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HUMA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées


NUMÉRO 066 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 3 décembre 2009

[Enregistrement électronique]

(1330)

[Traduction]

    Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le comité reprend son étude de la contribution fédérale pour diminuer la pauvreté au Canada en procédant à l'audition des témoins de cet après-midi.
    Au nom du Comité des ressources humaines, je tiens à vous remercier chaleureusement d'avoir pris le temps de venir témoigner devant notre comité.
    Parfois, les élections ou d'autres empêchements peuvent nous retarder, mais nous sommes bien décidés à en finir avec ce projet et à présenter des recommandations au gouvernement. C'est là que vous avez votre rôle à jouer. Nous apprécions votre venue, non seulement pour savoir ce que vous pensez de la situation ici à Edmonton, mais aussi éventuellement pour que vous puissiez nous proposer d'éventuelles solutions ou certains aménagements qu'il serait logique à votre avis que notre comité ou que le gouvernement mette en place.
    Nous sommes allés à l'est, au sud et au nord, et nous sommes ici aujourd'hui. Nous terminerons par Winnipeg. Nous avons entamé la semaine lundi à Vancouver et nous étions à Whitehorse et à Yellowknife mardi et mercredi.
    Une fois encore, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir compte tenu de vos horaires chargés.
    Je vais commencer par Julian. Vous disposerez chacun de sept minutes. Je ne vais pas vous interrompre si vous dépassez les sept minutes qui vous sont imparties, mais si vous réussissez à vous en tenir à sept minutes, ce sera très bien. Ce ne sera pas plus mal si vous prenez moins de temps.
    Je vais donner la parole à M. Daly, qui représente Boyle Street Community Services. Soyez les bienvenus. Vous disposez de sept minutes.
    Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité de nous recevoir cet après-midi pour entendre notre témoignage.
    Je m'appelle Julian Daly et je suis le directeur exécutif de Boyle Street Community Services. Nous sommes un organisme qui opère dans la ville même d'Edmonton. Environ 8 000 personnes par an consultent nos services, le plus souvent des gens sans abri, tous pauvres et pour la plupart autochtones.
    Je vous remercie de nous donner l'occasion de venir vous parler de la pauvreté dans notre ville. Je me demande bien ce que je vais pouvoir dire en sept minutes seulement, mais je vais essayer.
    Afin d'appuyer votre effort et de me préparer pour la séance d'aujourd'hui, j'ai consulté mes collègues de Boyle Street ainsi que nos clients. Je vais vous faire ici aujourd'hui le compte rendu de ces discussions.
    Une grande partie de ce que je vais vous dire s'applique à la communauté autochtone qui est notre cliente. Quelque 70 p. 100 de nos clients sont autochtones et entre 4 000 et 5 000 d'entre eux passent chaque année par nos services. J'ai demandé à nos aînés autochtones, aux membres du personnel et à nos clients l'autorisation de parler en leur nom. Il y aurait beaucoup à dire, évidemment, mais dans le temps qui nous est imparti, j'ai choisi d'exposer un certain nombre des grandes raisons à l'origine de la pauvreté et pour lesquelles à notre avis les gens restent pauvres dans notre collectivité.
    Il y a tout d'abord le racisme. Il est bien présent dans notre culture, notamment envers les Autochtones. Comment peut-on s'intégrer à la communauté économique au sens large lorsqu'on est constamment et systématiquement rejeté au niveau de l'emploi ou du logement en raison de sa race?
    On refuse encore régulièrement aux Autochtones l'accès aux locaux commerciaux dans notre ville, et lorsqu'on leur permet d'y accéder, ils sont régulièrement suivis par le personnel de sécurité. Je dirai qu'il y a un apartheid de fait dans notre ville, qui fait que l'on est traité tout à fait différemment selon que l'on est blanc ou autochtone. Vous seriez horrifiés en tant que députés de notre grand pays -- car il s'agit d'un grand pays -- si vous entendiez comme moi raconter tout ce qu'on dit au sujet des humiliations et des rejets que doivent subir presque quotidiennement nos clients autochtones.
    Dans notre pays, l'apartheid est invisible. Contrairement à des pays comme l'Afrique du Sud, où il avait été légalisé et où il était par conséquent plus facile de s'y opposer, il reste tout à fait invisible et il est bien plus difficile de lutter contre ce fléau. Il faut pourtant qu'on le fasse.
    En second lieu, il y a le profond sentiment d'exclusion sociale que ressentent bien des gens. Dans notre province, on considère couramment que les personnes sans abri ou qui vivent dans la pauvreté sont les responsables de leur propre sort et sont tout simplement paresseux ou imprudents. On les considère avec plus ou moins de mépris. Ce préjugé et le fait que l'on ne comprenne pas toute la complexité de la condition de sans-abri et des facteurs menant à la pauvreté marginalisent encore plus ces gens et rendent encore plus difficile un retour à la vie normale.
    Nous avons besoin d'une meilleure éducation du public, de forums de discussions et d'une plus grande compréhension des causes menant à la condition de sans-abri et à la pauvreté. Dans notre ville, il arrive que l'on se serve systématiquement des gardiens de sécurité et de la réglementation municipale pour empêcher nos clients d'utiliser nombre de locaux publics et la plupart des centres commerciaux. Là encore, cela se fait sans bruit et sans que la plupart des citoyens s'en aperçoivent.
    Une personne peut-elle s'intégrer à la société et prendre part à la vie active si elle est exclue et se sent exclue des véritables centres d'activité économique parce qu'elle ne fait pas partie de la bonne race ou n'a pas suffisamment d'argent? Le Canada est notre pays, il nous appartient à tous, et personne d'entre nous ne devrait pouvoir en être exclu en raison de sa race ou de ses moyens financiers.
    Les preuves d'identité posent aussi un gros problème. Nombre de nos clients ne peuvent en fournir et n'ont aucun document d'identité, ce qui les exclut de nombreux services et aussi des emplois. Nous avons véritablement besoin d'une banque ou d'un mécanisme quelconque permettant aux sans-abri d'obtenir facilement des documents d'identité sans se heurter à trop d'obstacles bureaucratiques.
    Le fait que l'on n'ait pas réussi à répondre aux besoins de la population autochtone des villes est à notre avis une autre raison du maintien des gens dans la pauvreté. Les membres de la communauté autochtone qui ont quitté leur réserve pour s'installer en ville afin de vivre dans de meilleures conditions sont immédiatement marginalisés. Aucune des ressources, financières ou autres, dont ils disposaient jusque-là ne leur est accessible.
    Les mécanismes d'assistance économique disparaissent une fois qu'ils sont installés à Edmonton. Nous avons désormais l'une des plus fortes populations autochtones urbaines du Canada. Le gouvernement fédéral n'a pris aucune disposition pour l'instant pour dégager des crédits affectés aux réserves afin de les aider. Il faut, du moins dans certains domaines, que l'argent soit versé et suive les individus pour qu'ils aient une meilleure chance de réussir lorsqu'ils s'installent en ville.
(1335)
    Plutôt que de se contenter de déplacer les problèmes et la pauvreté, il faut par ailleurs trouver des solutions aux difficultés posées par le logement, l’éducation, la santé et la sécurité, qui amènent nombre de nos clients autochtones à quitter leur réserve pour s'installer en ville.
    Il y a un autre défi à relever en ce qui concerne les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie. Les problèmes de santé mentale et de toxicomanie sont généralisés dans la communauté des pauvres et des sans-abri. Ils sont d'ailleurs souvent la cause de cette pauvreté et de la condition de sans-abri. Il est absolument indispensable de fournir de meilleurs services pour réduire ces difficultés.
    Les cas de toxicomanie, en particulier, sont cause de la pauvreté. La lutte contre la drogue n'est pas la solution. Il s'ensuit généralement un plus grand nombre d'emprisonnements, mais cela ne fait rien pour remédier aux véritables causes de la toxicomanie. Les solutions visant à réduire les dommages fonctionnent bien au sein de la communauté, mais malheureusement on constate que les pouvoirs publics se désintéressent de ce genre de mesure.
    Les problèmes de santé mentale maintiennent les gens dans la pauvreté. Comment exercer les compétences et prendre les résolutions qui sont indispensables pour se sortir de la pauvreté lorsqu'on a de gros problèmes de santé mentale? Il faut dépenser beaucoup d'argent et s'attaquer à un tabou culturel pour remédier aux problèmes de santé mentale, mais c'est indispensable si nous voulons pouvoir lutter globalement contre la pauvreté.
    L'insuffisance des prestations est une autre cause de la pauvreté de nos clients. Les versements d'assistance sociale et autres prestations de ce type sont minimes et suffisent à peine à empêcher ces personnes de se geler et de mourir de faim. Ils ne sont pas d'un montant suffisant pour leur permettre de changer de vie. Bien souvent, ils ne couvrent même pas les frais essentiels de logement.
    Enfin, il y a pour moi un obstacle lorsque je vois qu'on n’écoute pas ces gens et qu'on ne comprend pas ce que la pauvreté signifie pour eux. Individuellement et collectivement, les êtres humains trouvent généralement la solution à leurs problèmes. Nous devons tendre la main aux pauvres et aux sans-abri, les écouter et renoncer à notre pouvoir et à notre autorité pour qu'ils puissent se prendre en charge et soient en mesure de remédier à la pauvreté qui les aliène.
