FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 26 février 2002
¿ | 0905 |
Le vice-président (M. Bernard Patry (Pierrefonds--Dollard, Lib.)) |
M. Louis Bélanger (directeur de l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur de science politique à l'Université Laval) |
¿ | 0910 |
M. Richard Ouellet (membre régulier de l'institut québécois des hautes études internationales et professeur à la Faculuté de droit de l'Université Laval) |
¿ | 0920 |
M. Gordon Mace (directeur des études interaméricaines à l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur de science politique à l'Université Laval) |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Ivan Bernier (membre régulier de l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur associé à la Faculté de droit, l'Université Laval) |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Bélanger |
¿ | 0945 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ) |
M. Dubé |
¿ | 0950 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Bélanger |
¿ | 0955 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Ivan Bernier |
M. Antoine Dubé |
M. Ivan Bernier |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Richard Ouellet |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marleau |
À | 1000 |
M. Louis Bélanger |
À | 1005 |
Mme Diane Marleau |
M. Ivan Bernier |
Mme Diane Marleau |
Mme Marleau |
À | 1010 |
M. Ivan Bernier |
Mme Diane Marleau |
M. Ivan Bernier |
Mme Diane Marleau |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Bélanger |
À | 1015 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Gordon Mace |
M. Ivan Bernier |
À | 1020 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Richard Ouellet |
Mme Marleau |
M. Richard Ouellet |
Mme Marleau |
Mme Marleau |
À | 1025 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
À | 1035 |
M. Benoît Carmichael (professeur titulaire, Département d'économique, Université Laval) |
À | 1040 |
À | 1045 |
À | 1050 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Dubé |
M. Dubé |
À | 1055 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1100 |
M. Antoine Dubé |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Diane Marleau |
Mme Marleau |
Á | 1105 |
M. Benoît Carmichael |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Mme Diane Marleau |
Mme Marleau |
Á | 1110 |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Á | 1115 |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Antoine Dubé |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1120 |
M. Dubé |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1125 |
Mme Diane Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Á | 1130 |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Diane Marleau |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1135 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Antoine Dubé |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1140 |
M. Dubé |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1145 |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Mme Marleau |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Dubé |
M. Benoît Carmichael |
Á | 1150 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Benoît Carmichael |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
¸ | 1410 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Balthazar (professeur émérite, Faculté de science politique, Université Laval) |
¸ | 1415 |
¸ | 1420 |
¸ | 1425 |
¸ | 1430 |
¸ | 1435 |
¸ | 1440 |
¸ | 1445 |
¸ | 1450 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Dubé |
¸ | 1455 |
M. Louis Balthazar |
¹ | 1500 |
¹ | 1505 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marleau |
M. Louis Balthazar |
¹ | 1510 |
¹ | 1515 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Balthazar |
¹ | 1520 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Balthazar |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Dubé |
¹ | 1525 |
M. Louis Balthazar |
¹ | 1530 |
¹ | 1535 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
Mme Marleau |
M. Louis Balthazar |
Mme Marleau |
M. Louis Balthazar |
Mme Marleau |
M. Louis Balthazar |
¹ | 1540 |
Le vice-président (M. Bernard Patry) |
M. Louis Balthazar |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 26 février 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Français]
Le vice-président (M. Bernard Patry (Pierrefonds--Dollard, Lib.)): [Note de la rédaction: difficultés techniques] ...sur le G-8 et les relations nord-américaines. Notre groupe est actuellement à Québec et l'autre groupe, avec notre présidente, est dans le Canada atlantique.
Je vous souhaite donc la bienvenue à ces audiences du comité sur l'étude de deux aspects importants du rôle du Canada en Amérique du Nord et à l'étranger. Les membres du comité sont impatients de recueillir les commentaires de la population sur les défis de la politique étrangère canadienne au sein du G-8 et dans le contexte nord-américain.
Le Canada préside le G-8 cette année et sera l'hôte du sommet qui se tiendra en Alberta au mois de juin. Les grandes priorités du sommet portent sur l'amélioration du climat économique mondial, l'établissement d'un nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique et le maintien de la lutte contre le terrorisme international.
Le Canada met particulièrement l'accent sur l'élaboration d'un plan d'action pour l'Afrique. Le comité doit soumettre ses conclusions et ses recommandations au gouvernement au plus tard à la fin du mois d'avril. Les audiences publiques visant à connaître l'opinion des Canadiens sont au coeur du processus. Cette semaine, un groupe de membres du comité mène des audiences au Québec et un autre se trouve au Canada atlantique. Au début d'avril, cette étape se terminera par la tenue d'audiences dans l'Ouest du pays et en Ontario.
Compte tenu des contraintes de temps et de budget, nous profitons de cette occasion pour obtenir le point de vue des Canadiens sur l'avenir de nos relations nord-américaines. Nous accueillerons toute observation sur les relations Canada--États-Unis, sur les relations Canada-Mexique, de même que sur les relations continentales et trilatérales dans le cadre d'une étude à plus long terme qui fera l'objet d'un rapport plus tard au cours de l'année. C'est le début d'un dialogue. On peut obtenir des renseignements au sujet de ces deux études en consultant le site web du comité.
Nous invitons d'autres Canadiens à nous faire part de leur point de vue. Veuillez noter que les mémoires visant l'étude du G-8 doivent être présentés au plus tard à la mi-avril, alors que ceux qui concernent l'étude des relations nord-américaines doivent être soumis au plus tard à la fin du mois de juin.
Donc, ce matin, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité tient des audiences publiques sur l'intégration nord-américaine et le rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité, et pour l'étude du programme du Sommet du G-8 de 2002.
Je suis très heureux d'accueillir nos témoins ce matin. Nous entendrons M. Louis Bélanger, qui est directeur de l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur de science politique à l'Université Laval; M. Ivan Bernier, membre régulier de l'institut et professeur associé à la Faculté de droit de l'Université Laval; M. Gordon Mace, directeur des études interaméricaines à l'institut et professeur de science politique à l'Université Laval; ainsi que M. Richard Ouellet, membre régulier de l'institut et professeur à la Faculté de droit de l'Université de Laval.
Pour débuter, je vais demander à M. Bélanger de nous faire part de ses commentaires et, par la suite, je vais demander aux autres témoins de continuer.
Monsieur Bélanger, s'il vous plaît.
M. Louis Bélanger (directeur de l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur de science politique à l'Université Laval): Bonjour, monsieur le président. Bonjour, monsieur et madame les députés.
Je me présente devant vous aujourd'hui avec quelques-uns de mes collègues de l'institut qui ont pu se libérer ce matin. Je sais que vous allez entendre aujourd'hui et même demain, dans le cas de M. Michaud à Montréal, d'autres membres de l'institut et je m'en réjouis.
L'institut lui-même ne peut, selon ses statuts, prendre position sur les questions de politique publique. Donc, évidemment, c'est en son nom personnel que chacun d'entre nous interviendra ce matin sur les thèmes de l'ordre du jour.
En guise de remarques liminaires, j'aimerais simplement présenter chacun des membres de l'institut qui m'accompagnent aujourd'hui et identifier les thèmes sur lesquels ils sont désireux d'intervenir, et je les laisserai ensuite prendre quelques minutes pour ajouter à ce que j'aurai dit.
Je vous présente Ivan Bernier, professeur à la Faculté de droit et spécialiste du droit économique international. Il a signé quantité d'études sur l'Accord de libre-échange canado-américain, l'ALENA et l'OMC. Ivan Bernier s'intéresse tout particulièrement, ces années-ci, au traitement de la culture dans les accords de libéralisation des échanges et à la mise en place d'un instrument international pour la protection et la promotion de la diversité culturelle. Notre collègue Bernier aimerait intervenir éventuellement ce matin sur les aspects culturels de l'intégration économique et sur les choix de modèles d'intégration qui s'offrent au Canada.
Le professeur Gordon Mace est professeur de science politique et directeur du programme de recherche de l'institut sur l'intégration et la coopération interaméricaines. Notre collègue Mace coordonne un important projet de recherche, ces années-ci, à l'institut sur l'impact de l'ALENA sur les politiques étrangères du Canada, des États-Unis et du Mexique. Alors, sa présence est tout à fait pertinente. Gordon Mace voudrait intervenir ce matin sur les stratégies multilatérales et régionales que le Canada devrait déployer pour l'aider à gérer sa relation bilatérale avec les États-Unis.
Le professeur Richard Ouellet, de la Faculté de droit, est un spécialiste du droit commercial et, en particulier, des traités OMC. À ce titre, il aimerait intervenir sur la place que devraient occuper les négociations qui débutent à l'OMC dans l'agenda du G-8. Le professeur Ouellet aimerait surtout insister sur l'importance pour le Canada, dans un contexte d'intégration économique croissante avec les États-Unis, de maintenir sa capacité et son autonomie d'intervention sur la scène multilatérale et de travailler au renforcement du système de règlement des différends.
Pour ma part, je me ferai un plaisir de réagir au rapport préliminaire sur le Canada et le défi nord-américain en insistant sur trois points: l'importance pour le Canada de chercher à obtenir, dans le contexte actuel, des gains en termes de gouvernance, au-delà des gains économiques et de sécurité immédiats; l'importance de prendre conscience de la nature éminemment politique de la mondialisation; et l'importance pour le Canada d'investir dans le développement de ressources humaines qualifiées au sein et à l'extérieur du service extérieur pour gérer de façon efficace nos relations nord-américaines.
Je demanderais à Richard Ouellet de commencer en nous adressant quelques mots. J'imagine qu'ensuite, monsieur le président, vous vous occuperez du reste de la procédure.
¿ (0910)
M. Richard Ouellet (membre régulier de l'institut québécois des hautes études internationales et professeur à la Faculuté de droit de l'Université Laval): Merci à vous tous d'être présents ce matin pour nous entendre.
J'ai pris connaissance, ces jours derniers, des documents qui étaient disponibles sur Internet, entre autres de l'aperçu des dossiers et des questions clés à soumettre à un débat public. J'ai compris que c'était un document préparé par la Direction de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement. Évidemment, compte tenu de mon champ d'expertise, j'ai pris connaissance de ce qui touchait davantage ce que j'étais à même de commenter de façon correcte et pertinente. J'ai pris connaissance, donc, de ce qui touchait l'intégration économique avec les États-Unis, entre autres les relations commerciales canado-américaines.
Je voudrais faire un bref commentaire. J'ai été frappé par une phrase que j'ai trouvée dans l'un des documents sous le sous-titre: «Questions touchant à l'intégration économique». J'ai lu la phrase suivante:
Étant donné les événements du 11 septembre 2001 et les préoccupations accrues des États-Unis au sujet de la sécurité de la frontière canado-américaine, il est peu probable que les relations économiques entre le Canada et les États-Unis restent inchangées. Il est donc opportun d'examiner la question de l'intégration nord-américaine. |
À la suite de cette phrase, il est fait part d'une série d'options d'intégration économique que pourrait envisager le Canada avec ses voisins du sud. On dit entre autres: «Partant du principe que le statu quo est improbable, on peut envisager plusieurs possibilités». Et là il est fait mention d'une possibilité d'union douanière avec les États-Unis «en vertu de laquelle les signataires renoncent à une partie de leur liberté stratégique en contrepartie d’avantages économiques et acceptent d’incorporer une politique commune de commerce extérieur, ce qui élimine la nécessité de contraintes comme les règles d’origine».
On fait aussi mention d'autres options qui iraient encore plus loin. On dit que «l’on peut instaurer un marché commun, au sein duquel l’harmonisation des politiques des pays membres est considérablement accrue et où les biens, les services et les travailleurs sont mobiles».
On pourrait aussi «conclure une union économique, comme il en existe une au sein de l’UE et qui entraîne normalement l’harmonisation des politiques économiques et sociales intérieures ainsi que l’adoption d’une politique monétaire commune.»
J'ai trouvé que les événements du 11 septembre avaient le dos large. S'il est vrai que nous devons prendre conscience d'une nouvelle donne internationale en matière de sécurité, s'il est vrai qu'il faut coopérer avec nos voisins du sud, ce que je ne nie en aucune façon, et s'il est vrai qu'il faut repenser les façons de faire dans ces domaines--et là je voudrais qu'il soit clair que je ne suis pas un expert dans les questions de sécurité--, j'ai pensé que s'il fallait pousser l'intégration nord-américaine, il fallait peut-être le faire pour les bonnes raisons. Les événements du 11 septembre n'étaient peut-être pas tout à fait les meilleurs.
Pourquoi est-ce que je fais ce commentaire? Surtout dans les termes où on envisage de poursuivre l'intégration, ça suppose, et le document le rend bien, d'incorporer d'une certaine façon et dans une certaine mesure nos politiques commerciales avec celles de nos voisins du sud. Or, les politiques commerciales canadiennes ont des intérêts qui ne sont pas nécessairement ceux qui collent aux intérêts américains, et c'est dans ce sens-là que je voudrais intervenir. Ce n'est pas que je veuille que nous nous distancions des Américains et que nous soyons protectionnistes avec eux, car ce n'est pas du tout le sens de mes propos, mais, parce que je vois que le document va un peu vite, dans l'autre sens, il m'a semblé qu'il fallait que j'intervienne un peu pour montrer l'autre facette des choses.
Les intérêts canadiens ne sont pas forcément ceux des États-Unis, comme je l'ai dit. Je ne pense pas avoir à élaborer longuement sur la question des subventions en matière d'agriculture et sur les systèmes de gestion de l'offre, où nous nous divisons avec les États-Unis.
Il y a aussi la question relative à l'énergie, c'est-à-dire tout ce qui touche la gestion de l'électricité, la déréglementation ou la réglementation de l'électricité; les questions relatives au pétrole; les questions relatives à l'eau potable, qui font peur à bien des Canadiens et qui, comme vous le savez, supposent, dans le contexte de l'ALENA, que nous perdrions une certaine partie du contrôle du commerce de l'eau potable si nous en faisions le commerce par le biais d'un aqueduc avec nos voisins du sud.
Il y a des questions plus sectorielles, comme celles du lait, de l'acier, du blé, des tomates, qui divisent les économies américaine et canadienne. Il y a les questions culturelles, que le professeur Bernier traitera avec infiniment plus de compétence et d'expertise que moi.
Il y a la question des soins de santé. Comme vous le savez, le prix des médicaments est une question qui divise largement les hommes politiques canadiens et américains.
Il y a évidemment beaucoup à mettre en commun avec les États-Unis, et je voudrais que cela ressorte de mon propos. Il y a des bénéfices à tirer de l'intégration économique avec les États-Unis, mais de là à incorporer, comme le stipule le document, les politiques communes de commerce extérieur... Ce sont des termes qui m'ont fait un petit peu frissonner, et c'est dans ce sens-là que je veux réagir.
Il y a un autre motif pour lequel il faut aller doucement dans l'utilisation de termes comme ceux que je viens de lire. Vous savez qu'il est important pour le Canada de bénéficier d'un système de règlement des différends qui soit efficace. Le système de règlement des différends commerciaux entre le Canada et les États-Unis doit bien fonctionner pour que l'intégration fonctionne bien. Sans vouloir tenir un discours chauvin, je dirai que nos voisins du sud tiennent parfois mordicus à un certain nombre de politiques qui ne sont pas tout à fait conformes à certaines règles de l'Organisation mondiale du commerce ou de l'ALENA. Encore une fois, je ne pense pas devoir élaborer longtemps sur les questions relatives au bois d'oeuvre. Vous êtes tous sensibilisés au fait que, bien que l'ensemble du droit interne américain et canadien et du droit international ne justifie pas la prise de mesures aussi draconiennes que celles qui ont été prises par les Américains depuis la fin de l'accord du bois d'oeuvre, les Américains n'hésitent pas à recourir à certaines pratiques et à certaines décisions.
Je voudrais aussi faire état d'une décision plus récente rendue dans le contexte de l'Organisation mondiale du commerce, l'affaire sur les foreign sales corporations. Les Américains subventionnaient à coup de milliards de dollars un certain nombre de corporations. Il s'agissait en fait de subventions à l'exportation. L'OMC a condamné ce système, qui avait été attaqué par l'Union européenne. Au moment où on se parle, à moins que je ne sois pas tout à fait à jour dans la suite des événements, il n'y a toujours pas de mise en oeuvre de cette décision. Les Américains encourent encore potentiellement des milliards de dollars de sanctions si la décision n'est pas mise en oeuvre. Et pourtant, pour quelqu'un qui suit le domaine, ce système n'était clairement pas conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce.
Vous connaissez certainement aussi l'attitude que les Américains ont adoptée dans le domaine agricole--et là je recule bien loin--dans les années 50 avec l'Agricultural Adjustment Act , qui a justifié toute une série d'interventions, dans le monde agricole aux États-Unis, qui n'étaient pas conformes avec les règles du GATT et qui, pourtant, ont été adoptées par le conseil général comme une exception. Cela a donné toute une nouvelle tournure, pendant les 40 années qui ont suivi, au commerce agricole et, petit à petit, cela a tassé le commerce agricole de l'application des règles du GATT. Encore une fois, c'est une certaine attitude qui a amené cela.
Vous connaissez aussi la décision qui a été rendue, il y a maintenant deux ans, sur les articles 301 à 310 de la loi américaine de 1974 sur le commerce extérieur. Encore une fois, il s'agissait de prendre des mesures qui n'étaient pas tout à fait conformes aux règles du commerce international. C'était l'application de sanctions unilatérales dans les cas où des intérêts américains étaient, de l'avis des Américains, violés.
Il est donc important de préserver un système qui soit clair, sûr et efficace pour le règlement des différends. À chaque fois que nous poussons l'intégration économique avec nos voisins du sud, nous devons nous garder la possibilité de dire ou de faire dire ce qui est correct ou n'est pas correct, selon les règles qui auront été mutuellement convenues. Cela m'apparaît extrêmement important. L'incorporation de politiques communes devra tenir compte de cela s'il faut aller jusque-là. C'est pour moi d'une importance capitale pour les intérêts canadiens.
¿ (0920)
Voilà l'essentiel des commentaires que je voulais faire sur les petites phrases qui m'ont un peu fait sourciller dans l'ensemble des documents que j'ai lus. Je voulais aussi dire que l'ensemble des documents est d'une grande qualité. Également, je voulais faire un petit commentaire, comme le disait le professeur Bélanger, sur le rôle que peut exercer le G-8 dans les prochaines négociations commerciales multilatérales.
Voici quelques commentaires encore une fois très généraux. Vous voyez que je ne révolutionne rien par mes commentaires, mais ce sont des choses qui, je pense, doivent être gardées à l'esprit. La dynamique, à l'Organisation mondiale du commerce, n'est plus la même depuis l'entrée de la Chine, depuis Doha.
Vous avez vu que les pays en voie de développement sont maintenant capables d'infléchir l'agenda économique, ce qui n'était pas du tout le cas avant. Je pense, entre autres, pour la Conférence de Doha, à ce qui touche les médicaments. C'est quelque chose qui, je pense, n'était pas possible avant ça. Les pays en voie de développement prennent une nouvelle place dans les négociations commerciales multilatérales. Je pense que l'entrée de la Chine contribue à la prise de conscience et à la prise de cette nouvelle place-là.
Pour le peu que j'en sais, à partir du secrétariat de l'OMC, et pour ce qu'on peut en lire dans la littérature, le fameux système de la quadrilatérale, qui consistait à prendre l'essentiel des décisions entre les États-Unis, l'Union européenne, le Canada et le Japon, et à mettre les autres pays devant un fait accompli, ne fonctionnera plus jamais. Il faut tenir compte de cette nouvelle dynamique, et le G-8 devra être conscient que cette dynamique est changée. Je me demande dans quelle mesure le G-8 ne devra pas commencer à devenir un acteur ou à prendre conscience qu'il n'est pas un acteur. En tout cas, il y a une longue réflexion à faire à ce sujet parce que la dynamique ne sera plus jamais la même.
Voilà les quelques commentaires généraux que je voulais vous faire à propos des documents que j'ai pu consulter.
M. Gordon Mace (directeur des études interaméricaines à l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur de science politique à l'Université Laval): Bonjour. Je voudrais tout d'abord m'excuser de ne pas avoir écrit de rapport pour le comité. On est dans une période de production de textes, etc. Si j'avais eu à le faire, j'aurais intitulé ce rapport: «Maintenir le cap au niveau de la politique étrangère canadienne dans les Amériques».
J'ai lu le rapport préliminaire qui a été produit en décembre 2001. Dans ce rapport, on sent que le comité est très préoccupé par les événements du 11 septembre et les suites de ces événements. Je dirais, quant à moi, que je suis tout à fait d'accord sur l'opinion du professeur Stairs, à savoir que je ne crois pas que ces événements changent la relation fondamentale Canada--États-Unis.
Quand on observe la situation des dernières décennies, on s'aperçoit que le commerce et la sécurité ont toujours été des préoccupations très importantes dans la politique étrangère des États-Unis et que, selon les moments ou au travers des cycles, ils ont toujours poussé l'un et l'autre thèmes. On se rappelle la période de la Guerre froide de 1958 à 1962; on se rappelle aussi, sur le plan économique, les mesures Nixon de 1971, ou les lois commerciales américaines des années 80. Donc, à chaque fois, il y a eu des manifestations de politique étrangère américaine agressives dans ces deux domaines-là. Le Canada n'était pas touché, mais il a toujours dû réagir. Donc, jusqu'à un certain point, on peut dire que la politique étrangère canadienne a toujours été un art: l'art de maintenir un certain équilibre, un équilibre entre le maintien de bons rapports avec les États-Unis, d'une part, et, d'autre part, l'affirmation de la personnalité canadienne et la défense des intérêts nationaux du Canada dans d'autres régions ou dans d'autres forums. Ça m'apparaît une constante de la politique étrangère canadienne qui va toujours devoir être là.
Donc, les événements du 11 septembre sont importants, mais à mon sens, ils ne changent pas le rapport fondamental. Par contre, il y a eu deux changements fondamentaux depuis 15 ans. Le premier est la plus grande vulnérabilité du Canada: vulnérabilité économique mais aussi vulnérabilité globale. Quand au-delà de 80 p. 100 de votre commerce extérieur est concentré sur un seul marché, naturellement, vous avez moins de marge de manoeuvre que vous en aviez précédemment, de telle sorte que, si la réponse canadienne aux mesures Nixon a pu être la stratégie de troisième option, c'est-à-dire de chercher à trouver des contrepoids ailleurs, la réponse aux lois commerciales des années 80 a été l'ALENA. C'est un changement fondamental de politique étrangère. Donc, le premier grand changement est la plus grande vulnérabilité économique du Canada, ce qui réduit notre marge de manoeuvre.
Le deuxième grand changement est naturellement l'ALENA et le nouveau cadre de gestion économique qu'il impose pour l'Amérique du Nord. Le Canada doit maintenant régir son rapport avec les États-Unis en fonction de ces deux contraintes qui réduisent sa marge de manoeuvre de façon importante.
Quelle doit être la stratégie canadienne à cet égard? Il me semble qu'on n'a pas le choix. Il faut en effet maintenir la relation bilatérale avec les États-Unis. Il y a un certain nombre de dossiers--on a parlé du bois d'oeuvre et on pourrait parler de la gestion des eaux des Grands Lacs--qui ne peuvent être réglés que dans le cadre de cette relation-là.
Donc, la tentation est naturellement forte de se concentrer sur cette relation, mais c'est une tentation qu'on doit autant que possible essayer de repousser. Compte tenu de la vulnérabilité plus grande du Canada, si on s'enferme dans la relation bilatérale, notre marge de manoeuvre devient à peu près inexistante. Il faut donc aller chercher à nouveau des contrepoids. Naturellement, le Canada n'étant plus ce qu'il était sur la scène internationale, il ne peut pas prétendre trouver ces contrepoids dans d'autres régions du monde, en Europe, en Asie, etc. Je pense que le contrepoids naturel du Canada se trouve maintenant dans les Amériques. Il faut donc poursuivre le multilatéralisme, mais dans les Amériques. Le premier cadre d'action est l'ALENA et, à l'intérieur de l'ALENA, je crois qu'il faut essayer de développer un partenariat beaucoup plus grand avec le Mexique.
Dans le rapport, j'ai remarqué un commentaire de M. Sands, qui disait que selon sa vision des choses, il va y avoir une intégration à deux vitesses en Amérique du Nord: le Canada et les États-Unis, d'une part, et le Mexique et les États-Unis, d'autre part. Naturellement, ça peut paraître bien pour le Canada, mais c'est très dangereux. Le danger de cela, naturellement, c'est le modèle hub and spokes: les États-Unis se retrouvent au centre d'une série d'accords et ils peuvent jouer leurs partenaires les uns contre les autres. C'est ce que le Canada avait voulu éviter en entrant dans l'ALENA.
Donc, je pense qu'entrer dans cette logique d'une intégration à deux vitesses serait extrêmement dangereux pour le Canada. Il faut donc miser beaucoup plus sur nos rapports avec le Mexique, bien que la situation des deux pays soit assez différente. Au premier abord, on se dit que les langues sont différentes, que les cultures sont différentes, que les niveaux de développement sont différents. Naturellement, par le passé, la politique étrangère canadienne a toujours regardé les pays du reste des Amériques avec un certain caractère hautain, compte tenu de nos traditions.
Malgré tout, lorsqu'on observe la stratégie, la politique macro-économique et la politique étrangère de ces deux pays-là, on est frappé de voir que, depuis 30 ans, ils ont adopté exactement le même cheminement. Donc, manifestement, les intérêts sont communs. Je voyais les rapports concernant la visite de la semaine dernière du ministre Castañeda, qui disait qu'il fallait négocier ensemble, et non séparément, le périmètre de sécurité nord-américain.
Je dirais donc qu'il faut poursuivre la voie multilatérale et l'accentuer dans le cadre de l'ALENA. Il faut aussi la poursuivre dans le cadre du reste des Amériques. Je crois que les Amériques sont maintenant devenues notre contrepoids à nos rapports avec les États-Unis.
