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Nous sommes un peu en retard, alors, nous allons commencer; la séance est ouverte.
Nous allons poursuivre notre examen de la Loi sur les espèces en péril. Pour en discuter aujourd'hui, nous recevons des témoins qui partageront avec nous leur expertise et le fruit de leurs études.
Je souhaite la bienvenue à Scott Findlay, professeur agrégé à l'Université d'Ottawa.
Vous ne venez pas de loin, mais je suis content que vous ayez trouvé le temps dans votre horaire pour vous joindre à nous.
Nous recevons Lance Barrett-Lennard, qui est le chef du programme de recherche sur les cétacés du Vancouver Aquarium Marine Science Centre.
Bienvenue.
À titre personnel, nous recevons également Michael Pearson, biologiste professionnel agréé chez Pearson Ecological.
Du Comité scientifique sur les espèces en péril, le CSEP, nous recevons Arne Mooers, professeur agrégé de sciences biologiques à l'Université Simon Fraser.
Je vous souhaite, à tous les quatre, la bienvenue et merci d'avoir trouvé du temps pour nous parler de la loi et nous dire dans quelle direction nous devrions aller dans le cadre de cet examen.
Ceci dit, monsieur Findlay, pourriez-vous débuter avec votre exposé liminaire?
Merci de m'avoir invité.
Comme il a été dit dans les présentations, je m'appelle Scott Findlay et je suis professeur de biologie à l'Université d'Ottawa. Un de mes champs d'expertise concerne la biologie de conservation. Au cours des dernières années, j'ai travaillé avec mon collègue, le professeur Stewart Elgie, de la Faculté de droit, à une évaluation de l'application de la LEP jusqu'à maintenant.
Avant d'en arriver à la partie principale de mon exposé, j'aimerais faire une parenthèse. Premièrement, en tant que scientifique, je considère la LEP, de même que toute autre loi, comme une expérience et le but de notre exercice est d'évaluer cette expérience afin d'utiliser les résultats pour proposer la façon d'améliorer l'expérience suivante. Je vous parlerai donc de ce qui a été fait jusqu'à maintenant et je vous suggérerai des façons d'améliorer cette loi.
Débutons par ce qui a été fait jusqu'à maintenant. Vous verrez dans mon mémoire le tableau 1. Je crois qu'il vous présente la situation réelle de la LEP. Si l'on regarde la proportion des espèces dont l'inscription a été recommandée pour l'élaboration de programmes de rétablissement comportant la désignation de l'habitat essentiel, la situation est assez claire: des 380 espèces qui auraient pu faire l'objet de ce processus complet, il y en a six dont la désignation de l'habitat essentiel a été complétée. On peut donc conclure qu'il reste des améliorations à apporter à cet instrument législatif.
Le premier problème concerne l'inscription. Environ 85 p. 100 des espèces dont l'inscription a été recommandée ont effectivement été inscrites. En comparant celles qui n'ont pas été inscrites à celles qui l'ont été, on peut dégager certaines tendances.
Premièrement, les espèces qui ne sont pas inscrites sont les espèces qui sont du ressort du ministère de Pêches et Océans, celles qui sont récoltées à des fins commerciales ou pour la subsistance ou qui sont des captures accessoires, et celles du Nord. Ces trois constatations générales nous permettent de distinguer les espèces inscrites des autres.
En ce qui concerne l'inscription, il semble que Pêches et Océans Canada, Environnement Canada et Parcs Canada utilisent des processus différents, ce que nous appelons l'effet de l'autorité responsable. Plus précisément, il semble que l'analyse socio-économique à l'étape de l'inscription pour justifier les décisions sur l'inscription soit faite de façon différente. Nous nous trouvons donc devant une différence entre les institutions responsables de l'inscription en vertu de la loi.
Le deuxième problème concerne l'étape de planification du rétablissement. Environ le tiers des espèces qui auraient dû avoir un plan de rétablissement en ont un, et très peu de ces plans ont été terminés dans les délais prévus par la loi.
Il y a donc deux problèmes: les stratégies de rétablissement ne sont pas élaborées à temps, certainement pas dans les délais prévus par la loi, et jusqu'à maintenant, relativement peu de ces plans qui auraient dû être produits l'ont effectivement été.
Le troisième problème que nous avons décelé lors de notre analyse concerne la désignation de l'habitat essentiel. Comme je l'ai montré dans le premier tableau, jusqu'à maintenant, très peu d'habitats essentiels ont été désignés. La plupart de ceux qui l'ont été se trouvent à l'intérieur d'aires déjà protégées. Il y a des tendances claires qui se dégagent si l'on compare les espèces pour lesquelles nous avons la désignation de l'habitat essentiel dans le cadre de stratégies de rétablissement aux espèces pour lesquelles nous n'avons pas cette désignation.
Ces tendances sont illustrées au troisième tableau de mon mémoire. Il y a plus de désignations d'habitats essentiels pour les espèces qui se trouvent dans les aires protégées, et il y a moins d'habitats essentiels désignés pour les espèces se trouvant sur des terres appartenant à une municipalité ou lorsque l'urbanisation est considérée comme une menace importante. De plus — et ceci est très intéressant —, la désignation de l'habitat essentiel semble être retardée par le besoin de consultation auprès des propriétaires fonciers, qui sont souvent un élément important dans le calendrier des études pour les espèces dont l'habitat essentiel n'a pas été désigné, calendriers qui sont un élément obligatoire de la stratégie de rétablissement en vertu de la loi.
Enfin, il y a le problème concernant les délais. En vertu de la loi, le ministre peut engager des consultations prolongées avant de présenter son évaluation au gouverneur en conseil. Il est assez évident que de nombreuses espèces sont bloquées à cette étape du processus. Il y a des espèces prises dans ce purgatoire de l'inscription pendant des années, jusqu'à quatre ou cinq ans, avant qu'une décision soit prise.
Suite à cette analyse de l'application de la LEP, voici nos recommandations.
La première recommandation est que toutes les autorités responsables suivent le même processus pour les décisions relatives à l'inscription. Peu importe qu'il s'agisse d'un oiseau, d'un reptile, d'un poisson ou d'un mammifère, le processus devrait être le même pour toutes les espèces.
Deuxièmement, des délais explicites devraient être imposés aux consultations prolongées. La façon dont les consultations prolongées ont lieu présentement ne respecte pas l'esprit de la loi, surtout l'article 27, qui impose en principe une période de consultation de neuf mois.
Lorsque le gouverneur en conseil propose de ne pas inscrire une espèce, nous proposons que cette décision déclenche un processus de consultation éclairé et transparent.
Nous recommandons que le processus de rétablissement respecte rigoureusement les délais prescrits par la loi.
Nous proposons que la LEP prévoit un délai précis pour la mise en oeuvre des programmes de rétablissement, c'est-à-dire les plans d'action, pour lesquels aucun délai n'est prescrit actuellement.
Sixièmement, nous recommandons que la prédisposition à désigner l'habitat essentiel à l'étape du programme de rétablissement en vertu de la LEP, qui est basée sur le principe de précaution, dans le préambule et à l'article 38, soit entièrement mis en oeuvre. Cela n'a pas encore eu lieu.
