:
La séance est ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à notre 34
e réunion.
Comme nous le savons tous, la séance d'aujourd'hui est télévisée, et nous poursuivons notre examen du projet de loi , Loi portant création de la Charte canadienne des droits environnementaux.
Nous accueillons aujourd'hui nombre de témoins: Michael Broad, président de la Fédération maritime du Canada; Tom Huffaker, vice-président des politiques et de l'environnement de l'Association canadienne des producteurs pétroliers; ainsi que Warren Everson, vice-président principal de la politique, et Johan van't Hof, chef de la direction de Tonbridge Power inc., tous deux de la Chambre de commerce du Canada.
Je souhaite la bienvenue à tous. Comme je vous l'ai déjà expliqué, vous avez un maximum de 10 minutes pour faire votre déclaration.
Sur ce, je demanderais à M. Broad de présenter sa déclaration, s'il vous plaît.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie d'avoir accepté de nous entendre aujourd'hui dans le cadre de l'étude du projet de loi . Vous avez reçu la version anglaise et la version française de notre court mémoire il y a déjà plusieurs semaines. Mon intention aujourd'hui n'est pas de relire à voix haute un document que vous avez probablement déjà parcouru.
La Fédération maritime du Canada représente une industrie réglementée au niveau fédéral, à savoir le transport maritime international à destination ou en provenance des ports canadiens. Nos membres, dont la liste figure à la fin de notre mémoire, exploitent les navires qui transportent le commerce international du Canada. Notre industrie est régie par une myriade de règlements qui couvrent l'ensemble de nos opérations, qu'il s'agisse du navire, de son équipement, de la cargaison, de l'équipage, du matériel de confinement, des processus ou de la gestion. Ces règlements sont basés dans une très large mesure sur les conventions internationales auxquelles adhère le Canada.
La position dont nous vous faisons part aujourd'hui est celle d'opérateurs qui se demandent en quoi la nouvelle loi est susceptible d'avoir un impact sur la stabilité du cadre réglementaire qui régit leurs activités et si la nouvelle action civile peut s'appliquer à l'encontre d'opérations menées en toute conformité sur le plan réglementaire.
Notre problème est qu'à l'heure actuelle, nous ne savons toujours pas comment vont s'appliquer les deux nouveaux remèdes introduits par la loi, à savoir la révision judiciaire et l'action civile, et quelles vont en être les implications pour les industries réglementées au niveau fédéral.
[Traduction]
Nous avons lu avec intérêt les discours prononcés par les divers partis politiques lorsque le projet de loi a été présenté et lorsqu'il a fait l'objet d'une discussion à l'étape de la deuxième lecture, mais ces propos ne nous ont pas aidés à comprendre comment la nouvelle loi, en particulier les nouveaux recours, fonctionneront; en outre, la Bibliothèque du Parlement n'a toujours pas publié de rapport de recherche qui contribuerait à élucider le projet de loi. Nous avons également lu la transcription de la séance que votre comité a tenue le 1er novembre, mais la discussion portait davantage sur l'inaction du gouvernement que sur la réglementation produite. Par conséquent, nous nous inquiétons toujours autant maintenant que lors de notre première lecture du projet de loi en ce qui concerne les répercussions que les nouveaux recours auront sur les industries sous réglementation fédérale, telles que la nôtre. C'est pour cette raison que nous sommes ici aujourd'hui dans le but de clarifier l'intention du législateur par rapport au projet de loi et, nous l'espérons, de trouver des réponses à nos questions et à nos préoccupations.
Notre question fondamentale en ce qui touche le projet de loi est la suivante: un opérateur sous réglementation fédérale se trouvera-t-il en terrain sûr s'il respecte toute la réglementation fédérale applicable ou pourra-t-il être poursuivi en vertu du recours en action civile prévu par le projet de loi? En effet, selon l'article 23 du projet de loi proposé, tout résident du Canada peut exercer un recours devant la cour supérieure contre une personne qui a contrevenu, ou est susceptible de contrevenir, à une loi fédérale ou à un règlement et qui a causé, ou est susceptible de causer, un préjudice environnemental grave.
La Charte canadienne des droits environnementaux est une loi fédérale, et son article 9 garantit le droit à un environnement sain. Par conséquent, le projet de loi C-469 permet à quiconque d'entamer des poursuites devant les tribunaux contre une entreprise sous réglementation fédérale, en déclarant qu'elle empiète sur son droit à un environnement sain. Le paragraphe 23(3) nous inquiète tout particulièrement puisqu'il suggère, si nous l'avons bien compris, que la conformité réglementaire ne constitue pas une défense. Ce point est de la plus haute importance pour nous, puisque la conformité réglementaire représente le terrain sûr nécessaire pour faire des affaires. En effet, sans garantie qu'une entreprise sera protégée si elle respecte la réglementation, il devient trop risqué de mener des activités.
D'ailleurs, notre autre question est liée à cette préoccupation: dans quelle mesure les règlements adoptés selon le processus réglementaire actuel seront-ils fiables? Est-ce que n'importe qui pourra en contester la validité n'importe quand en vertu du nouveau recours en révision judiciaire, en s'appuyant sur le fait qu'on aurait dû adopter une autre norme? Si c'est le cas, tous les opérateurs qui dépendent de la norme en question ne seront confrontés qu'à de la confusion et à de l'incertitude. De fait, la formulation de l'article 16, qui porte sur le processus de révision judiciaire, est si large qu'on peut facilement prévoir qu'il sera utilisé pour contester toute norme réglementaire relative à l'environnement contre le gouvernement. Une telle mesure va complètement à l'encontre de la prévisibilité des normes réglementaires essentielle au fonctionnement de notre industrie.
La conformité réglementaire est-elle toujours pertinente et utile? Et le processus de réglementation, lui? Voilà les questions auxquelles nous ne trouvons pas de réponse en lisant le projet de loi.
Compte tenu de ce que je viens de dire, nous suggérons respectueusement que si votre intention n'est pas que les recours prévus par le projet de loi soient applicables aux normes et à la conformité réglementaires — les articles 16 et 23 respectivement —, il faudrait le dire explicitement. Nous avons suggéré un libellé en ce sens dans notre mémoire.
Bien que notre mémoire porte principalement sur les normes réglementaires, puisqu'il s'agit d'une préoccupation clé pour les opérateurs sous réglementation fédérale, le projet de loi nous amène aussi à nous poser d'autres questions, y compris en ce qui concerne sa concordance avec les conventions internationales sur la responsabilité en matière maritime. L'Association canadienne de droit maritime a soulevé ce point le 1er novembre, pendant sa déclaration; il va sans dire que nous l'appuyons.
