une fois arrivés ici. Cela signifie des mesures plus sévères d'expulsion, quelque chose que les Canadiens n'ont jamais beaucoup aimé. Et cela signifie trouver des ressources pour améliorer la qualité de notre renseignement. Cela signifie partager les renseignements plus uniformément, non seulement avec nos homologues aux États-Unis, mais avec nos propres organismes, le SCRS, la GRC, les forces policières locales, ces dernières étant les mieux placées pour s'occuper de leur propre localité. Et cela signifie prendre des mesures sévères à l'égard de groupes qui donnent refuge aux terroristes ou qui les financent.
Nous devons prendre ces mesures non pas pour rassurer les États-Unis, mais pour rassurer les Canadiens que le Canada est sécuritaire. Les Canadiens doivent croire dans l'intégrité du système d'immigration. Si non, les premiers à souffrir seront les immigrants légitimes qui ressemblent à de soi-disant suspects, dans ce cas-ci des musulmans. Jadis, quand on entendait un accent irlandais, on supposait que la personne faisait partie de l'IRA. Maintenant ce sont les musulmans qui sont dans le collimateur. J'ai parlé à un Pakistanais à Toronto hier qui m'expliquait certaines des difficultés dans sa propre mosquée. La priorité absolue du gouvernement doit être d'assurer la sécurité de tous les Canadiens, d'où qu'ils viennent, y compris et plus particulièrement, ceux qui sont vulnérables. Je suis heureuse de voir que le gouvernement a pris des mesures en ce sens—nous pourrons en reparler plus tard, si vous le souhaitez—en présentant un nouveau projet de loi sur l'immigration et le projet de loi antiterroriste.
• 0925
Enfin, je ne sais pas jusqu'à quel point les membres du comité
souhaitent aborder l'aspect militaire de la sécurité, mais
j'aimerais faire valoir quelques points.
En ce moment, les Canadiens, et cela se comprend, sont vraiment confus sur le rôle que le Canada joue dans ce conflit. Il n'est pas vraiment clair si les troupes sont prêtes ou si elles vont partir ou ne partiront pas, quel équipement on apportera. Il y avait vraiment beaucoup de confusion.
Deuxièmement, je ne pensais jamais m'entendre dire cela, mais je pense que le moment est venu de faire un examen de la question de la défense. Quels sont nos besoins en matière de défense pour défendre ce que l'on appelle le périmètre—on en entend beaucoup parler, mais on a peu de faits pour l'instant sur la façon de procéder—et comment remplir nos engagements à l'étranger dans le climat de confusion actuelle concernant la situation de guerre et la contribution des Canadiens? Faut-il également réévaluer NORAD, à l'instar des Américains, ou inclure des activités antiterroristes dans un nouvel accord bilatéral?
Je terminerai en disant que tout cela comporte des coûts pour l'économie et entraîne des conséquences pour les entreprises, le gouvernement et les contribuables. Comme nous n'avons cependant d'autre choix, il nous faudra tout simplement les accepter.
Je vous remercie, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je vous remercie beaucoup, madame McDougall.
Je vais directement accorder la parole au professeur Albert Legault dont le curriculum vitae est fort impressionnant. Je pense que vous serez intéressés de savoir que M. Legault est fellow de l'OTAN. Il est actuellement directeur du forum sur la sécurité et la défense. Il a déjà été directeur associé du Centre pour l'information internationale sur les opérations de maintien de la paix à Paris, de 1966 à 1968.
Monsieur Legault, vous avez quelques minutes pour faire votre exposé. Je vous remercie.
[Français]
M. Albert Legault (professeur de sciences politiques, Université Laval): Merci, madame la présidente. Comme Mme McDougall, je suis tout à la fois honoré et heureux d'être parmi vous, et je vous remercie de cette invitation.
Dans le texte qui vous a été présenté, je pense qu'il y a une erreur assez dramatique, à la huitième ligne de la page 4, sous le titre «Le bouclier spatial». Il s'agit bien de «aucune ressource du territoire canadien», et non «américain».
-
...aucune ressource du territoire canadien n'est mise à
contribution dans les plans de déploiement actuels
[...] en ce qui concerne la défense antimissiles.
Voilà pour la correction.
Évidemment, ni le greffier ni le président ou la vice-présidente en titre ne nous ont demandé exactement de traiter de points particuliers. Comme le mandat de votre comité est extrêmement vaste, je me suis permis aussi d'avoir une approche assez générale, assez globale.
Sur la question de l'intégration nord-américaine, il y a quatre dossiers qui m'apparaissent importants. Par rapport à ces quatre dossiers, deux variables me paraissent aussi très importantes. C'est le facteur temps, le time frame et les perceptions réciproques, dans les deux capitales, par rapport à ces quatre dossiers.
Vous avez entendu Mme McDougall parler des relations canado-américaines; c'est un premier dossier. Il y a ensuite la lutte antiterroriste, en troisième lieu, le bouclier spatial et, en quatrième lieu, la question fondamentale de l'interopérabilité militaire entre les Forces armées canadiennes et américaines.
• 0930
Je ne vais pas insister longuement
sur la question des relations canado-américaines.
Je pense que c'est
un dossier où, de part et d'autre, l'urgence est
considérée comme élevée. C'est la même chose pour les
questions de la lutte antiterroriste.
Je pense que l'urgence est un peu moins élevée
dans la question du bouclier spatial.
L'urgence est élevée, mais il y a peut-être
concurrence avec la lutte antiterroriste du côté
américain. Du côté canadien, je pense que c'est
considéré comme quelque chose qui est d'urgence
faible ou basse à moyenne selon les ministères
concernés.
Il est évident que le ministère de la Défense considère
que c'est un dossier plus ou moins prioritaire, mais
sur un échelle moyenne, alors que le ministère
des Affaires étrangères a probablement un intérêt
beaucoup moins important pour cette question.
Pour ce qui est de l'interopérabilité des forces militaires, ça dépend de la façon dont on aborde le problème. L'urgence est très élevée du côté américain, probablement parce que les Américains ont tous les moyens nécessaires financiers et militaires pour suivre la révolution dans les affaires militaires, et elle est beaucoup moins élevée ou plutôt moyenne du côté canadien, où on veut tout simplement maintenir une forme de coopération avec les États-Unis.
Pour ce qui est des relations économiques canado-américaines, comme Mme Barbara McDougall vient de vous le dire, je pense que c'est là une question urgente. Bien sûr, l'actuel ministre des Affaires étrangères, M. John Manley, a qualifié la relation canado-américaine comme étant quelque chose de transcendantal. Je ne suis pas sûr de la signification du terme. Je sais ce que ça veut dire en philosophie politique, mais sur le plan pratique, je ne suis pas sûr de ce que cela veut dire. Mais ça sonne bien.
Il est évident qu'il y a des obstacles et qu'il faut supprimer tous les obstacles aux échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, mais il s'agit, à mon sens, de questions beaucoup plus technologiques, par exemple le verrouillage de conteneurs, l'utilisation des cartes électroniques, des points de contrôle ou des convois scellés depuis le départ des marchandises jusqu'à leur arrivée. Ce sont des questions qui, à mon sens, sont beaucoup plus administratives et technologiques et qui, avec le temps, probablement d'ici un an, devraient être réglées à la satisfaction des parties.
J'élimine la sécurité portuaire, à laquelle vous n'avez pas touché et qui sera probablement un problème très sérieux pour les Canadiens à l'avenir. Comme vous le savez, les ports américains, durant la Seconde Guerre mondiale, étaient plutôt contrôlés par la mafia, et c'est un peu le cas des ports canadiens. Je pense qu'il y a beaucoup de ménage à faire dans ce domaine-là du côté canadien.
Pour ce qui est de la lutte antiterroriste, je relie mes propos à ce qui a été dit par Mme McDougall. Je pense que le système canadien est tout aussi efficace que le système américain. Je ne pense pas que le Canada ait abrité davantage de terroristes que les États-Unis. À ce moment-là, il n'y a pas vraiment d'accusations fondées qui peuvent être portées par l'un ou l'autre.
En revanche, je ne suis pas sûr qu'il devrait y avoir un périmètre de sécurité continental, ce qui est la même chose qu'un périmètre de sécurité, cela pour des raisons que j'expliquerai tout à l'heure, quand je toucherai aux aspects militaires.
La mise en oeuvre de lois canadiennes touche directement au coeur du système politique canadien, c'est-à-dire aux relations qui existent entre un gouvernement et ses citoyens, entre un gouvernement et ses provinces, entre ses polices et ses sujets. Vous touchez là vraiment au coeur du système politique canadien, et je me méfierais de comités mixtes qu'on créerait pour en arriver à un système de sécurité continental en matière de lutte antiterroriste. Après vous avoir écoutée, madame la ministre, je pense qu'on est pas très loin l'un de l'autre sur ce sujet. Je pense qu'on devra être prudents dans les choses qu'on fera.
• 0935
Trois critères essentiels m'apparaissent importants en
matière de collaboration avec les États-Unis sur la
lutte antiterroriste. Les deux premiers
sont, bien sûr, l'échange
d'information accru entre le Canada et les États-Unis
et une plus grande consultation sur des dossiers ambigus.
Si vous lisez le Globe and Mail de ce matin,
vous allez voir qu'un présumé terroriste d'origine
égyptienne aurait été libéré par la GRC à la suite d'une
communication avec le FBI. Je pense qu'ils se sont
trompés de part et d'autre et que, par conséquent, les
consultations sont importantes sur les dossiers
ambigus.
Le troisième critère—et là je me rallie aussi à
Mme McDougall—est une application ferme des lois
antiterroristes qui seront adoptées sous
peu.
La lutte antiterrorisme, c'est d'abord une affaire de police et une affaire des services de renseignement. Ce n'est qu'accessoirement que les forces armées devraient venir en aide aux forces de police ou aux forces du renseignement en ce qui a trait à des actions terroristes. Ça ne veut pas dire que ça ne deviendra pas leur rôle dans l'avenir, mais pour l'instant, disons que l'action militaire, à mon sens, n'est pas une mesure qui s'impose en ce qui a trait à l'application des lois antiterroristes. Je pense que ceci doit être du domaine des ministères qui s'occuperont des lois antiterroristes, quitte à ce que ces ministères connaissent une forme de coordination accrue, ce qui n'est pas le cas actuellement puisque chacun protège son territoire et ses informations, et que la coordination est extrêmement difficile.
Les Américains ont un problème légèrement différent. Ils ont une garde nationale, ce qu'on n'a pas au Canada. Le DOD, le Department of Defence américain, réclame la création, pour le homeland defence, d'un nouveau commandement en chef, a new CINC, commander-in-chief, qui serait sous la direction du bureau de Tom Ridge, avec une ligne de commandement direct partant du président et allant à Tom Ridge et au commandant en chef. Ce serait une chaîne de commandement tout à fait différente de la chaîne de commandement militaire qui existe actuellement.
Il se peut que cette question soit beaucoup plus importante aux États-Unis qu'au Canada, précisément à cause de l'existence d'une guerre nationale, alors que nous n'avons pas l'équivalent au Canada. Il est clair que si, comme on le soulignait tout à l'heure, l'intégration en matière de lutte antiterroriste devient plus importante entre le Canada et les États-Unis, il faudra peut-être aussi revoir les structures de commandement militaire pour le homeland defence au Canada selon la direction que prendront les Américains. On pourra en discuter tout à l'heure.
Le troisième point est le bouclier spatial. Il n'y a pas de sentiment d'urgence du côté canadien. Certains souhaiteraient, pour faciliter un peu les rapports canado-américains, que le Canada prenne maintenant une décision. Cette attitude est largement contestée par plusieurs qui estiment qu'il n'y a pas d'urgence, qu'on ne sait toujours pas ce que feront les Américains avec le Traité ABM de 1972, que le Canada est très fortement attaché à ce qu'on appelle en anglais the non-weaponization of space. Il est probable que des systèmes de défense antimissiles vont se traduire par la mise sur orbite de systèmes de défense offensifs dans l'espace et, par conséquent, on est actuellement un peu ambigus. La ligne officielle, la direction générale ou la politique générale du ministère des Affaires étrangères est de dire qu'on n'y participe pas à moins que les Russes et les Américains s'entendent et à moins de savoir ce qui va arriver au Traité ABM.
• 0940
Vous voyez qu'il y a ici une urgence qui n'est pas
tout à fait partagée par les différents ministères.
Je pense que le Canada peut se permettre le luxe
d'attendre que les Américains aient précisé leur
position et que les Russes et les Américains se soient
entendus sur une nouvelle architecture de sécurité
avant d'envisager sérieusement une
participation canadienne à ce dossier.
Pour les Américains, la lutte antiterroriste a fait passer à l'arrière-plan la question de la défense antimissiles, mais il y a évidemment deux choses dont disposent les États-Unis d'une façon colossale: ce sont le temps et l'argent. Par conséquent, ils vont y revenir. Qu'on aime ça ou pas, il est clair que les Américains vont prendre tous les moyens nécessaires pour assurer leur sécurité et que, par conséquent, les pressions américaines sur le gouvernement canadien continueront de se faire sentir dans l'avenir sur des dossiers à mon sens très importants.
Pour ce qui est de l'interopérabilité des forces canado-américaines, il n'y a pas de problème. Nous avons déjà un périmètre de sécurité continental par l'entremise de la marine et du NORAD. Il est faux de prétendre que notre équipement est complètement désuet. La preuve en est qu'il y a actuellement 2 000 marines qui participent au périmètre de sécurité des flottes américaines déployées dans le golfe Arabo-Persique. Je dis Arabo-Persique pour respecter mon ami Houchang Hassan-Yari. Donc, je ne prends pas position sur la question.
M. Houchang Hassan-Yari (professeur de sciences politiques, Collège militaire royal du Canada): Il faut dire Persique.
M. Albert Legault: Oui, c'est bien ce que j'ai dit. Vous avez supprimé un mot.
Cette intégration nord-américaine existe déjà pour la marine. Elle existe parfaitement bien pour l'aviation. Le ministère de la Défense a réussi un tour de force. Il a trouvé 800 millions de dollars pour moderniser les CF-18. Ces fonds venaient évidemment d'autres sources et n'étaient pas destinés à moderniser les CF-18 proprement dits. Ces CF-18 sont à la pointe des progrès techniques. Ils peuvent opérer avec les forces américaines de jour comme de nuit. Donc, en ce qui a trait à l'interopérabilité des forces militaires, il y a une très, très grande compatibilité entre le Canada et les États-Unis.
Mais il y a un petit problème: l'armée de terre. Si vous lisez le Globe and Mail et les articles qui parlent des disputes éternelles qui existent en ce qui a trait à la position avancée par Janice Stein et aux réponses successives sur la question de savoir quel est le rôle futur de l'armée de terre canadienne, vous verrez qu'il est évident qu'il y a des petits problèmes, mais on a quand même un SWAT Team ou un Joint Task Force 2 qui est probablement en train de fonctionner avec les forces américaines dans la région du Golfe et peut-être même en Afghanistan, mais on ne le sait pas. Peut-être qu'ils s'occupent d'autres fonctions comme la protection des VIP, mais je ne le sais pas non plus. Le ministre n'a pas l'air de le savoir ou, s'il le sait, il n'a pas l'intention d'en parler, ce qui est pareil.
Donc, il y a un petit problème qui se pose pour l'armée de terre. Est-ce qu'on doit forcément rechercher un haut degré d'interopérabilité avec les forces militaires américaines? Cela pose trois questions politiques. Est-ce qu'on doit devenir des mercenaires pour le compte des Américains? Est-ce qu'on doit devenir des amis automatiques d'une force de projection des forces américaines à l'étranger? Ou est-ce qu'on va devenir simplement un pion spécialisé dans certains domaines des opérations militaires terrestres?
• 0945
C'est une question qui
a été soulevée par la personne qui s'est exprimée
devant vous il y a quelques secondes. C'est un sujet
qui devra être abordé en priorité par le
ministère de la Défense. Quelle que soit
la position que l'on adopte sur le sujet, mon attitude
consiste à dire que cette priorité est moyenne
pour l'instant et ne m'apparaît pas constituer une
urgence aussi forte que le commerce ou les relations
commerciales canado-américaines, ou encore la
lutte antiterroriste.
En conclusion, je dirai que les principaux aspects varient selon le facteur temps. Comment envisagez-vous la résolution de ces problèmes en fonction des perceptions des deux côtés de la frontière? Le seul conseil sage que je pourrais donner au gouvernement canadien consisterait à lui dire de discuter avec les Américains et de tenter de trouver les domaines où une contribution canadienne pourra faire une différence.
C'est peut-être pour ça que je suis un Canadien.
[Traduction]
Nous pensons être différents.
Je vous remercie, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je vous remercie beaucoup.
[Français]
Merci beaucoup, professeur.
[Traduction]
J'accorde maintenant la parole à M. Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada.
[Français]
M. Houchang Hassan-Yari: Merci bien, madame la présidente.
Chers députés, comme la question posée est extrêmement large, je me permettrai de lancer un peu pêle-mêle quelques idées sur lesquelles on pourra revenir plus tard.
Je voudrais d'abord vous remercier de cette invitation. Je suis ravi de voir que les gens du gouvernement se parlent et qu'une autre composante du gouvernement est également invitée à se prononcer. Je fais allusion au collège.