Dans un moment d'égarement passé, j'avais déjà parlé de développer un concert de puissances moyennes dans les Amériques. Je crois que c'est sans doute rêver en couleur, mais en tout cas, il faut penser à des partenariats beaucoup plus étroits avec des pays de même niveau. Je pense au Mexique et au Brésil. Je pensais à l'Argentine, mais ce sera peut-être pour plus tard. Je pense certainement au Chili. Donc, il faut pouvoir développer des partenariats avec ces partenaires qui sont dans une situation relativement semblable dans le jeu stratégique des Amériques.
¿ (0925)
Je pense que notre avenir est là si on veut maintenir la marge de manoeuvre qu'on a dans notre politique étrangère. Je pense que le comité devrait encourager le gouvernement à poursuivre dans cette voie.
Je vais m'arrêter maintenant pour laisser Ivan parler et peut-être pour les échanges qu'on pourra avoir après.
¿ (0930)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Bernier, s'il vous plaît.
M. Ivan Bernier (membre régulier de l'Institut québécois des hautes études internationales et professeur associé à la Faculté de droit, l'Université Laval) : Merci.
Je vais parler brièvement à propos d'un point qui a été soulevé par Richard Ouellet, à savoir les différents modèles d'intégration dans le cadre d'une intégration plus poussée avec les États-Unis.
Je pense que toutes les hypothèses autres que celle d'une zone de libre-échange, donc l'union douanière avec des politiques commerciales communes, un marché commun, à plus forte raison, l'union économique avec une monnaie commune et des politiques communes, etc., soulèvent forcément un problème majeur qui est celui du pouvoir décisionnel dans le fonctionnement de ces arrangements.
Dès lors qu'un pouvoir comme les États-Unis est confronté au Canada et au Mexique, dans la détermination d'une politique commune, deux hypothèses se soulèvent: ou les États-Unis sont d'accord, ou les États-unis ne sont pas d'accord. S'ils ne sont pas d'accord, ça ne passe pas; si on est d'accord avec eux, ça passe.
Alors, la seule hypothèse pourrait être: est-ce qu'à deux, on pourrait faire objection à une politique américaine? La question demeure soulevée, mais, comme vous pouvez l'imaginer, ce n'est pas un arrangement qui, au plan décisionnel, promet d'être particulièrement fonctionnel, à moins qu'on cède la plupart du temps. Je pense que c'est un problème sérieux. C'est un problème qu'il faudra aborder un jour ou l'autre si on va dans cette direction-là en cherchant des solutions. Mais a priori, il n'est pas évident que ce pourrait être le type de solution à cette question.
Je reviens maintenant à ce qui est mon propos personnel sur ce qui fait l'objet de cette rencontre. À la suite des événements du 11 septembre, il y a une dimension que l'on a parfois mentionnée, mais qu'on tend à escamoter ou à pousser sous le tapis très rapidement: c'est la dimension culturelle de ces événements-là.
Dans ce qui s'est passé le 11 septembre, il y a évidemment du terrorisme d'une façon marquée, évidente, mais dans la réponse à apporter à ces événements-là, il y a un problème de compréhension de points de vue culturels autres. Je pense que ceci est au coeur du processus de libéralisation des échanges et de l'intégration économique. Ces processus ne peuvent progresser, ne peuvent aller de l'avant s'il n'y a pas, de façon concomitante, un processus de rapprochement culturel, un processus qui permette de faciliter les ajustements nécessaires qui vont découler de la mise en oeuvre de ces accords d'intégration ou de libéralisation des échanges.
Il faut bien comprendre que tous ces accords ont des répercussions majeures sur la façon d'être et d'agir d'une société, sur ses arrangements, sur ses valeurs. Inévitablement, la mise en oeuvre de ces derniers va forcer l'adoption de points de vue qui n'étaient pas nécessairement ceux qu'on avait auparavant et une prise en considération de la dimension économique au détriment de valeurs ou de préoccupations culturelles autres. Ces ajustements seront d'autant plus difficiles qu'on n'aura pas prévu de mécanismes pour y faire face.
¿ (0935)
Or, dans tous les débats des six derniers mois, on a rarement fait état de cette dimension du débat. Je dois dire que cela me préoccupe. Que ce soit au niveau de notre relation avec les États-Unis ou de notre relation dans le cadre de l'ALENA, dans les négociations de la ZLEA ou dans les négociations de l'OMC, à tous ces niveaux, je pense que le Canada a une vision importante de la place de la culture dans les processus de libéralisation des échanges et d'intégration économique. C'est une vision qu'il a recherchée et qu'il a réussi, jusqu'à un certain point, à faire valoir dans le cadre de ses propres négociations avec les États-Unis, dans ses négociations sur l'Accord de libre-échange Canada--États-Unis, vision qu'il maintient encore dans son approche de l'intégration hémisphérique et qu'il préserve dans le cadre des négociations de l'OMC.
Je pense que dans tout examen de ce que l'on doit faire en rapport avec les États-Unis à la suite des événements du 11 septembre et de la façon dont on doit réorganiser ou concevoir dorénavant notre relation avec les États-Unis dans ce cadre-là, le Canada doit absolument continuer à faire valoir précisément l'importance d'une prise en considération de la dimension culturelle de ces phénomènes. C'est, à mon sens, une contribution qui lui revient parce que le Canada comprend ce problème et doit chercher à le faire comprendre à ses partenaires et, au premier chef, aux États-Unis. Ce n'est pas une tâche facile, mais je pense que c'est quelque chose qu'il faut absolument faire.
Je voudrais passer à un deuxième point dans le cadre de l'intégration hémisphérique. Je pense qu'on se trouve confrontés, dans ce type de négociation, à deux modèles d'intégration qui sont passablement différents et qui vont nécessairement soulever des problèmes lorsque viendra le temps de structurer un accord définitif en matière de libéralisation des échanges au plan hémisphérique.
Le premier modèle, c'est celui de l'ALENA. C'est un modèle relativement simple, structuré de façon très légale, avec des délais pour mettre en oeuvre des modifications, éliminer les droits de douanes, éliminer des choses qui sont incompatibles avec l'accord. Enfin, tout est structuré de façon très précise et il y a peu de choses qui sont oubliées, à tel point que lorsqu'on regarde le texte même de l'Accord de libre-échange nord-américain, on se rend compte qu'il fait à peu près trois ou quatre fois le texte du Traité de Rome, qui a créé le marché commun européen. Quand on le compare à l'accord sur le MERCOSUR, qui fait six ou sept pages, on se rend compte que c'est quelque chose de bien différent. C'est un accord qui fonctionne par lui-même, qui a ses propres délais. Tout est juridiquement prévu, avec une marge pour aller plus rapidement ou pour faire des modifications. En gros, c'est un accord qui a ses propres caractéristiques et qui se distingue du MERCOSUR, qui est l'autre modèle.
Le MERCOSUR, comparé à l'ALENA, est un modèle d'intégration économique fondé sur la dimension politique des échanges. Le texte est relativement court et les engagements sont sommaires, mais tout est en devenir. Il faut négocier constamment les précisions à apporter au texte et on se retrouve éventuellement avec une place du politique qui est beaucoup plus grande que dans le cadre de l'ALENA, à tel point que le fonctionnement même d'un modèle d'intégration comme celui du MERCOSUR se trouve confronté à des problèmes d'aller-retour. Si quelque chose ne marche pas, un pays va suspendre ses engagements, mais essayer de négocier avec ses partenaires une exception temporaire ou une permission temporaire pour réaliser certains objectifs. La rigueur du fonctionnement de cet accord n'est en rien comparable--je parle du MERCOSUR--à celle de l'ALENA. Lorsqu'on se trouve confronté à des modèles d'intégration aussi différents, la question se pose de savoir lequel de ces modèles va l'emporter.
Si l'on adopte un modèle comme celui de l'ALENA, très juridique, très précis dans son fonctionnement, il y a de fortes chances qu'un certain nombre de pays d'Amérique latine se retrouvent rapidement en difficulté dans la mise en oeuvre de ces engagements. Dès lors qu'ils ne pourraient pas remplir telle ou telle obligation, ils se trouveraient en défaut par rapport à leurs engagements et ils se retrouveraient incapables de maintenir le processus de libéralisation envisagé par l'accord, alors que, dans le cadre du MERCOSUR , les engagements politiques demeurent souvent à la base du fonctionnement de l'accord.
Une zone de libre-échange qui serait structurée suivant le modèle du MERCOSUR serait probablement inacceptable pour le Canada et pour les États-Unis, et vraisemblablement pour le Mexique aussi, mais est-ce que l'ALENA, pour sa part, serait acceptable aux pays d'Amérique latine sans remettre en cause le rôle du politique, qu'ils considèrent absolument crucial dans leur situation à eux? Je pense que c'est douteux également.
Alors, quelque part, il y aura un compromis à réaliser, mais je ne peux pas vous dire exactement où ça se fera. C'est une question qui reste soulevée, à mon point de vue.
¿ (0940)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup.
M. Louis Bélanger: J'irai très rapidement pour ma part. Beaucoup de choses que j'aurais aimé dire ont été soulevées par mes collègues.
Je soulèverai trois points, comme je l'annonçais: un point sur la question de la gouvernance dans nos relations avec nos partenaires nord-américains, un point sur la mondialisation et un point sur ce que j'appelle le capital humain. Vous verrez ce que je veux dire.
Je suis assez d'accord sur le point de vue de Gordon Mace et sur le point de vue de John Kurton exprimé dans le rapport préliminaire sur la question de la gouvernance ou, enfin, des mécanismes constitutionnels.
Je pense qu'au-delà du 11 septembre, nous pouvons remarquer la continentalisation dans le domaine de la sécurité et de l'économie à la fois dans les Amériques, en Amérique du Nord, mais aussi en Europe, d'une part, et, d'autre part, ce qu'on pourrait appeler une forme de crise ou un ralentissement marqué du multilatéralisme global.
On a vu un ensemble de phénomènes qui font en sorte qu'il va être de plus en plus difficile pour le Canada de chercher des contrepoids externes à l'environnement nord-américain, soit en Europe, soit dans le système multilatéral global. Même si on doit, je crois, continuer à en chercher et continuer à travailler à trouver ces contrepoids, ces contrepoids vont être de plus en plus difficiles à trouver, et le Canada doit être réaliste de ce point de vue.
Dans un contexte comme celui-là, il est important pour le Canada de chercher à développer, à même le système nord-américain, des mécanismes de gouvernance, des institutions qui lui permettront d'établir des mécanismes politiques qui lui permettront de mieux se faire entendre et de mieux contrôler sa relation asymétrique avec les États-Unis.
Sur le dilemme qui a été soulevé par Gordon Mace et par d'autres témoins qui vous ont parlé, je pense qu'il faut d'abord résister à l'envie de traiter chaque problème de coopération sur une base ad hoc avec les Américains, ce qu'ils vont inévitablement tenter de faire avec nous dans le domaine de l'économie et de la sécurité. Donc, il faut essayer de résister à la tentation d'établir avec eux des règlements rapides de litiges au prix du sacrifice d'avantages futurs. Comme on le voit bien dans le cas du bois d'oeuvre et dans le cas du périmètre de sécurité, les Américains nous amènent à négocier des arrangements ad hoc, des arrangements non institutionnels, des arrangements hors ALENA, des arrangements hors accords institutionnels.
Je crois que la tentation est souvent grande d'en arriver à des compromis rapides avec les Américains, parce qu'il y a des gains économiques à court terme qui sont pressants pour nous. Mais je crois qu'accepter cette logique équivaut à accepter une logique qui est perdante pour le Canada.
Faut-il s'ouvrir davantage au Mexique? Là aussi, je suis tout à fait d'accord avec Kurton et Gordon Mace. Encore une fois, il faut résister à l'envie de régler rapidement, sur une base bilatérale, des questions pour lesquelles on peut aller chercher un partenariat à trois qui, même s'il est plus difficile à concevoir immédiatement, même s'il retarde éventuellement la solution de certains problèmes, sera bénéfique à long terme pour le Canada. Donc, il faut établir des objectifs à long terme et à moyen terme et résister à l'attrait de bénéfices à court terme.
Finalement, il faut éviter de définir de grandiloquents projets de gouvernance régionale qui ne feront qu'effrayer les États-Unis, qui ne feront que brouiller les pistes, mais davantage se doter d'une stratégie permettant d'intégrer des objectifs de gains institutionnels, dont je viens de parler, dans chaque stratégie, dans chaque situation de négociation: libre-échange, défense continentale, sécurité, immigration, etc.
Donc, il s'agit d'adopter une stratégie des petits pas et d'éviter d'établir des projets de maison continentale commune qui, selon moi, nous feront peut-être perdre de petites victoires possibles au profit d'objectifs qui seraient, eux, irréalistes.
Sur la mondialisation, je crois que là, le 11 septembre a quelque chose d'intéressant pour nous. Le 11 septembre, la crise en Argentine, la réaction des États, etc. nous montrent très bien que le processus de mondialisation, pour ceux qui ne l'avaient pas encore compris, est un processus éminemment politique, réversible et fragile et que la libéralisation des échanges, comme la mondialisation, peut être mise à mal par le politique. Cela peut être mis à mal en particulier par des politiques de sécurité. Donc, la fragilité de la mondialisation devrait inspirer le gouvernement du Canada et devrait l'amener, selon moi, à mieux soutenir politiquement, par un discours renouvelé, son appui au libre-échange. Dans ce contexte, je pense que le gouvernement canadien devrait faire preuve de plus d'ouverture. Il devrait cesser de s'excuser d'être en faveur du libre-échange et développer un discours sur les aspects éthiques d'une politique de libre-échange.
Les sondages montrent très bien que dans la population canadienne, le niveau d'appui au libre-échange et à ce qu'on appelle généralement la mondialisation est extrêmement lié au niveau de scolarisation. Je pense qu'il y a ici un message qui ne devrait pas négligé.
Sur le capital humain--et là la transition est facile pour moi--, je pense que de manière générale, et c'est un aspect qui apparaît dans le rapport préliminaire et auquel je donne mon appui entier, le gouvernement doit faire davantage pour hausser le niveau de connaissances techniques, le niveau de capacité technique du personnel au ministère des Affaires étrangères, dans la communauté universitaire--là je prêche pour ma paroisse--et dans la population canadienne en général.
Le ministère des Affaires étrangères a quand même accompli beaucoup au cours de la dernière année. Il a augmenté les conditions salariales du personnel du service extérieur, mais les conditions de travail du service extérieur demeurent difficiles, effraient beaucoup de jeunes talents canadiens et font que certains démissionnent de leur poste aux Affaires étrangères. Je pense qu'on ne peut pas affronter les défis nord-américains que l'on veut affronter si on n'a pas un capital humain qualifié et de toute première qualité. Le Canada a prouvé que dans des situations de négociation asymétriques, la qualité de son personnel et de son expertise technique lui permettait de faire des gains énormes.
Je crois qu'actuellement, dans le contexte nord-américain, cet avantage du Canada est en péril. Le gouvernement canadien devrait davantage investir dans son service extérieur. Le gouvernement canadien devrait aussi davantage investir dans l'expertise générale au Canada en matière de politique étrangère. J'ajouterai que le ministère des Affaires étrangères devrait cesser de soutenir la production scientifique et les études sur les relations internationales au Canada en fonction des modes--sécurité humaine, sécurité collective--, avec des instituts qui disparaissent, des centres qui naissent et qui disparaissent, et définir une politique de soutien aux habiletés, aux connaissances et aux expertises fondamentales pour la conduite d'une diplomatie canadienne qui soit efficace au Canada.
Ce sont les trois points sur lesquels je voulais intervenir, monsieur le président.
¿ (0945)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Bélanger. J'ai omis de mentionner que j'étais accompagné de notre greffier, M. Roy, ainsi que de notre recherchiste, M. Haggart.
Il y a aussi M. Antoine Dubé, qui est député de Lévis, de l'autre côté du fleuve, et Mme Diane Marleau, qui est députée de Sudbury. On va commencer notre échange de questions et réponses.
Monsieur Dubé, s'il vous plaît.
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Merci d'être là. Je pense que les délais étaient peut-être courts et les documents, volumineux. Je ne suis pas un membre régulier, mais un membre associé du Comité des affaires étrangères. J'oeuvre surtout au niveau du Sous-comité des droits de la personne. Depuis l'élection, je me suis plutôt concentré là-dessus.
Vous avez abordé beaucoup de points, et chacun d'entre eux mériterait qu'on l'approfondisse. Assez curieusement, je vais vous poser des questions sur des points que vous n'avez pas abordés.
À titre d'exemple, on discute de plus en plus de la question du dollar américain, d'une monnaie commune. Je sais bien qu'il y a eu l'échec de l'expérience de l'Argentine. Je pense qu'on peut dire que c'est un échec. Néanmoins, il y a des gens qui pensent qu'il vaudrait la peine que cette question soit davantage étudiée. Dans ma formation politique, on a même proposé que soit créé, non pas une monnaie commune, mais au moins un institut pour étudier la question. J'aimerais avoir votre avis personnel là-dessus. Vous avez bien précisé que l'institut ne prenait pas position sur des sujets politiques. C'en est un, je pense.
Monsieur Bélanger, je ne sais pas si je vous ai bien compris, mais vous avez parlé de la notion de « maison continentale ». Lorsqu'on parle de libre-échange ou de traité de libre-échange, même quand on parle de la ZLEA, pour moi, c'est une forme de protectionnisme à plusieurs. On réagit à d'autres phénomènes, dont celui du marché commun européen. En voulant créer une situation semblable chez nous, peut-être pas de la même façon, bien qu'il y ait en Europe des pays... Je donne l'exemple de la Norvège dont la population, lors d'un référendum, a cru bon de s'en dissocier. Pourtant, ce pays n'est pas dans la pire des situations économiques.
Je parlais de la maison continentale pour arriver à un autre point. Les membres du comité savent que j'ai un dada: c'est la construction navale.
Pourquoi, selon vous, les États-Unis n'ont-ils jamais voulu accepter d'intégrer la construction navale et le transport maritime dans l'ALENA? Ils ont maintenu la règle protectionniste par excellence, le Jones Act. Cela m'apparaît assez inconcevable.
Il y a un dernier point, mais si vous n'avez pas le temps de l'aborder, vu que c'est un sujet plutôt ontarien, je le suggère à ma collègue. Il s'agit du fameux Pacte de l'automobile.
Je ne suis pas un universitaire ou un spécialiste de ces questions, mais quand on parle de libre-échange et de pactes comme celui-là, comment pourrait-on situer le Pacte de l'automobile dans le contexte de négociations d'intégration économique?
Je vais me limiter à cela, monsieur le président.
¿ (0950)
Le vice-président (M. Bernard Patry): C'est très bien. Il y a amplement de sujets à aborder.
Monsieur Bélanger.
M. Louis Bélanger: Pour la dernière question, je laisserai mes collègues juristes intervenir.
Pour ce qui est de la monnaie commune, je crois en effet qu'on ne doit pas aborder cette question en fonction de tabous. Je suis d'accord que c'est une question qui doit être étudiée. Je pense qu'il y a là un problème et que ce problème doit faire l'objet d'études, de modèles de simulation. M. Carmichael, qui sera avec vous tout à l'heure, va probablement vouloir vous en glisser un mot. Mais certainement, je crois qu'on ne doit pas aborder cette question-là à partir de tabous. Je crois qu'il faut vraiment poser la question sans s'illusionner et en étant réaliste.
Pour ce qui est de la question de la maison continentale, mon message est très simple. Si le Canada veut avoir une stratégie qui vise à combler ce qu'on peut appeler le déficit politique et le déficit institutionnel dans la construction actuelle de l'intégration continentale nord-américaine, si on pense comme moi que l'ALENA a provoqué une situation d'intégration qui exige des mécanismes de coopération politique qui sont actuellement absents, qui font défaut et qui heurtent les intérêts du Canada, je crois qu'une bonne stratégie pour obtenir des gains à ce niveau est une stratégie des petits pas. Il faut surtout éviter de proposer des modèles qui soient extrêmement ambitieux, qui brouillent nos objectifs, qui éveilleraient des soupçons, qui effrayeraient probablement les Américains et qui nous empêcheraient d'obtenir des succès à l'étape de négociations sur des questions plus immédiates ou peut-être moins ambitieuses.
C'était le point que je voulais faire ressortir.
Je ne sais pas si mes collègues ont quelque chose à ajouter sur la construction navale ou le transport.
¿ (0955)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Bernier.
M. Ivan Bernier: Je voudrais d'abord dire un petit mot sur la monnaie commune. Je pense que la monnaie commune en soi est quelque chose qui pourrait être envisageable, mais que ça va forcément soulever encore une fois le problème de la préservation de la marge de manoeuvre du Canada. Tout le monde sait ça. C'est ce que l'on dit. Cependant, au-delà de la préservation d'une marge de manoeuvre concernant la monnaie, on pourrait quand même accepter qu'elle soit diminuée ou, à la limite, éliminée si c'était bénéfique et que l'on en était certain.
Je pense que le problème de la monnaie commune est un problème qui doit être envisagé en même temps que celui des politiques communes puisque ces problèmes sont difficilement dissociables. Parler de monnaie commune à long terme sans avoir des politiques communes dans un certain nombre de secteurs majeurs, ça devient difficile parce que des tensions peuvent graduellement se manifester selon les conditions propres à chacun des trois États membres de l'ALENA. Cela ferait en sorte que le maintien de la monnaie commune pourrait avoir des répercussions négatives.
Dans un contexte où il y aurait des politiques communes, ça pourrait être autre chose. Comme la marge de manoeuvre risquerait à ce moment-là d'être encore plus réduite... Si l'on parle de politiques commerciales au sens large, de programmes politiques d'énergie, d'un certain nombre de politiques de cette nature-là, on en vient à se demander si le Canada ne serait pas, finalement, une province des États-Unis. Ça ne sera pas le cas. Si on aborde seulement le problème de la monnaie commune, c'est quelque chose qui, je pense, peut se discuter. Quand on l'envisage en tenant compte des répercussions que cela pourrait avoir au niveau des autres politiques, c'est, à mon sens, nettement plus complexe.
En ce qui concerne l'industrie navale, vous avez raison de dire que c'est vraiment une forme de protectionnisme américain. Cela remonte loin dans le temps, au Jones Act effectivement. Les Américains n'ont jamais voulu décrocher de cela. Je pense que, dans les rondes de négociation à venir, ils seront confrontés pour la première fois à la question de devoir payer le gros prix s'ils veulent maintenir le Jones Act. Beaucoup d'États leur ont fait savoir de façon très claire qu'ils devaient se débarrasser du Jones Act ou en payer le prix, sinon certaines choses qu'ils demanderaient allaient leur être refusées. Ils s'en sont tirés relativement bien jusqu'à présent, mais les explications ou les justifications derrière....
M. Antoine Dubé: [Note de la rédaction: inaudible].
M. Ivan Bernier: Oui. On a dit spécifiquement que l'on voulait que cette question-là soit soulevée.
En ce qui a trait au Pacte de l'automobile--pour ce qu'il en reste--, l'Organisation mondiale du commerce a déclaré que le Canada ne pouvait plus maintenir certains avantages accordés aux producteurs. Depuis ces dernières décisions, on se retrouve avec pratiquement rien. On se demande ce que signifie maintenant ce pacte.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Ouellet.
M. Richard Ouellet: Sur ces questions, je suis en communauté d'esprit avec le professeur Bernier. Je voudrais cependant faire un commentaire très bref quant à la monnaie commune.
Ça me fait toujours rire quand on utilise le mot «commune». S'il est question de prendre le dollar américain, je ne vois pas ce que le dollar a de commun. C'est la monnaie d'un autre pays. C'est le seul commentaire que je voulais faire. Pour le reste, je partage entièrement l'avis du professeur Bernier.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Ouellet.
Madame Marleau, s'il vous plaît.
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Merci d'avoir accepté de vous présenter devant nous. J'ai bien apprécié vos commentaires. On n'entend pas souvent des commentaires comme ceux-là lorsqu'on est assis à Ottawa.
Nous avons de grands défis à relever, entre autres l'aspect culturel. Je ne pourrais pas être plus d'accord avec vous. Mais comment peut-on, comme pays, comme groupe, assurer cet aspect culturel?
J'ai des raisons de soulever cela. La population est très bombardée par les médias, les médias prétendument plutôt américains même si on est au Canada. Ça fait depuis 1980 que je fais de la politique, et je peux vous dire qu'aujourd'hui, les médias vendent.
Ils vendent de la sensation qui n'est pas toujours basée sur la réalité, et les Canadiens et les Canadiennes ne sont pas conscients de ce qui se passe. On se fait dire des choses, on se fait encourager d'une certaine manière, et c'est très difficile pour la population et pour les politiciens parce qu'on se fait pousser dans des directions où on ne devrait pas aller. Je me demande si vous avez considéré toutes ces choses. Je crois, en ce qui a trait aux questions nord-américaines, que c'est probablement le plus grand défi que nous avons comme nation.
Le deuxième grand problème que nous avons, comme toujours, c'est que les États-Unis sont nos meilleurs amis, qu'on aime cela ou non, mais qu'ils ont tendance à faire ce qu'ils veulent. On le voit dans la question du bois d'oeuvre. Je suis d'accord qu'il faut aller à petits pas, parce qu'on ne veut pas les effrayer. Mais de quelle façon pensez-vous qu'on pourrait percer?
Les États-Unis se regardent toujours. Vous dites qu'on peut se servir de l'OMC. Absolument, mais est-ce que ça va pousser les Américains à faire ce qu'ils devraient faire, ou est-ce qu'ils vont faire comme ils ont fait avec les Nations Unies, c'est-à-dire payer à la dernière minute, avant de se faire jeter dehors, de perdre leur droit de vote, et ensuite ne plus payer pendant encore un long bout de temps?
C'est toujours ce jeu qui se passe. Ça, c'est vraiment à long terme. Alors, nous avons ce grand défi-là avec les Américains. Qu'est-ce que vous en pensez? On a eu des présentations qui parlaient de différentes choses, mais je ne suis pas très optimiste dans le cas des Américains.