    Nous avons aussi besoin de mieux comprendre la complexité et la signification de la pauvreté. Ce n'est pas une simple question matérielle. Ses dimensions spirituelles et émotionnelles peuvent être tout aussi graves. Ce n'est pas le tout d'aborder uniquement les questions matérielles et économiques. Le racisme, l'exclusion sociale et la marginalisation économique entraînent souvent une terrible aliénation, une impression de solitude et une pauvreté spirituelle. Il faut en tenir compte et y remédier.
    J'aimerais pouvoir vous présenter quelques-uns des membres des communautés que nous servons. Ils auraient bien plus de choses à vous raconter que moi. Je parlais mardi à l'un des membres de notre communauté, à l'un de nos clients, et je lui expliquais -- c'est un Autochtone -- que j'allais me présenter ici aujourd'hui. Je lui ai demandé ce que signifiait pour lui la pauvreté et ce qu'il vous dirait s'il avait été invité à témoigner aujourd'hui.
    Voilà en quelques mots ce qu'il m'a dit. Il m'a parlé longuement, mais j'ai choisi certains de ses propos qui me paraissaient particulièrement pertinents en vue de la séance d'aujourd'hui.
    Il m'a dit que les nantis se désintéressaient du problème, qu'ils disaient s'en préoccuper, mais que ce n'était pas le cas. Ils donnent un peu de nourriture et dispensent quelques prestations, mais pas assez, m'a-t-il affirmé. Ils veulent simplement nous calmer, pouvoir dire: « oui, nous faisons quelque chose ». Selon lui, il faudrait que les nantis viennent voir sur place et leur parler, faire l'expérience de ce qu'est la pauvreté, sentir l'odeur de la pauvreté.
    Comment peut-on comprendre ce que signifie la pauvreté si on ne vient pas parler aux pauvres, écouter ce qu'ils ont à dire, prendre connaissance de ce qu'ils proposent? Comment peut-on comprendre si on n'apprend pas à sentir la pauvreté? On ne peut pas remédier à des problèmes qu'on ne comprend pas.
    Les portes de notre centre vous sont toujours ouvertes. Ceux d'entre vous qui veulent venir nous voir seront les bienvenus et ils auront le privilège de rencontrer nos clients et d'entendre leurs témoignages.
    Je vous remercie de votre attention.
(1340)
    Merci, monsieur Daly.
    Nous allons maintenant donner la parole à Tanya Tellier, de l’Edmonton Coalition on Housing and Homelessness.
    Vous avez la parole. Vous disposez de sept minutes.
    La première partie de mon exposé est en français.
    C'est parfait. Cela nous donnera l'occasion de mettre nos écouteurs.

[Français]

    ECOHH représente plus de 30 organismes communautaires qui travaillent auprès des gens qui ont des problèmes reliés à la sécurité là où ils habitent. La vision d'ECOHH est qu'Edmonton devienne une ville où l'on retrouve des logements abordables et appropriés pour tous puisqu'il s'agit là d'un droit fondamental qu'une société démocratique devrait assurer.
    Dans le contexte du travail effectué présentement par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, ECOHH considère que la sécurité dans les logements doit faire partie d'une stratégie pour éliminer la pauvreté. Une bonne politique d'habitation est aussi une bonne politique économique. Cela implique clairement que si on élimine les dangers causés par la pauvreté extrême, cela réduira quelques-unes de nos grandes dépenses comme des coûts de services de santé beaucoup plus élevés.
    Quand les gens se retrouvent sans logement sécuritaire décent, il y a plusieurs autres conséquences négatives qui s'ensuivent et qui peuvent avoir des répercussions coûteuses pendant bien longtemps. Nos organismes membres font face à ce problème tous les jours. Voici un exemple. Une jeune mère doit rester dans un environnement violent avec ses enfants parce qu'elle n'a pas les moyens d'avoir son propre logement. Sa santé en souffre, ses enfants sont pris en charge par les services à l'enfance, ils perdent tout contact avec leur mère. Pour oublier sa situation, elle se tourne vers la drogue.
    Quand les gens ont un logement bien à eux, un endroit abordable correspondant à leurs circonstances, ils sont capables de prendre des décisions qui améliorent leur vie et les aident à éviter les effets négatifs de la pauvreté. Une politique nationale de l'habitation est essentielle comme fondement à une action intégrée sur la sécurité dans le logement. L'élimination de la pauvreté nécessitera une coopération étroite du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires.
    Une attention immédiate et toute particulière est requise pour financer de façon plus efficace les solutions au problème de la sécurité dans l'habitation. ECOHH est inquiète du fait que des millions de dollars sont présentement dépensés pour fournir des logements, mais que cet argent n'est pas utilisé de sorte qu'il y ait un impact direct sur la diminution de la pauvreté. L'élimination de la pauvreté dépend de façon significative de maisons sécuritaires. Nous avons besoin d'une stratégie nationale de sécurité domiciliaire. Nous avons besoin d'actions immédiates pour améliorer l'accès aux logements abordables, si on veut empêcher que le lien entre la pauvreté et les problèmes de logement n'empire.
(1345)

[Traduction]

    Nous avons besoin d'une politique nationale du logement dans le cadre d'un programme global de sécurité du logement. Ce sera un élément important d'une stratégie nationale d'élimination de la pauvreté.
    Le projet de loi C-304, actuellement déposé devant la Chambre des communes, sera un premier pas dans la bonne direction. Pour éliminer la pauvreté, il sera nécessaire d'instaurer une collaboration étroite entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires.
    Cela doit s'appliquer aussi à la mise en place d'une stratégie du logement. Le gouvernement fédéral et les provinces consacrent d'importants crédits à différents secteurs de la sécurité du logement, mais en l'absence d'un projet global, il est difficile d'apprécier la valeur de ces investissements ou de s'assurer que les crédits sont affectés judicieusement, ne font pas double emploi ou ne laissent pas subsister de graves lacunes.
    Lorsqu'on ne dispose que de crédits et de programmes parcellaires à court terme, on est pris dans une situation instable qui ne permet pas de progresser régulièrement et prudemment en tirant parti des succès d'une activité donnée pour les étendre à d'autres secteurs de manière efficace et pratique. On se retrouve devant un ramassis de constructions disparates au lieu de bâtir un véritable édifice. Cette instabilité se répercute sur la vie des personnes ayant besoin d'aide au logement.
    Il est indispensable de réagir dès maintenant, parce que la récession ne fait qu'empirer les choses. Ici en Alberta, nous venons d'enregistrer sur une très courte période une énorme augmentation du nombre de dossiers d'assurance-emploi et d'assistance sociale. En l'absence d'une stratégie globale, on va vraisemblablement recourir à de nouveaux expédients à court terme pour faire face aux crises, sans avoir le bénéfice d'une vision d'ensemble.
    Il convient dans l'immédiat de s'intéresser de plus près à la question pour mieux financer les différents éléments de la sécurité du logement. Deux milliards et demi de dollars vont être consacrés au programme de crédit d'impôt à la rénovation des maisons, qui permettra à ceux qui possèdent déjà une maison d'améliorer leurs conditions de vie chez eux. Ce programme n'apportera absolument rien à un demi-million de personnes au moins, qui sont actuellement sans abri.
    Un demi-million de dollars vont être consacrés aux logements abordables, mais uniquement pour trois catégories de personnes: les personnes âgées à faible revenu, les handicapés et les communautés des premières nations. Il n'y a là aucun programme clair susceptible de faire l'objet d'un contrôle comptable.
    Les faibles investissements consacrés à la rénovation des logements sociaux en mauvais état sont tout à fait insuffisants, de sorte que la qualité et la quantité de ces logements continuent à se dégrader. Le réaménagement des centres urbains a tendance à privilégier les propriétés susceptibles d'être transformées en condominiums pour accueillir des propriétaires aisés plutôt que de continuer à fournir des logements à un coût abordable aux personnes à faibles revenus. Cette situation oblige les pauvres, ne disposant pas vraiment d'un moyen de transport, à s'éloigner encore plus de la communauté dans laquelle ils vivaient jusqu'alors, ainsi que des services bien définis dont ils ont besoin.
    On ne se préoccupe pas assez des dangers que pose l'augmentation régulière des loyers dans le secteur à but lucratif, de sorte que de plus en plus de gens sont en concurrence pour un nombre de logements de plus en plus réduit. La qualité de ces logements diminue étant donné que ce sont les seuls qui soient abordables.
    On pourrait entre autres corriger utilement cette situation en augmentant le revenu des personnes concernées pour qu'elles puissent louer d'autres locaux. Il y a en permanence à Edmonton des logements à la disposition des personnes en mesure de consacrer au moins 1 000 $ par mois à leur logement. Ce sont ceux qui n'ont pas cet argent qui sont mis en concurrence pour obtenir les quelques logements disponibles à bon marché. On pourrait par exemple augmenter les versements d'assurance-emploi ou les prestations fiscales pour enfants afin que les personnes à faibles revenus puissent disposer de plus d'argent pour améliorer leurs conditions de logement.
