FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 3 avril 2001
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest— Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Sommet des Amériques et la ZLEA.
Nous allons entendre des témoins du Centre canadien de politiques alternatives, représenté par M. Bruce Campbell...
M. Campbell n'est pas encore ici mais il y a... Monsieur Obhrai.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, AC): J'invoque le Règlement pour faire adopter une motion. Nous demandons le consentement unanime pour faire comparaître le ministre à propos du budget des dépenses.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Pardon, ce n'est pas un rappel au Règlement. On pourra en discuter plus tard.
M. Deepak Obhrai: Quand?
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Eh bien, plus tard pendant la réunion, lorsque nous aurons le quorum.
M. Deepak Obhrai: Nous n'avons pas le quorum?
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous avons le quorum pour l'audition des témoins, pas pour discuter de motions.
M. Deepak Obhrai: Entendu.
M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Il veut seulement en ajouter un troisième.
M. Gary Lunn (Saanich—Gulf Islands, AC): L'Agence canadienne de développement international.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Désolée, monsieur Barr, je m'excuse de cette interruption.
Nous recevons M. Gerry Barr, président et premier dirigeant du Conseil canadien pour la coopération internationale, ainsi que M. Robert Pilon, vice-président exécutif de la Coalition pour la diversité culturelle.
Nous allons commencer par vous, monsieur Barr.
M. Gerry Barr (président et premier dirigeant, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci beaucoup, madame Beaumier.
Le Conseil canadien pour la coopération internationale est un réseau et une coalition d'organismes qui travaillent pour l'élimination de la pauvreté dans le monde. Comme organismes qui ont des partenaires partout dans le monde qui travaillent eux-mêmes avec des groupes marginalisés, nous voyons de près les conséquences des arrangements commerciaux pour ceux qui vivent dans la pauvreté et nous nous préoccupons maintenant des conséquences de ces arrangements commerciaux pour nos partenaires. Cela est particulièrement vrai, évidemment, en ce qui concerne la ZLEA et les négociations actuelles dans l'hémisphère.
Il y a une sorte d'histoire dans cette discussion commerciale, et à notre avis elle fonctionne comme ceci: d'abord, il y a la libéralisation des échanges; la libéralisation des échanges entraîne l'accroissement des échanges; l'accroissement des échanges crée la croissance économique et la croissance économique entraîne invariablement une diminution des niveaux de la pauvreté. Vous entendez cette histoire, cette vue du cycle des événements, dans le discours public. Je pense que le ministre Pettigrew est l'un de ceux de qui vous entendrez le plus souvent cette histoire. Tony Blair l'a racontée lorsqu'il est venu en visite récemment. Je pense qu'il est important de faire remarquer et de commencer à réfléchir sur le fait que cette histoire ne marche pas.
Les nouveaux investissements dans le commerce ont produit une croissance économique dans les Amériques dans les dix dernières années, mais cela a produit une croissance économique dans le contexte d'une disparité croissante et d'une augmentation de l'ampleur de l'intensité de la pauvreté dans la région. Albert Berry, de l'Université de Toronto, a fait du travail là-dessus, et a remarqué qu'il y a eu une augmentation des disparités des revenus au même moment où les pays de la région ont pris des mesures de libéralisation du commerce. L'Organisation panaméricaine de la santé et la Banque interaméricaine de développement ont toutes les deux remarqué le clivage entre la croissance économique et une plus grande égalité dans les Amériques.
La raison pour laquelle il est important de le remarquer, c'est parce que cela souligne la nécessité d'un accord commercial qui nous amènera effectivement vers une réduction de la pauvreté. Mais il y a quelque chose de profondément erroné dans l'image que nous obtenons actuellement.
En ce qui concerne la ZLEA, la clé ici c'est que l'indicateur ou le prédicteur le plus efficace de la capacité des gens de profiter de la croissance économique est l'ampleur de la répartition équitable de la richesse, ou de l'égalité relative de la répartition du revenu, comme condition préalable de l'accord commercial. Cela, toutefois, est une contrainte très importante en ce qui concerne la ZLEA, parce que l'Amérique latine est, malheureusement, le leader mondial en matière d'inégalité de la répartition.
Il y a plus de 200 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté en Amérique latine et dans les Antilles aujourd'hui. Un exemple de l'échec de la libéralisation à faire baisser la pauvreté est, évidemment, le Mexique sous l'ALENA. Le taux de pauvreté est passé de 50 p. 100 en 1986 à 66 p. 100 en 1994 au moment où le Mexique s'est préparé à joindre l'ALENA. La pauvreté a continué à augmenter après l'ALENA, parallèlement à la croissance économique et à l'augmentation régulière des investissements.
• 0920
Le nombre d'indigents, les plus miséreux—il s'agit de la
catégorie «un dollar ou moins par jour»—a bondi dans la période
post-ALENA au Mexique de 17 millions dans la décennie chevauchant
la période de l'ALENA à 17 millions d'indigents en 1988, ou à
20 p. 100 de la population, à 26 millions en 1998, ou 35 p. 100 de
la population—une augmentation terrible de l'intensité de la
pauvreté dans la région.
Nous pensons qu'il y a ici à l'oeuvre une sorte de principe de la négligence, que je décris comme une sorte de principe de prudence de la société civile. Le principe de la négligence est le suivant: lorsque les négociateurs commerciaux concluent des arrangements qui ne tiennent pas compte des gens et des pauvres, ceux-ci, dans leur application, les pénaliseront. C'est notre règle.
Il y a, malheureusement, de nombreux exemples de ceci à l'échelle mondiale et dans les Amériques. Je vais commenter trois exemples: l'agriculture, les droits de l'homme et la capacité du gouvernement de représenter l'intérêt public. Je ferai ensuite des observations sur le processus de l'ALENA.
L'agriculture est évidemment un secteur clé, d'abord du point de vue de la sécurité alimentaire. Deuxièmement, dans les pays à faible revenu dans le monde, l'agriculture fournit un gagne-pain à 70 ou 80 p. 100 de la population, et elle est donc terriblement stratégique. Une étude de la FAO en 1999 portant sur 14 pays en développement a montré que, après le Cycle d'Uruguay, la quasi-totalité de ces pays ont vu la valeur des produits agricoles cultivés chez eux diminuer face aux importations venant du Nord; les exportations sont restées virtuellement stables; de la pauvreté a été créée; et il y a eu marginalisation et déplacement de petits producteurs.
Pensons au Mexique, plus près de chez nous. Dans la période post-ALENA, trois millions de cultivateurs de maïs ont subi une réduction de près de 50 p. 100 de la valeur de leur culture. Résultat, entre 700 000 et 800 000 producteurs de maïs ont été marginalisés, et c'est une histoire qui n'est pas terminée.
Un autre exemple moins «olympien», si vous me passez l'expression, mais tout aussi révélateur, s'est produit en Jamaïque, où 3 000 producteurs laitiers ont été écartés par des importations de lait en poudre subventionné venant de l'Union européenne. Ironiquement, l'UE est un leader mondial en prix de poudre de lait, même si le prix du lait à la ferme en Europe compte parmi les plus élevés au monde. Cet affrontement entre l'économie d'exportation fortement subventionnée de l'Europe et l'économie de la Jamaïque a fait qu'un demi-million de litres de lait cru ont été déversés sur le sol en Jamaïque en 1999.
Pensons un instant aux droits de l'homme. Dans le secteur du commerce et des droits de l'homme reliés au marché, il y a beaucoup de choses de problématique issues de ces arrangements, plus que l'exemple évident du million de travailleurs mexicains dans les tristement célèbres maquiladoras du Mexique. Il n'y a pas un seul syndicat indépendant qui fonctionne après des dizaines d'années de présence dans la région. C'est évidemment à cause d'un arrangement très conscient et très précis en vue d'exclure ces syndicats.
Dans l'ensemble des Amériques, toutefois, vous pouvez oublier les syndicats ou même un emploi officiel. La plupart des travailleurs se retrouvent dans l'économie officieuse: 85 emplois sur 100 dans les Amériques sont créés dans le secteur officieux, dans le marché gris—avec une économie si micro qu'elle n'est guère mesurable.
Si vous avez la chance de vous retrouver dans le secteur officiel, alors vous faites face à ce qu'on a appelé la flexibilisation qui rend la syndicalisation encore plus précaire, gruge les avantages et les garanties sociales et affaiblit les lois de la santé et de la sécurité. Cela est en cours de la façon la plus évidente en Argentine, en Colombie, en Équateur, au Pérou et au Chili.
Pensons un peu à la capacité du gouvernement de représenter l'intérêt public, dans le contexte du cadre qui est créé par les restrictions incorporées dans les accords commerciaux.
• 0925
Au Brésil, depuis 1996, il y a des lois qui garantissent la
production de médicaments anti-rétroviraux génériques pour le
traitement des malades du VIH/sida, qui ont sauvé un nombre
innombrable de vies. Cette politique et l'activité qui en découle
sont censées avoir réduit le nombre de morts attribuables au sida
de 50 p. 100 depuis 1996—50 p. 100. Financièrement, on estime
avoir économisé 442 millions de dollars entre 1997 et 1999 en frais
d'hospitalisation et autres coûts médicaux connexes.
Je vous invite à mettre ceci dans le contexte des impératifs budgétaires d'un pays en développement - 442 millions de dollars. Cela représente plus ou moins 20 p. 100 de l'aide internationale mondiale annuelle du Canada—une décision dans un secteur dans un pays qui concerne une activité, plus ou moins 20 p. 100 de l'aide internationale globale du Canada.
Mais évidemment cela est menacé, à cause des droits de propriété intellectuelle, à cause des mesures ADPIC. Les États-Unis ont déposé une plainte à l'OMC pour mettre fin à la production de médicaments génériques du Brésil. Cela ne réjouira en rien les habitants du Brésil ou ceux de l'est de la région de savoir que la ZLEA est dans chaque cas «OMC plus».
En général, il y a eu une évolution des accords commerciaux. Ils ont commencé autour des questions frontalières, des droits de douane et des subventions aux exportations, ce genre de choses, puis ont migré de façon très importante jusqu'à ce qu'ils atteignent leur forme actuelle. Aujourd'hui nous voyons des négociations émerger autour de services et investissements, des choses comme le traitement national, les droits de propriété intellectuelle, qui touchent toutes sortes de secteurs de participation dans les économies—les télécommunications, les services postaux, l'hydro, les services financiers, la santé publique et l'éducation, la politique sur les ressources. Quoi que ce soit, ça y est.
Cela signifie qu'il y a une sorte d'englobement qui aspire des clientèles de plus en plus vastes. Ce sont des gens qui sont sans doute touchés par ces décisions mais qui eux-mêmes ont peu de chance d'avoir accès au processus décisionnel ou à la table de négociation.
Et c'est, finalement, au bout du compte, ce que vous voyez au Québec. Il y a les gens qui viennent de plusieurs groupes—les syndicats, les organisations de femmes, les Autochtones, les agriculteurs et d'autres—et de l'autre côté, une participation soigneusement invitée, facilitée, des milieux d'affaires au Forum des affaires des Amériques. Cela est différent de la société civile qui, malgré une participation active au processus depuis 1994 par ses tentatives de créer et offrir un contenu consultatif, a été rejetée du revers de la main.
Cette bande est-elle une bande anticommerce extérieur? Elle ne l'est pas. Presque partout dans le monde on estime que le commerce extérieur peut être un moteur puissant de développement et de réduction de la pauvreté, mais pour qu'il en soit ainsi, il doit brancher les arrangements commerciaux et les impératifs de développement.
Il faut tenir compte des impacts sur le développement et des effets sociaux. Il faut nous occuper de la dette. Il y a neuf pays en développement à faible revenu dans l'hémisphère. Quatre d'entre eux sont des pays pauvres très endettés, les PPTE. Il faut permettre des initiatives publiques et coopératives, des offices de commercialisation, des exigences de rendement à propos des investissements pour être capable de lancer des stratégies et des politiques de développement régional.
Ces choses, évidemment, étaient essentielles pour le Canada dans son propre développement; ce sont les outils et les instruments de base pour promouvoir l'intérêt public et assurer une économie développée au Canada. Mais ils sont impossibles, restreints, interdits dans le contexte de la ZLEA. Ici, la bonne image, c'est celle de quelqu'un qui grimpe l'échelle jusqu'au deuxième étage et puis qui repousse l'échelle après y être monté. Et c'est tout. Maintenant, il y a un nouvel arrangement: plus d'échelles.
• 0930
Je suis conscient que j'arrive à la fin de mon temps, mais
nous avons des recommandations. S'il y avait des accords
commerciaux qui n'excluaient pas ce genre de choses, ils
incluraient sans doute des choses comme reconnaître le principe de
sécurité alimentaire comme idée centrale et autoriser des mesures
pour soutenir les petits agriculteurs; quant aux droits de
propriété intellectuelle, une importante révision est nécessaire de
toute évidence.
Il est paradoxal et intéressant de constater que, à bien des égards, les arrangements de libre-échange portent sur l'assouplissement et l'élimination des restrictions. S'agissant des droits de propriété intellectuelle et des intérêts des très grandes sociétés pharmaceutiques et autres, l'objectif est d'imposer des contraintes et des restrictions; c'est ce que nous voyons là, ainsi que—je pense qu'on a raison de le dire—l'appropriation de la connaissance publique.
En ce qui concerne les investissements, j'ai déjà parlé des exigences de rendement.