Dans le cas des Mexicains, je crois fermement qu'il faut faire davantage. J'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères la semaine dernière à Ottawa. Personnellement--et je voudrais qu'on inclue cela dans notre rapport, mais je ne sais pas si ça y sera--, mon idée est qu'il faudrait investir davantage dans les régions du Mexique qui sont en voie de développement, qu'il faudrait établir un fonds quelconque pour travailler avec les Mexicains afin de s'assurer qu'ils soient plus capables de travailler avec nous et pas seulement les Américains. Je pense à 50 millions de dollars sur cinq ans, par exemple. Quant à moi, on ne fait pas assez au Mexique. On pourrait en faire beaucoup plus, et je crois que la visite récente va beaucoup aider. M. Castañeda est très ouvert et notre premier ministre y va à la fin avril, je crois. Nous y serons au mois de mars. Alors, je voudrais savoir quelles sont vos idées là-dessus.
À (1000)
M. Louis Bélanger: Sur le dernier point surtout, je suis tout à fait en accord avec vous. Il me semble que jusqu'à maintenant, et surtout depuis l'arrivée au pouvoir de Vicente Fox, le gouvernement canadien n'a pas suffisamment saisi les occasions qui se sont présentées pour satisfaire à certaines demandes du Mexique, pour l'accompagner dans certains dossiers.
Votre proposition rejoint, évidemment, les propositions du gouvernement mexicain. Je crois que travailler la relation mexicaine rejoint ma préoccupation exprimée plus tôt sur la politique générale du gouvernement canadien à l'égard de la libéralisation des échanges et de la nécessité d'accompagner ce discours de libre-échange de politiques cohérentes de soutien au développement. Je crois que, de façon générale, ce que vous dites va dans le sens de mon propos à l'égard du fait que le partenariat avec le Mexique doit être l'objet de beaucoup plus d'attention.
Pour ce qui est de la question de la relation avec les Américains, vous soulevez évidemment la question du bois d'oeuvre. Le problème du bois d'oeuvre est, selon moi, tout à fait significatif des tentations que l'on peut avoir. Je crois que le Canada va devoir apprendre à sacrifier parfois des bénéfices économiques immédiats ou à sacrifier parfois la volonté de régler des questions rapidement avec les Américains afin de tenter d'éviter des situations du genre de celles que l'on a connues jusqu'à présent, des situations où, justement, on effectue des règlements ad hoc qui, on le voit, nous pénalisent à long terme parce qu'ils ne nous permettent absolument pas de régler la question. Cinq ans après, on doit...
À (1005)
Mme Diane Marleau: Avez-vous écouté les nouvelles ce matin? On y disait qu'il était possible qu'on en arrive à une entente d'ici quelques jours. Ça m'a surprise. C'est toujours la réalité politique à laquelle nous faisons face aussi. Quand on a des parties du pays qui souffrent, la tentation est grande de conserver des emplois. Pour certaines personnes, c'est difficile. C'est facile pour vous de le dire, mais c'est difficile de le faire. J'ai bien peur que l'on va faire la même chose que l'on a faite auparavant. Je n'ai pas entendu les détails de cette entente possible. J'ai seulement entendu dire que l'on pensait qu'il y aurait un accord quelconque, ce qui n'est pas nécessairement, quant à moi, la meilleure des solutions à long terme. Souvent, notre choix est limité.
M. Ivan Bernier: Sur la question des médias, vous avez raison. Il y a un degré de concentration de la presse au Canada qui bat à peu près tout ce qu'on peut trouver dans le monde occidental. On vit avec cela comme si de rien n'était et on en paie le prix, je pense. La seule solution que l'on puisse envisager en réponse à cela, c'est, jusqu'à un certain point, une structure oligarchique de contrôle de l'information. Lorsque l'on voit ce qui se passe présentement dans le cas des éditoriaux du Calgary Herald sur les nouvelles du jour ou je ne sais trop quoi d'autre, qui seront imposés dans l'ensemble du Canada, on voit que le mouvement est là. La seule façon de contrer cela serait de le faire à travers la société civile. Je sais qu'elle n'a pas bonne presse, mais ça prend un contre-pouvoir. Ça prend des gens qui vont dire qu'ils n'acceptent pas cela.
Il faut faire quelque chose. Encore là, si on regarde la presse, les associations au Québec ou ailleurs, c'est tout à fait mou. Il y a eu un discours en réaction à ce qui s'est passé dans le cas du Calgary Herald. Sur la question de la concentration de la presse, à mon avis, on reste complètement en deçà de ce que ça devrait être. Comme ça ne viendra pas des propriétaires de ces entreprises, il va bien falloir que ça vienne d'ailleurs.
Mme Diane Marleau: Je vais vous expliquer ce qui se passe dans ma région parce que je connais bien ce qui s'y passe. Il y a un certain temps, on avait des journaux. On les a toujours, mais il n'y a plus rien dedans. On y trouve toujours juste la presse nationale et un petit article. C'est la même chose pour la télévision et la radio.
Il y a deux semaines, j'ai reçu une lettre du gérant des postes de télévision du nord de la province dans laquelle il vantait l'excellence des nouveaux services. Il disait qu'ils étaient allés voir certaines personnes dans les communautés, qu'ils les avaient interviewées et que tout le monde disait que c'était glorieux.
On n'a absolument aucune nouvelle. On apprend qu'il y a eu un meurtre à Sault-Sainte-Marie, un feu à Kirkland Lake, une bataille à North Bay. Il n'y a aucune recherche qui se fait. Lorsqu'on regarde les nouvelles qui durent une demi-heure à la télévision--c'est censé être des nouvelles locales que l'on y présente--, 15 minutes portent sur les sports, parce que c'est plus facile d'aller chercher les nouvelles sportives, et il y a un petit cinq minutes sur les communautés de tout le nord de la province. C'est la même chose dans le cas des journaux.
En tant que politicienne, cela me sert parce que je suis déjà très bien connue. Ceux qui voudraient me remplacer pourraient difficilement l'être autant. Mais, du point de vue de l'exercice de la démocratie, ce n'est pas bon. C'est même horrible. Les choses qui sont dites là deviennent plus ou moins la vérité. Vous parlez de la société civile, mais la société civile ne s'en est pas encore rendu compte. À quel moment la société civile va-t-elle se décider à mettre le holà?
À (1010)
M. Ivan Bernier: À moins que cela ne vienne des parlementaires.
Mme Diane Marleau: Non. Eh bien...
M. Ivan Bernier: C'est que vis-à-vis de l'industrie, vous avez les parlementaires, qui sont les représentants des citoyens, et la société civile qui se pose à côté des parlementaires. Donc il faut que les parlementaires agissent, ou bien que la société civile le fasse. Il n'y a pas d'autre choix.
Mme Diane Marleau: Non. Et puis c'est l'influence des Américains qui joue. C'est eux qui ont la grande influence. Nous pensons tous être riches un jour, comme on le voit dans les émissions américaines, et nous oublions que les pauvres continuent de s'appauvrir. C'est très difficile pour nous d'appuyer et de mousser certaines politiques dans une telle ambiance.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Je vais me permettre de poser une ou deux questions.
Vous avez mentionné--je pense que c'est M. Ouellet qui l'a fait--qu'on semblait rendre les événements du 11 septembre 2001 responsables d'à peu près tous les maux et que les États-Unis en profitaient énormément pour élaborer des politiques ad hoc, selon le terme que vous avez employé, ou pour faire du cas par cas. Qu'on pense à la sécurité frontalière, à l'immigration, au transport de l'énergie, etc. Ces négociations ad hoc, à court terme, que l'on croit nécessaires, bénéfiques économiquement, nous conduisent-elles à une certaine perte de souveraineté? Et cette perte de souveraineté constitue-t-elle un danger pour le Canada à long terme ou si on peut la voir un peu comme ce qui se passe dans le contexte de l'Union européenne?
J'ai aussi une deuxième question que je vais poser tout de suite. Elle s'adresse au professeur Bernier.
J'ai beaucoup aimé vos commentaires sur la dimension culturelle. Vous disiez que la compréhension mutuelle était au coeur du problème et que le Canada devait initier un processus de rapprochement culturel.
Comment voyez-vous ce rapprochement? Quel serait le processus qui permettrait ce rapprochement culturel? C'est la première fois qu'on entend ce commentaire exprimé d'une façon aussi précise dans ce domaine-là.
S'il vous plaît, monsieur Bélanger.
M. Louis Bélanger: À propos de la première question, j'hésiterais à parler de perte de souveraineté. Selon moi, les arrangements ad hoc, ou plutôt la précipitation qui a suivi les événements du 11 septembre n'est pas propre à cette situation, mais propre à l'attitude générale américaine, qui est de vouloir faire face aux problèmes quand ils se posent, cas par cas, sans s'enfermer dans des processus institutionnels qui, selon eux, pourraient brimer leur propre souveraineté.
Selon moi, le traitement ad hoc que je décris signifie davantage pour le Canada une perte de pouvoir de négociation dans l'avenir et un enfermement dans une relation bilatérale pour la gestion de ses relations internationales. On le voit actuellement dans le domaine de la sécurité qu'on applique au continent tout entier et dans la volonté de créer une zone de sécurité commune. On le voit dans le domaine économique, etc. On s'enferme dans une relation bilatérale avec les Américains, qui nous laisse une très faible marge de manoeuvre future pour négocier les choses que nous voudrons négocier et pour lesquelles nous serons les demandeurs.
Je pense toutefois qu'il existe une piste de solution, soit celle de profiter de l'ensemble des situations où les Américains seront à leur tour les demandeurs.
Lorsqu'on a négocié l'ALENA, on a parlé du règlement des différends. On éprouve aujourd'hui certaines insatisfactions à l'égard de la situation qui prévaut, en ce sens que nous sommes démunis, dans le cadre de l'ALENA, lorsque des problèmes surviennent. Par exemple, par rapport à l'application du chapitre 11 sur les investissements, on n'a aucun mécanisme politique pour s'exprimer et en discuter. Je crois que, dans le cas de la négociation de l'ALENA, cela s'expliquait en partie; nous étions les demandeurs et les Américains avaient beaucoup plus à offrir que nous en termes de marché. Ils ont donc pu avoir l'avantage dans la négociation et ils en ont profité.
Alors, c'est à nous de profiter des situations où les Américains sont les demandeurs pour rétablir, faiblement évidemment, mais rétablir au maximum l'équilibre dans notre relation avec les Américains. C'est plutôt de cette façon, selon moi, que la précipitation et le règlement des solutions ad hoc peuvent représenter un danger.
Évidemment, je crois que les Américains profitent de la situation actuelle et que les commentaires des analystes américains consultés à Washington lors de votre rencontre précédente expriment très bien un point de vue américain qu'il faut contrer.
À (1015)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Mace, voulez-vous faire un commentaire?
M. Gordon Mace: Sur la question de la stratégie, je pense que vous avez raison. Les États-Unis jouissent vraiment d'un pouvoir d'attraction très fort. C'est le gros marché. De fait, ils jouent ce marché-là. On le voit au niveau des Amériques. On l'a vu dans l'ALENA. Le Canada était demandeur pour l'ALE. Le Mexique était demandeur pour l'ALENA. Les États-Unis attendent. Ils ont un marché et ils savent qu'ils ont des avantages qui découlent de ces marchés-là. Ils attendent les propositions et ils les reçoivent avec la force qu'ils ont.
Pour le gouvernement canadien, le handicap inhérent, c'est que cette culture américaine imprègne les populations. Il y a surtout le fait que les populations veulent continuer à avoir des produits américains, à aller sur les plages américaines. Le gouvernement peut chercher à orienter les choses, mais si la population ne le suit pas, il a des problèmes. C'est un peu ça, la situation du gouvernement canadien.
On doit avoir les réponses à certaines questions. Est-ce qu'on devrait avoir une monnaie commune? De fait, il faut s'interroger sur le terme « commun », comme l'a dit Richard. Je ne suis pas un économiste et je n'ai pas toutes les données, mais je suis d'accord avec Ivan sur le fait qu'avec une monnaie commune, il y a aussi, manifestement, un problème d'harmonisation de politiques. Les Européens en sont arrivés à l'intégration monétaire après 40 ans. Il y a eu d'autres harmonisations auparavant, et ça nous mène là. La monnaie commune fera partie d'une harmonisation, ce qui est tout à fait dans la logique des choses, si on comprend que l'ALENA n'est pas un accord de libre-échange. L'ALENA, comme d'autres l'ont dit, n'est pas à propos du commerce. C'est un cadre économique pour l'Amérique du Nord.
Pour le Canada, le problème de la souveraineté est naturellement beaucoup plus grand qu'il ne l'est pour les petits pays européens à cause de l'asymétrie de pouvoir. En Europe, il y a différents pôles de pouvoir. Les pays comme la Hollande et d'autres peuvent donc s'ajuster à cet égard-là. Ici, l'asymétrie de pouvoir est considérable. Le danger par rapport à la souveraineté est beaucoup plus grand.
Vous cherchez à savoir quelle serait la solution à cela. Je dirais qu'il faudrait manifestement adopter une stratégie défensive. C'est comme Astérix et les Gaulois. Il s'agit de défendre le petit carré. Il ne faudrait peut-être pas aller vers la maison des Amériques, mais il faudrait développer des arrangements institutionnels dans les Amériques. Un de mes collègues, dans une de ses interventions, a parlé de niches. Je parlerais plutôt de partenariats stratégiques. Il faudrait établir des partenariats stratégiques et développer, si possible, des arrangements institutionnels par rapport à la culture, à l'extérieur du pays, avec la France et d'autres pays qui ont les mêmes intérêts. Mais dans les Amériques, les Américains vont toujours refuser les arrangements institutionnels. Ils sont contre toute forme de supranational parce que, naturellement, dans un monde de libre-échange, c'est toujours le plus fort qui l'emporte. L'histoire l'a démontré, et ça continue comme ça. Donc, celui qui est en position avantageuse va naturellement rejeter toute structure qui va venir contraindre son action. Celui qui est plus faible doit donc rechercher ces structures-là en créant des partenariats avec d'autres gens qui sont dans la même position que lui. Je pense que c'est à peu près la seule stratégie que le Canada puisse adopter.
M. Ivan Bernier: Je veux juste ajouter à ce dernier point.
Dans le cas des arrangements ad hoc, une des choses dont il faut se méfier, et à laquelle il faudrait trouver une façon de mettre fin, c'est ce genre de négociation où les États-Unis disent que si quelqu'un n'est pas avec eux, il est contre eux. C'est mortel comme façon d'aborder les choses. On sent qu'ils en profitent. On devrait refuser systématiquement que ce soit dans ces termes-là que les questions ad hoc soient abordées. Je n'en dirai pas plus là-dessus.
Quant aux rapprochements culturels, il y a beaucoup à dire. Tout arrangement d'intégration économique devrait normalement comporter une dimension culturelle.
Dans nos relations avec le Mexique, je pense qu'on a très rapidement développé, à côté de la dimension économique, une dimension culturelle au sens large mais, en tout cas, de relation non économique. À titre d'exemple, je mentionne le fait que de plus en plus de Mexicains participent à nos rencontres, à nos conférences, à toutes sortes de discussions qui les concernent et qui nous concernent. On va chez eux, ils viennent chez nous, leurs étudiants viennent chez nous, on envoie nos étudiants chez eux. On a maintenant quelqu'un de Radio-Canada d'installé en permanence à Mexico. On en sait beaucoup plus sur le Mexique qu'on en savait avant l'accord de libre-échange.
Ça, c'est une dimension du libre-échange qui doit être prise en considération, soit cette espèce de rapprochement qui est impliqué et que suppose une véritable relation privilégiée entre un certain nombre de partenaires. Il faut donc chercher à mousser cela.
L'autre chose que je voudrais souligner, qui irait dans le sens d'une plus grande compréhension sur le plan culturel, c'est qu'il faut faire des efforts, qu'il faut essayer de convaincre nos partenaires de la nécessité d'en arriver à un accès plus large à la culture des autres. À l'heure actuelle, les statistiques que j'ai pu ramasser démontrent avec une clarté absolue que dans pratiquement toutes les régions du monde, que ce soit entre pays en développement et pays développés ou entre pays développés, dans le domaine de l'audiovisuel, par exemple, la plupart des pays, lorsqu'ils ne regardent pas des émissions qu'ils ont faites eux-mêmes, regardent des émissions américaines ou, parfois, celles d'un autre pays.
Mais le reste du monde ou même le reste de l'Europe, dans le cas de l'Europe, représente une fraction infime, soit 1 p. 100 ou 2 p. 100 de ce qui est regardé. La France, par exemple, regarde très peu de programmations non américaines ou non françaises. C'est la même chose au Canada. Regardez ce qu'on voit à la télévision et dans les cinémas concernant autre chose que les États-Unis ou le Canada. Les films et les émissions de la télévision française sont rares. On a TV5, heureusement, qui apporte quelque chose.
De la même façon, dans les pays en développement, il y a nombre de pays qui ne regardent que de 3 à 5 ou 7 p. 100 d'émissions qui sont faites localement, sur le plan national. Pour le reste, ils ne font que regarder les autres.
Essayer de faire fonctionner une démocratie dans un tel contexte, c'est difficile. Je pense qu'au-delà de ce constat, il faut faire des efforts positifs pour faire en sorte que nous ayons un plus grand accès à la diversité de la production culturelle des autres pays, pas seulement celle des États-Unis. Il y a des mesures positives qui devraient être prises dans ce sens-là, et, de ce point de vue, je pourrais ajouter que les États-Unis ont probablement quelque chose à apprendre, eux qui ne regardent à peu près que de 2 à 3 p. 100 d'émissions audiovisuelles étrangères. Alors, cela ferait partie des choses qu'ils devraient considérer pour régler certains problèmes, y compris sur le plan de la sécurité.
À (1020)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup. Est-ce que vous avez d'autres commentaires?
Monsieur Ouellet.
M. Richard Ouellet: J'ai un bref commentaire à l'intention de Mme Marleau. Mme Marleau a dit à deux reprises que c'est difficile, en parlant du conflit sur le règlement du bois d'oeuvre. C'est difficile.
Mme Diane Marleau: C'est difficile, comme politicienne, de résister aux populations qui souffrent. C'est de cela que je vous parle.
M. Richard Ouellet: C'est un peu la même chose quant à la concentration de la presse. Vous disiez aussi que c'était difficile. Le commentaire très bref que je voudrais vous faire--et je le fais vraiment sans malice--, c'est peut-être davantage celui d'un citoyen que celui d'un professeur. Quand l'électeur entend les personnes qui sont au pouvoir dire que c'est difficile, c'est peut-être déjà là que se trouve la perte de la démocratie. Ce n'est pas évident pour les citoyens d'entendre ceux qui sont au pouvoir dire que c'est difficile. C'est vous qui avez le pouvoir. Exercez-le.
La perte de souveraineté dépend évidemment de la position sur le plan international et des relations qu'on a avec nos voisins, mais elle dépend aussi un petit peu de l'attitude. Je vous dis cela sans aucune aigreur, sans aucune malice.
Mme Diane Marleau: Je comprends cela, mais je comprends aussi ce que c'est que de venir d'une région qui n'a pas beaucoup de pouvoir. Le nord de l'Ontario n'a pas beaucoup de pouvoir. Nous avons seulement 11 sièges au niveau fédéral et, dans la province, c'est la même chose. La vie commence et finit à Toronto et à Ottawa et dans le sud. Alors, quand je dis ces chose-là, je les dis plutôt en parlant de ce qui se passe. Les décisions ne sont pas prises chez nous et nous n'avons pas souvent le pouvoir de pousser les décisions de cette façon, parce que nous n'avons pas assez de représentants.
Je me souviens que, lorsque j'étais nouvelle en politique, il y avait un mouvement pour créer une province dans le nord de l'Ontario. À cette époque, je trouvais que c'était un peu fou. Aujourd'hui, je me dis que c'est dommage qu'on n'ait pas fait cela parce qu'on aurait eu beaucoup plus de pouvoir pour s'autogérer, s'autofinancer, et on aurait plus de voix qu'on en a aujourd'hui. C'est probablement la même chose pour le nord du Québec, qui vous dirait probablement la même chose, car il était associé avec nous dans ce mouvement il y a 30 ans.
La difficulté, lorsqu'on vient d'une région qui n'est pas tellement populeuse, c'est que la concentration de la représentation est dans les grands centres. C'est une autre question de démocratie. On n'ira pas là tout de suite, mais cela a peut-être des effets lorsqu'on peut regarder le futur et se demander si c'est ce qui va se passer si le Canada se joint de plus en plus à la force que sont les États-Unis.
À (1025)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, madame Marleau. Je veux remercier nos témoins de ce matin. Je veux surtout vous remercier de la qualité de vos témoignages. Je pense que c'était excellent.
On va ajourner pour cinq minutes. Merci beaucoup.
À (1025)
À (1033)
Le vice-président (M. Bernard Patry): On va reprendre, avec votre permission.
Nous entendrons maintenant M. Benoît Carmichael, qui est professeur titulaire au Département d'économique de l'Université Laval.
La parole est à vous.
À (1035)
M. Benoît Carmichael (professeur titulaire, Département d'économique, Université Laval): J'ai pensé baser mon intervention sur une série d'articles de fond que j'ai publiés dans Le Soleil dernièrement. J'ai pensé que cela serait un bon point de départ pour la discussion d'aujourd'hui. Si vous me le permettez, je vais simplement, au départ, vous lire le texte que j'ai préparé. Cela devrait prendre une quinzaine de minutes.
Le débat sur l'utilité et l'avenir du dollar canadien revient périodiquement sur la place publique depuis la signature, en décembre 1991, du Traité de Maastricht annonçant la création de l'Union monétaire européenne et l'adoption par celle-ci d'une nouvelle monnaie: l'euro. La mise en circulation, le 1er janvier dernier, des premiers euros, sous forme de billets et de pièces de monnaie, a rapidement remis cette question à l'avant-scène des préoccupations, particulièrement au Québec, où l'engouement des Français pour cette nouvelle monnaie a obtenu une large couverture médiatique. Par ailleurs, la baisse presque ininterrompue du dollar canadien depuis 1991, culminant avec l'atteinte, en janvier dernier, d'un creux historique de 61,7c. américains, donne parfois des allures «périmées» au dollar canadien.
L'histoire nous enseigne que les systèmes monétaires ne sont pas immuables et qu'ils évoluent avec les besoins du temps. Si de grandes économies, comme l'Allemagne et la France, et de plus petites, comme la Belgique et les Pays-Bas, trouvent avantageux d'abandonner leur monnaie nationale en faveur de l'euro, il n'est pas interdit, et il est même probablement souhaitable pour les Canadiens, de s'interroger sérieusement sur l'avenir de leur système monétaire.
À l'instar de l'Europe des seize, les liens économiques unissant le Canada, les États-Unis et le Mexique ont aussi été renforcés ces dernières années, particulièrement depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA. Bon an mal an, plus de 40 p. 100 des biens et services produits au Canada sont vendus à l'étranger et les trois quarts de nos exportations partent pour les États-Unis. On pourrait dire que les mêmes chiffres s'appliquent aux importations canadiennes. Ce niveau d'intégration économique bilatéral n'est atteint par aucune combinaison des pays membres de l'Union monétaire européenne, le couple franco-allemand inclus. Bref, les pays de l'Amérique du Nord, particulièrement le Canada et les États-Unis, devraient-ils imiter l'Europe et envisager sérieusement une intégration monétaire plus poussée?
Avant d'aborder franchement cette question, il est bon de souligner les deux caractéristiques clés du régime monétaire en vigueur au Canada. Primo, la politique monétaire canadienne est axée sur le contrôle de l'inflation. En fait, l'objectif unique de la Banque du Canada est de garder le taux d'inflation autour de 2 p. 100 par année.
Les ajustements à la hausse et à la baisse du taux directeur de la Banque du Canada sont entièrement subordonnés à l'atteinte de cet objectif. Lorsque l'économie s'emballe et que le taux d'inflation est à la hausse, la Banque du Canada fait monter les taux d'intérêt pour réduire les dépenses et ramener le taux d'inflation vers la cible. Au contraire, lorsque la conjoncture économique se détériore et que le taux d'inflation tombe sous la cible, comme ce fut le cas ces derniers mois, la Banque du Canada assouplit les conditions du crédit et favorise une baisse des taux d'intérêt de façon à stimuler les dépenses.
La décision d'opter pour une cible d'inflation remonte au début des années 90 et fut prise conjointement par le gouvernement fédéral et la Banque du Canada. Elle est le fruit d'une longue réflexion menant à la conclusion que la politique monétaire peut le mieux contribuer au plein emploi et à l'amélioration durable du niveau de vie en contrôlant l'inflation. La stabilité et le faible niveau du taux d'inflation canadien sont en grande partie dus à cette politique. Le Canada n'est pas le seul à subordonner sa politique monétaire vers l'atteinte d'une cible d'inflation, puisque l'Angleterre, l'Australie, la Finlande, la Nouvelle-Zélande et la Suède ont également pris une telle décision durant les années 90.
La deuxième caractéristique importante du système monétaire canadien est le régime de taux de change flexible que nous entretenons avec nos partenaires commerciaux. La valeur de notre monnaie reflète entièrement les forces de l'offre et de la demande sur le marché des changes.
Les gens n'achètent pas le dollar canadien pour le simple plaisir d'en profiter. Ils le font plutôt pour pouvoir acheter des biens et services produits au Canada, ainsi que des actifs financiers canadiens. La demande pour le dollar canadien augmente et le dollar s'apprécie vis-à-vis des autres devises lorsque, par exemple, la productivité des entreprises canadiennes progresse plus rapidement que dans le reste du monde, rendant nos produits plus concurrentiels et donc plus attrayants sur le marché mondial. À l'inverse, la demande pour le dollar canadien chute et le dollar se déprécie lorsque la productivité canadienne tarde à suivre celle de nos concurrents étrangers parce que nos produits et services deviennent moins concurrentiels. Dans ce dernier cas, la dépréciation du dollar a pour effet de rétablir la compétitivité internationale de nos entreprises. Tout ça pour dire que les fluctuations du taux de change jouent un rôle important et servent à maintenir, et parfois à rétablir, la compétitivité des entreprises canadiennes. La disparition du taux de change du paysage économique canadien n'éliminerait pas les besoins d'ajustement. Ceux-ci devraient simplement passer par un autre chemin.