    Je vous rappelle que je tiens à insister sur trois points essentiels. L'élimination de la pauvreté est largement tributaire de la sécurité du logement. Nous avons besoin d'un programme stratégique de sécurité du logement et nous devons prendre dès maintenant des mesures pour améliorer à la fois la disponibilité et le coût du logement afin d'éviter que le lien entre les difficultés de logement et la pauvreté ne s'aggrave encore.
    Je vous remercie.
(1350)
    Merci, madame Tellier.
    Nous allons maintenant donner la parole à la Métis Nation of Alberta.
    Madame Muriel Stanley-Venne, merci d'être venue. Vous disposez de sept minutes pour faire votre exposé.
    Sept minutes? Nous allons vraiment avoir bien du mal à répondre en sept minutes à tout ce que vous voulez savoir.
    Vous allez voir tout le mal qu'ont aussi les députés à poser leurs questions en sept minutes.
    Je m'appelle Muriel Stanley-Venne et je suis vice-présidente de la Métis Nation of Alberta. J'ai été élue l'année dernière.
    Avant de commencer, j'aimerais vous demander si vous êtes disposés à recevoir d'autres mémoires. Je suis aussi présidente et fondatrice de l’Institute For The Advancement Of Aboriginal Women et présidente de l’Aboriginal Commission on Human Rights and Justice.
    Oui, n'hésitez pas. Vous pouvez les faire parvenir au greffier.
    J'ai écouté avec attention la référence au racisme qui a été faite par le représentant de Boyle Street.
    Je tiens à remercier le président et les membres du comité de me donner la possibilité de faire cet exposé au nom d'Audrey Poitras, présidente de la Métis Nation of Canada.
    Je félicite votre comité d'avoir entrepris cette tâche importante qui consiste à étudier le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral pour réduire la pauvreté. Comme je l'ai déclaré à maintes reprises par le passé, quand on n'a pas d'argent, on n'a aucun droit, et la pauvreté est aggravée par les préjugés et la discrimination. Nos objectifs sont donc clairs: il est indispensable que les Métis de notre province puissent avoir des compétences et un niveau d'éducation suffisants pour pouvoir vivre dans de bonnes conditions, prospérer et être des citoyens à part entière.
    Je vous invite instamment à lire le livre The Frog Lake Reader, qui vient d'être publié. On nous y parle de la pendaison d'un groupe de huit dirigeants indiens une semaine après celle de Louis Riel. Vous pourrez ainsi vous familiariser avec le contexte.
    Nous vous avons aussi remis un autre document parce que nous ne pouvons pas tout faire en sept minutes. Cela vous replacera dans le cadre de notre pays, le Canada, là où je suis née, 65 milles seulement à l'est de cette ville. Je viens juste de lire ce livre, qui m'a tellement impressionné que j'ai pensé à vous le recommander.
    Je vais vous parler dans mon exposé du peuple métis de l'Alberta et de la Métis Nation of Alberta afin de vous donner quelques précisions au sujet des principales contributions du gouvernement fédéral visant à remédier à la pauvreté dans la communauté des Métis -- en matière d'éducation, de logement et de développement économique, par exemple -- tout en présentant certaines propositions devant permettre de renforcer les contributions fédérales pour qu'elles soient plus profitables.
    Pour ce qui est tout d'abord des Métis et de la nation métisse de l'Alberta, c'est dans cette province que l'on trouve la plus forte population métisse au Canada. Selon le recensement fait en 2006 dans l'Alberta, plus de 85 000 personnes se sont elles-mêmes définies comme étant métisses, ce qui englobe plus de 5 000 Métis vivant dans des établissements métis. La grande majorité d'entre eux, toutefois, vit en dehors de ces établissements, soit une minorité dans une province comptant 3 millions d'habitants. La Métis Nation of Alberta, créée en 1928, est l'une des plus vieilles organisations représentatives des Métis au Canada.
    Le mémoire que je vous ai remis vous décrit la situation plus en détail, et je vous invite à le lire car il vous permettra de mieux comprendre ce que représente notre peuple dans ce pays.
    Je vais faire part à votre comité d'un certain nombre de facteurs qui contribuent à la pauvreté des Métis en Alberta. Il y a de nombreux facteurs de ce type qui interagissent. Ainsi, alors que la grande majorité des Métis habite Edmonton ou Calgary, ils sont nombreux aussi à vivre dans les régions rurales et éloignées, notamment dans le nord de l'Alberta où il existe des établissements.
    Dans les régions rurales éloignées, ils ont difficilement accès à un enseignement de qualité, à des possibilités d'emploi et aux soins médicaux. La pauvreté contribue à la prise en charge des enfants métis par les services d'aide à l'enfance de notre province et les Métis ne sont pas répertoriés dans la législation de l'Alberta. Nous nous sommes efforcés de faire en sorte que la province répertorie les enfants métis pour qu'il n'y ait pas une coupure avec la culture de leur mère et qu'on n'en perde pas la trace.
    Lorsqu'on n'a pas fait d'études et qu'on n'a pas terminé l'école secondaire, il est bien difficile de réussir par la suite dans la vie, que ce soit du point de vue des revenus ou de la possibilité d'obtenir un bon emploi. L'absence de garderies à un coût abordable et la prévalence du chômage ne permettent pas d'obtenir un bon emploi. L'absence de logements à un coût abordable fait toute la différence.
    Pour ce qui est de la participation fédérale visant à remédier à la pauvreté des communautés métisses de l'Alberta, je voudrais insister sur trois contributions clés que pourrait faire le gouvernement fédéral pour soulager le sort du peuple métis de l'Alberta.
(1355)
    En premier lieu, investir dans l'éducation postsecondaire, le logement et le développement économique. La Métis Nation of Alberta joue un rôle important en dispensant des programmes dans ces domaines au peuple métis: la nouvelle stratégie fédérale de développement des compétences, de l'emploi et de la formation des Autochtones, -- elle s'apparente à l’EASEF -- et les programmes de développement du marché du travail de la MNA.
    Votre comité se doit à notre avis d'aborder deux grandes questions. La première consiste à se demander ce qu'il convient de faire pour améliorer le sort de tous ceux qui vivent actuellement dans la pauvreté, quelle que soit la façon dont elle est mesurée. La seconde consiste à élaborer une stratégie à long terme visant à réduire l'incidence de la pauvreté dans la population canadienne en général et dans des secteurs clés comme celui des Autochtones.
    Sur le premier point, il est très important d'évaluer l'importance des programmes sociaux visant à réduire la pauvreté. Le gouvernement canadien, nous le savons, devra bientôt résorber ses déficits. Il a d'ores et déjà déclaré que pour ce faire il n'augmentera pas les impôts et ne réduira pas les transferts provinciaux. Cela signifie qu'il va envisager de réduire les budgets consacrés à ses programmes.
    Étant donné que les programmes autochtones sont financés presque intégralement par le gouvernement fédéral, ils sont très vulnérables en cas d'éventuelles compressions budgétaires. Nous affirmons avec force que les mesures prises pour résorber le déficit fédéral ne doivent pas l’être au détriment des Canadiens autochtones.
    Sur le deuxième point, la meilleure façon de se sortir de la pauvreté est d'avoir un bon emploi. Pour avoir un bon emploi, il faut un niveau d'instruction suffisant. Pour paraphraser ce qu'a déclaré un premier ministre -- je ne sais plus lequel -- le meilleur des programmes sociaux, c'est un bon emploi.
    Certes, la MNA apprécie particulièrement que le gouvernement fédéral ait mis en place la stratégie de développement des ressources humaines autochtones, qui nous permet depuis 1996 de financer des programmes de formation aidant nos gens à trouver un emploi. Depuis 1999, plus de 6 000 Métis ont trouvé un emploi en Alberta par l'entremise des programmes du marché du travail de la MNA.
    Votre comité doit cependant bien comprendre que la MNA et d'autres signataires de l'entente administrent des programmes s'appliquant au marché du travail en disposant du même montant de crédits qu'il y a 10 ans. La population est jeune, les clients sont plus nombreux, et la récession ne fait qu'aggraver la situation alors que les frais de scolarité et les coûts liés à l'éducation ont augmenté depuis ce temps. Année après année, nous administrons des budgets en état de stagnation.
    Là encore, les crédits dispensés aux signataires des ententes dans le cadre de la nouvelle stratégie EASEF vont stagner. Nos budgets vont rester les mêmes pendant cinq autres années. Toutes les augmentations de crédits éventuelles seront dirigées vers l'administration fédérale et non pas vers des organisations comme la MNA, qui dispense des services sur le terrain.
    Il y a des limites à ce que nous pouvons faire dans le cadre du programme fédéral. Nous savons que le pourcentage de décrocheurs est élevé parmi nos jeunes qui vont à l'école secondaire. Il dépasse les 40 p. 100. Dans le cas des peuples autochtones, et des Métis en particulier, les programmes qui réussissent le mieux ne sont pas administrés par les bureaucrates du gouvernement fédéral ou de la province mais par nos propres responsables, nos propres instances et nos propres organisations communautaires.