Du côté du processus, nous devons faire des observations fondamentales. L'histoire globale de la négociation concernant la zone de libre-échange des Amériques est une histoire d'exclusion et d'accès inégal et d'absence de transparence. Comme je l'ai dit plus tôt, il y a eu cette participation choyée, soigneusement cultivée, invitée et appuyée des milieux d'affaires et du forum des entreprises des Amériques, et, de l'autre côté, une porte absolument close pour la société civile.
On peut soutenir qu'il y a eu des failles ici, qu'il commence à y avoir une sorte de perméabilité dans le processus et une certaine écoute. À cela nous dirons qu'il est grand temps et que c'est largement insuffisant.
Il faut aussi une correction sur la scène nationale. Il faut faire observer que les Canadiens croient presque tous qu'un minimum de bonne gouvernance exige l'examen régulier et systématique du budget national et des débats parlementaires sur le sujet. Pourquoi? Parce que c'est important de façon généralisée pour toutes sortes de Canadiens dans toutes sortes de circonstances.
Cela n'est pas moins vrai pour le programme multilatéral du Canada, et pourtant nous n'avons rien qui ressemble à un débat autour de cela. Il devrait y avoir un examen régulier et un débat parlementaire du programme multilatéral du Canada.
Il y a d'autres choses que je peux dire, mais je sais que Mme Beaumier commence à être mal à l'aise. Je vais m'arrêter ici.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci, même si j'ai beaucoup aimé ça.
Monsieur Pilon, s'il vous plaît.
[Français]
M. Robert Pilon (vice-président exécutif, Coalition pour la diversité culturelle): Je vous remercie.
J'aimerais d'abord remercier les membres du comité de nous avoir invités à comparaître devant eux ce matin.
La Coalition pour la diversité culturelle regroupe 30 associations professionnelles formées de personnes provenant du monde de la culture partout au Canada et représentant aussi bien les artistes que les producteurs, les écrivains et les éditeurs.
Dans la petite pochette qu'on vous a remise, vous trouverez la liste des membres de la coalition de même que la déclaration de principes de la coalition, un communiqué de presse que nous avons émis la semaine dernière concernant les négociations à l'OMC et le mémoire que nous vous présentons ce matin.
La Coalition pour la diversité culturelle n'est pas, bien sûr, opposée aux échanges internationaux dans le domaine de la culture. Que ce soit ici, au Canada, ou ailleurs dans le monde, tous les artistes et les créateurs souhaitent évidemment la plus large diffusion possible, y compris la diffusion internationale de leurs oeuvres et de leurs créations. Le problème n'est pas là. Le problème en est un d'équilibre, et c'est ce dont je veux vous entretenir ce matin.
La culture et le commerce international, c'est un débat qui n'est pas nouveau. On l'a connu amplement ici, au Canada, à la fin des années 1980, au moment de la négociation du premier accord de libre-échange avec les Américains. On l'a connu de nouveau, à la fin de la négociation de l'Uruguay Round en 1993-1994, avec tout le débat sur l'exception culturelle qui a été très vif à l'époque. On l'a connu à nouveau, en 1998, au moment des négociations de l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement.
Que ça nous plaise ou non, ça recommence malheureusement, d'une certaine façon. Paradoxalement, ceux qui relancent le débat, ce sont nos voisins, les Américains. Les journaux en ont peu parlé, malheureusement. Le gouvernement américain a déposé des propositions, tant à la table de négociation de l'OMC qu'à la table de négociation de la ZLEA. Elles ont été déposées à l'OMC au mois de décembre et à la ZLEA l'automne dernier, mais elles ont été rendues publiques seulement au mois de janvier.
• 0935
Dans les deux
cas, l'administration américaine—pour
employer une expression courante—remet
la culture sur la table des négociations. Alors que la
culture avait été retirée de la table des négociations
au moment des négociations de l'OMC et du GATT en 1993,
l'administration américaine revient à la charge. Avec
ces propositions-là, elle veut soumettre le
domaine de la culture et les politiques culturelles aux
contraintes, aux disciplines, aux règles usuelles
qu'on trouve
dans les accords de commerce internationaux
comme le traitement national, l'accès au
marché et la clause de la nation la plus
favorisée. Les Américains proposent que les biens et
services culturels soient soumis grosso modo, à
quelques exceptions près, aux mêmes règles qu'un stylo,
une montre ou une pièce d'automobile, qu'ils
soient considérés une marchandise comme les autres.
Alors, on en est maintenant à un moment charnière. Les négociations ont commencé à l'OMC, contrairement à ce qu'on pense, malgré l'échec de Seattle. Dans le domaine des services, les négociations se déroulent depuis le mois de février dernier. Il y a eu plusieurs réunions, dont une réunion extrêmement importante la semaine dernière, du 28 au 30 mars. On n'en connaît pas les résultats encore. Malheureusement, le processus est assez peu transparent.
Du côté de la ZLEA, je pense que tout le monde est maintenant au courant de la réunion extrêmement importante des 34 ministres du Commerce international qui se déroulera à Buenos Aires à la fin de cette semaine-ci. Notre ministre, M. Pettigrew, sera présent. On y parlera d'enjeux importants par rapport à la zone de libre-échange. Si je comprends bien, ce qui va se passer à Québec dépend de ce qui va se passer à Buenos Aires. S'il s'en passe moins à Buenos Aires, il va s'en passer moins à Québec.
Tout le monde parle du Sommet du Québec, surtout à cause des manifestations, mais on devrait peut-être accorder plus d'importance à ce qui se passe à Buenos Aires cette semaine. Pour ce qui est du commerce, j'ai l'impression que c'est vraiment à Buenos Aires que les choses vont se discuter, peut-être encore plus qu'à Québec.
Grosso modo, je voudrais simplement—évidemment, c'est un document d'une quinzaine de pages—reprendre les grandes lignes de notre déclaration de principes.
Dans le fond, le débat porte sur la question de savoir si les biens et services culturels tels qu'un film, un livre, un disque, une pièce de théâtre ou une émission de télévision sont des biens ou des services comme n'importe quels autres. Si la réponse à cette question-là est «oui», bien sûr, il faudra, à ce moment-là, soumettre les biens et services culturels aux règles auxquelles les autres marchandises sont soumises. Si la réponse est «non», à ce moment-là, je pense que l'échange et la production des biens et services culturels ne doivent pas être soumis aux mêmes règles que les autres biens et services.
Nos voisins américains prétendent qu'un film, un livre, un disque, ce sont des marchandises comme les autres. Est-ce qu'on devrait être surpris de cela? Absolument pas! D'une certaine façon, si on était à leur place, on ferait exactement la même chose. Il faut comprendre que l'industrie de l'entertainment aux États-Unis est une industrie gigantesque, considérable. Depuis trois ou quatre ans maintenant, c'est leur principal secteur d'exportation. Il y a trois ou quatre ans, les revenus de l'exportation de l'entertainment ont dépassé ceux de l'aéronautique.
Dans la plupart des secteurs, les recettes de l'exportation sont maintenant plus importantes que les recettes du marché domestique, notamment dans le cas de toute la production de Hollywood. Je pense que maintenant, sur les revenus totaux de la production d'Hollywood, il y en a près de 60 p. 100 qui proviennent des marchés étrangers, le reste... [Note de la rédaction: inaudible]
On avait l'habitude de dire, il y a 15 ans, que les Américains rentabilisaient leurs films sur leur marché domestique et que le reste était, si vous me permettez une expression un peu courante, du gravy. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Aujourd'hui, pour les majors de Hollywood, les recettes en provenance des marchés étrangers tels le Canada, la France, le Pérou et la Corée sont une composante essentielle de la structure de production de leur économie. Alors, ils défendent leurs intérêts. On n'a pas à s'étonner de cela, ni même à s'en scandaliser.
Il faut que nous et les autres pays qui ne partagent pas le même point de vue nous interrogions quant à savoir quels sont nos intérêts à nous, nos intérêts économiques, bien sûr, mais aussi nos intérêts politiques. Si les Américains considèrent que les biens et services culturels sont des marchandises comme les autres, est-ce que nous partageons leur pensée? C'est ça, la question qu'il faut que nous nous posions.
Donc, nous sommes immédiatement amenés à nous demander, dans le fond, quel rôle jouent un film, un livre, un disque, une émission de télévision, une pièce de théâtre dans notre société.
• 0940
Est-il
important pour nous, au Canada, d'avoir des artistes
canadiens qui écrivent des pièces de théâtre, des émissions
de télévision, des chansons, des films, ou cela est-il sans
importance? Je pense que c'est la question fondamentale
qu'il faut se poser. Nous, de la coalition, pensons que les
biens et services culturels jouent un rôle social fondamental.
Pensez-y deux secondes. On se lève chaque matin et durant toute la journée, pour ainsi dire, on est accompagné par la musique, le souvenir d'un livre qu'on a lu la veille, une émission de télévision qu'on a vue, un film qu'on veut aller voir la fin de semaine qui vient parce que nos amis nous en ont parlé. Les biens et services culturels accompagnent notre vie quotidienne continuellement. Ils jouent un rôle essentiel. Ils nous aident à vivre, à comprendre la réalité, à partager des problèmes, des défis, des joies avec nos concitoyens.
Essayez d'imaginer votre vie quotidienne sans aucune culture, ou uniquement sous l'influence d'une culture étrangère. Non pas que la culture étrangère n'est pas importante, non pas qu'elle n'est pas bonne. La question n'est pas là. La question est plutôt: pourrait-on imaginer notre vie sans que les artistes canadiens ou québécois nous parlent, nous donnent leur vision du monde, leur interprétation du monde, parfois même nous défient avec des idées nouvelles, contestent l'ordre établi, nous aident à développer de nouveaux consensus sociaux, à intégrer de nouveaux problèmes, y compris la mondialisation?
La coalition pense que les biens et services culturels jouent un rôle social fondamental. Elle croit également important que soit offerte aux citoyens de toutes les communautés, que ce soit au Canada ou à l'étranger, une large diversité. La notion même de culture est tout à fait contraire à la notion d'homogénéité culturelle. On ne peut pas penser et parler sérieusement de culture si on ne parle pas en même temps de diversité culturelle.
Si le rôle fondamental de la culture est de nous aider à comprendre, à vivre la réalité sociale, et que la réalité sociale est infiniment complexe et les groupes sociaux de plus en plus complexes et divers, il est important que la culture soit elle-même diverse pour être en mesure de s'adresser à toutes les composantes de la société, pour pouvoir refléter tous les problèmes sociaux, les défis, y compris toutes les choses positives aussi. Cette diversité est donc importante. On ne peut pas imaginer que la culture puisse jouer son rôle dans la société si la seule chose à laquelle on a accès, c'est une dizaine de films par année, sept ou huit livres et trois ou quatre disques. On a besoin d'une vaste diversité, d'une offre culturelle qui soit vaste et diversifiée.
Qu'est-ce que cela veut dire fondamentalement? Prenons par exemple le cinéma canadien. Au Canada, les films canadiens occupent en moyenne 2 p. 100 de la part du marché et, au Québec, 5 ou 6 p. 100. Quelque 98 p. 100 des films au Canada sont des films d'origine étrangère. Je ne dis pas que ce ne sont pas de bons films. La question n'est pas là. La question en est une d'équilibre. Est-ce que le rapport 2 p. 100-98 p. 100 est équilibré? Peut-on penser que la réalité d'ici est reflétée dans le cinéma canadien lorsque seulement 2 p. 100 du temps-écran est occupé par les films canadiens?
D'autre part, alors qu'il apparaît important que les citoyens canadiens aient accès à ce qui se passe un peu partout à travers le monde et aient la possibilité de le comprendre, surtout à l'heure de la mondialisation, presque 95 p. 100 des 98 p. 100 de films étrangers sont des films américains. Les Canadiens ont très peu accès au cinéma qui vient d'Espagne, d'Italie, de Chine ou de tous les autres pays.
On dit souvent que la coalition a une attitude protectionniste. Absolument pas. La coalition souhaite que soit rendue disponible aux citoyens la plus large diversité possible; et la plus large diversité, selon mon exemple du cinéma, ce n'est sûrement pas une situation où 2 p. 100 du marché est canadien et 98 p. 100, américain. Ce n'est pas ça, la diversité. La diversité, c'est un pourcentage plus important de films canadiens, et là, on ne sera pas mécanique. Il ne s'agit pas de dire que la diversité sera atteinte le jour où le cinéma canadien occupera 50,1 p. 100 du temps-écran. Il y a des pays où c'est 30 p. 100, 20 p. 100, 50 p. 100, 60 p. 100. Cela varie selon les époques, la créativité des artistes et plusieurs autres facteurs.
• 0945
Une chose est claire: le rapport 2 p. 100-98 p. 100
n'est pas un rapport d'équilibre; ce n'est pas la
diversité culturelle. Et c'est la même chose pour
les autres.
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je m'excuse de vous interrompre, mais je remarque que vous êtes à la page 5 de 12 pages.
M. Robert Pilon: Je vais accélérer.
Le président: Vous avez déjà dépassé largement votre temps. Donc, je commence à être un peu inquiet.
M. Robert Pilon: Vous me donnez trois minutes, monsieur Graham, et je vais terminer.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Le premier a aussi dépassé largement son temps. Et ils ne sont pas quatre, mais trois.
Le président: Mais on en est à 12 minutes et on est à la page 5 de 12 pages. Donc, ça veut dire qu'il va prendre 25 minutes pour terminer. C'est pour cela que je fais un peu de...