Revenons maintenant à notre question principale. Le Canada doit-il envisager une intégration monétaire plus poussée avec ses partenaires commerciaux d'Amérique du Nord, notamment les États-Unis? Si oui, quelles sont les options disponibles? En réalité, deux options principales s'offrent à nous.
Si l'objectif est d'abord et avant tout d'éliminer les fluctuations du taux de change, il serait envisageable de revenir à un régime de taux de change fixe avec les États-Unis, comme celui en place durant les années 60. Le gouvernement aurait à déterminer à quel taux le dollar canadien peut être échangé pour le dollar américain, en supposant que le dollar américain soit celui en vertu duquel on fixe notre valeur. La Banque du Canada aurait la responsabilité d'assurer le maintien du facteur de conversion choisi en utilisant, au besoin, sa réserve de dollars américains.
Le passage à un régime de taux de change fixe ne nécessiterait aucune modification du cadre légal du système monétaire canadien actuel et aucune négociation avec le gouvernement américain ne serait nécessaire. Le ministre des Finances, M. Martin, aurait simplement à émettre une directive au gouverneur de la Banque du Canada lui demandant d'intervenir sur le marché des changes en achetant et en vendant le dollar canadien de façon à maintenir constante sa valeur.
Les régimes de change fixes comme celui-ci sont souvent critiqués, parce que le facteur de conversion peut être changé à tout moment par l'émission d'une simple directive. Pire encore, le choix même de fixer la devise peut être abandonné en tout temps et sans préavis. En d'autres mots, la permanence d'un régime n'est jamais véritablement assurée. Cette caractéristique est particulièrement problématique en période de turbulences économiques, puisque la moindre rumeur de dévaluation, même non fondée, peut mettre en branle des mouvements de capitaux risquant d'anéantir la politique du taux fixe.
À (1040)
La viabilité du régime repose exclusivement sur la capacité de la banque centrale d'honorer son obligation d'échanger sur demande la monnaie nationale pour la monnaie étrangère au taux de conversion choisi. Or, cette capacité n'est pas illimitée et dépend des réserves en devises étrangères du pays et des possibilités de financement du gouvernement sur les marchés internationaux. Lorsque les réserves et les sources de financement externes sont épuisées, le gouvernement n'a d'autre choix que d'abandonner le taux de change fixe et de passer à un régime de change flottant.
On pourrait donner un caractère plus permanent à un régime de change fixe en transformant la Banque du Canada en caisse d'émission, ce qu'on appelle en anglais les currency boards. Une loi du Parlement déterminerait le taux de change entre le dollar canadien et le dollar américain et la Banque du Canada aurait comme seule responsabilité d'ajuster de manière rigide, à la hausse ou à la baisse, le nombre de dollars canadiens en circulation lorsque ses réserves de dollars américains changent au gré des mouvements de capitaux, des exportations et des importations.
Le taux de conversion ne pouvant être changé sans amendement de la loi, un régime de taux de change fixe avec caisse d'émission est moins sensible aux rumeurs de dévaluation et offre, de ce fait, plus de stabilité. Hong Kong opère avec succès une caisse d'émission depuis 1983. Les troubles récents en Argentine montrent cependant que les risques d'instabilité monétaire ne sont pas entièrement éliminés et qu'ils peuvent même être dramatiques.
Un régime de taux de change fixe, avec ou sans caisse d'émission, ne ferait pas disparaître le dollar canadien. Seules les fluctuations du taux de change seraient éliminées. L'avantage de conserver le dollar canadien viendrait du fait que les réserves internationales de la Banque du Canada, essentiellement des avoirs en dollars américains, pourraient être investies dans des actifs très liquides, comme les bons du Trésor américain, offrant ainsi au gouvernement canadien des revenus de placement non négligeables. L'adoption pure et simple du dollar américain priverait le gouvernement canadien et, par ricochet, les contribuables canadiens de cette source de revenu.
Si le désir d'intégration monétaire va au-delà de la simple disparition des fluctuations du taux de change, le Canada pourrait entamer avec les États-Unis et, possiblement, avec le Mexique des négociations menant à la création de ce que l'on pourrait appeler l'Union monétaire d'Amérique du Nord, l'UMAN. En principe, l'UMAN pourrait impliquer la création d'une nouvelle monnaie, comme ce fut le cas en Europe. En pratique, il est difficile d'imaginer, voire utopique de seulement penser que les États-Unis accepteraient la disparition du dollar américain. Au mieux, la Banque du Canada deviendrait le treizième district de la réserve fédérale américaine et le dollar américain deviendrait la monnaie commune.
On doit également souligner qu'il est loin d'être acquis que le gouvernement américain accepterait d'accorder au Canada un siège permanent au tout-puissant Federal Open Market Committee ayant la responsabilité de l'orientation et de la mise en oeuvre de la politique monétaire américaine. Actuellement, le district de New York est le seul des 12 districts à posséder un siège permanent.
Par ailleurs, par quel mécanisme les responsables de la politique monétaire de l'UMAN seraient-ils imputables devant l'électorat canadien? Cela reste à déterminer. Peut-on également imaginer que le président des États-Unis accepterait de partager avec le premier ministre canadien le droit de nommer le gouverneur de la réserve fédérale? On peut facilement répondre non à cette question sans même avoir à invoquer les événements tragiques du 11 septembre.
L'abandon du régime actuel en faveur de l'une ou l'autre des solutions mentionnées précédemment est prématuré pour plusieurs raisons.
Premièrement, le régime monétaire en place permet au Canada d'orienter sa politique monétaire vers des objectifs qui lui sont propres. Les régimes de remplacement auraient tous comme conséquence, pour le Canada, d'abandonner toute marge de manoeuvre sur ses taux d'intérêt.
Deuxièmement, la disparition du taux de change priverait le Canada d'un mécanisme d'ajustement très important. Malgré leurs similitudes, les économies canadienne et américaine ont d'importantes différences. Les secteurs d'activité liés aux ressources naturelles étant plus importants au Canada, l'économie canadienne est beaucoup plus sensible aux variations des prix des matières premières sur les marchés mondiaux. En fait, le Canada est un exportateur net de matières premières, alors que les États-Unis sont un importateur net de matières premières.
Lorsque ces prix sont en baisse, c'est tout un segment de l'économie canadienne qui est touché d'une manière qui n'a pas son équivalent aux États-Unis. Dans le régime actuel, la baisse de rentabilité des entreprises des secteurs concernés diminue l'attrait du dollar canadien et entraîne sa dépréciation. Loin d'être néfaste, celle-ci permet plutôt à l'économie canadienne d'amoindrir le choc. Une dépréciation du dollar canadien améliore la compétitivité du Canada. Les occasions perdues dans les secteur liés aux ressources naturelles sont ainsi compensées par des gains dans d'autres secteurs d'exportation. La baisse importante du prix des matières premières qui a suivi la crise asiatique de 1997 ne s'est pas traduite par une récession au Canada en grande partie pour cette raison.
Il faut toutefois nuancer les bienfaits des variations du taux de change et reconnaître que le régime actuel comporte aussi le risque que les entreprises canadiennes, comptant trop sur la dépréciation du huard pour maintenir leur compétitivité internationale, retardent indûment les investissements favorisant la baisse de leurs coûts de production.
À (1045)
L'adoption d'un régime de change fixe ou, plus fondamentalement, la création de l'UMAN ne ferait pas disparaître les différences entre nos deux économies. En l'absence d'ajustements possibles du taux de change, les perturbations économiques touchant davantage le Canada se feraient sentir avec beaucoup plus de vigueur sur le marché du travail. On peut donc craindre que le taux de chômage canadien ne devienne plus volatile.
Cela étant dit, il existe aussi de grandes différences entre les régions des États-Unis, et l'utilisation d'une monnaie unique, le dollar américain, ne semble pas créer de problèmes particuliers sur le marché du travail américain, le taux de change américain étant inférieur à celui du Canada.
La clé de cette énigme repose sur la mobilité de la main-d'oeuvre à l'intérieur des frontières géographiques des États-Unis. Les Américains sont mobiles et ils n'hésitent pas à se déplacer d'un bout à l'autre des États-Unis à la recherche d'un meilleur emploi. Pour cette raison, les perturbations économiques qui touchent uniquement certaines régions ont peu d'effets durables sur le taux de chômage américain.
Ce point m'amène à la troisième raison qui devrait nous faire pencher en faveur du statu quo. Pour favoriser le plein emploi sur l'ensemble du territoire nord-américain, il faudrait imiter l'Europe et permettre la mobilité de la main-d'oeuvre à l'échelle continentale. Or, permettre aux Canadiens de déménager aux États-Unis pour des raisons économiques sans au préalable harmoniser la fiscalité des deux pays serait extrêmement risqué pour le Canada. L'impôt sur le revenu étant beaucoup moins élevé aux États-Unis, les Canadiens ayant des occasions de carrière au sud de la frontière seraient fort tentés d'aller courir leur chance là-bas. Si on pense que ces travailleurs sont ceux qui contribuent le plus au financement de nos gouvernements--10 p. 100 des contribuables paient plus de 40 p. 100 des impôts--, c'est l'ensemble des politiques sociales canadiennes qui seraient en danger. Au strict plan économique, aller de l'avant avec l'UMAN sans ouvrir aux Canadiens le marché du travail américain et sans harmoniser la fiscalité serait une réforme incomplète.
En résumé, le régime monétaire actuel, formé d'un taux de change flottant avec le reste du monde et d'une politique monétaire axée sur le contrôle de l'inflation canadienne, a bien servi l'intérêt des Canadiens depuis sa mise en place. Le taux d'inflation est à son niveau le plus bas des 40 à 50 dernières années. La croissance économique soutenue semble revenue pour de bon, et nos gouvernements ont réussi à éliminer les déficits budgétaires qui ont marqué les années 1970 et 1980. Rien n'indique qu'il est temps pour le Canada de changer d'orientation, surtout pas les tribulations du dollar canadien sur le marché des changes.
J'aimerais aussi ajouter qu'il existe un troisième mécanisme, dans le cas où on opterait pour l'adoption du dollar américain, auquel il faudrait penser en plus de la mobilité de la main-d'oeuvre et qui serait l'instauration de transferts fiscaux entre les régions. Quand on pense à l'Europe, l'adoption de l'euro, comme il a été mentionné plus tôt, n'a pas été la première étape, mais l'une des dernières. Et un gouvernement européen fait des transferts très importants entre les régions de l'Europe, ce qui, en fait, vient remplacer le taux de change qui n'existe plus.
Donc, tout cela fait un peu le tour de ma position qui est assez conservatrice. C'est une position classique en science économique, comme vous l'aurez sans doute reconnu.
À (1050)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Carmichael.
Nous allons maintenant passer aux commentaires de nos députés. Monsieur Dubé, s'il vous plaît.
M. Antoine Dubé: Monsieur Carmichael, je n'ai pas la prétention d'avoir les mêmes compétences que vous en économique, et notamment dans le domaine monétaire. Cependant, le peu que j'en connais m'amène à une position différente de la vôtre.
Je précise que je ne suis pas nécessairement en faveur de changer de monnaie. J'aime autant l'admettre tout de suite pour que ce soit clair dès le départ, chacun ayant le droit d'avoir et d'exprimer son point de vue. Ma position est plutôt qu'il faut continuer à étudier la question et non pas clore le débat en disant qu'il vaut mieux garder la monnaie qu'on a sans tenir compte des autres options.
À titre d'exemple, je puiserai dans mon expérience personnelle. J'ai été membre pendant trois ans du Comité permanent de l'industrie. M. Patry l'était en même temps que moi et il se rappellera sans doute qu'on y a étudié la productivité des entreprises, sujet que vous avez effleuré. Il existe un rapport sur ce que nous avons fait.
Ce qu'on a trouvé au cours de cette étude, vous l'avez évoqué tout à l'heure en disant que certaines entreprises canadiennes, surtout celles qui font de l'exportation, trouvent avantageuse la situation actuelle, soit l'écart qui augmente entre le dollar américain et le dollar canadien. Elles trouvent que cela les favorise à court terme.
Cependant, à long terme--et cela avait été très bien démontré dans le rapport--, ils ne font pas d'efforts d'augmentation de la productivité, tant au niveau de la main-d'oeuvre qu'au niveau de la modernisation des équipements surtout. On a vu des secteurs où il y a eu des ajustements par la suite, mais on peut penser aux textiles, aux pâtes et papiers. Il y a eu des efforts. Ceux qui en ont fait ont pu résister; d'autres sont quasiment disparus. C'est la première dimension.
L'autre dimension est celle invoquée par M. Chrétien, notamment. Je le mentionne parce que je pense qu'il a raison de dire que, malgré les efforts du gouvernement canadien au niveau de la politique actuelle, il y a quand même un phénomène qui fait que des gens, face à la plus grande insécurité dans le monde, considèrent le dollar américain comme une monnaie refuge. Ce n'est pas tant par les qualités de l'économie américaine que cela joue qu'en fonction d'une question de perception, de confiance. Dans des périodes d'insécurité, les gens vont se réfugier vers des monnaies refuges, dont le dollar américain, qui est sans doute la première dans le monde. Ce sont les deux premières dimensions.
L'autre dimension, c'est qu'il faut accepter les faits. À moins de dire que la situation actuelle est très bonne, on peut avoir une option optimiste. Mais comparons l'économie américaine avec la nôtre. À tous points de vue, l'écart entre le niveau de vie des Américains... C'est bien de cela qu'il s'agit. Il faut regarder les choses qui permettent de faire des comparaisons. Depuis les 10, 20 et même 30 dernières années, depuis très, très longtemps pourrait-on dire, l'écart est en faveur des Américains. C'est sûr qui si on se compare à d'autres pays en voie de développement et à des situations comme celle des Argentins ces temps-ci, on peut dire que le niveau de vie des Canadiens est extraordinaire. Mais si on se compare aux meilleurs, aux Américains, on voit qu'il y a une perte et, finalement, le niveau de vie des Canadiens n'a pratiquement pas augmenté réellement depuis 10 ans. L'écart entre les riches et les pauvres continue de s'accroître, et le nombre d'enfants et de familles pauvres augmente. Je veux bien d'une vision conservatrice s'il s'agit de dire qu'on est moins mal en point que ceux pour qui ça va mal, mais si l'écart entre nous et ceux pour qui ça va mieux s'accroît, je ne suis pas d'accord.
Je suis certain que vous allez trouver matière à commenter mon propos.
À (1055)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Carmichael.
M. Benoît Carmichael: Bien sûr, je dois vous avouer que le texte que je vous ai lu avait été écrit pour être publié dans un quotidien. Donc, on voulait des opinions fortes.
Concernant votre premier point, ma vision n'est pas de fermer le débat. Comme je l'ai dit dès le départ, c'est une question qui est importante, et c'est bon qu'on s'interroge là-dessus. Je ne veux pas que mon intervention soit perçue comme consistant à dire que le débat est fermé. Non, le débat n'est pas fermé. Il devrait peut-être même être plus souvent dans l'opinion publique qu'il ne l'est présentement. Je trouve qu'à Ottawa, on ne fait pas toujours un bon travail d'expliquer cela clairement aux Canadiens. Ce n'est pas simple et on ne fait pas toujours... J'ai trouvé que même M. Martin, qui est habituellement très bon, aurait pu expliquer le sujet plus clairement aux Canadiens lorsqu'on l'a questionné là-dessus au début de janvier, parce que lui, quand il parle, il fait les manchettes. Il est au Téléjournal à tous les soirs. Alors, de ce point de vue-là, le débat n'est pas fermé et il ne doit pas se fermer.
Mon point de vue, c'est que l'adoption d'une monnaie unique avec les États-Unis, qui serait le dollar américain dans les faits, n'est pas la première étape qu'on devrait adopter. Si on veut s'en aller vers cela, ça implique la mise en place d'un certain nombre d'éléments, et cela doit être bien expliqué aux Canadiens. Au strict plan économique, passer au dollar américain demain sans, par exemple, penser aux écarts de fiscalité, qui sont importants, sans penser à mettre en place une structure qui permettrait des transferts fiscaux entre les régions, ne serait pas, à mon avis, une réforme qui serait...
M. Antoine Dubé: Plutôt que des transferts fiscaux, peut-on parler de péréquation?
M. Benoît Carmichael: C'est de la péréquation, si on veut, parce que finalement, le taux de change joue simplement un rôle d'équilibreur. Quand il y a des perturbations économiques, étant donné que nos économies ne sont pas pareilles, qu'il y a des différences importantes, ça joue le rôle d'équilibreur.
Si on ferme cet équilibreur-là, ça en prend un autre. S'il n'y en a pas d'autre, ce sera le marché du travail qui jouera. On n'aime pas que le chômage fluctue beaucoup.
En Europe, ils ont mis en place des mécanismes qui permettent d'amoindrir ces choses-là. On doit aussi dire que l'euro a la cote maintenant, que cela fait beaucoup de bruit, mais il faut quand même souligner que depuis la création de l'euro, en 1999, il a perdu 25 p. 100 de sa valeur par rapport au dollar américain. On voit le dollar canadien dégringoler par rapport au dollar américain, mais il n'est pas seul: l'euro dégringole aussi par rapport au dollar américain. C'est un point.
Deuxièmement, l'euro a été introduit durant une période d'affluence économique: croissance de l'économie mondiale, baisse du chômage généralisée en Europe. L'euro n'a pas encore été testé, mais il le sera sûrement dans les années à venir. Il va probablement tenir la route et bien fonctionner, mais on n'aurait pas pu imaginer, en 1991, quand on a signé le Traité de Maastricht, un meilleur scénario pour la mise en place de cette nouvelle monnaie. C'était un scénario idéal et ça va sans doute assurer la survie de cette monnaie, alors que si on avait été en récession, avec l'économie de l'Allemagne et celle de la France qui ne sont pas vraiment en tandem, il y aurait eu de fortes tensions.
En ce qui a trait à la monnaie refuge, c'est vrai que le dollar américain est une monnaie refuge, et ce n'est pas nouveau; cela a été le cas de tout temps, ou presque. Depuis les Accords de Bretton Woods, en 1944, le dollar américain est de facto la monnaie de réserve internationale. Donc, ce n'est pas nouveau. Ça a toujours été comme ça. En passant, on a eu le régime de Bretton Woods qui s'est effondré au début des années 70, justement parce que la politique monétaire américaine--le dollar américain étant la monnaie de réserve, c'est eux qui, finalement, tenaient le robinet de la croissance monétaire mondiale--allait à l'encontre de ce que les autres pays voulaient. Le système s'est donc effondré. Ici, au Canada, on a quitté le système de Bretton Woods bien avant les autres parce qu'on ne voulait pas importer le taux d'inflation américain. Alors, le gouvernement canadien a décidé de passer à un régime de taux de change flottant presque un an avant l'effondrement du système de Bretton Woods parce que la politique monétaire américaine ne le satisfaisait pas.
Á (1100)
M. Antoine Dubé: C'était égal à ce moment-là.
M. Benoît Carmichael: Oui, il me semble que la valeur du dollar canadien était de 0,925c. américains. Ensuite, il y a eu parité pour un certain temps.
Mon point, c'est que ce ne sont pas nécessairement les monnaies fortes qui font les économies fortes; ce sont les économies fortes qui font les monnaies fortes. Le fait que le dollar canadien se soit déprécié depuis 10 ans par rapport au dollar américain, à mon avis, reflète le fait que l'économie américaine a été le moteur de l'économie mondiale. Ils ont eu une croissance économique énorme là-bas. Nous, nous avons eu une bonne croissance économique, mais relativement pas aussi bonne que la leur, et ça se reflète dans la dépréciation du dollar canadien. Maintenant, on regarde la fenêtre de 10 ans, depuis 1991, et on voit une baisse. Si on regardait une autre fenêtre de 10 ans, celle d'entre 1976 et 1985, on verrait un mouvement à l'inverse.
Ma position est assez conservatrice. Oui, il faut s'arrêter à la question, l'étudier, y réfléchir, mais il ne faut pas vendre au public canadien des choses qu'une monnaie commune n'achètera pas.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Marleau.
Mme Diane Marleau: C'est très intéressant. Vous dites qu'il faut continuer d'en discuter, mais on n'est pas en mesure d'aller de l'avant, en tout cas pas pour le moment.
Premièrement, cela ne serait pas la création d'une nouvelle monnaie, mais une acceptation du dollar américain. On n'aurait pas de choix. Les Américains, c'est certain, ne vont pas changer d'idée.
Comment établir un système de gouvernance? C'est difficile avec les Américains parce qu'ils commencent par eux et finissent par eux.
J'ai une question. Dernièrement, le président des États-Unis a annoncé que les États-Unis auraient un déficit. Présentement, c'est le pays qui a la plus grande dette au monde, et elle doit s'accroître. Qu'est-ce que cela va faire au dollar américain? Nous, nous avons une politique: nous ne voulons pas retourner en déficit. Nous n'empruntons presque plus d'argent au niveau international. Est-ce que cela va causer aussi des défis pour le dollar canadien?
Á (1105)
M. Benoît Carmichael: Si je prends la réponse comme homme de science, le lien entre les déficits budgétaires et la valeur des monnaies en est un qui n'est pas très étroit. Donc, il semble qu'on observe des épisodes où on voit des monnaies qui s'apprécient en même temps que des gouvernements font des déficits. On a des monnaies qui se déprécient en même temps que des gouvernements font des surplus. Le lien entre la situation budgétaire du gouvernement et les fluctuations de la monnaie sur le marché des changes n'est pas très étroit. Alors, il est difficile de répondre à votre question.
Mme Diane Marleau: Mais puisque les États-Unis ont une monnaie refuge et qu'ils vont être lents et emprunter encore de l'argent...
M. Benoît Carmichael: C'est-à-dire qu'ils vont aller en déficit, mais est-ce qu'ils vont retourner de façon permanente en déficit? Je ne le pense pas. Depuis les événements du 11 septembre 2001, l'économie américaine a eu son premier ralentissement. En fait, ça avait commencé avant, depuis presque 10 ans. De façon naturelle, dans la politique économique, on a ce qu'on appelle les stabilisateurs économiques, qui font en sorte que, lorsque l'économie ralentit, de façon naturelle, le gouvernement a un déficit, et quand l'économie reprend, il a un surplus. Là, c'est sûr que l'administration Bush a amené de nouvelles politiques qui vont au-delà de cela pour stimuler davantage la croissance économique aux États-Unis. Je ne pense qu'ils vont retourner de façon permanente en déficit comme ce fut le cas dans les années 70 et 80. Je ne pense pas non plus que cela devrait avoir un impact très important sur la valeur du dollar américain sur le marché des changes, mais je peux me tromper, le lien entre les déficits et la valeur des monnaies étant...
Mme Diane Marleau: Ça m'intéresse parce que je me demandais même si cela avait un rapport.
M. Benoît Carmichael: Si le dollar américain n'était pas une monnaie refuge, on pourrait répondre autrement. Une des explications possibles du problème que l'on a vu en Argentine, c'est que les gouvernements, tant au niveau fédéral que dans les régions, faisaient des déficits importants et soudainement, il y avait cette dette qui s'accumulait, et les gens ont voulu convertir leurs pesos, je crois, en dollars américains, étant donné que le taux de change était de un pour un. Il y a eu ce mouvement de capital qui s'est développé d'un coup et qui a fait que le régime n'a pas pu tenir la route. Le peso n'était pas une monnaie de réserve... Dans le cas du dollar américain, il y a tellement de pays, de banques centrales qui sont intéressés à détenir le dollar américain que la fuite hors du dollar américain, probablement en faveur de l'euro, ne se produira pas, selon moi, à très court terme. Si vous regardez la proportion des réserves internationales qui sont en dollars américains, vous verrez que c'est la grande proportion.
Mme Diane Marleau: Alors, ça va se continuer. Il n'y aura pas nécessairement un impact. Toutes ces questions sont difficiles. Je ne suis pas toujours d'accord que les Américains ont un niveau de vie plus élevé que le nôtre. Je crois que l'écart entre les riches et les pauvres est beaucoup plus grand aux États-Unis qu'ici, au Canada.
Nous avons de programmes sociaux dont on oublie souvent de tenir compte dans l'équation lorsqu'on regarde le niveau de vie. J'ai voyagé beaucoup aux États-Unis et j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de régions très, très pauvres, beaucoup plus pauvres que nos régions. On ne les voit pas toujours, on n'en entend pas parler, mais la vie peut être très difficile aux États-Unis, surtout quand on regarde la grande lacune dans les programmes sociaux.
Mais le dollar américain, pour moi, il est là. Nous ne pouvons jamais l'oublier et nous sommes presque prisonniers de ce dollar américain, mais au moins, lorsque nous avons notre propre dollar canadien, nous avons une marge de manoeuvre que nous n'aurions absolument pas autrement.
Á (1110)
M. Benoît Carmichael: Je pense que si on adoptait le dollar américain, on perdrait probablement toute marge de manoeuvre sur les orientations de la politique monétaire de l'union.
Par exemple, la Californie, qui est une économie dont la taille est à peu près la même que celle du Canada, n'a pas de siège permanent au Federal Open Market Committee, qui détermine les orientations de la politique monétaire américaine. Alors, il serait très surprenant que le gouvernement américain accorde ce droit au Canada.
Donc, c'est sûr que, dans le cadre de l'adoption du dollar américain, la politique monétaire serait déterminée par rapport à l'ensemble, mais l'ensemble serait surtout ce qui se passe au sud des États-Unis. Donc, on perdrait cette souveraineté. Toutefois, à l'occasion, ça peut être intéressant de perdre cette souveraineté parce que les avantages peuvent compenser les coûts.
Par exemple, dans le cas de l'Argentine, on a voulu passer au dollar américain parce qu'on avait un problème chronique d'inflation. Or, une façon de régler ce problème de façon rapide, c'est d'adopter la monnaie d'un pays où il n'y a pas beaucoup d'inflation. Le bénéfice, c'est que l'on se débarrasse de l'inflation et que l'on adopte une monnaie « stable ». J'imagine qu'à l'époque, selon la vision du gouvernement argentin, ça en valait le coup.