Enfin, nous recommandons que la désignation de l'habitat essentiel soit fondée exclusivement sur des critères biologiques. Notre analyse semble indiquer qu'il y a d'autres facteurs qui influent sur cette décision, et nous recommandons que la désignation d'habitat essentiel soit fondée uniquement sur des critères biologiques.
Dans la dernière partie de mon mémoire se trouvent des suggestions détaillées sur le libellé des modifications à la loi qui concordent avec les recommandations précédentes et qui m'ont été transmises par le professeur Elgie de la Papouasie, en Nouvelle-Guinée, où il se trouve en ce moment.
Merci.
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Merci beaucoup, et bonjour.
Je suis un chercheur scientifique qui se spécialise en écologie et en génétique des mammifères marins. Je suis le chef du programme de recherche sur les cétacés de l'aquarium de Vancouver.
La mission de l'aquarium est de protéger la vie aquatique par l'exposition, l'interprétation, l'éducation, la recherche et l'action directe. Il s'intéresse donc directement à ce que la Loi sur les espèces en péril soit mise en oeuvre avec succès.
Je suis coprésident de l'équipe de rétablissement des épaulards résidents sur la côte Ouest depuis 2005, et j'ai participé à la stratégie de rétablissement de six autres mammifères marins au Canada et un aux États-Unis. Je suis également professeur adjoint de zoologie à l'Université de la Colombie-Britannique.
Aujourd'hui, je parlerai de deux façons dont le manque de clarté, d'après moi, de la Loi sur les espèces en péril a provoqué de la confusion et des incohérences en ce qui concerne la planification du rétablissement des espèces, et je ferai des recommandations pour améliorer la loi.
Comme les membres du comité le savent, la LEP précise que les plans de rétablissement doivent être élaborés en deux étapes distinctes: l'élaboration de la stratégie de rétablissement et l'élaboration du plan d'action. La loi n'explique pas clairement pourquoi il y a deux étapes au processus. De plus, il y a une grande confusion chez les gestionnaires gouvernementaux au sujet des raisons de l'existence de ce système.
Je crois que les rédacteurs de la LEP avaient raison de présenter un processus en deux étapes, parce que le rétablissement comprend vraiment deux ensembles assez différents de préoccupations.
La première étape, la préparation de la stratégie de rétablissement, se limite à un processus objectif et scientifique d'analyse et de description des raisons pour lesquelles une espèce est en péril et de ce qui pourrait être fait pour la protéger. On y trouve une description de l'habitat essentiel, s'il est connu; des menaces qui planent sur l'espèce; des mesures générales qui atténueraient les menaces et qui protégeraient l'habitat essentiel; et les critères indiquant s'il y a eu rétablissement et à quel moment. Ce qui est important, c'est que ce document devrait pouvoir se tenir du point de vue scientifique, ce que la loi ne mentionne pas.
La deuxième étape, l'élaboration du plan d'action, consiste à dresser un ensemble précis de recommandations pragmatiques pour que la stratégie réussisse, dans le cadre des contraintes imposées par d'autres lois, par les traités, par les facteurs socio-économiques, par les impératifs financiers, etc. Cette deuxième étape n'est pas strictement scientifique, et elle ne devrait pas l'être non plus. Des avocats, des économistes et d'autres intervenants y participent.
La LEP, comme je l'ai mentionné, n'explique pas clairement le rôle de ces deux étapes — la séparation entre la science et les politiques. En exigeant que les stratégies de rétablissement soient préparées en collaboration avec les intervenants, la loi ne reconnaît pas le besoin fondamental d'objectivité scientifique et rend vague la différence entre les stratégies et les plans d'action.
Je vais parler un peu des conseils scientifiques. La LEP indique que le COSEPAC doit remplir ces fonctions — l'évaluation de l'inscription des espèces — en utilisant les meilleures connaissances scientifiques, communautaires et autochtones disponibles. Cependant, une fois que le COSEPAC a terminé son travail, la loi ne parle pas de l'utilisation de l'expertise scientifique dans le cadre des stratégies de rétablissement ou des plans d'action.
La loi précise que l'habitat essentiel doit être défini selon les meilleurs renseignements disponibles et, en pratique, on tient surtout compte des renseignements scientifiques. Cependant, d'après mon expérience, je peux dire pour le compte rendu que l'obtention et l'inclusion des avis scientifiques et autres dans les stratégies de rétablissement sont, au mieux, incohérentes. Il n'y a pas de mesure de protection contre la partialité ou l'apparence de partialité dans le choix des experts à qui on demande leur avis.
Laissez-moi vous expliquer comment ce processus d'avis scientifique fonctionne à présent. Les stratégies de rétablissement sont généralement rédigées par les équipes de rétablissement, qui comprennent des membres gouvernementaux et non gouvernementaux. Les membres sont choisis de façon ponctuelle, mais comprennent généralement des experts de l'espèce, des représentants des ONG et des groupes autochtones, des intervenants de l'industrie et des représentants des gouvernements provinciaux et des ministères fédéraux.
Cependant, la LEP ne précise pas qu'une équipe de rétablissement doit être utilisée. Au cours des dernières années, le MPO a plutôt utilisé des groupes de travail constitués de fonctionnaires. Dans certains cas, ces groupes de travail invitent des experts de l'extérieur à des ateliers techniques afin d'entendre des opinions professionnelles, mais ils rédigent eux-mêmes les stratégies de rétablissement.
Les équipes de rétablissement ont été utilisées au Canada pendant de nombreuses années, de même qu'aux États-Unis. Parce qu'elles comprennent des membres non gouvernementaux, les discussions sont transparentes — ou moins sujettes à manipulation, pourrait-on dire.
Au contraire, ces groupes de travail internes discutent peut-être ardemment derrière des portes closes — je suis certain que c'est le cas —, mais au bout du compte les membres sont liés par les directives internes et ne sont pas libres de faire part de leurs préoccupations à propos du processus ou de ses résultats à la population. L'utilisation de groupes de travail internes élimine la transparence du processus de planification du rétablissement, limite la participation des scientifiques non gouvernementaux, limite l'examen public et scientifique et, conséquemment, sont moins à même de produire des stratégies de rétablissement objectives que les équipes.
Pour démontrer que les équipes de rétablissement sont meilleures que les groupes de travail internes, je vais parler de mon expérience à titre de coprésident de l'équipe de rétablissement des épaulards résidents. L'équipe comprenait 23 membres, dont le quart étaient des fonctionnaires fédéraux.
En mai 2006, nous avons complété l'ébauche de la stratégie et nous l'avons soumise au MPO pour que le ministre puisse l'examiner. L'ébauche contenait une description de l'habitat essentiel, comme l'exige la LEP, et avait été complétée dans les délais prescrits.
Comme M. Findlay l'a mentionné, et comme M. Pearson le dira également, l'habitat essentiel est nécessaire pour la planification du rétablissement. Sans description de l'habitat essentiel, on ne peut presque rien faire pour protéger une espèce.