M. Robert Pilon: D'accord. Je vous remercie de la mise en garde, monsieur le président.
Le président: Le signal.
M. Robert Pilon: Je vais essayer d'accélérer.
Donc, le rôle important de la culture, qui fait qu'on ne peut pas la traiter comme une autre marchandise, consiste à offrir aux citoyens une diversité de produits, de services culturels, tant locaux qu'étrangers. Comment réussir cela? C'est là que les politiques culturelles sont fondamentales. Plus le pays est petit—et le Canada, avec sa population de 30 millions d'habitants, n'est pas un immense pays—, plus les politiques culturelles vont jouer un rôle important. Non pas que l'État doit se substituer aux producteurs, aux créateurs. Ce n'est pas du tout ça. L'État est là pour appuyer et contrebalancer les déséquilibres que le marché lui-même ne peut pas régler. Si on laissait entièrement au marché le rôle de développer l'offre de produits culturels, on n'aboutirait pas à une offre culturelle diversifiée. Les politiques culturelles sont là pour appuyer l'action des artistes, des producteurs, des écrivains et des éditeurs.
Et cela est encore plus vrai à l'époque de la mondialisation. Voici deux exemples de déséquilibre qu'on retrouve dans le marché: le chiffre moyen des grands producteurs de disques équivaut à 5 milliards de dollars et plus par année, alors que le chiffre moyen des producteurs de disques canadiens, sous contrôle canadien, les PME canadiennes, équivaut à moins de 1 million de dollars, et l'écart s'accroît à chaque année. Évidemment, la mondialisation entraîne ce type d'écart et l'amène à s'élargir.
Dans le secteur du film, le budget moyen de production d'un film au Canada équivaut à moins de 3 millions de dollars. Le budget moyen d'une production de Hollywood équivaut à 55 millions de dollars—celui-ci a doublé au cours des 10 dernières années—plus 27 millions de dollars en marketing. Donc, le budget moyen de la centaine de films que produit chaque année Hollywood équivaut à 82 millions de dollars.
Sans l'aide, sans le soutien financier, sans les mesures comme les quotas, les règles de propriété et nos politiques culturelles, on n'est pas—si vous me permettez l'expression—dans la game du tout. Le Canada a mis en place de telles mesures et est perçu comme un modèle au niveau des politiques culturelles, imité un peu partout dans le monde. Le CRTC, par exemple, a été imité par plusieurs pays, notamment l'Afrique du Sud récemment, et d'autres pays. Ces mesures sont contestées par nos voisins américains, entre autres. Essentiellement, nos voisins américains invoquent que nos politiques culturelles sont discriminatoires, qu'elles sont contraires aux règles usuelles des accords commerciaux internationaux, parce qu'elles viennent restreindre l'accès au marché.
Je vous donne l'exemple des quotas de chansons. Au Canada, en ce qui a trait aux postes de radio, il existe un quota de contenu canadien de 35 p. 100 et, pour les stations francophones, un quota de 65 p. 100 de chansons francophones. C'est un dossier que je connais bien. Certains d'entre vous savent que j'ai travaillé pendant plus de 10 ans à l'ADISQ. Les Américains publient à chaque année un compendium de 450 pages, une liste de toutes les politiques commerciales qu'ils estiment discriminatoires. Ce compendium a paru vendredi dernier. Vous pouvez le trouver sur le site Internet du ministère américain concerné. Si vous regardez dans le chapitre portant sur le Canada, vous constaterez que nos quotas radio sont dénoncés par les Américains comme étant une mesure discriminatoire—et il y en a quatre pages—, de la même façon qu'ils dénoncent telle ou telle mesure au Brésil, en Corée, en France, en Italie, par exemple au niveau des quotas de télévision, etc. Il n'y a rien de surprenant là-dedans. Pour eux, ces politiques restreignent leur accès au marché canadien, au marché italien, au marché français, au marché coréen. Donc, quand on dit qu'ils remettent la culture sur la table, c'est qu'ils veulent qu'on soumette nos politiques culturelles aux règles du commerce international. Si on accepte ça, la plupart de nos politiques culturelles seront démantelées parce qu'on les trouvera contraires à la philosophie et aux règles habituelles des traités de commerce.
• 0950
Je vais conclure en parlant des événements récents. Je vous
ai dit que des réunions importantes ont lieu
ce printemps: la semaine dernière à
Genève, cette semaine à Buenos Aires et ensuite
à Québec.
Le gouvernement canadien a adopté des positions de principes que la coalition considère excellentes. On les rappelle à la page 10 de notre mémoire. C'est à la page 9 dans la version anglaise, je crois. Du côté de l'OMC, le gouvernement canadien a dit que d'ici au développement du nouveau traité international sur la diversité culturelle—et je pourrais en parler davantage en réponse à vos questions tantôt—, le Canada ne prendra aucun engagement qui restreindrait sa marge de manoeuvre au niveau des politiques culturelles à l'OMC.
Du côté de la ZLEA, il y a quelque chose d'extrêmement intéressant qui a été fait. Le Canada a proposé, l'automne passé, un projet de texte de préambule pour le futur traité de la ZLEA, et dans ce projet de texte de préambule, on affirme que s'il est accepté par les autres, les 34 pays s'engageront à reconnaître qu'ils doivent conserver la capacité de préserver, développer et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles respectives dans le but de renforcer la diversité culturelle, étant donné le rôle essentiel que les produits et services culturels jouent dans l'identité. Alors, au niveau des principes, on s'entend. Ça va.
Ça va vraiment commercer à chauffer maintenant. Autant on se réjouit des positions de principes prises par le gouvernement canadien jusqu'à maintenant, autant je ne vous cacherai pas que dans les 30 associations membres de la coalition, il y a beaucoup d'anxiété, parce qu'on sait que les intérêts économiques en jeu pour nos voisins américains sont considérables. On sait les pressions qu'ils font, qu'ils sont capables de faire—on a juste à voir ce qui se passe dans le dossier du bois d'oeuvre à l'heure actuelle—, et on est soucieux, très soucieux et on presse le gouvernement de demeurer extrêmement ferme. C'est une chose que d'affirmer sur papier une position de principe; c'est une autre chose, quand le négociateur américain est assis en face, que de tenir son bout, de maintenir ses principes et de s'assurer que les clauses du traité ne viennent pas, finalement, restreindre notre capacité d'avoir une politique du film, une politique du livre, une politique de la musique. Sans ça, on sera obligés de faire une croix sur la diversité culturelle au Canada,
Je vous remercie beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Pilon.
Je donne maintenant la parole à
[Traduction]
M. Campbell du Centre canadien de politiques alternatives.
Monsieur Campbell.
M. Bruce Campbell (directeur exécutif, Centre canadien de politiques alternatives): Merci, monsieur le président et bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous ce matin.
Je n'ai pas de mémoire, mais je vous signalerai que nous avons publié cette semaine un document intitulé Inside the Fortress—What's going on at the FTAA negotiations. Cela a été fait par un de mes collègues. Il n'a pas pu se joindre à nous aujourd'hui. Il fait partie de notre bureau de la Colombie- Britannique. Si le comité compte se déplacer, je vous recommanderais de l'inviter à témoigner devant vous. J'ai ici des exemplaires de la publication que je peux remettre à la greffière après la séance.
En un certain sens, on ne peut que faire des conjectures sur les négociations, sans avoir vu le projet de texte, mais en revanche nous savons que l'Accord de libre-échange des Amériques ne se démarquera pas beaucoup de l'ALENA. L'ALENA, c'est le gabarit. Ses grands principes et dispositions seront repris dans le texte définitif de l'ALEA, s'il y en a un. Ces conjectures ne sont donc pas très risquées.
D'entrée de jeu, même si ce n'est pas l'essentiel de mon propos, je tiens à dire que je partage les réserves exprimées par beaucoup de ceux qui sont venus témoigner ici avec éloquence et qui craignent pour la démocratie. Ces considérations occupent une large place dans les médias aujourd'hui.
Je veux plutôt m'attarder sur un autre thème qui retient l'attention, à savoir l'emploi et le revenu.
• 0955
L'ALENA et l'accord qui l'a précédé existent depuis 12 ans.
Nous pouvons évaluer ses conséquences et déterminer si nous voulons
le prolonger et le renégocier sous forme d'ALEA ou si nous voulons
le réformer en profondeur ou même dénoncer l'ALENA.
Parlons d'abord de la négociation de l'ALEA. Hormis le fait que le gouvernement semble idéologiquement attaché à conclure une entente qui, à la manière d'Équipe Canada, ouvre des débouchés pour les exportateurs et les investisseurs canadiens, je ne suis pas sûr qu'il y va de l'intérêt national.
Moins de 1 p. 100 des échanges du Canada se font avec l'Amérique latine et les Antilles. Le gros de nos exportations, comme vous le savez, va vers les États-Unis. La situation n'est pas très différente en ce qui concerne les investissements.
En ce qui concerne le rapport de force, la dynamique de la négociation ici est presque aussi bancale qu'elle l'était dans le cas de l'ALENA. L'économie américaine représente trois fois et demie celle de l'ensemble des économies des 33 pays de l'hémisphère. Je pose donc la question: le gouvernement s'attend-il à un meilleur résultat à l'issue des négociations de l'ALEA que cela n'a été le cas la dernière fois pour l'ALENA?
Obtiendrons-nous une meilleure entente sur les règles concernant les droits compensateurs et les mesures antidumping américaines pour empêcher une autre catastrophe sur le bois d'oeuvre? Non. Une meilleure entente sur la propriété intellectuelle qui établira un équilibre entre les bénéfices des entreprises et l'intérêt public? Non. Des accords parallèles efficaces sur l'environnement et la main-d'oeuvre pour contrer la pression à la baisse sur les salaires et les normes? Non. Ils seront peut-être moins efficaces par rapport à ce que nous avons maintenant, si même il y en a.
Une exemption efficace pour la culture? Peu vraisemblable. Une exemption sociale pour protéger les soins de santé publique et l'éducation contre la privatisation? Sans doute pas. Un assouplissement ou mieux encore l'élimination des mécanismes de règlement des différends entre un investisseur et l'État d'accueil pour que les entreprises ne puissent pas s'en prendre à la réglementation environnementale et autre qui sert l'intérêt public? Il y aura bien un peu de rafistolage, mais je n'espérerais pas grand-chose. Répondra-t-on aux voeux des défenseurs des droits de l'homme pour que les conventions internationales ou de l'hémisphère relatives à ces droits ne soient pas flouées par les dispositions relatives aux droits des entreprises dans l'ALEA? N'y comptez pas.
Les États-Unis ont déjà pris pour cible cette fois-ci l'agriculture canadienne, à offre réglementée, la Commission canadienne du blé, les sociétés d'État, et souhaitent l'expansion et la déréglementation accrue du marché nord-américain de l'énergie, du secteur culturel, et réclament un vaste éventail de concessions concernant les services, y compris un meilleur accès pour les entreprises américaines de la santé.
Il me semble donc qu'il y a peu à gagner et beaucoup à perdre. Je repose la question: Qu'est-ce que le gouvernement veut tirer de cette entente et à quoi est-il prêt à renoncer pour obtenir un marché?
Je vais maintenant parler des conséquences de l'ALENA pour l'emploi et les revenus, comme modèle de l'ALEA. Je vais énumérer un certain nombre de faits qui ont défini l'ère du libre-échange jusqu'à présent.
Les échanges canado-américains, les importations et les exportations, ont connu une augmentation massive. Les exportations représentent aujourd'hui près de la moitié de la production du secteur commercial alors qu'elles n'en représentaient que le tiers en 1988. Les importations ont progressé encore plus rapidement, de moins du tiers à plus de la moitié de la production du secteur commercial. La concentration des échanges avec les États-Unis s'est encore accrue. Les investissements transfrontières ont aussi progressé rapidement dans les deux sens.
La croissance économique et le revenu par habitant dans les années 90 ont connu leur pire performance de toutes les décennies qui ont suivi les années 30. La situation ne s'est améliorée que ces dernières années. Le chômage moyen dans les années 90 a été plus élevé que pendant toute autre décennie depuis les années 30. Globalement, l'inégalité des revenus s'est accentuée dans la deuxième moitié des années 90, pour la première fois dans l'après- guerre. La situation de l'emploi industriel, durement touchée par la restructuration et l'austérité de la politique monétaire au début des années 90, n'avait toujours pas retrouvé à la fin de la décennie son niveau de 1989.
• 1000
Quel a été le rôle de l'ALENA dans tout cela? Je n'entrerai
pas dans la dynamique des conséquences de l'ALENA pour l'emploi et
les revenus; il me faudrait beaucoup plus de temps. Je dirai
seulement que l'idée reçue chez les libre-échangistes, si tant est
qu'ils reconnaissent la dure réalité économique que nous avons
connue, c'est qu'elle aurait été bien pire sans l'ALENA. L'essor
des exportations, soutiennent-ils, a créé des emplois qui ont
compensé en partie les suppressions d'emploi ailleurs.
J'ai récemment fourni une analyse canadienne à une publication prochaine du Economic Policy Institute de Washington. On retrouve un point de vue venant de chacun des signataires de l'ALENA, pour une période de sept ans, et dans notre cas une période de 12 ans si l'on inclut l'ALE. Le document doit paraître dans une semaine ou deux et je peux en mettre des exemplaires à la disposition du comité lorsqu'il sera publié.