La question de l'intégration économique, un processus inachevé mais en pleine évolution, est abordée. La question plus structurelle des rapports entre les deux pays, le Canada et les États-Unis, l'est également.
Si vous me le permettez, je présenterai quelques idées. Je sortirai un petit peu de ce contexte canado-américain très réduit, très rigide afin d'englober d'autres éléments importants sans la compréhension desquels il devient extrêmement difficile de réaliser une intégration.
D'abord, je pense que depuis le 11 septembre, il y a une certaine tendance à s'isoler ou à isoler l'Amérique du Nord pour réduire les risques du terrorisme, mais cela ne l'élimine pas en tous points. On peut fermer les frontières et ainsi créer un faux sentiment de sécurité.
Le deuxième point, c'est que l'intégration dont on parle ne doit pas conduire à une sorte d'américanisation du Canada. Il ne s'agit pas de rendre compatibles toutes les lois et les pratiques du Canada et des États-Unis.
Troisièmement, une plus grande collaboration dans le domaine de la sécurité commune est, bien entendu, sur la table. Mes collègues ici présents en ont parlé. Cependant, il faut définir les paramètres de celle-ci. Il ne donc faut pas entrer dans un jeu politico-militaire sans connaître les règles du jeu.
Quatrièmement, au moment de crises comme celle que nous vivons maintenant, il faut éviter toute décision précipitée pour répondre aux demandes de l'heure. Toute participation, bien entendu, nous engagera dans une voie à moyen et à long terme dont il sera très difficile de dévier.
• 0950
Cinquièmement, le Canada ferait mieux d'aller
dans les forums multilatéraux.
Comme vous le savez sans doute, le Canada doit l'âge
d'or de sa politique étrangère à son engagement sur la
scène internationale. La crainte que j'ai, c'est que
cette question d'intégration nous ramène à une région
beaucoup plus réduite, avec tous les dangers associés à
cette régionalisation. Par conséquent,
le Canada ne doit pas se replier sur
sa région géographique maintenant que la tendance
économique surtout, mais également
politique est à la mondialisation et que la guerre
contre le terrorisme, si elle devait être continuée,
doit se tenir, du moins en partie,
sur des territoires lointains.
Autrement dit, le Canada ne peut pas espérer s'attaquer au profond problème du terrorisme avec seulement les États-Unis, et même en incluant le Mexique, comme cela a été souligné tout à l'heure. Ce problème du terrorisme a des racines extrêmement profondes, et on ne peut pas espérer lutter efficacement contre ce fléau sans se préoccuper des racines de ce problème.
L'autre point, c'est que la sécurité n'est plus régionale. Si, dans le passé, on pouvait espérer endiguer l'Union soviétique ou l'expansion du communisme par la voie du NORAD, etc., aujourd'hui, la sécurité est mondiale. La preuve, c'est que les Américains sont en train de faire une guerre en Afghanistan, un pays très peu connu il y a à peine quelques mois, une guerre à laquelle participent également le Canada et un certain nombre d'autres pays.
Donc, si c'est un problème mondial, si c'est une préoccupation universelle, il faut s'y attaquer globalement. On ne peut pas espérer lutter efficacement contre le terrorisme en se repliant sur sa région.
L'autre point, et je pense que c'est un point très important, c'est que la sécurité n'est plus une affaire uniquement militaire. C'est une affaire liée à des problèmes extrêmement variés, extrêmement divers tels que la pauvreté, la répression, les politiques économiques, les poussées démographiques, l'environnement, l'injustice sociale, la division pyramidale du monde entre ceux qui possèdent et ceux qui cherchent à posséder, la question de l'immigration, etc., dont certains viennent d'être soulignés.
Le deuxième point, c'est la nécessité d'une plus grande prise de conscience réelle et exécutoire des difficultés des autres. C'est pourquoi je pense que les difficultés des autres sont maintenant les nôtres. La tragédie du 11 septembre et les événements qui l'ont suivie démontrent effectivement cette réalité. Autrement dit, on assiste ici, dans la meilleure hypothèse ou peut-être dans un espoir extrêmement noble, à un retour aux valeurs de la Charte, les valeurs auxquelles le Canada adhérait très fermement au moment de la rédaction de ce document.
C'est pourquoi il faut faire fonctionner l'ONU, la seule organisation universelle ayant une vaste légitimité. Il faut dissiper les nuages de soupçon qui pèsent sur l'organisation. Sa mission doit être universelle, mais il faut surtout qu'il y ait une cohérence dans ce retour aux valeurs onusiennes. Il ne faut pas utiliser l'ONU en ce moment de crise et ensuite revenir à l'unilatéralisme quand la crise sera dissipée. Tout cela ne peut se faire que par une plus grande coopération dans le domaine de la sécurité entre les différents acteurs de la scène internationale, y compris le Canada et les États-Unis.
• 0955
J'insiste pour dire qu'il faut revenir à
la légitimité de l'ONU. Tout ce qui se passe
dans la région du Moyen-Orient, par exemple, et toutes les
prises de position des pays de cette région montrent
clairement qu'il y a énormément d'hésitation quand
l'opération est conduite par des Américains,
mais qu'il y aurait une adhésion presque automatique à une
opération conduite par les Nations Unies.
En guise de conclusion, je dirai qu'il faut lancer un appel à la prudence dans la réflexion sur l'intégration. L'intégration ne doit pas être automatique et surtout aveugle. Tout à l'heure, le professeur Legault a mentionné la question du bouclier antimissiles et de l'absence d'urgence quant à cette question. Effectivement, il n'y en a pas, surtout pour le Canada. Il ne faut pas que le Canada se précipite pour accorder son appui à ce projet extrêmement controversé, qui ferait énormément de tort au prestige et à la place du Canada sur la scène internationale, puisqu'on connaît très bien la réticence des Européens vis-à-vis de ce bouclier. Donc, à mon avis, il n'y a pas lieu, pour le Canada, d'épouser une idée controversée comme celle-là.
Franchement, ce qui s'est passé le 11 septembre a été une tragédie pour les Américains, mais il faut dire que de telles tragédies se répètent de façon presque quotidienne sur la scène internationale. Je pense qu'il faut être un peu prudent quand on parle d'une guerre mondiale contre le terrorisme. Je ne veux pas répéter ce que vous savez déjà, c'est-à-dire qu'une partie importante des terroristes sont des anciens alliés des puissances qui les combattent aujourd'hui.
Donc, il faut être prudent et il faut essayer de se pencher sur les questions fondamentales qui sont celles que je viens de souligner, c'est-à-dire les causes du terrorisme, le pourquoi du terrorisme, la raison pour laquelle les États-Unis sont attaqués. Par conséquent, il faut essayer d'enrayer le terrorisme ou du moins d'isoler les terroristes dans les régions où leur voix a un certain écho.
Ma collègue soulignait la question des soupçons à l'égard des minorités venant de cette région du monde. Je sens effectivement un peu de pression. Quand je suis allé à New York il y a deux semaines, il y a eu un random check et, tout à fait par hasard, j'ai été identifié comme l'un de ceux qui devaient passer par ce processus. Donc, il faut que le Canada évite de verser dans cette hystérie, qu'on peut essayer de comprendre mais qui n'est pas nécessairement justifiable.
En terminant, j'appelle le Canada à la prudence dans l'ensemble de ce dossier de la lutte contre le terrorisme. Merci bien de votre attention.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, professeur.
[Traduction]
Réglons une petite question administrative avant d'entendre le second groupe de témoins. Nous devons adopter la motion qui porte sur le projet de loi C-41.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je regrette, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Vous demandez si nous avons le quorum? Nous l'avons.
Mme Francine Lalonde: Oui.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Enfin, nous n'avons pas le quorum.
M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): Nous pouvons faire comme si nous avions le quorum.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Vraiment?
M. Stan Keyes: Oui. Si nous avons le consentement unanime des membres du comité, madame la présidente, nous pouvons faire comme si nous avions le quorum. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une motion controversée.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je ne suis pas sûre que nous puissions faire comme si nous avions le quorum.
M. Stan Keyes: C'est possible, si vous avez le consentement unanime des membres du comité.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Est-ce qu'on peut, par consentement unamine, constater le quorum quand il n'y en a pas?
[Traduction]
M. Stan Keyes: Oui, Francine, avec le consentement unanime du comité.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je le sais.
[Traduction]
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Nous sommes tous d'accord.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Non. Une fois qu'il a été demandé, on ne peut plus faire ça.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Très bien. Il faudra simplement faire en sorte que nous ayons le quorum. Mon conseiller m'indique que si le quorum a été demandé quand nous traitons d'une motion, nous ne pouvons adopter cette motion à moins qu'il n'y ait quorum.
M. Stan Keyes: Puis-je poser une question au greffier, madame la présidente?
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Oui.
M. Stan Keyes: Si le comité décide à l'unanimité de faire comme s'il y avait quorum, ne peut-il pas se prononcer sur la motion?
Le greffier du comité: Madame la présidente, à mon avis, le comité prend une décision en disant qu'il y a consentement unanime et dans ce cas-là, le quorum est nécessaire.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Madame la présidente, Pierre Paquette s'en vient.
[Traduction]
Monsieur Keyes, M. Pierre Paquette arrive et nous aurons alors le quorum.
[Français]
Vous serez content.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Très bien. Nous entendrons donc nos témoins et nous y reviendrons.
M. Stan Keyes: Je conteste la décision du greffier. S'il vérifie, il verra que j'ai raison.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Nous ne devrions pas contester la décision d'un greffier en présence...
M. Stan Keyes: Je ne dis pas qu'il doit le faire tout de suite, madame la présidente. Il pourra vérifier ce qu'il en est à un autre moment.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Avons-nous maintenant le quorum? Allons-nous faire comme si nous l'avions? Très bien. Dans ce cas, voici ce qu'il en est.
Le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur la Corporation commerciale canadienne, a franchi l'étape de la deuxième lecture le 20 novembre et a été renvoyée au Comité des affaires étrangères et du commerce international. Il avait été question de renvoyer le projet de loi au Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux. Par l'intermédiaire du greffier, la présidence vous a distribué une ébauche de motion en ce sens hier et je pense que nous l'avons tous sous les yeux.
M. Stan Keyes: Je propose l'adoption de la motion, madame la présidente.
(La motion est adoptée)
M. Stan Keyes: À l'unanimité.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je vous remercie beaucoup.
M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib): J'invoque le Règlement, madame la présidente. Siégeons-nous jusqu'à midi?
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Oui.
M. Pat O'Brien: Nos témoins connaissent à fond ces questions et leurs exposés sont très intéressants. J'aimerais cependant signaler que compte tenu du nombre de personnes qui doivent prendre la parole, si chacune d'elle consacre le même temps à son exposé, les deux tiers de la séance auront été consacrés aux exposés.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je sais que vous avez hâte de poser des questions aux témoins.
M. Pat O'Brien: En effet.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je demanderai donc aux trois témoins qui n'ont pas encore pris la parole de bien vouloir s'en tenir à huit ou dix minutes pour que nous ayons le temps voulu pour leur poser des questions. Les exposés des trois témoins précédents ont été tellement stimulants que les membres du comité ont hâte de leur poser des questions.
J'accorde maintenant la parole à M. Jean Daudelin, attaché de recherche principal dans le domaine de la prévention des conflits, à l'Institut Nord-Sud. L'Institut Nord-Sud célèbre son 25e anniversaire. J'ai participé au petit déjeuner de travail ce matin au cours duquel l'Institut a lancé son rapport intitulé Le Canada et le Monde. Il s'agit d'un document impressionnant. Je suis sûre que vous avez participé à sa rédaction à titre d'attaché de recherche principal. Bienvenue, monsieur Daudelin.
M. Jean Daudelin (témoignage à titre personnel): J'aimerais d'abord remercier le comité de m'avoir invité à témoigner devant ses membres. Je dois aussi souligner que les propos qui suivent ne reflètent pas nécessairement la position de l'Institut Nord-Sud.
On a des discussions, nous aussi, sur le 11 septembre et on ne s'entend pas toujours. Donc, d'une certaine façon, je témoigne à titre personnel, mais ces réflexions résultent en partie de discussions qu'on a eues entre nous.
Les attentats du 11 septembre ont eu deux conséquences importantes pour la politique étrangère du Canada. Premièrement, ils ont fait apparaître avec une clarté extraordinaire la profondeur de l'imbrication du Canada dans l'ensemble nord-américain. Deuxièmement, ils ont conféré une place centrale aux questions de sécurité dans la discussion de nos relations avec le reste du monde. Ce sont les implications de ces deux développements que j'aimerais explorer dans les minutes qui viennent.
Commençons par l'approfondissement de l'intégration du Canada à l'ensemble nord-américain. Paradoxalement, c'est probablement en raison de leur impact sur les politiques publiques que les implications du 11 septembre pour la politique étrangère du Canada sont les plus importantes.
Comme en font foi les débats actuels sur le périmètre de sécurité et la Loi antiterroriste, les attentats de septembre aux États-Unis ont d'abord et avant tout un impact sur nos politiques domestiques. Cela ne saurait surprendre. L'imbrication des politiques économiques de notre pays avec celles des États-Unis et sa dépendance à l'endroit du marché américain représentent une donnée fondamentale de la réalité canadienne.
Ce que nous avons découvert, c'est à quel point cette dépendance rendait le Canada vulnérable. Jamais auparavant n'avons-nous pu mesurer avec une telle brutalité à quel point la survie de la structure industrielle de notre pays dépendait de la transparence de la frontière qui nous sépare des États-Unis. Autrement dit, les flux financiers qui assurent la sécurité économique du Canada dépendent de la crédibilité des mesures de sécurité qui sont actuellement en discussion. Il faut convaincre les investisseurs américains, mais aussi canadiens et européens, que la frontière demeurera aussi transparente que possible et qu'ils peuvent donc produire indifféremment au Canada ou sur le territoire américain.
Les politiques canadiennes affectant la sécurité continentale, sans être calquées sur les lois américaines, doivent clairement avoir les mêmes fonctions et les mêmes résultats. Ces lois sont nombreuses, et l'idée qu'elles doivent être adoptées dans une large mesure en fonction des préoccupations de nos voisins en dérange plus d'un, qui y voient une atteinte inacceptable à la souveraineté du pays. Je ne crois pas qu'une telle position soit justifiée, cela pour trois raisons.
D'abord, les impératifs de sécurité territoriale du Canada et des États-Unis convergent largement. Deuxièmement, les deux pays ont à l'égard de l'immigration, une question centrale dans ces débats, des politiques plus proches que tout autre pays de l'OCDE. Enfin, les coûts d'une politique trop étroitement nationaliste sont inacceptables.
La véritable option ne réside pas dans un refus global de l'intégration sécuritaire de l'Amérique du Nord ni dans une résistance à la pièce aux atteintes à la souveraineté que contiendrait chaque loi introduite ou modifiée. Elle se trouve plutôt dans une discussion intégrée des modalités de l'intégration nord-américaine.
Je m'explique. Pour les raisons mentionnées précédemment, la gestion des questions nord-américaines ne peut qu'être au centre de nos préoccupations. Toutefois, leurs implications domestiques font en sorte qu'elles ne sauraient être du ressort de notre seule politique étrangère. Elles relèvent de quelque chose d'autre, comme les affaires européennes ne sont pas vraiment une question de politique étrangère pour la France ou l'Allemagne.
Certains ont appelé ce nouveau champ «intermestique», un mot que je trouve personnellement horrible. Je préfère donc paraphraser Brian Tomlin et enraciner en quelque sorte le concept pour parler plus simplement de nord-américanisation des politiques publiques du Canada.
Ce qu'accentuent les événements du 11 septembre, c'est le besoin criant d'une réflexion sérieuse qui s'attache strictement aux affaires nord-américaines et qui parte du constat de l'intégration du Canada dans un complexe économique sécuritaire, et dès lors aussi politique, qui s'étend jusqu'au Rio Grande et possiblement mais pas nécessairement, comme plusieurs l'ont souligné déjà, jusqu'à la frontière sud du Mexique. Nous avons maintenant besoin d'une politique nord-américaine ni domestique ni étrangère, mais d'un autre ordre.
• 1010
Cette réflexion doit être intégrée.
Elle ne saurait toucher séparément les questions
monétaires, le dollar, la dollarisation, les questions
commerciales, les questions énergétiques,
environnementales, migratoires, policières ou
militaires. Le temps est révolu où il était utile de
discuter dans des forums distincts de monnaie commune,
de marché commun, de migration ou de périmètre de
sécurité. La politique dont nous avons besoin ne
saurait donc émerger dans le cadre étroit d'une
réflexion sur la politique étrangère du pays ou d'une
réflexion sur la politique de défense du pays. J'irais
même plus loin: l'élaboration d'une politique étrangère
nord-américaine post-11 septembre serait
contre-productive.
La centralité de l'insertion continentale du Canada pour l'ensemble des politiques publiques doit être pleinement reconnue et assumée. Nous avons besoin d'un énoncé de politique venant du gouvernement dans son ensemble.
La seconde conséquence importante des événements du 11 septembre est l'accent mis sur la sécurité. Dans la foulée du 11 septembre, il semble que nous abordions toutes les questions sous l'angle de la sécurité. Cette obsession sécuritaire risque fort d'orienter nos investissements en politique étrangère dans une direction qui n'est pas la meilleure, surtout du point de vue des pays les plus pauvres, dans la mesure où ceux-ci souffrent déjà des conséquences du 11 septembre pour leurs économies et où ils risquent de payer le prix d'une concentration de nos intérêts en Amérique du Nord. J'aimerais brièvement attirer l'attention du comité sur cette question.