Le MPO n'a pas affiché le document dans les délais prescrits, mais a commencé à le modifier en retirant la section sur l'habitat essentiel. Cela a été fait en accord avec l'ébauche d'une politique que l'équipe n'a pas pu voir. Nous n'avons pas pu voir non plus les modifications qui nous ont tout simplement été décrites. Nous avons fait part de nos préoccupations et demandé une explication, et puisqu'il n'y en avait pas, nous nous sommes opposés au changement en exigeant que nos noms soient retirés du document.
Le MPO n'a pas agi avant le printemps suivant, alors qu'il a remis en place la section sur l'habitat essentiel, mais a révisé une autre section importante suite à une demande du ministère de la Défense nationale. Cette section a également été remise en place après les objections de l'équipe. Peu après, le MPO a apporté une troisième modification, sans explication, en éliminant une section qui dressait la liste des menaces contre l'habitat essentiel. Ce changement a aussi été retiré suite aux vives objections des membres non gouvernementaux.
La stratégie a finalement été affichée en mars 2008, plus d'un an et demi après le délai prescrit par la loi.
Le ministère des Pêches et des Océans a affiché une déclaration de protection de l'habitat essentiel en septembre 2008 précisant qu'en réalité, aucune protection de l'habitat essentiel n'était nécessaire. Cela a mené à des poursuites par un important groupe d'ONG influentes. La déclaration a été retirée en février 2009 et a été remplacée, finalement, par une ordonnance de protection de l'habitat essentiel.
En faisant la liste de tous ces obstacles, je veux vous démontrer que sans équipe de rétablissement comprenant des membres indépendants, la stratégie pour l'épaulard ne contiendrait pas les éléments essentiels à son rétablissement.
Suite à ces expériences, je recommande deux modifications simples et claires à la LEP. Premièrement, la nouvelle version devrait clairement décrire les raisons pour lesquelles les stratégies de rétablissement sont distinctes des plans d'action en indiquant que ces premières doivent être objectives et fondées scientifiquement et que les secondes sont sujettes aux contraintes sociales et économiques.
Deuxièmement, la LEP devrait indiquer que le ministre responsable doit chercher à obtenir les meilleurs avis scientifiques pour préparer la stratégie de rétablissement; qu'il doit recourir à des équipes de rétablissement et s'engager envers un processus transparent pour en choisir les membres; et s'assurer que les équipes comprennent des experts indépendants sur l'espèce.
Merci encore une fois, et n'hésitez pas à venir me voir à l'aquarium de Vancouver la prochaine fois que vous viendrez en Colombie-Britannique.
Je suis un biologiste indépendant. Mes domaines de spécialité sont les espèces en péril et la restauration de l'habitat en Colombie-Britannique. Ma thèse de doctorat à l'Université de la Colombie-Britannique a porté sur l'écologie de deux espèces menacées visées par la Loi sur les espèces en péril, c'est-à-dire le meunier de Salish et le naseux de Nooksack. Je fais partie de l'équipe de rétablissement responsable de ces espèces et je suis le principal auteur de leurs stratégies de rétablissement. Je travaille sur le dossier de ces espèces menacées de façon continue depuis 1997, de sorte que j'ai passé les 14 dernières années à discuter et à négocier avec des propriétaires fonciers à propos de questions touchant les espèces en péril et la protection de leur habitat.
Aujourd'hui, je veux vous parler de la désignation et de la protection des habitats essentiels en vertu de la Loi sur les espèces en péril en faisant appel aux expériences que j'ai eues en traitant avec les propriétaires fonciers, en rédigeant des stratégies de rétablissement et à la suite d'une poursuite qui a découlé de la publication de l'une d'entre elles. Commençons avec la stratégie de rétablissement du naseux de Nooksack.
La LEP exige que les stratégies de rétablissement désignent l'habitat essentiel « dans la mesure du possible, en se fondant sur la meilleure information accessible. » Pour le naseux de Nooksack, mes collègues et moi avons produit des cartes indiquant les cours d'eau particuliers abritant un habitat essentiel. La LEP vise également explicitement toutes les « routes migratoires dont sa survie dépend, directement ou indirectement. » Par conséquent, nous avons inclus les bandes de végétation en bordure des cours d'eau ou les bandes de végétation riveraines étant donné que nombre d'ouvrages scientifiques révèlent l'importance de ces bandes pour la santé et l'intégrité de l'habitat des poissons.
Pour définir la largeur de ces bandes tampons riveraines, nous avons adopté les méthodes utilisées en vue du règlement sur les zones riveraines de la Colombie-Britannique. Ces méthodes sont rigoureusement scientifiques et ont déjà été approuvées par les gouvernements fédéral et provincial pour déterminer la zone devant être protégée lors de travaux d'aménagement de terrain.
Nous avons présenté la stratégie de rétablissement contenant ces cartes d'habitats essentiels en août 2005. Plus d'un an plus tard, lorsque la stratégie provisoire a été affichée sur le registre public, les cartes des habitats essentiels avaient été retirées, notre définition du terme habitat essentiel avait été retirée ainsi que la liste des activités susceptibles d'entraîner sa destruction. L'équipe de rétablissement n'a pas été consultée concernant ces changements, même si nos noms continuaient d'apparaître sur la stratégie en tant qu'auteurs.
Les négociations subséquentes qui ont eu lieu entre l'équipe et Pêches et Océans Canada ont permis la réinsertion de certains des documents supprimés, mais pas les cartes, ainsi que l'inclusion d'une clause exonératoire indiquant que la partie afférente à l'habitat essentiel de la stratégie avait été modifiée pour se conformer à la politique du gouvernement.
En juillet 2007, peu après la publication de cette version de la stratégie, une coalition de groupes environnementaux a engagé une poursuite, alléguant que la stratégie ne désignait pas l'habitat essentiel conformément à la LEP. J'ai été un des trois membres de l'équipe de rétablissement à leur fournir un affidavit.
Au cours des deux années suivantes, la poursuite a connu une série de manoeuvres juridiques, notamment une tentative visant à radier la plupart des affidavits des membres de l'équipe de rétablissement, la rédaction de courriels expliquant pourquoi le gouvernement avait retiré les documents concernant les habitats essentiels et une tentative de rejeter la poursuite en alléguant qu'elle était sans portée pratique par suite de l'inclusion tardive des cartes liées à l'habitat essentiel.
La Cour fédérale en est finalement venue à une conclusion favorable aux groupes environnementaux. Dans sa décision, le juge Douglas Campbell décrit les actions du gouvernement. Il a dit: « Voici un cas où l'élaboration et l'application d'une politique par le ministre constitue une infraction évidente à la loi, et celui-ci ne voulait pas être tenu responsable de ne pas respecter la loi. »
Il faut reconnaître que le gouvernement a réagi positivement et semble avoir adopté depuis ce temps des politiques en matière de planification du rétablissement destinées à désigner les habitats essentiels dans la mesure du possible. Toutefois, d'autres problèmes sont survenus.