Pour terminer, je veux mettre en évidence deux conclusions de cette étude. Dans la préparation de mon analyse, j'ai trouvé des faits renversants: l'expansion rapide du commerce sous le régime de l'ALENA a en fait nui à l'emploi au Canada. La cause est étonnante. Même si les exportations du secteur commercial ont progressé rapidement, les importations elles aussi ont progressé. Un effet important de cette multiplication des échanges a été l'augmentation parallèle de la composante de produits importés des exportations et une chute des éléments d'origine locale des exportations. Quel effet cela a-t-il eu sur l'emploi? Les chiffres montrent que même si l'emploi dans les secteurs exportateurs a augmenté, le nombre d'emplois déplacés ou éliminés par l'augmentation des importations a augmenté encore plus rapidement. Il y a donc eu disparition nette d'emplois. Cela va tout à fait à l'encontre des idées reçues à propos du commerce extérieur et de la création d'emplois.
L'autre élément, c'est l'effet sur les salaires et les conditions salariales à la table de négociation. J'aimerais vous communiquer les faits tirés de l'étude américaine, parce que cela s'applique au Canada, même si une étude de ce genre n'a pas été faite ici. Elle montre la façon dont les entreprises ont recouru à l'ALENA et à la menace de fermetures d'usines et de délocalisation à la table de négociation pour abaisser les salaires et en particulier pour combattre la syndicalisation.
Par exemple, l'analyse d'une centaine de campagnes de syndicalisation a révélé que des menaces ont été proférées dans les deux tiers des campagnes dans les industries «mobiles» comme la fabrication. Elle a aussi révélé que même si 51 p. 100 des campagnes de syndicalisation ont abouti dans les régions où l'employeur n'avait pas fait de menaces, le chiffre est d'à peine 32 p. 100 lorsqu'il y a eu des menaces. Voilà un exemple concret de la façon dont la pression concurrentielle engendrée par l'ALENA fait fléchir les salaires et les conditions de travail.
Pour conclure, je dirai que nous vivons en régime de libre-échange depuis un bon moment déjà et que nous devrions pouvoir répondre à la question de savoir s'il a porté fruit? A-t-il rempli la promesse, pour ceux qui s'en souviennent, faite en 1988-1989, qu'il inaugurerait une nouvelle ère de prospérité pour tous les Canadiens? Ma réponse—et je crois que c'est bien clair—c'est pas du tout. La réponse est non. Je pose donc l'autre question: à quoi les citoyens devraient-ils ajouter foi en ce qui concerne la ZLEA?
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Campbell.
J'aimerais vous poser une question. Vous nous avez donné une liste de secteurs où le Canada pourrait essayer d'obtenir un meilleur marché dans la ZLEA que dans l'ALENA. Vous nous avez donné une liste de secteurs visés par les Américains; j'ai retenu la santé, les sociétés d'État, le secteur culturel, la santé et l'éducation. La liste est-elle complète?
M. Bruce Campbell: L'agriculture.
Le président: L'agriculture.
M. Bruce Campbell: Il y a un certain nombre de secteurs dans ce groupe: le volet de l'agriculture où l'offre est réglementée, la Commission canadienne du blé.
Le président: Cela nous est utile. Cela a été une bonne façon de voir les choses. Mais où...
M. Bruce Campbell: La liste n'est pas exhaustive.
Le président: C'est ce qui me fait peur.
M. Bruce Campbell: Moi aussi.
Le président: Mais où avez-vous obtenu ces renseignements sur la position des États-Unis?
M. Bruce Campbell: Eh bien, j'ai reçu beaucoup d'informations de mes collègues qui font des travaux de recherche. Une partie de l'information se trouve dans les médias. Les représentants américains au commerce publient régulièrement des listes d'objectifs de négociation. Des déclarations sur la position de négociation ont déjà été faites par la partie américaine...
Le président: Sur le site Web USTR.
M. Bruce Campbell: Oui, là aussi.
Le président: Merci beaucoup. J'essaie d'obtenir un peu plus d'aide pour nos attachés de recherche, aussi.
M. Bruce Campbell: Oui. Je ne fais plus le genre de recherche que je faisais, et je dois donc compter sur mes collègues.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons passer aux questions.
Monsieur Obhrai.
M. Deepak Obhrai: Merci, monsieur le président.
C'était des observations fort intéressantes sur un grand éventail de sujets. On a parlé des avantages—ce que nous avons retiré de l'ALENA. On a aussi parlé de la pauvreté dans les pays du tiers monde. Il a aussi été question de diversité culturelle. L'éventail est très vaste ici et je n'aurai sans doute pas assez de temps pour vous poser des questions à tous.
Tout d'abord, je voudrais faire une observation générale à Gerry.
La plupart des contestations proviennent de groupes qui défendent des points de vue sérieux et parfaitement légitimes. Je ne veux pas discuter de ces points de vue. Tous ces gens disent que, bien qu'ils appuient le libre-échange et le commerce en général, ils trouvent que les échanges sont à blâmer parce qu'ils sont la cause de toutes les disparités.
Or, nous savons que les gouvernements des pays du tiers monde, dont vous parlez, ne disposent pas des ressources nécessaires pour faire les nombreuses choses que vous avez demandées. Cela est incontestable. La prospérité générale du pays dépend donc de l'investissement étranger. La circulation des revenus parmi les membres de la population finit, au bout du compte, par avoir un effet cumulatif qui fait progresser le pays.
Mon problème tient à ceci: vous voulez ériger des obstacles aux échanges parce que vous trouvez que tout le progrès social dont un pays a besoin doit, en quelque sorte, découler du commerce extérieur, et que les gouvernements de ces pays n'ont aucune responsabilité. Mais ces gouvernements n'ont pas d'argent; ils cherchent donc à obtenir des investissements. Cela m'amène donc à ma question au sujet de l'ALENA qui, selon vous, n'a pas été avantageux pour le Canada. Vous semblez attendre du gouvernement qu'il dépense de l'argent. Or le gouvernement n'a pas des ressources infinies; ses ressources sont limitées. La réponse générale que vous faites à tout cela, c'est que l'ALENA n'a pas été avantageux pour le Canada. Beaucoup de gens seront en désaccord avec vous.
Mais vous dites que l'économie se rééquilibre. Il y a certaines pertes, mais il y a certains gains de l'autre côté du bilan. Il y a des progrès technologiques. Il y a d'autres évolutions qui créent cette dynamique, telles que le vieillissement de la population. Or, on veut faire porter le blâme sur un seul phénomène, le commerce extérieur. Cela m'amène donc à me poser des questions.
• 1010
Je voudrais avoir vos réactions à ce que j'ai dit. N'allez pas
tout reprocher au commerce extérieur. Il y a d'autres enjeux,
d'autres points de vue. Au plan culturel, par exemple. Je vous en
parlerai lorsque j'aurai le temps.
Le président: Nous n'aurons pas beaucoup de temps parce que vous avez pris beaucoup de temps pour poser votre question.
M. Barr et M. Campbell pourraient peut-être répondre rapidement. Nous sommes censés limiter les tours de chaque député à cinq minutes. Quatre minutes sont déjà écoulées. Je vous le signale, pour que vous le sachiez. Il est difficile de respecter ces limites.
M. Gerry Barr: Ce que je tiens surtout à souligner, bien sûr, c'est que nous ne disons pas qu'à certains niveaux il n'y a aucun avantage à la croissance économique et au commerce extérieur. Ce que nous disons, c'est que les avantages de la croissance économique et du commerce extérieur sont inégalement distribués, et à l'intérieur des pays et entre eux. Il y a vraiment des disparités énormes. L'investissement dont vous parlez, par exemple, qui peut découler d'une augmentation des échanges, peut avoir pour résultat, à certains égards, d'affermir les richesses et—selon une certaine perspective—de renforcer l'économie de certains pays du Sud. En même temps, à cause des restrictions et des contraintes liées à cette augmentation des échanges, les gouvernements du Sud se trouvent amputés de certaines options.
Vous avez parlé des ressources dont disposent les gouvernements du Sud pour entreprendre des programmes de développement social et régional. Il est assez vrai que les gouvernements du Sud ont peu de fonds à leur disposition.
Ce que nous tenons à dire, c'est qu'avec la ZLEA, on échange un mal pour un autre, d'une certaine façon. On n'est peut-être plus autant à court de ressources, mais on se trouve privé de certaines options pour se lancer dans des initiatives publiques.
Le président: Voulez-vous ajouter quelque chose à cela, monsieur Campbell?
M. Bruce Campbell: Oui. Je voudrais dire une chose en réponse à votre question. Il semble que les États-Unis ont rendu publiques toutes leurs positions de négociation concernant des éléments clés de la ZLEA. Je crois que cela se trouve sur le site Web et c'est donc probablement un bon exemple à suivre pour le Canada.
Je suis un ferme partisan de l'économie mixte, de l'équilibre entre les libres marchés et la réglementation. Je crois que le modèle de l'ALENA a fait pencher la balance beaucoup trop en faveur des marchés. Du fait que l'ALENA est un traité, cette orientation est figée, et cela limite donc les choix. Cela limite les choix pour les gouvernements futurs et, dans cette perspective, c'est une érosion de la démocratie et de la capacité des parlementaires à faire des choix qui soient dans l'intérêt du développement économique et social de leur pays. Voilà le reproche général que je fais à l'ALENA.
On ne peut évidemment pas séparer l'ALENA de son contexte. Il faut l'envisager dans le cadre de toute une série de principes qui se soutiennent et se renforcent les uns les autres et dont l'effet est cumulatif.
Je dresse une liste des résultats ou des choses qui se sont produites dans l'économie canadienne au cours des années 90. Ces choses-là sont incontestées. Bien sûr, on peut discuter du lien qui existe entre elles et l'ALENA.
J'ai notamment souligné le lien entre les emplois, les importations et les exportations. Ce que j'ai dit, et je le répète, c'est que j'ai obtenu la preuve que les emplois créés par l'augmentation des exportations ont été inférieurs en nombre, au cours des années 90, aux emplois perdus du fait de l'augmentation des importations. Cela montre donc, de façon plutôt convaincante, qu'il n'y a pas eu amélioration de l'emploi du fait de l'accroissement des échanges au titre de l'ALENA. Cette information provient d'une source plutôt surprenante. Il s'agit du gouvernement du Canada.
Le président: Merci. Très intéressant.
Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Bonjour et merci pour vos trois exposés très intéressants. Comme c'est la première fois que nous avons un témoin qui nous parle de la culture, vous comprendrez que je vais surtout poser mes questions à M. Pilon.
• 1015
D'abord, j'aimerais que vous disiez, pour l'intérêt
des comptes rendus et pour les gens qui
nous écoutent ou qui nous écouteront, qui va se
présenter, monsieur Pilon, avec la coalition.
Deuxièmement, j'irai droit au but. Attendu l'extrême importance pour les gouvernements de maintenir leur capacité d'avoir des politiques culturelles, la position que vous avez développée de concert, dirais-je, avec les gouvernements qui ont aussi manifesté cet intérêt-là, c'est, d'une certaine manière, d'exclure de la manière la plus certaine les biens et services culturels des ententes. Cependant, je sais que cette façon n'est pas la même selon qu'on parle de l'Organisation mondiale du commerce, qui fonctionne sur la base d'une liste positive, qui ne s'occupe que de ce qui est expressément mentionné, alors que dans l'ALENA et, croit-on, dans la Zone de libre-échange des Amériques, la situation sera différente. Tout en fonctionnant sur la base d'une liste positive, la Zone de libre-échange des Amériques s'annonce comme une entente commerciale générale, d'où la nécessité d'avoir un autre instrument pour préserver les décisions culturelles, qui s'expriment sous formes d'exemptions et d'exclusions.
Vous exprimez, à la fin de votre mémoire, les craintes que vous avez. J'aimerais que vous nous en parliez, parce que vous avez justement dit que jusqu'ici, sur les principes, ça allait, mais que le vrai débat commençait maintenant.
M. Robert Pilon: Je vous remercie, madame Lalonde.
Je m'adresse à la greffière. Je ne sais pas s'il est possible que ce soit considéré comme une annexe à notre mémoire, mais nous avons déposé la liste des membres de la coalition. Je peux en citer quelques-uns, mais il y a 30 associations et ce serait donc un peu long. Ce sont des associations comme: l'Association of Canadian Publishers; l'Association nationale des éditeurs de livres; l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec; l'Association des distributeurs et exportateurs de films; l'Association canadienne des radiodiffuseurs; la Guilde canadienne des réalisateurs; la Writers Guild of Canada et ainsi de suite. En fait, toutes les associations clés, autant du côté des artistes créateurs que du côté des producteurs éditeurs, que ce soit sur le marché francophone ou le marché anglophone, sont membres de la coalition.
Madame Lalonde, vous soulevez des questions qui sont, effectivement, extrêmement importantes. Je sais que ce sont des dossiers qui sont parfois très techniques. On essaie d'éviter ça, mais en même temps on ne peut pas faire l'impasse complète sur les questions techniques. Effectivement, la structure des négociations à l'OMC est différente. On ne sait pas encore exactement ce que sera la structure des négociations à la ZLEA. Il faut voir ça aussi. Les Américains ont proposé une certaine structure qu'on appelle top down. On dit que le Brésil est tout à fait opposé à cela et que la position du Canada sur la structure des négociations n'est pas évidente.