    Effectivement, les bureaucraties fédérales et provinciales sont très fortement tentées de contrôler l'organisation et d'administrer et de dispenser directement les programmes autochtones. On aurait pu croire le contraire étant donné que l'on parle tellement d'autonomie de gouvernement et de restitution des pouvoirs. Il y a pourtant un grand décalage entre les propos que tient le gouvernement et les mesures qui sont prises sur le terrain par ses fonctionnaires.
    Dans la mesure où la vie des Autochtones -- et d'ailleurs des pauvres en général -- est contrôlée par les fonctionnaires, leur réglementation et les règles qui s'appliquent aux programmes, nous ne parviendrons jamais à être autonomes.
(1400)
    En ce qui concerne les programmes de logements et les initiatives prises dans ce domaine par la MNA, la stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance adoptée par le gouvernement du Canada dispense des crédits devant aider les Autochtones habitant en dehors des réserves à se loger. Il est inadmissible que le pourcentage d'Autochtones sans abri dépasse de si loin celui de l'ensemble de la population; en Alberta, ces crédits ont permis de lutter contre la pénurie de logements à un coût abordable destinés aux Autochtones.
    Cette année sera la dernière pendant laquelle des crédits seront spécialement affectés au logement autochtone. Nous croyons savoir que les municipalités de l'Alberta continuent à recevoir des crédits pour lutter contre l'itinérance. Métis Capital Housing travaille en étroite collaboration avec la municipalité d'Edmonton dans le cadre du projet Boyle Renaissance, qui permettra en fin de compte de loger 900 personnes sans abri et en difficulté qui fréquentent le centre-ville. Nous espérons aussi pouvoir administrer 70 appartements destinés aux personnes âgées et 30 appartements affectés aux handicapés dans le cadre de ce projet.
    Le maire d'Edmonton, Stephen Mandel, a utilisé par ailleurs les crédits fédéraux en s'associant à Métis Capital Housing dans le cadre du projet Cornerstone. Avec la participation fédérale, la municipalité d'Edmonton a dispensé une aide d'environ 2,5 millions de dollars afin d'acheter un terrain sur lequel seront construites 12 unités de logement dans le cadre du programme de logements de transition en cas d'urgence.
    La Métis Nation of Alberta aimerait que le gouvernement fédéral rétablisse les crédits destinés au logement pour aider les Autochtones de l'Alberta à conserver, réparer et augmenter les logements à un coût abordable qui leur sont affectés.
    Pour terminer rapidement, j'en viens au programme fédéral de développement économique et au département des relations industrielles de la MNA. Le gouvernement et l'industrie doivent faire tout leur possible pour appuyer le développement économique des Métis si l'on veut véritablement pouvoir réduire le niveau de pauvreté dans notre pays. Un appui financier est nécessaire non seulement pour remédier aux difficultés que rencontrent individuellement les Métis pour développer des entreprises, accéder à des capitaux à un coût raisonnable, trouver de l'emploi et recevoir une formation, mais aussi pour faire en sorte que les gouvernements métis puissent prendre part à de grands projets et créer leurs propres sources de revenus dans le cadre d'entreprises à but lucratif.
    Quel que soit l'intérêt des programmes, ils ne résolvent que la moitié du problème. Il convient que le gouvernement et l'industrie appuient ces initiatives si l'on veut qu'elles réussissent.
    La MNA s'efforce d'améliorer la situation sociale et économique de ses citoyens et il est temps que le gouvernement et l'industrie fassent leur part pour faire en sorte que le peuple métis devienne un partenaire à part entière au sein de l'économie canadienne. Dans la situation actuelle, les Métis de la province ne réalisent pas leur potentiel économique. La MNA s'attend à ce que le gouvernement et l'industrie s'associent à nos efforts pour combler cette lacune.
    En conclusion, je remercie à nouveau votre comité de m'avoir écouté. J'espère qu'il tiendra compte de mes observations lorsqu'il s'apprêtera à prendre les importantes décisions devant avoir d'énormes répercussions sur la vie des Métis qui luttent contre la pauvreté et s'efforcent de donner une vie meilleure à leurs enfants et à leurs petits-enfants.
    Je vous remercie.
    Merci, madame Stanley-Venne.
    Nous allons maintenant donner la parole à l'Edmonton Mennonite Centre for Newcomers et à son ancien directeur exécutif, Jim Gurnett.
    Soyez le bienvenu. Vous avez la parole.
    Puisque nous parlons d'immigrants et de pauvreté, j'aimerais pour commencer rappeler, comme il convient toujours de le faire à mon avis, que nous nous réunissons ici sur des terres qui constituent le foyer traditionnel des premières nations. Les autres sont venus ici, continuent à vivre ensemble et à profiter de ces terres.
    Comme on vous le répète constamment, la pauvreté ne touche pas tout le monde de la même manière. Je vais m'en tenir à la situation des immigrants, qui constitue l'un des secteurs de la population les plus touchés par la pauvreté, notamment les derniers venus ou ceux qui sont réfugiés ou qui se sont trouvés dans cette situation.
    Je vais m'efforcer de faire quelques observations concernant deux catégories d'immigrants: tout d'abord les personnes très qualifiées qui ont un bon niveau d'instruction et, en second lieu, celles qui, à l'image des réfugiés, arrivent avec une formation qui les prépare bien mal à la vie au Canada.
    De manière générale, les immigrants sont des personnes courageuses et pleines de talent. Ils représentent un énorme atout social et financier lorsqu'ils arrivent au Canada. Il est à la fois immoral et stupide de la part du Canada qu'ils se retrouvent plongés dans la pauvreté.
    Ils veulent qu'on leur donne la chance de se servir de leurs capacités et de réussir. Ils ne veulent pas passer leur vie à dépendre à long terme des services et des finances publiques. Toutefois, pour éviter cette situation, il faut que le Canada apprenne à investir en amont pour que ces personnes puissent éviter la pauvreté et surtout puissent apporter une contribution significative à la richesse économique de notre nation qui profitera effectivement à tout le monde et non pas uniquement à elles-mêmes.
    Pendant un certain nombre d'années, les études ont systématiquement démontré qu'il fallait plus longtemps qu'il y a dix, vingt ou trente ans pour que les immigrants atteignent le même niveau économique que l'ensemble de la population. Deux ou trois mesures essentielles et judicieuses devraient faire une énorme différence pour l'ensemble des immigrants.
    Les immigrants ont souvent des familles avec de nombreux enfants. Vous avez déjà entendu aujourd'hui évoquer la possibilité d'étendre ou de bonifier la prestation fiscale pour enfants. C'est une excellente façon d'augmenter le revenu des gens.
    En second lieu, l'absence d'une stratégie nationale du logement permettant de fournir des logements décents, abordables et appropriés aux personnes à faibles revenus se fait particulièrement sentir pour les immigrants. L'Edmonton Mennonite Centre for Newcomers a fait quelques recherches sur ce point il y a trois ans. Nous avons constaté que plus de 70 p. 100 des 200 familles composant l'échantillon étudié consacraient plus de 30 p. 100 de leur revenu mensuel à leur loyer, ce pourcentage étant considéré comme étant le maximum que l'on puisse affecter à ce poste. Plus de 30 p. 100 des familles consacraient plus de 50 p. 100 de leur revenu mensuel à leur loyer et, dans cet échantillon de 200 familles habitant ici à Edmonton, le revenu mensuel était d'environ 1 500 $.
    Lorsqu'on consacre plus de la moitié d'un budget de 1 500 $ à son loyer, il ne reste pas grand-chose pour le reste. Toute cette question du logement est particulièrement grave pour les immigrants.
    Les tout derniers chiffres fournis par Statistique Canada il y a quelques semaines font état d'énormes pertes d'emplois chez les immigrants récents, et le chômage mène tout droit à la pauvreté. En Alberta, le nombre d'emplois a diminué de 2,4 p. 100 en une année, d'octobre 2008 à octobre 2009, pour l'ensemble de la population. Pour les immigrants, ce chiffre était de 21,2 p. 100.
    Un immigrant sur cinq a perdu l'année dernière son emploi en Alberta. Voilà qui ne peut qu'augmenter les niveaux de pauvreté, c'est automatique. La pauvreté entraîne la pauvreté. On entend constamment parler de cet effet de dominos quand on naît dans une famille pauvre et que tout s'enchaîne par la suite. Nous voyons tellement de familles d'immigrants qui vivent entassées dans des sous-sols. Les enfants mangent mal parce qu'il n'y a pas de place pour garder et cuisiner les aliments, ils sont par conséquent en mauvaise santé et manquent l'école. Comme ils manquent l'école, leur niveau scolaire est insuffisant. Ils se découragent. Ils décrochent. À la fin, ils se retrouvent dans la rue. Cette histoire se répète à satiété.
(1405)
    Je suis encore horrifié par ce que m'a raconté l'un des membres du personnel alors que je travaillais au Mennonite Centre for Newcomers. Il s'agissait d'une femme africaine qui avait immigré avec ses deux enfants. Ils avaient fui la guerre. Les enfants étaient tout heureux d'être au Canada et envisageaient de futures carrières de médecins ou d'ingénieurs. Après deux années de pauvreté, la mère a dit à ce membre du personnel qu'elle aurait mieux fait de rester dans son pays. Là-bas au moins, disait-elle, elle pouvait voir la guerre qui la frappait. Selon elle, le Canada se trouvait pris dans une guerre invisible, tout aussi dangereuse pour elle et ses enfants. Voilà à quoi elle se heurtait.