L'inclusion tardive des cartes désignant l'habitat essentiel a obligé le ministre à rendre une ordonnance en vertu de la LEP afin de protéger un habitat essentiel ou de publier un énoncé lié à la protection de l'habitat décrivant la façon dont cet habitat était déjà protégé correctement. En décembre 2008, un énoncé de protection, plutôt qu'une ordonnance de protection, a été publié, et j'ai été très déçu de son contenu.
L'énoncé allègue que l'habitat essentiel est déjà visé par l'article 35 de la Loi sur les pêches, et il rejette les autres menaces comme étant non pas des menaces contre l'habitat, mais contre des particuliers. Après avoir travaillé pendant 14 ans dans ces cours d'eau, je sais que ce n'est pas la vérité.
L'article 35 de la Loi sur les pêches stipule ce qui suit: « Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson. » Cependant, pour appliquer les dispositions de cet article, il faut qu'une personne soit désignée et présumément accusée en tant que personne responsable.
Or, qui est responsable lorsque 100 puits et 20 pompes d'irrigation s'étendant sur plus d'une cinquantaine de kilomètres carrés assèchent collectivement un ruisseau? Qui est responsable lorsque les eaux de ruissellement de nos rues et de nos toits se combinent pour produire des inondations éclairs qui endommagent l'habitat ou lorsque les effets de l'érosion de douzaines de propriétés n'ayant pas suffisamment de végétation riveraine se conjuguent pour boucher une frayère avec des sédiments?
Il s'agit d'effets cumulatifs de sources de pollution diverses. Voilà ce qui représente la plus grande menace pour le naseux de Nooksack et toute une variété d'autres espèces, mais on ne s'y attarde pas pour la simple raison que la Loi sur les pêches ne peut pas régler ce problème —, mais la LEP est en mesure de le faire.
Par conséquent, à mon avis, l'énoncé sur la protection de l'habitat continue sur la voie de la procrastination et de l'évitement de mesures efficaces pour protéger les espèces en péril. Cet énoncé n'est certainement pas suffisant pour prévenir la destruction de l'habitat essentiel du naseux de Nooksack.
Que faut-il faire alors?
Je travaille régulièrement dans une quinzaine de bassins hydrographiques de la vallée du Fraser et, au fil des ans, j'ai discuté avec nombre de propriétaires fonciers concernant l'habitat et les espèces en péril. La majorité étaient des agriculteurs qui se rendent compte qu'ils pourraient devoir concéder des terres ou abandonner certaines pratiques agricoles sur des terres qui jouxtent les bassins hydrographiques si des mesures de protection de l'habitat sont adoptées et appliquées.
Comme il fallait s'y attendre, ils n'aiment pas l'idée, mais seulement parce qu'ils craignent qu'ils devront assumer entièrement les coûts de ces mesures de protection. Les agriculteurs ne s'opposent pas par nature aux mesures de conservation ni aux mesures environnementales, et la plupart accepteront une situation où la société assume les frais des retombées sociales de leurs terres. Le fait de mettre un peu d'argent sur la table permet de changer complètement la tournure des discussions.
Les circonstances fournissent un exemple révélateur de la façon dont on pourrait régler le problème. Trois des quatre ruisseaux canadiens abritant le naseux de Nooksack coulent vers le sud au-delà de la frontière américaine jusque dans le comté de Whatcom, dans l'État de Washington. À partir du pont de l'avenue O, la route frontalière du côté canadien, on peut apercevoir une zone riveraine récemment reboisée le long de la crique Bertrand dans le comté de Whatcom. Il s'agit d'une des nombreuses étendues de terres agricoles auparavant dénudée que l'État a louée aux agriculteurs pour ses écoservices, notamment la préservation de la qualité de l'eau et la protection des stocks de saumon menacés.
Il en ressort un point important. Les écoservices de l'habitat essentiel sont très loin de se limiter aux espèces en péril. Le naseux de Nooksack côtoie toujours le saumon, l'espèce indigène la plus révérée et la plus importante au plan économique de la Colombie-Britannique.
Les habitats aquatiques et riverains en bonne santé purifient l'eau. Ils séquestrent le carbone et servent de voies principales par lesquelles l'eau, les nutriments et les organismes se déplacent dans le territoire. Ils constituent essentiellement le système circulatoire de l'écosystème et nous avons tout intérêt à les protéger.
On pourrait également appliquer une autre solution possible. En Colombie-Britannique, les propriétaires fonciers de petites parcelles rurales peuvent réduire l'impôt foncier s'ils peuvent démontrer que ces terres génèrent quelques milliers de dollars de revenu agricole brut. Cela encourage les gens qui en savent peu sur les méthodes agricoles saines ou qui ne voient pas l'intérêt de les adopter à procéder au défrichement de terres très marginales ou de fermes d'agrément. On pourrait offrir un allégement fiscal à ces propriétaires, lequel pourrait prendre la forme de subvention destinée à éponger les taxes foncières municipales comme c'est le cas pour les taxes agricoles, ce qui permettrait de réduire cette pratique.
En conclusion j'ai trois recommandations précises.
Premièrement, il faudrait créer immédiatement une réglementation sur l'indemnisation, comme prévu à l'article 64 de la loi afin de faciliter la protection de l'habitat essentiel sur les terres privées.
Deuxièmement, il faudrait recourir aux ordonnances de protection de la LEP ou aux accords en matière de conservation afin de prendre des mesures valables pour protéger l'habitat essentiel plutôt que d'alléguer en l'absence de corroboration scientifique que les lois en vigueur protègent correctement les espèces. Si ces lois étaient suffisantes, ces espèces ne se retrouveraient pas sur la liste des espèces en péril.
Troisièmement, pour reprendre ce que mes collègues ont dit, il faudrait que les équipes de rétablissement se voient concéder un mandat légal en vertu de la LEP et qu'on les encourage à recourir aux meilleures connaissances accessibles pour élaborer des stratégies de rétablissement afin de restaurer des espèces dans leur habitat.
Merci de votre temps et de votre attention.
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Bon après-midi. Je m'appelle Dr Arne Mooers, de l'Université Simon Fraser. Je suis accompagné de ma collègue Dr Jeannette Whitton, qui est de l'Université de Colombie-Britannique.
Je représente le Comité scientifique sur les espèces en péril. Nous sommes une dizaine de professeurs et de scientifiques qui viennent de tous les coins du pays. Nous nous sommes réunis pour la première fois en novembre 2008. Nous avions comme but d'étudier la façon dont la science est utilisée dans la Loi sur les espèces en péril et la façon dont on pourrait l'utiliser plus efficacement.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui.
[Traduction]
Les données qui vous ont été présentées et les récits que vous venez d'entendre ont servi de base à nos délibérations au Comité scientifique sur les espèces en péril ou le CSEP.
La principale recommandation de haut niveau que nous avons formulée est de faire en sorte que les législateurs, c'est-à-dire vous, veillent à ce qu'il y ait une séparation claire entre la diffusion des renseignements scientifiques, c'est ce que nous faisons, et les mesures gouvernementales ultérieures à tous les stades du processus de la LEP. Une séparation de ce type apporterait des éclaircissements au sujet des décisions difficiles et des compromis que doivent faire les Canadiens, par votre entremise, lorsqu'ils gèrent leur patrimoine naturel.
