FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 10 mai 2001
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, la séance est ouverte.
Comme vous le savez, nous commençons ce matin l'étude du projet de loi C-6, portant sur l'exportation d'eau douce du Canada. En fait, ce projet de loi vise à modifier la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. C'est une première étape, si je puis dire, en vue de résoudre un problème qui préoccupe vivement les Canadiens, à savoir si nous garderons le contrôle sur l'une de nos plus importantes ressources, notre eau.
[Français]
J'invite M. Paradis, qui est le secrétaire parlementaire du ministre, à présenter le projet de loi. Mais avant de passer la parole à M. Paradis, chers collègues, j'ai besoin de votre appui pour régler un problème. Nous avons des témoins que nous devons entendre concernant ce projet de loi. Le problème, c'est que les membres du comité, et surtout les partis, proposent des témoins pendant le processus. Il faut que nous soyons conscients de cela. Nous avons jusqu'au 11 juin pour finir.
• 0910
Je propose donc que le 11 mai soit la
date limite pour proposer des témoins, c'est-à-dire que
tout témoin doit être proposé au plus tard le 11 mai.
Est-ce que ça va, madame la greffière? Donc, le 11
mai est la date limite pour soumettre les noms de
témoins.
[Traduction]
C'est la date butoir pour les témoins. Les membres du comité désireux d'inviter des témoins à parler de ce projet de loi devront faire inscrire leur nom d'ici le 11 mai.
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): N'est-ce pas un peu trop court, monsieur le président? C'est demain.
Le président: C'est ce que nous dit la greffière. D'après mes renseignements, il y a plus de dix jours que l'avis est parvenu au bureau de tous les membres du comité. Cela paraît un peu draconien aujourd'hui, mais tout le monde était déjà au courant il y a près de deux semaines. Entendu?
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Ça ne pourrait pas aller jusqu'au lundi, monsieur le président?
[Traduction]
Le président: Nous entendrons des témoins mardi et jeudi. Si vous voulez ajouter un nom à la liste, nous pourrions aller jusqu'à lundi. Est-ce que cela convient à tous? Très bien, vous aurez jusqu'à lundi prochain.
M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib.): Nous avons jusqu'à lundi matin.
Le président: Vous avez jusqu'à lundi matin.
M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): En fait, jusqu'à lundi midi.
Le président: Oui, jusqu'à lundi midi. Que de négociations! C'est fantastique de voir un tel esprit de collaboration si tôt le matin.
M. Stan Keyes: Nous avons effectivement un bon esprit de collaboration ce matin.
Le président: Nous allons demander à M. Paradis de liquider les problèmes liés au projet de loi dont le comité est saisi. Chers collègues, il s'agit d'un projet de loi très complexe qui vise à modifier notre loi relative à un traité international. Nous avons la chance de compter parmi nous des experts qui vont pouvoir nous l'expliquer. Je donne la parole à M. Paradis.
[Français]
M. Denis Paradis (secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.
Dans un premier temps, permettez-moi de vous présenter les experts en eaux du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. M. Frank Ruddock est le directeur adjoint des relations transfrontalières avec les États-Unis. M. Jason Reiskind, du ministère de la Justice, est conseiller juridique à la Section du droit international et des activités internationales. M. John Cooper est le directeur des relations des enjeux hydriques. Je souhaite la bienvenue à ces messieurs.
Membres du comité, monsieur le président, il me fait plaisir de prendre la parole devant le comité permanent concernant le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales.
[Traduction]
Le projet de loi C-6 représente la mise en oeuvre de l'engagement du gouvernement d'agir dans le cadre de son champ de compétence afin de résoudre le problème des prélèvements massifs d'eau. Ce projet de loi est notre plus haute priorité législative et il joue un rôle clé dans la stratégie du gouvernement visant à interdire le prélèvement d'eau à grande échelle des principaux bassins hydrographiques du Canada. En outre, le projet de loi répond aux intérêts des Canadiens voulant que tous les paliers de gouvernement agissent pour garantir la protection et l'intégrité à long terme des ressources en eau douce du Canada.
[Français]
Le comité examinera bientôt le projet de loi C-6. Aux fins de cette étude, nous vous avons fourni des cahiers de documentation qui contiennent des renseignements détaillés, y compris des considérations relatives au commerce international. Vous avez aussi reçu une ébauche des règlements. Ça, c'est particulier. J'insiste là-dessus. Je pense qu'il est important qu'un comité parlementaire qui examine un projet de loi examine aussi simultanément les règlements.
Aujourd'hui, je vais d'abord vous présenter brièvement les éléments clés du projet de loi C-6. Je soulèverai ensuite quelques questions d'ordre général qui sont souvent posées.
Les modifications à la loi comportent trois volets: une disposition de prohibition; deuxièmement, un régime de licences; troisièmement, des peines.
La disposition de prohibition interdit le captage massif d'eaux limitrophes et leur transfert à l'extérieur du bassin. La prohibition touchera de nombreux plans d'eaux limitrophes, mais elle aura ses plus grands effets particulièrement sur les Grands Lacs. Le Canada pourra ainsi faire échec aux éventuels projets de captage massif des eaux des Grands Lacs.
Les régimes de licences s'appliqueront à des ouvrages au Canada comme les barrages ou autres obstructions en eaux limitrophes et transfrontalières. Aux termes du traité, ces travaux sont subordonnés à l'approbation de la Commission mixte internationale et du gouvernement du Canada. Depuis 92 ans, 60 ouvrages ont été soumis à cette procédure d'approbation, cela sans problèmes. La procédure ne changera pas en substance, sauf qu'elle sera dorénavant officialisée par un régime de licences. Je tiens à souligner que le régime de licences ne s'appliquera pas aux projets de prélèvement d'eau massif qui sont visés par la disposition de prohibition.
Le projet de loi C-6 prévoit en outre des peines qui sont bien définies. La prohibition sera donc efficace, et le Canada sera en mesure de la faire respecter.
Je voudrais présenter quatre questions qui ont été soulevées à l'égard du projet de loi C-6 et de la stratégie du Canada concernant les prélèvements massifs d'eau: premièrement, la portée du projet de loi C-6; deuxièmement, le C-6 et la compétence provinciale; troisièmement, pourquoi pas une interdiction des exportations? Et quatrièmement, que font les États-Unis pour protéger les Grands Lacs?
[Français]
Quelle sera la portée du projet de loi C-6? Tous les niveaux de gouvernement doivent agir efficacement et de concert, dans les limites de leurs compétences respectives. Le projet de loi C-6 permet au Canada de remplir ses engagements à cet égard.
Toutefois, la responsabilité première des provinces et des territoires en matière de gestion de l'eau est reconnue. Notre collègue, le ministre de l'Environnement, a donc proposé un accord pancanadien pour l'interdiction de prélèvements massifs d'eau de tous les grands bassins hydrographiques canadiens. Toutes les provinces se sont déjà dotées de lois et de politiques qui interdisent les prélèvements d'eau à grande échelle, ou sont en train de le faire.
Quel est l'impact du projet de loi C-6 sur les juridictions provinciales? Les dispositions relatives à l'interdiction et aux permis du projet de loi C-6 n'accroissent pas les pouvoirs ou les activités du gouvernement fédéral dans des domaines de compétence provinciale. Le traité confère au gouvernement fédéral seul tous les pouvoirs sur les eaux limitrophes qui sont stipulés dans le traité.
Quant aux dispositions relatives aux permis, en vertu de la loi amendée, le principal critère permettant de déterminer si un projet futur nécessite ou non l'intervention du gouvernement fédéral et de la Commission mixte internationale demeurera précisément ce qu'il est depuis 1909: ce projet tombe-t-il sous le coup du traité?
Les obligations en vertu du traité sont la responsabilité exclusive du gouvernement fédéral. Néanmoins, depuis 1998, le gouvernement fédéral a tenu des consultations approfondies avec les provinces au sujet de ces amendements. Il continuera de les consulter sur les dispositions relatives aux permis et aux règlements.
[Traduction]
Pourquoi pas une interdiction des exportations? Certaines personnes ont pressé le gouvernement fédéral d'agir unilatéralement en imposant une interdiction d'exporter de l'eau. Une telle politique serait néfaste. Elle est irréaliste, surtout dans le contexte fédéral-provincial. Elle risquerait d'être inefficace. Pis encore, elle irait à l'encontre du but que nous recherchons tous. Contrairement à la stratégie du Canada, qui est axée sur des objectifs environnementaux globaux compatibles avec le commerce, une interdiction visant les exportations ne tient pas compte de la dimension environnementale. L'interdiction d'exporter pourrait comporter des limites au regard de la Constitution et elle risque de prêter à des contestations d'ordre commercial. L'interdiction d'exporter s'appliquerait uniquement au transfert transfrontalier de l'eau une fois que celle-ci serait devenue une marchandise—donc soumise aux accords commerciaux internationaux—et elle contreviendrait probablement aux obligations commerciales internationales contractées par le Canada.
Selon l'approche environnementale du Canada, l'eau est protégée et réglementée à l'état naturel, avant que se pose la question de l'exportation et qu'elle ne devienne un bien commercial ou un produit vendable. Cette approche est conforme à nos obligations commerciales internationales. Les gouvernements canadiens ont pleine souveraineté sur la gestion de l'eau à l'état naturel et ne sont pas limités dans l'exercice de cette souveraineté par les accords commerciaux, y compris l'ALENA.
[Français]
Que font les États-Unis afin de protéger les Grands Lacs? Il va sans dire que nous devons coopérer étroitement avec les instances américaines, tant au niveau fédéral qu'au niveau des États, et nous le faisons régulièrement, afin que les régimes institués de part et d'autre de la frontière soient le plus cohérents et le plus restrictifs possible.
Le Canada et les États-Unis ont convenu de charger la Commission mixte internationale d'étudier les modes de consommation, les détournements et les prélèvements dans les Grands Lacs, et de formuler des recommandations à ce sujet. La Commission mixte internationale, dans son rapport de février 2000, a présenté des recommandations qui jettent les bases d'une politique uniforme des deux côtés de la frontière en ce qui concerne la protection des Grands Lacs. Chaque gouverneur des huit États du bassin des Grands Lacs est investi du pouvoir, confirmé par le Congrès, de bloquer de nouveaux projets de dérivation.
Dans les années à venir, le Traité des eaux limitrophes restera un instrument critique pour la protection des droits du Canada sur les Grands Lacs et les autres eaux limitrophes et transfrontalières.
• 0920
En adoptant le projet de loi C-6, le Parlement
imposera légalement une prohibition non équivoque du
captage d'eau à grande échelle dans les eaux relevant
de la compétence fédérale, spécialement dans les
Grands Lacs.