    Je tiens à dire tout d'abord que la pauvreté résulte du fait qu'on gaspille les talents et l'énergie d'immigrants très qualifiés en sous-évaluant leur niveau d'instruction et leur expérience hors du Canada. On a annoncé ces derniers jours quelques mesures susceptibles d'apporter quelque amélioration, mais elles ne concernent qu'un petit nombre de professions agréées. Le problème est large et complexe et touche un grand nombre d'immigrants. La grande majorité d'entre eux est qualifiée et ce n'est pas simplement dans quelques professions agréées qu'on sous-évalue les compétences des personnes concernées.
    Les études nous montrent que les employeurs n'accordent absolument aucune valeur à l'expérience de travail hors du Canada et l'on ne tient même pas compte des qualifications des personnes concernées. Nous devons nous préoccuper de ce genre de choses. Il est très difficile pour une personne condamnée à faire des petits travaux pendant des années de se reclasser dans le domaine pour lequel elle est vraiment qualifiée.
    Nous devons axer nos stratégies sur les employeurs. Ce n'est pas une question de reconnaissance technique. Il s'agit de faire en sorte que les gens puissent exercer les emplois correspondant à leur véritable formation, pour lesquels ils se sont formés et qu'ils ont choisi d'exercer. Voilà ce qu'il nous faut faire si l'on veut pouvoir bénéficier de leur apport.
    Ces stratégies doivent donner aux établissements d'enseignement postsecondaires et aux ONG la possibilité de se doter de programmes novateurs préparant les immigrants au marché du travail. Trop souvent, les programmes financés par des fonds publics ne cherchent qu'à procurer un emploi. Il ne s'agit pas de ça. C'est un bon emploi, bien adapté, qui aura des effets positifs à long terme. Le programme des travailleurs étrangers temporaires et ses relations avec les emplois non qualifiés a lui aussi entraîné des difficultés du point de vue de la pauvreté.
    La deuxième question que je tiens aussi à aborder est celle des réfugiés. De plus en plus, les réfugiés qui entrent au Canada arrivent pratiquement sans instruction et sans aucune compétence professionnelle susceptible de leur permettre de s'intégrer au marché du travail canadien. Il est bien difficile pour eux de se sortir de la pauvreté. Ils souffrent aussi d'un fort pourcentage de maladies mentales en raison des ravages causés par la guerre. Lorsqu'on est aux prises avec une maladie mentale, on ne peut suivre des études ou garder un emploi.
    Nous avons donc besoin de financer toute une gamme de services de santé mentale spécialisés à l'intention des réfugiés. Il faudra pour cela former des thérapeutes et promouvoir des activités communautaires pour pouvoir régler les problèmes dès le départ.
    De plus, l'allocation de séjour dispensée aux réfugiés aidés par le gouvernement lors de leur première année au Canada est calculée en fonction des prestations d'assistance sociale versées par les provinces, qui sont très inférieures à ce dont une personne a besoin pour vivre dignement. Il faut que cette allocation soit calculée en fonction de différents critères relevant du marché afin de tenir compte du coût réel de la vie. Il conviendrait même de repenser des petites choses telles que le paiement des droits d'immigration ou le remboursement des prêts de transport, qui grèvent lourdement le budget des personnes arrivant au Canada, pour qu'elles aient une meilleure chance de se sortir de la pauvreté.
    Ce sont là des propositions qui ne coûtent pas cher, mais je vous garantis que ce serait un excellent investissement devant permettre aux immigrants, à leur arrivée dans notre pays, de contribuer rapidement et positivement à la richesse du Canada. Nous en serons tous les bénéficiaires dans les années à venir.
    Je vous remercie de votre attention et de votre travail sur cette question difficile et importante.
(1410)
    Merci, monsieur Gurnett.
    Nous allons commencer par M. Lessard.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'être ici pour livrer vos témoignages. Ils viennent certainement enrichir cette réflexion que nous avons à faire sur la pauvreté et surtout, nous guider dans les recommandations que nous allons faire.
    Je veux aussi remercier Mme Tellier de sa délicatesse envers les 10 p. 100 de francophones de l'Alberta qui l'ont entendue aujourd'hui et qui découvriront qu'ils ne sont pas seuls ici. C'est bien.
    En ce qui concerne tous les gens que nous avons rencontrés jusqu'à maintenant, je dois dire que, même si nous faisons une analyse qui nous amène à la même constatation, ils nous apportent un regard qui vient enrichir notre réflexion à tous égards.
    Je vais d'abord m'adresser à M. Daly de façon plus globale. Il y a unanimité à savoir que la situation des Autochtones est plus grave que celle des autres sans-abri. Si quelqu'un a un profil particulier, supposons une femme autochtone ayant un handicap, cette situation est encore pire. Nous arrivons du Nord, nous étions hier à Yellowknife. Des choses nous ont été dites qui nous ont tout à fait bouleversés. Nous essayons de voir vers où nous diriger relativement à ces situations. J'aborde celle des Autochtones en premier.
    Monsieur Daly, vous dites qu'il faudrait leur donner une plus grande autonomie. Si je comprends bien, il s'agit de l'autonomie d'exercer un pouvoir, grâce à des moyens qu'on va transférer aux Autochtones.
     À quel type d'autonomie songez-vous et quels sont les moyens, les pouvoirs, qu'on peut leur attribuer tout en assumant une fonction de guide?
(1415)

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Quand je parle d'autonomie, je veux dire par là que nous avons tous en nous-mêmes les solutions à nos nombreux problèmes. J'estime que nous ne sommes pas assez souvent allés voir les communautés autochtones pour leur demander effectivement de se prononcer et de prendre part aux solutions. Je crois que c'est important. Il y a là aussi un apport significatif dont il faut tenir compte si l'on veut mobiliser toutes les compétences.
    Je constate que dans notre ville, nombre d'Autochtones n'ont toujours pas voix au chapitre. On peut très bien aller à des réunions en ville toute la semaine sans rencontrer une seule personne autochtone à moins que l'on y traite d'une question intéressant spécialement les Autochtones. Pourtant, c'est chez nous que l'on retrouve le plus fort pourcentage d'Autochtones comparativement à toutes les autres villes de notre taille.
    Il s'agit de faire en sorte que les gens prennent part à la politique et à la vie de la communauté. Il s'agit de leur demander leur avis, de les écouter, de s'intéresser à eux et d'éviter qu'ils restent invisibles, contrairement à ce qui se passe trop souvent, à mon avis, dans nos villes. On n'entend même pas leur voix. Il faut commencer par le dialogue et la visibilité et progresser en conséquence. Je considère que dans une large mesure on n'en est même pas là.
    C'est une question que je tiens à aborder. Je parle au nom de l'Institute for the Advancement of Aboriginal Women.
    Nous faisons tout notre possible. Nous avons imploré les autorités. Nous avons présenté de multiples demandes de crédits de fonctionnement de l'Institute for the Advancement of Aboriginal Women de façon à ne pas avoir à rédiger constamment des projets et à attendre que le gouvernement nous envoie de l'argent.
    Un bureaucrate du gouvernement fédéral nous a laissé entendre « qu'il fallait nous affamer ». Cette réflexion m'a bouleversée. J'en ai fait part à l'un de ses collègues qui m'a dit « c'est une remarque fasciste ». Voilà ce qu'on nous fait. On nous affame pour que nous ne puissions pas prendre part pleinement en tant que citoyens à la vie de notre pays.
    J'ai entendu un homme brillant nous dire que l'on était pauvre lorsqu'on n'avait pas d'argent. Il y a une autre chose qui m'a frappée. Le sénateur Hugh Segal nous a parlé d'un revenu garanti qui permettrait à chaque citoyen de notre pays d'avoir suffisamment d'argent pour vivre. Est-ce une idée si extrémiste? Venant de Hugh Segal, j'en suis presque tombée de ma chaise. Il nous faut avoir une plus grande ouverture d'esprit pour agir de manière plus créatrice et plus utile pour l'ensemble de notre peuple -- pour tous nos gens.
    Il est évident que le système ne fonctionne pas. Depuis vingt ans on s'est efforcé de remédier à la pauvreté. Je peux vous garantir qu'il y a plus de pauvreté aujourd'hui qu'avant. Ce sont nos enfants qui souffrent. Pourtant, le problème est là devant nous. Comment se fait-il qu'on ne prend pas des mesures pour le régler? C'est alors que j'entends cette observation: « il faut vous affamer » et je suis abasourdie.
    Dans mon exposé, je vous ai parlé d'autonomie de gouvernement, d'autodétermination, et sur toutes les questions qui intéressent ces gens, ils n'existent pas en fait. J'invite chacun de vous à ouvrir les yeux et à prendre conscience de la douleur qu'on ressent dans notre pays, qui ne devrait pas être. Il n'y a aucune raison pour qu'elle existe. Nous disposons de suffisamment de ressources et d'énormes possibilités non réalisées chez les premières nations, les Métis de et les Inuits ainsi que chez les nouveaux immigrants et chez tous les Canadiens déjà installés. Nous disposons de tous les moyens nécessaires, mais nous n'avons pas tiré un parti suffisant des ressources à notre disposition et nous nous sommes désintéressés du problème.