Nous avons préparé quelques tableaux. Nous espérons qu'ils vous ont été distribués.
La figure 1 est une représentation schématique de la manière dont la LEP est élaborée dans le droit et indique le stade où la contribution scientifique entre dans le processus. La boîte du haut indique à quelle étape le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada ou le COSEPAC se sert des meilleurs renseignements et critères convenus à l'échelle internationale qui sont disponibles afin de décider si une espèce sauvage mérite une protection juridique. Il est à noter que cette case blanche n'est intégrée à aucune case grise désignant les activités regroupant la politique ou la science. La décision du COSEPAC est rendue publique et par la suite le gouvernement, c'est-à-dire vous, répond publiquement à l'évaluation scientifique soit en l'acceptant, soit en la refusant, soit en la renvoyant de nouveau devant le comité.
Le CSEP est en faveur de cette distinction claire et nous appuyons la recommandation particulière que le COSEPAC a faite à votre comité il y a environ un an selon laquelle cette séparation entre une évaluation indépendante accessible au public et le processus décisionnel du gouvernement soit clarifiée et renforcée. Nous estimons qu'il s'agit là du véritable point fort de la LEP telle qu'elle existe actuellement.
À mesure que nous avançons au stade ultérieur de la LEP, qui comporte l'inscription en vertu de la loi, le rétablissement et la planification des mesures, la séparation entre les activités scientifiques indépendantes et les politiques n'existe pas. Ici, la science est intégrée dans un cadre stratégique.
L'exposé de M. Finlay souligne les problèmes concernant les espèces qui n'obtiennent pas d'inscription à la suite d'une évaluation. Nous sommes préoccupés par le conflit d'intérêt institutionnel de même que par la perception d'un tel conflit, qu'il existe ou non. Des pratiques exemplaires claires doivent être respectées autant ici qu'ailleurs.
Notre première recommandation est la suivante, et elle contient de nombreux modificateurs importants, je m'en excuse, parce que ça en fait une phrase très longue. Si une espèce ne peut être inscrite au registre en vertu de la loi — si la possibilité existe —, un processus plus formel, indépendant, transparent, cohérent et complet doit alors être suivi. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle, comme l'a démontré M. Finlay. Les scénarios utilisés dans les analyses en vue de l'inscription doivent être clairs et ouverts à un examen minutieux indépendant. Et les éléments à considérer, tant à court qu'à long terme, ainsi que les coûts et avantages de l'inscription en vertu de la loi pour tous les Canadiens doivent être inclus.
Vous savez, d'après l'expérience de M. Barrett-Lennard à quel point les étapes suivant l'inscription — nous passons maintenant aux mesures concrètes — ne se déroulent pas toujours bien. Nous sommes d'avis — et la loi, je pense, est claire — que les activités scientifiques indépendantes ne seront que l'une des voies qui contribuent à l'ébauche des stratégies de rétablissement, mais dans la chorale émergente actuelle, on ne sait pas bien quelle sera leur contribution.
Les poursuites et les menaces récentes liées au fait que l'habitat nécessaire à la survie et au rétablissement des espèces n'a pas été déterminé, comme vous l'avez entendu, représentent l'un des résultats négatifs coûteux. Ces poursuites auraient pu être évitées si une supervision scientifique indépendante avait fait partie du processus de planification du rétablissement. Ces ébauches de stratégies, celles que nous avons publiées, auraient probablement inclus une indication, à tout le moins partielle, de l'habitat essentiel.
Par conséquent, notre deuxième recommandation officielle est la suivante: faire appel à un comité scientifique indépendant que nous avons nommé le COREPAC, c'est-à-dire le Comité sur le rétablissement des espèces en péril au Canada, afin qu'il évalue les stratégies de rétablissement et les plans d'action. Un organe de ce genre offrirait des conseils clairs quant à la question de savoir si un ensemble de politiques sur la manière d'atteindre les cibles énoncées de la LEP peuvent être respectées au moyen d'une stratégie de rétablissement et d'un plan d'action particuliers.
On pourrait avoir recours aux articles 40 et 11. Les rapports du COREPAC seraient publics tout comme les évaluations du COSEPAC, et les représentants élus qui parlent au nom des Canadiens de partout, y répondraient ensuite publiquement comme ils le font relativement à la liste. Il se peut que des modèles possibles pour ce genre de système existent déjà à l'échelon du gouvernement fédéral au Canada.
Compte tenu des réalités politiques, nous ne croyons pas que cette étape ralentirait la production de l'ébauche de la stratégie de rétablissement et du plan d'action. Quoi qu'il en soit, une stratégie ou un plan qui ne parvient pas à atteindre ses objectifs énoncés constitue un gaspillage de l'argent des contribuables.
Dans l'ensemble, nous croyons que l'approche générale qui consiste à séparer la collecte et l'analyse des données scientifiques des décisions en matière de politique présentées ci-haut — la séparation — pourrait s'étendre à toutes les étapes du processus de la LEP. C'est ce que nous soulignons dans la figure 2 devant vous. Dans ce schéma, les cases scientifiques ont été placées ailleurs afin de démontrer qu'elles présentent de l'information scientifique, ainsi les Canadiens peuvent voir quelles sont les données qui entrent et quelles sont les données qui sortent.
Pareille séparation de la contribution scientifique de la réponse du gouvernement atténue les conflits d'intérêts et permet aux Canadiens de voir à quel point les décisions prises en leur nom sont difficiles à prendre. Les Canadiens peuvent décider qu'il ne vaut pas la peine de protéger et de rétablir une espèce sauvage en particulier. Cependant, il ne sert pas à grand-chose de laisser croire aux Canadiens qu'elle le sera si les données semblent indiquer le contraire.
Dans notre dossier officiel, nous avons poussé un peu plus loin notre raisonnement et nous avons également souligné quelques autres questions spécifiques et fourni la définition de termes scientifiques difficiles qu'il serait utile de définir dans la LEP.
[Français]
Nous sommes prêts à discuter de ces questions si ça vous intéresse.
Merci beaucoup.
:
Merci beaucoup, monsieur le président. Merci à nos témoins de leurs présentations.
Premièrement, je qualifierais vos présentations de « troublantes ». Il me semble que, dans le cadre d'une saine gouvernance environnementale, il faut nous assurer d'avoir le plus possible d'indépendance scientifique, particulièrement dans la prise de décisions. C'est ainsi que je résumerais l'ensemble de vos quatre témoignages.
Deuxièmement, une autre chose m'a beaucoup frappé, particulièrement en ce qui a trait à l'habitat essentiel. Peut-être que j'avais vu les chiffres, mais ceux-là m'ont frappé. Pour ce qui est des espèces sur la liste, monsieur Findlay, vous nous dites que seulement 19 p. 100 des programmes de rétablissement désignent un habitat essentiel, et que pour les autres, ça se fait essentiellement dans des territoires déjà protégés. Au bout du compte, force est de constater que cette notion d'habitat essentiel est loin d'être mise en application conformément à la loi, et que les considérations économiques semblent primer. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.