Il s'agit d'une mesure tournée vers
l'avenir, qui met
au-dessus de tout la sécurité des ressources en eau
douce du Canada, ressources qu'il nous
faut protéger pour les générations à venir. Le
fédéral
y fait preuve d'initiative. Elle
concrétise une approche
globale écologiquement valable, respectueuse des
compétences constitutionnelles et, bien sûr, conforme aux
obligations commerciales internationales du
Canada.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole sur ce sujet important. Je pense que les experts des ministères, autant des Affaires étrangères que de la Justice et de l'Environnement, sont à la disposition des membres du comité pour répondre aux questions.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Paradis.
Si j'ai bien compris, les experts ne feront pas de présentation.
M. Denis Paradis: Monsieur le président, nous allons passer directement aux questions.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
M. Stan Keyes: J'invoque le Règlement. Je tiens à déclarer publiquement, pas seulement pour la gouverne du comité mais aussi pour tous ceux qui siègent sur la Colline, monsieur Paradis, que je suis vraiment déçu de voir que vous, en tant que secrétaire parlementaire, n'avez pas distribué le texte de votre exposé aux membres du comité. Tous les autres témoins qui comparaissent devant les comités de la Chambre, le nôtre y compris, respectent ce processus et remettent les documents dans les deux langues officielles. Étant donné les détails dont vous faites état dans votre exposé et les questions susceptibles d'en découler, la moindre des politesses aurait été de nous en remettre le texte.
J'espère que vous transmettrez le message et que, la prochaine fois que vous ou un autre secrétaire parlementaire comparaîtrez devant un comité, vous verrez à respecter les règles quant au minimum attendu de la part des témoins.
M. John Harvard: Puis-je ajouter, monsieur le président, que je suis moi aussi très déçu?
Le président a débuté la séance en disant qu'il s'agit d'un projet de loi complexe. Il a raison. Le secrétaire parlementaire dit que c'est une des principales priorités du gouvernement, et je le crois sur parole. Voilà une mesure qui est en préparation depuis longtemps et pourtant, le gouvernement ne juge pas bon de remettre ces explications sous forme écrites. C'est à mon avis un manque de politesse, monsieur Paradis, et j'espère que vous transmettrez le message à vos supérieurs.
[Français]
M. Denis Paradis: Monsieur le président, au cours des minutes qui vont suivre, nous allons faire des copies de la présentation et les remettre aux membres du comité.
[Traduction]
Nous allons en faire des copies sur-le-champ. Je vous prie de m'excuser, j'aurais dû les distribuer à tous les membres du comité.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Voulez-vous intervenir sur ce même rappel au Règlement, madame Lalonde?
Mme Francine Lalonde: Je veux parler du même sujet. Je veux ajouter que j'aurais bien aimé que le ministre rencontre le comité pour parler de cette question si importante et prioritaire. Je n'ai rien contre M. Paradis. Je ne pense pas que le fait que le ministre soit venu nous voir pour parler des crédits rendait sa présence pour discuter du projet de loi C-6 moins importante.
Le président: Je crois qu'en vérité, madame Lalonde, le ministre est au Moyen-Orient à l'heure actuelle. Je suis certain qu'il serait là si c'était possible, mais c'est impossible dans de telles circonstances.
[Traduction]
La parole est à M. O'Brien.
M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): À ce sujet, monsieur le président, ayant présidé un comité de la Chambre pendant deux ans—et le député, qui est chevronné, le sait bien—je pense que tous les ministres que je connais ont toujours répondu aux demandes de comparution devant le comité permanent. Si le comité considère que c'est une priorité, c'est une possibilité que nous pourrions envisager.
Le président: Nous verrons, lors de l'examen du projet de loi, s'il est utile d'inviter le ministre, mais M. Paradis est ici pour le représenter et nous voulons au moins débuter l'étude de cette mesure.
Passons donc aux questions. Je donne la parole à M. Obhrai.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci.
Merci de votre présence, monsieur Paradis, je me réjouis de vous voir parmi nous, même si vous vous faites un peu houspiller par vos collègues.
Tout d'abord, je tiens bien à préciser que mon parti préconise la conclusion d'une entente auxiliaire en vue d'exempter l'eau de l'application de l'ALENA. C'est ce que nous souhaitons, et c'est ce que votre parti avait promis lors des élections de 1993, mais sans y donner suite.
• 0925
À mon avis, ce projet de loi est un pis-aller, un ensemble
disparate d'ententes. J'aimerais poser certaines questions pour
tirer les choses au clair. Vos spécialistes pourront peut-être me
dire ce que l'on entend par «bassin hydrographique», de façon à ce
que nous en ayons une définition très précise.
M. Jason Reiskind (conseiller juridique, Section du droit international et des activités internationales, ministère de la Justice): En général, le projet de loi vise à interdire les prélèvements massifs d'eau provenant des eaux limitrophes, selon la définition du traité, et l'enlèvement de ces eaux limitrophes du bassin hydrographique où elles se trouvent.
Or, un bassin correspond généralement au secteur où les rivières et cours d'eau se déversent dans ces eaux limitrophes. La définition des bassins sera donnée dans le règlement, et je crois savoir que le comité a déjà préparé une ébauche de règlement. Il est prévu de définir dans le règlement trois groupes de bassins hydrographiques: le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, le bassin de la baie d'Hudson et le bassin des Saint-Jean et Ste-Croix.
Ces bassins hydrographiques correspondent aux principaux secteurs où se trouvent les eaux limitrophes. Prenez un exemple d'une personne qui envoie un bateau-citerne dans les Grands Lacs pour essayer de prélever et transférer de l'eau des Grands Lacs vers l'Atlantique, en empruntant le Saint-Laurent. Cela revient à prélever des eaux limitrophes des Grands Lacs. L'eau sera prélevée dans le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent et transférée, dès que le navire atteindra l'Atlantique. Étant donné que cette eau est prélevée du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, elle ne retournera pas dans les eaux limitrophes, et c'est pourquoi il est très important d'interdire ces prélèvements massifs.
M. Deepak Obhrai: Et vous dites que cela sera précisé dans le règlement, ce qui m'amène à ma deuxième question. Le projet de paragraphe 13(4) prévoit certaines exceptions, notamment pour les eaux de ballast, l'eau requise à des fins à court terme, à des fins humanitaires, et l'eau utilisée pour la production d'aliments ou de boissons, ce qui est très bien, mais ces exceptions seront prévues par décret. Étant donné leur importance, est-il possible de les préciser dans le projet de loi même?
M. Jason Reiskind: Si ces exemptions sont prévues par règlement, c'est pour nous permettre de résoudre rapidement et de manière efficace les problèmes qui risquent de se poser. On prévoit ces exceptions importantes dans le règlement mais en fait, c'est pour permettre aux responsables de prendre rapidement des mesures, n'importe quand, pour réprimer les infractions. On a jugé qu'il valait mieux prévoir les exceptions dans le règlement pour faciliter la prise de ces mesures.
M. Deepak Obhrai: Le gouvernement a dit que ce projet de loi était nécessaire en raison des pressions croissantes exercées sur nos ressources d'eau douce. Je ne sais pas qui va répondre à cette question. Si le gouvernement a proposé ce projet de loi, c'est, à l'en croire, notamment à cause de ces pressions croissantes. J'aimerais en savoir plus à ce sujet. Quelles sont les pressions qui s'exercent et justifient ce projet de loi? Pourquoi le règlement actuel ne permet-il pas d'en arriver à la même conclusion ou d'atteindre le même but que les autres règlements? D'où viennent les pressions qui justifient ce projet de loi?
M. John B. Cooper (directeur, Direction des enjeux hydriques nationaux, Direction générale des écosystèmes et des ressources environnementales, Service de la conservation de l'environnement, Environnement Canada): Si vous le permettez, j'aimerais dire tout d'abord que la gestion des eaux repose sur certains principes fondamentaux, et notamment la protection des bassins hydrographiques. La plupart des administrations du pays s'occupent des bassins hydrographiques. C'est l'élément fondamental de la gestion en vue de protéger à la fois les écosystèmes et les collectivités tributaires de ces approvisionnements d'eau à l'état naturel.
L'essentiel des mesures que nous prenons pour protéger nos ressources contre la pollution et les abus reposent sur une approche axée sur les bassins hydrographiques. Comme l'indiquait le rapport de la CMI sur les Grands Lacs, avec une population de près de 40 millions d'habitants et la croissance industrielle de cette région, les ressources en eau sont de plus en plus utilisées à des fins industrielles, municipales, agricoles, et d'autres fins, ce qui accroît les pressions sur ces ressources.
Le changement climatique est également censé avoir une énorme incidence sur le niveau et la répartition des eaux dans le pays, et selon les prévisions, le niveau de l'eau des Grands Lacs risque en fait de diminuer de plus d'un mètre et demi d'ici à l'an 2025, à cause du changement climatique. Comme nous l'avons vu au cours des trois dernières années, le niveau de l'eau dans les Grands Lacs est très bas, ce qui a nui à la navigation commerciale et de plaisance, et même à l'approvisionnement en eau des villes.
Il faut bien comprendre qu'une partie seulement de l'eau qui coule dans un bassin hydrographique est renouvelable chaque année. C'est fonction des précipitations et de la neige fondue qui se déversent dans le bassin et le traversent. Dans l'étude menée par la Commission mixte internationale, on signalait que, en moyenne, seulement un pour cent de l'eau des Grands Lacs est renouvelable chaque année, et c'est l'eau que nous utilisons à de multiples fins. C'est l'eau qui permet de maintenir le débit des rivières qui se déversent dans le Saint-Laurent et nous permet de poursuivre la navigation et d'alimenter en eau les municipalités situées le long du bassin. Le reste est l'eau qui existe depuis l'époque glaciaire. Cela constitue pour ainsi dire le capital en eau, car nous ne renouvelons pas le système tous les ans. Il n'y a donc que un pour cent de l'eau qui se renouvelle, et ce faible pourcentage est assujetti à des pressions croissantes en raison de la croissance démographique et des répercussions du changement climatique.
En ce qui concerne l'effet cumulatif de la consommation totale, selon le rapport de la Commission mixte internationale, environ 5 p. 100 de l'eau des Grands Lacs que nous consommons est perdue à tout jamais, et il en va de même pour les prélèvements massifs d'eau. Par exemple, 95 p. 100 de l'eau utilisée dans le bassin hydrographique des Grands Lacs retourne dans ce bassin pour d'autres utilisations et pour maintenir le niveau. Si nous autorisons les prélèvements massifs d'eau, que cette eau soit destinée à un autre pays ou à une autre région du Canada en dehors du bassin hydrographique, ce dernier perdra cette eau à tout jamais.
M. Deepak Obhrai: Merci.
Le président: Merci beaucoup.
La parole est à Mme Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Bonjour.
Tel qu'énoncé dans plusieurs documents, le gouvernement fédéral tire sa compétence sur les eaux et son pouvoir d'application du Traité des eaux limitrophes de 1909. Or, la lecture que je fais du projet de loi C-6 montre que l'objet du projet de loi va au-delà de l'objet qui était prévu par le traité.
D'ailleurs, monsieur le président, la copie du traité qui est dans notre cahier est en anglais seulement. Je crois qu'il existe des traités traduits en français. En avez-vous pris note, monsieur le président?