Ici, s'il y a une différence, c'est que notre taux d'inflation est plus faible que celui de l'économie américaine. Donc, quels sont les avantages de passer à un dollar américain? C'est clair qu'un des avantages serait le risque de change. Pour les entreprises canadiennes qui font du commerce avec les États-Unis, leurs coûts sont en dollars canadiens, par exemple. Leurs employés sont payés en dollars canadiens et ils vendent une grande partie de leurs produits sur le marché américain. Leur revenu est en dollars américains. Il y a toujours ce risque de change qu'il faut gérer. Il y a des outils financiers qui permettent de se protéger contre ce risque, mais ça coûte quelque chose. Quand on achète des options d'achat ou de vente du dollar américain, il faut payer les frais, etc. C'est sûr que l'adoption d'une monnaie commune ferait disparaître ces coûts. Il y aurait des avantages là.
Il y a aussi l'avantage qu'on a mentionné plus tôt. Il y a peut-être certains secteurs, certaines entreprises canadiennes qui comptent sur la dépréciation du dollar canadien pour se remettre en affaires. Il ne faut pas l'ignorer, car ça existe, mais ces entreprises et ces secteurs-là peuvent peut-être aussi jouer ce jeu avec les politiques du gouvernement. On va attendre d'être en difficulté, et après cela, on aura un programme de subventions particulier qui viendra les aider. C'est le même type de jeu qui se joue là.
Est-ce que ce risque est suffisamment important pour laisser tomber les avantages d'avoir notre propre monnaie? Personnellement, je pense que pour l'instant, ça ne vaut pas encore la peine. Peut-être que l'avenir va me faire changer d'idée. L'économique n'est pas une science exacte, et c'est une science qui évolue. Si on avait eu ces audiences il y a 25 ans, on aurait probablement donné un autre son de cloche.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Disons que c'est très en famille, comme vous pouvez le voir ce matin. Il y a déjà eu des unions monétaires non politiques. Si on retourne en arrière, il y avait l'Union monétaire latine. Il y a eu une union monétaire aussi entre la Suède, le Danemark et la Norvège. Les deux unions se sont terminées avec la Première Guerre mondiale.
En faisant des lectures, je voyais que M. Goodhart, qui est l'ancien économiste de la Banque d'Angleterre et qui est maintenant un professeur en économie à la London School of Economics and Political Science, affirmait que les monnaies ont presque toujours été définies par des frontières plus politiques qu'économiques et que des unions monétaires réussies exigent des institutions politiques supranationales dotées d'un pouvoir démocratique de taxation et de dépense. Je pense qu'en Amérique du Nord, il est complètement utopique de penser à une institution supranationale, et vous l'avez mentionné.
Donc, ma question est la suivante. Actuellement, est-ce que l'économie canadienne est déjà dollarisée, ou est-ce que l'ampleur de la dollarisation s'accroît, ou si elle est à peu près au même niveau qu'il y a 10, 15 ou 20 ans?
Á (1115)
M. Benoît Carmichael: L'économie canadienne n'est pas dollarisée comme pourrait l'être l'économie de la Colombie ou des pays d'Amérique latine. Je pense notamment aux salaires. Quand on est ici, sur la rue, on n'a pas à payer en dollars américains. Ce n'est pas largement répandu. Par contre, avec le développement du commerce international, la part du commerce avec les États-Unis a beaucoup augmenté. Donc, beaucoup d'entreprises ont des revenus importants en dollars américains, ce qui n'existait probablement pas à cette échelle il y a 25 ou 30 ans. Ce sont probablement ces entreprises-là qui vont militer pour l'adoption pure et simple du dollar américain.
Dans la vie de tous les jours des Canadiens, je ne pense pas que le dollar américain soit plus important, mais pour certaines grandes entreprises, c'est certainement le cas.
Je suis tout à fait d'accord avec vous que, pour qu'une union monétaire fonctionne, il faut qu'il y ait un organisme supranational ayant des pouvoirs de taxation et de décision. C'est ce qu'on a en Europe depuis longtemps, et ça va probablement aller en augmentant, surtout avec l'euro, parce que les comparaisons de prix entre les pays vont se faire beaucoup plus facilement. C'est ce qu'ils espèrent. Ils espèrent des harmonisations de la réglementation dans plus de secteurs.
Il faut aussi dire que l'Accord de libre-échange n'est pas une union douanière. Ça veut dire que ce qui se transige entre le Canada et les États-Unis hors douanes, ce sont les biens qui sont produits aux États-Unis ou au Canada. Les biens qui entrent aux États-Unis en provenance de l'Europe et qui ne sont pas transformés de façon suffisamment importante aux États-Unis n'entrent pas au Canada hors droits de douanes. Dans l'Union européenne, on a une union douanière. Quand les produits entrent en France, ils peuvent être exportés le jour suivant en Allemagne sans faire l'objet d'une tarification spéciale.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé: J'ai le goût de me prononcer sur un sujet spécifique. Le comité fait une consultation sur beaucoup d'autres sujets. Vous êtes économiste et professeur d'économie, et vous avez assisté à une partie du témoignage précédent. Vos collègues de l'Institut québécois des hautes études internationales ont manqué de temps. Ils avaient abordé énormément de questions.
Vous avez parlé de la question du dollar, et on connaît bien votre point de vue. Comment le Canada devrait-il se positionner--c'est un peu ce que le comité demande--face aux questions d'échanges économiques ou commerciaux? Est-ce qu'on devrait renforcer une approche multilatérale avec plusieurs pays, avec l'ensemble des États autres que les États-Unis sur le continent des Amériques? Est-ce qu'on devrait regarder du côté d'un partenaire qui est déjà dans l'ALENA, qui est le Mexique, et travailler davantage avec lui pour éviter d'être en situation... On aime beaucoup les Américains, mais c'est toujours l'éléphant qui couche avec une souris. Lorsque l'éléphant bouge, cela nous dérange parfois un peu.
J'aimerais profiter de votre présence ici et de votre expertise pour vous demander votre avis sur cette question plus large.
M. Benoît Carmichael: Dans le meilleur des mondes, l'idéal serait que tout passe par l'Organisation mondiale du commerce, donc que ce soit multilatéral. Je dois vous dire que je suis en faveur du libre-échange. Je crois que la meilleure façon de favoriser la prospérité de tous, c'est de permettre les échanges et de les favoriser. Idéalement, il faudrait que ça se fasse au niveau le plus large possible. Je suis contre les forteresses de pays riches, les blocs de pays riches qui établissent une forteresse: on échange entre nous et on regarde les autres qui viennent nous déranger parce que leurs produits du textile nous font mal dans notre comté et ainsi de suite. Pour ma part, je suis...
Á (1120)
M. Antoine Dubé: Mondialiste.
M. Benoît Carmichael: Oui, c'est ça. C'est-à-dire que, si on veut penser à une répartition mondiale de la richesse et en faire un objectif large, il faut permettre aux pays en développement de vendre les produits qu'ils produisent de façon compétente.
Pour l'instant, on est mi-figue, mi-raisin à cet égard. On a la main sur le coeur quand on discute du problème de la dette des pays pauvres. Maintenant, quand il s'agit de leur ouvrir notre marché, on se met à soulever toutes sortes de questions. Est-ce que c'est hygiénique? Est-ce que c'est ceci? Est-ce que c'est cela? L'Europe est une forteresse économique. Les Européens font beaucoup d'échanges entre eux, mais quand arrive le temps d'ouvrir leur marché à d'autres pays, c'est plus difficile.
Donc, idéalement, il faudrait que ça soit au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, anciennement le GATT. Il faut favoriser au maximum les échanges. Maintenant, il semble que ce processus soit extrêmement lourd et qu'il ait de la difficulté à accoucher d'accords. Donc, le second best, le second rang, c'est le processus des blocs commerciaux. Est-ce que le libre-échange des Amériques fonctionnerait très bien? Peut-être. Le Canada, malheureusement et heureusement, a 5 000 kilomètres de frontière avec le pays le plus riche du monde, et 90 p. 100 de la population canadienne vit à 100 kilomètres ou moins de cette frontière. Il sera difficile de renverser la vapeur. Peut-être qu'avec les nouvelles technologies de l'information, il deviendra plus facile de commercer avec l'Uruguay ou le Chili. Ça va possiblement venir, mais pour l'instant, on est aux prises avec cette situation. Elle ne changera pas du jour au lendemain, mais je pense qu'il faudrait effectivement militer en faveur d'une approche plus multilatérale que bilatérale
Je ne sais pas si ces questions seront abordées au Sommet du G-8, mais cela devrait forcer les Américains et les Européens à ouvrir davantage leurs frontières aux produits des pays en développement.
Je suis toujours surpris de voir qu'on reçoit très peu d'agrumes du Mexique, par exemple, mais ça va peut-être changer. Quand j'étais étudiant, j'ai voyagé avec mon packsack sur le dos au Mexique. La qualité des fruits du Mexique est incroyable. Comment se fait-il qu'on ne réussisse pas à avoir des oranges du Mexique ici, même après presque 10 ans d'ALENA? Probablement qu'il y a des contrôles de qualité qui font qu'ils ne peuvent pas nous vendre leurs produits. Il faudrait peut-être revoir ces choses-là.
Dans le cas du G-8, je pense que l'approche multilatérale devrait être celle qui est privilégiée.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Marleau.
Mme Diane Marleau: Je crois qu'on reçoit probablement des oranges du Mexique, mais qu'on ne sait pas qu'elles viennent du Mexique. Ne pensez-vous pas que c'est le cas?
M. Benoît Carmichael: C'est possible. Je ne parlais pas en homme de sciences. Ce n'était qu'une observation que je faisais.
Mme Diane Marleau: Je dis cela parce qu'il est difficile de passer du Mexique aux États-Unis. Une fois qu'on est rendu là, on change de camion, etc. En tout cas, c'est assez difficile.
Vous parlez de la monnaie. Pouvez-vous nous dire à quoi on peut s'attendre de ce qui se passe en Argentine? Qu'est-ce qui va se passer, maintenant que leur monnaie n'est plus liée à la valeur du dollar américain?
L'autre grande question qui doit nous confronter dans notre commerce avec les Amériques et avec les pays en développement, c'est celle de la transparence. Il y a des problèmes de corruption dans plusieurs de ces pays-là qui sont très difficiles à aborder. Il y le problème des drogues. Il y a tout ce commerce qui se fait en libre-échange, si je puis dire, parce qu'on a les bénéfices de cela ici, mais ce ne sont pas de bonnes choses qui nous arrivent. Cela joue aussi dans l'équation.
M. Benoît Carmichael: Permettez-moi de revenir un peu au cas de l'Argentine. Je ne suis pas un spécialiste de l'Argentine, mais selon ce que j'ai lu et vu, sa situation n'était pas prévisible, mais elle est explicable.
Elle commerçait beaucoup avec les pays d'Amérique du Sud dont la monnaie n'était pas liée avec le dollar américain. Le dollar américain s'apprécie depuis 10 ans. Donc, l'Argentine a perdu de sa compétitivité de façon dramatique par rapport à ses partenaires commerciaux. Ses échanges avec les pays limitrophes se sont probablement taris et les Argentins se sont probablement mis à beaucoup importer des produits du Brésil, d'Uruguay, etc., ce qui a créé beaucoup de difficultés économiques, notamment du chômage. Maintenant, on a mis au rancart la politique de maintenir la parité avec le dollar américain. Il est donc à espérer que le contexte économique redeviendra à nouveau favorable aux entreprises argentines, qui seront capables de vendre leurs produits sur le marché mondial parce qu'elles ne seront plus liées à une devise dont la valeur n'a aucun rapport avec ce qui se passe localement.
Donc, les Argentins avaient lié leur jeu à une monnaie dont la valeur n'avait aucun rapport avec ce qui se passait localement, ce qui a été très problématique pour eux. On va espérer qu'ils se remettent en affaires assez rapidement et se sortent du trou. Maintenant, il va falloir les aider.
Votre autre point était.... J'ai oublié.
Mme Diane Marleau: Le manque de transparence.
M. Benoît Carmichael: Oui, le manque de transparence. C'est sûr que si on favorise les échanges au niveau de la planète, il y a beaucoup de containers qui vont se déplacer. Il y en aura tellement qu'il sera difficile de vérifier le contenu de chacun. Donc, les drogues ou les mouvements illégaux de biens vont demeurer un problème.
Maintenant, le producteur de pavot plante sans doute du pavot parce qu'il trouve que cela en vaut plus la peine que de planter des céréales ou d'autres produits alimentaires. C'est sûr qu'il faut aider ces économies à se développer de façon à ce qu'elles puissent produire localement des produits qui seront plus intéressants au niveau économique que...
Maintenant, je ne pense pas que ces commerces disparaîtraient même s'il y avait moins d'échanges au niveau international.
Mme Diane Marleau: Mais ça devient un grand défi.
M. Benoît Carmichael: Ça devient un grand défi. C'est sûr que lorsque la démocratie n'est pas installée solidement dans un pays, la corruption s'y installe plus facilement.
Á (1125)
Mme Diane Marleau: Dans les Amériques, il y a de grandes familles qui détiennent une grande partie de la richesse et qui ne paient presque pas d'impôts. C'est toujours un peu un défi. Lorsqu'on efface la dette d'un pays, est-ce qu'on donne à ces grandes familles la chance de faire encore d'autres fortunes?
M. Benoît Carmichael: Vous touchez un très bon point. Quand je parlais d'aider, je ne parlais pas nécessairement d'effacer la dette. Si des gouvernements corrompus se sont endettés de façon importante et ont utilisé ces fonds-là pour toutes sortes de choses personnelles, qu'on efface le tableau et que ces gens restent en place, qu'est-ce qui va se produire? La même chose va se reproduire.
Il faut être courageux et développer des mécanismes qui vont permettre d'aider et de donner du nouveau financement tout en ne permettant pas que cette chose se produise.
Par exemple, il ne faut pas aider un pays d'Afrique qui va se servir de ça pour armer davantage son armée ou maintenir le peuple opprimé.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Carmichael, ce matin, le professeur Bernier nous a dit que, pour la ZLEA, il y avait deux orientations possibles: le modèle ALENA et le modèle MERCOSUR. En tant qu'économiste, de quelle façon voyez-vous la ZLEA?
Premièrement, pensez-vous qu'il est possible que la ZLEA puisse être en fonction en 2005, étant donné ce qui arrive en Argentine et un peu partout dans les économies de l'Amérique latine et surtout de l'Amérique du Sud? De quelle façon voyez-vous l'avenir de la ZLEA? Pour le Canada, il y a là des avantages, surtout des avantages de bonne gouvernance dans ces pays-là. Je pense que c'est le premier des avantages. Au point de vue économique, on ne fait pas beaucoup d'affaires même avec le Mexique. C'est le Mexique qui est vraiment gagnant vis-à-vis du Canada.
Donc, que pensez-vous de l'avenir de la ZLEA?
Á (1130)
M. Benoît Carmichael: Je pense que le fait d'ouvrir l'économie canadienne à une plus grande communauté de pays, même si on ne l'ouvre pas au monde entier, reste une bonne chose. Je ne pense pas qu'on doive craindre la concurrence déloyale de ces pays. On a beaucoup à gagner à échanger avec eux.
Revenons à l'éléphant qui couche avec la souris. Si on choisit de diversifier nos partenaires, c'est toujours une bonne chose. Je suis favorable à cela. Je ne sais pas si l'échéance de 2005 est réaliste. Ici, au Canada, ce qui devrait nous préoccuper à court terme, c'est la sécurité de notre frontière avec les États-Unis, parce que les Américains s'en préoccupent grandement, ainsi que le périmètre nord-américain. Comme on l'a dit, pour les entreprises canadiennes et pour le Canada, il est important de s'entendre et de formuler un mode de procédure qui fonctionne avec les États-Unis.
Je me souviens d'avoir vu une photo prise dans le sud de l'Ontario. C'était écrit: «Frontière 26 km» et on voyait les camions alignés les uns en arrière des autres.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Sur le pont Ambassador, à Windsor.
Mme Diane Marleau: Il y a plus qu'un problème. Il y a aussi le problème de l'accès aux frontières. Il y a beaucoup de camions et c'est restreint.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Carmichael, on va avoir un sommet à Kananaskis, en juin prochain. Qu'attendez-vous précisément de ce sommet? On va parler de sécurité, de l'Afrique et ainsi de suite, mais y a-t-il quelque chose de précis que vous aimeriez que le gouvernement canadien mette de l'avant?
M. Benoît Carmichael: Je n'ai pas trop réfléchi à la question, mais je pense que la question de l'Afrique devrait être placée très haut sur l'ordre du jour. C'est un peu le continent oublié. Quand vous regardez la progression des niveaux de vie à la grandeur de la planète, vous voyez qu'en Afrique, c'est dramatique. Il va falloir que la communauté internationale change ses façons de faire parce que, manifestement, ça ne marche pas très bien là-bas. Il y a probablement plusieurs de ces pays-là qui croulent sous une dette qui ne leur permet pas de s'en sortir. Il va falloir que les pays riches les aident. La question est difficile. Comment va-t-on aider ces gens tout en ne leur permettant pas de conserver les habitudes qui ont fait qu'ils sont endettés aujourd'hui? À mon avis, il faut favoriser la démocratie dans ces pays-là. Je pense que si la démocratie se développe à la grandeur du continent africain, les niveaux de vie vont suivre par la suite. À mon avis, il sera difficile de mettre des bandages économiques sans démocratie.
Á (1135)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé: J'ai un petit point à soulever en rapport avec ce que vous venez de dire. Je suis satisfait quand même du fait que vous gardiez le débat sur l'étude d'une monnaie commune ouvert. C'est plein de bon sens de regarder tous les aspects de la question, c'est-à-dire les gestes qui doivent être posés avant. Je voudrais finir en rappelant, et je pense bien que vous serez d'accord avec moi, qu'on peut toujours décider d'adhérer à une autre monnaie. C'est une décision qui revient à un gouvernement. L'Argentine l'a fait. Ce ne sont pas les États-Unis qui décident de ça.
En réponse à une question posée par Mme Marleau, vous avez touché plus tôt à un point au plan de la science économique. Vous avez dit qu'il n'y avait pas de lien à faire entre le déficit et la dévaluation de la monnaie. Cependant, je regarde les agissements du Fonds monétaire international envers les pays en voie de développement. On a vu, avec la Russie qui était quand même un géant économique à un moment donné, mais qui connaît présentement des difficultés, que, lorsque le Fonds monétaire international intervient dans un pays, c'est toujours pour dire d'abord qu'il faut que l' État en question diminue son déficit. Il faut que celui-ci coupe dans ses programmes sociaux, qu'il fasse, finalement, des coupes qui font mal à la population. Lorsqu'on applique ça aux pays qui sont encore moins bien placés que la Russie et à d'autres encore, lorsqu'on applique ça à des régimes qui n'ont pratiquement pas de programmes sociaux, on les place dans une situation où finalement... Je voudrais que vous commentiez l'action du Fonds monétaire international, qui exige un équilibre budgétaire. C'est peut-être sain au plan comptable, mais au plan de l'aide internationale, je ne pense pas qu'on les aide en leur demandant de faire ça.
M. Benoît Carmichael: Il y a deux choses à considérer par rapport à cela. Quand j'ai mentionné cela plus tôt, c'était surtout dans le contexte de la monnaie de réserve. Finalement, c'était du cas américain que je parlais. Ce que j'ai dit, c'est que pour celui qui observe, qui regarde les données, les études statistiques, qui regarde le lien entre l'évolution du dollar américain et le déficit américain, il est difficile de trouver un lien pour ce qui est des États-Unis.
Quand on parle de déficit, il y a deux choses qu'il faut considérer. C'est ce que je dis toujours à mes étudiants. Il y a deux types de déficit. Il y a celui qui est dû à la conjoncture économique. Quand ça va mal au niveau du cycle économique, c'est normal que les entrées fiscales soient moins importantes, que les obligations soient plus grandes et que l'on fasse un déficit. Quand la situation s'améliore au cours du cycle, ça se renverse. Je parlais surtout dans le contexte de ce type de déficit.
L'autre type de déficit pourrait être d'ordre plus structurel. C'est-à-dire que lorsqu'on a mis en place des politiques de dépenses, on n'a pas mis en place, en même temps, des modes de financement assurant le financement de ces politiques à long terme.
Ma compréhension des interventions du FMI se situe surtout dans le cadre de ce deuxième type de déficit. Dans le fond, ce n'est pas tellement la réduction du déficit qui importe, mais bien le fait d'exiger qu'un pays ait un programme de revenus qui permettra de financer le programme de dépenses qu'il pourrait avoir.
C'est sûr qu'à court terme, c'est souvent plus facile de couper les dépenses que d'augmenter les revenus, surtout dans le cas d'un pays en voie de développement. Ici, au Canada, on a une armée de fonctionnaires à Ottawa qui est là pour plumer le Canadien de façon à ce que ça fasse le moins mal possible. On récolte des impôts de toutes sortes de façons. On a une structure très efficace pour les percevoir. Si vous êtes, par exemple, au Cameroun ou au Gabon, cette structure n'existe pas beaucoup.
C'est sûr que le FMI dit alors qu'il faut que les grands équilibres macro-économiques soient respectés. Maintenant, à court terme, pour qu'ils soient respectés, il est souvent plus facile de réduire les dépenses que d'augmenter les revenus.
J'ai eu l'occasion, à quelques reprises, de lire les documents dans le cadre de cas précis. Il y a un certain temps, il était tabou de dire quelles dépenses devaient être coupées. Par exemple, le budget militaire n'étais jamais ciblé de façon à indiquer où il fallait couper. On laissait aux instances particulières le soin de choisir où elles allaient couper. Maintenant, pour un dictateur au pouvoir, c'est plus facile de couper dans les écoles et les hôpitaux que dans l'armée.
Mais il semble qu'actuellement, on soit un peu plus prêt à indiquer ce qu'il faut faire. Et c'est une bonne voie.
Á (1140)
M. Antoine Dubé: Pardon?
M. Benoît Carmichael: C'est une bonne voie. Je pense que c'est une meilleure voie. Encore là, je ne suis pas le grand spécialiste du FMI, mais selon ce que j'en comprends, c'est un organisme multilatéral qui doit respecter la souveraineté des États membres. C'est à ces derniers que revient, en bout de ligne, la responsabilité d'élaborer leur plan d'action.
Il est certain qu'un petit pays en développement n'a peut-être pas les experts pour faire face à toute situation de crise et peut-être qu'alors les économistes du fonds mettent la main à la pâte.
L'attitude de rechange serait de laisser aller, et cela aussi suppose des coûts. Les programmes du fonds imposent des coûts à court terme. Si on emprunte la voie de rechange, celle de ne pas lui prêter, il y a d'autres coûts qui vont apparaître. Si on n'aide pas l'Argentine, il y a des problèmes qui vont perdurer. C'est délicat. C'est un exercice difficile.
Je pense qu'il s'est fait une réflexion, un sain cheminement au sein des organismes internationaux en ce qui a trait aux droits de la personne et sur l'histoire des dépenses militaires. Que ce soit à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire, il n'est pas normal qu'on aille aider des dictateurs.
C'est une opinion personnelle.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Marleau.
Mme Diane Marleau: [Note de la rédaction: inaudible] ...mais je crois que c'est seulement depuis la fin de la guerre froide et l'écroulement de la Russie et de tous ses pays satellites qu'on a vu un changement draconien. Avant cela, les raisons qu'on avait pour investir n'étaient pas toujours les raisons les plus saines. On investissait dans certains domaines parce qu'on savait que les autres allaient le faire. C'était une compétition entre les deux blocs. Cela fait 10 ans, pas plus. On a fait du chemin, mais je pense qu'on en a encore beaucoup à faire.
L'Afrique forme un continent, mais les pays qui la composent ne sont pas tous semblables. Devrait-on miser tous nos investissements, appliquer toutes nos actions seulement dans les pays qui sont en progrès? Je pense au Mali, où règne la démocratie, qui était très pauvre mais qui s'est développé. On peut en nommer d'autres, comme le Sénégal.
Mais il y a d'autres pays, comme le Zimbabwe qui est en train de s'autodétruire. Pensez-vous qu'à la rencontre de Kananaskis, on devrait les inciter à travailler d'abord avec les pays qui ont le meilleur cheminement, et pas nécessairement avec les plus riches?
M. Benoît Carmichael: J'aurais tendance à partager votre avis. Je pense que l'émergence de la démocratie est fondamentale. Le droit de dire oui ou non et de pouvoir périodiquement donner son opinion sur les gens qui gouvernent est un droit fondamental de la personne. C'est un droit fondamental qui devrait être reconnu. C'est vrai qu'on devrait, à mon avis, encourager davantage les pays qui ont fait du chemin de ce côté-là.
Je ne pense pas qu'on devrait rester silencieux sur ce qui se passe au Zimbabwe. En fait, on ne peut probablement pas agir sur ce qui s'y passe actuellement, mais on peut tout de même dire qu'on n'est pas d'accord sur ce qui s'y passe et prendre action.
Il me semble que ce qui se passe là-bas est épouvantable. M. Mugabe va probablement être réélu et il y aura je ne sais combien de morts le jour des élections.
Á (1145)
Mme Diane Marleau: Ce qui est triste à voir, c'est que c'est un pays riche en ressources naturelles. C'est un beau pays.
Je ne sais pas, mais je pense qu'il aurait fallu intervenir avant aujourd'hui, parce que tout ça dure déjà depuis un bon bout de temps. La démocratie existait véritablement de même que la liberté de la presse. Aujourd'hui, tout cela s'est atrophié.
M. Benoît Carmichael: Oui. C'est sûr que c'est un exercice difficile parce qu'il ne faut pas avoir l'air du colonisateur qui dit que telle chose est bien et que telle autre ne l'est pas. Il faut laisser une grande marge de manoeuvre au pays lui-même en ce qui concerne ce qui est bon pour ses habitants. Mais il y a quand même des cas où il est facile de juger, celui du Zimbabwe par exemple. On peut facilement voir qu'en Afrique du Sud, la démocratie a l'air de...