En outre, nous espérons que votre comité aura l'occasion de recueillir aussi les témoignages d'autres témoins, y compris des représentants des ministères fédéraux qui créent et appliquent les règlements environnementaux, ainsi que des spécialistes du droit public et administratif.
Comme le dit le proverbe, l'enfer est pavé de bonnes intentions; nous sommes inquiets que le législateur, encouragé par l'enthousiasme soulevé par le projet de loi, ne considérera peut-être pas bien comment les mécanismes prévus par le projet de loi fonctionneront dans le cadre législatif actuel. Bien que notre témoignage vise à souligner les préoccupations de notre industrie en ce qui concerne la relation entre les recours proposés dans le projet de loi et les normes réglementaires qui nous régissent, nous soupçonnons que d'autres points devraient être précisés avant, plutôt qu'après, que le projet de loi reçoive la sanction royale.
Merci de votre attention. Nous serons ravis de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président, et merci, mesdames et messieurs les membres du comité.
Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui de commenter le projet de loi .
Je m’appelle Tom Huffaker, vice-président des politiques et de l'environnement de l’Association canadienne des producteurs pétroliers.
Puisque bon nombre de nos inquiétudes liées à ce projet de loi sont d’ordre légal, nous avons fourni un avis juridique séparé. Je suis heureux d'être accompagné de l’auteur de cette analyse juridique, Shawn Denstedt, partenaire chez Osler, Hoskin et Harcourt. Il pourra m’aider aujourd'hui à répondre à vos questions.
Je ferai quelques commentaires d’ordre général sur nos principales inquiétudes quant au projet de loi plutôt que d’énumérer les nombreuses objections auxquelles donnerait lieu l’étude minutieuse de chacune de ses lignes. Nous vous avons fourni une copie de notre déclaration complète la semaine dernière; ce que je présenterai aujourd'hui sera un peu plus bref.
L'ACPP représente les petites et grandes entreprises qui explorent et développent les ressources naturelles gazières et pétrolières du Canada. Nous faisons partie d’une grande industrie qui est en plein essor, qui est dotée de technologies de pointe et qui contribue beaucoup à la richesse du pays; en effet, elle fournit, directement ou indirectement, du travail à plus de 500 000 Canadiens, elle investit 110 milliards de dollars chaque année et elle paie au gouvernement plus de 15 milliards de dollars annuellement.
Les Canadiens s’attendent à ce que le développement et la livraison de l'énergie soient faits de façon sûre, fiable et responsable. Les normes environnementales élevées font partie de leurs attentes, qui sont aussi les nôtres. De fait, le Canada impose certaines des normes environnementales les plus élevées au monde. Le développement est sujet à de nombreux processus d’autorisation et d’approbation. Aussi, les facteurs environnementaux sont pris en compte dans toutes les décisions d’approbation de développements pouvant avoir des conséquences sur l'environnement. De plus, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale offre un processus rigoureux permettant d’évaluer les effets sur l'environnement.
En outre, les provinces où nous opérons ont elles-mêmes des normes environnementales élevées et des régimes de réglementation rigoureux. Ces normes environnementales sont appliquées dans un cadre bien équilibré entre les lois fédérales et provinciales. Aucun tracé lumineux ne délimite les territoires de compétence fédérale et ceux de compétence provinciale. Bien sûr, le respect des droits et des devoirs des différentes compétences est fondamental au Canada. Il nous faut donc des décideurs et des politiciens sages et chevronnés pour garantir l’équilibre et le respect des compétences provinciales.
Par ailleurs, l’industrie gazière et pétrolière, comme nombre d'autres industries ici présentes, est réglementée de bout en bout. Le cadre réglementaire est ouvert et transparent. Les Canadiens touchés par les projets énergétiques ont amplement d’occasions de participer aux processus réglementaires. L’Office national de l’énergie agit en toute transparence; n’importe quelle personne ou entité qui a un intérêt raisonnable peut soumettre des opinions ou des faits pertinents.
Le présent projet de loi fait appel à la sensibilité environnementale croissante des Canadiens. Nous sommes tous très conscients de l’importance de la performance environnementale et du besoin d’adopter des normes élevées par rapport à l’industrie. Toutefois, franchement, nous ne pouvons pas comprendre quel problème au juste le projet de loi se propose de résoudre. Au Canada, le processus de prise de décision en matière d’environnement est déjà ouvert et transparent. Le projet de loi ne représentera qu'un boulet pour le développement responsable et offrira de nouveaux moyens pour décourager le développement, la croissance et la création d’emplois.
En effet, le projet de loi permettrait à n’importe quel résident du Canada d’intenter une poursuite, en prétextant que le gouvernement du Canada n’a pas fait son devoir de fiduciaire de l’environnement; aussi, les tribunaux pourraient accorder des recours de tous genres. Ainsi, l’art délicat de la politique dont dépend aujourd’hui le respect des compétences fédérales et provinciales sera soumis aux décisions des tribunaux fédéraux prises pour le compte d’activistes environnementaux.
Selon nous, le projet de loi impose au gouvernement une obligation quasi constitutionnelle de protéger l’environnement avant toute chose. Nous sommes d’accord que la protection de l’environnement doit primer, mais ce n'est pas la seule priorité: il y a aussi l’économie et la sécurité énergétique. D'un point de vue pratique, les Canadiens veulent des normes environnementales élevées, mais ils souhaitent aussi que le gouvernement et les organismes de réglementation prennent en compte la sécurité des travailleurs et du public, les emplois, ainsi que les besoins en énergie pour les maisons et les voitures.
Nos sondages confirment que la grande majorité des Canadiens croient qu’il est non seulement important d’équilibrer protection environnementale, sécurité énergétique et priorités économiques, mais aussi qu’il est possible de le faire. Le projet de loi menace l'équilibre que le public exige et auquel il croit, et qui est déjà codifié dans la Loi fédérale sur le développement durable.
Le système judiciaire canadien est un chef de file mondial en matière de protection des droits individuels. Il est juste que la loi me permette de protéger mes possessions en poursuivant quiconque viole mes droits. Or, il s’agit d’une toute autre chose quand n’importe quel résident du Canada peut traîner des questions environnementales devant les tribunaux. Ces questions sont du ressort de la politique publique et c’est aux gouvernements qu’il revient de les trancher par des processus démocratiques légitimes. Tout citoyen adulte canadien a le droit de vote. Est-ce que tout adulte canadien a les moyens d’intenter des poursuites?