[Traduction]
M. Stan Keyes: Je suis sûr que le président examinera cet exemplaire bilingue du traité.
Mme Francine Lalonde: Le traité qui est dans notre cahier est en anglais.
Le président: D'accord, mais il est disponible en français. J'en suis certain.
Mme Francine Lalonde: C'est la raison pour laquelle je me demande pourquoi il n'y est pas.
Le président: Le traité fait partie de la loi, n'est-ce pas, monsieur Ruddock?
M. Frank Ruddock (directeur adjoint, Direction des relations transfrontalières avec les États-Unis, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): [Note de la rédaction: inaudible] ...puisque dans mon cahier, c'est en français.
Mme Francine Lalonde: Alors, il doit y avoir une erreur, monsieur.
En ce qui me concerne, j'ai écrit mes notes là-dessus. Les traducteurs s'occuperont de traduire.
On dit à l'article préliminaire au sujet des eaux limitrophes:
[Traduction]
-
[...] les eaux limitrophes sont définies comme [...] sont toutefois
exclues de la présente définition les eaux des affluents qui, dans
leur cours naturel, se verseraient dans ces lacs, fleuves, rivières
et voies d'eau, les eaux coulant de ces lacs...
[Français]
Mais à l'article 12 proposé dans le présent projet de loi, on inclut ce qui est exclu dans le traité lui-même. Je ne comprends pas comment, dans une loi qui amende la loi de mise en oeuvre—c'est ce que je comprends—, on puisse définir l'objet de façon différente.
On ne définit pas l'objet d'une façon précise, contrairement à ce qui est énoncé dans le traité, mais plutôt en donnant au ministre le pouvoir de décrire les bassins hydrographiques. C'est ma première question, monsieur le président. Comment expliquez-vous cela?
[Traduction]
M. Jason Reiskind: Nous avons pris garde à ne pas sortir de la portée générale du traité initial, de façon à respecter le fondement constitutionnel de l'article 132.
Pour répondre à votre question précise, et je comprends qu'une explication s'impose, nous avons limité l'interdiction aux prélèvements d'eaux limitrophes. Si l'on captait et transférait des l'eau en amont des eaux limitrophes, cela ne serait pas visé par l'interdiction. Ainsi, nous ne prévoyons pas d'interdiction de prélèvements massifs d'eaux se trouvant en amont des eaux limitrophes, car celles-ci ne sont pas visées par le traité.
Lorsqu'on parle des bassins hydrographiques, nous disons que si l'on effectue un prélèvement massif d'eau dans des eaux limitrophes, comme les Grands Lacs, cette eau ne doit pas sortir du grand bassin géographique, car elle ne retournera jamais dans ces eaux limitrophes. C'est donc une double protection, pour ne pas influer sur le niveau et le débit des eaux limitrophes, comme le prévoit explicitement le traité.
D'après mon interprétation, la mise en oeuvre de ce projet de loi ne doit pas suivre le traité à la lettre, mais doit être raisonnablement nécessaire. Si vous le permettez, monsieur le président, j'aimerais signaler que dans l'ouvrage intitulé Water Law in Canada, écrit par Gérard La Forest, devenu par la suite juge de la Cour suprême, on peut lire ce qui suit à la page 65—et je vous remettrai volontiers cet ouvrage:
-
La mise en oeuvre d'une loi aux termes de l'article 132 ne doit pas
nécessairement reproduire le traité à la lettre. Il suffit qu'il
soit raisonnablement nécessaire de s'acquitter des obligations qui
y sont prévues.
• 0940
Il invoque également une cause qui mérite d'être signalée au
comité, l'affaire La Reine c. Stuart de 1925, lors de la mise en
oeuvre de la Convention sur les oiseaux migrateurs. En
l'occurrence, la Cour d'appel du Manitoba a statué que la loi était
valide car elle était raisonnablement accessoire à l'objet du
traité.
Ainsi, même si les bassins hydrographiques ne sont pas mentionnés dans le traité, ces mesures visent directement à protéger le niveau et le débit des eaux limitrophes du côté américain, ce qui constitue l'objet essentiel du traité.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Je retiens cet arrêt de la Cour suprême, que j'examinerai. Vous savez qu'au Québec, on dit que la Cour suprême penche toujours du même côté, comme la Tour de Pise. Je tiens également à mentionner que la réponse à la question que j'ai posée visait l'article 13 proposé, alors que ma question portait sur l'article 12 proposé. Mais je vais quand même poursuivre.
Dans ses recommandations, la Commission mixte internationale prend un chemin complètement différent de celui du gouvernement fédéral. Elle fait des recommandations relativement aux prélèvements massifs et aux dérivations, mais elle dirige ces recommandations d'action à l'endroit des huit États et des deux provinces signataires de la Charte des Grands Lacs de 1985, que ce soit pour les prélèvements, les activités majeures de consommation nouvelle ou accrue, la conservation ou les normes.
Elle précise dans sa recommandation 5:
-
Afin de faciliter l'exécution efficace, coopérative et
rapide des programmes
en matière d'utilisation durable des
ressources en eau du bassin des Grands
Lacs, les gouvernements devraient recourir
aux institutions existantes pour
appliquer les recommandations du présent rapport. À cet égard, les
gouvernements des États et des
provinces devraient prendre des mesures
relatives à la mise en oeuvre de la Charte des Grands Lacs.
Elle précise également que, pour une exécution rapide, coopérative et efficace, les gouvernements fédéraux sont invités à participer, avec les gouvernements provinciaux, à la cueillette des données et à la recherche et développement.
Puisque l'expertise et l'expérience dont il est fait mention est l'expérience vécue par les provinces et les États, comment expliquer que le gouvernement fédéral, au lieu de faire confiance, se décide à élargir sa compétence, à créer une infrastructure, à donner des charges supplémentaires à ses fonctionnaires, alors que déjà la question était traitée et aurait pu l'être par le moyen qu'il propose? J'ai de la difficulté à évaluer cela. J'ajoute que la Commission mixte internationale agit à la demande des deux États fédéraux, le Canada et les États-Unis.
M. Frank Ruddock: Quand on lit le rapport de la Commission mixte internationale, il est très clair que la commission a suivi une approche qui est pareille à celle suivie par le gouvernement fédéral. Comme le disait M. Cooper plus tôt, ils ont vu le problème dans un sens multidimensionnel, ce qui signifie que ce n'est pas seulement une question d'exportation de l'eau, mais aussi une question environnementale, une question de croissance économique, de croissance démographique, de changement climatique et d'autres aspects, ainsi que d'effet cumulatif.
Ils ont suivi la même approche que nous, à savoir qu'il s'agit d'une question intergouvernementale. Vous avez bien cité quelques-unes des recommandations dirigées à l'endroit des huit États américains et des deux provinces canadiennes, l'Ontario et le Québec, puisqu'ils sont membres de la Charte des Grands Lacs.
• 0945
Mais leurs recommandations visent tous les paliers du
gouvernement, y compris le fédéral. La conclusion de la
Commission mixte internationale, dans ce rapport, était
de demander à tous les paliers de gouvernement
d'être prudents en matière de gestion des eaux et, surtout,
de protéger l'intégrité écologique du bassin. Avec le
projet de loi C-6, le gouvernement fédéral a fait preuve
de prudence en prévoyant une interdiction mais, comme le
disait mon collègue M. Reiskind il y a quelques minutes,
cette interdiction ne s'applique qu'aux eaux limitrophes
telles que définies par le traité. Il n'y a donc aucun
élargissement du pouvoir fédéral.
Mme Francine Lalonde: Je regrette, mais on dit le contraire à l'article 12 proposé.
M. Frank Ruddock: L'article 12 proposé s'applique au système de permis, je crois, et il est très important de distinguer entre l'interdiction de l'article 13 proposé et le système de permis. Le système de permis formalise un système qui a 92 ans en vertu du traité et ne concerne pas les prélèvements massifs d'eau. Il s'agit plutôt de projets comme les barrages dans les eaux limitrophes. Cet aspect du traité existe depuis 92 ans.
Depuis 92 ans, 60 projets ont, en vertu du traité, exigé à la fois l'approbation de la Commission mixte internationale et du gouvernement du Canada, et ces 60 projets ont reçu cette double approbation sans aucun problème. Il n'y avait aucun chevauchement avec les régimes des provinces. Mais ce régime ne s'applique qu'à ces projets; il ne s'applique pas à l'interdiction.
Le président: Excusez-moi, mais il s'est déjà écoulé 13 minutes. On aura la chance de revenir sur cette question.
Mme Francine Lalonde: Oui. Vous comprenez que ce n'est pas simple.
Le président: Je suis d'accord qu'il s'agit d'une question bien compliquée et qu'on aurait bien aimé comprendre, mais d'autres personnes aimeraient poser des questions. On va donc passer maintenant à M. Keyes et ensuite à M. Comartin.
[Traduction]
M. Stan Keyes: Merci, monsieur le président.
Bonjour, messieurs, et je remercie le secrétaire parlementaire de sa présence devant notre comité.
Pour la gouverne des gens qui nous écoutent et pour plus de clarté—si non pour eux, en tout cas pour moi—,j'ai deux questions fondamentales qui nous ramèneront un peu en arrière.
Le fait d'accorder au gouvernement fédéral le pouvoir exclusif à l'égard des exportations massives d'eau constitue-t-il une modification par rapport à la loi actuelle?
M. Frank Ruddock: Quand vous dites «pouvoir exclusif à l'égard des exportations massives d'eau», pourriez-vous être plus précis, car ce n'est pas l'objet du projet de loi. Il s'agit d'interdire les prélèvements massifs d'eau.
M. Stan Keyes: Très bien. Cela m'amène à ma question suivante. Y a-t-il à l'heure actuelle des exportations massives d'eau du Canada?
M. Frank Ruddock: Il n'existe pas de projet de prélèvement massif d'eau du Canada, relativement à ce projet de loi, comme le projet de captage par bateau-citerne qui était prévu dans les Grands Lacs en 1998.
M. Stan Keyes: Dans ce cas, je serai plus précis. Peut-on exporter de l'eau par bateau-citerne ou par camion ou par pipeline du Canada vers les États-Unis actuellement?
M. Frank Ruddock: Dans le contexte législatif actuel, toutes les provinces et tous les territoires du Canada ont adopté ou sont sur le point d'adopter une loi interdisant les prélèvements massifs d'eau. Naturellement, tant que ce projet de loi n'est pas adopté, nous n'avons pas ce pouvoir fédéral. Il y a trois autres provinces qui...
M. Stan Keyes: Bon, je vous interromps. Peut-on actuellement exporter de l'eau par camion, par pipeline ou par bateau-citerne vers les États-Unis? Oui ou non? Ce n'est pas difficile.
Le président: C'est une compétence complexe.