Mme Diane Marleau: ...de fonctionner.
M. Benoît Carmichael: Tout n'est pas impeccable, mais c'est beaucoup mieux qu'autrefois.
Mme Diane Marleau: C'est beaucoup mieux que lorsque c'était....
M. Benoît Carmichael: C'est ça.
Il y en a d'autres qui ont fait du chemin. Je pense qu'au Sénégal, à ce que j'entends dire par des amis qui y sont, la jeunesse est dynamique. On est en train de se prendre en main et les gouvernements ont changé sans qu'il y ait eu de coups de feu.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Monsieur Dubé, vous avez le temps de poser une petite question.
M. Antoine Dubé: Merci, monsieur le président.
Je vais peut-être vous surprendre, mais je vais vous ramener sur le terrain de l'université. Vous êtes professeur et vous êtes constamment en contact avec des étudiants. Je sais qu'à l'Université Laval, comme ailleurs, la mentalité des étudiants diffère d'une faculté à l'autre. À l'Université Laval, on avait l'habitude de parler des sciences «dures» et des sciences «molles».
Je vais citer un fait. Ma fille de 24 ans, à l'occasion du sommet de l'an dernier, deux ou trois mois avant, arrive à la maison avec ses pads, son casque, etc. Pourtant, elle achève son baccalauréat. Je lui demande ce qu'elle s'apprête à faire et elle me répond qu'elle s'en va s'entraîner pour participer à la manifestation. La manifestation de quoi? Bien sûr, la manifestation contre le sommet et la mondialisation. Je lui demande contre quoi en particulier et pourquoi, et en quoi cela l'affecte, elle. Après un long débat et bon nombre de questions appropriées, j'ai finalement réussi à lui faire abandonner son casque protecteur. Elle a participé à la marche. Cc'est très bien de s'interroger. Je veux en venir au point que, même chez les jeunes universitaires, il y en a qui se mobilisent, mais pas toujours en sachant pourquoi. Ils sont contre, mais ils ont de la difficulté à savoir pourquoi. Vous qui êtes prof d'université, expliquez-moi l'écart qui existe entre le professeur que vous êtes et les étudiants universitaires.
C'est une bonne question!
M. Benoît Carmichael: Oui, c'est une bonne question. C'est une question que je me pose moi-même. J'ai même fait des efforts personnels, dans mes cours, pour que la question de la mondialisation, ses avantages et ses inconvénients soient abordés.
Je pense que quand on est jeune, on est contestataire. Donc, c'est de bonne guerre de contester. Dans les années 60, c'était contre la guerre du Vietnam. Cela fait partie de la tendance. Il y a aussi, je pense, que l'émergence d'Internet a fait que ces choses sont devenues des happenings. Donc, chez les jeunes, cela a l'air très «in» d'en faire partie. Avec Internet, on met en place un site web et on arrive à organiser des mouvements de foule qui auraient été impensables il y a 20 ans.
Mais nous, professeurs d'université, ne jouons pas toujours bien notre rôle d'informateurs pour leur permettre d'avoir accès à....
Nous, les économistes, avons souvent mauvaise réputation auprès des étudiants de sciences sociales qui ne sont pas portés vers les chiffres. Nous sommes perçus comme des capitalistes associés au pouvoir de l'argent qu'il faut abattre. Or, c'est faux au fond. Nous enseignons une façon d'aborder les problèmes qui permet d'en analyser les avantages et les inconvénients et qui traite de façon assez rigoureuse de chacun de ces aspects. Cependant, on n'a pas vraiment réussi à bien expliquer aux jeunes les avantages de la mondialisation, par exemple. Cela les rendrait peut-être un peu plus critiques à l'égard de leur mouvement de protestation même. Ils protestent, mais ils n'ont pas de solution à proposer. Ils n'ont pas de solutions de remplacement et ils mettent un peu tout dans le même sac.
Personnellement, dans mes cours, je me sers d'un petit site web qui comporte une section sur la mondialisation. Quand je trouve des articles de journaux intéressants qui font état de points de vue divers, je les mets à leur disposition. Je me dis que si un plus grand nombre de professeurs faisaient cela, éventuellement, les points de vue changeraient.
Je demande souvent à mes étudiants si, dans les reportages sur Seattle, ils ont vu beaucoup de gens du Bangladesh. Est-ce qu'il y avait des gens du Soudan ou de la Côte d'Ivoire? En avez-vous vu plusieurs? Non. Ce que vous avez vu, ce sont des Allemands, des Français, des Américains, des Canadiens. Or, dans le fond, qui a le plus à gagner de la mondialisation? Ce sont les gens de l'Inde ou du Bangladesh. Veut-on leur permettre d'élever leur niveau de vie et d'espérer nous rejoindre un jour?
M. Antoine Dubé: [Note de la rédaction: inaudible].
M. Benoît Carmichael: Oui, c'est ça. Mais, d'un autre côté, il ne faut pas tout mettre dans le sac de la mondialisation et tout permettre.
Á (1150)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Carmichael.
Même si cela ne répond pas vraiment à la question de M. Dubé, je dirai que, comme cela a déjà été dit ce matin, ce sommet-là est vu par les jeunes comme un club privé qui manque de transparence. Les jeunes voient cela comme un manque de transparence. Et il y a surtout le fait que les médias ne parlent pas des avantages de la mondialisation, alors que les inconvénients font la une des journaux et que tout le monde lit les journaux.
C'est un peu cela qui arrive. Mais les jeunes sont très...
M. Benoît Carmichael: [Note de la rédaction: inaudible].
Le vice-président (M. Bernard Patry): C'est ce que Mme Marleau disait ce matin: lorsqu'il se produit quelque chose de bon, ça n'intéresse pas les journaux ou les médias.
Monsieur Carmichael, je vous remercie beaucoup de votre présentation. C'était vraiment très spécialisé. La question de la monnaie unique est un domaine que nous trois ici connaissons peu. J'ai vraiment apprécié votre présentation de ce matin.
Merci beaucoup. Nous allons ajourner jusqu'à 14 heures.
Á (1155)
¸ (1400)
¸ (1410)
Le vice-président (M. Bernard Patry): On va reprendre notre réunion. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous tenons des audiences publiques pour l'étude de l'intégration nord-américaine et du rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité et pour l'étude du programme du Sommet du G-8 du mois de juin 2002.
Cet après-midi, nous avons le plaisir de recevoir M. Louis Balthazar, qui est professeur émérite à la Faculté de science politique de l'Université Laval.
Monsieur Balthazar, vous pouvez prendre tout le temps voulu. C'est très intéressant et heureux pour nous, car vous êtes le seul témoin prévu pour cet après-midi. Nous espérons donc connaître votre position sur tous les sujets.
Avant que vous ne commenciez, je tiens à vous remercier de nous avoir fait parvenir au préalable votre témoignage dans les deux langues officielles. C'est très apprécié.
Cet après-midi, je suis accompagné de M. Roy, qui est notre greffier, de M. Haggart, qui est notre recherchiste et de deux députés: M. Dubé de Lévis et Mme Marleau de Sudbury, en Ontario.
La parole est à vous.
M. Louis Balthazar (professeur émérite, Faculté de science politique, Université Laval): Je vous remercie. Contrairement à mon habitude, et peut-être en raison de l'importance qu'a votre comité à mes yeux, je vais lire le plus clairement possible le texte que je vous ai passé. Vous avez été assez gentils pour m'accorder plus de temps que vous ne le faites normalement. Donc, cela prendra le temps qu'il faudra. Je commenterai mon texte, qui fait environ cinq pages. Ce qui sera le plus intéressant, j'imagine, ce seront les échanges que nous aurons entre nous.
Hier et dimanche soir aussi, en regardant les nouvelles, je me suis senti un petit peu embarrassé de vous parler de ce que j'avais préparé parce que, ces jours-ci, tout se passe comme si le Canada était en orbite, comme s'il se sentait indépendant comme jamais par rapport aux États-Unis étant donné cette superbe victoire de dimanche après-midi au hockey. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Ceci alimente énormément le nationalisme canadien, la fierté canadienne, l'allégeance au Canada et, bien sûr, notre fierté auprès des États-Unis. Mais cet après-midi, je vais vous ramener à une réalité qui est peut-être un peu plus pénible que celle de la victoire au hockey.
Je vais vous parler presque exclusivement des relations avec les États-Unis. Je pourrai dire un mot sur l'intégration des Amériques, un sujet qui m'intéresse beaucoup aussi, mais qui ne devrait pas occulter l'importance de cette relation Canada--États-Unis, qui sera toujours tout à fait spéciale par rapport à toutes les autres.
Les relations entre le Canada et les États-Unis sont beaucoup plus intenses et plus intimes que les Canadiens ne sont généralement portés à le croire et à l'admettre. J'irais même jusqu'à dire que ces relations ont quelque chose de tout à fait unique. Compte tenu de notre histoire, elles revêtent un caractère proprement existentiel. C'est bien vrai. C'est un historien qui disait qu'il n'y aurait pas de Canada si ce n'était des États-Unis et qu'il n'y aura peut-être pas de Canada un jour à cause des États-Unis. Souhaitons que ça ne soit pas le cas. En effet, le Canada est vraiment né--nous sommes fiers de le rappeler ici, Québécois--du refus des Québécois de se joindre à la Révolution américaine. En 1776, comme vous le savez, Benjamin Franklin est monté à Montréal, péniblement accompagné d'un évêque catholique, Mgr Carroll, et d'un imprimeur français, Fleury Mesplet, pour persuader les Canadiens de l'époque de bien vouloir embarquer dans la révolution américaine. Il y avait au Québec, au Canada--c'était la même chose à l'époque, les deux mots recouvraient la même réalité--, beaucoup de personnes dans la population qui flirtaient avec l'idée de révolution américaine. Mais le clergé et les élites du Canada ont répondu non à Benjamin Franklin. Cela a permis à la Grande-Bretagne de conserver un grand espace en Amérique du Nord. Si le Québec avait dit oui aux Américains, il aurait resté quelques contingents en Nouvelle-Écosse. Il me semble que ce n'était pas suffisant pour constituer une grande colonie, ce que le Canada allait être. Évidemment, ce refus a permis plus tard à un bon nombre de loyalistes américains de venir se joindre à la population du Canada.
Par la suite, les États-Unis ont constamment préoccupé le Canada à toutes les étapes de notre histoire. Je ne rappellerai pas l'histoire, mais on pourrait rappeler toutes sortes de moments. Par exemple, la création du ministère de Affaires étrangères, qui s'appelait le ministère des Affaires extérieures à l'époque, est justifiée, essentiellement, par la nécessité de classer des documents qui concernent les relations entre le Canada et les États-Unis. Notre première mission est aux États-Unis, notre premier traité est avec les Américains, etc.
Il n'existe pas au monde, à l'heure actuelle, une relation plus forte entre deux pays. Il n'existe pas même deux pays, même en Europe, qui commercent, dans tous les sens du mot, entre eux aussi intensément et dont les réseaux de communications sont aussi étendus. Il faut en prendre conscience, que cela plaise ou non: nous sommes irrémédiablement liés au pays voisin. Nous appartenons à l'Amérique du Nord et notre relation bilatérale avec les États-Unis doit être régie comme telle, comme un lieu d'appartenance. Rien ne nous sert de nous réfugier dans les institutions multilatérales pour en faire l'axe majeur de notre politique étrangère, comme nous l'avons fait si souvent dans le passé. Je n'ai pas envie de vous dire que ces institutions ne comptent plus pour nous, et encore moins que nous devrions cesser d'y jouer un rôle important. Ce que je veux dire par là, c'est que les institutions bilatérales ne doivent pas et ne peuvent plus servir à occulter notre relation majeure primordiale avec le voisin du sud.Je vous cite l'ancien ambassadeur aux États-Unis, l'ancien sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures Allan Gotlieb, qui disait dans un discours que je considère comme une étape cruciale, comme un tournant dans l'histoire de la politique étrangère du Canada, les mots suivants: «Le multilatéralisme ne sera plus une stratégie destinée à contenir l'influence des États-Unis sur notre autonomie nationale et sur nos vies.» Et Gotlieb prenait soin de dire qu'il avait cru à cela pendant des années. C'était l'axe majeur de notre politique étrangère. On participait et, encore aujourd'hui, on participe à un nombre impressionnant d'organisations internationales.
¸ (1415)
Je n'ai pas de chiffres là-dessus, mais je me demande si on n'est pas le pays qui est membre du plus grand nombre d'organisations internationales. Ça fait voyager beaucoup notre premier ministre.
Mais, concluait M. Gotlieb, le multilatéralisme ne peut plus marcher: «Il semble bien que l'histoire nous dicte, à l'heure actuelle, que la deuxième option...»--vous vous rappelez les trois options de 1972--«...est inéluctable--soit une plus grande intégration économique avec les États-Unis.» On était en 1991, et je pense que c'est aussi vrai maintenant qu'à cette époque. Évidemment, Gotlieb disait cela quelque temps après la signature de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis et un an avant la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA.
Déjà, les Européens nous font sentir--et ça, c'est un élément important--que nos relations avec eux ne peuvent plus être ce qu'elles étaient dans le passé. Je me souviens d'avoir rencontré M. Axworthy, l'ancien ministre des Affaires extérieures, il y a quelques années, et lui-même, qui pourtant était très porté sur le multilatéralisme, disait ceci au moment où le Canada se cherchait des appuis pour être membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. M. Axworthy disait avoir été surpris parce qu'il allait voir, comme on le faisait dans le passé, nos amis scandinaves et autres en Europe pour avoir leur appui, et le réflexe de chacun d'entre eux était de dire qu'il leur fallait consulter leurs alliés européens.
De plus en plus, nos amis européens fonctionnent, et c'est bien normal, en fonction de cette Union européenne qui devient de plus en plus contraignante pour eux. Les Européens ajustent leurs politiques sur leur appartenance à l'Union européenne ou, s'ils n'en font pas encore partie, sur l'influence énorme qu'exerce cette institution sur eux. Pour les pays d'Europe centrale, la Suisse ou la Norvège, l'Union européenne est l'acteur majeur de l'Europe, bien qu'ils n'en fassent pas partie.
Notre appartenance à nous est nettement continentale. C'est là un fait inéluctable. Cela ne nous empêche pas de poursuivre, autant que faire se peut, des relations avec les pays d'Europe.
Récemment, M. Chrétien, assez curieusement, a eu des entretiens avec le chancelier de l'Allemagne. Il lui a proposé un accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Permettez-moi de vous dire que j'ai beaucoup de doutes. Bien sûr, ce serait très bien pour le Canada, mais ça m'étonnerait beaucoup que cela aille beaucoup plus loin que ce fameux accord contractuel que M. Trudeau avait réussi à signer avec les Européens durant les années 70. Il faut bien dire que M. Schroeder, si important soit-il, si important soit son pays dans l'Union européenne, n'était quand même pas autorisé à parler ou à engager quoi que ce soit au nom de l'Union européenne. En tout cas, tant mieux si les choses débloquent là-dessus. Pour ma part, je demeure très sceptique. Donc, nous ne faisons pas partie de la même famille.
Sommes-nous donc, à cause de cela, voués à nous inféoder aux États-Unis, voire à disparaître comme entité souveraine? Ce que je vois--ce texte-là est un petit résumé--, c'est que les institutions de notre relation avec les États-Unis vont devenir de plus en plus importantes, de plus en plus contraignantes. On le voit en matière militaire depuis le 11 septembre: au lieu d'envoyer un contingent dans une force multinationale en Afghanistan, nous faisons partie d'un contingent nord-américain. Et vous savez comme moi que nos militaires sont très à l'affût de ce qui se fait aux États-Unis et qu'ils fonctionnent volontiers en accord avec les États-Unis.
Donc, l'intégration sur le plan militaire est forte et elle va se renforcer. Sur le plan économique, je ne vois pas comment l'intégration ne se renforcera pas, étant donné les intérêts énormes qui sont engagés et, bien sûr, que nous commerçons déjà avec les États-Unis à la hauteur de 87 p. 100.
Sur le plan culturel, je n'ai pas de dessin à vous faire. Vous savez ce que consomment les Canadiens, surtout les Canadiens de langue anglaise, mais aussi, quoiqu'un peu moins, les Canadiens de langue française. Il y a une intégration culturelle.
¸ (1420)
Il faut quand même s'ouvrir les yeux et vivre avec cela. Je pense qu'en général, ça ne sert à rien de nier les réalités, même celles qu'on n'aime pas. La meilleure façon de les contrer ou de faire contrepoids aux choses que nous n'aimons pas, c'est de les regarder bien en face et d'en prendre acte.
Donc, je pose la question: sommes-nous voués à nous inféoder aux États-Unis, voire même à disparaître comme entité souveraine? Je réponds non à cette question, du moins pas dans un avenir prévisible, et ce pour deux raisons majeures. Peut-être devrais-je d'abord citer la deuxième, mais pour rendre hommage au nationalisme canadien, je citerai la première à son rang.
La première, pour moi, c'est la volonté collective des Canadiens. Le nationalisme canadien demeure fort, comme on le voit ces jours-ci, et la grande majorité des Canadiens tiennent beaucoup à leurs institutions, à leurs emblèmes, à leur allégeance, même si, du même souffle, ils ne renoncent pas à tout ce que les Américains nous apportent de bien, de mal ou de neutre.
Assez curieusement, les mêmes Canadiens qui se disent très fiers d'être Canadiens, qui disent ne jamais vouloir appartenir aux États-Unis, vont reconnaître que 90 ou 95 p. 100 des films qu'ils voient, des livres qui lisent, etc., viennent des États-Unis. C'est la grande ambiguïté des Canadiens. Donc, les Canadiens répudieraient rapidement un gouvernement qui renoncerait aux institutions proprement canadiennes, à nos services de santé, à nos institutions politiques, etc.
Si les Canadiens pouvaient comprendre qu'un des éléments qui les différencient le plus nettement des États-Unis, parmi d'autres, bien sûr, mais le plus nettement à mes yeux, c'est la présence d'environ 25 p. 100 de francophones dans ce pays, je crois que nous y gagnerions beaucoup en termes d'affirmation de notre souveraineté propre.
Combien d'Américains nous disent, plus souvent à nous qui sommes de langue française, que ce qui fait à leurs yeux la différence majeure entre le Canada et leur pays, c'est le fait qu'il y a ici le bilinguisme. Et en bon Québécois que je suis, j'irais plus loin que le bilinguisme et je dirais que c'est la présence d'une société distincte au Québec, sans laquelle le bilinguisme n'aurait pas beaucoup de force. Cette présence francophone au Canada tient surtout au combat qu'ont mené les Québécois pour promouvoir leur spécificité et leur caractère unique et distinct à l'intérieur de l'ensemble canadien.
En matière de culture, par exemple, il faut bien se mettre dans la tête que ça n'a aucun sens de parler du caractère distinct de la culture canadienne si, du même souffle, on n'admet pas le caractère distinct de la culture québécoise à l'intérieur du Canada. C'est une contradiction flagrante. Je veux bien accepter, contrairement à ce que beaucoup de Québécois ont tendance à négliger souvent, le caractère nettement distinct de la culture anglo-canadienne par rapport à la culture américaine, mais du même souffle, il faut bien avouer que cette culture québécoise, avec sa spécificité, est quelque chose de tout à fait unique dans notre pays. Il en va de même de la présence de communautés autochtones qui obtiennent une large mesure d'autonomie, comme c'est le cas du Nunavut. J'imagine que c'est un processus qui va se poursuivre.
Une union canadienne comportant en son sein une société distincte par sa culture et par sa langue, voilà ce qui rend le Canada profondément différent des États-Unis. Je m'évertuais, au moment des accords du lac Meech, à dire à tous mes compatriotes canadiens que s'il y a quelque chose qui nous rend unamerican, différents des Américains, c'est bien cette tentative d'inclure dans notre fédération une société distincte. Les Américains n'auraient pas pensé à ça, et jamais, depuis la guerre civile, personne n'a suggéré que la Louisiane, même si elle a un code civil différent des autres, soit considérée constitutionnellement comme une société distincte.
¸ (1425)
Cela pourrait et devrait se traduire par une politique étrangère qui se présenterait davantage comme celle d'un État fédéral.
Je n'ai pas apporté--j'aurais voulu le faire mais je me rends compte que je l'ai oublié--le Livre blanc de la politique étrangère du Canada de 1995. Il sera peut-être remplacé prochainement, mais il fait encore foi des éléments majeurs de la politique étrangère du Canada. Quelqu'un qui descendrait de la planète Mars et lirait ce livre ne saurait jamais que le Canada est une fédération parce que ce n'y est pas mentionné. On mentionne dans ce livre blanc que la politique étrangère du Canada veut se rapprocher davantage des citoyens, ce que vous faites cet après-midi, qu'Ottawa a l'intention de consulter beaucoup. On mentionne aussi les provinces, mais après un certain nombre d'instances de la société canadienne. On parle de l'entreprise privée, des universités, des municipalités et aussi, oui, des provinces.
Or, dans notre système fédéral, il y a deux paliers de gouvernement jusqu'à maintenant: un palier fédéral et un palier provincial. Cela donne au palier provincial de gouvernement une noblesse particulière, et je ne vois pas pourquoi ce palier de gouvernement, au cours des voyages que fait le premier ministre ou l'Équipe Canada, ne participerait pas à l'élaboration de la politique étrangère du Canada.
De même, les gouvernements provinciaux devraient être appelés non seulement à jouer un rôle dans l'élaboration de la politique canadienne, mais aussi, à titre d'une des multiples instances et en tant que palier de gouvernement, à assurer leur présence propre à l'extérieur du pays, comme le font le Québec et quelques autres provinces.
Cet après-midi, par exemple--j'allais poser la question tout à l'heure--, il me semble qu'il serait normal que vos collègues québécois du ministère des Relations internationales du Québec soient ici pour parler de politique étrangère avec nous. Je trouve qu'il y a des oublis qui se font.
Je sais bien que vous faites face à un gouvernement souverainiste et que cela provoque tout un ensemble de frictions, mais je ne vois pas pourquoi, en principe, il n'y aurait pas plus de consultation. Je sais qu'il y en a et qu'il existe des canaux de communication. Toutefois, à mon avis, ces canaux de communication gagneraient à être plus visibles.
La seconde raison pour laquelle nous ne nous inféoderons pas tout à fait aux États-Unis tient, assez curieusement, à la volonté américaine de reconnaître la souveraineté du Canada. J'ai voyagé beaucoup aux États-Unis durant les 20 ou 30 dernières années et presque jamais ai-je entendu quelqu'un de sérieux, soit du gouvernement, soit des milieux universitaires, parler d'une éventuelle annexion du Canada aux États-Unis.
Je n'ai rencontré à peu près personne--je sais qu'il y en a qui ont ergoté là-dessus au sein de la société américaine--, parmi les gens qui comptent qui soit prêt à jouer le «diviser pour régner», par exemple au moment où le mouvement souverainiste québécois était menaçant. Je n'ai rencontré personne qui dise que si le Québec devenait souverain, ce serait bon pour eux, parce qu'une fois le Canada divisé en deux, il serait plus facile d'influencer chacune des deux parties.
¸ (1430)
Les Américains, quoi qu'on en dise, n'ont pas alimenté leur politique étrangère à l'école de Machiavel. Ils peuvent être cyniques à l'occasion, ils peuvent être terriblement cruels, ils peuvent être inconséquents, myopes, tout ce que vous voudrez, et on peut leur reprocher toutes les bavures, mais il est difficile de leur reprocher une tradition calculatrice, cynique, machiavélique de la politique étrangère.
Quoi qu'il en soit, à l'endroit du Canada, les Américains ont toujours professé une volonté très forte de favoriser le maintien de l'unité canadienne, et tous les gens que j'ai interviewés à cet égard revenaient toujours là-dessus. Ils disaient que c'était très important pour eux que le Canada soit là, que nous étions un excellent voisin, que nous étions différents d'eux et que nous faisions les choses différemment, mais que nous étions de bons amis. Et pour une nation hégémonique comme les États-Unis, le fait de pouvoir dire que, malgré le fait qu'ils dominent le monde, qu'ils soient haïs partout dans le monde et malgré tout ce qu'on peut leur reprocher, leur voisin les aime bien et que ça fonctionne bien avec eux... C'est plus valable pour les États-Unis de fonctionner avec un voisin souverain, indépendant et de pouvoir faire en sorte que ce voisin soit présent dans les institutions internationales.
Par exemple, en 1975, ce sont les États-Unis qui ont insisté pour que le Canada fasse partie du G-7. C'est très valable pour les États-Unis. J'irais même plus loin--c'est ma petite théorie personnelle--et je dirais que je crois que les Américains ont même avantage à ce que notre politique soit parfois différente de la leur. Cela leur permet de nous utiliser comme des ballons d'essai, étant donné notre situation en matière de politique internationale et la différence de notre responsabilité par rapport à la leur. Même si nous sommes d'accord, il y a des choses que nous pouvons nous permettre de faire et que, pour diverses raisons, fausses ou vraies, eux ne se permettent pas de faire.
Par exemple, nous avons--M. Trudeau était très fier de cela à l'époque--reconnu la Chine de Mao, établi des relations diplomatiques avec elle avant que les États-Unis ne le fassent. Il me semble que cela a été utile aux États-Unis puisque, un an après cet événement, M. Nixon est allé faire son voyage mémorable en Chine, et bien qu'il ait fallu attendre le président Carter, les Américains aussi ont échangé des relations diplomatiques avec la Chine communiste.
Regardez nos relations avec Cuba. Les Américains nous dénoncent souvent et disent qu'on ne devrait pas continuer de commercer avec Cuba, mais il me semble que lorsque le président Clinton, un président démocrate--je ne sais pas ce qu'il en est du président Bush, c'est plus douteux--rencontrait Jean Chrétien, il pouvait lui dire à l'occasion, en privé, qu'il aurait aimé que les États-Unis rouvrent eux aussi leurs relations commerciales avec Cuba. Mais il faisait affaire avec le Congrès, avec l'opinion publique et devait tenir compte de l'importance de l'État de la Floride sur le plan électoral, des réfugiés cubains, etc. Il n'en était pas capable, à ce moment-là, mais il devait nous inciter, nous, les Canadiens, à le faire. Bien sûr, les Américains ne disent jamais cela officiellement.