Les événements du 11 septembre n'ont pas épargné les pays en développement. La récession ou la stagnation économique qui frappe les États-Unis, l'Europe et le Japon vient fermer leurs marchés d'exportation. Les pays dépendant du tourisme sont particulièrement touchés.
D'autre part, par ricochet, les problèmes qui frappent les économies développées risquent aussi d'affecter les niveaux d'aide au développement, puisque les gouvernements sont confrontés à une réduction de leurs revenus et à des dépenses accrues dans le domaine de la sécurité. Le gouvernement canadien doit résister à cette tendance et trouver ailleurs que dans ses piètres budgets d'aide les sommes nécessaires pour la sécurité.
Le 11 septembre n'a réduit en rien les problèmes qui confrontent les pays les plus pauvres. Le sida continue à tuer des centaines de milliers de personnes en Afrique et, ce faisant, brise des familles, des structures sociales et des économies, créant des masses de jeunes itinérants qui ne peuvent qu'alimenter la violence criminelle ou politique, ou les deux à la fois, et approfondir encore et toujours la crise politique, la guerre civile et la misère qui en découlent. Les problèmes de santé publique, de sécurité publique, de réintégration des réfugiés, de migration massive, de gouvernance, d'éducation fondamentale et d'approvisionnement en eau potable demeurent entiers. Pourtant, il n'est pas du tout clair que les investissements requis seront engagés. Ce problème est aggravé par la tendance, renforcée par les attentats terroristes, à considérer les questions de développement sous l'angle de la sécurité.
Plusieurs voix se sont en effet élevées au cours des deux derniers mois, qui appellent aussi à un effort particulier en faveur des pays en développement. Beaucoup le font toutefois au nom de la lutte contre le terrorisme. Ces appels sont venus tant des gens et organisations impliqués dans le domaine du développement que des milieux de la sécurité. Le raisonnement sous-jacent est tout simple: la pauvreté, la misère et le désespoir qui en découlent pousseraient les gens vers la violence et le terrorisme, les pays vers la guerre civile, et les populations vers l'exode. L'aide au développement devrait donc être conçue comme un moyen de nous protéger du terrorisme et des migrations massives en provenance du tiers monde. Cette perspective est dangereuse, d'abord parce qu'elle s'appuie sur un raisonnement fautif. Les pays les plus pauvres ne sont pas et n'ont jamais été des pépinières de terroristes. La majorité des réfugiés qui atteignent le Canada et les pays occidentaux ne viennent pas non plus de ces pays.
Enfin, s'il est vrai que les pays les plus pauvres de la planète sont aussi surreprésentés au chapitre des guerres civiles, il n'est pas clair que ce soit le sous-développement qui ait provoqué ces guerres plutôt que l'inverse, les guerres provoquant le sous-développement.
L'aide au développement ne saurait mener à la pacification des pays en guerre, au désarmement des terroristes et à l'assèchement des souches de réfugiés à destination des pays occidentaux et du Canada en particulier. Demander à l'aide qu'elle livre une marchandise qu'elle ne peut livrer risque de la discréditer, en plus de mener à une allocation peu judicieuse de budgets d'aide de plus en plus restreints.
• 1015
Enfin et surtout, vendre l'aide au développement en
présentant les déshérités de la planète comme des
dangers pour notre sécurité risque fort d'être
contre-productif, car la peur des pauvres, pour
reprendre l'expression de
Cranford Pratt,
est mauvaise conseillère. Elle est mauvaise
conseillère d'abord et avant tout parce qu'elle mène à
des mesures défensives et non pas à un accroissement
durable des budgets d'aide. Elle est aussi perverse en
ce qu'elle peint des victimes sous les traits
d'agresseurs et considère ceux qui voudraient les aider
comme des calculateurs mesquins.
Les politiques d'aide doivent être fondées sur une générosité authentique et sur la reconnaissance de l'interdépendance des habitants de la planète devant les défis que posent les problèmes environnementaux, sanitaires et économiques qui les confrontent. Elles ne régleront pas plus les problèmes de terrorisme que ne l'ont fait les programmes de développement régional au Pays basque ou en Irlande du Nord. Le terrorisme est un problème politique, militaire et financier. L'aide au développement n'est pas un bon outil pour le régler.
En résumé, les événements du 11 septembre imposent au Canada d'élaborer une véritable politique nord-américaine qui assume à la fois sa profonde intégration commerciale, financière, sécuritaire et culturelle avec les États-Unis, mais aussi la nécessité d'aborder ensemble toutes ces dimensions.
L'élaboration et la mise en place d'une telle politique n'impliquent pas le choix d'une union économique ou monétaire ou encore d'arrangements politiques intégrés. Elles exigent toutefois que soit abandonnée l'approche à la pièce favorisée jusqu'à maintenant dans un livre blanc sur la défense, un nouveau livre blanc sur les affaires étrangères, une loi antiterroriste, une loi spéciale sur l'immigration et ainsi de suite.
Par ailleurs, la politique étrangère du Canada doit éviter que les préoccupations nord-américaines qui découlent des attentats terroristes aux États-Unis ne mènent à la réduction de l'effort consenti pour aider les pays les plus pauvres ou qu'elles n'entraînent l'asservissement des politiques d'aide à des impératifs de sécurité.
Je vous remercie.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
J'accorde maintenant la parole à M. Andrew Cohen. Nous savons que vous êtes un ancien correspondant à Washington et que vous êtes actuellement professeur à l'École de journalisme et des communications de l'Université Carleton.
Monsieur Cohen, je vous en prie.
M. Andrew Cohen (professeur, École de journalisme et des communications, Université Carleton): Je vous remercie, madame la présidente, et mesdames et messieurs. Si vous me le permettez, je vous entretiendrai en général des priorités en matière de politique étrangère du Canada et pas seulement de ses priorités en Amérique du Nord.
Depuis les événements survenus le 11 septembre, il a été beaucoup question de la relation entre le Canada et les États-Unis et de la place du Canada dans le monde. La déclaration peut-être la plus étonnante est celle que le ministre des Affaires étrangères, M. John Manley, a faite le 5 octobre:
-
Nous continuons à miser sur la réputation que nous nous sommes
taillée dans le monde il y a de cela deux générations ou plus, mais
nous ne sommes plus à la hauteur de cette réputation. On ne peut
pas faire partie du G-8 et s'absenter pour aller à la toilette
lorsque vient le moment de régler la note. Si nous voulons jouer un
rôle important dans le monde, même si nous ne sommes pas parmi les
membres les plus importants du G-8, nous devrons être prêts à en
assumer le coût.
Le ministre a fait état de lacunes flagrantes—je ne fais que reprendre ses mots—dans la politique en matière de relations étrangères et de défense du Canada et a fait remarquer que ces lacunes l'empêchent d'honorer ses engagements internationaux. M. Manley savait très bien ce qu'il disait et il n'a pas retiré ses propos. En fait, il les a confirmés le lendemain. Beaucoup de choses ont changé depuis le 11 septembre et les responsabilités qu'on nous demandera d'assumer vont nécessairement augmenter. Si nous voulons continuer d'exercer une influence dans le monde comme nous l'avons fait par le passé, nous devrons être prêts à nous acquitter de ces responsabilités.
Si je cite M. Manley ce matin, madame la présidente, alors que le comité se penche sur les priorités que le Canada devrait se fixer en matière de politique étrangère en Amérique du Nord et dans le monde, c'est parce que ses propos sont justes et pertinents tout en étant très directs, ce qui est rafraîchissant. Tant de platitudes passent aujourd'hui pour des politiques publiques que les propos du ministre sonnent juste. Plus que qui que ce soit d'autre, je crois qu'il comprend les limites de la politique étrangère du Canada et les risques qu'elle comporte. Il a lancé une mise en garde à un pays qui, dans un certain sens, s'est retiré du monde.
Cela ne signifie évidemment pas que le Canada n'est pas présent dans le monde. Il l'est, et il continuera de l'être, si ce n'est que modestement. Comme M. Manley le fait cependant remarquer, la contribution du Canada n'a pas été à la hauteur de ses aspirations. Nous nous en sommes tirés pendant trop longtemps à bon compte, pratiquant ce qui a été décrit comme une «diplomatie de grippe-sous et une politique étrangère de pique-assiette». Notre hésitation à faire notre part au plan financier a entraîné des conséquences. Cette hésitation a terni notre réputation internationale. Ces dernières années, nous avons réduit nos engagements à plusieurs égards: taille de nos forces armées, qualité de notre service diplomatique, étendue des activités de renseignement de sécurité et générosité de notre aide étrangère.
• 1020
Le 11 septembre a changé la donne. La nouvelle guerre contre
le terrorisme nous oblige à faire un choix si nous voulons
continuer d'exercer une influence dans le monde, et je dis bien
exercer une influence. Le Canada, comme il le fait toujours,
continue de se demander quel type de pays il veut être à l'échelle
nationale et il doit maintenant se demander de nouveau quel type de
pays il souhaite être à l'échelle internationale.
Le Canada souhaite-t-il continuer d'être un pays qui affame ses forces armées, réduit son aide humanitaire, dilue sa diplomatie et ne participe pas vraiment à la collecte de renseignement de sécurité à l'échelle internationale? Voulons-nous continuer d'appartenir aux divers conseils internationaux—et nous sommes membres d'à peu près tous les clubs internationaux—et nous contenter de parler de l'époque où nous jouions le rôle utile d'intermédiaire dans les conflits internationaux et nous rappeler avec nostalgie l'époque dorée de la diplomatie canadienne? Comme le disait Tom Lehrer dans sa boutade satirique, à quoi sert d'avoir des lauriers si on ne peut pas se reposer sur eux? Autrement dit, voulons-nous continuer de siéger aux conseils internationaux pour des raisons purement économiques ou voulons-nous nous doter d'une politique étrangère digne de notre géographie, de notre histoire et de notre diversité?
Nous pouvons continuer d'opter pour la médiocrité. Ce n'est pas difficile. Nous n'avons qu'à poursuivre dans la même voie qu'aujourd'hui, bien que force est de constater que le Canada joue un rôle plus important à l'échelle internationale que la plupart des autres 188 membres des Nations Unies. Nous pourrions donc choisir cette voie. Nous pourrions décider de cesser d'exercer une influence dans le monde. Ce pourrait être un choix légitime et même honorable s'il reposait sur un débat et faisait l'objet d'un consensus. Tenons donc un débat national sur la question. Si après avoir comparé le coût d'une présence sur la scène internationale à nos besoins socio-économiques nationaux, nous estimons que le coût de cette présence serait trop élevé, replions-nous, levons les ponts et réfugions-nous dans ce qui était autrefois une maison pouvant résister aux incendies et cessons de prétendre d'être ce que nous ne sommes pas.
Cette forme de néo-isolationnisme présente certains avantages au point de vue pratique. Nous pourrions, par exemple, abandonner la promesse jamais réalisée de consacrer 0,7 p. 100 de notre produit intérieur brut à l'aide étrangère, promesse qui revient dans chaque budget comme le fantôme de Banquo. Nous pourrions alors fermer des ambassades, cesser d'appartenir à des clubs internationaux et recourir à l'impartition encore plus que nous le faisons dans le domaine des relations internationales. Nous pourrions renoncer à participer aux missions de maintien de la paix et nous contenter de créer une force constabulaire nationale dont le seul rôle serait de défendre la société civile. Nous pourrions aussi cesser de déplorer le fait que nous ne participons pas vraiment aux activités internationales de collecte de renseignement de sécurité.
Si cette approche risque de nous causer de l'embarras, elle serait à tout le moins honnête. La plupart des Canadiens rejetteraient sans doute cet esprit de clocher. Ils seraient d'avis qu'une politique étrangère étriquée n'est pas ce qu'il convient pour le pays qui se situe au deuxième rang dans le monde pour sa taille, qui possède l'une des plus vieilles et des plus belles démocraties de la Terre et qui est un exemple de pluralisme et de tolérance. Ils seraient d'avis qu'une telle politique déprécie le Canada, l'un des architectes des Nations Unies, de l'Organisation du Traité de l'Atlantique-Nord et de la Francophonie et le pays qui a mené à bien la gestation du Traité interdisant les mines terrestres et du Tribunal sur les crimes de guerre. Ils feraient valoir que c'est une politique qui est risible pour un pays qui tire 40 p. 100 de sa richesse du commerce international, dont les forces armées venaient au quatrième rang au monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui a perdu des soldats à Ypres, à Verdun et à Vimy, en Italie, en Normandie et aux Pays-Bas; une politique risible pour un pays qui avait autrefois l'un des meilleurs services diplomatiques au monde et qu'on associait avec les opérations de maintien de la paix et qui aspirait même à diriger les efforts internationaux déployés pour répondre aux besoins des citoyens les plus démunis du monde.
La question que nous devons maintenant nous poser de façon encore plus urgente depuis le 11 septembre est celle de savoir si nous voulons de nouveau être un protagoniste sérieux à l'échelle internationale, avec tous les droits et toutes les responsabilités que cela suppose. Si c'est le cas, posons-nous une question encore plus directe: Comment être une puissance moyenne créative et activiste qui continue, comme par le passé, de préconiser la modération et le compromis, et comment le faire en étant conscient de nos limites, mais en voulant préserver notre influence? Comment redonner à nos forces armées la vigueur qu'elles avaient autrefois et comment les préparer à faire face tant aux nouvelles menaces qu'aux anciennes sans pour autant abandonner notre rôle dans le domaine du maintien de la paix? Comment redonner à l'aide humanitaire l'importance qu'elle avait autrefois pour nous lorsque nous venions en aide aux plus démunis du monde par des moyens commerciaux ainsi que par une aide humanitaire innovatrice? Comment redorer le blason de nos diplomates qui savaient très bien défendre nos intérêts et dont l'efficacité était mondialement reconnue? Autrement dit, comment tirer parti de nos points forts, de notre diversité, de notre expérience, de nos ambitions et de nos ressources? Comment profiter de nos compétences dans le domaine des langues, des transports et des communications?
• 1025
Le comité entendra des témoins qui peuvent lui proposer des
solutions beaucoup plus détaillées que je ne pourrais le faire, et
je pense que ce réexamen de nos priorités doit porter sur quatre
domaines.
Ces dernières années, il est devenu courant de déplorer le déclin de nos forces armées tout en louant le courage et la compétence de nos soldats. Entre 1993 et 1998, le budget du ministère de la Défense nationale a été réduit de 30 p. 100 et son pouvoir d'achat réel a diminué encore davantage. Nous consacrons environ 1,1 p. 100 de notre PIB à la défense comparativement à 2,4 p. 100 en Grande-Bretagne et à 3 p. 100 aux États-Unis. Nos forces armées, qui ne comptent maintenant que 55 000 membres, ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient autrefois. Il fut une époque où notre fierté nous poussait à participer à toutes les missions de maintien de la paix, mais ce n'est plus le cas. Il fut une époque où nous avions les soldats et l'équipement voulus pour participer à une guerre. Nous continuons de participer à des guerres avec fierté mais avec beaucoup de peine.
Tout le monde reconnaît que notre équipement est désuet et que notre effectif militaire est insuffisant. Tout le monde convient que nous devons accroître le budget des forces armées et que le 1 milliard de dollars qui sera peut-être réservé à cette fin dans le prochain budget ne suffira pas. La question que nous devrions nous poser est de savoir si nous voulons que nos forces armées continuent d'être polyvalentes ou si elles ne devraient pas se spécialiser dans quelques domaines. Certains, comme le Conseil pour la sécurité des Canadiens au XXIe siècle, qui, si je ne m'abuse, comparaîtra devant le comité, pensent que nous devrions participer à moins de missions des Nations Unies. À mon avis, nous devrions faire le contraire. Dans un cas comme dans l'autre, il nous faudra des forces armées plus puissantes si nous voulons exercer une influence dans le monde.
Notre budget au titre de l'aide étrangère ne représente plus que 2,3 milliards de dollars, soit 0,25 p. 100, de notre produit intérieur brut. Le Canada était à une époque l'un des pays qui contribuait le plus à l'aide internationale, mais il est maintenant l'un des pays de l'OCDE qui y contribue le moins. En 1991, notre budget au titre de l'aide étrangère représentait 0,49 p. 100 de notre PIB et il ne représente plus que 0,25 p. 100 comme je le disais. On peut dire que nous sommes de moitié moins généreux que nous ne l'étions il y a 15 ans. C'est une honte. Les Pays-Bas, la Suède, la Norvège, le Danemark et la Finlande ont tous atteint l'objectif de 0,7 p. 100, mais pas nous. Le problème qui se pose n'est pas uniquement lié aux sommes que nous consacrons à l'aide internationale, mais aussi à la façon dont nous dépensons cet argent. Le débat sur la question a cours depuis des années, et le moment est maintenant venu de cesser de lier notre aide à l'achat de biens et de services, une façon plus coûteuse et moins efficace de dispenser cette aide. Le moment est aussi venu de radier une plus grande part des dettes des pays du tiers monde, d'alléger les obstacles tarifaires auxquels les pays du tiers monde continuent de faire face et de permettre aux pays en développement d'accéder à la prospérité par l'entremise du commerce. Ce qui importe encore davantage, c'est qu'il convient de faire en sorte que notre aide rejoigne les plus démunis et que nous réduisions l'aide que nous accordons aux pays qui en ont moins besoin. Il convient de louer le gouvernement qui a annoncé certains changements à son programme d'aide internationale, et qui compte notamment consacrer une plus grande part de cette aide à l'alimentation et à la santé, à la lutte contre les maladies et à la promotion de l'éducation.