M. Stan Keyes: Non, monsieur le président, je pose une question très simple.
• 0950
Actuellement, un bateau-citerne peut-il arriver dans un bassin
d'eau douce, que ce soit les Grands Lacs ou Winnipeg, charger de
l'eau—et on peut faire la même chose qu'il s'agisse d'un pipeline,
d'un bateau-citerne ou d'un camion—et exporter cette eau à
l'étranger? Peut-on le faire maintenant, en ce moment même?
M. John Cooper: Si vous parler de prélever actuellement de l'eau dans des eaux relevant des provinces ou territoires, premièrement, cela ne se fait pas. Que cela puisse se produire dans des provinces ou territoires qui n'ont pas encore de loi...
M. Stan Keyes: Je parle de compétence fédérale. Est-ce que c'est possible?
M. John Cooper: Fédéral—vous voulez parler des Grands Lacs, par exemple?
M. Stan Keyes: D'accord, prenons les Grands Lacs.
M. John Cooper: Oui, c'est possible.
M. Stan Keyes: C'est possible. Bon.
Nous avons ce projet de loi, et nous disons que nous allons interdire cela. Nous ne voulons pas qu'on fasse des prélèvements massifs d'eau; nous ne voulons pas avoir de gros bateaux-citernes qui vont venir se remplir dans les Grands Lacs, et qui vont, pour reprendre votre exemple tout à l'heure, quitter le Canada par la Voie maritime du Saint-Laurent, longer la côte atlantique et disparaître avec notre eau.
Mais ce projet de loi va-t-il empêcher ce même bateau-citerne de venir dans les Grands Lacs, de pomper de l'eau, d'aller à Toronto, d'y accoster, de transférer l'eau à une entreprise d'embouteillage, qui va la mettre en bidons de 20 litres, et l'expédier ensuite aux États-Unis? Est-ce que la loi empêche ce genre de chose?
Ce n'est pas compliqué, monsieur le président.
M. Frank Ruddock: Non. La loi n'intervient pas dans la commercialisation de produits légitimes. Ce qui est important ici, c'est que quand le bateau-citerne est vide, la personne qui le remplit doit déclarer qu'elle le fait et dire pourquoi.
M. Stan Keyes: Bon. Mais je ne veux pas m'écarter du sujet. Le fait est qu'un bateau-citerne peut toujours venir dans les Grands Lacs.
Ce que je suis en train de montrer, c'est que ce que nous allons interdire côté cour—c'est-à-dire charger un bateau-citerne qui va repartir par le Saint-Laurent et descendre la côte atlantique—nous allons l'autoriser côté jardin puisque le bateau-citerne va pouvoir se remplir, accoster à Toronto, décharger sa cargaison qui sera transférée à une usine d'embouteillage où l'eau sera mise en bidons de 20 litres et pourra être exportée aux États-Unis.
À moins que je ne me trompe, c'est peut-être même plus qu'une simple apparence...ce sera toujours l'exportation de la même eau avec le même navire, simplement ce sera un petit peu plus difficile, parce qu'il faudra embouteiller cette eau avant de l'expédier par camion vers les États-Unis.
Est-ce que c'est un résumé assez fidèle de la réalité?
M. Frank Ruddock: Eh bien, en partie, mais tout d'abord...
M. Stan Keyes: Quelle partie n'est pas exacte?
Le président: C'est la question.
J'ai eu l'occasion, monsieur Keyes, de me faire expliquer cela. Actuellement, on pompe de l'eau des nappes phréatiques canadiennes et on l'exporte en bouteille. Ce projet de loi essaie de répondre à ces problèmes, mais c'est complexe. On autorise dans certaines circonstances ce genre de prélèvements, mais ce sont des prélèvements contrôlés et limités. Il faut qu'on s'occupe des...
M. Stan Keyes: D'accord, si c'est un prélèvement contrôlé et limité, comme vous le dites, monsieur le président, et alors ma question suivante, qui est très simple aussi, je le pense, est: Y a-t-il une limite à la quantité d'eau qu'on pourra pomper dans les nappes phréatiques canadiennes pour l'amener vers des compagnies d'embouteillage qui pourront ensuite l'exporter?
M. Frank Ruddock: Puis-je répondre d'abord à une des dernières questions, monsieur le président?
Le président: Oui.
M. Frank Ruddock: Tout d'abord, ce projet de loi n'a pas pour but d'intervenir dans le commerce de produits légitimes, qu'il s'agisse d'eau en bouteille, de bière, de jus de fruit reconstitué ou autres. Ce n'est absolument pas à cela que sert ce projet de loi.
J'aimerais aussi souligner à propos de l'eau en bouteille que la Commission mixte internationale, dans son rapport de février 2000, a précisé que ce commerce n'était pas d'une ampleur de nature à susciter des inquiétudes. La Commission l'a examiné et a dit que ce n'était pas inquiétant pour le bassin des Grands Lacs.
Pour en venir maintenant à votre dernière question, l'essentiel de l'eau en bouteille—et M. Cooper pourra me corriger si je me trompe—vient des nappes phréatiques. Elle ne vient pas des lacs, elle est essentiellement pompée dans les nappes phréatiques. Toutes ces nappes relèvent de la compétence provinciale. La loi ne concerne pas les nappes phréatiques, qui relèvent de la compétence provinciale alors que nous nous en sommes tenus ici à la compétence fédérale.
Une fois l'eau embouteillée, c'est un produit commercial légitime.
M. Stan Keyes: D'accord.
Dans le document «Prélèvements massifs, situation des lois et règlements au Canada», il y a une colonne intitulée «Exemptions» pour chaque province. Qui détermine ces exemptions? Sont-elles fédérales ou provinciales?
M. John Cooper: Provinciales.
M. Stan Keyes: Ah, ce sont toutes des exemptions provinciales. Très bien. Elles relèvent de la législation provinciale.
Je trouvais curieux, monsieur le président, qu'au Québec, par exemple, le texte de la dernière exemption dit que «l'interdiction peut être levée en cas d'urgence, ou pour des raisons humanitaires ou autres d'intérêt public». Aucune autre province ne prévoit cette exemption. Il y a cette belle petite exemption qui couvre tout au Québec.
J'ai simplement une dernière petite question à vous poser, messieurs. Pour ce qui est des nappes phréatiques, qui alimentent, j'imagine, les Grands Lacs...j'aimerais tirer les choses au clair. On n'a pas le droit d'amener un bateau, de pomper l'eau des Grands Lacs et de la sortir par la côte Est. En revanche, il y a les nappes phréatiques qui relèvent de la compétence provinciale et ce sont elles qui approvisionnent finalement les Grands Lacs. Il faut bien que l'eau vienne de quelque part. Donc, on n'a pas le droit de prendre l'eau des Grands Lacs, mais on pourra en prendre dans les nappes phréatiques parce qu'elles relèvent des provinces. Même si cela a des répercussions sur le niveau de l'eau dans les Grands Lacs, on pourra remplir des navires ou pomper l'eau d'une nappe phréatique avec un pipeline, amener cette eau à une compagnie d'embouteillage et en faire un produit qui pourra être exporté.
Bon sens, je me dis que je devrais vraiment me lancer dans l'embouteillage d'eau. On est en train de nous dire que cela ne pose pas de problème puisque cela relève de la compétence provinciale et que nous ne pouvons rien faire du côté des nappes phréatiques; nous avons des discussions et nous allons nous arranger avec ces gens-là; mais en même temps le gouvernement fédéral va décider d'interdire les exportations massives d'eau des Grands Lacs ou des bassins.
Bon, c'est fantastique, mais l'eau qui arrive là vient bien de quelque part. Elle vient d'une nappe phréatique, et nous ne contrôlons pas le passage de l'eau de cette nappe phréatique vers le bassin. Au fond, on fait la même chose, mais simplement par la porte de derrière au lieu de la porte de devant.
Le président: Vous avez un commentaire à ce sujet, monsieur Cooper?
M. John Cooper: Oui.
Les nappes phréatiques ne sont pas les seules à alimenter un bassin. Il y a évidemment les précipitations, la fonte des neiges, les échanges, etc.
M. Stan Keyes: Vous avez les pourcentages?
M. John Cooper: Cela dépend du bassin. Pour ce qui est des nappes phréatiques, c'est vrai que ce projet de loi ne les couvre pas parce qu'il ne porte pas sur les eaux souterraines. Toutefois, la législation provinciale que l'Ontario est en train de mettre en place couvre par exemple les prélèvements d'eau souterraine aussi bien que les prélèvements d'eau de surface.
À cet égard, pour ce qui est des exportations d'eau embouteillée, il est important de savoir que nous en exportons environ 500 millions de litres par an en moyenne. C'est moins que ce que la Société NOVA se proposait de retirer du lac Supérieur en 1998, puisqu'elle a envisagé 600 millions de litres par an. Ce n'est pas une quantité très importante à l'échelle globale.
M. Stan Keyes: Merci, messieurs.
Je voulais simplement essayer de bien faire comprendre mon point de vue. Si nous nous inquiétons des exportations d'eau, ce n'est certainement pas simplement... Nous pouvons prendre des mesures au niveau fédéral comme nous le faisons avec ce projet de loi, mais il faut qu'il y ait une coopération avec les gouvernements provinciaux. Il faut que les gouvernements provinciaux comprennent qu'il est important non seulement de mesurer et de contrôler les exportations mais aussi d'empêcher les gens de faire par-derrière ce qu'on leur interdit de faire par-devant.
Merci, monsieur le président.
M. Denis Paradis: À ce sujet, monsieur le président, j'aimerais préciser qu'Environnement Canada travaille depuis deux ans avec les provinces à élaborer un projet pancanadien sur la question.
Le président: Oui. Il est clair que l'eau est une ressource provinciale. C'est un de ces cas fréquents où le gouvernement fédéral a un pouvoir de réglementation limité. En l'occurrence, ce pouvoir découle du traité, mais il y a parfois d'autres formes de réglementation fédérale. En définitive, comme vous le dites, monsieur Keyes, il faudra que les provinces et le gouvernement fédéral coopèrent pour couvrir l'ensemble de la question.
• 1000
C'est bien cela, monsieur Cooper? Je pense que nous le
comprenons tous.
M. John Cooper: Oui, monsieur le président. Puis-je faire une petite remarque?
Le président: Allez-y.
M. John Cooper: Quand la question s'est posée avec la proposition de NOVA en 1998, seules deux provinces avaient une loi interdisant les prélèvements massifs. Actuellement, toutes les provinces sauf le Nouveau-Brunswick ont une loi qui est déjà en vigueur ou va l'être bientôt, ou une réglementation pour interdire les prélèvements massifs. Le Nouveau-Brunswick est en train d'élaborer ses propres textes. Il y a donc cette coopération fédérale-provinciale, qui nous permet de couvrir l'ensemble de la situation au Canada.
Le président: Bon. Merci beaucoup.
Nous passons à M. Comartin et ensuite M. Harvard.