Parlons un peu de l'OMC. À l'OMC, la structure des négociations sur les services dans ce qu'on appelle le GATS, ou l'AGCS, est une structure dite de liste positive ou bottom up, qui permet aux pays—ça a été le cas à la fin des négociations en 1993-1994—de dire qu'ils libéralisent tel secteur ou qu'ils ne le libéralisent pas. La grande majorité des pays, à la suite des négociations de l'Uruguay Round, ont refusé de libéraliser le domaine des services culturels et, par conséquent, ces pays ont pu préserver la plupart de leurs politiques dans le secteur des services.
En fait, un décompte effectué par un expert en 1998 disait que sur 136 pays, seulement 19 avaient pris des engagements de libéralisation. Si vous me le permettez, je vous dirai là-dessus que c'est pratique, que c'est bien, mais que c'est fragile. On a trop tendance à considérer que c'est une exception culturelle. Ce n'est pas une exception culturelle. C'en est une de facto; ce n'en est pas une de jure. Il n'y a pas une clause d'exemption ou d'exception culturelle inscrite dans l'Accord général sur le commerce des services, contrairement à ce qui existe dans l'ALENA, même si la clause n'est pas très bonne dans l'ALENA.
Alors, la stratégie des Américains, évidemment—et on va le voir là—, c'est d'y aller pays par pays. On exerce des pressions sur tel ou tel pays. Par exemple, durant les dernières années, ils ont concentré leurs pressions sur tous les nouveaux pays, les anciens pays de l'Est qui accèdent à l'OMC, la Moldavie, l'Ukraine et autres, pour les amener à prendre des engagements de libéralisation dans leur secteur de la culture. Souvent ces pays-là, relativement fragiles, ont accepté. Ils ont fait pression chaque fois qu'il y a eu accession d'un nouveau pays à l'OMC.
• 1020
Dans ces négociations-ci, on va faire pression
sur un pays à la fois. Les conséquences de ça sont
désastreuses. Je vous donne l'exemple de la
Nouvelle-Zélande.
La Nouvelle-Zélande a accepté, en 1993, de libéraliser son secteur de la culture. En Nouvelle-Zélande, il y avait des quotas de contenu néo-zélandais à la télévision. Ils ont dû renoncer à leurs quotas de contenu local à la télévision. Récemment, en Nouvelle-Zélande, ils se sont rendu compte que c'était terrible comme situation. Le gouvernement néo-zélandais envisage de remettre des quotas de contenu à la télévision et à la radio. Dans le document publié vendredi sur le site USTR dont je vous parlais plus tôt, on avertit la Nouvelle-Zélande que le fait de remettre en place des quotas de contenu en radio et télévision va à l'encontre des engagements pris à l'OMC.
Les engagements pris pays par pays, tout ça, c'est fragile. C'est pour ça que nous mettons de l'avant—c'est aussi le point de vue du gouvernement canadien et c'est appuyé par le gouvernement du Québec—un nouveau traité international en dehors des organismes de commerce international. Il s'agit du fameux nouvel instrument sur la diversité culturelle qui réglerait, une fois pour toutes, ces questions-là. Ils ne seraient pas soumis aux règles habituelles que nous trouvons dans les accords de commerce international.
Développer un nouveau traité international peut prendre de cinq à dix ans. C'est pour ça qu'entre-temps, nous devons travailler avec ce que nous avons. Par rapport à l'OMC, ça veut dire qu'il faut continuer de bénéficier au maximum de la structure de négociation qui nous permet de ne pas prendre d'engagement tout en étant conscients que les pressions seront fortes et qu'il faudra y résister.
Par rapport à la ZLEA, le comité peut jouer un rôle très important. Au-delà de la position de principe prise par le gouvernement, il y a beaucoup de «mou» par rapport à la ZLEA parce que nous avons une clause d'exemption culturelle dans l'ALENA. Ce n'est pas une clause très bonne puisqu'elle est assortie d'une clause de représailles, mais au moins nous avons ça. Que sera la ZLEA sinon, d'une certaine façon, une extension de l'ALENA? Alors, qu'est-ce qui va se passer avec la clause d'exemption culturelle de l'ALENA? Personne n'a encore répondu à cette question-là. Est-ce qu'elle sera maintenue? Est-ce qu'elle sera améliorée? Est-ce qu'elle sera détériorée? Nous ne le savons pas.
Le Canada a également signé d'autres ententes commerciales. Il en a signé avec Israël et le Chili. Dans ces ententes commerciales, il y a de véritables clauses d'exemption culturelle, qui ne sont pas assorties de clauses de représailles.
La solution idéale pour nous, à court terme, c'est-à-dire dans les quelques années qui viendront, en l'absence d'un nouveau traité international spécifique sur la diversité culturelle, semblerait être d'inclure une clause d'exemption dans la ZLEA, une clause similaire à celle que nous trouvons dans l'accord Canada-Chili. Bien sûr, nous sommes réalistes. Nous savons que ce n'est pas évident de gagner ça par rapport aux Américains. Il faut que nous examinions toutes les options possibles. Une autre option serait peut-être d'avoir, à l'intérieur de la ZLEA, une structure de négociation similaire à celle que nous avons avec l'OMC par rapport aux services, de type liste positive, qui permettrait à un pays de refuser de prendre des engagements dans tel ou tel secteur.
Il faut examiner toutes les options à l'heure actuelle, mais il faut surtout travailler à deux choses. Il faut accélérer le travail qui se fait présentement par le Canada et d'autres pays à l'échelle internationale pour mettre en place un nouveau traité international. Quant à l'OMC, ça va. C'est clair et nous savons ce que nous devons faire. Par rapport à la ZLEA, il faut faire travailler nos méninges. Les experts et les parlementaires comme vous ici auront un travail important à faire, dans les mois qui viendront, pour trouver la meilleure façon de maintenir notre droit d'avoir des politiques culturelles dans le contexte très particulier de la négociation de la ZLEA, qui est en quelque sorte une extension de l'ALENA, dans lequel il y avait une clause d'exemption culturelle, mais qui n'était cependant pas parfaite. C'est une situation complexe.
Le président: Je vous remercie, monsieur Pilon.
Monsieur O'Brien.
[Traduction]
M. Pat O'Brien: Merci, monsieur le président.
J'ai écouté les exposés avec intérêt. J'ai trois ou quatre questions. Je vais tâcher de les poser rapidement.
Monsieur Barr, je dois avouer que je trouve que vous abusez de l'hyperbole: la société civile a été rejetée du revers de la main, une porte absolument close, etc. Vous avez ensuite mis un peu d'eau dans votre vin en déclarant qu'ici et là on vous avait écoutés. Cela m'amène à ma première question. Je me demande si M. Barr est conscient du fait que le gouvernement du Canada a organisé d'assez vastes consultations de la société civile. Comme vous le savez, monsieur le président, ce comité a tenu des audiences avant les élections. Il est évident qu'il tient des audiences en ce moment même, et que les exposés provenant de groupes représentant la société civile sont prépondérants. Je me demande si M. Barr est conscient du financement par le gouvernement de la société parallèle et des consultations qui ont été organisées.
• 1025
Permettez-moi, monsieur le président, d'ajouter une
observation sur les événements d'hier et sur une chose qui me
dérange dans les interventions de la société civile. Il y avait un
groupe de gens qui voulaient pénétrer dans l'immeuble Pearson pour
«libérer le texte». Quant à moi, il s'agit d'un euphémisme pour dire
«pénétrer indûment dans un bâtiment qui n'est pas un bâtiment
public et y voler des documents gouvernementaux». C'est ainsi que
je vois les choses. Je ne pense pas que ce soit dialoguer de façon
positive que de se servir d'euphémismes et d'hyperboles. Je ne
crois pas que la société civile ait été rejetée du revers de la
main, bien au contraire. Mais j'aimerais entendre les vues de
M. Barr à ce sujet. Voilà donc ma première question.
Ma deuxième question fait suite à celle de M. Obhrai. N'existe-t-il pas des preuves considérables du fait que la mondialisation et la libéralisation des échanges ont aidé certains pays à parvenir à la démocratie? N'est-ce pas là un argument pour aider des pays tels que le Mexique, qui n'ont pas été des démocraties jusqu'à tout récemment, en tout cas pas des démocraties très saines, pour les aider donc à corriger la disparité des revenus? Je suis d'accord avec M. Obhrai. Les gouvernements nationaux ont certainement la responsabilité, du moins en partie, de corriger les problèmes de répartition des revenus au sein de leur pays. C'est là ma deuxième question.
En troisième lieu, je voudrais simplement faire une observation. J'ai récemment participé à une table ronde ministérielle au Royaume-Uni, en présence de ministres de l'UE, sur la libéralisation des échanges et les pays les moins développés. Or, ces ministres au Développement de l'UE ont été nombreux à dire que le statu quo est inacceptable et que la solution est de favoriser la libéralisation et la mondialisation des échanges tout en offrant l'aide nécessaire aux pays les moins développés et en voie de développement. La solution n'est pas de maintenir le statu quo ni de remonter le cours du temps. Il me semble que l'argument que présentent certaines personnes et certains groupes en ce sens est plutôt naïf. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
En dernier lieu, monsieur le président, je dois donner à M. Campbell la possibilité de répondre. Dit-il vraiment que le libre-échange a fait augmenter le chômage au Canada? Il dit qu'il a des preuves qui proviennent du gouvernement canadien lui-même. Je lui demande donc, à mon tour, que d'ici à la fin de la semaine, il remette cette information au comité, parce que je tiens à la voir. Si c'est vraiment ce qu'il nous dit, comment justifie-t-il que le chômage ait diminué depuis que le gouvernement actuel a pris le pouvoir, passant de 11,5 p. 100 à moins de 7 p. 100? Je ne suis pas sûr du niveau actuel du chômage, est-ce 7 p. 100? En tout cas, si je vous ai bien entendu et si le libre-échange a causé une hausse du chômage, comment expliquez-vous cette baisse plutôt considérable?
Ce sont là mes questions. Merci, monsieur le président.
Le président: Nous commencerons par M. Barr, et passerons ensuite à M. Campbell.
M. Gerry Barr: Donc deux pour moi et deux pour Bruce. Est-ce exact?
M. Pat O'Brien: Je crois que c'était trois et une, mais allez-y, peu importe.
M. Gerry Barr: Trois et une. Très bien.
Tout d'abord, pour ce qui est des consultations, sans le moindre doute, il y en a eu beaucoup, particulièrement en ce qui concerne le Canada. Ce que je tiens à vous dire...
M. Pat O'Brien: On ne vous a donc pas renvoyés du revers de la main.
M. Gerry Barr: C'est un processus qui s'est amorcé en 1994. Les représentants de la société civile se sont systématiquement présentés à des réunions de ministres ou des réunions de chefs d'État dans tout l'hémisphère pour y faire état de leurs préoccupations. Ils ont fait cela de façon tout à fait délibérée et avec un niveau considérable et systématique d'énergie. Le problème n'est pas qu'on n'a pas du tout prêté attention à leurs propos. On y a prêté attention ici et là, mais il n'y a eu aucune consultation à proprement parler. Autrement dit, la distinction tient au fait qu'il n'existe pas de dialogue véritable entre les participants. Il n'y a aucune réaction sérieuse et systématique aux propos des représentants de la société civile lorsqu'ils réussissent à placer ces propos. Il y a un blocage absolu des voies de communication systématiques qui permettraient à la société civile de participer au processus. Songeons, par exemple, au Forum des affaires des Amériques. Il s'agit d'une tribune de participation très spécialisée, qui est complètement interdite d'accès aux organismes syndicaux, gouvernementaux, de justice sociale et autres.
M. Pat O'Brien: Je dois intervenir, monsieur le président, pour plus de clarté. Parlez-vous dans le contexte canadien...
M. Gerry Barr: Nous revenons à la question du processus, et je dis qu'il y a un processus hémisphérique...
M. Pat O'Brien: Oui.
M. Gerry Barr: ... que le Canada a participé à sa conception, et qu'il y a ensuite ce qui se produit au Canada même. Du côté du Canada, je crois que les faiblesses sont les suivantes: Tout d'abord, le texte de l'accord n'est pas disponible, et cela limite considérablement les consultations qu'il est possible d'avoir. Deuxièmement, pour ce qui est de la position du Canada, seules cinq positions de négociation sur neuf ont été rendues publiques.
Pour ce qui est du financement du sommet parallèle, on en fait grand état, et cela est certainement très apprécié, je n'en doute pas. Je pense toutefois qu'il est très important que les parlementaires et leurs représentants ne surévaluent pas le niveau de participation. Après tout, à moins de me tromper, il s'agit de 200 000$ sur un budget énorme.
M. Pat O'Brien: Soit, mais je pense également...
M. Gerry Barr: C'est une participation importante, mais cela ne finance certainement pas le sommet parallèle.
M. Pat O'Brien: Mais c'est loin d'être le «revers de la main».
M. Gerry Barr: C'est contestable. Qu'est-ce que 200 000$ comparés à la liste des commandites et au plan d'achat d'accès au sommet qui a été offert aux entreprises? Si j'ai bonne mémoire, une compagnie comme Alcan, par exemple, devait payer 1,5 million de dollars pour commanditer le gala du premier ministre. Dans ce contexte, 200 000$, c'est plutôt modeste.
M. Pat O'Brien: Nous parlons de l'argent du contribuable, comparativement à l'argent du secteur privé; de toute façon...
M. Gerry Barr: Nous parlons de la vente d'un droit d'accès.
M. Pat O'Brien: Puis-je vous demander de répondre à mes autres questions?
Le président: Vous allez devoir vous dépêcher, parce que votre temps est largement dépassé. Mme Davies attend patiemment.