Comme d'autres ministères, le ministère des Affaires étrangères a subi des compressions budgétaires au cours des cinq ou sept dernières années. Le service diplomatique, autrefois l'un des services les plus prestigieux au sein du gouvernement, l'envie d'autres ministères, n'est maintenant plus que l'ombre de lui-même. Le ministère confie maintenant aux quelque 1 300 employés engagés sur place beaucoup trop de fonctions, ce qui compromet la qualité de notre représentation à l'étranger. Il n'est pas surprenant qu'environ 25 p. 100 des agents du service extérieur sont censés vouloir quitter leur poste d'ici un an ou à la fin de leur affectation actuelle étant donné la frustration qu'ils ressentent. Une pénurie d'agents a obligé le gouvernement à recruter de nouveaux agents parmi le personnel d'autres ministères et ces nouveaux agents n'ont pas eu à subir les examens rigoureux qui faisaient autrefois partie du processus de sélection du ministère. Le gouvernement doit s'efforcer de renforcer son service diplomatique. S'il doit pour le faire réduire ses coûts en participant à moins de clubs internationaux, qu'il le fasse étant donné que la diplomatie repose sur les diplomates et que les nôtres ont bien besoin qu'on les aide.
Le Canada est le seul pays du G-8 qui ne possède pas un Service du renseignement de sécurité étranger. C'est un véritable scandale. Il ne suffit pas comme nous l'avons appris que le Service canadien du renseignement de sécurité accroisse ses activités à l'étranger. Si le Canada veut être pris au sérieux, il lui faut créer un service distinct à cette fin. Nous jouissons aussi dans ce domaine d'un avantage concurrentiel. Nous avons de grandes compétences dans le domaine des communications et de la haute technologie et nous pouvons compter sur une population provenant de divers pays et parlant diverses langues.
Tous ces domaines, la défense, l'aide, la diplomatie et le renseignement, devraient faire l'objet d'un réexamen approfondi, non pas à titre individuel mais dans le cadre d'un réexamen exhaustif de la politique étrangère du Canada. Tout cela était nécessaire avant le 11 septembre, et je considère que l'urgence est plus grande après le 11 septembre. Suite à cette tragédie, le Canada pourra trouver l'occasion de prendre sa place dans le monde, de réaffirmer nos valeurs, de gagner le respect de nos alliés, d'exercer notre influence et peut-être même de viser plus haut. Au bout du compte, il s'agit de faire entendre notre voix et d'établir si nous sommes résolus à redevenir les internationalistes que nous étions et que nous pourrons être, avec la détermination voulue.
Je vous remercie.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je vous remercie. Comme présidente, je suppose que je ne peux pas dire que ces propos sont presque inspirants.
Monsieur Kirton, vous êtes le dernier, simplement parce que vous êtes professeur à l'université que j'ai fréquentée, l'Université de Toronto.
M. John Kirton (professeur, Département des sciences politiques, Université de Toronto): Merci beaucoup. Ma compatriote de Toronto m'a informé que je disposais de quatre minutes, et je vais tout faire pour être à la hauteur de cette tâche difficile.
Comme Andrew, j'aimerais parler des priorités de la politique étrangère du Canada dans toute leur globalité, mais aborder les relations canado-américaines, la question de l'intégration nord-américaine, en mettant l'accent en particulier sur deux institutions internationales qui sont à mon avis d'une importance centrale—l'ALÉNA, et le G-7, le G-8.
Tout d'abord la grande question: Les événements du 11 septembre nous obligent-ils à repenser et redéfinir les priorités de la politique étrangère du Canada? Ici ma réponse est un non catégorique. Revenons au 7 février 1995, date de la déclaration définitive en matière de politique étrangère. Lisez les premiers paragraphes. On y parle de façon plus audacieuse que jamais auparavant de la capacité et de la nécessité pour le Canada de faire preuve de leadership, en partie en accueillant des institutions internationales importantes telles que le G-7. Si vous consultez le Livre blanc sur la défense de novembre 1994, préparé après un débat très vigoureux avec le Conseil Canada 21, dans lequel on indiquait de façon catégorique que les Forces armées canadiennes seraient des forces polyvalentes et aptes au combat, capables de se battre contre les meilleures armées du monde et aux côtés des meilleures armées, et qui ne comportait aucune note de bas de page exemptant certaines catégories d'équipement et indiquant que nous nous contenterions d'équipement de deuxième ordre ou même de troisième ordre. Donc je considère que la politique et les priorités sont satisfaisantes. Il s'agit maintenant de les réaffirmer, de leur donner un nouveau souffle, d'investir les ressources nécessaires pour les concrétiser.
Comment le faire suite aux événements du 11 septembre? Laissez-moi vous proposer au cours des trois minutes et demie qui me restent huit points en particulier.
Tout d'abord, comme point de départ, je crois que nous devons affirmer au plus haut échelon au Canada le fait fondamental qu'il s'agit de notre guerre, plus encore que ne l'était la campagne visant à libérer le Kosovo en 1999. Le nombre de Canadiens innocents tués délibérément au World Trade Center, le deuxième plus important massacre prémédité de civils canadiens innocents de notre histoire, n'était pas attribuable à des dégâts subsidiaires mais à une campagne publique tout à fait délibérée d'exterminer des Américains, leurs alliés—c'est nous—et les Juifs—c'est-à-dire en partie, nous. Donc, je considère qu'il est faux de considérer au départ qu'il s'agit de la guerre de l'Amérique et de transformer la question en une interrogation sur la façon dont nous administrons nos relations avec les États-Unis.
Deuxièmement, s'il s'agit de notre guerre, il faut que le Canada fasse preuve de leadership, de leadership proactif, assuré, stratégique, au lieu d'attendre que les États-Unis définissent le problème puis présentent des options et des requêtes précises. Je ne traiterai pas des occasions que le Canada a perdues au cours des quelques premiers mois et je me concentrerai plutôt sur l'avenir car je pense que nous devons nous rendre compte qu'il s'agit d'une longue campagne, dont l'objectif approprié est d'exterminer le terrorisme à l'échelle mondiale ainsi que ses causes, et nous devons songer sérieusement à la façon dont cette campagne se déroulera, tant sur le plan des opérations militaires actuelles que sur le plan du programme de prévention des conflits qui suivra.
Troisièmement, le Canada devrait apporter une contribution distincte, et je crois qu'ici nous pouvons définir très clairement les paramètres de cette contribution. Cela signifie recourir à nos instruments traditionnels, la diplomatie professionnelle, le leadership institutionnel à l'échelle internationale et les rencontres au sommet, plutôt que de nous précipiter pour créer des organismes supplémentaires étrangers, tel qu'un service distinct d'opérations d'espionnage à l'étranger semblable à celui que la France a utilisé et utilise toujours. Cela signifie affirmer des valeurs comme les droits des minorités, à l'étranger de même que chez nous, la protection de l'environnement à l'échelle mondiale, l'allégement de la dette pour les pays les plus pauvres, une aide au développement généreuse, l'aide aux réfugiés et le réétablissement. Cela signifie qu'il faut dire aux partenaires de notre coalition qu'étant donné qu'ils bénéficient désormais de notre contribution importante et distincte, ils doivent nous inviter à leurs conseils afin que nous puissions définir collectivement et efficacement la progression générale de la campagne. Ce conseil collectif est à mon avis ce qui fait le plus gravement défaut dans cet aspect de la diplomatie qui est trop centré sur Washington et des consultations bilatérales séparées.
• 1035
Quatrièmement, le principe fondamental de l'administration des
relations canado-américaines est de traiter les Canadiens et les
Américains sur le même pied d'égalité, dans notre intérêt aussi
bien que dans le leur. Il s'agit d'une question à plusieurs
facettes. À titre d'exemple, lorsque les Canadiens prennent l'avion
de l'aéroport Pearson vers une destination canadienne quelle
qu'elle soit, ils devraient se sentir autant en sécurité qu'à bord
d'un avion à destination de l'aéroport Reagan aux États-Unis. Car
à bord de ces avions, bien entendu, des agents armés sont présents.
Je dirais qu'en ce qui concerne cet aspect, il aurait été
préférable d'aller voir ce qui se faisait de mieux ailleurs dans le
monde. Je crois que nous aurions alors porté notre choix sur
Israël, notre partenaire de libre-échange, afin de demander à El Al
la façon d'importer ces pratiques exemplaires, au lieu d'attendre
que la solution nous vienne de Washington et que cette question se
transforme en drame moral sur le contrôle des armes à feu.
L'élément clé de l'administration des relations canado-américaines consiste à se rendre compte que dans ce monde moderne de production intégrée, ils sont désormais aussi vulnérables que nous. Nous l'avons constaté dans la semaine qui a suivi le 11 septembre, comme nous le constatons chaque fois qu'il y a une grève avec les travailleurs canadiens de l'automobile dont la situation est relativement distincte. Oui, nos usines automobiles ont été les premières touchées, mais un jour ou deux plus tard, les leurs ont connu le même sort. L'intégration est partout, et je crois que le message que nous devons transmettre aux États-Unis, qui s'appuie sur des faits, est qu'il est dans leur intérêt de garder les frontières ouvertes, pour stimuler l'économie et nous permettre ainsi de remporter notre guerre à l'étranger. Il ne s'agit pas uniquement de dégâts collatéraux pour les Canadiens.
Cinquièmement, nous devrions remettre en vigueur l'avantage nord-américain, au lieu de délaisser les acquis des 10 dernières années et d'essayer de retourner à un modèle antérieur d'une relation canado-américaine spéciale et distincte, dans le cadre de laquelle nous allons faire la guerre ensemble à l'étranger en laissant les Mexicains derrière. Je crois que cela est très tentant. Je dirais que ce n'est pas la bonne façon de procéder et que l'on pourrait vraiment mettre à profit les institutions de l'ALÉNA. La Commission du libre-échange de l'ALÉNA pourrait publier une déclaration soulignant l'importance d'une frontière ouverte. C'est ce que M. Zoellick fera à Doha. Les ministres des finances du G-7 l'ont fait. Quelle est la position de l'institution centrale du libre-échange de l'ALÉNA à cet égard?
L'ALÉNA regroupe une vaste gamme d'institutions. Elles sont une cinquantaine. L'une des plus efficaces est le groupe de travail du sous-comité des transports terrestres qui s'occupe du transport des matières dangereuses, une question qui est clairement d'une importance fonctionnelle dans le cadre de la campagne actuelle. Si l'on songe à l'anthrax, ou de façon plus générale au bio-terrorisme, aux substances biologiques et chimiques, le groupe de travail de l'ALÉNA qui s'occupe des pesticides sous l'égide de la Commission de coopération environnementale possède une excellente capacité fonctionnelle intégrée que nous pourrions facilement utiliser.
J'estime que les possibilités les plus évidentes se situent dans le domaine de l'énergie, et après le 11 septembre, je considère que l'approche délibérément feutrée que nous avons adoptée depuis avril à Québec pour ce qui est de la coopération nord-américaine en matière énergétique est insatisfaisante. De toute évidence, il existe un consensus de la part des trois pays en faveur d'une approche nettement de plus haut niveau, et d'une plus grande urgence. Nous voudrions, sur la grande scène de la diplomatie pétrolière, que les Mexicains se conduisent comme de bons membres de la coalition et du caucus nord-américains, plutôt que comme des membres de facto de l'OPEP dans la stratégie qu'ils souhaitent adopter.
Sixièmement, nous devons adopter le comportement d'un bon hôte international. L'initiative de M. Martin par exemple d'accueillir le G-20, de même que le comité international des affaires monétaires et financières et le comité du développement du FMI et de la Banque mondiale, a connu un succès retentissant cette fin de semaine. Pourquoi ne pas avoir l'équivalent dans le domaine des affaires étrangères? À la réunion des ministres des Affaires étrangères du G-8 à Rome en juillet dernier, M. Manley, en tant que nouveau président, a été chargé, dans le cadre de la prévention des conflits et d'autres aspects d'un programme de sensibilisation, d'assurer une consultation plus régulière des États, ceux d'Afrique certainement mais aussi d'ailleurs. Je crois qu'il est temps de tenir une telle réunion à Ottawa qui pourrait peut-être servir de point de départ à la création d'un équivalent du G-20 dans le domaine des affaires étrangères et de prévoir, comme mise de fonds minimale, que le club de ministres étrangers fasse le nécessaire pour concrétiser la lutte contre le terrorisme, ce que les ministres des finances de leurs pays qui se sont réunis la semaine dernière n'ont pas la capacité de faire chez eux.
• 1040
Septièmement, nous devrions relancer le G-8. Il est
certainement temps, à mon avis, d'exécuter la principale promesse
faite par George Bush lors de sa campagne électorale de convoquer
une réunion des ministres de l'énergie du G-8, une réunion qui a eu
lieu par le passé, une réunion que le président voulait tenir avant
les événements du 11 septembre, une réunion dont nous avons
sérieusement besoin maintenant, parce qu'il faut que la Russie joue
un rôle dans le cadre d'une politique énergétique concertée à
l'échelle mondiale qui tient compte du terrorisme, en tant que
membre d'un club commun, au même titre que le Mexique. De façon
plus générale, en nous inspirant des leçons que nous avons tirées
du Kosovo, c'est le G-8, en commençant par le processus des
ministres des Affaires étrangères, qui est la tribune toute
indiquée pour offrir une orientation politique permanente à la
campagne contre le terrorisme dans ses dimensions militaires et
politiques intégrées à l'étranger. S'il y a un conseil auquel nous
serons appelés à participer, c'est celui-là, et c'est la tribune
toute indiquée pour le faire.
Le moment n'est peut-être pas approprié pour tenir un sommet spécial intersessions du genre réclamé par M. Berlusconi dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre et que M. Poutine entre autres a appuyé. M. Chrétien a certainement eu la bonne résolution en se tournant en premier lieu vers le G-8 comme instance institutionnelle pouvant gérer cette campagne, mais je crois qu'assurément les ministres des Affaires étrangères ont un rôle à jouer.
Enfin, nous devrions réinvestir dans la diplomatie canadienne autant que dans la défense et l'aide au développement à l'étranger. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un plus grand nombre d'agents politiques, un plus grand nombre d'agents de diplomatie ouverte, un plus grand nombre d'attachés militaires à l'étranger dans les régions où ils seront le plus efficaces. Ce sont ces personnes qui sont capables de développer des liens avec les gens du pays, de rencontrer constamment les groupes du G-8 dans les missions à l'étranger, dans les milieux diplomatiques, les groupes du Commonwealth. Et je crois qu'un aspect central, même si nous à Toronto n'avons pas d'avantage comparatif pour en parler, c'est l'existence de la Francophonie, car ce sont les membres de la Francophonie qui sont vraiment les États de première ligne.
C'est notre moyen de première intervention pour recueillir de l'information, pour cultiver l'habitude de la consultation et du consensus, pour offrir le programme des relations universitaires à certaines des écoles religieuses du Pakistan et d'ailleurs, et de prêter notre concours aux opérations d'un secours et d'aide aux réfugiés. Nous aurons besoin de tous ces éléments si nous voulons remporter cette guerre dont l'enjeu est avant tout la légitimité.
Je vous remercie.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, monsieur le professeur.
Nous allons maintenant passer à un tour de cinq minutes et nous commencerons par vous, monsieur Martin.
M. Keith Martin: Je vous remercie, madame la présidente.
Je tiens à remercier chacun d'entre vous pour vos interventions très éloquentes.
Monsieur Cohen, vous avez parlé d'un pays—et je suis d'accord avec vous à ce sujet—qui hésite à exercer pleinement son influence, alors que rien ne l'y oblige. Je crois aussi que notre propre sécurité économique est liée à notre efficacité en tant que partenaire international. Je dirais également que même si nous devons examiner nos programmes, le problème ne se situe pas tant au niveau des solutions qu'au niveau des interventions. Donc mes questions sont doubles.
Lorsque nous faisons face à une multitude de problèmes, nous avons souvent tendance à réagir plutôt qu'à prévenir. La première question que j'aimerais vous poser, monsieur Cohen, est la suivante: Selon le point de vue des États-Unis, que doit faire le Canada pour être considéré comme un atout sur le plan de la sécurité, plutôt que comme un risque?
Deuxièmement, dans la lutte contre le terrorisme et compte tenu de la coalition qui existe à l'heure actuelle, certains d'entre vous considèrent-ils que c'est une excellente occasion de crever l'abcès, si on peut dire? Comment pouvons-nous contrer la propagande haineuse et violente anti-occidentale avec laquelle on endoctrine les enfants dans certains États arabes dès le plus jeune âge? Et comment pouvons-nous parvenir à convaincre les États musulmans modernes de servir de rempart contre leurs compatriotes plus violents? Croyez-vous que cette situation nous offre une excellente occasion d'améliorer les relations entre un certain nombre de points de clivage qui existent à l'heure actuelle en utilisant cette coalition pour régler les problèmes que connaissent le Cachemire, la Palestine et Israël, le monde arabe et le monde occidental?