M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, d'après une note que j'ai obtenue d'une source gouvernementale, il y a eu des rencontres entre les représentants du gouvernement fédéral et ceux des deux provinces correspondant aux Grands Lacs et à la Voie maritime du Saint-Laurent. D'après ce que je crois savoir—et cela m'a été confirmé lors de rencontres que j'ai eues aux États-Unis—les gouvernements des États américains ont ce qu'ils appellent un seuil de minimis de l'eau qu'ils peuvent retirer. Savez-vous où en sont ces rencontres?
M. Frank Ruddock: C'était une proposition du Conseil des gouverneurs des Grands Lacs dans le cadre de la Charte des Grands Lacs. L'Ontario et le Québec y participent, c'est-à-dire qu'il y a huit États des Grands Lacs plus l'Ontario et le Québec.
En décembre, ils ont établi une nouvelle norme, et c'est à cette recommandation que faisait allusion Mme Lalonde dans sa question. Le seuil de minimis a été inscrit dans cette ébauche de texte en décembre. On l'a beaucoup accusée d'être trop laxiste, et de permettre trop facilement les prélèvements d'eau. Le gouvernement canadien a adressé par écrit ses commentaires officiels au Council of Great Lakes Governors en février, pour lui dire qu'il n'était pas d'accord. Le mois dernier, le gouvernement de l'Ontario et celui de New York ont officiellement annoncé qu'ils n'étaient pas d'accord non plus.
Par conséquent, ce qui s'est passé, c'est que le conseil et le groupe de la Charte des Grands Lacs ont repris la question à zéro. Il y a eu énormément de critiques des deux côtés du bassin, critiques formulées par des groupes d'écologistes et d'autres gouvernements, donc pour l'instant la question est au point mort.
M. Joe Comartin: J'ai deux questions complémentaires. Y a-t-il quelque chose dans le traité actuel qui empêcherait soit quelques-uns de ces États soit un seul d'entre eux de retirer unilatéralement—par exemple le seuil de minimis si certains d'entre eux s'entêtent à le maintenir—un million de galons par jour. Y a-t-il quelque chose qui les empêcherait de le faire unilatéralement?
M. Frank Ruddock: Oui,...
M. Joe Comartin: Je suis désolé. Auriez-vous une idée de ce que serait l'intention de ces États quant à l'utilisation de cette eau?
M. Frank Ruddock: Je dirais qu'il a trois choses ici. L'intention des États quant à l'utilisation de l'eau est une question compliquée mais concerne leurs intérêts économiques. La plupart des États des Grands Lacs ont indiqué qu'ils n'étaient pas favorables à ce que l'on pourrait qualifier de retraits à grande échelle. Ce qui les intéresse, toutefois, ce sont les transferts d'eau au sein de leurs États mais en dehors du bassin. Si vous considérez le bassin des Grands Lacs, il passe par pratiquement tous les États riverains des Grands Lacs. Il les coupe en deux, si bien que la moitié nord se trouve dans le bassin et la moitié sud à l'extérieur. À l'heure actuelle, ils ne peuvent faire passer l'eau au-delà de cette ligne de partage parce qu'ils n'y sont autorisés. C'est là que leur intérêt est en jeu.
Quant à la question sur une action unilatérale, non, la loi américaine l'interdit. Il y a une loi fédérale qui donne à chacun des huit gouverneurs des États riverains des Grands Lacs un veto sur les transferts en dehors du bassin. L'Ohio ne peut pas dire qu'il veut transférer X million de galons sans avoir l'approbation de tous les autres États riverains et l'on sait que c'est très difficile à obtenir.
Il y a une troisième protection...et c'est le traité des eaux limitrophes. Nous avons des obligations vis-à-vis des États-Unis tout comme ils en ont vis-à-vis de nous. Si cela nous inquiète, le traité existe, il défend les droits du Canada. Le mélange de compétences est complexe mais ce ne sont pas des choses qui peuvent se faire du jour au lendemain—unilatéralement.
M. Joe Comartin: Si les huit gouverneurs des États en question sont d'accord, le Canada peut-il faire quoi que ce soit pour les empêcher de prendre cette eau?
M. Frank Ruddock: La dernière chose que je disais, c'était que si effectivement les huit gouverneurs se mettaient d'accord... Je signale qu'en vertu des dispositions de la Charte des Grands Lacs, ils n'auraient pas besoin de l'accord de l'Ontario et du Québec mais ils devraient tenir compte de l'Ontario et du Québec parce qu'ils sont également couverts par la Charte des Grands Lacs. Ils devraient donc traiter aussi avec les deux provinces. Toutefois, pour ce qui est du gouvernement fédéral, si nous avions une objection à un détournement ou un prélèvement massif d'eau, nous avons le traité. Le traité porte sur le volume d'eau—c'est-à-dire les niveaux et le flot des eaux des Grands Lacs—et nous pourrions recourir à cet instrument.
M. Joe Comartin: Est-ce pour des raisons historiques ou y a-t-il des dispositions spécifiques dans ce traité qui interdisent l'un ou l'autre des pays d'accélérer le prélèvement d'eau?
M. Frank Ruddock: Essentiellement, le traité stipule que ni l'un ni l'autre des gouvernements ne peut modifier le niveau et le flot des eaux de l'autre côté de la frontière sans l'approbation de la Commission mixte internationale mixte et du gouvernement du pays où se déroulent les travaux. Le principe est très clair. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas jamais eu de détournement. Il y en a eu. On parle de la dérivation de Chicago qui existe aujourd'hui. Mais, pour l'avenir, c'est une protection importante.
Jason, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Joe Comartin: La commission elle-même pourrait l'approuver.
M. Frank Ruddock: Pas toute seule. Tout dépend où se font les travaux. Si c'est au Canada, il faut l'approbation de la commission et celle du gouvernement canadien. Si c'est aux États-Unis, l'approbation des Américains et de la commission. Si c'est à cheval sur la frontière, il faut trois approbations—États-Unis, Canada et commission. Je vous rappellerais d'autre part que la commission est indépendante des gouvernements. C'est un processus d'approbation indépendant.
M. Joe Comartin: Sauf que les personnes nommées à cette commission sont toutes nommées par les gouvernements.
M. Frank Ruddock: Elles sont nommées, mais elles sont indépendantes. Elles ne reçoivent pas d'ordres des gouvernements une fois qu'elles ont été nommées. Ce sont des commissaires indépendants et le traité précise qu'ils doivent travailler dans l'intérêt des deux pays. Il y a trois Américains et trois Canadiens. C'est une commission indépendante qui a des fonctions quasi judiciaires. C'est une des raisons pour lesquelles elle est indépendante. Il n'y a pas de délégation canadienne à la CMI.
M. Joe Comartin: Vous me permettrez d'être sceptique à ce sujet.
Passons à l'article 11.
Le président: C'est toujours possible au sein de notre comité.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Pourquoi avons-nous opté pour une disposition touchant les licences? Je sais ce que nous avons autorisé par le passé. D'après moi, il s'est agi exclusivement, comme l'a dit le ministre dans sa déclaration, de deux barrages et d'autres types de détournement de ce genre. L'article 11, d'après moi, permet également l'utilisation de l'eau et pas seulement l'obstruction ou la dérivation des eaux limitrophes. J'ai l'impression que cela crée la possibilité d'émettre des licences d'exportation en vrac.
Je parle du projet d'article 11 du projet de loi C-6.
M. Frank Ruddock: Cet élément du libellé du projet d'article 11 est tiré directement du traité, si bien qu'il n'y a là rien de nouveau. C'est presque mot pour mot tiré de l'article 3 du Traité de 1909 sur les eaux limitrophes. C'est important dans notre contexte en ce sens que le captage en vrac peut être considéré à certains égards comme une utilisation ou un détournement. Mais, de cette façon, nous sommes couverts et, je le répète, ce n'est pas un libellé inventé pour le projet de loi.
M. Joe Comartin: Mais ce qui est nouveau, c'est une infrastructure officielle pour la délivrance des licences, comme l'a dit je crois un autre député, si ces amendements sont adoptés. Si je ne m'abuse, nous n'avons jamais eu d'infrastructure semblable pour l'émission de licences, n'est-ce pas?
M. Frank Ruddock: Je crois qu'il faut tout de même remarquer que ce n'est pas nouveau. À l'heure actuelle, si quelqu'un vient proposer un projet qui est touché par cette partie du traité, il doit obtenir l'approbation du gouvernement fédéral. Également l'approbation de la CMI. D'ailleurs, la CMI n'examinera même pas un projet si le gouvernement fédéral ne lui a pas soumis. Et même alors, la CMI ne tient pas compte de l'approbation du gouvernement fédéral. Cette approbation est nécessaire.
En fait, cette approbation a toujours été plus informelle en vertu du traité. La CMI fait donc son travail—c'est pour ça qu'elle existe—et le gouvernement fédéral l'a toujours accepté sans formalité spéciale. Donc, la licence ne fera qu'officialiser ce oui, nous sommes d'accord.
Il est toutefois important de reconnaître, parce que vous avez mentionné autre chose, que l'interdiction qu'il y a là est une véritable interdiction. Les exceptions à l'interdiction n'incluent pas l'émission de licences ni ce genre de choses. L'interdiction est là pour interdire. Les licences sont là pour officialiser les projets qui se déroulent en vertu des articles 3 et 4 du traité. Les licences ne sont pas là pour autoriser le prélèvement massif d'eau.
Le président: Monsieur Comartin, réfléchissez quelque temps à votre scepticisme, nous devons passer à quelqu'un d'autre et je pourrai peut-être vous redonner la parole tout à l'heure.
M. Joe Comartin: Mettez-moi sur votre liste pour le deuxième tour.
Le président: D'accord.
Monsieur Harvard, la parole est à vous.
M. John Harvard: Merci beaucoup, monsieur le président. Merci aux témoins d'être venus.
Messieurs, j'estime que l'objet du projet de loi est tout à fait clair: interdire le prélèvement massif d'eau du Canada. Cela me semble tout à fait clair. Par contre, tout ce qui vient après est moins clair—un peu plus compliqué. Peut-être qu'en fait le projet de loi est coupable de demi-mesures. Je crois comprendre pourquoi.
À mon avis, le plus simple serait, si nous ne voulons pas que l'eau quitte le Canada en vrac, d'imposer une interdiction d'exporter. Mais, évidemment, il y a les compétences provinciales et fédérales et il nous faut en quelque sorte reconnaître cela dans notre régime fédéral très compliqué. Dans ce contexte, vous avez donc songé à ce projet de loi qui ne s'applique en fait qu'aux eaux limitrophes. Cela ne s'applique pas aux autres eaux, seulement aux eaux limitrophes.
Aussi, après cette préface, j'aurais deux questions, l'une de nature politique et l'autre peut-être un peu plus technique. Peut-être que M. Paradis voudra répondre à la question de nature politique.
Je suppose que si nous n'avons pas choisi un système beaucoup plus simple, à savoir interdire les exportations, c'est par crainte de froisser les provinces, et en particulier la vôtre. Et, évidemment, nous ne pouvons pas faire cela, même s'il semble qu'absolument tout le monde soit contre l'exportation d'eau en vrac de notre pays. Mais nous ne pouvions le faire de façon simple parce que cela pourrait froisser certaines provinces.