Quand les activistes intenteront des poursuites en vertu du projet de loi, est-ce que tous les Canadiens pourront se présenter au tribunal et se faire entendre pour demander, par exemple, qu’on protège l’avenir économique de leurs enfants? Bien sûr que non.
Le présent projet de loi minerait le rôle des représentants élus. À notre avis, nous devons prendre du recul et bien réfléchir avant de choisir de réduire la possibilité, pour nos représentants élus de manière démocratique, comme ceux ici présents, de résoudre des problèmes complexes.
En vertu du projet de loi, pas une seule industrie, quelle que soit sa taille, ne se sentira en sécurité même si elle respecte les lois générales et les permis et licences qui lui ont été accordés, peu importe que ces permis et licences aient été délivrés en vertu de lois fédérales, provinciales ou territoriales.
Selon notre interprétation du projet de loi, pour intenter une action civile en vertu de l’article 23, une entité ou un résident canadien n’a qu’à déclarer qu’il y a eu contravention d’une loi fédérale pour préjudice environnemental grave, que l'affaire l’intéresse directement ou non. Parmi les entités pouvant intenter pareilles actions se trouvent les organismes environnementaux spécialisés en poursuites judiciaires. Ils n’ont qu’à ouvrir un bureau au Canada. L’argent nécessaire peut provenir de n'importe où.
Or, pour que de petites et de grandes entreprises investissent et créent les emplois dont les Canadiens ont besoin, il leur faut de la prévisibilité. C’est au gouvernement qu’il incombe de la leur fournir, non seulement par les lois et règlements promulgués, mais aussi par les politiques de mise en oeuvre de ces lois et règlements, ainsi que par la sagesse des décisions relatives à leur application.
Selon nous, il n’y aura aucune prévisibilité si le projet de loi est adopté. Les politiques savamment équilibrées du gouvernement et le sage conseil des fonctionnaires seront pris en otage par les poursuites en justice des groupes à intérêt unique. Aussi, à notre avis, le projet de loi augmentera de façon significative les risques et les coûts pour les entreprises qui font des affaires au Canada. Le Canada deviendra donc moins concurrentiel; il y aura également réduction des investissements, ainsi que perte de possibilités économiques et d’emplois.
Les capitaux sont mouvants et, bien qu’ils se dirigent vers les pays aux systèmes environnementaux, réglementaires et judiciaires évolués, comme le Canada, il faut que ces systèmes soient prévisibles et fiables pour que les pays qui en sont dotés attirent les investisseurs. Nous appuyons une politique qui oblige l’industrie à respecter des normes environnementales élevées.
À notre sens, le projet de loi n’est pas une bonne politique pour le Canada. Nous croyons qu’il compte des lacunes fondamentales et nous affirmons respectueusement qu’on ne peut pas l'amender pour en faire une bonne politique.
Merci beaucoup. Je serai ravi de répondre à vos questions.
Je m'appelle Warren Everson. Je suis vice-président principal de la Chambre de commerce.
[Français]
Comme vous le savez, la Chambre de commerce du Canada est l'organisme de gens d'affaires le plus représentatif du Canada. Grâce à notre réseau de plus de 400 chambres de commerce locales, nous parlons au nom de 192 000 entreprises de toutes tailles actives partout au pays.
[Traduction]
Le projet de loi créerait une charte canadienne des droits environnementaux. Il a pour objet de sauvegarder le droit des Canadiens des générations présentes et futures à un environnement sain et écologiquement équilibré. C'est un objectif louable, mais ce n'est pas la bonne stratégie à adoptée. À notre avis, le projet de loi aurait pour conséquence de changer radicalement la nature des activités de protection de l'environnement au Canada, d'accroître l'incertitude, de favoriser les litiges et de créer un nouvel obstacle à l'investissement.
Nous nous opposons donc au projet de loi pour des raisons de principes et nous avons de sérieuses réserves à son endroit. En particulier, le projet de loi C-469 rejette le travail effectué par les parlementaires pendant des décennies pour établir des organismes nationaux destinés à protéger l'environnement. Il propose de remplacer un processus prévisible, dans lequel les provinces et le gouvernement fédéral sont chargés de la réglementation de l'environnement, par un processus interminable de poursuites intentées par des parties privées. En fait, le projet de loi transformerait la Cour fédérale en un organisme de protection de l'environnement.
Rien n'oblige que les nouveaux droits prévus par le projet de loi soient exercés à des fins de protection environnementales. Ils pourraient être utilisés à des fins commerciales. Ils pourraient servir à imposer un programme privé à un programme public général.
À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral a un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de trouver le juste milieu entre les besoins de protection de l'environnement et d'autres préoccupations sociales. Le projet de loi enlèverait cette discrétion et permettrait aux tribunaux de contester sans cesse les décisions prises par le gouvernement ou même le Parlement. Très peu de gens voudraient investir dans un tel contexte puisque n'importe quel résident ou n'importe quelle entité pourrait les traîner devant les tribunaux, et ce, même s'ils respectent toutes les règles.
Monsieur le président, comme je vous l'ai dit, j'ai avec moi un mémoire qui porte sur toute une série de problèmes particuliers que soulève le projet de loi, mais étant donné que j'ai réussi à persuader un des membres directement concernés de la Chambre de commerce de comparaître, j'aimerais conclure très brièvement et remettre le mémoire au comité, puis céder la parole à mon collègue.
Le comité ne sera pas surpris d'apprendre que je conclus que le projet de loi devrait être mis de côté. Les gens peuvent certes contester des lois environnementales et se plaindre que nous n'en avons pas assez ou que nous ne les appliquons pas adéquatement, mais le cas échéant, les citoyens devraient recourir au Parlement, au lieu de contourner le processus législatif et de s'adresser aux tribunaux.
Le projet de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui constitue, nous semble-t-il, une déclaration de frustration à l'égard du processus actuel. Or, ce n'est pas une mesure législative efficace. La Cour fédérale se voit remettre un chèque en blanc. Pourtant, les tribunaux ont sans cesse répété dans le passé qu'il n'incombe pas à la cour d'élaborer des politiques, et vos politiciens ont affirmé à de nombreuses reprises que ce n'est pas aux juges de légiférer à la place du Parlement.
Merci beaucoup.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie infiniment de prendre le temps de m'écouter.