Pensons aussi, par exemple, au rôle qu'a joué le Canada au moment de la guerre du Vietnam, quand les fameux draft dodgers, les conscrits de la guerre du Vietnam, se réfugiaient ici. Pour leur maman, c'était sacrément plus sécurisant que leur fils soit à Montréal, à Calgary ou à Toronto que de le voir s'exiler à Mexico ou dans quelque ville de perdition européenne. Le bon Canada avait le même système téléphonique, une culture très voisine.
Donc, je pense qu'il peut arriver souvent... Je ne veux pas être sarcastique quand je dis cela, mais ça peut nous permettre de jouer un rôle à l'occasion, dans la mesure où on peut se permettre des percées dans la diplomatie internationale que les Américains ne peuvent pas se permettre. Mais cela nous donne une certaine marge de manoeuvre pour faire des choses que les Américains ne font pas et peut-être, à l'occasion, de faire valoir nos intérêts et nos principes auprès des dirigeants de Washington.
¸ (1435)
Nous pouvons donc continuer de pratiquer une politique étrangère indépendante, mais nous aurions intérêt, en matière militaire, à faire partie du club sélect que constituent les milieux militaires américains tout en agissant de l'intérieur. Ça, c'est important, et je rejoins là-dessus mon collègue Albert Legault, qui a dit ça à plusieurs reprises. Il l'a d'ailleurs répété dans un article du journal Le Devoir la semaine dernière, je crois. Donc, nous aurions intérêt à exercer notre influence souvent à l'intérieur de l'ensemble nord-américain. Quand je dis l'ensemble nord-américain, je parle du couple États-Unis--Canada. Même si le Mexique, dont je dirai un mot tout à l'heure, et le reste de l'Amérique latine peuvent nous être souvent d'un précieux secours, il ne faut jamais oublier qu'essentiellement, pour des raisons culturelles, historiques et autres, le couple États-Unis--Canada est tout à fait spécial.
Nos meilleurs alliés, nous les trouverons fréquemment à l'intérieur de la population américaine. Ça, c'est un autre trait de la relation canado-américaine. Dans le cas du bois d'oeuvre, à l'heure actuelle, nos meilleurs alliés sont les consommateurs américains, qui sont beaucoup plus nombreux que les compagnies américaines qui contestent notre système d'exportation. Les constructeurs de maisons aux États-Unis préfèrent acheter du bois canadien à bon marché. Ça, les ambassadeurs l'ont souvent répété. Je l'ai entendu de la bouche de Raymond Chrétien, il y a quelques années.
Quand nous organisons un lobby, que nous avons une question à mettre en oeuvre, à favoriser ou un point à défendre auprès du Congrès en particulier, il faut organiser des lobbies, des groupes intérieurs aux États-Unis pour pousser nos idées, surtout auprès du Congrès, qui est constitué de personnes élues qui sont très sensibles à ce que disent leurs électeurs, leur constituency comme ils appellent ça. Donc, nos meilleurs alliés, nous les trouvons fréquemment à l'intérieur de la population américaine.
N'oublions pas, par exemple, que la moitié des Américains n'ont pas voté pour le président actuel aux États-Unis. Ils n'ont pas voté pour le président actuel parce qu'ils étaient opposés à beaucoup des mesures qu'il met en oeuvre aujourd'hui. Vous allez me dire que, depuis le 11 septembre, la population s'est ralliée autour du président en très grande majorité, que celui-ci jouit maintenant d'une côte de popularité de 85 p. 100, que beaucoup de gens qui ont voté pour Gore l'ont complètement oublié. C'est vrai, mais malgré tout ça, avec le temps, dans la mesure où la lutte antiterroriste va se poursuivre, mais en s'usant un peu, en perdant son acuité, sa prévalence dans l'idée des gens aux États-Unis, je suis sûr qu'il va se constituer des groupes très opposés à bien des politiques du gouvernement américain sur lesquelles les Canadiens ne sont pas d'accord. Je pense au bouclier nucléaire, au protocole de Kyoto en matière d'environnement, à certains accords internationaux, à l'attitude des Américains envers le Tribunal pénal international, entre autres. Si des élites peuvent contester les orientations de l'administration Bush, pourquoi le gouvernement du Canada ne le ferait-il pas aussi? Quand je parle d'élites, je pense à la foreign policy elite, qui influence davantage la politique étrangère aux États-Unis. On peut donc être près des Américains, mais près d'une clientèle particulière aux États-Unis.
Notons encore que nous sommes superbement bien placés pour faire remarquer aux dirigeants américains qu'ils ne gagneront rien à agir seuls. Pour notre part, nous ne les encouragerons pas à ignorer les avis de leurs meilleurs alliés, surtout en Europe.
Qu'en est-il de nos liens avec les pays d'Amérique latine? Pouvons-nous organiser des concertations à l'intérieur de l'ALENA, de l'Organisation des États américains et de la future Zone de libre-échange des Amériques pour contrer l'hégémonie états-unienne? Oui, vraiment, je pense que nous le pouvons.
¸ (1440)
J'ai lu dans un journal une petite nouvelle à propos de laquelle j'aimerais en connaître davantage. On y racontait que nous avons des agents canadiens qui représentent les entreprises ou le gouvernement, je ne sais trop, et qui sont présents dans des pays comme le Brésil et d'autres encore pour aider les Latino-Américains à penser en fonction du libre-échange parce que nous avons une petite longueur d'avance sur eux là-dessus. Nous sommes donc déjà en train de nous constituer des alliés afin de faire en sorte que nous ne soyons pas seuls dans la réaction que nous avons toujours envers l'hégémonie américaine. Mais là encore, il ne faut pas que nous nous fassions d'illusions. Nous pouvons faire du chemin dans cette direction-là, mais le Mexique et le Canada sont tellement profondément différents. Il arrive même que des pays de l'Amérique latine qui se débattent contre les États-Unis ne rencontrent pas nos sympathies parce qu'ils sont des rivaux. Nous avons vu cela dans l'histoire du commerce avec le Brésil, par exemple.
Nous sommes tellement davantage sur la même longueur d'onde, culturellement et économiquement, que les États-Unis qu'il peut arriver aussi que des Latino-Américains se méfient de nous. Ils se méfient peut-être moins de nous que des États-Unis, mais ils peuvent avoir des raisons de se méfier de nous aussi. Par exemple, pour les États-Unis, la question de la frontière, dont on parle beaucoup ces temps-ci, ne peut, de toute évidence, être traitée de la même façon avec le Mexique qu'elle ne l'est avec le Canada. Ce sont deux frontières tout à fait différentes.
Il suffit de regarder une carte pour voir que, contrairement aux jeux d'alliance qui ont eu lieu à travers le monde dans le passé, nous sommes tellement, au plan géographique, aux deux bouts du pays que les Américains peuvent vraiment jouer la carte du hub and spokes dans la mesure où ils peuvent nous distancer les uns par rapport aux autres. Ceci ne veut pas dire que nous ne devons pas faire tous les efforts pour nous rapprocher d'eux afin de tenter de créer, auprès de nos populations et de nos jeunes en particulier, un esprit américain qui veuille dire «américain», un esprit continental, en dehors des questions économiques.
Les prétendues oppositions antimondialisation ou anti-ZLEA qu'on a vues ici, à Québec, l'an dernier, n'étaient pas vraiment des oppositions. Le mot «antimondialisation» n'a aucun sens puisque les gens qui se disent «antimondialistes» sont eux-mêmes à une haute échelle des mondialistes. Ils communiquent beaucoup et rapidement entre eux. Si nous pouvions créer des zones d'appartenance non économiques, cela aiderait beaucoup. Mais il faut bien dire que nous ne sommes pas très avancés dans ce domaine-là. Même ici, au Québec, on a beaucoup parlé récemment d'américanité. Ça laisse beaucoup de gens sceptiques. J'ai aussi entendu dire des journalistes au Canada anglais que nous pouvions bien avoir des contacts avec les Latino-Américains, mais que nous étions beaucoup plus à l'aise avec nos alliés européens. Il faut apprendre à frayer avec les Latino-Américains parce que ce sont nos partenaires de l'avenir plus encore que ne le sont les Européens.
En raison de ce qui précède et tout particulièrement des coûts astronomiques qu'entraînent tous les délais dans la circulation des marchandises à la frontière, je crois que nous sommes voués à conclure, tôt ou tard, un traité d'union douanière avec les États-Unis. Ce sont des centaines de millions de dollars par jour qui ont été perdus aux mois de septembre et d'octobre à cause des délais à la frontière. Je sais qu'il y a beaucoup de réticence à cela, que le gouvernement n'est pas prêt à aller jusque-là, mais je ne vois vraiment pas comment nous pourrions y échapper. Ça prendra le temps que ça voudra. Les impératifs économiques qui nous lient à notre voisin sont beaucoup plus imposants que ceux qui lient les pays européens entre eux. Comme je le disais plus tôt, il n'y a pas deux pays qui commercent autant que le Canada et les États-Unis. Pourtant, les pays européens ont aboli les contrôles frontaliers et ont établi la libre circulation des biens et des personnes. On pourra en discuter tout à l'heure.
Je sais bien que le cas de l'Europe est tout à fait différent, mais il faut noter quand même que les pays européens conservent tout de même, dans une certaine mesure, leur propre politique d'immigration. Il me semble que ce devrait être possible pour nous de conserver certains critères, certaines politiques qui nous seraient propres en matière d'immigration tout en sacrifiant, bien sûr, de larges pans de notre souveraineté à cet égard.
¸ (1445)
Encore une fois, les impératifs économiques sont très lourds, et je ne crois pas que les Canadiens soient très détachés des impératifs économiques. Quand les besoins économiques se font sentir chez la population canadienne, je ne pense pas que la population soit prête à sacrifier beaucoup d'argent pour notre indépendance. J'ai peut-être tort, et tant mieux si j'ai tort, mais je pense que nous sommes, en règle générale, très attachés à nos portefeuilles et à notre bien-être économique. Notre bien-être économique dépend pour une très, très grande part de notre commerce avec les États-Unis et de la rapidité et de l'efficacité de ce commerce.
On a beau avoir des mesures de vérification des camions avant le passage de la frontière, etc., je ne vois pas comment tout cela va permettre de faire en sorte qu'on ait une frontière étanche où les marchandises vont passer aussi rapidement. On aura toujours des soupçons, le contrôle sur des camions complètement scellés va s'exercer quand même, et il y aura quand même des retards. Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste de ces questions frontalières, mais parmi toutes les mesures que j'ai vues, depuis l'automne dernier, pour faire en sorte que nous conservions une frontière avec des contrôles pour les citoyens et pour les personnes, et pour qu'en même temps les marchandises puissent circuler très rapidement, il n'y en a aucune qui m'a persuadé que ces mesures allaient avoir l'effet escompté.
Pour ce qui est du dollar, je suis encore moins un expert en cette matière, car je ne suis pas un économiste. Cependant, je lis ce qui s'écrit là-dessus, et la leçon que j'en dégage est que cette question ne peut être traitée simplement par une analyse coûts-bénéfices. En lisant ce que disent les économistes là-dessus, je suis porté à croire que, si elle l'était, les avantages de la monnaie commune ou de la dollarisation l'emporteraient sur les avantages de la monnaie canadienne: possibilité de la faire fluctuer, bénéfices pour les exportations, etc. Mais le sujet est très brûlant et touche un grand nombre de symboles importants de l'identité canadienne. Les Américains le comprennent très bien et n'interviennent pas. Ils n'exercent pas de pressions dans ce sens-là. Tout indique donc que nous aurons avantage, pour des raisons qui vont demeurer hautement symboliques--et les symboles sont importants en politique--, à conserver notre monnaie propre.
Mais un jour viendra peut-être où on aura compris--je n'en suis pas sûr, mais c'est ce que disent certains économistes que je respecte beaucoup--que nous aurions avantage, tout au moins, à ajuster notre dollar sur le dollar américain, à lui donner un taux fixe. Eh bien, le jour où il y aura un taux fixe, on ne sera pas loin de la monnaie commune. Il restera des papiers avec l'image de la reine ou l'image de George Washington, mais ce sera tout comme s'il y avait une monnaie commune. Si les Américains en venaient à accepter notre papier en échange du leur, ce qui est loin d'être le cas actuellement... J'ai vécu aux États-Unis pendant cinq ans, durant les années 60, et si j'avais le malheur de sortir un dollar canadien, je me faisais dire que c'était de l'argent de Monopoly. On ne voulait pas toucher à cela, même aux époques où le dollar canadien avait une valeur presque égale à celle du dollar américain. Donc, on est loin de cela. Les Américains sont très intransigeants et très peu disposés à partager une banque centrale ou le contrôle de la monnaie avec nous, ne fût-ce que dans la proportion de notre population. Les Américains sont très peu disposés à ce que nous soyons, par exemple, représentés à la Federal Reserve à raison de un sur 10. Même cela, semble-t-il, ne trouve pas beaucoup d'écho aux États-Unis.
Donc, l'intransigeance américaine nous rend service, nous aide à garder notre souveraineté. Je crois que nous garderons notre dollar pendant bon nombre d'années à venir, mais je peux fort bien me tromper.
Voilà, c'est ce que j'avais à vous dire pour l'essentiel.
¸ (1450)
Le vice-président (M. Bernard Patry): C'est déjà tout? Merci. C'est très apprécié On se croirait sur les bancs d'école.
Monsieur Dubé, avez-vous des questions?
M. Antoine Dubé: Je connais M. Balthazar de réputation depuis plusieurs années. Je l'ai un peu mieux connu au cours des dernières années, car on a eu la chance de se rencontrer à quelques reprises, lors de séances diverses.
D'entrée de jeu, je voudrais avouer que je suis jaloux de M. Balthazar, parce qu'en tant qu'universitaire à la retraite ou à la quasi-retraite, il peut dire ce qu'il veut, de façon indépendante, et il est cru parce qu'il a de la crédibilité et une réputation.
Cela dit, bien que je vous connaisse assez bien ou que j'aie lu plusieurs des livres que vous avez écrits, il est ressorti de votre intervention d'aujourd'hui une dimension que j'avais mal vue jusqu'à maintenant, et je l'avoue. Je ne m'étais pas arrêté à cela jusqu'à maintenant et je vais vous poser une question là-dessus.
Vous dites que les Américains n'ont pas une vision machiavélique à l'égard du Canada. C'est vrai, parce qu'ils auraient eu maintes occasions, depuis les deux tentatives d'invasion américaine, dont celle du général Benedict Arnold, de se reprendre au plan politique en cherchant à diviser le Canada, mais je constate qu'ils ne l'ont pas fait.
Vous dites que M. Trudeau a pu... Il faut dire que cela ne s'est pas fait tout seul, quand même. Il faut reconnaître que Trudeau avait de l'audace, notamment à l'égard de Cuba, alors qu'il entretenait une amitié avec Fidel Castro à côté du géant américain. C'est drôlement utile aujourd'hui.
Il y a là une dimension que j'aimerais aborder. Depuis le 11 septembre, j'ai observé... Certains de mes collègues sont encore moins bien placés que moi pour parler parce qu'ils sont dans le parti au pouvoir, mais ils ont certainement leur point de vue personnel. Qu'on soit souverainiste ou fédéraliste, on peut dire que dans le passé, à cause des missionnaires ou des religieuses, catholiques ou d'autres religions, et à cause des casques bleus, le Canada s'est acquis, il y a un bon moment, une réputation d'impartialité et de neutralité qui est utile dans les conflits internationaux, mais qui, à mon avis, est un peu hypothéquée depuis cet automne. En tout cas, la marge de manoeuvre dont vous me parlez me semble s'être rétrécie un peu.
J'aimerais vous demander si, d'après vous, les événements du 11 septembre ont fait en sorte que la marge de manoeuvre du Canada est restreinte. On a une occasion d'en parler, et j'ai pu entendre M. Chrétien s'exprimer à l'égard de la possibilité d'étendre l'offensive ou la guerre antiterroriste à des pays autres que l'Afghanistan. On voit que le Canada veut résister par la bouche de son premier ministre. J'aimerais donc vous entendre sur ce point de vue très particulier.
¸ (1455)
M. Louis Balthazar: C'est vrai que notre marge de manoeuvre a diminué au cours de l'automne en raison des événements à caractère spectaculaire qu'on a connus et de la blessure profonde subie par la population américaine. On ne s'est pas assez rappelé que ce fait ne s'était jamais produit dans l'histoire des États-Unis. Dans toute leur histoire, ils n'avaient jamais été touchés comme ça, blessés à l'intérieur du pays. Pearl Harbor était beaucoup moins impressionnant que le 11 septembre dernier.
Il est certain que cela a amené les Américains à être extrêmement impatients, plus qu'ils ne le sont d'habitude, vis-à-vis de nos différences. On les a vus dénoncer notre politique d'immigration, à tort d'ailleurs, parce que tous les terroristes, comme nous le leur avons fait remarquer souvent, sont partis des États-Unis. Bien sûr, il y avait Ahmed Ressam qui avait vécu à Montréal, mais combien de ces terroristes ont vécu aux États-Unis? Donc, leur frontière est aussi poreuse que la nôtre. Mais on comprend ces mouvements d'impatience. On cherchait des raisons, etc. et on avait ces mouvements d'impatience vis-à-vis de toute dissidence. Les Américains disaient aux Canadiens qu'ils ne pouvaient pas se permettre d'être en désaccord avec eux.
J'ai une autre théorie sur le 11 septembre. J'aimerais écrire là-dessus prochainement, mais je n'ose pas parce que je me dis que je vais peut-être me faire contredire par un événement.
J'ai l'impression qu'il n'est pas vrai que le monde d'après le 11 septembre est profondément différent du monde d'avant le 11 septembre. Bien sûr, il s'est produit quelque chose de spectaculaire qui a beaucoup conditionné la politique américaine et qui la conditionne encore, pour des raisons évidentes. Bush est venu au monde le 11 septembre. Il a bâti sa popularité là-dessus. Vous avez entendu son discours sur l'état de l'Union: tout était en relation avec le 11 septembre.
Donc, il y a une sorte d'inflation du 11 septembre et, curieusement, à gauche autant qu'à droite. On le voit à droite, bien sûr, parce que ça permet de mettre en oeuvre des mesures de sécurité et une politique plus agressive. On peut tout se permettre quand on a un ennemi comme celui qui s'est signalé le 11 septembre. Mais à gauche aussi, il y a des éléments qui ont dit que le monde n'était plus le même, que c'était la revanche du Tiers Monde, qu'on allait les voir à l'oeuvre, que c'était la fin de l'empire américain. Voyons donc! Qu'est-ce qui s'est passé depuis le 11 septembre? Il y a eu un petit attentat dans les airs avec un soulier. Quant à l'anthrax, on ne croit même pas que ça soit relié à l'extérieur; on n'en est pas sûr. Il y a eu, bien sûr, le terrible kidnapping de Daniel Pearl du Wall Street Journal. Mais quand même, ce sont des événements du type de ceux qu'on avait connus avant. Je ne dis pas qu'il n'y aura plus de terrorisme. Il y en a eu avant et il va en avoir encore. Le 11 septembre est quelque chose d'exceptionnel par son caractère spectaculaire, mais à mon avis, ce n'est pas qualitativement différent de ce qui s'était produit avant.
J'ai peut-être tort et il y a peut-être des événements qui vont me donner tout à fait tort dans les semaines ou les mois à venir, mais j'ai l'impression que si ça continue comme ça, que si on revient au monde d'avant, cette restriction de notre marge de manoeuvre va un peu s'effacer. Cela ne veut pas dire que notre marge de manoeuvre va être très grande, parce qu'elle n'était pas si grande que ça avant; elle était beaucoup moins grande qu'on était porté à le croire.
Évidemment, ça fait partie de notre fierté canadienne. On se pète les bretelles avec nos contingents du maintien de la paix. Oui, ils ont fait du travail remarquable dans le passé, mais remontez un peu loin dans l'histoire. Il y a 40 ans déjà, au moment de la guerre du Vietnam, nous faisions partie d'une commission internationale de contrôle au Vietnam. Il y avait trois pays là-dedans: le Canada, choisi parce qu'il était allié aux États-Unis; la Pologne, parce qu'elle était alliée de l'Union Soviétique; et l'Inde, qui était un pays neutre. On sait maintenant que les agents du Canada en Asie, en Indochine, ont joué un rôle qui a été utile aux Américains et qu'il y a eu beaucoup de communication.
Nous avons eu une politique distincte au sujet du Vietnam. M. Pearson s'est fait laver les oreilles par Johnson. Il était allé dire aux États-Unis mêmes que les États-unis devaient cesser leurs bombardements, que le Canada n'était pas d'accord. Mais remarquez que c'était l'exception qui confirmait la règle. En règle générale, M. Pearson était très bien vu aux États-Unis. Partout, dans toutes les tribunes, il avait des amis.
Un fonctionnaire américain m'a fait remarquer un jour qu'au moment même où nous accueillions ici les conscrits américains qui s'évadaient, les draft dodgers, il y a eu autant de volontaires canadiens qui voulaient aller se battre au Vietnam qu'il y a eu de draft dodgers américains qui sont venus ici.
¹ (1500)
Voyez-vous, on n'est jamais si loin que cela d'eux, beaucoup moins qu'on ne le pense. Même si on fait des choses qui sont différentes, dans un autre ordre, et qu'on le proclame, le contact diplomatique avec les États-Unis, comme les diplomates vont sans doute vous l'avouer, est toujours extrêmement fluide. Même M. Trudeau, qui faisait des frasques et qui se faisait traiter de SOB par Nixon et Kissinger, avait beaucoup d'amis et d'admirateurs aux États-Unis, surtout, évidemment, dans la gauche américaine. Il a été applaudi au Congrès américain en 1977 comme rarement un politicien étranger a été applaudi par les membres du Congrès américain. C'est vrai que c'était au moment où il y avait un parti souverainiste qui venait d'être élu au Québec et où il avait donc beaucoup de sympathie.
Donc, le courant passe toujours très fort, beaucoup plus que la population ne veut l'admettre. C'est pour cela que je dis cela. J'ai l'impression qu'on ne s'en rend pas compte.
Prenez, par exemple, le commerce. On signale la question du bois d'oeuvre, qui nous oppose aux Américains et on se dit que les Américains sont bien affreux. Mais demandez à n'importe quel fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et il va vous dire que, pour l'essentiel, notre relation est extrêmement fluide, que nos exportations dépassent de beaucoup nos importations, que nous avons un solde commercial très avantageux, que oui, le bois d'oeuvre est un os et nous cause des ennuis, mais que la grande majorité de nos échanges économiques fonctionnent admirablement bien.
C'est pour cela que je dis que la marge de manoeuvre n'est pas très grande. Nous pouvons faire des choses différemment d'eux, mais je ne suis pas sûr que nous puissions nous permettre de faire des choses contraires à leurs véritables intérêts politiques envisagés à moyen ou à long terme. En tout cas, l'histoire ne nous donne aucun exemple de cela.
¹ (1505)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci. Madame Marleau.
Mme Diane Marleau: Vous êtes toujours bien intéressant. Je vous avais posé une question avant le début de la réunion. On essaie d'établir des relations avec les élus aux États-Unis, mais c'est extrêmement difficile. Je dirais même que les élus aux États-Unis sont toujours tellement en cabale pour la prochaine élection qu'ils ne pensent pas au-delà de leur circonscription. Ce sont des gens qui se vendent continuellement. Lorsqu'on est ministre, on est chanceux. On les rencontre à quelques reprises, mais pas pour longtemps. Ils ne sont pas intéressés au Canada. C'est juste eux qui comptent.
Je crois qu'on doit se faire connaître mieux et je suis certaine que les événements de dimanche et de la semaine dernière vont nous aider grandement. Tout à coup, les Américains ont découvert que les Canadiens existent et qu'ils savent faire des choses.
À part de cela, est-ce que vous avez des façons de faire à nous suggérer? On s'en va à Washington dans deux semaines et on va toujours avoir le même défi. On va rencontrer quelques élus, mais ils vont être là pour cinq secondes et ils vont partir. C'est toujours le grand problème. C'est ma première question.
J'ai une autre question pour vous. Vous avez mentionné le bouclier nucléaire. Je pense que c'est le bouclier antimissile que le président Bush pousse de l'avant. Je crains beaucoup qu'on se fasse embarquer dans des dépenses extraordinaires qui ne mèneront vraiment pas à grand-chose, si ce n'est à la puissance des États-Unis. Dites-moi ce que vous pensez de tout cela.
M. Louis Balthazar: Pour ce qui est de votre première question, c'est vrai qu'on serait porté à croire qu'il s'agit d'un défaut congénital aux États-Unis. Moi, je travaille sur la politique étrangère des États-Unis depuis maintenant près de 40 ans. Par exemple, dans les années 50, il y avait un petit livre intitulé The Paranoid Style in American Politics, écrit par Richard Hofstadter. C'était évidemment à l'époque du macCarthysme et de la paranoïa vis-à-vis des méchants communistes. Mon Dieu, ce style réapparaît aujourd'hui!
On pensait que les Américains, parce qu'ils voyagent dans le monde, parce qu'il y a quand même une classe intellectuelle importante aux États-Unis qui produit de grands experts sur toutes les questions internationales, étaient bien informés. En fait, malgré ce qu'on dit, je pense que les Américains ne sont pas si mal informés s'ils veulent se donner la peine d'aller chercher l'information. Elle leur est accessible. Donc, on pourrait penser qu'ils deviendraient plus conscients de la complexité du système international.
C'est cela qui leur manque: la conscience de l'hétérogénéité du système. Parce qu'ils sont forts et puissants, parce que leur histoire est, somme toute, une belle histoire, parce qu'ils ont une grande influence culturelle, ils sont portés à se considérer comme un microcosme du monde. La culture américaine, d'ailleurs, n'existe pas dans les matières culturelles. Quand on discute avec eux, ils nous disent que la culture n'a aucune espèce importance: Céline Dion est canadienne, tel autre chanteur est américain, so what; on les aime et c'est tout ce qui compte. À travers cela, ils ne se rendent pas compte qu'il y a une culture qui leur est propre et que les autres sont différents. Donc, il y a un refus de l'hétérogénéité.