    Je vous remercie.
(1420)
    Monsieur Lessard, nous reviendrons à vous. Nous nous efforcerons de refaire un autre tour de questions.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Martin. Vous disposez de sept minutes.
    Nous venons d'entendre cet après-midi des témoignages très intéressants et tout à fait convaincants. Je pense que vous vous référez tous à un ensemble de phénomènes sous-jacents et de valeurs qu'il nous faut absolument comprendre. Je ne suis pas sûr que notre comité va pouvoir vous donner entière satisfaction. Le gouvernement fédéral nous a chargé d'examiner le rôle qu'il est susceptible de jouer dans le cadre d'une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté alors que pour la plupart d'entre vous, la pauvreté est au coeur d'un grand nombre des difficultés que vous rencontrez tous les jours et auxquelles vous vous heurtez, quel que soit le groupe auquel vous appartenez.
    Il y a en fait dans notre pays un racisme insidieux et certains comportements qui apparaissent ici et là. De temps en temps, nous recevons des courriels dans lesquels on nous dit que les immigrants touchent 2 500 $ par mois, soit plus que les personnes âgées. Ce n'est pas vrai. C'est tout à fait faux, mais on le dit quand même. On s'en prend à presque tous les groupes que nous évoquons ici et que j'ai eu l'occasion d'entendre devant notre comité, qui vivent dans la pauvreté. Il est difficile d'intervenir tant que ce genre de comportement existe, parce qu'il faut convaincre le gouvernement et la population en général qu'il s'agit là d'une priorité, qu'il nous faut vraiment affecter des crédits à ce secteur plutôt qu'ailleurs.
    Il y a toute cette question, Tanya, des engagements pris par le gouvernement pour la rénovation des maisons, qui font l'objet d'un crédit non remboursable, de sorte que ceux qui ne gagnent pas suffisamment d'argent et qui ne payent pas d'impôt ne peuvent en bénéficier. Par conséquent, les personnes n'ayant que des revenus faibles ou modestes ne pourront probablement pas s'en prévaloir au départ. C'est ce genre de raisonnement qui fait qu'on ne réussit pas à résoudre les problèmes même si l'on agit avec les meilleures intentions du monde. Nous sommes donc ici pour que vous donniez votre avis.
    Tout d'abord, je pense que nous sommes d'accord pour dire que nous avons besoin d'une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et qu'il nous faut travailler en collaboration avec les provinces, les territoires et les municipalités pour y parvenir.
    J'en suis venu à la conclusion qu'il y a au moins trois domaines dans lesquels nous devons intervenir. Le premier est celui de la sécurité du revenu, parce que les difficultés se présentent à partir du moment où on n'a pas de revenus. Le deuxième est celui du logement, et nous l'avons entendu répéter à maintes reprises -- nous avons besoin de logements abordables et de qualité. Enfin, il y a évidemment toute la question de l'insertion sociale, pour que les gens puissent prendre part à la vie des communautés auxquelles ils appartiennent.
    Y a-t-il autre chose? Je m'intéresse à ce que vous avez à dire en prévision du rapport que nous allons rédiger et déposer devant la Chambre des communes, pour qu'il ait vraiment des incidences positives sur votre vie quotidienne.
(1425)
    Il y a une chose que je n'ai pas mentionnée en raison du manque de temps: en l'occurrence, un bon appui doit être apporté au secteur, généralement à but non lucratif, qui aide les gens à se sortir de la pauvreté. Il paraît assez paradoxal que le secteur qui fait la plupart du travail sur le terrain en s'occupant des sans-abri et des pauvres se soit retrouvé lui-même, au fil des années, appauvri et marginalisé. Il m'apparaît nécessaire de reconnaître comme il se doit la valeur du secteur à but lucratif dans notre pays et tout ce qu'il fait dans la société civile pour améliorer l'insertion sociale et éviter les exclusions. Il faut qu'il puisse disposer des ressources nécessaires, parce qu'il est bien difficile pour une organisation à but non lucratif d'attirer et de conserver le personnel dont elle a besoin pour faire un travail très difficile. Certaines des tâches les plus ingrates sont effectuées sur le terrain dans notre pays par les organisations à but non lucratif, et pourtant je ne crois pas qu'on en reconnaisse toute la valeur dans notre culture et que ces organisations en soient suffisamment récompensées.
    Ce que vous dites est intéressant. Excusez-moi si j'interviens très rapidement. Je veux aussi entendre les autres intervenants.
    À Vancouver, l'une des intervenantes qui défend la cause des pauvres nous a dit qu'elle était désormais en concurrence avec les pauvres pour les logements disponibles et qu'elle n'avait pas les moyens de s'offrir certains de ces logements.
    Certains de mes collègues exercent deux, et parfois trois emplois, tout simplement pour pouvoir continuer à travailler pour le compte de Boyle Street Community Services, parce qu'ils sont tout à fait passionnés par ce travail. Je trouve tout à fait révoltant qu'ils en soient réduits à ce genre de choses pour pouvoir faire ce travail important dans notre pays.
    Monsieur Gurnett.
    J'ajouterai une chose à votre liste, monsieur Martin, pour dire avec vous que la sécurité du revenu est effectivement l'un des trois éléments essentiels, mais qu'elle a deux composantes qu'il faut bien distinguer parce que c'est important. La première consiste à faire en sorte qu'il y ait des programmes de crédits publics bien conçus pour compenser un manque de revenus pour les gens qui en ont besoin -- un bon programme d’AE, par exemple, ou encore des prestations fiscales pour enfants plus élevées. La seconde revient à s'assurer que les gens gagnent davantage lorsqu'ils travaillent car il y a bien trop de petits salaires. En Alberta, un quart des travailleurs gagne moins de 15 $ de l'heure, ce qui est un salaire de subsistance. Je ne voudrais donc pas que la sécurité du revenu masque ce genre de choses.
    Il y a une autre chose que je tiens à ajouter, qui me paraît fondamentale. Il s'agit d'aider les gens à se doter d'actifs, parce que lorsqu'on possède des actifs, c'est une assurance à long terme contre la pauvreté qui est d'une grande utilité, plus utile parfois que l'existence d'un revenu. Si j'en crois mon expérience, notamment auprès des immigrants dans notre pays, c'est un élément clé. Celui qui n'a pas d'actifs ne peut jamais se lancer dans la vie. Lorsque tous les revenus passent dans le loyer, on ne peut rien bâtir, on ne se sort jamais du marasme. Cette question des actifs est essentielle.
    Je vous remercie.
    Nous allons passer à un second tour.
    Madame Cadman, vous disposez de sept minutes.
    Je vous remercie.
    Monsieur Gurnett, les statistiques de la ville nous indiquent qu'il y a environ 32 000 nouveaux immigrants à Edmonton. Pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage de ceux qui vivent actuellement dans la pauvreté? En avez-vous une idée?
    Il est bien difficile d'avoir des chiffres exacts sur la plupart de ces questions.
    Je dirais qu'il y a une bonne partie des immigrants de ces cinq dernières années, largement plus de la moitié des émigrants arrivés ces cinq dernières années à Edmonton et ailleurs au Canada, qui sont plongés dans la pauvreté. Tout dépend comment on établit les catégories. Si vous prenez le cas des réfugiés ou assimilés, on arrive probablement à 90 p. 100 parce qu'ils ont besoin de plus de temps pour s'intégrer.
    Tout dépend donc des raisons de leur venue au Canada?
    Effectivement. Si l'on prend le cas des immigrants qualifiés venant de l'Europe de l'Ouest et des États-Unis, le chiffre est relativement plus faible. Toutefois, si l'on considère...
(1430)
    Je ne suis pas au courant de cela. Je suis originaire de Vancouver. Il arrive à Vancouver de nombreux immigrants. J'ai déjà pris des taxis dont le chauffeur était médecin, avocat, et s'en sortait à peine.
    C'est exact.
    J'ai constaté que l'on avait encore plus de difficultés avec des qualifications moindres.
    Non, je n'ai pas parlé de qualifications mais du lieu d'origine -- s'il s'agit d'immigrants venus des États-Unis ou d'Europe de l'Ouest.
    En effet.
    Mais pour les autres pays du monde, c'est ce que je disais, les compétences ne sont absolument pas prises en compte et il est presque impossible d'y parvenir.
    Combien voyez-vous de clients par an?
    Lorsque j'ai quitté le Mennonite Centre for Newcomers au printemps, nous dispensions des services à quelque 10 000 personnes par an. Les cas étaient divers. Il pouvait aussi bien s'agir d'une personne venue chercher de l'aide une après-midi pour rédiger son curriculum vitae que l'un des locataires bénéficiant depuis plusieurs années de nos services de logement subventionné. Nous sommes l'une des quelque cinq organisations à Edmonton et des 450 à l'échelle du pays qui sont au service des immigrants et qui dispensent toute la gamme des services.