M. Gerry Barr: Je suis ravi de poursuivre. Est-il prouvé, de façon convaincante, que la mondialisation des échanges a aidé à favoriser la démocratie? Il existe certainement des preuves du fait que les liens entre les pays de l'hémisphère ont été utiles. J'en donne pour exemple le rôle qu'ont joué l'Organisation des États américains et, dans une certaine mesure, le Canada lors de la récente crise gouvernementale au Pérou. Sans le moindre doute, des mesures positives ont été adoptées dans ce cas-là. Cela signifie-t-il toutefois qu'il y a des preuves prépondérantes du fait que la mondialisation a permis de parvenir à la démocratie? Je réponds non. Si vous avez ces preuves, je serais ravi de les voir. Il y a certainement eu des modifications de la manière de gouverner certains pays de la région. Cela est-il attribuable à la croissance des économies et à la libéralisation du commerce? Je crois qu'il s'agit là d'une tout autre question.
Pour ce qui est du statu quo, vous parliez de...
Le président: Nous allons devoir passer à M. Campbell...
M. Gerry Barr: C'est très bien. D'accord.
Le président: ... puisque nous allons vous calculer le double du temps. Les députés établissent des limites, personne ne les respecte, et puis on se plaint auprès de la présidence à cet égard. Il s'agit d'un problème plutôt bizarre, mais...
Monsieur Campbell.
M. Bruce Campbell: Je vais m'efforcer d'être bref, même si je pourrais parler de cette question durant des heures.
En réalité, la décennie n'a pas été bonne sur le plan de l'emploi. Au cours des années 90, la politique à laquelle on doit attribuer pour l'essentiel la triste situation de l'emploi, sur le plan macroéconomique, a certainement été celle de l'austérité monétaire, tout au moins pour la première partie de la décennie. Pour la deuxième moitié, ce serait la politique des compressions budgétaires qui a été assez brutale, davantage tout au moins que dans tout autre grand pays industrialisé au cours de la période de l'après-guerre. Voilà donc les deux principales causes, mais j'estime également qu'il existe un rapport entre la politique macroéconomique et l'ALENA. Le lien n'était pas inévitable. Cependant, les décideurs avaient bien à l'esprit l'ALENA et les questions de compétitivité dans le contexte de l'ALENA lorsqu'ils ont pris leurs décisions en matière de politique monétaire et budgétaire.
• 1035
Nous savons également que le secteur de la fabrication a été
dévasté au début des années 90 et qu'il y avait interaction entre
la restructuration induite par le libre-échange et la politique
monétaire. Il y a eu depuis une reprise très lente mais, à la fin
de la décennie, l'emploi dans le secteur de la fabrication
continuait d'être inférieur à son niveau de 1989.
Ce sont les résultats d'une étude commandée par Industrie Canada qui m'ont surpris. Elle porte sur la période comprise entre 1989 et 1997. Elle n'est donc pas tout à fait à jour. Cependant, elle vise les huit années de l'ALE et de l'ALENA. Voici ce que j'ai pu constater: l'emploi, direct aussi bien qu'indirect, dans les secteurs d'exportation a augmenté, passant en 1989 de 19,6 p. 100 de l'emploi total du secteur commercial—et je veux dire par là tout sauf le secteur public—à 28,3 p. 100 en 1997. Toutefois, l'augmentation rapide des importations a déplacé ou détruit un nombre encore plus considérable d'emplois. L'effet de déplacement de l'emploi des importations s'est accru régulièrement, passant de l'équivalent de 21,1 p. 100 de l'emploi total du secteur commercial en 1989 à 32,7 p. 100 de l'emploi total de ce même secteur en 1997. Vous voudrez peut-être convertir cela en nombre absolu d'emplois, ce que j'ai fait, entre 1989 et 1997...
Le président: Combien de temps va durer votre exposé? Vous pourriez peut-être déposer le rapport.
M. Bruce Campbell: Certainement.
Le président: Nous avons déjà utilisé 12 minutes...
M. Bruce Campbell: D'accord. Il me semblait important de citer le rapport...
Le président: Vous n'êtes pas responsable. Loin de moi l'idée de le laisser entendre. C'est tout simplement que...
M. Pat O'Brien: J'aimerais qu'il soit déposé, monsieur le président.
Ma question était fort simple...
Le président: Le rapport pose problème du fait qu'il fera certainement l'objet d'une interprétation.
M. Pat O'Brien: C'est exact.
Le président: Il y a certainement quelqu'un qui va vouloir s'interroger sur le chiffre en demandant ce qui se serait passé en l'absence de l'ALENA.
M. Pat O'Brien: C'est exact. Monsieur le président...
Le président: Vous pourriez peut-être nous fournir le rapport, et ensuite les députés pourraient en traiter...
M. Pat O'Brien: Si vous me permettez de terminer à ce sujet. Je sais gré à M. Campbell d'avoir signalé dans ses commentaires que le rapport ne porte que sur la période allant jusqu'à 1997, étant donné...
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): J'aimerais invoquer le Règlement. N'a-t-il pas dépassé le temps alloué?
M. Pat O'Brien: ... que les trois meilleures années de reprise ont eu lieu depuis 1997.
Et j'aimerais proposer à Mme Davies de venir lorsque son collègue Svend Robinson est présent. Si la seule façon pour vous de poser vos questions, c'est d'avoir recours à la bonne vieille méthode Robinson qui consiste à interrompre constamment les témoins, veuillez parler à votre collègue avant de me parler à moi.
Mme Libby Davies: Ce n'est pas moi qui interromps les témoins. C'est vous qui l'avez fait, monsieur O'Brien...
M. Pat O'Brien: Je vous invite à parler à votre propre collègue M. Robinson avant de venir ici au comité nous faire la morale.
Mme Libby Davies: Je crois que vous violez les règles du...
M. Pat O'Brien: Je pense que vous devriez parler à M. Robinson.
Mme Libby Davies: Je lui parle assez régulièrement.
Le président: À l'ordre.
M. Pat O'Brien: Il est de toute évidence le plus grossier personnage que j'ai jamais vu ici au comité. Nous allons peut-être devoir nous inspirer de sa méthode, puisqu'il s'en tire toujours sans problème.
Le président: J'espère que nous n'en arriverons pas là.
Nous allons maintenant passer à Mme Davies et lui laisser nous montrer à quel point elle règle sa conduite de façon autonome.
Mme Libby Davies: Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je tiens à remercier les témoins de leur comparution. J'estime que vos exposés ont été excellents. Nous entendons tellement vanter la ZLEA qu'il importe de voir comparaître devant le comité des témoins qui sont en mesure de nous parler des vrais problèmes.
Sur le plan de la langue, tout d'abord, il m'a semblé passablement pertinent de parler de la libération du texte dans le cadre d'un exercice cherchant vraiment à obtenir une divulgation complète des objectifs visés par le Canada, supposément dans l'intérêt public. Encore sur le plan de la langue, il faut dire que le choix même de l'expression libre-échange est assez brillant au départ.
À la lumière de vos témoignages, il devient de plus en plus évident que la liberté du commerce, que ce soit dans le cadre de l'ALENA ou de l'ensemble des Amériques, comme c'est le cas maintenant, et que la libéralisation des échanges en général représentent vraiment la liberté pour les puissances que sont les entreprises. Pour elles, c'est véritablement un régime sans entrave. Cependant, pour tout le monde cela comporte un risque énorme.
J'aimerais m'attarder sur certaines des observations de M. Barr et de M. Campbell.
• 1040
Pour ce qui est de M. Barr, j'estime qu'on est loin de parler
suffisamment de la question de l'inégalité de distribution de la
richesse. Les règles du commerce, et ce d'une façon tout à fait
fondamentale, ont certainement beaucoup à voir avec la nature de
toute distribution du revenu. Pourtant, on en parle rarement. J'ai
été fort intéressée de constater d'après votre témoignage que, dans
certains pays—et je crois que vous avez parlé du Mexique tout
particulièrement—les inégalités de revenu ont augmenté et non pas
diminué. Évidemment, on pourrait en dire autant dans le cas du
Canada.
M. Campbell, pour sa part, nous livre une analyse des répercussions sur l'emploi et les conditions de travail.
On nous fait valoir constamment que de tels accords commerciaux sont inévitables, qu'ils représentent la seule voie offerte à une société. Nous sommes habitués à un climat qui s'assimile passablement au chantage en matière d'investissement. Vous avez même évoqué le cas de certaines sociétés qui exercent des pressions sur les gouvernements municipaux ou nationaux en menaçant de fermer des usines, de limiter les activités de financement, ou de cesser d'investir.
L'aspect que je tenais à aborder est celui de l'équité des échanges à l'échelle infranationale, qui comprend la sécurité alimentaire, la sécurité du revenu, la protection de l'environnement, et le contrôle démocratique. En supposant l'amorce d'un processus en ce sens, pouvez-vous citer certains des éléments qui, à votre avis, contribueraient à une forme d'échanges équitables où l'on viserait effectivement à distribuer la richesse de façon plus égale, de manière à éviter des inégalités croissantes?
J'invite les trois témoins à commenter s'ils le souhaitent.
M. Gerry Barr: Si on envisageait un accord qui tiendrait compte d'objectifs liés au développement, ce serait un accord tout à fait différent de celui sur lequel se penchent les négociateurs à l'heure actuelle dans le cadre de la ZLEA. Le principe de la sécurité alimentaire y aurait sa place. On envisagerait la gestion communautaire du savoir public et du savoir traditionnel. On aurait des mesures de rendement visant l'investissement étranger. L'accord aurait davantage l'allure d'un pacte de développement. Voilà qui serait peut-être une autre façon de voir les choses.
La vaste majorité de ceux qui critiquent l'entente ne sont pas contre l'idée même d'une entente commerciale. Ils prétendent plutôt qu'une mauvaise entente commerciale est une mauvaise chose et qu'une entente commerciale qui ne tient pas compte de la pauvreté et des objectifs de développement, notamment dans un pays où la majorité de la population est confrontée à la pauvreté, est une mauvaise chose.
Le gouvernement fait grand cas à l'heure actuelle du principe démocratique, à savoir que l'existence d'un protocole concernant le processus électoral et le transfert ordonné du pouvoir est non seulement un gage de progrès mais aussi une condition de participation à l'accord commercial. Or, pour ceux qui sont de notre côté de la clôture, si vous me permettez l'expression, je dirais que cela n'est pas sans importance, mais qu'il s'agit d'un principe démocratique nettement insuffisant. La démocratie concerne également les droits et l'affirmation de la prépondérance des droits de la personne et, selon moi, de certains protocoles visant le développement durable par rapport aux ententes commerciales, de sorte que, lorsqu'il y a conflit entre les deux, les droits de la personne prévaudront sur les règles du commerce. Le principe en jeu ici est le suivant: c'est mal de faire une loi qui ne peut être effectivement appliquée qu'en enfreignant ou contournant une autre loi.
• 1045
Voilà donc un aspect dont il nous faut absolument traiter, ce
qui n'a pas encore été fait, et de loin, dans le cadre de l'accord
commercial. Il y a encore beaucoup de pain sur la planche pour ce
qui est du principe démocratique.
Le président: Monsieur Campbell.
M. Bruce Campbell: Je suis certainement d'accord avec ce que vient de dire Gerry.
L'accord qui est envisagé est d'un type tout à fait différent. Évidemment, tout accord reflète les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir. L'ordre de priorité variera selon le cas et reflétera des rapports de force entre nations, entre sociétés, entre travailleurs et entre gouvernements—tout au moins dans le cas des gouvernements qui souhaitent intervenir.
Un grand nombre de dispositions me viennent à l'esprit par rapport à ce genre d'accord. Elles seraient nombreuses en matière de politique industrielle. Nous avons perdu la capacité d'imposer toute une série d'exigences de rendement aux investissements, de telle manière que l'investissement, qu'il soit d'origine étrangère ou nationale, puisse être adapté en fonction de l'intérêt public.
Le Pacte de l'auto illustre bien la chose. On n'autorise plus aujourd'hui ce genre de politique industrielle. Heureusement, notre secteur de l'automobile est solide et cela ne va pas nous toucher outre mesure. Cependant, pour d'autres pays qui souhaiteraient agir de la sorte, ou encore transférer des technologies de manière à assurer le développement de structures technologiques autochtones...
Au début des années 90, le gouvernement libéral souhaitait, comme condition d'approbation de l'ALENA, assurer un régime commun en matière de réglementation des subventions. Or, cela n'existe pas. Les quelque 90 États du continent rivalisent pour offrir aux entreprises les meilleures possibilités en matière de subvention...
Prenons également le domaine de la propriété intellectuelle. Je formulerais un régime de propriété intellectuelle tout à fait différent qui assurerait l'équilibre entre les intérêts des sociétés et l'intérêt public, en tenant compte de la médecine traditionnelle, etc.
Également, je formulerais un accord qui ne priverait pas les gouvernements de leurs droits de réglementer le flux de capitaux à court terme, comme ce serait le cas avec l'application, par exemple, d'une taxe Tobin. Nous savons que c'est ce que visent les États-Unis et que l'ALENA limite la capacité de réglementer les flux de capitaux de manière à combattre la fuite des capitaux, etc.
Ainsi, la liste est infinie. Pour ceux qui veulent envisager des solutions de rechange, les possibilités sont très nombreuses.
Le président: Merci.
Monsieur Patry.