M. Stan Keyes: Question de compétence.
M. John Harvard: Oui. Ce que nous devons toujours évidemment respecter.
L'autre chose, c'est l'aspect technique et l'interdiction d'exporter, à laquelle nous avons renoncé. Je pense que pour l'intérêt du grand public, il faudrait que vous nous expliquiez un peu mieux pourquoi nous n'aurions pas pu—et oublier là l'aspect politique—choisir l'interdiction d'exporter. Je suppose que c'est peut-être du fait de nos obligations commerciales et de l'OMC, etc. J'aimerais toutefois que vous nous le précisiez vous-mêmes.
Manifestement, nous allons avoir un projet de loi qui s'applique aux eaux limitrophes, mais les choses vont également dépendre des gouvernements provinciaux. N'est-ce pas vrai, monsieur le président? Il va nous falloir compter sur le concours des gouvernements provinciaux.
• 1015
À l'heure actuelle, nous avons 10 gouvernements provinciaux
qui semblent d'accord, ou qui sont au moins sur cette voie, même si
le premier ministre de Terre-Neuve semble avoir dit récemment, ces
dernières semaines et ces derniers mois, qu'il autoriserait peut-être le
captage massif d'eau.
M. Paradis pourrait-il répondre à la question de nature politique? Les témoins, les experts, pourraient-ils pour leur part nous expliquer pourquoi nous n'aurions pas pu choisir une simple interdiction d'exporter?
Le président: Allez-y, monsieur Paradis, puis nous passerons à M. Ruddock.
[Français]
M. Denis Paradis: Monsieur le président, la première raison est qu'il s'agit d'une question d'environnement et non pas de commerce.
[Traduction]
Ce n'est pas une question de commerce extérieur, mais une question d'environnement. C'est très important.
Pour répondre à votre deuxième question, les provinces doivent être impliquées. Ici, il s'agit de compétences fédérales, nous ne touchons qu'à ce qui en relève. L'eau qui se trouve dans les provinces relèvent de la compétence provinciale. Nous considérons d'abord l'environnement, le concours de la province ensuite et, troisièmement, le commerce extérieur dont vous parliez dans votre dernière question.
Nous partons du principe que l'eau sous sa forme naturelle n'est pas un produit. Il est très important de considérer l'eau sous sa forme naturelle dans un bassin. Il y a des gens qui prétendent que si l'on prend l'eau dans son bassin naturel et qu'on la met dans un camion, cela devient un produit. C'est possible; je ne sais. Nous sommes certains d'une chose toutefois: lorsque l'eau est dans un bassin naturelle, ce n'est pas un produit.
Les trois points sont en fait liés à l'environnement. Ce qui préoccupe les gens, c'est l'environnement. C'est être très prudent que de garder cette eau dans le bassin, non seulement pour nous, mais pour les générations futures. Il est également très important que nous ayons le concours de toutes les provinces au Canada, pas seulement celui du Québec. Troisièmement, il y a la considération commerciale.
M. John Harvard: Monsieur le président, puis-je poser une autre question à propos de ce que M. Paradis est en train de nous dire?
Je comprends les sensibilités provinciales, Denis. Je comprends bien. Je ne suis pas avocat mais pourriez-vous me dire quelque chose? Il y a des avocats au pays et des experts constitutionnels qui avancent que dans l'intérêt politique supérieur ou pour le bien public du Canada, nous disposons d'un recours légal et nous avons le droit selon la loi et dans l'intérêt national d'imposer une interdiction d'exporter. L'intérêt national serait d'empêcher les provinces, si elles en avaient l'intention, de vendre cette richesse naturelle qu'est l'eau en vrac à l'extérieur du pays.
M. Denis Paradis: Je suppose que vous pouvez trouver des avocats qui avanceront cet argument. Un avocat peut faire valoir n'importe quel argument.
M. John Harvard: Que dit le gouvernement canadien?
M. Denis Paradis: Parallèlement...
Le président: Êtes-vous en train de laisser entendre, monsieur Paradis, que les avocats diraient n'importe quoi?
M. Denis Paradis: Non. Je veux dire avancer de bons arguments. Il y a toutes sortes d'arguments.
[Français]
Quand il y a procès, il y a un avocat qui représente chacune des deux parties et qui prétend avoir raison.
Le président: Cela dépend des honoraires.
M. Denis Paradis: L'ensemble des experts gouvernementaux et des gens qui ont été consultés nous ont affirmé que la façon la plus sécuritaire, la plus correcte d'un point de vue environnemental, autrement dit la meilleure façon de procéder est de s'assurer de ne pas toucher au domaine du commerce et du transfert de l'eau d'un pays à l'autre. Il est mieux de régler ce problème par une approche environnementale, et c'est ce que nous faisons en légiférant sur l'eau à l'état naturel, quand elle n'est pas sortie de son bassin original. Il s'agit d'un problème environnemental que nous voulons régler et il est important de régler le problème à l'intérieur du bassin. Autrement, il pourrait y avoir toutes sortes de litiges. S'agit-il d'un bien ou non lorsque l'eau sort du bassin? Cela constitue un gros point d'interrogation.
Il s'agit d'une question importante, et le gouvernement a décidé de protéger l'eau en adoptant une approche environnementale et de préserver cette eau pour les générations futures.
Je répète qu'il y a trois aspects importants. Le premier est l'environnement, le second, la coopération avec les provinces et le troisième, le fait qu'il ne s'agit pas d'un objet de commerce quand l'eau est dans son état naturel.
[Traduction]
M. John Harvard: Je comprends ce que vous dites. Je suppose que nous avons le droit de le faire selon la loi. Nous ne le ferions pas politiquement parce que cela ne marcherait pas politiquement. J'aimerais que les spécialistes nous parlent des ramifications externes d'une interdiction possible des exportations.
Le président: Monsieur Ruddock, allez-y.
M. Frank Ruddock: Tout ce que M. Paradis a dit est exact. J'attire toutefois l'attention sur un point très important. Une interdiction en matière d'exportation s'applique à des produits et non pas à de l'eau dans son état naturel. Et elle s'applique uniquement à des produits lorsqu'ils traversent la frontière et lorsqu'il s'agit d'une marchandise. Ce genre de mesures risquent de faire l'objet de contestations commerciales. Même ceux qui au cours du long débat sur la question ont préconisé une interdiction des exportations reconnaissent qu'une telle interdiction commerciale pourrait provoquer des contestations commerciales.
Le principe que nous avons adopté, dont a parlé à nouveau M. Paradis, selon lequel nous gérons et réglementons l'eau dans son état naturel, est un principe nettement mieux défendable.
Le fait que les gouvernements au Canada—comme nous avons d'ailleurs eu l'occasion auparavant de vous l'indiquer—ont pleine souveraineté sur la gestion de l'eau dans son état naturel, et que l'exercice de cette souveraineté n'est pas limité par des ententes commerciales, y compris l'ALENA, est un principe fondamental du droit international. Les experts le reconnaissent très majoritairement. La Commission mixte internationale a tenu des audiences publiques à ce sujet. Elle a entendu des experts gouvernementaux et indépendants qui représentaient tout un éventail de points de vue. Dans le rapport final, ils sont arrivés à la même conclusion.
De plus, le délégué commercial adjoint des États-Unis, dans un mémoire écrit qu'il a présenté à la Commission mixte, a défendu le même point de vue, à savoir que les droits de gérer l'eau dans son état naturel—et je cite—appartiennent uniquement au pays ou aux pays où se trouve le cours d'eau. Il a de plus indiqué, en parlant de l'Organisation mondiale du commerce, que l'OMC «n'a absolument rien à dire concernant la décision fondamentale prise par les gouvernements d'autoriser ou non le prélèvement d'eau des lacs et rivières situés sur leur territoire.»
C'est pourquoi cette démarche est préférable, à savoir ce principe fondamental de droit international voulant que les gouvernements ont le droit fondamental de décider de l'opportunité d'exploiter la ressource naturelle. Et si vous remplacez simplement le mot «eau» par forêt, poisson, minéraux—peu importe—,je crois qu'il devient vite évident que simplement parce qu'un gouvernement quelque part a décidé de vendre 10 000 hectares de forêt, ou un filon de minerai de fer, cela n'oblige personne nulle part, ou même ce gouvernement où que ce soit à simplement les céder au premier venu, qu'il s'agisse d'un Canadien ou d'un étranger.
M. John Harvard: J'aimerais que vous m'expliquiez quelque chose, hypothétiquement. L'exportation d'eau embouteillée ne m'inquiète pas car je ne crois pas qu'on puisse épuiser la ressource de cette façon. Mais si nous expédions l'eau à l'étranger, à l'aide d'un bateau-citerne ou d'un pipeline, comment pourrait réagir nos partenaires commerciaux? Compte tenu de tout ce que vous venez de dire, si nous commençons à expédier par bateau-citerne d'énormes quantités d'eau, ou que nous l'expédions par pipeline, comment pourraient réagir nos partenaires commerciaux?
M. Frank Ruddock: Je suis désolé, monsieur Harvard, je ne comprends pas bien votre question.
M. John Harvard: Je suppose que si nous autorisions une entreprise canadienne à acheter un bateau-citerne et à expédier de l'eau par bateau-citerne ailleurs dans le monde, nos partenaires commerciaux diraient: «Eh bien, si vous avez l'intention d'agir ainsi, nous voulons que nos propres entreprises puissent en faire autant». Est-ce une réaction à laquelle on pourrait s'attendre de leur part?
M. Frank Ruddock: Je l'ignore. Je ne peux pas vraiment... J'ignore comment réagiraient d'autres gouvernements.
M. John Harvard: Allons, allons. Vous êtes des spécialistes en commerce et vous avez sans doute une idée des enjeux que représente l'eau. Si nous adoptons un projet de loi qui suscitera un certain intérêt à l'extérieur de nos frontières, je veux savoir en quoi consiste cet intérêt. Si nous n'avions pas ce type de projet de loi et si nous procédions au prélèvement massif d'eau, je tiens à savoir quelle sera la réaction possible de la communauté internationale. Vous pouvez assurément nous le dire.
M. Frank Ruddock: Je crois que cela dépend de la situation du pays. Les pays dont les ressources hydrauliques sont insuffisantes sont probablement partisans de l'expédition d'eau sur de grandes distances en grandes quantités—c'est sans doute souvent le cas—ou ils sont peut-être à la recherche de solutions locales, comme le dessalement.
• 1025
Je crois que les pays européens sont un peu plus souples en ce
qui concerne le prélèvement d'eau. Notre approche est sans doute la
plus stricte, même si, comme je l'ai dit, le même principe qui la
sous-tend est un principe auquel à mon avis chaque gouvernement
adhère, à savoir qu'il faut contrôler ses ressources naturelles.