    Je vous répète toutefois que le problème vient souvent du fait que nous dispensons à l'heure actuelle les crédits et les services aux immigrants au compte-gouttes sur une durée indéterminé, ce qui les maintient dans un état de dépendance, plutôt que de les aider à bien démarrer. La plupart des gens, lorsqu'ils ont la possibilité de prendre un bon départ, s'en sortent et se débrouillent ensuite tout seuls.
    Je suis bien d'accord.
    Madame Stanley Venne, vous avez la plus forte population métisse. Vous nous avez dit, je crois, qu'elle se montait à 85 000 personnes. C'est bien ça?
    Oui, c'est bien ça.
    Combien y en a-t-il qui vivent en dehors des réserves, selon vous? Quel est le pourcentage?
    Il n'y a qu'en Alberta qu'il existe des établissements pour les Métis. Il y en a environ 5 000 ou peut-être 6 000 sur les 85 000 qui vivent dans des établissements. Ils disposent de terres et ils ont la possibilité de vivre comme ils l'entendent. Toutefois, on leur a donné les terres les plus pauvres, à l'exception de celles de la région de Paddle Prairie, dans le nord-ouest de l'Alberta, qui sont riches. Toutes les autres terres, toutefois, sont très pauvres.
    Avez-vous jamais pensé à disposer de l'autonomie gouvernementale?
    Effectivement. C'est ce que nous voulons. C'est le statut que nous recherchons. Nous sommes l'un des trois groupes autochtones reconnus par la Constitution canadienne et c'est par conséquent notre objectif: l'autonomie gouvernementale. J'étudie actuellement notre modèle de gouvernance. Nous y travaillons depuis longtemps. Nous considérons que cela nous permettrait de régler bien des situations qui touchent notre peuple à l'heure actuelle. Pour nous, ces gens sont nos citoyens.
    J'ai une observation à faire à ce sujet. Le phénomène des banques d'alimentation a fait son apparition dans notre province. L'Alberta a enregistré une énorme expansion. En parlant avec le candidat au poste de premier ministre en Alberta, je lui ai dit quelque chose qui m'a paru le choquer. Je lui ai déclaré que s'il n'en tenait qu'à moi, je fermerais dès demain toutes les banques d'alimentation. Je les fermerais pour donner l'argent à la population. Il m'en a demandé la raison et je lui ai répondu que c'était à cause de l'humiliation. Je lui ai conseillé d'essayer d'aller mendier sa pitance dans les locaux d'une banque alimentaire, de se mettre dans cette situation, pour se voir ensuite rejeté.
    Il ne s'agit pas simplement de remplir le ventre des gens. C'est une question de respect, de respect pour la population canadienne. Je serais comme vous très humiliée d'avoir à m'adresser à une banque d'alimentation. Je parle de l'humiliation que nous avons imposée aux pauvres dans notre pays en les obligeant à mendier et à se déplacer de bureaux en bureaux pour accomplir telle ou telle formalité. Qu'est-ce que cela signifie? Le faisons-nous vraiment exprès ou est-ce une situation qui a évolué avec le temps? Ne pourrions-nous pas en arriver à une bien meilleure solution avec un comité comme le vôtre, qui s'est déplacé dans tout le pays?
    Lors de ma conversation avec ce ministre, nous avions des milliards d'excédents -- des milliards, pas des millions -- et pourtant il y avait des banques d'alimentation dans notre province. Comment se fait-il? Comment une telle chose peut-elle se produire dans un des meilleurs pays du monde. Nous imposons à nos gens ce genre d'humiliation tout en leur demandant de faire preuve de dynamisme et de réussir, alors qu'on les rejette de partout.
(1435)
    Merci beaucoup, madame Cadman.
    Nous en sommes maintenant au second tour de questions et je vais donner la parole à M. Lessard, qui disposera de cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    L'an dernier, j'ai découvert que c'est en Alberta que se trouve le plus grand nombre de gens qui travaillent et qui ont recours aux banques alimentaires. Ce fut une découverte pour moi. Pourtant, c'est l'Alberta qui connaît le boom économique le plus constant, le plus continu et le plus fort. Cela vient confirmer ce que disait Mme Stanley Venne.
    J'ai la ferme conviction que notre rapport doit créer de l'espoir chez les pauvres, relativement à des choses concrètes, à des choses réalisables à court terme. Dans chacun de vos propos, cette attente est présente. Je donnerai en exemple les paroles de Mme Tellier, qui disait qu'il faut que le problème reçoive une attention immédiate. C'est donc dire que l'on veut identifier des éléments prioritaires. Nous devrons aussi mettre ces choses par ordre de priorité, parce que le gouvernement ne peut pas tout faire en même temps — si tant est qu'il veuille faire quelque chose.
    Ma question s'adresse à vous qui êtes sur le terrain et qui nous apportez ces témoignages si tangibles.
    Aujourd'hui, si on devait dire au gouvernement qu'une priorité domine quant aux mesures pour contrer la pauvreté, quelle serait cette priorité?
    J'aimerais que chacun d'entre vous répondiez à ma question.

[Traduction]

    Je commencerai par une priorité qui me vient immédiatement à l'esprit, parce qu'elles sont nombreuses. Je dirai qu'il faut se préoccuper de la santé mentale. Parmi les gens qui s'adressent à nos services, soit une population constituée en grande partie d'itinérants, la santé mentale est à mon avis la principale cause de cette situation. Je constate qu'il y a bien peu de services dans notre province, qui est à mon avis l'une des plus mal placée dans ce domaine et où l'on enregistre sans conteste le plus haut taux de suicides. Je considère qu'en s'attaquant à cette situation on aiderait les gens à se sortir de la pauvreté, à se loger et à faire tout ce qui est nécessaire pour s'en sortir. Celui qui souffre d'une maladie mentale peut difficilement s'en sortir parce qu'il rechute constamment en l'absence d'une aide suffisante.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Je dirai qu'il faut disposer de logements abordables parce que sinon on ne peut pas sortir de la pauvreté et surmonter certaines difficultés, les maladies mentales ou les toxicomanies. Celui qui n'a aucun endroit où loger pour se reposer la nuit et qui ne dispose pas d'une bonne source de revenus pour faire face à ses besoins se retrouve plongé dans la pauvreté et l'itinérance sans qu'il y ait de solutions possibles. Il faut commencer par avoir un lieu où se loger, un chez-soi, un endroit où se réfugier. Il faut donc des logements abordables.
    Je dirais qu'il faut les deux. Au nom de ma nation métisse, je réclame l'autonomie gouvernementale, l'autodétermination, la possibilité d'élaborer nos propres politiques, de faire les choses nous-mêmes. Cela fait partie de la fierté d'être Canadien. Nous sommes fiers de notre pays. Nous le montrons dans la façon dont nous nous traitons les uns les autres, dont nous nous respectons. Je vous le répète, les gens sont obligés de s'adresser aux banques d'alimentation. Ils sont constamment humiliés parce qu'ils n'ont pas d'autre choix, il leur faut y recourir dans la situation actuelle. Toute cette question de fierté renvoie à mon avis à la nécessité de disposer de suffisamment d'argent, de logements, de services, de décider soi-même et éventuellement de prendre des vacances. Ce sont des choses qui nous paraissent souvent bien naturelles. Je veux que vous pensiez à la fierté d'être Canadien et à tout ce que cela suppose; sinon, on ne fera que juxtaposer des pauvres et des gens de la classe moyenne. Vivre ensemble, pour moi, c'est le plus important.
(1440)
    Je rêve peut-être en couleur mais j'estime que la solution serait de prendre l'initiative d'une politique publique nationale détachée des expédients et des solutions à court terme pour prévenir en amont le fléau de la pauvreté. Plus précisément, une politique du logement ainsi qu'une politique de garderies assurant l'éducation de la petite enfance sont deux outils essentiels permettant d'aborder les problèmes à la base plutôt que de recourir à des solutions d'urgence.
    Tony.
    Je vais vous parler quelques minutes du logement. Parmi tout ce que nous avons entendu ces dernières années dans le cadre des audiences qui ont été organisées, la demande de logements abordables et de bonne qualité revient constamment, quel que soit l'endroit où l'on se trouve. C'est un gros problème.
    Vous savez que les ministres nationaux et provinciaux du logement se réunissent aujourd'hui. Ils se sont donné trois priorités dans le cadre de cette rencontre. Il n'y a aucune audition. Ils ne vont entendre aucun responsable des O.N.G. ou d'autres organisations de ce type. Pour ce qui est toutefois du versement des crédits fédéraux consacrés au logement ils ont déclaré, comme vous avez pu le voir dans les rapports publiés dans les médias ces deux derniers jours, que seulement 68,4 millions de dollars sur les 1,9 milliard de dollars promis ont été effectivement versés. C'est la question qui les préoccupe et ils veulent savoir comment ils vont pouvoir faire pour qu'au moins ces 1,9 milliard de dollars soient dépensés. Leur deuxième priorité -- et cela nous intéresse compte tenu de notre objectif ici -- porte sur l'adoption d'une stratégie nationale du logement, ce qui serait à mon avis excellent si l'on pouvait y parvenir. Cela entre dans le cadre de nos préoccupations.