Je m'appelle Johan van't Hof et je suis chef de la direction d'une entreprise appelée Tonbridge Power Inc., dont les actions sont cotées à la Bourse de Toronto. Mon rôle ici, à titre de chef de la direction, est de vous parler brièvement de mon expérience en ce qui concerne l'obtention d'un permis pour créer une ligne de transmission de 214 miles reliant Lethbridge aux États-Unis. Vous serez peut-être surpris d'apprendre que la province de l'Alberta n'est pas du tout reliée aux États-Unis du point de vue de l'électricité, ce qui est un peu paradoxal, étant donné que c'est la province la plus riche en énergie au pays.
Je vous parle également en tant que personne ayant travaillé dans le domaine du financement des infrastructures pendant 10 ans dans environ 23 pays, dont un bon nombre d'États en déroute. En préparant ma comparution, j'ai longuement réfléchi à la question de savoir pourquoi il en était ainsi, parce que c'est très pertinent à notre entretien d'aujourd'hui.
Voici ce que j'ai observé: les pays qui accélèrent la prospérité et créent de la richesse dans l'intérêt de leurs citoyens sont caractérisés par une monnaie stable, un système judiciaire indépendant, une infrastructure appropriée qui est efficace et fiable, un système d'éducation et un manque de corruption. Mais surtout, ils ont la primauté du droit: on connaît la loi et on peut être sûr qu'elle sera appliquée, de sorte qu'on peut prendre des décisions selon un profil de risque connu. Dans plusieurs des pays où j'ai travaillé, ces facteurs n'existaient plus. C'est le cas de notre pays, et c'est d'ailleurs l'une des réserves que j'éprouve à l'égard du projet de loi, parce qu'il rendrait très opaques les critères que des gens comme moi doivent remplir.
Voici en quoi consiste notre projet: il s'agit d'une ligne de transmission qui s'étend sur 214 miles et qui représente une capacité de 600 mégawatts en énergie éolienne pour relier les réseaux électriques aux États-Unis et en Alberta. Financé dans le cadre du projet de loi sur la relance économique du président Obama — qui représente 161 millions de dollars —, notre projet permet de créer 400 emplois des deux côtés de la frontière. Nous en sommes maintenant à la phase de la construction, mais avant d'y arriver, nous avons dû remplir les critères de six organismes de délivrance de permis, notamment l'Office national de l'énergie, l'Alberta Energy and Utilities Board et le Western Electricity Coordinating Council. Nous avons dû obtenir un permis présidentiel auprès du Département de l'énergie. Nous avons dû nous plier aux normes de l'Agence nationale de protection de l'environnement et de l'Agence des États-Unis pour la protection de l'environnement. Nous avons rencontré les représentants du Département de la qualité environnementale de l'État de Montana et du State Historic Preservation Office, pour n'en nommer que quelques-uns. Nous avons dû tenir des réunions avec plus de 16 organismes.
Dans l'énoncé des incidences environnementales que nous avons dû préparer — et qui porte sur une région de notre pays et des États-Unis —, il est indiqué que pas un seul arbre ne sera coupé. Il s'agit des plaines. Les travées de nos poteaux mesurent 1 200 pieds de longueur, et les poteaux ont un diamètre de quatre pieds; alors, l'impact est presque minimal. L'énoncé des incidences environnementales comptait 1 100 pages. Nous avons tenu plusieurs dizaines de journées portes ouvertes et nous avons réussi à obtenir tous nos permis en 2008. Nous n'avions aucune certitude à cet égard jusqu'à ce que l'affaire soit réglée par la Cour suprême du Canada, parce que nos opposants nous ont traînés en justice pour littéralement essayer de nous réduire à néant. C'est là essentiellement ma bête noire.
Ce n'est pas que nous n'avons pas besoin de lois en matière d'environnement; au contraire, nous en avons besoin. Je suis fier d'être un Canadien, et je veux avoir une société et un pays que je suis fier de représenter quand je voyage dans le monde. Le hic, c'est que du point de vue de la croissance économique, cela signifie les répercussions. Plus de croissance équivaut à plus d'électricité; plus nous avons besoin d'électricité, plus des gens comme moi doivent installer des lignes électriques. Nous ne les installons pas parce que nous en avons envie, mais parce qu'on nous en fait la demande et parce que les gens achètent plus de télévisions.
Mais j'en reviens à mon argument, mesdames et messieurs les députés. Si on n'est pas au courant de la primauté du droit, à moins que les gens comme moi connaissent les critères — je suis heureux de les remplir et je ne manque pas d'investir le capital nécessaire pour les remplir et les dépasser —, c'est-à-dire si on ne connaît pas les balises et qu'il n'y a aucune certitude que la loi sera appliquée, alors on ne s'embarquera pas là-dedans.
Alors, pour conclure, ce qui m'inquiète dans le projet de loi, c'est qu'il risque de faciliter des procès de 20 ans. La simple menace de procès signifie que rien ne sera fait ou proposé à cause justement du manque de clarté juridique qui découragerait toute intention d'investissement.
La primauté du droit est une condition préalable fondamentale au développement commercial, à la création de richesse et à la croissance économique puisqu'elle permet aux participants de savoir ce qu'ils doivent respecter pour être jugés acceptables. C'est ce que nous demandons. Nous voulons tout simplement savoir avec certitude quels critères nous devons remplir. À mon sens, le projet de loi échoue complètement sur ce plan.
Merci.
Vous avez raison, monsieur le président. Nous avons eu droit à des témoignages fort éloquents.
Monsieur Broad, j'ai lu votre mémoire la semaine dernière. Je m'intéresse à l'interaction entre les règlements nationaux et les normes contenues dans les conventions internationales, et la façon dont le projet de loi changerait cette interaction ou nuirait à son bon fonctionnement. Vous en avez parlé dans votre mémoire.
Toutefois, il y a un point que je n'ai pas compris: vous dites, relativement aux conventions internationales, que les normes internes du Canada sont en général plus élevées que les normes internationales prévues dans les conventions. Si nos normes sont déjà supérieures aux normes internationales, comment le projet de loi placerait-il le Canada dans une situation compromettante? C'est la première question.
La deuxième porte sur la situation actuelle dans l'État de New York en ce qui concerne l'eau de ballast. Je me demande si vous avez des observations à faire à ce sujet et si vous pouvez nous donner une idée de ce qui pourrait arriver si le projet de loi était adopté. Comme vous le savez, les règlements concernant l'accostage dans l'État de New York sont très rigoureux pour ce qui est du traitement des eaux de ballast des navires; on nous a dit que si ces règlements ne sont pas modifiés, il n'y aura aucun trafic vers l'État de New York.