Il y a eu des présidents américains qui ont fait des efforts pour briser cela. Je pense à Jimmy Carter, qui a fait un discours célèbre en 1977 et qui disait qu'il fallait que les Américains se débarrassent de cette crainte désordonnée du communisme qui leur faisait embrasser le premier tyran venu tout simplement parce qu'il s'oppose au communisme. Il pourrait dire la même chose aujourd'hui. Il faut se débarrasser de cette image toute figée du terrorisme qui nous fait tout juger à l'aune de l'antiterrorisme.
Évidemment, c'est la même chose quand on leur parle. Ils sont tellement centrés sur leur culture, sur leurs intérêts à eux. Quand un bon Canadien arrive, ils lui disent: «Hello, it's so nice of you», etc., mais on est vite évacué, surtout dans les milieux du Congrès parce que ce sont des milieux politiques, comme je vous le disais.
J'ai déjà fait des enquêtes aux États-Unis. Dans les milieux de la fonction publique, ça va pas mal bien. Les gens nous reçoivent, nous parlent, ils aiment les Canadiens, etc. Mais au Congrès, ce n'est pas pareil. J'avais essayé de rencontrer et d'interviewer des sénateurs. Tout ce que j'ai obtenu, ce sont les deux sénateurs du Vermont. Ils ne pèsent pas très lourd dans l'ensemble aux États-Unis, mais évidemment, parce que le Vermont est le voisin du Québec, ils s'intéressaient à cela.
Bon, il y a les États frontaliers, et il y a aussi les questions où on peut être sur la même longueur d'onde, donc des éléments de population. Cela se travaille. À Washington, à l'ambassade, on a un gros personnel qui travaille sur ces questions, à constituer des lobbys, à trouver des amis.
Il y a des petits progrès qui se font ici ou là. Je sais bien que c'est très mince. Dans mon domaine à moi, le domaine des études universitaires, je dois dire que nous avons fait beaucoup de progrès. Dans les années 60, le Canada était le sujet ennuyeux par excellence. Aujourd'hui, il y a une association d'études canadiennes aux États-Unis qui fait des gros congrès à 600, 700 ou 800 personnes, qui a des représentants dans la grande majorité des États américains. Eh bien, cela fait des petits. Je sais bien que ce sont des intellectuels, mais ce sont des gens qui enseignent, qui ont une certaine audience et qui, souvent, font connaître et même admirer le Canada, sa littérature. Il y a des gens qui sont passionnés des écrivains canadiens ou parfois de certains cinémas canadiens. Bien sûr, ce n'est pas grand-chose. Notre pays est petit, et c'est notre grande difficulté par rapport aux Européens alors que nous avons à côté de nous cet énorme géant replié sur lui-même.
Je dis souvent que les Allemands et les Français peuvent être très chauvins, être persuadés que la culture française ou allemande est supérieure à toutes les autres, mais jamais ils ne vont nier leur existence réciproque. Or, à toutes fins utiles, les Américains nient notre existence. C'est comme si on n'existait pas. C'est comme si on était d'autres bons Américains comme eux. Ils ne se rendent pas compte que parfois c'est plus insultant qu'autre chose. Il y a de légers progrès dans ce domaine-là, mais c'est sûr que beaucoup est à faire, d'où l'importance des communications du Canada. Moi, je le dis encore plus en tant que Québécois, parce que si les Canadiens, en règle générale, ont de la difficulté à faire passer leur message, nous, de langue française, en avons encore bien plus. Nous sommes cette oddity, ce queer phenomenon. C'est difficile, bien qu'il y ait l'hispanicisme en progrès aux États-Unis qui les aide peut-être à comprendre qu'on puisse parler une autre langue, puisque quantité d'Américains parlent maintenant espagnol.
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Il faut dire que c'est particulièrement difficile avec les personnes du genre de celles qui sont au pouvoir aujourd'hui. Ces gens sont très différents des démocrates. J'entendais des gens dire l'an dernier que les démocrates et les républicains, c'est du pareil au même. Pour le Canada, c'est bien différent. On a toujours eu plus d'amis dans le Parti démocrate, plus de compréhension. Remarquez bien que ce ne fut pas toujours le cas. Il y a des sénateurs démocrates qui ont été terribles avec nous. Surtout en matière commerciale, souvent, ils sont plus rigides. Mais les républicains ne nous connaissent pas. George Bush n'avait aucune idée de ce qu'était le Canada. Il était peut-être venu ici en vacances une fois ou deux.
Votre deuxième question portait sur le bouclier antimissile. Oui, c'est plus correct de dire «antimissile» que «nucléaire», mais ça revient au même: c'est pour contrer des armes nucléaires, des missiles éventuels. Cette affaire est très farfelue et extrêmement coûteuse et, d'après beaucoup de scientifiques, il est loin d'être sûr que ça puisse avoir l'effet escompté. Il est loin d'être sûr que ça n'encourage pas l'élaboration d'armes offensives encore plus sophistiquées. Toute l'histoire de la défense, dans l'histoire de l'humanité, nous indique que la défense parfaite a toujours invité ses adversaires à la percer. Il n'y a jamais eu de défense parfaite. C'était un peu le rêve de Reagan, qui est repris par Bush, que d'avoir cette défense parfaite, qui fait qu'on peut se permettre de laisser tomber même ses programmes d'armement nucléaire dans d'autres domaines, parce qu'on va être complètement couvert dans le ciel.
Je pense qu'on peut et qu'on devrait le faire. J'imagine qu'il doit y avoir des Canadiens qui s'y emploient maintenant, qui font jouer toute leur influence, qui écrivent des articles là-dessus pour montrer que ce n'est pas une bonne affaire, que c'est trop coûteux et que ça va créer beaucoup d'antagonisme pour rien ailleurs dans le monde. Mais n'oubliez pas que le chef de l'opposition aux États-Unis, le président de la petite majorité démocrate au Sénat, Tom Daschle, s'est déclaré opposé à ce programme. Donc, ce n'est pas fini. Il va y avoir des luttes au Congrès là-dessus. Donc, le Canada peut, avec sa diplomatie, jouer un rôle et y aller dans son opposition à cela, dans la mesure où la majorité des Canadiens sont d'accord sur cette position-là.
Cependant, si jamais cela se développait, là j'ai l'impression que nous aurions plus d'avantages à travailler à l'intérieur du système parce qu'autrement, nous serions peut-être menacés de perdre toute influence militaire en Amérique du Nord. En tout cas, il y aura des moments durs à passer. Quelques-uns des militaires que j'ai rencontrés ont tendance à dire que si ça passe, nous n'aurons pas le choix, qu'il sera à notre avantage de nous joindre au programme. Mais ce n'est pas passé et on en a pour un certain nombre d'années avant que ça passe vraiment.
¹ (1515)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci.
Monsieur Balthazar, dans quelle mesure le cadre de l'ALENA, tel qu'il existe actuellement, peut-il servir à élargir la coopération entre les trois pays? Est-ce qu'il y aurait lieu, à ce moment-là, d'élargir le mandat, de faire un ALENA plus, comme quelques témoins l'ont recommandé, ou d'augmenter les pouvoirs de commissions nord-américaines comme celle de l'environnement?
M. Louis Balthazar: Oui, en matière non économique. J'ai participé à un petit groupe qu'on avait réuni à Ottawa en 1996 ou 1997, je crois. M. Axworthy était le ministre des Affaires étrangères à ce moment-là. C'était assez intéressant. Nous nous interrogions sur les aspects non économiques de l'ALENA et de notre appartenance continentale. J'ai vu qu'il y avait beaucoup d'associations qui existaient pour encourager les liens et les communications. Ici, par exemple, au Québec, on aura des programmes d'apprentissage de l'espagnol accélérés. On aura donc une jeunesse qui sera plus susceptible de parler l'espagnol. Il y a beaucoup d'intérêt pour cela ici, au Québec, tout au moins, parce que c'est à la mode. C'est une façon de dire qu'on est américain, mais sans être états-unien, parfois même de façon excessive, à mon avis. À l'Université Laval, quand on parle de programmes pour les Amériques, on pense beaucoup à l'Amérique latine et on ne pense pas assez aux États-Unis. Je dis aux étudiants que c'est bien beau, les liens avec l'Amérique latine, mais que le voisin à côté est sacrément important.
On pourrait y travailler même chez les Américains. Je sais bien que ce n'est probablement pas le moment à l'heure actuelle, car les Américains n'ont pas fait beaucoup de chemin dans cette direction-là, mais on pourrait persuader des jeunes Américains, surtout, d'élargir leur conception de leur américanité et de dire: «I am an American, mais je suis un Américain de tout le continent. Il n'y a pas seulement ma culture américaine, mais aussi le Canada, l'Amérique latine. C'est tout ça qui fait mon identité.»
Remarquez à quel point, en Europe, indépendamment de tout ce que l'Europe a signifié, de tous les mécanismes économiques, sociaux et autres, rien que l'idée d'Europe qui a été à la mode, qui a été chérie par beaucoup de populations d'Europe, a été une sorte de bougie d'allumage pour les institutions de l'Union européenne. En d'autres termes, it's cool to be a European, si vous me permettez cette expression. Ça pourrait être cool d'être un Américain, d'avoir cette identité, de vouloir partager des intérêts.
Ça existe déjà. C'est un petit courant qui existe, et il me semble qu'on devra créer des institutions pour l'encourager et pour encourager la coopération en matière sociale, en matière d'environnement, en matière culturelle. Je pense que ce sera plus facile en matière culturelle que dans les autres domaines. Notre situation est tellement différente de celle de tous les pays d'Amérique latine sur le plan économique et, inévitablement, sur le plan social et sur le plan de nos réactions à l'environnement aussi, que ce sera plus difficile, mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas tout mettre en oeuvre.
Je pense que c'est comme ça qu'on pourra faire accepter la Zone de libre-échange des Amériques. Il y a du progrès qui se fait à cet égard. Ça m'a frappé qu'à Davos-New York, on ait entendu autant de personnes qui avaient des choses dures à dire aux gens qui étaient présents là, alors qu'à Pôrto Alegre, on se soit mis à parler plus positivement qu'on ne le faisait dans le passé.
Donc, le rêve serait que l'intégration économique aille à la rencontre de l'intégration culturelle, sociale, etc. Je pense qu'en créant des institutions, on va encourager ce phénomène.
¹ (1520)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Vous avez parlé de notre ancien ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy. Dans un certain énoncé qui s'appelait A Changing North American Agenda, il soutenait qu'une stratégie énergétique intégrée était impérative et il disait à ce moment-là que nous ne devrions pas accepter un programme axé sur l'offre qui serait conçu à la hâte et qui nous ferait manquer l'occasion d'élaborer une approche nord-américaine distincte.
Êtes-vous d'accord sur cela?
M. Louis Balthazar: Je suis d'accord sur le fait qu'on s'en fait passer des «petites vite» dans des traités d'intégration économique qu'on a peut-être négociés et signés trop rapidement. Je pense, par exemple, au fameux chapitre 11. Je suis d'accord avec tout le monde pour dire qu'il faut revenir là-dessus. Je suis aussi d'accord pour dire qu'il y a une lutte énorme à livrer sur le plan des produits culturels. Mon collègue Ivan Bernier a dû vous en parler ce matin mieux que je ne pourrais le faire. À cet égard, il ne faut pas lâcher.
Je reviens sur ce que j'ai dit. C'est une bonne occasion pour nous, Canadiens, de faire un petit exercice de vie commune, de meilleure compréhension de ce qu'est le Canada, de se rappeler que le coût à payer pour le caractère distinctif du Canada est souvent de reconnaître nos différences internes.
J'ai dit ailleurs, dans un article que j'ai écrit sur la frontière, que le prix à payer pour le maintien d'une frontière canado-américaine est peut-être le maintien de certaines frontières à l'intérieur même de notre pays. Je ne veux pas dire des frontières au même sens que les frontières internationales, mais je parle du coût de la reconnaissance de l'hétérogénéité de notre pays.
Le vice-président (M. Bernard Patry): On va faire un deuxième tour. Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé: Vous avez parlé de quelque chose qui est souvent perçu comme délicat: la notion de société distincte. Dans un monde idéal ou un Canada idéal, cela serait parfaitement reconnu par tous ceux qui composent la société canadienne actuellement et on pourrait jouer davantage cette carte pour faire reconnaître la différence canadienne, notamment aux États-Unis.
On se rappelle l'expérience du Sommet de Québec, où le premier ministre du Québec pouvait évidemment être au nombre des invités, mais ne pouvait pas parler officiellement au nom de son État québécois. Dans monde idéal, où tout ça serait bien compris et accepté, comment pourrait-on jouer cette carte?
J'ai participé à quelques délégations en Amérique latine, notamment, et j'avais l'impression de rencontrer là des cousins plus rapprochés que d'autres, tellement c'était facile. Il ont encore plus que nous le sens de la musique et de la danse, mais ils ont aussi une certaine façon de se comporter qui nous est plus familière.
Il me semble que si on présentait ça aux Américains, ils ne détesteraient pas du tout cette image. D'ailleurs, ils viennent souvent ici, à Québec, pour la bonne cuisine, disent-ils, même s'ils le disent en anglais. Comment pourrait-on articuler cela sans recommencer nos éternelles chicanes? Si c'était accepté, comment cette carte pourrait-elle se jouer?
¹ (1525)
M. Louis Balthazar: Dans les années 60, j'ai travaillé pour la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, la Commission Laurendeau-Dunton. Je me rappelle avoir fait des sessions dans des provinces anglophones. Évidemment, les gens nous voyaient venir. On était des représentants de la commission et on avait un petit projet de recherche pour la commission. On leur demandait ce qui distinguait le Canada des États-Unis. Évidemment, comme francophone, j'avais envie d'entendre le plus vite possible: «On est bilingues, nous autres». Or, les gens nous disaient : «We have the queen, on a l'assurance-maladie, on a le Parlement». En tout cas, c'était long avant que l'aspect linguistique vienne.
Il n'y a pas de doute qu'on a fait du progrès depuis ce temps-là, puisque certaines des recommandations de la commission ont été mises en oeuvre, notamment sur le plan du bilinguisme pancanadien, mais la reconnaissance des différences québécoises gêne encore beaucoup de Canadiens.
On va célébrer le 20e anniversaire de la Constitution de 1982. Voici le témoignage d'un sociologue américain qui a étudié beaucoup le Canada, Seymour Martin Lipset. Il dit ceci:
Perhaps the most important step that Canada has taken to Americanize itself--far greater in its implication than the signing of a free trade treaty--has been the incorporation into its constitution of a bill of rights, the Charter of Rights and Freedoms, placing the power of the state under judicial restraint. |
On peut ne pas être d'accord sur ça, mais c'est quand même un observateur impartial qui dit que cette constitution nous a américanisés. Il n'y a rien de mal à l'avoir. Au contraire, c'est excellent d'avoir une Charte des droits et libertés de la personne au pays, mais Alan Cairns disait que nous avons accordé moins d'importance à ce qu'il appelait the provincial spatial construction. Autrement dit, parce que nos droits sont protégés par une charte fédérale, parce que les derniers arbitres de la protection de nos droits sont des juges d'une cour fédérale nommés par le pouvoir fédéral, parce que nos allégeances sont conçues souvent en termes de droits--j'appartiens à tel groupe d'handicapés, d'homosexuels, de ceci ou de cela dans la société et je suis protégé par la Charte--, ceci nous fait accorder moins d'importance à notre allégeance provinciale.
Ce n'est pas sacré. Ce n'est pas la fin du monde que de ne pas accorder d'importance au rôle des provinces, mais, comme je le disais tout à l'heure, on est une fédération avec deux niveaux de gouvernement, et pour nous, Québécois, pour des raisons linguistiques et culturelles, le niveau provincial est très important. C'est ça qui est le malaise souvent.
Monsieur Dubé, même si vous défendez la souveraineté du Québec, vous savez comme moi que cette option aurait un poids très faible dans la population si on avait trouvé une façon de reconnaître de façon significative la société distincte. Je suis persuadé que si les accords du lac Meech avaient été entérinés, il n'y aurait pas eu de référendum en 1995 et le mouvement souverainiste n'aurait pas crû sensiblement depuis ce temps-là. Mais enfin, c'est une question. On ne saura jamais si c'est vrai ou non.
Tout ceci pour dire que nous aurions avantage à mettre en oeuvre une autre citation que je pourrais vous donner, celle-ci de Mark Starowicz, Ce n'est pas un nationaliste québécois qui parle, loin de là. Mark Starowicz, qui est l'auteur de Une Histoire populaire du Canada, dit que sur le plan culturel, il est tout à fait déplorable qu'un jeune Canadien d'en dehors du Québec soit plus susceptible de voir à la télévision un policier de Los Angeles qu'un citoyen québécois, évidemment à cause des séries qu'on voit.
Donc, c'est notre éternel problème. On dit que les Québécois peuvent être à blâmer. Beaucoup de Canadiens nous disent que nous avons voulu faire bande à part et que notre canadianisme n'est pas à toute épreuve. Il y a sans doute des torts des deux côtés, mais c'est un phénomène. On a de la difficulté à faire valoir cet atout de notre pays d'une façon très claire à l'extérieur.
Il y a des oublis que je trouve impardonnables. M. Raymond Chrétien, un homme que j'admire beaucoup, un grand diplomate qui a fait un excellent travail à Washington, faisait un discours, il y a quelques années, à l'association des études québécoises aux États-Unis. Vous savez, c'est intéressant. Les Américains reconnaissent la spécificité du Québec dans la mesure où, à l'intérieur de l'Association for Canadian Studies in the United States, ACSUS, il y a aussi l'American Council for Quebec Studies. On a reconnu la spécificité des études québécoises. Souvent, ce sont des littéraires qui aiment la littérature d'expression française et tout cela. Il n'y a aucun sentiment séparatiste dans leurs organisations.
En tout cas, un bon jour, M. Chrétien faisait un discours devant les membres de l'American Council for Quebec Studies. Il parlait des services que donnaient notre ambassade et nos divers consulats. Évidemment, il se présentait lui-même comme un Québécois. Tout ceci était très bien, mais il n'a pas dit un mot des services qu'offrent les représentants du gouvernement du Québec aux États-Unis.
Je sais bien qu'il y a souvent des petites guerres désagréables à cet égard, mais idéalement, pourquoi ne pas, comme cela s'est fait parfois dans certains pays...
¹ (1530)
Je me souviens d'être allé à Los Angeles il y a longtemps, avant le déluge. J'avais été reçu par un chargé d'affaires au consulat canadien à Los Angeles et il m'avait dit: «Monsieur Balthazar, n'oubliez pas d'aller saluer les représentants du Québec qui sont ici, dans le même immeuble.» Ils entretenaient d'excellentes relations avec ces représentants. Voyez-vous, il y avait cette reconnaissance, mais le fait qu'on ne mentionne pas cela souvent m'agace un peu. Auprès des Américains, comme vous le dites, nous aurions tout avantage à le faire. Les Américains trouvent cela très bien. Ils trouvent que c'est un atout du Canada que d'avoir deux langues et d'entretenir certaines asymétries dans son fédéralisme.
¹ (1535)
Le vice-président (M. Bernard Patry): Madame Marleau.
Mme Diane Marleau: Je ne veux pas vous garder trop longtemps, mais je pense que trop de petits jeux de pouvoir ont été joués par le passé et que c'est probablement la raison pour laquelle on n'a jamais eu cette reconnaissance de la société distincte. Il faut dire que nous avons des atouts extraordinaires, comme Canadiens. Vous avez lu quelque chose, et je veux dire quelque chose qui va à l'encontre de ce que vous avez lu.
J'ai eu des rencontres à plusieurs reprises avec des représentants du gouvernement des États-Unis et entre autres avec Mme Clinton, qui m'a avoué être envieuse de notre Charte des droits et libertés, des choses qu'on avait pu accomplir ici, que les Américains auraient bien voulu accomplir et qu'ils n'auraient jamais pu faire. Cela m'avait impressionnée. Elle avait aussi parlé de notre système de santé, entre autres. Elle disait qu'elle aurait bien voulu pouvoir faire cette chose qu'on avait faite il y a longtemps. Donc, on a certaines choses ici, et lorsqu'ils apprennent à nous connaître, ils se disent qu'ils aimeraient bien être comme ça, eux aussi.
Sur le plan culturel, j'ai parlé ce matin de la concentration des médias. Au niveau du Québec comme au niveau du Canada, on est de plus en plus influencés par les Américains. On se voit de moins en moins dans les nouvelles, que ce soit à Toronto ou à Montréal. Je crois que c'est le plus grand défi auquel on fait face comme Canadiens, comme Québécois, comme membres de cette société.
Est-ce que vous avez examiné les effets de cela? C'est extrêmement dangereux. L'influence américaine fait partie de notre vie, et on cherche toujours la sensation. S'il y a un meurtre, c'est ce qu'on voit, s'il y a un déluge c'est ce qu'on voit, mais on ne voit pas de bonnes nouvelles.
M. Louis Balthazar: C'est vrai, et c'est un phénomène universel. La puissance des médias américains fait que les Canadiens engagés dans les médias succombent souvent à la tentation d'aller chercher le dernier clip et la dernière photo qu'on a prise. C'est comme cela dans tous nos journaux canadiens. À un moment donné, vous allez avoir une photo en première page. Qu'est-ce que c'est? C'est un Américain, en Iowa, qui veut se jeter en bas d'un précipice. C'est une photo admirablement bien prise, etc. Cela n'a rien à voir avec notre vie, mais on publie la photo parce qu'elle est bonne.
Mme Diane Marleau: Mais qu'est-ce qu'on peut faire?
M. Louis Balthazar: Tout ceci contribue à nous faire vivre comme si c'était notre milieu d'appartenance. Il y a aussi beaucoup d'Européens qui se plaignent du fait que, de plus en plus, il y a une dimension internationale dans la nouvelle.
Mme Diane Marleau: Cela s'appelle CNN.
M. Louis Balthazar: Ils ne savent plus ce qui se passe chez eux. Nous faisons quand même beaucoup à cet égard. Nous avons Newsworld et RDI, et Radio-Canada s'efforce d'accorder une grande importance à la nouvelle canadienne.
Ce sont peut-être les médias privés qui sont les plus à blâmer là-dedans parce qu'évidemment, ils ne songent qu'à leur rentabilité. Comme vous savez, ils se font toujours tirer l'oreille pour présenter une proportion de contenu canadien dans leurs émissions, etc. Nous vivons difficilement en Amérique du Nord, et ce sera toujours le cas. On est toujours sur la corde raide. Il faut aller le plus loin possible à cet égard.
Vous parliez de Mme Clinton, qui était impressionnée par notre charte, qui est différente de la leur. C'est vrai, et je ne l'ai pas mentionné tout à l'heure. J'ai mentionné le fait que la Charte, dans une certaine mesure, nous américanisait, mais c'est vrai que notre charte est différente. Par exemple, en matière de droits collectifs, nous allons beaucoup plus loin. Malheureusement pour nous, on ne parle pas des droits collectifs des Québécois dans cette charte, mais on parle des droits collectifs des autochtones, des femmes, de plusieurs groupes.
Voici ce que dit la Cour suprême du Canada. C'est encore une bonne référence. Je vais vous citer un paragraphe que je cite souvent à des Américains pour essayer de leur faire comprendre que notre fédéralisme est profondément différent du leur.
Ce sont des juges qui parlent en 1998, dans le jugement sur le renvoi sur la sécession du Québec. Dans ce jugement-là, pour des raisons sans doute politiques, les juges ont beaucoup parlé du principe du fédéralisme au Canada. Je trouve que c'est un jugement de grande valeur et qui reste, quel que soit le contexte. Les juges ont dit ceci en 1998, il n'y a pas si longtemps:
La réalité sociale et démographique du Québec explique son existence comme entité politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles de la création d'une structure fédérale pour l'union canadienne en 1867. |
Je n'ai pas la bonne citation. Ce que je voulais dire c'est qu'on dit à un moment donné que le principe du fédéralisme au Canada permet à une minorité dans l'ensemble du pays de se constituer en majorité dans une province donnée.
Les juges disent évidemment que c'est le cas du Québec. Ça, c'est très unamerican. Le fédéralisme aux États-Unis n'est pas conçu comme cela, pour permettre qu'une minorité puisse s'affirmer comme une majorité. On peut dire que c'est maintenant le cas du Nunavut aussi, où il y a une culture particulière qui s'affirme à l'intérieur d'un territoire et peut-être éventuellement d'une province.
On dit ensuite:
La structure fédérale adoptée à l'époque de la Confédération a permis aux Canadiens de langue française de former la majorité numérique de la population de la province du Québec, et d'exercer ainsi les pouvoirs provinciaux considérables... |
Je me dis qu'il s'agit d'un atout, mais j'aimerais entendre plus souvent des Canadiens citer un passage comme celui-là quand ils sont aux États-Unis pour montrer la différence entre notre fédéralisme et le leur.
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Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Balthazar. Nous allons terminer notre séance de l'après-midi. Ce fut très intéressant, comme vous avez pu le constater. Le fait que vous soyez seul nous a permis de mieux vous connaître, de mieux vous apprécier et de suivre votre cheminement. Je vous en remercie au nom de mes collègues et de l'équipe qui travaille avec nous.
Je remercie aussi tous les gens à la console, les traducteurs et tous les gens qui travaillent avec nous ici pour permettre la transcription de cette séance.
Merci beaucoup et bonne fin de journée à tous.
M. Louis Balthazar: Je tiens à vous remercier tout particulièrement de m'avoir donné la chance de parler aussi longtemps. Vous auriez bien pu me dire que vous m'accordiez 10 minutes ou un quart d'heure, réduire vos questions et aller faire toutes sortes d'autres choses cet après-midi. J'apprécie beaucoup le fait d'avoir eu cette tribune.
Le vice-président (M. Bernard Patry): Merci encore une fois.
La séance est levée.