    J'en viens à un troisième point, qui est l'augmentation des crédits fédéraux consacrés au logement et aux sans-abri. Dans ma localité de Sault Ste. Marie, c'est l'absence de financement de base qui pose le plus de difficultés aux responsables qui luttent contre l'itinérance. Ils passent tout leur temps à organiser des ventes de charité et des lavages de voitures plutôt qu’à aider effectivement les itinérants à se trouver des logements permanents. La troisième priorité est d'améliorer les crédits fédéraux consacrés au logement et aux sans-abri et d'éviter les compressions budgétaires éventuelles. C'est donc une bonne chose. Nous devons toujours être conscients de ce qui peut nous arriver.
    Si les ministres s'intéressent ainsi au logement, c'est à mon avis parce que la population commence à s'en préoccuper. Des responsables comme vous interviennent et prennent la parole dans des forums tels que celui-ci et d'autres, dans tout le pays, élèvent la voix pour dire que ça ne peut plus durer, que nous connaissons la nature du problème et qu'il convient d'y remédier. Donc, les ministres provinciaux étudient au moins la question et je suis sûr qu'ils feront bien comprendre la situation au ministre fédéral et qu'au minimum ils feront en sorte que l'on dégage ces crédits de 1,9 milliard de dollars et qu'on s'occupe de la stratégie fédérale concernant le logement et les sans-abri.
    Je parle un peu plus que j'aimerais le faire ici, mais ce matin mon collègue Mike Savage, de Dartmouth-Cole Harbour, la circonscription de Sidney Crosby, s'est montré très véhément en évoquant la déclaration présentée hier par le gouvernement pour faire état de l'énorme déficit qui nous attend, sans que cela ait de véritables retombées sur les pauvres et les personnes à risque. L'argent a été bloqué à un certain point et nous ne savons même pas s'il va finir par profiter aux gens qui en ont vraiment besoin. Aujourd'hui cependant, compte tenu du déficit, ce sont les plus démunis qui vont être visés parce que l'on dit très précisément -- et vous en avez parlé un peu plus tôt, Julian, au sujet des organisations à but non lucratif -- que le secteur à but non lucratif va être touché. Le communiqué de presse mentionne que des compressions budgétaires vont s'appliquer à ce secteur.
    Comment allons-nous régler la question? D'après les séances que nous avons organisées, je sais qu'il y a des gens qui sont vraiment dévoués, qui font un énorme travail sur le terrain pour organiser des soupes populaires, administrer des banques d'alimentation et fournir des logements du mieux qu'ils peuvent. Ils sont fatigués, ils prennent de l'âge -- à l'exception de Tanya ici -- et ils ont besoin d'être encouragés. Ils ont besoin de l'aide des paliers supérieurs de gouvernement, et pour l'instant elle se fait attendre.
    Nous n'avons pas mâché nos mots cet après-midi en parlant de « racisme », d’« apartheid de fait » et « d'exclusion sociale ». Je pense pour ma part en termes de « tsunami » si c'est vraiment ce que le gouvernement fédéral choisit de faire, parce qu'il a déclaré qu'il ne réduirait pas les transferts. Il y a un petit nombre de choses qu'il a dit qu'il ne ferait pas.
(1445)
    C'est en fait le secteur à but non lucratif qui fait actuellement le travail sur le front de la pauvreté. Pourriez-vous par conséquent me répondre rapidement sur ce point, si vous n’y voyez pas d'inconvénient? Il n'y a peut-être plus rien à dire, je ne sais pas.
    Pour appuyer ce que vous venez de dire, je vais simplement vous renvoyer à l'une de mes premières observations. Si j'ai recommandé la lecture de Frog Lake, un livre qui vient d'être écrit par un auteur dont le nom m'échappe pour l'instant -- ça vient juste de sortir -- c'est parce que l'on y évoque une tribu indienne venant de se voir refuser toute nourriture par l'agent des Indiens. C'est alors qu'un guerrier s'est adressé à l'agent en lui disant: « donnez-nous de la nourriture; faites-nous manger », ajoutant: « je vais vous le répéter quatre fois. Faites-nous manger ». Son peuple mourait de faim. La situation était catastrophique et les magasins étaient pleins; la nourriture était là. L'agent des Indiens a refusé à quatre reprises et le guerrier l’a tué. Je ne peux pas imaginer que l'on arrive à une crise telle, et que la situation soit si désespérée, que cela se traduise par des troubles et la désobéissance civile.
    Je dis simplement que nous en sommes à un point clé de notre histoire. Soit nous trouvons le moyen d'aider les gens pour qu'ils deviennent de bons citoyens à part entière, soit nous les écartons. On peut toujours dire non, vous n'aurez rien.
    Quelqu'un d'autre veut répondre?
    J'aimerais faire une petite observation. Nous finirons rapidement avec une déclaration de Tony lorsque Julian aura répondu.
    J'ai rapidement une réponse à vous donner, monsieur Martin. Vous nous avez dit tout à l'heure que l'on se préoccupait des sans-abri au niveau national parce que la population commençait à en parler et vous nous avez demandé ce que vous pouviez faire pour les organisations à but non lucratif compte tenu du rôle qu'elles jouaient pour lutter contre la pauvreté. Je pense qu'il nous faut justement parler de ce rôle. Si nos députés évoquent le rôle des organisations à but non lucratif comme ils nous parlent de celui du gouvernement et du secteur privé, il y aura à mon avis une prise de conscience nationale concernant l'importance de ce rôle lorsqu'il s'agit de trouver des solutions, non seulement face à la pauvreté et à l'itinérance, mais dans bien d'autres domaines aussi, et l'on reconnaîtra par ailleurs l'importance de ce secteur tout en lui accordant le respect qu'il mérite.
    J'estime que si l'on en parle, les gens vont écouter et prendront la question au sérieux.
(1450)
    Très rapidement, je dois dire que ce matin nous avons entendu un très bon exposé de l’Homeward Trust Edmonton Group, qui était en fait plein d'espoir. Si nous réalisons effectivement ce qu'il propose, le programme paraît excellent.
    Y a-t-il une opposition entre vous et ce que propose ce groupe?
    Puis-je faire un commentaire?
    Non, il n'y a absolument aucune opposition. C'est un excellent service. Le projet de logement de ce groupe est tout à fait remarquable.
    Quant aux compressions budgétaires devant être appliquées au secteur à but non lucratif, ce secteur manque de financement à l'heure actuelle. Il y a aussi un gros problème qui touche, j'en suis sûre, bien des collectivités, c'est le manque de capacités. Les collectivités n'ont pas les capacités leur permettant de répondre à leurs besoins, voilà pourquoi il y a d'excellents services et initiatives en Alberta -- le projet donnant la priorité au logement et d'autres programmes du secteur à but non lucratif -- mais tous, je vous le garantis, tournent à pleine capacité et ne peuvent plus répondre à tous les besoins de leurs collectivités. Les gens continuent donc à pâtir du fait qu'ils ne peuvent pas accéder aux services.
    Je vais terminer en vous remerciant une fois de plus.
    Tout le monde ici est préoccupé par ce qui se passe et s'intéresse à la question. Nous vous remercions de nous avoir donné votre avis pour que nous puissions en tenir compte dans notre rapport. Julian, vous avez évoqué la question et vous en avez parlé avec votre député.
    Étant donné que vous vivez la chose au quotidien, vous partez peut-être du principe qu'on en a trop parlé. Je peux vous assurer qu'on n'en a jamais assez parlé, parce que les députés ne font que passer. Tony travaille dans le domaine depuis 20 ans; Dona vient d'être élue, et je ne suis ici que depuis cinq ans. Nous passons tous par différentes étapes. Je comprends que vous puissiez être fatigués de devoir toujours répéter la même chose, mais je peux vous garantir qu'il n'est jamais mauvais de continuer à soulever ce genre de questions devant les élus, à tous les niveaux. Vous pourriez être surpris par ce que chacun peut connaître.
    Je vous le répète, même si cela ne vous rassure qu'à moitié, si nous voulons apporter des changements il nous faut à mon avis soulever constamment la question à tous les niveaux.
    Merci de vous être faits les champions de cette cause. Vous êtes en première ligne et votre travail est admirable.
    Je vous avoue que s'il y a un moyen d'appuyer ce que vous faites... Je dois dire que vous avez vraiment mis le doigt sur le problème. Il s'agit de s'appuyer sur ce qui existe déjà et d'exercer un effet de levier. Vous avez besoin qu'on apporte de l'eau à votre moulin. Quelques crédits supplémentaires exercent un énorme effet de levier dans le secteur à but non lucratif parce que c'est ainsi que vous avez opéré toute votre vie.
    Nous continuerons à nous battre. Nous apprécions votre action et tout ce que vous apportez aux gens dans la vie quotidienne.
    Merci d'être venus.
    Monsieur le président, j'ai un cadeau pour votre comité. Il nous renvoie à la fierté d'être Canadiens. C'est un livre intitulé Our Women in Uniform, qui est l'histoire de huit femmes métisses ayant servi dans l'armée lors de la Deuxième Guerre mondiale. Je suis bien fière d'elles et très heureuse de vous faire ce cadeau, parce que c'est tout à fait dans l'esprit du Canada.
    Je vous remercie.
    La séance est levée.
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