[Français]
M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci, monsieur le président et merci beaucoup à nos invités de ce matin. Les énoncés des mémoires étaient excellents. J'ai deux questions pour M. Pilon et une pour M. Barr.
Monsieur Pilon, dans votre communiqué et surtout dans la conclusion de votre énoncé de ce matin, vous vous réjouissez des deux énoncés de principes du gouvernement canadien: le premier fut dévoilé en décembre dernier et le second le 14 mars, le mois passé. Vous ajoutez que vous voyez qu'il existe un souci de transparence et d'une véritable coopération actuellement avec le gouvernement canadien.
Par ailleurs, vous ajoutez, et je vous cite:
-
La Coalition tient par ailleurs à souligner l'appui
particulièrement actif et conséquent qu'a apporté le
gouvernement du Québec aux principes énoncés
ci-dessus.
Vous avez fait une liste des énoncés, et vous dites:
-
...ces énoncés de principes du gouvernement canadien
[...] rejoignent en effet pour l'essentiel, au niveau
des principes, les positions mises de l'avant par la
Coalition:
• 1050
Ma question est simple. Dans ce domaine
très spécifique, la diversité est culturelle. Selon
votre point de vue, est-ce que la position canadienne
reflète bien la position du Québec? C'est ma première
question.
Ma deuxième question va un peu dans la même veine que celle que Mme Lalonde vous a posée. Dans votre mémoire, vous dites:
-
Un large consensus se développe
à travers le monde pour appuyer le droit des États de
définir et mettre en oeuvre les politiques
culturelles, essentielles au soutien de la diversité
culturelle
Toujours dans votre mémoire, vous dites qu'il y a eu la Déclaration commune Canada-France, la Déclaration commune France-Québec, le Sommet de la Francophonie de Moncton, le Réseau international sur la politique culturelle à Oaxaca au Mexique, le Conseil de l'Union Européenne, et le Sommet Ibéroaméricain des Chefs d'États et de gouvernements. Vous les énumérez tous. À ce moment-là, compte tenu de ce consensus, vous préconisez, tel que vous l'avez mentionné, un certain accord international pour définir vraiment les principes de la diversité et consacrer le droit des États. Maintenant, ma question est simple. L'idée est bonne. Il faut aller plus loin. L'idée est très intéressante. En dehors du Canada, est-ce que vous avez des appuis? Est-ce que ça se parle dans le monde entier d'avoir une certaine idée internationale là-dessus?
[Traduction]
J'ai une question qui s'adresse à M. Barr. Lorsque vous avez pris la parole au début, vous sembliez être contre le libre- échange. C'est la première impression que vous m'avez donnée. Mais vers la fin, en répondant à une question de mon collègue, M. O'Brien, vous avez dit que cinq des neuf positions de négociation ont été présentés, et ainsi de suite.
Regardons ce qui s'est passé au Mexique dernièrement. C'est la première fois que les citoyens ont pu élire un gouvernement démocratique. Depuis le départ de Pinochet, le Chili est en plein essor sous la direction de son président élu. Ma question est très simple. Croyez-vous oui ou non que dans ces pays, c'est-à-dire le Mexique et le Chili, le libre-échange est en quelque peu responsable de la mise en place d'un bon gouvernement, de la société civile et d'une bonne démocratie? Est-ce que le libre- échange joue un rôle dans cela? Et si vous êtes convaincu que le libre-échange n'est pas une solution pour les pays pauvres, quelle est la solution que vous proposez?
[Français]
Merci.
Le président: Monsieur Pilon, s'il vous plaît.
M. Robert Pilon: Il semble bien que oui, monsieur Patry. Oui, il semble bien que Québec et Ottawa s'entendent, au niveau des principes, sur cette question-là. Je pense qu'on peut s'en réjouir. Je me souviens que Mme Maltais, l'ancienne ministre de la Culture du Québec, disait: «Nos voix s'additionnent». Elle avait dit ça dans un discours, je pense, à une conférence internationale. Je pense qu'il faut s'en réjouir.
Cela dit, je pense que c'est au gouvernement du Québec d'exprimer ses nuances. Je pense qu'il y en a. Certaines sont peut-être importantes, entre autres au niveau de la conception d'un nouveau traité international. Je n'ai pas de mémoire, mais j'ai l'impression que le gouvernement du Québec a été un peu plus précis, un peu moins ambigu sur le rôle que devrait avoir ce nouveau traité. Le gouvernement du Québec a évoqué la possibilité de l'UNESCO, mais sans prendre définitivement position.
Cette question d'un nouveau traité international est encore toute jeune, mais il nous a semblé important de le souligner parce qu'il est clair que le gouvernement du Québec, de toutes les provinces, est celui qui a un ensemble de politiques culturelles très développées dans tous les secteurs. On ne retrouve pas autant de politiques culturelles dans toutes les provinces. Je pense qu'ils ont des intérêts particuliers en jeu là, comme le gouvernement fédéral, et ils les ont bien fait valoir. Il nous a semblé important de le souligner.
Sur la question du nouveau traité, je dirai que c'est un concept qui a été mis de l'avant, d'abord, dans un rapport du comité consultatif du ministre du Commerce international, le fameux SAGIT ou GCSE, le Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur, dans son rapport de février 1999. Comme je suis également membre du SAGIT, je suis l'un des cosignataires de ce rapport.
On parlait de Québec-Ottawa. En fait, le premier gouvernement au Canada à avoir relevé le concept original et à l'avoir appuyé, c'est le gouvernement du Québec, en juin 1999. En octobre 1999, le gouvernement fédéral l'a appuyé également. Il y a des experts qui travaillent sur le sujet. Je pense, entre autres, au professeur Ivan Bernier de l'Université Laval, à différents experts, dont Peter Grant de Toronto, et à d'autres. On va aboutir à des choses. Je pense qu'il faut signaler...
Le président: Notre comité s'est rallié à votre proposition aussi.
M. Robert Pilon: Oui, vous avez tout à fait raison.
Le président: Ce comité a poussé. Nous avons complètement sanctionné en faveur de...
M. Robert Pilon: Vous avez tout à fait raison. C'était dans le rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international du printemps ou de l'été 1999, n'est-ce pas? Ce comité a appuyé cela.
Je pense qu'il faut souligner une chose: la ministre du Patrimoine canadien, Sheila Copps, a mis sur pied, en 1998, un réseau international qu'on dit de la politique culturelle et qui est, en fait, une espèce de réseau international des ministres de la culture d'un peu partout dans le monde. Ce réseau s'est réuni à Ottawa, au Mexique il y a un an et demi, en Grèce en septembre dernier et il va se réunir de nouveau en Suisse en septembre prochain. Le ministre de la Culture du Québec a participé à ces rencontres. Mme Maltais a participé aux deux dernières. Elle était au Mexique; elle était également à Santorin. Dans ce réseau, il y a des discussions pour essayer, si vous me permettez l'expression, de vendre à d'autres pays cette idée d'un nouveau traité international. C'est sûr que ça progresse lentement.
• 1055
J'aimerais exprimer un sentiment d'urgence
là-dessus. Il va falloir accélérer les travaux.
Ce qui a été fait est bien, mais il va falloir accélérer les
travaux sur ce nouveau traité international parce que
c'est une question de crédibilité. Si on arrive à des
tables de négociation à Genève ou à Washington pour
la ZLEA et qu'on dit à nos voisins américains que la
culture, ça ne se discute pas ici mais plutôt là,
tôt ou tard, ils vont nous
demander où ça se discute. Ils vont nous demander
où il est, notre traité.
Je pense
qu'il va falloir qu'on mette beaucoup plus d'énergie
et de ressources pour aller plus rapidement et
développer ce nouveau traité international afin de
régler une fois pour toutes ces questions-là.
Je pense qu'il y a un potentiel d'appui tant au niveau gouvernemental qu'au niveau des milieux culturels, partout dans le monde. Le dossier dont on parle ce matin n'est pas un dossier spécifiquement canadien ou québécois. C'est un dossier qui est le même en Corée, au Pérou, au Chili, en France, en Italie. Les milieux culturels, et dans bon nombre de cas les gouvernements, partagent les soucis que nous avons ici, et je pense que c'est une question d'énergie, une question d'audace, d'innovation. Il faut aller de l'avant, vendre cette idée-là, sortir une fois pour toutes la culture des accords de commerce internationaux.
Dans l'Accord de la ZLEA—et je termine là-dessus—, la seule référence que je voudrais voir à la culture, c'est une phrase dans le préambule. Pour le reste, qu'on le règle à l'extérieur.
Cet après-midi, je crois comprendre que M. Marc Lortie, qui est sherpa pour le sommet, comparaîtra ici. Ce n'est pas à moi de vous suggérer des questions. J'ai eu l'occasion récemment de poser cette question à M. Lortie, mais il sera intéressant aussi de voir si dans la déclaration finale des chefs d'État, au Sommet de Québec, on parlera de la culture et de la diversité culturelle. Il semble que oui. Dans quel chapitre en parlera-t-on? Est-ce qu'on en parlera à propos du commerce et de la prospérité? Est-ce qu'on en parlera à propos du potentiel humain?
À ce stade-ci, je pense qu'il faut garder toutes nos possibilités ouvertes. C'est évident qu'on ne fera pas un closing à Québec, surtout avec les Américains, sur le droit absolu des États de conserver et de développer leurs politiques. Je ne suis pas naïf à ce point. Mais gardons toutes nos possibilités. N'allons pas, dans une déclaration énonçant un concept trop restreint ou trop flou de la diversité culturelle, nous fermer des options. Laissons en place un concept de diversité culturelle qui est suffisamment large pour comprendre le droit des États d'avoir une politique du film, une politique du livre, une politique du disque, une politique de la musique.
Si on restreint le concept de la diversité culturelle à la notion de multiculturalisme—et je n'ai rien contre cette notion, ce n'est pas là le problème—, ou si on restreint ça à la notion de la protection des droits des minorités culturelles, on va s'attacher les mains et on va payer un prix très élevé lorsqu'on va arriver à la véritable négociation. Alors, n'arrivons pas avec une définition de la diversité culturelle, dans la déclaration des chefs d'État à Québec, qui soit trop restreinte et trop limitative.
[Traduction]
Le président: Monsieur Barr.
M. Gerry Barr: Je sais qu'il me reste très peu de temps et donc ma réponse sera courte. Il serait peut-être utile de vous expliquer que, de notre point de vue, au moins, il n'existe pas d'armature à toute épreuve pour la démocratie à travers le monde. Il n'existe pas de structure externe qui crée une démocratie puisque la démocratie résulte d'un processus social interne, d'une lutte, bien sûr, et de négociations à l'intérieur des pays. Dans la mesure où les affaires publiques sont bien gérées maintenant dans cette région, la bonne gouvernance résulte d'un bon processus social, et surtout d'un processus social dynamique au sein des collectivités.
• 1100
Je dirais même que si vous examinez les ententes existantes,
c'est-à-dire l'OMC et l'ALENA, et si vous pouviez imaginer l'impact
de l'ALEA, les dispositions de ces ententes vont limiter plutôt
qu'élargir les droits démocratiques. Prenons l'exemple des
syndicats de travail: les travailleurs sont tenus de rester à
l'intérieur des maquiladoras ou des zones d'exportation où les
droits sont couramment bafoués, où les conditions de travail sont
très dangereuses et où la probabilité d'avoir une représentation
syndicale indépendante, des bonnes conditions de santé ainsi qu'un
accès est très mince. J'ai déjà fait allusion à l'exemple du
Brésil.
Alors je vous cite ces exemples où les droits, plutôt que de se trouver élargis et renforcés, ont été limités et restreints.
Le président: Merci.
Chers collègues, il est 11 heures. La greffière m'informe qu'on peut poursuivre encore quelques minutes, et je sais que Mme Lalonde aimerait poser une question. Je ne sais pas si Mme Marleau voudrait également en poser une. J'ai quelques...
Mme Libby Davies: Je dois aller à un autre comité.
Le président: Je crois que la plupart des députés ont d'autres engagements, mais pendant que la secrétaire parlementaire est toujours ici, j'aimerais peut-être soulever un point qui pourrait l'intéresser.
Monsieur O'Brien, lors de la comparution de M. Manning ici, vous vous rappellerez avoir soulevé la question du montant du financement. Selon les chiffres, 200 000$ proviennent du gouvernement fédéral et 300 000$ du gouvernement du Québec. Ces chiffres sont exacts.
Je sais que les autres députés doivent partir, mais j'aimerais poser une courte question à M. Barr et une autre à M. Pilon.
Monsieur Barr, un des problèmes que me posent bon nombre des témoins qui ont comparu, c'est de savoir si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Lorsque le Conseil canadien pour la coopération internationale, qui représente toutes les ONG, comparaît devant nous et brosse un tableau qui est tellement noir, qui ne contient rien de bon, je me demande, n'y a-t-il pas un aspect positif?
En examinant la question, je conviens avec vous qu'il y a des problèmes relatifs aux ententes commerciales. J'ai cru comprendre d'après votre présentation que l'un des problèmes relève du fait que les ententes commerciales limitent les gouvernements. Je partage votre point de vue. Je constate ces exemples quotidiennement, en tant que législateur. Nous avons dû composer avec ces problèmes relatifs à la culture et à d'autres questions quand nous avons réglé le cas des périodiques. Nous ne sommes pas naïfs au point de croire que nous perdons notre souveraineté en transférant des pouvoirs à des organismes internationaux.
Nous reconnaissons cela, mais ne serait-il pas mieux de mettre en commun nos intérêts lorsqu'on risque de perdre le contrôle de toute façon?