Je vous remercie.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je vous remercie.
Je crois que sa question s'adressait à vous, monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen: Oui. Je vais simplement répondre à la première.
Vous avez demandé, monsieur Martin, comment nous pouvons devenir un atout sur le plan de la sécurité plutôt qu'un risque pour Washington. Comme j'ai passé du temps à Washington, je ne suis pas sûr que nous arriverons jamais à en faire autant que ce que souhaitent les Américains. Je trouvais que nous avions été traités peut-être injustement, au début en tout cas—le ton s'est depuis radouci—lorsqu'on nous a reproché d'avoir une frontière poreuse. J'ai trouvé en fait très bizarre qu'on ait semblé oublier que ceux qui sont entrés aux États-Unis devaient traverser la frontière américaine. Mais il existe à Washington la perception selon laquelle notre frontière est poreuse. Je ne proposerais pas que nous harmonisions nos politiques d'immigration, ce dont certains ont parlé ici, ou nos politiques concernant les réfugiés. Je crois toutefois qu'il s'agit d'instaurer la confiance, c'est-à-dire sommes-nous un allié fiable dans le cadre de cette initiative?
Comme je ne suis pas retourné à Washington depuis un certain temps, je suppose qu'à Washington, les mesures que nous sommes en train de prendre et que nous avons pris depuis le 11 septembre instaureront la confiance. J'ignore si ces mesures seront considérées un jour suffisantes parce que pour Washington ce n'est jamais suffisant. C'est simplement ce qu'exige ce genre de société. Mais je dirais que les mesures que nous sommes en train de prendre pour resserrer le contrôle des personnes qui entrent au pays seront utiles et nous permettront de marquer des points à Washington.
Je ne parle pas ici des mesures militaires ou autres que nous pouvons prendre car à cet égard les États-Unis continuent de considérer que nous ne faisons pas notre part. Mais c'est une autre question.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Y en a-t-il d'autres qui aimeraient répondre?
M. Houchang Hassan-Yari: En ce qui concerne les slogans arabes proférés contre les Occidentaux, nous sommes en train de parler d'environ 1,5 milliard de personnes. Combien d'entre elles ont vraiment protesté, non pas contre les pays occidentaux mais contre les Américains? Très peu. De toute évidence, lorsqu'une caméra de télévision est présente, les gens en profitent.
Tous les régimes et les gouvernements arabes et musulmans, sans exception et y compris les Iraquiens, condamnent l'attaque contre les Américains. Donc, personne ne soutient vraiment cette attaque. Tous les clergés réagiront de la même façon, que ce soit le mufti de Jérusalem jusqu'au chef spirituel du Hezbollah au Liban, jusqu'à Khomeini à Téhéran et jusqu'en Indonésie et ainsi de suite. Donc ils condamnent tous cet attentat. Un grand nombre d'entre eux qualifient cet attentat contre New York et Washington d'attentat contre l'humanité. Il faut savoir que selon l'Islam, lorsque l'on tue une personne, on tue l'humanité. Il ne s'agit pas d'un slogan mais de la réalité. C'est la raison pour laquelle ces terroristes sont en fait très isolés. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur la cause de certaines politiques très négatives des États-Unis dans la région.
M. Keith Martin: Pouvons-nous faire appel aux modérés, à la grande majorité du monde musulman, des dirigeants musulmans, pour travailler sur le terrain dans ces milieux où l'Islam est dénaturée?
M. Houchang Hassan-Yari: Oui. Je crois que ces personnes sont plus perturbées que nous ne le sommes ici par tout ce débat qui entoure l'Islam, parce qu'elles considèrent que cela nuit gravement à l'Islam. De nombreux érudits vous diront que tous les efforts qu'ils ont tâché de déployer au cours de plusieurs dizaines d'années viennent d'être anéantis en raison des événements et à cause de la réaction très négative des médias, entre autres.
• 1050
Donc oui, nous pouvons coopérer avec ces personnes que vous
qualifiez de modérés, mais je crois que les gestes auront plus de
poids que les paroles. Vous avez mentionné vous-même la question
des Palestiniens, la question du Cachemire et ainsi de suite. Tant
que ces problèmes persisteront, je crois que des gens comme
ben Laden et d'autres du même acabit voudront exploiter la misère
de ceux qui vivent dans des conditions difficiles. Donc pour
éliminer les ben Laden de demain, je crois que nous devons vraiment
éliminer ces causes. En agissant ainsi, on constatera le même
résultat qu'en Allemagne de l'Ouest, par exemple, durant la guerre
froide. La lutte livrée par le gouvernement contre le terrorisme a
été efficace parce que ces terroristes ont été isolés par la
société.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci, monsieur Martin.
Nous allons maintenant donner la parole à Mme Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci. Je voudrais d'abord vous remercier tous, messieurs et madame McDougall, pour vos exposés très intéressants. Après avoir été stimulée par tous, le questionnement est difficile.
Je vais lancer ce qui m'apparaît ressortir de vos différentes interventions, les unes peut-être en choc avec les autres. Est-ce que l'intégration nord-américaine continue et souhaitée ne s'oppose pas, dans les faits, à la volonté d'une politique canadienne indépendante qui reviendrait au beau temps de l'influence canadienne sur le plan diplomatique? Est-ce qu'il y a une contradiction entre les deux? Comment peut-on empêcher cette contradiction de tuer...
[Traduction]
Mme Barbara McDougall: Vous me posez la question, madame Lalonde, mais je ne sais pas s'il y a une contradiction. Je ne sais pas si j'ai bien compris votre question, mais les Canadiens se sont toujours battus aux côtés de leurs alliés. Nous faisons partie d'un certain nombre d'alliances et, en signant ces alliances, nous avons accepté de nous battre à leurs cotés. Ai-je bien compris ce que vous avez dit?
[Français]
Mme Francine Lalonde: Le fait que le Canada devient de plus en plus dépendant des États-Unis ne joue-t-il pas contre le rôle important qu'on voudrait qu'il joue en politique étrangère?
[Traduction]
Mme Barbara McDougall: Je ne crois pas que nous devions devenir plus dépendants des États-Unis en matière de politique étrangère. Malgré l'intégration dont j'ai parlé précédemment, nous avons de nombreuses autres possibilités, et je reviendrai à la question précédente à titre d'exemple. La notion d'utiliser d'autres pays pour faire faire ce que nous souhaitons me déplaît, mais on a mentionné les écoles. Le Canada fait partie de la Francophonie et du Commonwealth et fournit de l'aide par l'intermédiaire de ces deux organisations, si bien l'éducation est une priorité de notre programme d'aide plus qu'elle ne l'est peut-être aux États-Unis ou dans d'autres pays. Nous pouvons faire cela tout à fait indépendamment de ce que les États-Unis font dans le cadre de leur politique étrangère. Fournir des services d'enseignement, construire des écoles et former des enseignants sont tous des éléments très importants.
[Français]
Mme Francine Lalonde: C'est juste l'aide internationale. Je parle de la politique étrangère et du rôle que le Canada doit jouer ou peut continuer à jouer, dont plusieurs ont parlé. Monsieur Daudelin?
M. Jean Daudelin: Je pense que vous avez raison. Le fait est que
[Traduction]
les enjeux,
[Français]
les enjeux du Canada en dehors de l'Amérique du Nord ont diminué de façon significative au fil de l'intégration du Canada dans l'ensemble nord-américain. La conséquence est qu'il est de plus en plus difficile de justifier, aux yeux des Canadiens, un investissement important dans les capacités militaires, de renseignement et diplomatiques. Cela fait en sorte qu'il lui est très facile de couper dans ces capacités sans en assumer les coûts politiques.
Toutefois, et c'est sans doute un avantage, cela fait qu'on est beaucoup plus libres de nos mouvements au niveau international, précisément parce qu'on a peu en jeu.
• 1055
Il faut donc utiliser la liberté que nous
confère le fait que la plupart de nos oeufs
sont dans le panier nord-américain pour faire des
choses que les autres ne peuvent pas faire.
On n'a pas beaucoup d'intérêts au niveau global.
Mme Francine Lalonde: J'ai une sous-question. Est-ce que le Protocole de Kyoto ne vient pas troubler cette quiétude et faire en sorte que l'entente commerciale joue encore davantage au détriment du Canada?
[Traduction]
M. John Kirton: Permettez-moi de répondre en vous expliquant le contexte de cette question.
De façon plus générale, il ne sied plus de voir surtout la chose comme un processus selon lequel le Canada deviendrait davantage dépendant des États-Unis. Je pense que ce qui était nouveau dans les années 90, c'est que les États-Unis sont devenus tout aussi vulnérables que le Canada l'était depuis longtemps par rapport aux forces extérieures. C'est ce que nous avons appris avec l'effondrement de la gestion des capitaux à long terme lors de la crise financière mondiale de 1997 à 1999. Nous l'avons appris dans le domaine de la sécurité lors des attentats du World Trade Center en 1993 et plus récemment lors des derniers attentats. Il s'agit donc réellement pour nous de chercher de nouvelles affiliations afin d'avoir davantage de possibilités. Et cela inclut, pour en venir directement au domaine de la protection mondiale de l'environnement, l'une des valeurs centrales de la politique étrangère canadienne, qui n'a pas changé, je crois, à la suite des événements du 11 septembre.
Nous pourrions faire beaucoup de chose pour affirmer cela. Par exemple, on doit protéger la Réserve nationale faunique de l'Arctique qui est un trésor écologique. Mais en même temps, cela signifie qu'il faut adopter, avec les Mexicains et les Américains, un programme d'intégration nord-américaine de l'énergie beaucoup plus complet et d'une plus grande portée que ce que nous avons eu jusqu'à présent. Il y a donc ces liens.
En ce qui concerne la question plus précise du protocole de Kyoto, ici je pense que nous devons comprendre la situation particulière dans laquelle se trouvent nos amis les Américains. C'est une question de gestion des relations entre le Mexique et les États-Unis. Enfin, nous avons nos forêts, grâce à toute l'aide que nous ont apportée nos importants partenaires du G-8, les Russes et les Japonais, mais il n'en demeure pas moins que les États-Unis pourraient respecter leurs engagements actuels essentiellement en cessant toutes les activités industrielles au Texas pour aller les installer plutôt dans les maquiladoras où on pourrait polluer à volonté. Il y a donc une lacune fondamentale dans le régime de Kyoto pour les États-Unis, que les Texans reconnaissent au départ, et je pense que nous devons corriger cette lacune si nous voulons avoir la participation des États-Unis.
Une excellente occasion, cependant—et je m'arrêterai ici—c'est qu'on nous accorde à nous, Nord-Américains, le même privilège que se sont accordé les Européens, c'est-à-dire qu'on nous permette de prendre ensemble, en tant que communauté américaine trilatérale intégrée, dans le cadre de l'ALÉNA, nos engagements en matière de réduction des émissions de carbone. Si nous pouvons obtenir cela, nous aurons la solution à ce problème.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci.
M. Houchang Hassan-Yari: Il va sans dire que les Américains vont évidemment préférer prendre des mesures unilatérales quand ils peuvent le faire. Vous avez mentionné la question de Kyoto et vous avez tout à fait raison de la souligner, mais il y a également d'autres mesures qui ont été...
Là où les intérêts américains entrent en jeu, tout d'un coup, les Américains découvrent la nécessité ou les bienfaits des forums multilatéraux. Il y a, par exemple, toute la question des armes chimiques. À Genève, les Américains essaient de pousser très loin en accusant un certain nombre de pays dans ce domaine-là. Pourquoi? À cause de la question de l'anthrax. Ces mêmes Américains ont refusé d'adhérer à cette convention il y a à peine quelques mois.
Pour ce qui est de l'intégration ou de la contradiction, le Canada peut minimiser la pression de cet énorme voisin que sont les États-Unis en oeuvrant dans les forums multilatéraux au lieu de se trouver seul avec les Américains et, dans la meilleure hypothèse, à côté des Mexicains.
• 1100
C'est pourquoi j'ai insisté sur le fait que
l'intégration est nécessaire
dans certaines activités particulières,
comme en Europe et ailleurs dans le
monde, mais cette intégration ne devrait pas se faire
au détriment de ce qui reste de
l'indépendance.
Comme on l'a souligné, les Américains sont aussi en train de perdre quelques éléments de leur indépendance en faveur d'une plus grande intégration mondiale.
[Traduction]
La vice-présidente (Jean Augustine): Merci beaucoup.
Monsieur O'Brien, vous avez la parole.
M. Pat O'Brien: Merci, madame la présidente.
Merci beaucoup aux témoins pour leurs exposés qui, c'est le moins que l'on puisse dire, ont été très stimulants. J'ai été très heureux d'entendre Mme McDougall parler des Irlandais. Il est malheureux qu'il y ait eu discrimination, mais ce que les Canadiens ne savent peut-être pas, c'est que le premier groupe de réfugiés d'importance à venir au Canada était des Irlandais. Nous pouvons constater que les réfugiés peuvent faire des progrès lorsqu'ils viennent au Canada.
J'ai un certain nombre de questions, madame la présidente, et je vais commencer tout de suite pour voir combien j'aurai le temps d'en poser.
Madame McDougall, tout d'abord, je pense que la plupart des témoins en ont parlé, mais je voudrais vous poser la question puisque, en tant qu'ancienne ministre, vous avez un point de vue intéressant sur la question. Vous avez utilisé l'expression «gérer l'intégration», et je suis d'accord avec cela. Cependant, jusqu'où devons-nous accepter l'intégration avant d'arriver au point où il vaudrait tout aussi bien faire partie des États-Unis? Nous avons toujours résisté en tant que pays. Si j'ai bien compris l'histoire du Canada, en tant que pays nous avons toujours été prêts à payer un prix pour maintenir le plus d'indépendance possible. Jusqu'à quel point pouvons-nous accepter l'intégration avant que la pente ne devienne trop glissante, si vous voulez, et comment peut-on déterminer cela? Vous savez peut-être qu'au sein de notre propre caucus libéral il y a ceux qui préconisent l'ancienne idée de l'union commerciale, à laquelle, franchement, je m'oppose fermement. Je crois que nous devons gérer l'intégration avec les États-Unis afin d'en tirer le maximum d'avantages pour nous en tant que pays, mais je pense qu'il s'agit là d'un exercice très dangereux. J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.
La vice-présidente (Jean Augustine): Madame McDougall, allez-y.
Mme Barbara McDougall: Je pense, madame la présidente, qu'il s'agit d'une question philosophique et politique plus qu'autre chose. Personnellement, je pense que même si l'intégration fait beaucoup partie de notre vie à l'heure actuelle, nous continuons de garder nos propres institutions politiques et constitutionnelles qui sont très solides. Je n'entrevois pas de changement à cet égard. Je pense qu'on peut faire beaucoup sur le plan de l'intégration. Il est assez difficile de déterminer la limite, car cela dépend de la technologie, du développement économique et de tellement d'autres facteurs, et cela dépend également de la façon dont nous gérons nos propres affaires. Si nous gérons nos propres affaires sur le plan des finances et du commerce, nous serons en mesure de maintenir les structures qui sont importantes pour nous. Ce sont des structures culturelles au sens général, par opposition au fait d'aller au cinéma, et d'ordre politique pour ce qui est de mettre en place des institutions.
L'autre chose, c'est jusqu'à quel point nous voulons nous assurer de participer pleinement au débat. M. Kirton a parlé de participer pleinement au G-8, et M. Manley a dit qu'il fallait joindre l'acte à la parole et investir. Si nous voulons être considérés comme indépendants des États-Unis, tant à l'interne qu'à l'externe, nous devons être en mesure de dire ce que nous pensons et continuer d'appuyer fermement nos propres institutions. Nous devons donc être financièrement responsables et gérer énergétiquement les relations par l'intermédiaire des institutions et bilatéralement.
M. Pat O'Brien: J'aimerais continuer dans la même veine. Je suis certainement d'accord, aux fins du compte rendu, madame la présidente, avec ce qu'a dit M. Manley. Je suis heureux que M. Cohen l'ait cité. J'ai pensé qu'il a été presque brutalement franc et honnête. Il fallait dire ce qui a été dit, et tous les Canadiens avaient besoin de l'entendre. Je pense qu'il y a moyen de répartir assez largement les torts, plutôt que de mettre sur les épaules du gouvernement actuel toute la faute pour la situation qu'il a décrite. Je ne dis pas qui quiconque essayait de faire cela, mais parfois cela peut-être tentant sur le plan politique, à la Chambre en tout cas.
Oui, je conviens que c'est une question un peu philosophique. Puis-je alors passer directement à l'application pratique de cette question? Seriez-vous en faveur d'une union commerciale? Seriez-vous en faveur d'un dollar commun, c'est-à-dire en réalité d'un dollar américain? Jusqu'où pouvons-nous nous intégrer sans qu'il devienne pour nous impossible de maintenir vraiment une indépendance crédible?