J'apprécierais énormément si vous pouviez commencer par répondre à ces deux questions.
En ce qui concerne la première question, soit le transport maritime international, comme on l'a expliqué, les navires sillonnent le globe et permettent des échanges commerciaux dans le monde entier; voilà pourquoi on doit leur donner l'assurance que les lois sont assez uniformes partout dans le monde. L'Organisation maritime internationale, qui fait partie de l'ONU, élabore des lois sur l'exploitation des navires et tout le reste; le gouvernement canadien observe les lois internationales et instaure ses propres lois en complément.
Ce que nous voulons dire, c'est qu'advenant la signature d'un traité international, le projet de loi, s'il est adopté, risque de ne pas y être conforme. Le seul problème, c'est qu'on pourrait se retrouver dans une situation où la loi internationale oblige l'adoption d'un certain processus ou l'installation d'une certaine machinerie à bord de notre navire puis, un mois plus tard, un autre processus ou un autre équipement un peu plus efficace voit le jour. On vient de dépenser des millions de dollars pour reconfigurer notre navire et le doter de nouveaux outils, et voilà qu'un autre équipement est mis à notre disposition. Un citoyen pourrait-il alors nous reprocher de ne pas avoir utilisé la meilleure technologie disponible?
Bref, on a beau respecter la loi internationale ainsi que les lois et les règlements canadiens, mais si quelque chose change sur le marché — par exemple, si on se retrouve, un mois plus tard, avec un processus légèrement amélioré — on n'aura pas les moyens de l'adopter du jour au lendemain. C'est le point que nous essayons de faire valoir.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie également nos témoins.
J'ai bien aimé ce qu'a dit M. Huffaker en réponse à une question de M. Scarpaleggia. Il a souligné qu'il pouvait y avoir des différences en matière de droit de l'environnement et de droit à un environnement sain, selon qu'on soit en Ontario ou en vertu de ce projet de loi. Dans ce dernier, on crée ce droit à un environnement sain, ce qui n'est pas mal. Je ne vois pas là de problème de principe. Le problème se situe peut-être au niveau des actions civiles.
Il faudrait peut-être documenter la question, mais d'après ce que j'ai compris, lorsque ces droits existent dans les provinces, ils sont plus balisés que les dispositions du projet de loi qui nous est présenté. Il serait peut-être intéressant de faire une analyse comparative du projet de loi qui est devant nous et de ce qui se fait dans les provinces, dont le Québec. Ce dernier a adopté un modèle comparable.
Cela étant dit, il y a deux groupes de témoins devant nous, et je crois comprendre que, selon l'un des deux, nous devrions jeter le projet de loi par-dessus bord. Par contre, un témoin a dit qu'il y avait peut-être moyen de travailler autour du projet de loi, entre autres en clarifiant le paragraphe 23(3).
Dans le mémoire de la Fédération maritime du Canada, on dit que le seul fait d'invoquer un préjudice est suffisant pour déclencher des procédures, et que c'est là le problème. Je pense que c'est un élément assez important.
Si on balisait le tout, notamment les motifs pour lesquels des poursuites en justice seraient intentées, croyez-vous qu'il serait possible d'améliorer le projet de loi? Ma question s'adresse à tout le monde.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins d'être parmi nous.
Ce que nous avons entendu aujourd'hui est très révélateur et choquant. C'est la troisième séance où des témoins comparaissent. Au cours des deux autres, on nous a surtout dit que le projet de loi serait utilisé comme un gros bâton, une menace pour éviter les litiges. Les témoins ont cru que le nombre d'affaires judiciaires n'augmenterait peut-être pas, mais la menace des litiges encouragerait le gouvernement, les entreprises, ou peu importe, à agir.
J'entends dire que le projet de loi créerait beaucoup d'incertitude et que le financement des projets serait interrompu non seulement en raison de la menace que des mesures seraient prises, mais aussi de la menace que le processus d'appel ne finirait jamais. J'entends dire que c'est peu probable, car qu'elle que soit la décision, si un résident du Canada ne l'a pas approuvée, il pourrait intenter une action en justice et prendre possession de ce gros bâton. Alors est-ce que quelque chose arrivera, ou est-ce que les choses seront interrompues? Votre témoignage aujourd'hui est donc très important.
À la première réunion, certains ont dit être d'avis qu'il devrait y avoir une taxe sur le carbone au Canada. Les Canadiens l'ont rejetée, mais nous avons ensuite entendu dire que ce pourrait être le cheval de Troie qui pourrait faire en sorte que ce soit possible. Le chèque en blanc que l'un de vous a mentionné pourrait être utilisé par les tribunaux comme un moyen d'imposer une taxe sur le carbone à tous les Canadiens, à toute l'industrie.
J'ai une autre inquiétude concernant Hydro-Québec. Je ne vais pas entrer dans les détails, car je suis certain que M. Blaney du Québec voudra poser des questions à ce sujet. Mais je suis de la Colombie-Britannique, et l'hydroélectricité est très importante dans ces deux provinces. Si un résident du Canada — et je ne suis pas certain de la définition de « résident » — vivait au Canada en toute légalité, il pourrait intenter une action en justice et il aurait alors le gros bâton pour transgresser ou peut-être contourner les permis d'exploitation des compagnies hydroélectriques s'il n'aimait pas ce qui se passait et s'il jugeait que le projet pourrait causer des dommages à l'environnement.
J'ai surtout entendu parler que de grands efforts ont été déployés, que des consultations ont été menées pendant des années pour tenter de trouver un équilibre au chapitre de la durabilité où tous les facteurs seraient pris en considération — l'environnement, l'économie, les écosystèmes — et pour établir un équilibre après les consultations. Après que cet équilibre est atteint et que les permis sont émis, il y a encore une possibilité d'interjeter appel et le projet de loi pourrait tout faire arrêter.
Est-ce une analyse juste?
:
Oui, c'est précisément cela.
L'Alberta Energy and Utilities Board est un organisme de réglementation très expérimenté. Nous avons tenu des audiences pendant trois ou quatre semaines, nous avons entendu des dizaines de témoins, nous avons reçu des centaines de pages d'analyse et de témoignages d'experts et les critères auxquels nous devons répondre sont connus. Les critères de l'ONE étaient connus et on nous a tout de même traîné devant la Cour suprême.