En ce qui concerne le Sommet de Québec, la clause sur la démocratie, dans la partie I, me rassure en quelque sorte mais c'est surtout les débats qui ont lieu en ce qui concerne la partie III, les questions sociales qui existent dans les autres pays américains et les démarches qu'on pourrait prendre dans le but de les aider, qui me rassurent. Et là je fais allusion aux efforts en ce qui concerne la connectivité, les démarches pour éliminer le manque de connaissances informatiques. Il me semble que, lors du Sommet de Québec, nous allons réunir les gouvernements autour de la table pour la première fois pour ensuite dire: écoutez, vous ne pouvez plus vous limiter aux ententes commerciales, il faut tenir compte de la santé globale des Amériques dans son ensemble.
Peut-être que notre démarche n'est pas parfaite et peut-être que l'approche n'est pas la bonne, mais il me semble qu'elles sont beaucoup plus positives que vous voulez le laisser entendre. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.
[Français]
Monsieur Pilon, j'aimerais vous poser une question sur la culture.
Il me semble que la question de la protection culturelle est différente de celle de la protection des droits de la personne, etc. Par exemple, le grand problème que nous avons, au comité, lorsque nous parlons de protection des droits de la personne, c'est la question de la sanction qu'on pourrait imposer. Par exemple, on ne peut pas sanctionner une infraction à la protection des droits de la personne en réduisant l'accès aux marchés.
Nous avons eu beaucoup de problèmes avec M. Allmand et deux autres témoins qui sont venus devant nous. Qu'est-ce que nous pourrions façonner pour protéger les droits de la personne, qui ne soit pas une sanction en matière de commerce international, parce que ce n'est pas tellement pratique?
Pour ce qui est de la protection de la culture, il me paraît que la question est plutôt de savoir ce que nous pourrions mettre dans le préambule de l'accord afin de protéger la diversité culturelle. C'est ce qu'il faut faire; sinon, nous aurons beaucoup de problèmes.
J'aimerais bien entendre votre réflexion là-dessus. Est-ce que vous pourriez déposer au comité, d'ici quelque temps, la formulation que vous aimeriez voir dans un tel accord pour protéger la dimension culturelle?
• 1105
Tous les témoins qui viennent nous disent
qu'ils n'ont pas vu l'accord et qu'ils
aimeraient en voir les termes,
mais aucun d'entre eux ne
nous dit les mots qu'il aimerait voir dans
l'accord. Donc, nous n'avons
pas l'avantage d'entendre la position des
témoins là-dessus. Si vous pouviez nous donner
cela, ça nous aiderait beaucoup.
Excusez-moi de prendre autant de temps. Je commets la même horreur que je reproche aux autres.
[Traduction]
M. Barr en premier, suivi de M. Pilon.
Monsieur Barr, suis-je un peu trop sévère à votre égard en disant que vous ne voyez jamais le côté positif dans la vie?
M. Gerry Barr: Vous êtes en train de me dire que je suis trop sévère.
Au départ, j'aimerais dire que ce choeur de reproches qu'on entend si clairement partout, et non simplement au Canada mais partout dans l'hémisphère, vise à rétablir une certaine responsabilité, et, à un certain niveau, à rétablir la légitimité du processus parce qu'on a l'impression qu'il n'y a pas de responsabilité, qu'on prend les décisions sans tenir compte vraiment de l'impact social de ces décisions.
On parle pas mal de toutes ces promesses sociales à l'heure actuelle. Il y a, bien entendu, les enveloppes sociales—il y avait, par exemple, le plan d'action de Santiago. Je dirais que ce plan d'action se caractérise par beaucoup de promesses mais très peu de gestes concrets.
De plus, à mon avis, il y a une faille conceptuelle au niveau de l'approche adoptée. On semble croire qu'on peut régler la pauvreté ainsi que toute une gamme de questions sociales à l'extérieur du contexte, tout le monde semble dire qu'il faut régler ces problèmes mais qu'on pourrait le faire à l'extérieur du cadre de l'entente commerciale. Mais c'est l'entente commerciale et le volet commercial de l'entente elle-même qui vont avoir un impact considérable sur les choix démocratiques de ces gouvernements et, plus concrètement, comme nous l'avons déjà expliqué, sur les vies économiques des citoyens.
Notre but, c'est d'en arriver à une entente commerciale qui stipule clairement que les droits de la personne ainsi que les engagements sociaux ont préséance sur le droit commercial.
On pourrait envisager un libellé relatif aux mesures de mise en application de l'entente permettant à un pays, dans le contexte d'une contestation en vertu du chapitre 11, de se défendre en disant qu'une telle mesure corrective pourrait compromettre sa capacité de respecter ses obligations en tant que pays signataire de toute une brochette d'ententes multilatérales et de conventions sur les droits de la personne, et donc qu'il ne devrait être assujetti à cette procédure d'exécution. Ou bien on pourrait exempter le pays si on arrivait à démontrer que la mesure corrective demandée nuirait à la capacité du gouvernement national de respecter ses obligations.
Une telle procédure témoignerait, d'après moi, d'un effort honnête et réfléchi de la part des négociateurs commerciaux et constituerait une tentative de composer avec le volet responsabilité sociale de ces ententes commerciales.
Malheureusement, on ne voit pas un tel effort à l'heure actuelle et tant qu'il n'est pas présent, l'impact de ce genre d'entente se fait sentir cruellement, et les conséquences sont vraiment très graves. Tous nos membres ainsi que moi-même voyons les choses de cette façon.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Pilon.
[Français]
M. Robert Pilon: Il y a trois choses.
D'abord, monsieur Graham, il y a effectivement une certaine confusion dans le cas de l'expression «diversité culturelle». La preuve, c'est que si vous faites une recherche sur Internet et tapez «diversité culturelle», vous allez voir ce qui va sortir: tout. Selon qu'on donne à cette expression une signification restreinte ou une signification large, selon qu'on emploie sa signification sociologique, ethnologique ou anthropologique, ça peut tout comprendre, y compris le droit de protéger les langues minoritaires partout dans le monde, celui de protéger les cultures des peuples autochtones et les questions reliées à l'orientation sexuelle. C'est hyperlarge. C'est pour cela que nous préférons employer l'expression «diversité des expressions culturelles».
• 1110
Comme citoyen, je juge toutes les autres batailles
tout à
fait légitimes, mais malheureusement, on ne peut pas
penser qu'on va avoir un traité qui va couvrir toutes
ces choses-là. C'est un peu irréaliste.
De toute façon, les lobbys ou les groupes d'intérêt dans ces secteurs-là, par exemple ceux qui veulent protéger les langues des peuples autochtones dans le monde, ceux qui veulent combattre le racisme, ceux qui s'occupent des questions d'orientation sexuelle, mènent leur propre bataille et veulent leur propre déclaration, leur propre traité international. Je pense qu'il faut se concentrer sur un traité qui permettrait aux États et gouvernements de développer leurs politiques culturelles. Soyons clairs. Cela veut dire la politique du théâtre et des musées, bien sûr, mais ça veut aussi dire les politiques culturelles dans le domaine des industries culturelles: le film, le livre, le disque, le cinéma. C'est très important.
En ce qui concerne la ZLEA, le paragraphe qui est dans le projet de préambule me semble fort bien au niveau général, au niveau des principes. La grande question est de savoir où, au juste, est rendu ce projet de préambule. Est-ce qu'on en discutera à Buenos Aires dans quelques jours ou pas? Est-ce que d'autres pays ont proposé d'autres libellés contradictoires? Il semble que non.
Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'interroger ou de faire comparaître M. Claude Carrière, qui est le chef négociateur de la ZLEA, à qui j'ai posé la question récemment. Il semble qu'il n'y ait pas d'autres pays. Mais est-ce que d'autres pays vont proposer un libellé alternatif? Pour l'instant, la phrase est précise au niveau des principes. Je ne vous cacherai pas, monsieur le président, que ma crainte est qu'on arrive, en bout de piste, avec une phrase qui soit diluée, qui fasse référence à la notion de diversité culturelle, aux droits humains et ainsi de suite. Ce sont toutes des bonnes choses, mais les mots importants dans cette phrase, c'est le droit des pays d'avoir des politiques culturelles: droit, pays, politiques culturelles. C'est extrêmement important. Sinon, ça va devenir tarte aux pommes, une notion très, très vague.
C'est sûr que nos voisins américains vont souhaiter avoir une définition de la diversité culturelle qui soit la plus diluée possible. Il faut donc que nous ayons une définition précise qui nous permette de préserver et de continuer à développer nos politiques culturelles, y compris dans les secteurs du film, du livre et de la musique.
Le président: Si j'ai bien compris, monsieur Pilon, vous n'êtes pas invité par M. Valenti au dîner, en Californie. Vous n'êtes pas un ami de M. Valenti.
M. Robert Pilon: Monsieur le président, nous devons comprendre ici, au Canada, que M. Valenti fait son travail. C'est à nous de faire le nôtre.
Le président: Très bonne réponse.
Une courte question, madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: C'est une courte question qui s'inscrit dans le droit fil de ce que vous venez de dire.
Il y a dans l'ALENA des mesures compensatoires. Il y a en quelque sorte une affirmation du droit de l'État de prendre des mesures pour promouvoir la culture nationale, mais il y a aussi la possibilité d'avoir des mesures compensatoires. Est-ce que cela n'annule pas largement le sens de ce qui pourrait être une expression forte dans le préambule?
À cet égard, n'est-il pas inquiétant que même sur le net... On a une raison de plus, ce matin, d'avoir les textes, monsieur le président. On a regardé ce matin sur le site du ministère, et il n'y a encore rien sur les services. Alors que les États-Unis, eux, ont dit qu'ils voulaient que la négociation porte sur les biens et les services culturels, le Canada n'a encore rien; sa position sur les services n'est pas là.
Compte tenu de cela et de l'existence de mesures de représailles dans l'ALENA, est-ce qu'on n'a pas des raisons très puissantes, non seulement d'être inquiets, mais aussi de pousser celui qui est actuellement responsable du Canada et les négociateurs? À cet égard, je pense que nous allons faire notre devoir, monsieur le président. J'aimerais savoir ce que M. Pilon en pense, ainsi que MM. Barr et Campbell, parce que je suis certaine que cela les intéresse aussi.
Le président: Très rapidement, s'il vous plaît, monsieur Pilon.
M. Robert Pilon: C'est sûr, madame Lalonde, qu'on sera encore plus rassurés le jour où on va voir une proposition canadienne, notamment sur les services, sur l'investissement et sur les subventions. Pour les subventions, je crois que ça y est.
• 1115
À ce stade-ci, je ne peux
faire autrement que de croire en la bonne foi de M.
Pettigrew, qui nous affirme que le Canada veut
conserver la capacité de préserver, de développer et de
mettre en oeuvre les politiques culturelles, au point
où on serait même prêt à mettre cela dans le projet de
préambule qui serait signé par les 34 pays.
Cela dit, on va être vigilants, et je pense que les parlementaires doivent aussi être vigilants et suivre cela. À mon avis, ce n'est pas tellement juste une question de bonne foi des politiciens qui nous disent cela. C'est une question de savoir s'ils seront capables de résister aux pressions énormes que les Américains vont exercer dans ce dossier, étant donné les enjeux économiques que cela représente pour eux.
Le président: Merci, monsieur Pilon. Nous sommes tellement vigilants que nous sommes restés bien plus longtemps que prévu à notre réunion de ce matin.
[Traduction]
J'aimerais remercier tous les témoins d'être venus. C'était fort intéressant. Nous vous sommes très reconnaissants de vos interventions.
Messieurs Bar et Campbell, souvent je pense que les détracteurs de l'accord de libre-échange... Le comité s'aperçoit d'un certain mécontentement chez bon nombre de gens. Vous disiez avoir l'impression qu'on écoute beaucoup sans pour autant qu'il y ait beaucoup de dialogue.
Si vous regardez notre rapport, je crois que nous essayons de faire écho à ces préoccupations, et que nous faisons de notre mieux en tant que parlementaires. Voilà pourquoi j'estime qu'il est important de téléviser des séances comme celle-ci, pour permettre aux citoyens qui suivent le Sommet de Québec et s'y intéressent de près d'entendre ce que vous avez à dire. Ils ont l'occasion d'entendre nos opinions, et je pense que c'est important.
Il est donc regrettable que cet après-midi, chers collègues, malheureusement, la séance avec M. Lortie ne soit pas télévisée. Nous ne pouvons pas recevoir les fonctionnaires dans cette pièce cet après-midi, mais je voudrais tout simplement dire que M. Lortie sera des nôtres cet après-midi. Son témoignage sera affiché à notre site Internet, comme d'habitude, pour quiconque de l'assistance s'y intéresse.
Jeudi matin, nous aurons notre dernière séance au sujet du Sommet, séance qui se tiendra ici, encore une fois, dans la salle télévisée. Les téléspectateurs pourront ainsi obtenir de plus amples renseignements concernant le cheminement menant au Sommet.
Alors merci beaucoup à tous les témoins d'être venus. Nous vous en sommes reconnaissants. Chers collègues, nous nous retrouverons à 15 h 30, heure à laquelle M. Lortie et les fonctionnaires seront des nôtres. Ce ne sera pas ici dans cette pièce; ce sera dans la pièce 269, édifice de l'Ouest.
Merci beaucoup.
[Français]
Merci beaucoup et à cet après-midi.
La séance est levée.