On savait que c'était le cas, mais au début du processus. C'est ce qui est dangereux, à mon avis. Qu'on tienne compte des aspects scientifiques, c'est compréhensible, à la limite. Je vous remercie de nous avoir donné ce diagramme qui fait l'évaluation de la situation par le processus d'inscription. Par contre, ne trouvez-vous pas que, dans l'ensemble, les aspects socioéconomiques sont trop pris en considération au début du processus?
Je tiens également à vous remercier tous de vos excellents mémoires. Je crois que je n'ai jamais rien vu de mieux. Ils sont très utiles, car ils se fondent sur votre expérience en tant que scientifiques et qu'ils font un lien avec les poursuites judiciaires.
L'un d'entre vous, je crois que c'est M. Pearson, a cité dans son mémoire le juge Campbell qui a déclaré: « Voici un cas où l'élaboration et l'application d'une politique par le ministre constitue une infraction évidente à la loi, et celui-ci ne voulait pas être tenu responsable de ne pas respecter la loi ». Je trouve qu'il s'agit d'une déclaration assez étonnante au sujet du gouvernement.
Ce qu'il y a de si intéressant dans votre témoignage, c'est que vous avez participé à dossiers séparés de préservation d'espèces et pourtant, vous nous présentez tous des recommandations très semblables.
D'abord, quelles autres mesures, à votre avis, sont nécessaires pour éviter que les collectivités, les scientifiques ou les organismes aient à recourir aux tribunaux? Avez-vous l'impression que des progrès ont été réalisés, du moins à l'égard de la protection de vos espèces? Constatez-vous un changement.
Deuxièmement, j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet du ministère des Pêches et des Océans. Des représentants du Conseil canadien des pêches sont venus témoigner, et ils ont essayé de nous convaincre que la protection des espèces de poissons au titre de la Loi sur les espèces en péril pourrait être traitée dans le cadre de la Loi sur les pêches et qu'il n'est nullement nécessaire d'invoquer la Loi sur les espèces en péril. Pourtant, vous semblez dire exactement le contraire dans votre témoignage.
Est-ce que vous pourriez répondre à ces deux questions, ensemble ou séparément?
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Si vous le permettez, j'aimerais formuler trois petites observations.
Mon premier point porte sur les répercussions de l'inscription au ministère des Pêches et des Océans. Cette analyse n'a pas encore été mise à jour, mais il est très clair que jusqu'ici, du moins jusqu'à un passé très récent, les processus suivis par le MPO, d'un côté, et Environnement Canada ainsi que Parcs Canada de l'autre, pour appuyer les décisions relatives à l'inscription sur la liste étaient différents. En tant que scientifique, je ne vais pas nécessairement porter un jugement sur lequel est le meilleur. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il devrait s'agir du même processus. C'était mon premier point.
Mon deuxième point porte sur la Loi sur les pêches. Si la Loi sur les pêches pouvait en faire autant que la Loi sur les espèces en péril lorsqu'il s'agit des mammifères marins et des poissons d'eau douce et salée, on pourrait avancer qu'il n'est pas nécessaire d'appliquer une Loi sur les espèces en péril pour tous les êtres vivants en eau douce ou en eau salée. Manifestement, la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur les pêches ont deux objectifs différents, dans la mesure où l'instrument a été conçu pour atteindre l'objectif énoncé, j'avancerais que nous avons besoin de ces deux lois. Je crois que l'argument selon lequel nous pouvons atteindre tous les objectifs au moyen de la Loi sur les pêches repose essentiellement sur l'énoncé selon lequel la Loi sur les pêches est similaire à la Loi sur les espèces en péril en ce qui a trait aux espèces marines et aquatiques, mais cet énoncé est erroné.
Mon troisième point porte sur l'habitat essentiel. La raison pour laquelle l'habitat essentiel n'a jusqu'ici pas été très bien défini ou n'a pas été recensé à l'étape du rétablissement, c'est probablement parce que ce critère a été interprété avec une discrétion ministérielle maximale. Le même problème existait aux États-Unis dans les premières années qui ont suivi l'entrée en vigueur de l'Endangered Species Act. Nos voisins du Sud ont le même problème parce que la question de la désignation d'habitat essentiel s'effectue « dans la mesure du possible ». Cela a été interprété comme autorisant un énorme pouvoir discrétionnaire ministériel dans le cadre de l'Endangered Species Act.
Par conséquent, très récemment, en raison des décisions des tribunaux, on commence à interpréter différemment ce passage de la loi. Je crois que mes collègues ont bien résumé la situation en affirmant qu'il semble y avoir un mouvement actuellement vers ce que nous estimons être la bonne direction, en ce sens que l'accent est mis davantage sur l'identification de l'habitat essentiel à l'étape du rétablissement. Pour ce qui est de savoir s'il reste encore du travail à faire, évidemment, c'est une toute autre question.
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Merci, monsieur le président.
Messieurs les témoins, je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je me réjouis de voir que trois de nos scientifiques viennent de la Colombie-Britannique et même un de ma merveilleuse circonscription de Langley. Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui et d'avoir fait ces efforts.
J'ai bien plus de questions que de temps, alors, je vous demanderais de répondre assez brièvement.
J'aimerais surtout parler de la consultation. Consacre-t-on assez de temps à la consultation, en particulier au sujet des connaissances traditionnelles autochtones? Il me semble que cet aspect est exclu de vos recommandations. Vous avez parlé des facteurs socio-économiques à considérer, en particulier la détermination de l'habitat essentiel. J'ai l'impression que vous n'appuyez pas les connaissances traditionnelles autochtones.
J'aimerais commencer par M. Pearson. Vos travaux ont porté sur le meunier de Salish et sur le naseux de Nooksack. À la page 5 de votre mémoire, vous indiquez que:
Je travaille régulièrement dans une quinzaine de bassins hydrographiques de la vallée du Fraser. Au fil des années, j'ai discuté avec nombre de propriétaires fonciers concernant l'habitat et les espèces en péril. La majorité étaient des agriculteurs qui se rendent compte qu'ils pourraient devoir concéder des terres ou abandonner certaines pratiques agricoles sur des terres qui jouxtent les bassins hydrographiques... Comme il fallait s'y attendre, ils n'aiment pas l'idée... Parce qu'ils craignent qu'ils devront assumer entièrement les coûts de ces mesures de protection.
Vous devriez d'ailleurs nous communiquer une recommandation, ou une piste de réflexion, dans les cas où il y aurait une baisse d'impôt foncier sous forme de subvention qui pourrait être redonnée lorsque les terres ne peuvent être utilisées aux fins prévues.
À cet égard, nous avons étudié la question de l'habitat essentiel qui n'est pas situé principalement dans des zones urbaines ou des banlieues, c'était plutôt dans les forêts boréales et sur les terres fédérales. Nous n'avons pas vraiment abordé la question de l'indemnisation, mais vous en avez parlé, alors j'aimerais que vous nous en disiez davantage.