Je suis d'avis qu'avec cette mesure législative, même si on répond à ces critères — et il en coûte plusieurs millions de dollars pour satisfaire à ces critères —, si quelqu'un ne l'a pas aimé, il pourrait dire, « Je pense qu'il y a une autre incidence à laquelle vous n'avez pas pensé. »
Alors les années et les décennies de certitude réglementaire qui avait été instaurée... Je vais vous donner un exemple. Nous devons déplacer notre ligne de centre de 20 pieds parce que nous sommes sur une réserve routière. Nous devons nous adresser à l'Alberta Utilities Commission pour la déplacer de 20 pied et nous devons solliciter les commentaires des gens qui vivent dans un périmètre de 800 mètres de la ligne — et nous le faisons car c'est le critère à respecter de nos jours, 800 mètres.
C'est très improbable, mais il est possible que même si le ministère des Transports de l'Alberta me dit, « Déplacez-la, car vous êtes sur une réserve routière », et ce n'est que 20 pieds, notre permis pourrait être suspendu pendant l'appel en vertu de cette mesure législative.
Je vais être très bref et je partagerai mon temps de parole avec mon collègue, M. Tonks. Je suis membre du comité à titre provisoire pour aujourd'hui.
Vous avez soulevé des points intéressants, surtout vous, monsieur Broad. Je vous pose une question concernant votre deuxième recommandation. Je comprends votre première recommandation. Elle est valable, mais je pense que la question de la participation du citoyen s'oppose à celle de la certitude. Mais je vais me pencher plutôt sur la deuxième recommandation.
Un bref coup d'oeil à cet article me dit qu'il inverse tout simplement le fardeau et il vous revient de prouver que ce qui s'est passé n'était pas au-delà de conséquences raisonnablement prévisibles de l'exercice de vos droits en vertu de la loi. Ainsi, le fardeau de la preuve est inversé en ce qui vous concerne.
Je ne dis pas que je suis d'accord ou non avec cela. Ma question est la suivante: existe-t-il une situation dans laquelle vous, en tant que secteur, pouvez être au courant de certaines conséquences découlant de vos actions, dans le cadre de la loi, et qui pourraient dépasser les conséquences raisonnablement prévisibles de ce projet de loi et de ce qu'il prévoit? Pouvez-vous envisager une telle situation?
Puis, dans ces circonstances, considérez-vous que le secteur, sachant ce qu'il sait, serait obligé de cesser ses activités à ce moment?
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Merci, monsieur le président.
Je vais situer cela dans un contexte. Évidemment, toutes nos discussions sur l'environnement me tiennent à coeur car j'ai été durant la plupart de mes années passées, garde d'un parc national et agent de conservation. J'ai un diplôme en zoologie avec spécialisation en sciences aquatiques et halieutiques. Avant de devenir député, une grande partie de ma vie professionnelle précédente était consacrée à l'application de la loi et la protection de l'environnement.
Toutefois, quand j'ai vu le projet de loi... Dès la lecture d'un projet tel que celui-ci, on se dit — je crois que l'un d'entre vous l'a dit — que le chemin vers l'enfer est pavé de bonnes intentions. Ma collègue, Mme Duncan a présenté ce projet de loi et je crois qu'elle l'a fait de bonne foi. Mais, au fond de moi, je crois fermement que le projet de loi menace à tel point l'équilibre qui existe aujourd'hui dans la société qu'il en devient dangereux.
Monsieur van't Hof, si vous me le permettez, vous avez dit que le projet de loi freinera les investissements. Je vous dirais même qu'il anéantira notre économie actuelle. Aucun article du projet de loi les empêchera de revenir en arrière et d'annuler n'importe quel permis déjà délivré, que ce soit pour une exploitation des sables bitumineux, une ligne de transmission ou un réacteur alimenté au charbon. Il n'y a rien... J'espère que le projet de loi ne sera jamais adopté sous son libellé actuel, mais si cela devait arriver, non seulement il y aurait un gel des investissements, mais quiconque, qui en aurait l'intention, pourrait annuler tout permis délivré et tout règlement ou processus réglementaire mis en place. Nous parlons d'une accumulation de ce genre de choses pendant des années.
Je ne sais pas, monsieur Huffaker, si vous pouvez parler de ce qu'il faut seulement pour faire... Je sais que l'Association canadienne des producteurs pétroliers a un large champ d'activités, d'applications et qu'elle compte beaucoup de membres. Mais, dans le secteur des sables bitumineux, il faut mettre les points sur les i et les barres sur les t pendant des années avant d'obtenir un permis de construction d'un bassin de décantation et de stockage des stériles et boues ou d'un bac de décantation des résidus.
Pouvez-vous, monsieur van't Hof et monsieur Huffaker, nous dire combien de bureaucratie, de formalités administratives et de revérifications existent déjà dans les démarches visant l'obtention de permis liés à l'environnement?
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Merci, monsieur le président.
Je voudrais commencer sur une note un peu légère.
En écoutant vos présentations, surtout celle de M. Huffaker, j'ai été surpris que vous nous ayez donné la quantité d'argent que rapporte le pétrole au Canada, le nombre d'emplois, le développement incroyable, etc., mais que vous ne nous ayez pas parlé, étant donné qu'on est au Comité permanent de l'environnement et du développement durable, de la quantité de gaz à effet de serre que vous produisez, et que vous ne nous ayez pas parlé non plus de votre contribution aux changements climatiques ni des quantités d'eau que vous protégez totalement et ainsi de suite.
Monsieur Everson, j'ai eu l'impression que vous parliez surtout au nom des grandes chambres de commerce. Dans mon comté, il y a des chambres de commerce et elles n'ont pas du tout l'attitude dont vous avez parlé. Elles tiennent beaucoup — et je pense que c'est même l'une de leurs priorités — à ce qu'il y ait une loi très dure pour protéger l'environnement. Vous voyez, c'est très différent. Et vous faites quand même partie de la...
Je voudrais poser la même question à chacun d'entre vous. Si on met de côté ce qu'a évoqué M. Calkins tout à l'heure, il m'a semblé, en vous entendant parler, que le principe de cette loi ne vous rebute pas. Ce n'est pas le principe, si j'ai bien compris, mais ce sont les procédures de contrainte que la loi mettrait en place qui vous font peur. Je ne dis pas que c'est sans raison, je ne le sais pas.
Ma question s'adresse à chacun d'entre vous. Étant donné que, probablement, le principe de la loi est valable et que vous y êtes favorable, y aurait-il une façon de modifier cette loi de manière à ce qu'elle soit acceptable sur le plan de la contrainte?