Donc, ils ont peut-être une opinion différente du prélèvement
massif d'eau, mais je ne crois pas qu'ils aient une opinion
différente du principe qui sous-tend notre politique, à savoir que
nous avons le droit de décider ce que nous prélevons, quand nous le
faisons et à quel rythme.
Le président: Je crois que nous devons passer à l'intervenant suivant.
Pour votre gouverne, chers collègues, je crois que M. Harvard vient de soulever une question importante qui fait intervenir toute cette question de dispositions de non-discrimination dans les traités internationaux, entre autres. Des professeurs de droit vont comparaître devant nous également, donc nous pourrons approfondir cet aspect lors des prochaines séances, et j'y reviendrai à la fin. Mais j'espère que nous aurons l'occasion d'obtenir des réponses détaillées et complètes qui satisferont à la fois le comité et le public, car il s'agit d'une question dont on parle beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Harvard. Je dois maintenant céder la parole à M. Casson.
M. Joe Comartin: À ce sujet, les membres du comité auront-ils leur mot à dire quant aux témoins qui vont comparaître?
Le président: J'allais en faire l'annonce à la fin, mais comme vous venez de soulever la question, je vais en traiter maintenant.
Nous avons à l'heure actuelle trois audiences supplémentaires prévues au sujet de ce projet de loi et compte tenu des autres travaux du comité, c'est à peu près tout ce que nous pouvons faire, à moins qu'il y ait une question vraiment urgente à laquelle nous devons donner suite.
Sur ces trois audiences, je suppose qu'une d'entre elles sera consacrée à l'étude article par article, bien que le projet de loi ne renferme pas beaucoup d'articles. Donc, partons du principe que nous avons deux audiences; nous avons alors le temps d'entendre des témoins experts, et je crois que nous en avons traité avant que vous arriviez, monsieur.
J'ai demandé aux députés qu'ils nous recommandent des témoins et qu'ils consultent la greffière avant lundi midi—au plus tard car les témoins comparaîtront le mardi et jeudi de la semaine suivante. Donc, si vous avez des recommandations, plus vite vous les transmettrez à la greffière, mieux ce sera. De toute évidence, la greffière a déjà certains noms, et certains peuvent se répéter. Donc, chers collègues, les noms des témoins que vous recommandez devraient être remis à la greffière lundi midi au plus tard.
Nous avons assurément l'intention d'envoyer des courriels... Je vois ici le nom du Pr McCrae, du Pr Bankes et du Pr Owen Saunders: ce sont tous des spécialistes de ce domaine qui pourront contribuer à étoffer certaines des réponses qui ont été données jusqu'à présent.
Monsieur Casson, à vous la parole.
M. Rick Casson (Lethbridge, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Il est intéressant que ce projet de loi traite des eaux limitrophes internationales. Dans la circonscription que je représente, l'une des rivières qui traversent la circonscription aboutit à la baie d'Hudson—la rivière Oldman—et la rivière Milk aboutit au golfe du Mexique. Il serait très simple de transférer l'eau d'un bassin à l'autre. Il ne fait donc aucun doute que l'échange d'eau entre bassins et l'existence de traités des eaux limitrophes internationales sont des initiatives importantes.
Je crois que l'on a tort d'utiliser ce projet de loi pour interdire les exportations massives. J'aimerais aborder votre définition de l'eau «à l'état naturel»—vous parlez constamment de l'eau à l'état naturel. Je pense que c'est ce à quoi M. Keyes faisait allusion. Est-il facile de modifier l'état naturel de l'eau? S'agit-il simplement de l'embouteiller? L'eau à l'état naturel désigne-t-elle l'eau qui se trouve dans le lit d'un cours d'eau, dans un bassin ou dans un lac? J'aimerais que vous répondiez à cette question.
La gestion de l'eau est une question que les provinces prennent très au sérieux. Elles s'en occupent sérieusement et ont fait un assez bon travail dans la plupart des cas. Je sais qu'en Alberta nous avons une entente avec la Saskatchewan, selon laquelle nous devons laisser s'écouler une quantité donnée d'eau dans les rivières qui traversent le bassin hydrographique de l'Alberta à la Saskatchewan. Nous ne pouvons pas utiliser plus que la quantité qui nous est allouée.
Il existe des ententes au sein des provinces avec les utilisateurs. Nous avons des districts d'irrigation où l'utilisation de l'eau est tarifée; à l'heure actuelle, des taxes d'eau sont imposées à ceux qui utilisent l'irrigation. Donc, dans bien des régions du pays, l'eau est une marchandise qui porte un prix. Nous la traitons dans nos municipalités et nous imposons des frais pour ce traitement. Il faut donc protéger notre eau grâce à une entente signée en vertu d'un traité sur l'eau.
Ce projet de loi traite des eaux limitrophes internationales. Que prévoit-il dans le cas des eaux, disons de Terre-Neuve ou de la Colombie-Britannique, qui se déversent directement dans l'océan? J'ai vu un fleuve en Colombie-Britannique qui se jette dans le Pacifique et qui est tout simplement énorme. On dit qu'on pourrait prélever de l'eau dans ce fleuve continuellement et qu'on ne s'en rendrait jamais compte. Il faut prévoir des mesures dans ce genre de cas.
• 1030
Alors, que faisons-nous dans le cas de l'eau qui se déverse
dans les océans? Et qu'est-ce que l'on entend par de l'eau à l'état
naturel?
M. Frank Ruddock: Monsieur le président, je répondrai à la première partie de la question puis je demanderai à M. Cooper de répondre à la question concernant l'eau qui se déverse dans les océans.
L'eau à l'état naturel désigne essentiellement l'eau qui se trouve dans les rivières et dans les lacs aux fins du présent projet de loi. Il existe certains cas où l'eau est de toute évidence une marchandise. Si elle est embouteillée et qu'elle est vendue sur une étagère, il s'agit clairement d'une marchandise. Si elle a été mélangée à de la bière, à des jus ou à d'autres produits, c'est clairement une marchandise. Je dirais qu'il existe une zone grise où il faut examiner les conditions précises de la licence ou de la façon dont l'eau est utilisée pour déterminer s'il s'agit d'une marchandise ou non.
Vous avez utilisé l'exemple de l'approvisionnement en eau des villes. Nous dirions qu'il s'agit surtout d'un service et non d'une marchandise, en ce sens que l'eau qui sort de votre robinet vous est fournie pour votre utilisation personnelle mais ne vous appartient pas vraiment. Si vous voulez vérifier cette hypothèse, essayez d'installer une usine d'embouteillage d'eau chez vous. Vous constaterez qu'en fait l'eau ne vous appartient pas. Vous n'avez pas la libre utilisation de l'eau.
L'aspect fondamental ici, c'est que notre approche, l'approche adoptée par le projet de loi C-6, traite de l'eau à l'état naturel, c'est-à-dire avant l'exportation, avant le prélèvement, avant qu'on la transforme en produit.
Vous avez mentionné une entente parallèle à l'ALENA, mais le gouvernement ne considère pas que cela serait approprié ou utile. Nous avons la déclaration faite en 1993 dans le cadre de l'ALENA, qui confirme très clairement que l'eau à l'état naturel n'est pas une marchandise. Elle confirme aussi très clairement qu'une fois qu'elle a été transformée en marchandise, l'eau ainsi transformée est assujettie aux accords commerciaux. Mais l'eau qui se trouve dans une rivière ou dans un lac continue, à l'état naturel, à ne pas être considérée comme une marchandise et à ne pas être assujettie aux accords commerciaux.
Je demanderais à John de répondre à votre autre question.
M. John Cooper: En ce qui concerne les cours d'eau qui se déversent dans les océans, je pense qu'il est très important de se rendre compte qu'il ne s'agit pas d'eau excédentaire en tant que telle. L'eau douce qui se déverse dans l'eau salée produit certains des systèmes côtiers et estuariens les plus riches au monde. Ce sont des endroits où il y a beaucoup de poisson et une grande biodiversité. Cela est attribuable en partie au fait que le débordement d'eau douce crée un mélange et une circulation qui font remonter les substances nutritives à la surface et modifie la salinité et la température, et influent sur l'état et l'écoulement des glaces.
Les répercussions de ce débordement sont locales et régionales. Prenons l'eau du Saint-Laurent qui se déverse dans le Golfe du Saint-Laurent: elle va même au-delà du Golfe du Saint-Laurent en apportant une plus grande quantité d'éléments nutritifs et de changements dans ce secteur, et accroît ainsi la biodiversité et favorise la pêche.
Il ne faut pas non plus oublier, si on a l'intention d'utiliser des bateaux-citernes dans ces eaux côtières, qu'il ne s'agit pas uniquement de faire remonter le cours d'eau par ce navire. Il va falloir construire des quais, des pipelines et une infrastructure importante pour prélever cette eau. Les répercussions environnementales vont au-delà du mélange et des aspects bénéfiques de ce débordement d'eau douce.
M. Rick Casson: Pourriez-vous m'expliquer votre position en ce qui concerne les taxes d'eau d'irrigation, lorsqu'un district d'irrigation impose à un propriétaire foncier un certain montant par acre pour qu'il ait accès à l'eau et pour s'en voir garantir une quantité donnée par année. Ne s'agit-il pas d'une taxe pour l'eau à l'état naturel?
M. Frank Ruddock: Non. On pourrait dire qu'on peut leur imposer des frais pour l'eau d'irrigation et qu'une fois qu'ils reçoivent cette eau, on pourrait faire valoir qu'il s'agit d'une marchandise. Mais nous revenons à la position fondamentale selon laquelle l'eau à l'état naturel n'est pas une marchandise. Elle peut le devenir une fois qu'elle n'est plus à l'état naturel, mais c'est précisément la raison pour laquelle nous avons décidé de traiter de l'eau à l'état naturel, parce qu'une fois qu'elle n'est plus à l'état naturel, la situation devient beaucoup plus difficile et complexe. Cette approche est non seulement plus simple sur le plan commercial, mais aussi plus logique sur le plan environnemental.
Cela revient à ce que M. Cooper a dit à propos de l'intégrité écologique des bassins hydrographiques mêmes. C'est pourquoi nous voulons traiter de cette question au niveau du bassin hydrographique afin de pouvoir tenir compte de tous les facteurs qui influent...nous pouvons influencer la situation dans le bassin hydrographique.
M. Rick Casson: Je vous remercie.
Le président: La parole est à M. O'Brien, puis Mme Lalonde.
M. Pat O'Brien: Merci, monsieur le président.
J'ai deux questions. En ce qui concerne l'argument qui vient d'être avancé, si nous essayons d'imposer une interdiction d'exporter comme on l'a proposé, cela signifie-t-il implicitement que nous considérons l'eau comme une marchandise? C'est ce que j'ai l'impression d'avoir compris, mais l'approche que vous adoptez dans le projet de loi est nettement préférable—l'eau naturelle à l'état naturel. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Deuxièmement, je crois qu'il s'agit de beaucoup plus qu'une question de susceptibilités politiques. Je crois qu'il s'agit d'abord et avant tout—je ne suis pas avocat—de compétence. Je me demande donc si on pourrait nous donner un peu plus de renseignements à ce sujet. Je sais que nous entendrons plus tard des avocats avec qui nous pourrons approfondir cette question, mais quel est le contexte au niveau des sphères de compétence?