Si un cours d'eau traverse une exploitation agricole, ou qu'une exploitation est encerclée par une tranchée de drainage, ou même si un gouvernement municipal désire conserver son réseau de tranchées, ce sont des questions que les administrations municipales doivent régler avec le ministère des Pêches et des Océans en Colombie-Britannique, à la fois au niveau provincial et fédéral. Alors, d'où viendraient ces subventions pour payer des indemnisations? Il faut aussi déterminer l'ampleur de l'inconvénient occasionné. Cela dépend de la topographie et du cours d'eau historique.
Bien sûr, j'ai plus de questions que de temps. Pourriez-vous surtout expliquer d'où proviendraient les subventions et quels seraient les mécanismes d'attribution? En avez-vous parlé aux autorités locales également? À mon avis, il y aurait un délestage des responsabilités sur les administrations locales?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci aux témoins qui sont venus nous rencontrer aujourd'hui. Vous m'avez certainement donné matière à réflexion au sujet de certaines questions fondamentales dont nous sommes saisis. Je suis désolé de n'avoir que cinq minutes, car cela ne me donne pas beaucoup de temps pour les approfondir avec vous.
Si vous me le permettez, j'aimerais répondre à certaines remarques de M. Mooers, car j'ai été intrigué par certaines observations très claires que vous avez faites, monsieur Mooers, au sujet de la nécessité de faire une distinction entre la science et la politique. En fait, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que nous ne devrions pas utiliser un libellé qui porte à confusion et dire aux gens que nous faisons une chose alors que nous ne le faisons pas, ou que nous faisons autre chose. Cette distinction entre la science et ce que j'appellerais la prise de décision démocratique, plutôt que la « politique », est bonne en théorie, mais vous avez peut-être entendu ce vieil adage qui dit qu'en théorie, il n'y a pas de différence entre la théorie et la pratique, mais qu'en pratique, il y en a une.
J'aborde cette question en partant du principe que la science pure, si cela est possible, n'a rien à voir avec la démocratie. C'est une question d'observation, de description et de prévision, mais non pas de prescription; c'est-à-dire que la science ne dit pas aux gens ce qu'ils doivent faire.
Mon problème, c'est que j'ai de la difficulté à faire un lien entre cela et ce qu'il faut faire pour les espèces en péril. Je vais vous donner deux exemples; le premier concerne le processus d'inscription.
En théorie, on peut dire que l'inscription devrait se faire uniquement à la suite d'une observation, en ce sens que si nous disons qu'une espèce est menacée ou qu'elle est en voie de disparition, il s'agit strictement d'une observation. Mais dans la pratique, aux termes de la loi, l'inscription est accompagnée d'exigences de prescription qui inévitablement font intervenir une prise de décision démocratique, ou ce que vous pouvez appeler une question de politique.
Donc, monsieur Mooers, pouvez-vous me dire ce que vous pensez de ce dilemme? C'est que j'ai du mal à comprendre comment nous pouvons dire aux gens qu'ils ne peuvent pas faire ceci ou cela sans qu'une décision démocratique intervienne à ce niveau.
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Du point de vue de la communauté scientifique... Je dirais qu'il y a deux choses. Premièrement, lorsqu'on conçoit une expérience de ce genre, il faut expliquer clairement pourquoi chaque élément est inclus.
Selon moi, et je pense que plusieurs de mes collègues partagent mon avis, la LEP englobe tellement d'éléments qu'il est difficile d'y voir clair. Il faudrait d'abord et avant tout que toutes les étapes du processus y soient décrites plus clairement.
Deuxièmement, et cet élément est tout aussi important, voire plus, il y a la question des valeurs. J'aimerais y revenir parce que c'est extrêmement important.
La LEP vise à protéger les espèces en péril. Cela témoigne de la valeur que notre société accorde aux espèces en péril. Il ne s'agit pas là d'une décision scientifique, mais bien d'une décision sociétale.
Le rôle des scientifiques, y compris ceux qui sont ici aujourd'hui, peut donc se résumer ainsi. Si la société a décidé de valoriser les espèces en péril, nous pouvons vous indiquer les meilleures mesures qui, à notre avis, permettraient de les protéger et de les aider à se rétablir; voilà notre tâche. Mais si vous décidez, en dernière analyse, que d'autres valeurs l'emportent en importance sur la préservation des espèces en péril, c'est là aussi une décision sociale et sociétale. En tant que scientifiques, nous voulons simplement que la décision soit clairement énoncée.
Ce qui nous irrite au plus haut point, c'est de voir des questions scientifiques être amalgamées à des questions de valeurs. Je souhaiterais que l'on distingue nettement ces deux réalités. Cela nous ramène à la question de la transparence.
Tout comme mes collègues, je tiens à vous féliciter pour la qualité des mémoires que vous avez présentés. Vous avez vraiment réussi à exposer certains des défis que nous devons relever et qui ont rendu nos audiences sur la LEP si complexes. Vous avez réussi — en tout cas pour moi — à rendre les choses plus simples et plus claires.
Une des raisons pour lesquels la LEP n'a pas été aussi efficace que nous l'aurions souhaité est dû au fait que les données scientifiques et les décisions sur le plan socioéconomique et démocratique entrent quelque peu en conflit les unes avec les autres.
Tous les quatre, vous avez préconisé de dissocier les données scientifiques du processus de décision, mais en même temps, vous avez demandé davantage de clarté, de transparence et de cohérence, ce qui est indispensable en matière de science, mais non moins indispensable en matière de politique et de décision si on veut qu'elles portent leurs fruits.
J'ai été particulièrement intéressé, monsieur Findlay, par la façon dont vous avez cerné tout l'enjeu: « Effectivement, la science intervient dans l'application de la LEP, mais c'est le cas en raison d'une décision politique visant à valoriser les espèces en péril et parce que nous affirmons que c'est la chose à faire ». J'aimerais donc combiner un peu l'essentiel des diverses recommandations.
Je pense que c'est M. Barrett-Lennard qui a évoqué l'idée — et M. Pearson l'a appuyée — de ne faire intervenir les données scientifiques qu'au moment de l'élaboration d'un plan de rétablissement et par la suite, une fois le plan d'action arrêté, qu'on procède à des consultations. M. Mooers a, je pense, le même souci que moi, à savoir qu'il pourrait dès lors être un peu tard pour faire intervenir des préoccupations socioéconomiques. Une des choses réellement importantes à propos de la LEP, c'est de faire les choses correctement.
Je voudrais entendre ce que MM. Mooers et Findlay ont à dire sur la distinction entre données scientifiques et aspects politiques ou, à l'opposé, leur imbrication de manière claire tout au long du processus.
Je vous laisse répondre à cela pendant le reste de mon temps de parole.
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Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins.
Je me joins à nos collègues pour vous féliciter de la qualité de vos témoignages. Ils donnent matière à réflexion aux membres du comité à l'occasion de l'examen de la Loi sur les espèces en péril, alors que nous nous interrogeons sur l'opportunité d'y apporter d'éventuelles modifications.