Mme Barbara McDougall: Je ne suis pas en faveur d'un dollar commun, aussi bien pour des raisons économiques que politiques. C'est en raison de la nature de notre économie d'est en ouest, des lignes commerciales, des valeurs, etc. Je me rends compte que cela fait partie d'un débat public en ce moment. Il y a ceux qui sont en faveur. Je pense que cela mène à d'autres problèmes, non pas nécessairement d'ordre politique, mais ça veut dire qu'il faut rajuster toutes nos relations. Par ailleurs, les Canadiens pensent que si nous avons une monnaie commune, elle sera équivalente en valeur, ce qui ne sera pas le cas. Je suis réellement préoccupée à l'heure actuelle au sujet de la valeur du dollar canadien et de l'intégrité de notre propre monnaie. Je serais vraiment intéressée à ce que le gouvernement examine sérieusement la valeur du dollar. Nous croyons tous à un taux de change flottant, mais jusqu'où le gouvernement est-il prêt à aller en permettant au dollar de chuter, car cela pourrait être déterminant pour nous, si nous ne pouvons maintenir l'intégrité de notre propre dollar?
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Professeur Legault.
M. Albert Legault: Merci.
Pour répondre à votre question, une union commune supposerait une monnaie commune et un tarif commun par rapport au monde extérieur. Je ne suis donc pas certain si cela nous mènerait très loin. Plus précisément, je pense qu'on pourrait examiner la situation en Europe. Là-bas, ils ont une monnaie commune, mais cela n'empêche pas les Britanniques, certainement, ni les Allemands ni les Français d'avoir une politique étrangère différente. Donc, je ne suis pas trop préoccupé par cette possibilité d'une monnaie commune. Je pense que cet aspect particulier de la question pose davantage de problèmes économiques que les gens ne le pensent, relativement au taux de change flottant, à la productivité, aux syndicats—enfin toutes sortes de vieux problèmes.
Pour revenir à votre première question, c'est-à-dire jusqu'où nous pouvons aller, je ne le sais pas. Dans mon mémoire, je dis que lorsque l'on parle de NORAD ou de la défense continentale ou du contrôle des approches maritimes, on parle presque d'un système de gestion partagée de la souveraineté canadienne et de la souveraineté américaine dans une certaine mesure, et cela n'a pas trop inquiété les gens. Je pense que nous avons assez bien réussi à jouer un rôle avec les États-Unis dans ce domaine en particulier. Jusqu'où pouvons-nous aller sur le plan de l'intégration tout en ayant une politique étrangère indépendante?
M. Pat O'Brien: C'était ma question.
M. Albert Legault: Oui, certainement. Je pense que John Kirton y a assez bien répondu. Comme je l'ai dit, beaucoup dépendra de la situation actuelle. Houchang a dit que nous devrions être prudents. La question de la lutte contre le terrorisme est très importante, car cela concerne non seulement les instruments étrangers de la politique étrangère canadienne, notamment NORAD, la défense maritime, etc., mais elle va au coeur même du système politique canadien, du type de régime politique que nous avons, du genre de relation qu'a le gouvernement avec ses propres citoyens, ses provinces, ses forces policières, etc. C'est là, en fait, où les Canadiens doivent vraiment se comporter comme des Canadiens. Si nous faisons trop de concessions sur ces questions, cela fera toute une différence pour ce qui est de la possibilité d'avoir notre propre politique étrangère.
• 1110
Madame la présidente, puis-je dire quelque chose de
confidentiel? Est-ce possible de le faire ici?
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Il n'y a rien de confidentiel ici. Tout est versé au compte rendu. Tout ce que vous avez dit ici aujourd'hui, professeur Legault, est versé au compte rendu.
M. Albert Legault: Je ne peux dire quelque chose de confidentiel?
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Tout ce que vous dites est consigné au compte rendu.
M. Albert Legault: Bon, d'accord, je le dirai de façon plus politique.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Mais le greffier me dit qu'il y a le privilège parlementaire.
M. Albert Legault: Je ne suis pas parlementaire, donc je n'ai pas de privilège. Mon seul privilège est ma liberté d'expression.
Je voudrais tout simplement dire que votre comité me laisse un peu perplexe. Vous n'avez pas le quorum. Il n'y a que quatre membres du comité qui sont présents. Nous sommes tous des gens occupés, mais je trouve que cela en dit long sur le processus politique canadien et la mise en place de sa politique étrangère. Lorsque des gens viennent de différentes régions du pays, il devrait au moins y avoir davantage de membres du comité qui assistent à la séance.
Je vous remercie, madame la présidente. Je suis désolé d'avoir fait cette observation, mais vous ne vouliez pas que je vous le dise en toute confidentialité, alors voilà.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Non, non. Cela...
M. Pat O'Brien: Si vous me le permettez, madame la présidente, je pense qu'il s'agit là d'une observation importante. Nous devons signaler cependant qu'il y a au moins deux fois plus de députés ministériels présents que de députés de l'opposition. Le témoin sera peut-être soulagé de savoir qu'habituellement le comité siège de 9 heures à 11 heures. Mme McDougall sait d'expérience ce qui se passe ici. Les députés viennent ici et veulent poser des questions, et même si on leur présente des exposés très brillants, s'ils ont l'impression qu'essentiellement on est en train de les sermonner, la tendance est de dire: «Envoyez-moi votre mémoire, je suis capable de lire, et je pourrai ensuite vous poser des questions au sujet de ce mémoire.» Donc, je pense, ayant été président d'un comité permanent pendant deux ans, soit le comité de la défense, que nous devons tenter de trouver un juste équilibre, et cela est difficile.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Il y a plusieurs choses qui se déroulent à la Chambre en ce moment. Le Comité des affaires étrangères a étudié un projet de loi dont discute actuellement la Chambre, et les secrétaires parlementaires doivent se rendre à la Chambre pour l'étude de cette mesure législative. D'autres députés suivent les activités d'autres comités, parce que tous les députés font partie d'au moins deux comités; il y a souvent des problèmes lorsqu'il y a des votes ou même pour obtenir le quorum. C'est pourquoi il y a un tel va-et-vient. Nous nous en excusons.
Tout ce que vous dites figurera au compte rendu officiel. Nous avons vos déclarations, ainsi que la documentation que vous nous avez fournie. Les personnes importantes qui vont nous aider à résumer tout ce que nous aurons entendu sont toujours ici; de plus, nous aurons l'occasion de nous pencher à nouveau sur la documentation que vous avez fournie.
Monsieur Cohen, allez-y.
M. Andrew Cohen: J'aimerais répondre à la question qu'a posée le député sur les rapports entre les Américains et les Canadiens. Je crains que parfois nous nous inquiétons trop de l'intégration, même s'il s'agit là d'une question importante. Si nous devons tirer une leçon des événements du 11 septembre, c'est la leçon dont parlait M. Kirton. Nous devons toujours pouvoir identifier nos propres intérêts et cesser de s'inquiéter à savoir s'ils coïncident avec ceux des Américains. Par exemple, le 11 septembre le premier ministre de la Grande-Bretagne a immédiatement fait des déclarations et a défini en termes très clairs ce qui s'était produit. À mon avis, notre premier ministre, lui, a été quelque peu moins catégorique, il s'inquiétait plus de ce que l'on allait penser de l'attentat dans le contexte de nos rapports avec les États-Unis, plutôt que d'identifier le problème pour ce qu'il était, soit une attaque contre nous, notre guerre.
Je crois que lorsque nous songeons à nos rapports avec les États-Unis, des rapports qui nous sont importants—il faut toujours être conscient de la question que vous posez, à mon avis—nous ne devrions pas être obsédés par la situation au point de perdre de vue nos intérêts quand ils coïncident avec ceux des États-Unis.
M. Pat O'Brien: Je me suis peut-être mal exprimé. Cette façon de faire les choses ne me dérange absolument pas. Cependant je suis en désaccord avec votre description de la réaction du premier ministre. Quelques minutes après l'attaque, il a téléphoné personnellement à l'ambassade américaine. L'ambassadeur, M. Cellucci l'a bien précisé. Je crois que le premier ministre a rapidement identifié le fait qu'il s'agissait là d'une attaque contre le Canada et le monde libre, et pas simplement contre les États-Unis. Je ne suis donc pas d'accord avec les commentaires que vous avez faits à ce propos.
• 1115
Évidemment, nous n'allons pas réagir de la même façon que la
Grande-Bretagne qui se trouve de l'autre côté de l'océan
Atlantique. Nous avons des rapports uniques avec les États-Unis,
des rapports que n'a aucun autre pays. On dit souvent que les
États-Unis sont notre meilleur ami, et que ça nous plaise ou pas,
c'est une chose qui m'aide à expliquer ce à quoi je veux en venir.
Je crois que nous pourrions avoir une certaine intégration
économique avec les États-Unis, mais notre survie politique, comme
nation, serait compromise. Il ne s'agit pas d'une idée
révolutionnaire, ce n'est pas moi qui l'ai eue le premier, c'est
une notion qui caractérise en fait l'histoire du Canada. Je ne
pense pas qu'on puisse écarter à la légère de telle préoccupation.
Je m'inquiète lorsque j'entends certains témoins de renommée qui
écartent sans sourciller cette possibilité. Cela me renverse en
fait. À mon avis, il ne s'agit pas de comparer la situation entre
le Canada et les États-Unis et l'Union européenne. Pour être
honnête, les deux choses ne sont pas comparables. Il s'agit de
situations complètement différentes.
Je dois avouer que, comme politicien, je crois que le public canadien craint sincèrement que l'avenir du pays pourrait être en péril si nous ne sommes pas prudents. J'ai même des collègues au sein de mon parti qui disent que nous pouvons avoir une union commerciale avec les États-Unis, qui disent qu'il ne s'agit là que d'économie et non pas de souveraineté politique. Il est très naïf de croire qu'on peut séparer les deux. C'est justement ce qui me préoccupe, et c'était ce dont je voulais parler avec vous; j'entends beaucoup de commentaires de gens qui disent que ce n'est pas grave, nous pouvons pousser encore plus loin ces rapports avec les États-Unis. Comme Canadien cela m'inquiète, c'est tout.
Mme Barbara McDougall: Je crois que le député parle de moi, madame la présidente.
Des voix: Ah, ah!
M. Pat O'Brien: Non, madame McDougall. Je parle de tous ceux qui ont répondu à ma question, à vrai dire.
Mme Barbara McDougall: Je crois que vous ne m'avez pas comprise.
M. Pat O'Brien: Très bien. Je veux comprendre, c'est pourquoi je pose la question.
Mme Barbara McDougall: Dans mes propres observations, ce dont je parlais, c'était ce qui se produirait si nous ne gérons pas cette relation. Je suis toujours intéressée par ce que les États-Unis auraient à dire si, de façon cauteleuse, nous nous contentions de faire les choses pour la forme. Ils diraient: mais enfin, qui sont ces gens qui croient maintenant faire partie de nous? Il s'agit d'une relation qui va dans les deux sens.
Je crois que la population canadienne a l'épine dorsale assez solide et que les institutions canadiennes ont suffisamment de traditions, de valeurs, de précédents et de choses semblables pour que nous puissions supporter une bonne dose d'intégration. Je ne suis pas d'accord avec certains des aspects des propositions que l'on entend ici et là, mais en ma qualité de Canadienne, je sais qui je suis, je sais ce que représentent mes institutions, et je suis tout à fait prête à aider à assurer qu'elles soient maintenues.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Monsieur Kirton, nous vous écoutons.
M. John Kirton: En ce qui concerne l'accroissement de l'intégration nord-américaine, il faut faire les choses une étape à la fois. Après octobre 1993, j'ai eu l'occasion, avec trois de vos collègues, de participer aux travaux du Comité consultatif sur le commerce extérieur. L'étape suivante, bien sûr, se serait des tarifs douaniers communs pour l'étranger. J'aimerais donc beaucoup que M. Pettigrew aille à Washington pour dire qu'il faut effectivement harmoniser cela. Ce que nous leur proposerions, ce serait d'avoir, à l'instar du Canada, la liberté complète des échanges avec le Chili, l'Amérique centrale, les Antilles et l'Autorité palestinienne. La Jordanie et l'Autorité palestinienne montrent la pertinence fonctionnelle de cette hypothèse. Les États-Unis viennent de conclure des ententes commerciales avec la Jordanie, et je crois donc qu'il y a une possibilité que nous les amenions à harmoniser leurs relations commerciales conformément à nos desiderata. Dans le contexte plus général du grand débat sur l'ALÉNA et le libre-échange, je crois que de nombreux Canadiens ont dit que le libre-échange avec les États-Unis était un bon point de départ, mais un mauvais endroit où s'arrêter.
Si je veux, entre autres raisons, que le Mexique participe aux négociations, c'est parce qu'il a le libre-échange avec l'Union européenne. Les membres de ma famille et de nombreux Canadiens trouvent bizarre que nous, les Canadiens, ayons un Accord de libre-échange avec le Salvador, par exemple, mais pas avec l'Irlande ou le Royaume-Uni.
M. Pat O'Brien: Mais vous savez que nous tâchons d'y parvenir.
M. John Kirton: Oui.
M. Pat O'Brien: C'est de ce côté-ci que nous hésitons, pas de l'autre côté.
M. John Kirton: Il y a peut-être d'autres façons de contourner cela.
M. Pat O'Brien: Très bien, merci.
Je remercie mes collègues de leur patience.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Très bien.
M. Pat O'Brien: Cette question me passionne.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je crois devoir passer à Mme Lalonde, avant de revenir à vous, monsieur Patry.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup.
Monsieur Legault, vous nous avez laissés sur une question plus pointue: est-ce qu'on devrait chercher l'interopérabilité pour l'armée de terre? J'ai pris des notes rapidement.
• 1120
Vous avez dit qu'il y avait trois questions
politiques: est-ce qu'on
doit devenir les mercenaires
des Américains, des amis
automatiques ou des pions spécialisés dans certains
domaines? Vous ne semblez prioriser aucun de ces
trois choix politiques. Est-ce qu'on pourrait vous
entendre là-dessus?
M. Albert Legault: Évidemment, j'ai posé la question, mais je n'ai pas donné la réponse. Je pense que c'est un aspect important que le ministère de la Défense devrait revoir, et cela a été souligné par d'autres témoins.
Je ne sais pas s'il faut un nouveau livre blanc sur la défense ou non, mais, chose certaine, il faut une nouvelle coordination interministérielle pour regarder les aspects qui touchent la politique étrangère, la défense et le terrorisme. C'est tout cela qu'il faut revoir.
On a au Canada un problème interministériel grave. Les États-Unis ont aussi leurs problèmes. Il ne faut pas se faire d'illusions. Les problèmes auxquels Tom Ridge doit faire face aujourd'hui sont les mêmes problèmes auxquels nous devons faire face. Il y en a qui disent que la politique de défense ne doit plus découler de notre politique étrangère ou être définie par le ministère des Affaires étrangères. Il y en a même qui proposent l'abolition du ministère des Affaires étrangères.
Quand vous regardez un peu précisément ce qui s'y passe, vous vous demandez à quoi servent les Affaires étrangères. Les gens ont beaucoup de difficulté à définir le rôle de la politique étrangère du Canada, et c'est pour ça qu'il y a tellement de problèmes.
Pour répondre plus précisément à votre question, je dirai qu'il y a des aspects particuliers où on doit être interopérables: c'est tout ce qui concerne le maintien de la paix et tout ce qui concerne les chaînes de commandement multinationales, que ce soit dans l'OTAN ou au sein de l'ONU. C'est Jean Daudelin ou John Kirton, ou peut-être même Houchang qui a rappelé tout à l'heure qu'on a participé à peu près à 70 missions de l'ONU depuis sa création, mais qu'aujourd'hui, en ce qui a trait à notre participation à l'ONU, nous venons au 29e rang. Donc, nous sommes très, très loin. En fait, nous ne participons presque plus à des opérations de l'ONU, mais nous participons à des opérations sous la tutelle de nos alliés, peu importe qu'il s'agisse de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine ou des opérations antiterroristes dans le golfe. Donc, on estime que nos participations à l'étranger dépendent beaucoup plus de notre intérêt national que de l'intérêt de l'ONU. Quelle que soit la façon dont le gouvernement canadien revoit ces questions, je pense que l'interopérabilité et le maintien de la paix sont des fonctions essentielles. Pour le reste, le Joint Task Force est intéressant. Personne ne savait auparavant qu'on avait d'excellentes SWAT teams qui peuvent intervenir dans des opérations antiterroristes.
Il y a des domaines très spécialisés qu'il faut identifier, mais quand j'écoute les dépositions devant le Comité de la défense nationale et des anciens combattants et que j'entends des témoins dire que nous avons une armée nulle, c'est une déformation que je n'accepte pas. C'est un message qui est véhiculé constamment par les médias, mais c'est absolument faux. Personne ne va me dire que la marine canadienne et l'aviation canadienne ne sont pas capables de répondre à peu près à n'importe quelle situation, en collaboration avec nos alliés.
Donc, il y a des ajustements à faire et des questions à revoir. L'objectif n'est pas de dire à un comité que les dépenses militaires ont diminué et que si on nous donnez 1,4 milliard de dollars—comme on l'entend devant le Comité de la défense et des anciens combattants—on sera heureux. C'est un non-sens. Commencez donc par définir votre politique et nous dire ce que vous voulez. La question que vous posez est une question urgente à laquelle le gouvernement canadien doit répondre.
Mme Francine Lalonde: Est-ce qu'il a été souligné qu'on devait investir dans le renseignement? Trouvez-vous que c'est important?