Je commencerais par vous, monsieur Broad, mais j'aimerais que chacun se prononce.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous lis d'abord la phrase suivante:
[...] nous sommes inquiets que le projet de loi C-469 permette à n'importe qui de contester n'importe quand la validité de n'importe quelle norme réglementaire, court-circuitant ainsi le processus réglementaire existant et provoquant l'incertitude en matière réglementaire.
C'est à la page 3 du document de M. Broad.
Bonjour, et merci à nos témoins d'être présents.
Je voudrais relancer mon collègue Blaine. Moi aussi, Blaine, dans le passé, j'ai touché à l'environnement: j'ai pratiqué l'ingénierie appliquée durant 20 ans. Malheureusement, je ne suis pas avocat. Je dois dire que mon autre collègue M. Warawa fait vibrer ma fibre québécoise chaque fois qu'il me parle d'Hydro-Québec et qu'il me dit qu'un projet de loi fédéral pourrait empiéter sur les champs de compétence provinciale et compromettre le développement hydroélectrique. Ça me touche particulièrement parce que j'ai été ingénieur civil. Ça vient vraiment me chercher. J'espère que mes collègues du Bloc seront sensibles à cet enjeu, c'est-à-dire l'empiètement sur les champs de compétence qui semble lié à ce projet de loi.
Je pense, par exemple, à l'inondation des terres lorsqu'on construit un barrage. C'est clair que ça a des répercussions environnementales importantes. À la lecture de mes informations, il m'apparaît que n'importe quel citoyen pourrait compromettre la mise en oeuvre d'un projet, même si ce dernier a franchi les étapes réglementaires. Il est clair que vos témoignages sont presque choquants. Pour ma part, ils m'ébranlent, puisque le principe substantiel du projet de loi est que tout résidant canadien a droit à un environnement sain écologiquement équilibré. Je pense qu'il y a consensus ici, sur ce projet de loi.
On parle d'empiètement sur les champs de compétence, on parle de...
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Merci, monsieur. C'est une excellente question.
Quand nous avons étudié cette question dans le cadre de notre examen de l'ACPP, une de nos préoccupations était certainement que le projet de loi avait des caractéristiques semblables à celles d'une charte et que le préambule indiquait qu'il pourrait atteindre ce statut. C'est pourquoi nous nous sommes demandé si c'était une tentative pour transformer le projet de loi en charte. Très bien. Si le Parlement décide que c'est important, il devrait agir en conséquence et le faire par l'intermédiaire d'amendements.
Par contre, là où cela nous pose problème, c'est qu'en matière d'évaluation environnementale, le Canada a mis en place des processus réglementaires complets qui examinent des données techniques très détaillées; ils arrivent à des conclusions qui tiennent compte des groupes défavorisés, des occasions d'emploi créées, du développement des infrastructures dans le Nord — le Mackenzie, par exemple —, ce qui contribue à rendre une décision qui repose sur la probabilité qu'un projet entraîne des effets importants.
D'un point de vue juridique, à notre avis, le problème du projet de loi, c'est que les définitions qui y figurent ne sont pas conformes aux critères prévus dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale; il y a donc une norme différente.
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Merci à vous tous d'être ici. J'ai bien aimé vos témoignages.
Je pense que l'intention du projet de loi est louable, sans aucun doute. Je crois que nous avons entendu plusieurs personnes se dire en accord avec ceci: tous les Canadiens méritent d'avoir un environnement sain et propre. Cependant, il me semble qu'il y a eu beaucoup de discussions au sujet de l'article 23, les recours juridiques. À mon avis, c'est ce qui préoccupe le plus nos témoins d'aujourd'hui. Je veux donc vous donner un exemple, puis recueillir vos commentaires à ce sujet.
Hier, à Parrsboro, en Nouvelle-Écosse — qui se trouve dans ma circonscription —, le ministre de la Défense nationale et moi avons annoncé un projet de câble sous-marin qui reliera des centrales marémotrices au réseau électrique de la Nouvelle-Écosse. C'était l'annonce d'un projet de 20 millions de dollars. Parmi tous les projets du pays, il s'agissait de la nouvelle la plus importante liée au fonds vert.
Quant à la capacité du câble — monsieur van't Hof, vous en comprendrez les détails beaucoup mieux que moi —, elle est de 64 mégawatts. Il pourra éventuellement produire assez d'électricité pour alimenter au moins 20 000 maisons. C'est suffisant pour fournir de l'électricité à presque tous les ménages de ma circonscription.
Pensez-vous que le projet de loi pourrait avoir un effet négatif sur la mise en oeuvre de ce projet?
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Merci, monsieur le président.
Si le projet de loi est rendu ici, en comité, c'est parce qu'il y a une majorité de parlementaires qui ont appuyé le principe. Ce n'est pas juste de ce côté-ci de la table, mais aussi de l'autre côté. Ça veut dire qu'en principe, unanimement, les parlementaires souhaitent qu'il y ait une reconnaissance d'un droit à un environnement sain. C'est la réalité. Je pense que la majorité des députés veulent travailler dans le cadre du projet de loi qui est devant nous. Je suis d'accord avec M. Scarpaleggia: on veut en effet éviter des poursuites frivoles.
Il y a deux éléments problématiques dans le projet de loi. Premièrement, il y a toute la question de la simple éventualité d'un préjudice environnemental. Deuxièmement, il y a la possibilité de contrevenir à une loi. Je pense que c'est à ça qu'il faut s'attaquer dans le projet de loi.
Je reviens encore aux balises. Je pense que l'avis juridique que nous a présenté l'Association canadienne des producteurs pétroliers est assez intéressant. Par exemple, en page 6, elle nous dit que « contrairement aux dispositions semblables à la LCPE et la Charte des droits environnementaux de 1993 de l'Ontario, il n'est pas nécessaire de demander enquête avant d'intenter une action en protection de l'environnement ou une action civile en vertu du projet de loi ».
Je reviens donc sur mes questions initiales. N'y a-t-il pas moyen de baliser ce projet de loi pour faire en sorte d'éviter des poursuites qui seraient dommageables sur le plan économique, et tout aussi inacceptables sur le plan social? Par exemple, n'y a-t-il pas un processus d'enquête qu'on pourrait prévoir avant qu'on ne puisse engager des actions civiles?
On peut très bien dire qu'on jette le projet de loi aux poubelles, mais le fait est que les parlementaires veulent travailler dans le cadre du projet de loi. Peut-on apporter des amendements constructifs pour baliser cet accès aux actions civiles afin de nous assurer que ce que souhaitent une majorité de parlementaires se retrouve dans une prochaine législation fédérale?