Évidemment, le temps presse quand il s'agit de protéger une espèce en péril et la mise en oeuvre rencontre beaucoup d'écueils. Nous nous demandons comment nous pourrions agir plus vite sur le terrain, pour ainsi dire. Bien entendu, on constate que certains conflits font surface, ce dont on en a beaucoup entendu parler ici en comité.
Je pense que M. Woodworth a abordé un aspect très important. Les données scientifiques ont un rôle à jouer et, au bout du compte, le gouvernement, bien sûr, doit prendre en compte d'autres intérêts. La Couronne doit respecter ses obligations, ses obligations en vertu des traités. Pour les agriculteurs, il s'agit d'une indemnisation qui peut mettre en cause nos obligations à l'égard de l'OMC, par exemple, car on présume qu'il s'agirait d'une indemnisation annuelle versée aux agriculteurs. Il y a également des aspects constitutionnels étant donné nos rapports avec les autres paliers de gouvernement.
Ainsi, il s'agit d'équilibrer ces aspects socio-économiques et d'autres et la nécessité d'agir plus rapidement sur le terrain. Comment donc être plus efficace?
Par ailleurs, certaines parties prenantes réclament une plus grande participation, ce qui risquerait d'alourdir le processus, en principe.
Monsieur Mooers, ma question s'adresse à vous car vous avez fait allusion à un comité sur le rétablissement des espèces en péril, que vous appelez affectueusement « COREWIC », grâce auquel un groupe de scientifiques prépareraient des stratégies de rétablissement et des plans d'action provisoires. Pourquoi pas? Pouvez-vous m'expliquer comment cela pourrait aboutir à des mesures prises plus rapidement sur le terrain, si toutefois c'est possible? Est-ce qu'on craint que cela pourrait ralentir le processus qui déjà n'est pas rapide? S'en-inquiète-t-on ou devrait-on s'en inquiéter?
Je suis d'accord avec vous, monsieur Pearson, lorsque vous dites que les agriculteurs, pour la plupart, veulent faire leur part; ils sont de bons intendants des terres. Il ne s'agit pas d'une question liée aux espèces ou aux animaux sauvages. Je pense qu'il y a un manque de confiance authentique chez la plupart des gens qui habitent les régions rurales au Canada parce que quelqu'un du gouvernement vient frapper à leur porte.
Des voix: Oh, oh!
M. Blaine Calkins: Cela dit, je veux poser quelques questions. J'aime certaines parties de la loi, mais d'autres parties me frustrent, et je suis certain qu'il en va de même pour vous.
Je vais vous parler un peu de moi. J'ai un diplôme en zoologie. J'ai travaillé pendant quelques années en tant que technicien pour différentes organisations. Je ne me prétends pas biologiste professionnel, loin de là, mais en ce qui me concerne, la définition d'une « espèce » est un peu différente de celle à laquelle je suis habitué en biologie et en ce qui concerne l'application juridique de la loi. Voilà le genre de préoccupations qui m'agitent.
En 1991, la division des parcs et des loisirs de la ville d'Edmonton m'a chargé de dresser un inventaire biophysique du ravin Whitemud-Blackmud. Dans le cadre de ce travail, j'ai embauché M. George Scotter, un botaniste, qui était chargé d'identifier les plantes. Je suis zoologiste; je ne suis pas très bon pour identifier les plantes. Il a répertorié 88 espèces de plantes dans la vallée riveraine de la ville d'Edmonton, à l'extérieur de la zone géographique connue où ces espèces de plantes poussent.
L'article 4 de la Loi sur les espèces en péril précise ceci: « La présente loi s'applique aussi aux organismes vivants sédentaires se trouvant sur ou sous la partie du plateau continental du Canada située à l'extérieur de la zone économique exclusive ». Puis, on y donne la définition d'une « espèce aquatique », c'est-à-dire « une espèce sauvage de poisson, au sens de l'article 2 de la Loi sur les pêches », qui est seulement visée par la zone économique exclusive et les lois qui gouvernent les frontières des eaux canadiennes.
Donc, nous protégeons les espèces aquatiques dans une zone, nous protégeons les espèces sédentaires dans une zone plus vaste. Le peu d'expérience que j'ai acquise m'a montré que nous avons répertorié des espèces dans la ville d'Edmonton qui étaient hors de leur zone géographique. Je vous dirai que nous ne savons même pas quelles espèces nous avons au Canada.
Je vous pose donc une question générale. Au sein de la communauté scientifique, est-ce qu'on définit souvent une nouvelle espèce? Est-ce qu'on découvre souvent de nouvelles espèces? Est-ce qu'on trouve souvent une espèce qui sort de sa zone géographique et se retrouve au Canada? Ces phénomènes sont-ils fréquents? Je pense qu'il s'agit de points capitaux lorsqu'on prend des décisions liées à une loi qui précise...
Que l'on parle de disparition d'un endroit donné, de zone géographique ou de la définition des espèces qui existent au Canada, à quelle fréquence découvrons-nous de nouvelles espèces? Que savons-nous de l'inventaire biophysique actuel des espèces au Canada?
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Je voulais seulement m'en assurer.
Monsieur Pearson, je suis moi-même propriétaire et je pratique l'agriculture, alors j'ai bien aimé vos remarques. J'ai toujours cru que nous avions une longueur d'avance lorsque nous utilisions le renforcement positif plutôt que la punition pour obtenir la participation des propriétaires au mouvement de conservation.
Comme vous l'avez dit, les agriculteurs ont toujours été de fiers intendants de nos terres. Ils tirent une fierté de veiller à protéger les espèces qui se trouvent chaque jour sur leurs exploitations.
Le programme que l'on trouve aux États-Unis, le CREP, n'est pas le modèle que nous voulons mettre en oeuvre ici au Canada parce que nous avons davantage besoin de cogérer nos terres, alors qu'aux États-Unis, ils ont essentiellement adopté une approche de laisser-faire, et ce, même en ce qui concerne les biologistes.
Selon les dires des scientifiques du Minnesota et du Dakota du Nord, où l'on trouve beaucoup de terres auxquelles le CREP s'applique, ces terres deviennent essentiellement des déserts biologiques. Elles sont à risque parce qu'elles ne sont pas du tout utilisées. On les laisse retrouver leur état sauvage sans utiliser du tout les espèces de gazon.
Dans les zones riveraines, cela peut devenir un problème. Parce qu'il n'y a pas de concurrence entre ces espèces de gazon, des espèces indésirables apparaissent, qui peuvent essentiellement accroître l'érosion des sols et la production de déchets — des nutriments qui sont récoltés et retirés du site. Ils pénètrent dans les voies navigables et ajoutent des nutriments, ce qui accroît la complexité de la récupération des espèces.
À mon avis, et comme vous l'avez dit, il faut qu'il y ait un équilibre et on doit déceler les besoins en matière d'indemnisation. Je connais un certain nombre d'organisations agricoles qui parlent depuis assez longtemps de ce que nous devons faire à ce sujet. Alors toute proposition qui fonctionnerait au Canada comparativement aux États-Unis vaudrait la peine d'être mise en oeuvre.