M. Albert Legault: Le renseignement est une question vitale. Je pense qu'on n'a jamais pris ça au sérieux et qu'on est obligé de prendre la chose au sérieux aujourd'hui.
• 1125
Il est clair que le ministère de
la Défense ne va pas aller vous dire que oui,
c'est une question prioritaire, parce qu'il sait
très bien que c'est comme un élastique. Quand vous
donnez un milliard de dollars à un
ministère, c'est l'autre qui ne l'a pas. Il faut
choisir. Mais il est clair que, dans le domaine du
renseignement, il faut faire des efforts particuliers.
Je pense que ça va beaucoup plus loin que ça.
J'en discutais avec une personne du renseignement la semaine dernière à Wakefield. Il faut trouver de meilleures articulations entre ce que j'appellerais le renseignement extérieur et le renseignement intérieur. Il m'a dit: «Quel renseignement intérieur?», comme si on n'avait pas de police, comme si on n'avait pas de GRC. Le rôle des services de renseignement est d'abord de trouver des façons de coordonner les informations à la fois avec l'étranger et l'intérieur, et à la fois avec tous les pays étrangers et les Américains. La même chose se produit aux États-Unis. C'est là qu'il y a du travail à faire, et c'est là qu'il faut revoir de A à Z tout ce qui se fait, même à l'intérieur. Quand le premier ministre du Québec, Bernard Landry, s'en va faire une visite à Paris pour demander aux Français de l'aider et de lui dire comment travaille la police française, il y a un problème dans ce pays, et c'est celui de savoir comment fonctionne le renseignement et comment fonctionne la protection civile. Personne ne nous a encore expliqué comment le bureau résultant de la fusion des bureaux de la protection civile et de la protection des infrastructures critiques va coordonner ses actions avec le bureau de M. Manley sur la sécurité intérieure et la lutte antiterrorisme. Il faudrait peut-être un jour qu'on prenne nos billes et qu'on essaie de voir comment peut fonctionner cette affaire-là.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, professeur.
M. Jean Daudelin: J'aimerais faire une petite remarque à ce sujet.
Le renseignement est important, quelles que soient les fonctions qu'on assigne aux Forces armées. Par exemple, même si on décidait de se spécialiser en maintien de la paix et de faire un effort vraiment important dans ce domaine, le renseignement serait toujours important. Dans le cas de la crise dans l'est du Zaïre, il y a quelques années, on a vu que le manque d'information était vraiment débilitant. C'était phénoménal. On a besoin du renseignement, quelle que soit la fonction qu'on assigne à l'armée.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Docteur Patry.
M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci à nos témoins. C'est très intéressant ce matin. Je vais avoir des questions pour M. Cohen, M. Daudelin et M. Legault, et les autres pourront sûrement y répondre aussi.
Monsieur Daudelin, j'ai bien aimé vos commentaires quand vous avez demandé si nos lois portaient atteinte à notre souveraineté, mais je voudrais revenir sur l'aide au développement. Vous nous avez dit que le sous-développement n'avait pas causé les guerres, mais que ce sont les guerres qui ont causé le sous-développement, surtout dans la grande région de l'Afrique. Vous avez également dit que l'aide au développement n'était pas une solution au terrorisme et qu'à l'avenir, l'aide au développement sera envisagée surtout sous l'angle de la sécurité.
Je ne sais pas si c'est le secrétaire à la Défense des États-Unis, M. Rumsfeld, qui a mentionné que les États-Unis font de l'aide au développement depuis 50 ans mais que cela n'a jamais donné quoi que ce soit. Quand les Américains en sont rendus à penser cela... J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. On sait que les deux ne sont pas complètement liés, parce que les terroristes sont quand même des gens très instruits. Beaucoup de ces terroristes ont étudié en Angleterre. Ils sont devenus terroristes pour une certaine cause. Il y a une religion derrière cela et il y a d'autres facteurs beaucoup plus compliqués.
Je voudrais avoir vos commentaires, parce qu'on nous dit que le Canada n'est qu'à 0,25 p. 100 de son PIB. On essaie d'augmenter ce pourcentage. On a eu des contraintes budgétaires. De quelle façon voyez-vous l'aide au développement? Si les États-Unis n'embarquent plus dans l'aide au développement et que cela est laissé aux pays comme le Canada, surtout aux pays nordiques, aux pays d'Europe et au Japon, voyez-vous des solutions sur ce plan?
Je poserai d'autres questions par la suite. Merci.
M. Jean Daudelin: D'abord, en ce qui concerne le terrorisme, votre commentaire rejoint un peu la question que M. Martin a posée un peu plus tôt.
Je pense que la question de la résolution du problème de la Palestine ou du Cachemire est hors du ressort de mesures à court terme ou même à moyen terme qu'on pourrait prendre, qu'il s'agisse de subventions ou autres. Je pense qu'il faut vraiment mettre une croix sur la capacité de l'aide au développement de régler ces problèmes. Il ne faut pas lui demander ce qu'elle ne peut pas donner.
Maintenant, qu'est-ce qu'elle peut donner? Ces dernières années, il y a eu beaucoup de questionnement sur l'efficacité de l'aide au développement, et les réponses vont dans deux directions.
• 1130
D'une part, il y a la
cohérence. On essaie
d'intégrer une perspective de développement dans
les politiques commerciales. M. Cohen parle de la
question des tarifs. On s'aperçoit que
le Canada impose au
Bangladesh, par exemple, des
tarifs dont la valeur représente
quelque chose comme 50 p. 100 de l'aide que
nous donnons à ce pays-là. Le Canada impose de tels
tarifs à plusieurs pays en développement. Alors, il faut être
conséquent, particulièrement en ce qui a trait aux
politiques commerciales.
D'autre part, il y a la coordination entre tous les pays aidants et les grandes organisations multilatérales: Banque interaméricaine de développement, Banque africaine de développement et Banque mondiale. Dans cette direction, il y a des progrès significatifs qui sont faits, particulièrement sous la gouverne du Comité d'assistance publique au développement de l'OCDE. Mais si on veut être crédible dans ces forums, il faut donner de l'argent. Il faut être un aidant important pour pouvoir jouer un rôle significatif dans l'orientation générale de l'aide au niveau global. Ensuite on pourra aller dans des machins un peu plus spécifiques. Il y a les travaux récents de la Banque mondiale sur le rôle des conflits, qui nous donnent des clés intéressantes, et les travaux récents sur la coordination et la conditionnalité. On pourrait tomber dans des machins plus spécifiques.
Donc, il faut de la cohérence et de la coordination et, dans les deux cas, on a besoin d'investir plus pour pouvoir influencer la direction qui sera prise.
M. Bernard Patry: Merci.
[Traduction]
Monsieur Cohen, je ne sais si c'est vous qui l'avez dit ou si c'est M. Manley qui a dit qu'il y a un prix à payer si nous voulons faire partie du G-8. Le Canada s'en est trop longtemps tiré à bon compte, et nous devons choisir, si nous voulons que notre voix soit entendue. J'ai toujours cru que le Canada se fait bien entendre aux Nations Unies. Lors d'un voyage avec des parlementaires aux Nations Unies, je me suis fait dire que l'ONU ne fonctionne bien que parce qu'une dizaine de pays s'y consacrent sérieusement. Ce ne sont certainement pas les États-Unis qui aident les Nations Unies.
Pour être mieux entendu, que devrions-nous faire au juste? Devrions-nous être meilleurs diplomates, donner plus d'argent pour l'aide au développement? Qu'en pensez-vous?
M. Andrew Cohen: Ce qui me trouble, c'est que nous étions mieux entendus il y a deux générations, comme le dit M. Manley. Les historiens parlent avec nostalgie de ce qu'on appelle l'âge d'or de la diplomatie canadienne, à l'époque de Lester Pearson et avant, époque où le Canada a joué de son influence pour aider à mettre en place l'architecture de la période d'après guerre. Je songe à l'ONU, à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, au FMI, à la Banque mondiale, aux droits de la personne, pour lesquels nous avons préparé des documents. Je viens d'évoquer les organismes internationaux, mais il y a également eu la politique sur l'aide au développement, notre participation au plan Colombo au début des années 50. En matière de maintien de la paix, j'ai cru entendre dire que nous n'étions que 29e—je ne sais pas qui a dit cela. Je ne savais même pas que c'était si faible. Il y a à peine 10 ans, nous n'avions jamais encore refusé une seule mission. Nous les acceptions toutes, et nous en tirions fierté.
Comme l'a dit M. Manley, ce qui me préoccupe, c'est que nous permettons que notre importance diminue dans les domaines dont j'ai parlé. En ce qui concerne l'aide extérieure, nous n'en sommes plus qu'à environ 0,25 p. 100. À une certaine époque, nous nous classions parmi les premiers pays donateurs de l'OCDE; aujourd'hui, nous sommes plutôt en fin de classement. Je crois que les États-Unis donnent moins que 0,2 p. 100, mais, depuis longtemps déjà, plus personne n'espère des États-Unis qu'ils donnent plus d'argent à l'aide extérieure. Les États-Unis s'expriment différemment et leur voix se fait clairement entendre dans le monde entier.
D'autres, comme moi, ont parlé de nos forces militaires. Il est très difficile d'être une armée musclée et active si l'on n'a que 55 000 militaires. On ne peut pas non plus s'occuper de maintien de la paix.
J'ai parlé de l'érosion ou du recul de nos activités diplomatiques, de l'état du ministère des Affaires étrangères, qui a déjà été le ministère le plus prestigieux des ministères du gouvernement. Or, aujourd'hui, il se révèle incapable de garder ses agents. Ils sont nombreux à abandonner leur emploi, parce qu'ils sont attirés par le secteur privé. À une certaine époque, pourtant, tous les bureaucrates rêvaient d'aboutir là. Je crois donc que notre diplomatie a perdu de sa vigueur.
Le dernier domaine que j'ai examiné est celui de la cueillette du renseignement. Nous en sommes largement absents. Nous n'y avons aucune importance, parce que nous ne recueillons pratiquement pas de renseignements à l'étranger. C'est peut-être parce que nous avons pris la décision morale de ne pas en faire. Bien souvent, ce type de travail est malodorant. Il s'agit d'une activité à laquelle les Canadiens n'ont peut-être pas particulièrement envie de se livrer.
Si nous pesions plus lourd dans les domaines dont j'ai parlé, je crois que notre crédibilité s'en trouverait améliorée. Cela ne veut pas dire, pour autant, que nous comptons entièrement pour rien. Comme vous venez de le signaler, cela ne veut pas dire que nous ne comptons pour rien aux Nations Unies. Nous avons encore un certain poids, nous sommes au conseil de sécurité tous les 10 ans. Il faut simplement se rendre compte que nous connaissons une certaine érosion. Pour ce qui est de savoir si nous sommes vraiment des poids lourds, je dirais plutôt que nous croyons être des poids lourds, mais que nous nous conduisons plutôt comme des poids plumes.
M. Bernard Patry: J'aimerais poser une question rapide à M. Legault. Dans le texte que vous nous avez donné, vous dites en ce qui concerne la lutte antiterroriste:
-
On peut toutefois reprocher au Canada d'arborer un
système de lois relatives à l'immigration et au statut
de réfugiés plus libéral que celui qui existe aux
États-Unis. La question devient ici un problème
d'harmonisation de lois...
M. Albert Legault: Ou d'équivalence.
M. Bernard Patry:
-
...ou d'équivalence de lois entre les systèmes canadien
et américain.
Pouvez-vous élaborer là-dessus? Qu'est-ce qu'on pourrait faire? Quels est ce problème qui existe actuellement? Est-ce simplement un problème d'échange de coordonnées sur des gens?
[Traduction]
M. Albert Legault: Je crois que la réponse est la même que celle qui vous a été faite au sujet des activités de renseignement. En fait, nous n'avons pas de vérification préalable, dont l'efficacité se révèle vraiment lorsque quelqu'un demande un visa dans une ambassade à l'étranger, parce que nous ne nous occupons pas de renseignement. C'est un problème. En ce qui a trait à l'existence de lois compatibles ou équivalentes, il faut que nous agissions, et je crois qu'il s'agit là précisément d'un élément particulier de notre politique d'immigration qui devrait être examiné.
Deuxièmement, il y a la mise en oeuvre réelle de l'expulsion. Une ancienne ministre, l'honorable Barbara McDougall, en a parlé, et je crois que c'est une question vitale. Je dis dans mon mémoire que nous devons être conséquents. Si nous adoptons des lois, nous devons prendre les moyens pour qu'elles soient mises en oeuvre, quelle que soit leur sévérité. Mais nous devons cesser d'être des anges. Le monde n'est pas peuplé d'anges. C'est là le problème.
Permettez-moi de m'exprimer un peu sur la relation entre la pauvreté, la crise que nous connaissons dans le monde, et le terrorisme. Je rappelle toujours à mes étudiants qu'au bout du compte, lorsque l'Iran et l'Iraq se sont livrés leur propre guerre, ce n'était pas à cause de la Palestine. Il y a eu un million de morts. Nous ne pouvons pas être responsables des problèmes du monde entier. Les événements du 11 septembre montrent très clairement une situation où l'on importe la guerre civile qui sévit dans d'autres pays. Cette guerre a été importée aux États-Unis. Sur ce plan-là, ces gens-là ont très bien réussi. La réponse des États-Unis a été de criminaliser le terrorisme et de prendre les moyens pour créer une coalition internationale pour le combattre. Que fait-on, dès lors? On réexporte la guerre civile et on prend les moyens pour que les belligérants résolvent leurs propres problèmes dans leurs propres pays. C'est pourquoi l'Afghanistan est si important. Ce n'est pas un pays, c'est un régime de terreur au sein duquel le terrorisme transnational a poussé. Nous devons régler cela pour la collectivité internationale, et nous verrons ensuite ce qui va se passer. Cela dépendra de la manière dont c'est fait et de ce qui arrivera après l'Afghanistan.
En même temps, je suis très conscient du fait que nous sommes à un point tournant de l'histoire. L'autre soir, j'écoutais le sénateur Mitchell, sur CNN, et je vois que les Américains cherchent activement une solution. La même chose va se produire pour le conflit entre l'Inde et le Pakistan. Nous allons voir les Américains exercer des pressions pour résoudre cette crise, ce qui ne signifie pas qu'elle sera résolue demain. Je crois toutefois que la crise actuelle aura des effets positifs, et cela est important.
Nous allons être présents en Afghanistan, sans le moindre doute, et nous allons payer. Nous nous sommes engagés à verser une partie des 6 milliards de dollars qui seront investis en Afghanistan. J'imagine que nous allons y envoyer des troupes, sinon aujourd'hui, dans un mois ou dans quelques semaines. Nous participerons au processus de reconstruction. À partir de là, il s'agit de savoir si nous livrons combat aux côtés des Britanniques, si nous faisons du maintien de la paix aux côtés des Britanniques et des Américains ou sous l'égide de l'ONU. Nous ne savons pas encore ce que sera le résultat de la crise. Y aura-t-il une force de l'ONU? Y aura-t-il une force multinationale? Est-ce que ce sera une force musulmane? Nous ne le savons simplement pas pour l'instant. Mais, sans le moindre doute, nous participerons au processus.
Pour répondre à votre question, je crois que l'aide extérieure est comme la lutte contre le terrorisme. Il faut que le combat se fasse dans tous les aspects de la politique étrangère et nous devons prendre des moyens pour participer aux interventions avec les autres, pour collaborer avec d'autres pays, avec des groupes tels que le G-20, le G-8 et d'autres, afin d'exercer notre influence. Le plus grand danger pour l'indépendance canadienne, le plus grand risque que présente l'intégration du Canada aux États-Unis, ce serait de se comporter comme les Américains, c'est-à-dire de façon unilatérale. Il nous faut des amis dans les instances multilatérales, nous avons besoin d'alliances, nous devons nous assurer de l'existence d'un conseil consultatif et prendre les moyens de savoir quoi dire et comment régler les problèmes avec nos voisins au sud de la frontière.
Mme Barbara McDougall: Madame la présidente, vous permettez?
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Oui.
Mme Barbara McDougall: Il y a une autre chose très importante lorsqu'on s'occupe de ces questions, que ce soit de façon bilatérale ou multilatérale. Il faut qu'il y ait une certaine cohérence. Prenons Haïti comme exemple. Il ne sert à rien d'aller à Haïti, d'y surveiller une élection, pour ensuite abandonner le pays sans institution, sans procédure parlementaire, sans système judiciaire, sans moyen de régler les problèmes, et sans les traditions historiques nécessaires à ce type de situation. Il doit y avoir un continuum. Si l'on surveille les élections, on doit pouvoir aider à bâtir les institutions, et on doit peut-être offrir des services de police et des forces militaires pour assurer la stabilité, parce qu'il s'agit de questions qui ne se règlent qu'à très long terme.
Cela est également vrai pour l'Afghanistan, si tout le monde quitte ce pays une fois le conflit terminé et personne n'offre de l'aide pour ériger les nouvelles institutions. Il faut beaucoup de temps pour cela et il est naïf de croire que l'on peut faire cela rapidement ou de façon parfaite. Nous devons faire preuve de cohérence dans notre gestion de ces dossiers. Si nous décidons de nous y intéresser, il faut tenir compte de tous les aspects qu'a évoqués Andrew, exercer son influence et être prêts à rester là bien longtemps.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Ce sont des observations judicieuses.