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Merci monsieur le président.
Nous avons entendu beaucoup de témoins dire aujourd'hui qu'il faut trouver un équilibre et que les représentants de l'industrie au Canada croient fermement qu'il doit y avoir un équilibre. Je tiens à souligner que c'est exactement ce que ce projet de loi vise à faire: rétablir le déséquilibre existant. Par exemple, nous avons conclu l'ALENA. Nous avons conclu un accord commercial avec la Colombie. Nous avons conclu un accord commercial avec le Panama. Nous avons conclu un accord commercial avec le Chili. Le gouvernement est en train de négocier un accord commercial avec l'Union européenne. Depuis les négociations qui ont mené à la signature de l'ALENA, les accords parallèles sur l'environnement ont été sérieusement affaiblis, dans la mesure où il n'y a pratiquement pas de droits environnementaux. Dans ces accords commerciaux, l'industrie a beaucoup de droits exécutoires, de droits de poursuites: elle n'a qu'à réclamer une compensation si le gouvernement prend une décision selon laquelle, pour des raisons environnementales, on ne peut pas mener un projet dans aucun des trois pays. Dans l'accord parallèle sur l'environnement toutefois, ces droits ne sont pas exécutoires.
On a beaucoup évoqué le besoin de rétablir le déséquilibre. Le gouvernement a maintenant le Bureau de gestion des grands projets, le BGGP, car l'industrie croit que l'ACEE ne tient pas suffisamment compte de ses besoins de rationaliser. Nous avons la nouvelle Loi d'exécution du budget dans le cadre de laquelle le gouvernement tente de rationaliser tous les processus de réglementation pour favoriser l'exploitation du Nord canadien.
J'aimerais vous dire quelque chose. Si vous êtes vraiment en faveur de l'équilibre, pourquoi vous opposez-vous à un projet de loi qui, en gros, n'a rien à voir avec les poursuites, mais qui, en grande partie, accorderait des droits et donnerait des possibilités au public, qui croit très fermement qu'il n'a pas de voix égale à l'industrie dans la prise de décisions, qu'on ne lui donne pas de place dans bon nombre d'examens fédéraux.
Oui, bien entendu, il y a beaucoup de possibilités à l'échelle provinciale. Je viens d'une province qui je crois a l'une des meilleures commissions sur l'énergie et l'un des meilleurs processus d'examen. Comme malheureusement, en ce qui concerne les lignes de transport d'énergie, le gouvernement, dans sa sagesse, a décidé de ne pas tenir des audiences publiques pour bon nombre de ces audiences, nous régressons. Auparavant, nous avions un très bon processus d'examen.
La question que je vous pose est la suivante: pourquoi vous opposez-vous tant à ce qu'on commence à accorder certains de ces droits, alors qu'en fait, dans la Loi sur le ministère de l'Environnement, qui donne le mandat au ministre, on ne mentionne pas du tout le devoir d'assurer un équilibre? N'est-il pas vrai que cet équilibre devrait exister au gouvernement, et non dans les ministères de l'Environnement ou les entités qui sont censées faire appliquer les lois environnementales?
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Merci, monsieur le président.
Avant de poser ma question, je vais attirer votre attention sur certaines choses que la plupart des membres du comité connaissent déjà, à mon avis.
De mémoire, je peux songer à ce que nous avons déjà. Nous avons la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi sur les espèces en péril, la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, et la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, sans compter tout ce que j'ai pu oublier de mentionner. Ce sont les lois du Parlement qui protègent l'environnement. Elles sont toutes très longues et lourdes.
Nous discutons amplement de ces choses en comité lorsque nous révisons les lois. Toutes ces lois sont accompagnées de règlements. Vous connaissez bien ces règlements. Ils décrivent les étapes que les entreprises, les organismes et les entreprises de services publics doivent suivre pour obtenir les permis qui leur permettent de mener des activités au Canada.
Je vais vous parler précisément de l'article 19 du projet de loi, et je vais simplement en lire des extraits.
D'après l'alinéa 19(1)b), une cour peut accorder une injonction en cessation de n'importe quelle contravention. Selon l'alinéa 19(1)e), une cour peut « ordonner au défendeur de restaurer ou de rétablir l'environnement, en tout ou en partie ».
D'après l'alinéa 19(2)a), la cour peut « suspendre ou annuler tout permis ou autorisation délivré au défendeur ou le droit de celui-ci d'obtenir ou de détenir un permis ou une autorisation », ce qui signifie qu'elle peut suspendre des permis qui existent déjà. Selon l'alinéa 19(2)b), la cour peut « ordonner au défendeur de fournir une garantie financière de l'exécution d'une mesure déterminée ».
Vous remarquerez qu'on peut appliquer l'alinéa a) et l'alinéa b); on ne dit pas qu'il faut appliquer l'un ou l'autre. Un juge peut vous faire remettre de l'ordre dans tout ce que vous avez fait et vous ordonner de payer et de dédommager en même temps, ce qui équivaut à payer deux fois pour la même chose.
Ce genre d'alinéas me préoccupe. Le problème, c'est qu'ils résultent de l'article 16, selon lequel tout résident du Canada peut exercer un recours. Si vous y jetez un coup d'oeil, les actions intentées, en vertu du paragraphe 16(3), sont assujetties à la norme civile de preuve et sont jugées selon la prépondérance des probabilités plutôt que selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. La prépondérance des probabilités consiste à appliquer un critère au civil à ce qui pourrait être considéré, dans une affaire criminelle, comme une preuve hors de tout doute raisonnable.
Je vais vous demander tout simplement... Il y a deux ans, au Comité permanent des pêches et des océans, M. Lévesque et M. Blais du Bloc québécois — et mon collègue Steven Blaney fait du bon travail en défendant les intérêts du Québec à ce sujet, également — ont invité les membres de la Nation des Cris de Chisasibi, qui est située sur la côte Est de la Baie James, à comparaître devant le comité pour témoigner au sujet de la disparition de la zostère, des énormes problèmes environnementaux et de la dégradation causée par le projet hydroélectrique de la Baie James.
Si ce projet de loi devait être adopté, les membres de la Nation des Cris de Chisasibi ne seraient-ils pas capables d'utiliser les dispositions législatives, s'ils trouvent un juge sympathique à leur cause qui ordonnerait à Hydro-Québec de détruire tout ce qu'elle a construit dans le projet hydroélectrique de la Baie James et lui demanderait une contrepartie financière?