[Français]
Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Monsieur Hassan-Yari, dans l'un des derniers points que vous nous avez soulignés, vous avez parlé de la nécessité de revenir à l'ONU, à la charte de l'ONU, à la légitimité de l'ONU. J'aimerais vous entendre davantage là-dessus. Vous avez dit que c'était important pour que le Canada et les autres pays puissent jouer plus facilement un rôle multilatéral, mais aussi parce que l'ONU, dans le cadre actuel, est l'instance qui permet d'élargir la coalition de la façon la plus efficace.
Or, l'ONU est réticente. Tout dépend de qui l'on parle. L'ONU, c'est Kofi Annan, c'est le Conseil de sécurité ou c'est l'Assemblée générale. En tout cas, Kofi Annan semble hésitant, et je crois que c'est le Conseil de sécurité qui a refusé que les talibans se rendent à eux, sous leur chapeau, parce qu'ils n'ont pas de forces en présence. Est-ce que l'absence de l'ONU n'est pas une lacune extrêmement importante en ce moment?
M. Houchang Hassan-Yari: Depuis que les affaires au niveau international sont individualisées, les pays les plus puissants essaient de régler leurs problèmes avec leurs voisins ou avec d'autres pays un peu plus lointains. De plus en plus maintenant, avec les organisations, on ne parle même pas des États, et on assiste à l'émergence de problèmes extrêmement graves. Les problèmes qui sont liés à la nouvelle situation sont d'abord et avant tout des problèmes de légitimité.
S'il y a un problème en Afghanistan, même si l'opération actuelle montre des signes de succès, ce n'est pas une opération qui va régler le problème de l'Afghanistan. Il faut aller aux racines des problèmes, et j'insiste énormément là-dessus. Les talibans sont nés dans des circonstances particulières, par l'action d'un certain nombre d'États: les Américains, les Pakistanais, etc. Maintenant, on essaie de réparer.
Pourquoi prendre le chemin le plus difficile afin d'arriver à ce qu'on peut faire mieux avec les interventions de l'ONU? Il faut répéter que l'ONU, sans les États membres, n'est rien. S'il n'y a personne dans cette salle ou s'il n'y a pas d'étudiants dans une classe, cette salle ou cette classe n'est rien.
• 1145
Donc, il faut mettre fin à l'isolation de l'ONU. Il
faut revenir à l'ONU et à la charte. La charte n'est
pas parfaite. Il faut la raffiner et la
mettre à jour afin de prendre en considération des
événements qui existent aujourd'hui et qui n'existaient
pas au milieu des années 1940, quand elle a été
rédigée.
Comme on l'a souligné tout à l'heure, le Canada perd de plus en plus d'importance sur la scène internationale, entre autres, à mon avis, à cause de cet affaiblissement de l'ONU, qui donnait un forum propice aux puissances moyennes comme le Canada pour intervenir sur la scène internationale. Donc, il y avait un certain espoir. Avec l'éclatement de l'Union soviétique, on revient à un ordre—j'hésite à dire à un nouvel ordre—où la légitimité internationale prédomine. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Ce sont les intérêts particuliers qui dirigent le monde d'une crise à l'autre. Je crois que c'est très, très dangereux. Toutes ces tentatives seront sans doute conjoncturelles et seront sans doute vouées à l'échec s'il n'y a pas de suivi.
Mais il y a un espoir malgré ce tableau noir. Il y a un espoir d'assister à l'émergence de quelque chose de plus positif. Maintenant que les Américains ont atteint une partie de leur objectif, ils ouvrent la scène pour l'intervention des organisations internationales, l'ONU en premier lieu. Si, par exemple, Kofi Annan hésitait, c'est parce que ce pauvre Kofi Annan n'avait pas envoyé de soldats. Donc, il a envoyé Brahimi pour faire ceci et cela, mais, comme vous le savez sans doute, quand vous êtes autour d'une table composée de gens forts qui se présentent avec un certain nombre de soldats derrière eux, l'ONU, Brahimi et Annan ne peuvent pas jouer ce rôle important. C'est pourquoi il faut activer ce qui est resté en grande partie lettre morte dans la charte. Ce comité d'état-major, s'il a les moyens de le faire, est capable de mettre sur pied—là, on revient à la question de l'âge d'or de la politique canadienne—une force multinationale de police ou je ne sais quoi pour intervenir sur la scène internationale quand cela est nécessaire.
Donc, là, on se heurte à un mur extrêmement résistant. Les États les plus puissants ne partagent pas nécessairement les intérêts de la majorité de la communauté internationale, d'où ce blocage et cet affaiblissement de l'ONU.
Pour conclure, j'aimerais ajouter un mot à ce que Mme McDougall disait concernant l'avenir de l'Afghanistan. Évidemment, l'Afghanistan va se retrouver dans l'anarchie, avec d'autres talibans, si les Américains répètent l'erreur qu'ils ont faite en 1989, quand ils se sont dit que maintenant que l'Armée rouge n'était plus là, leur problème était réglé. C'est très, très dangereux, parce que l'Afghanistan peut aujourd'hui éclater sur le plan territorial, mais également donner naissance à encore plus de talibans, à encore plus de ben Laden. On reconnaît que ben Laden n'est pas afghan, bien entendu, mais on pourrait voir émerger d'autres idées radicales comme celles-ci, ce qui est très dangereux, d'où la responsabilité des pays comme le Canada de forcer les Américains à rester sur place, maintenant qu'ils ont détruit une partie de l'infrastructure de la terreur, pour reconstruire l'Afghanistan afin de ne pas permettre l'émergence d'autres groupes de terreur.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Madame Lalonde, à vous la parole.
Mme Francine Lalonde: Merci. Oui, je sais. Je vous le demanderai après.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Nous passons ensuite à M. O'Brien. Je vous prie d'être bref.
M. Pat O'Brien: Merci, madame la présidente.
J'ai deux petites questions. En vérité, j'aurais aimé que nous ayons une heure de plus, mais ce n'est pas le cas.
M. Hassan-Yari a parlé du bouclier antimissile. J'ai été président du comité de la défense lorsqu'il a tenu des audiences sur cette question, il y a environ deux ans. Le rapport provisoire ne contenait aucune recommandation, mais il a surtout servi à renseigner les députés sur la teneur des renseignements recueillis pendant les longues audiences. Vous dites que nous ne devrions pas prendre de décision à la hâte. Je crois qu'il est clair que nous ne prenons pas de décision à la hâte. Mais vous avez ajouté: ne signez pas. Je crois donc avoir perçu un manque de cohérence dont j'aimerais que vous nous parliez.
Mon autre question s'adresse à M. Cohen. Ne croyez-vous pas que les Européens, ou à tout le moins certaines des nations européennes, affichent une certaine hypocrisie en ce qui a trait à l'APD et au fait que nous ne faisons pas assez, ce que regrettent nombre de Canadiens—quoique pas tous les Canadiens si j'en juge d'après le courrier que je reçois? Les pays européens ne sont-ils pas un peu hypocrites lorsqu'ils tiennent mordicus à leur politique agricole commune, dont l'abolition aiderait beaucoup ces pays en voie de développement? Je suis d'accord dans une large mesure avec ce que vous avez dit, mais je crois que souvent on se blâme plus qu'on ne le devrait.
Pourriez-vous répondre à ces deux questions?
Merci, madame la présidente.
M. Houchang Hassan-Yari: J'encourage les Canadiens à être prudents, et à ne pas s'empresser à signer le document parce que pour être honnête, il n'existe pas de document. Je parle ici du bouclier antimissile.
M. Pat O'Brien: Je comprends.
M. Houchang Hassan-Yari: Les Américains n'ont pas encore élaboré de stratégie réelle. On n'a pas vraiment une bonne idée de ce qu'ils recherchent. De plus, il faudrait signaler que les tests auxquels se sont livrés les Américains ont eu un taux d'échec supérieur à 50 p. 100. Cela nous ramène à la question des rapports qui existent entre le Canada et les Nations Unies. Il s'agit clairement d'une infraction à un traité international dûment signé. Si le Canada...
M. Pat O'Brien: Si vous me le permettez, j'aimerais signaler que je suis au courant de ces choses. Comme je l'ai dit, j'ai participé à nombre d'audiences sur la question, et je suis parfaitement conscient de tout ce que vous dites. Je pensais avoir entendu une contradiction dans vos propos. Vous avez dit de ne pas prendre de décision hâtive, mais vous avez également ajouté: ne signez pas. Voulez-vous que l'on refuse de signer peu importe les circonstances ou voulez-vous simplement qu'on ne signe pas maintenant?
M. Houchang Hassan-Yari: Non, je ne dis pas que vous ne devriez jamais signer, peu importe les circonstances. Vous pourriez signer cette entente, mais seulement lorsqu'on saura vraiment de quoi il s'agit, lorsqu'il n'y aura pas d'infraction au traité, lorsque les intérêts canadiens seront protégés et quand—au moins nous parlons du monde occidental, et nous ne parlons pas du reste du monde, malheureusement—il y aura consensus.
M. Pat O'Brien: C'est plus clair. Je suis d'accord avec cela. Merci.
Ma question s'adressait également à M. Cohen.
Merci, madame la présidente.
M. Andrew Cohen: Pour répondre à votre question, monsieur O'Brien, je vais dire que je crois que vous avez raison. Je crois qu'il existe un climat d'hypocrisie marqué en Europe. Je ne crois pas que ce soit quoi que ce soit de nouveau. Il est clair qu'à plusieurs égards les Européens ne sont pas aussi catégoriques ou activistes qu'ils devraient l'être—pas que cela excuse le comportement des Canadiens.
Quant à vos autres commentaires, je crois que vous avez parfaitement raison quand vous dites que nous exigeons trop de nous-mêmes. C'est typique au Canada. Vous savez, rien de mieux que de passer cinq ans à l'extérieur du Canada pour voir les choses sous un angle différent. J'ai toujours pensé que nous étions une nation de gens qui se plaignaient sans aucune bonne raison.
Des voix: Bravo, bravo.
M. Andrew Cohen: Cela dit, les chiffres démontrent ce que nous faisons dans le secteur militaire et ce que nous faisons dans le secteur de l'assistance publique au développement. Les chiffres existent et ils sont éloquents. Nous voulons faire des choses, et pendant des années nous avons fait très bien, comme soldats, comme artisans de la paix, comme humanitaires, comme commerçants, comme donateurs. Nous avons fait de merveilleuses choses, et c'est pourquoi nous avons établi des normes très élevées, et nous regrettons cette érosion; je crois que le défi que le Canada doit relever, à titre de nation à laquelle le reste du monde a fait appel, est celui d'un retour à certains des idéaux que nous avions il y a deux générations, et peut-être même plus, et il nous faut absolument nous pencher sur ces notions.
• 1155
D'aucuns pensent par exemple que nous ne pouvons être que des
artisans de la paix. J'ai des étudiants qui ne savent peut-être pas
que notre pays a laissé quelque 60 000 soldats dans les champs de
bataille de la France et d'autres endroits pendant la Première
Guerre mondiale, sans mentionner la Deuxième Guerre mondiale et la
guerre de Corée. On semble penser que tout ce que nous faisons
c'est de nous occuper du maintien de la paix. Je ne dis pas que
nous ne devrions pas nous charger de ces activités, nous devrions
le faire, mais nous avons joué d'autres rôles par le passé. Je
crois que nous nous en sommes éloignés. C'est vrai, nous exigeons
beaucoup de nous-mêmes, mais j'espère que nous nous souviendrons de
ce que nous étions, pour qu'un jour nous puissions assumer à
nouveau ces rôles.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Monsieur Daudelin, soyez bref.
M. Jean Daudelin: J'aimerais faire un bref commentaire sur ce que vous disiez un peu plus tôt.
Je crois que le fait que nous avons pu réduire de façon si marquée nos dépenses dans le secteur de la défense, et dans le secteur de l'aide publique au développement, que nous avons pu réduire notre capacité diplomatique de cette façon, que nous parlons tous maintenant de choses que nous devrions faire, au lieu de choses que nous devons faire, reflète bien que nous ne sommes plus aussi présents dans le monde que nous l'étions. Lorsque nous collaborions à l'établissement du système multilatéral universel, que ce soit dans le domaine du commerce ou aux Nations Unies, nous avions de lourds intérêts en jeu. Notre participation aux activités de maintien de la paix était motivée dans une large mesure par nos intérêts nationaux. De nos jours, avec l'intégration du continent nord-américain, nos domaines d'intérêts sont plus limités. Cela a évidemment un impact sur notre politique étrangère. Il faut en tenir compte lorsque nous pensons à notre avenir. Nous sommes moins intéressés par le reste du monde parce que nos intérêts sont concentrés principalement sur l'Amérique du Nord.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Veuillez être bref, monsieur Legault.
M. Albert Legault: Je crois que John connaîtrait la réponse, mais je ne sais pas si nous serons toujours membres du G-8 en l'an 2025. Je crois que nous serons peut-être au 21e ou 22e rang des pays industrialisés du monde. Nous devrons rajuster notre tir, mais je crois que si nous avons un leader qui a des opinions catégoriques au Canada, si nous avons une politique qui indique ce que nous devrions faire même si cela coûte de l'argent, cela pourrait être utile également. Après tout, nous parlons tous du rôle de la politique étrangère du Canada. Lorsque Jean Daudelin affirme qu'il faut arrêtez de dire «devrait» et employer plutôt «doit», il a raison. Quand les Américains sont confrontés à un problème, ils le règlent. Les Britanniques essaient de s'en tirer tant bien que mal et les Canadiens, eux, essaient de le vaincre à l'usure.
Des voix: Oh, oh!
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Lorsque j'ai présenté les intervenants, j'ai dit qu'ils étaient tout indiqués pour nous inspirer lors de notre étude. Je crois également que les médias aident à la réflexion des Canadiens. Puis-je demander à chacun d'entre vous de me résumer en une seule phrase, une récapitulation quoi, comment d'après vous les médias nous aident en matière de sécurité, la question des frontières, la guerre contre le terrorisme, ou quoi que sais-je encore? Dans quelle mesure pensez-vous que les médias nous aident?
M. Andrew Cohen: En une seule phrase?
Je crois que les médias avant le 11 septembre n'avaient pas vraiment aidé le public. Nous n'accordons pas suffisamment d'attention aux choses qui se passent ailleurs dans le monde. Nous n'avons pas suffisamment de bureaux à l'étranger, j'entends par là pour les organisations médiatiques, et ce dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Nous ne présentons pas le monde aux Canadiens, nous ne parlons pas suffisamment en détail des affaires internationales. Je crois que depuis le 11 septembre, il y a eu une amélioration marquée, attribuable évidemment à la nature des événements. Je crois cependant que dans l'ensemble les médias peuvent faire beaucoup plus pour renseigner les Canadiens et pour leur donner les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées sur le reste du monde.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Je suis parfaitement d'accord.
M. John Kirton: C'est une chose qui m'intéresse au point de vue professionnel. Je crois que les médias canadiens se sont relativement bien tirés d'affaire, mais, évidemment, nous savons que si les Canadiens veulent avoir une perspective canadienne sur une question, les médias dans une certaine mesure présentent des reportages sur le premier ministre s'adressant directement aux Canadiens. Je crois qu'au cours des premières semaines suivant les événements du 11 septembre, il était utile de suivre les reportages sur les campagnes de collecte de fonds des divers partis politiques, et d'écouter Larry King Live; je crois cependant qu'il faut que nos leaders politiques prononcent des discours importants, du genre du discours du Trône, à intervalles réguliers pour communiquer la perspective canadienne sur la guerre, pour s'éloigner quelque peu de la réactivité que je vois partout.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Monsieur Hassan-Yari.
M. Houchang Hassan-Yari: De temps à autre, comme les autres, j'interviens dans les médias. On voit qu'il y a une pauvreté énorme au sein des médias. Ça, c'est la moindre des choses qu'on puisse dire. Plusieurs des grands journalistes, au moins à la télé et à la radio, ne savent même pas où est l'Afghanistan. Ils ne connaissent pas la composition de la population et les enjeux, par exemple. Ils ne savent pas pourquoi l'Afghanistan est tombé dans cette situation, pourquoi les Américains interviennent, etc. Donc, je pense que les médias sont en train de répéter à peu près ce que les Américains disent, ce qui est très, très malheureux. Donc, il n'y a pas une perspective canadienne comme telle véhiculée par les médias, et on devient de plus en plus un consommateur, si vous voulez, des médias américains.
[Traduction]
La vice-présidente (Jean Augustine): J'aimerais profiter de l'occasion, au nom de mes collègues, pour vous remercier d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
Avant que vous ne quittiez la salle, chers collègues, j'aimerais vous signaler que le Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux a adopté hier son rapport sur la frontière canado-américaine. Ce document devrait être distribué aux députés du comité plénier par courrier interne; vous le recevrez donc à votre bureau. Le comité étudiera le rapport mardi. N'oubliez pas que ce rapport demeure confidentiel jusqu'à son dépôt à la Chambre des communes; je vous demande d'en tenir compte.
Je tiens à vous remercier sincèrement d'avoir passé ces trois heures avec nous. Je sais que la réunion a été longue, et j'ai noté que vous étiez là bien attentifs, et que même certains d'entre vous n'ont pas goûté au délicieux café qu'on offrait.
La séance est levée.