Assurément, il ne s'agit pas simplement du Traité sur les eaux limitrophes auquel on a fait allusion plus tôt. Que dit la Constitution du Canada à ce sujet? Quel est donc le contexte au niveau des sphères de compétence? Je ne crois pas qu'il s'agisse simplement de ne pas vouloir déplaire aux provinces. Il s'agit d'une question beaucoup plus vaste.
M. Frank Ruddock: Je demanderais à M. Reiskind de répondre à votre deuxième question.
En ce qui concerne votre première question, si j'ai bien compris, vous demandez si une interdiction d'exporter sous-entend que l'eau est une marchandise. Je pense que cela revient à l'argument qui a été avancé plus tôt, à savoir que les interdictions d'exporter ne s'appliquent qu'à des marchandises.
M. Pat O'Brien: Oui.
M. Frank Ruddock: Par conséquent, de ce fait même, une interdiction d'exporter s'applique à des produits. Je crois que le fait d'avoir recours à une interdiction d'exporter suscite parfois la confusion du fait qu'une telle interdiction ne peut s'appliquer à l'eau dans son état naturel, puisqu'il ne s'agit pas d'un produit.
M. Pat O'Brien: D'accord.
M. Frank Ruddock: Voilà comment je répondrais à votre question. Mais il me semble qu'il existe parfois dans le public et dans la presse une sorte de malentendu du fait qu'on parle d'interdiction d'exporter dans le cadre d'un débat qui porte sur l'eau dans son état naturel. Cela n'a pas vraiment rapport.
M. Pat O'Brien: D'accord, et je le comprends bien. J'ajouterai tout simplement qu'il me semble... Même si c'est simpliste à mon avis, on pourrait être tenté de dire tout simplement qu'on interdit toute exportation d'eau, pour ainsi régler le problème. Ce n'est pas du tout aussi simple que cela. Ce n'est même pas la façon la plus efficace d'intervenir, d'après ce que je comprends. Compte tenu de ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant sur cette question, je suis certainement d'accord à ce sujet.
Quelqu'un peut-il nous aider pour ce qui est de la question des compétences?
M. Frank Ruddock: J'allais demander à M. Reiskind d'en parler.
M. Jason Reiskind: Nous nous appuyons sur un traité qui est fort clair et net, de sorte qu'il n'existe aucun problème relatif aux compétences.
M. Pat O'Brien: Je voulais savoir comment la question de l'eau est traitée dans la Constitution?
M. Jason Reiskind: D'une façon générale, pour l'eau ainsi que pour d'autres éléments constitutifs du pays... Compte tenu de la compétence partagée, il n'est pas facile de donner une réponse simple puisque la question est fort compliquée. On peut tout au plus affirmer qu'il s'agit d'une compétence partagée. Voilà pourquoi la question de la compétence en matière d'eau a inspiré des traités—je pense notamment à un ouvrage assez volumineux de Gérard La Forest portant sur le droit de l'eau au Canada, de même que sur d'autres aspects... Je suppose que nous pouvons dire qu'il s'agit d'une compétence partagée, et que c'est la raison pour laquelle nous collaborons avec les provinces pour protéger cette ressource critique.
M. Pat O'Brien: D'accord, je le comprends fort bien.
Est-ce donc, par conséquent, la Constitution qui confère au gouvernement fédéral la compétence en matière d'eaux limitrophes? Est-ce bien ce qui est prévu dans la Constitution, ou bien cela découle-t-il du Traité des eaux limitrophes? Je ne pense pas qu'il a fallu passer par le Traité des eaux limitrophes pour savoir quelle est la compétence du fédéral ici au Canada.
M. Frank Ruddock: La compétence en matière d'eaux limitrophes est conférée au gouvernement fédéral du fait qu'il s'agit d'un traité international, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'une compétence qui ne va pas au-delà de ce qui est stipulé dans le traité.
M. Pat O'Brien: D'accord.
M. Frank Ruddock: Autrement dit, en matière d'eaux limitrophes, la province continue d'avoir la compétence concernant les aspects d'ordre provincial.
M. Pat O'Brien: En effet.
M. Frank Ruddock: Nous ne limitons cette compétence d'aucune manière. Notre compétence relative aux eaux limitrophes est énoncée dans le traité: nous avons, à l'égard des États-Unis, l'obligation de ne rien faire qui puisse avoir une incidence sur les niveaux et les écoulements du côté étasunien de la frontière.
M. Pat O'Brien: D'accord.
Le président: Monsieur Reiskind, je comprends qu'il s'agit d'une question d'une complexité énorme. En effet, tout problème constitutionnel canadien a tendance à devenir énormément complexe. Cependant, pour simplifier autant que possible, du moins pour ce qui concerne l'achat et la vente d'eau, ce dont il est question ici—la possibilité de vendre l'eau à des étrangers—, il me semble que l'aspect critique de la compétence provinciale qu'il nous faut mettre en lumière a rapport au fait que toute province est propriétaire de l'eau en tant que ressource de la même manière qu'elle a la propriété des minéraux du sol ou des arbres des forêts.
Les ressources des provinces appartiennent aux provinces ou à la Couronne dont les ayants droit sont les provinces plutôt que le gouvernement fédéral. N'est-ce pas là l'aspect critique à considérer? Évidemment, il y en a des centaines d'autres, mais tout au moins peut-on dire que, à cet égard, les provinces ont la primauté en matière de compétence. N'est-ce pas exact?
M. Jason Reiskind: Oui. Cette façon abrégée d'attribuer la propriété de l'eau aux provinces est tout à fait correcte et peut indiquer... Cela relève de la compétence provinciale pour tout ce qui touche la propriété, les terres publiques et le droit civil. Essentiellement, c'est comme vous venez de dire.
Le président: Très bien.
Monsieur Cooper, auriez-vous quelque chose à ajouter en votre qualité d'écologiste?
M. John Cooper: Oui, et non pas en tant qu'avocat constitutionnel, s'il vous plaît.
Le président: Pourriez-vous alors nous expliquer une approche pratique, par rapport à l'approche qui serait préconisée par le spécialiste en droit constitutionnel?
M. John Cooper: La Constitution ne fait pas de référence précise à l'eau. Comme mon collègue M. Reiskind vous a expliqué, on parle plutôt de droits territoriaux et droits de propriété, ce qui relève des provinces. La compétence du gouvernement fédéral porte sur les questions telles la signature de traités, la pêche, la navigation et les territoires fédéraux, ce qui est très précis. Pour ce qui est de la gestion quotidienne, de la propriété et de l'octroi de permis pour l'utilisation de l'eau, il s'agit d'une compétence provinciale, et c'est pour cela qu'il y a de la collaboration dans ce domaine.
Le président: Merci. Cela nous est utile.
La parole est à Mme Lalonde, puis à Mme Marleau.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci. Je vais tenter de résumer ce que vous avez dit. Le traité protège les eaux limitrophes. C'est déjà le cas, et vous dites qu'Ottawa ne s'arroge aucun nouveau pouvoir. On peut donc se demander pourquoi on présente le projet de loi C-6.
• 1045
J'ajouterais qu'il y a la crainte
des accords commerciaux. J'en veux pour preuve ce
qu'a dit le ministre Anderson à propos du projet
de loi C-15, qui est à peu de choses près la
même chose que le projet de loi C-6, et que l'on
trouve dans le texte de
la Bibliothèque, où on cite le gouvernement
qui dit:
-
Une interdiction de l'exportation viserait
l'eau une fois qu'elle est devenue
un bien et serait, de fait, assujettie
aux accords commerciaux internationaux.
Cette mesure diverge de manière marquée de
l'approche retenue par le
gouvernement.
Comme ces accords limitent la capacité des gouvernements de contrôler les exportations de biens, interdire les exportations pourrait être contraire aux obligations commerciales internationales du Canada.
Voilà qui est clair. Par contre, on nous dit que l'on considère maintenant qu'il s'agit d'une question environnementale. Donc, c'est très différent. Mais à ce sujet, la Commission mixte internationale, lorsqu'elle se prononce sur les accords commerciaux, n'adopte pas un point de vue aussi définitif que vous. La commission rappelle:
-
Des décisions récentes de l'organe d'appel de l'OMC
peuvent susciter des
préoccupations quant aux circonstances dans
lesquelles des mesures
environnementales satisferont au critère de
ne pas constituer une
discrimination arbitraire ou injustifiable ou une
restriction déguisée au
commerce international, même si, par ailleurs,
elles peuvent être associées à
la conservation d'une ressource naturelle
épuisable ou être nécessaires pour
la protection de la vie ou de la santé. Les
décisions de l'OMC sont plutôt
axées sur la question que des mesures
soient arbitraires ou discriminatoires.
Compte tenu de ces décisions, il semble qu'il
serait désirable, dans la
mesure du possible, que des mesures de
protection de l'environnement soient
fondées sur un accord ou un mécanisme international.
Passons ensuite à ce qui est écrit dans cette petite brochure, également produite par la Bibliothèque, à propos de l'interprétation du chapitre 11 et des mesures prises par un gouvernement qui pourraient être considérées, dans un jugement, comme équivalant à une expropriation.
Je pense que l'interprétation du chapitre 11 constitue la grande inquiétude du gouvernement fédéral. Or, comment pensez-vous rassurer les provinces, le Québec notamment, quand c'est le gouvernement fédéral qui est signataire des accords commerciaux et que le premier ministre Chrétien nous dit que le chapitre 11 ne cause aucun problème, que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes? Nous avons le projet de loi C-6 qui veut, en s'appuyant sur des critères environnementaux, agir à la place des provinces dans une certaine mesure, en dédoublant les mesures et en prétendant que le fédéral va bien s'en occuper. Je terminerai en faisant remarquer que quand le fédéral s'est occupé des pêches, son intervention a causé de graves gâchis dans plusieurs domaines. Alors, pourquoi présenter le projet de loi C-6?
M. Denis Paradis: J'ai mentionné trois aspects plus tôt: l'environnement, la coopération avec les provinces et les considérations en matière de commerce.
Je reviens au sujet de l'environnement, parce que c'est un peu le but de la question de Mme Lalonde. Le gouvernement ne prétend pas vouloir légiférer sur la grosseur de la bouteille, sur la qualité et la propreté de la bouteille, etc. Nous avons une ressource environnementale au Canada, l'eau de nos lacs et de nos bassins dans son état naturel. Il s'agit d'une ressource environnementale et non pas d'un bien ou d'une commodité.
En 1909, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont signé un traité au sujet de cette ressource environnementale. Les fonctions de la Commission mixte internationale touchent aujourd'hui beaucoup de points environnementaux: l'analyse de l'eau, la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, etc.
• 1050
Voilà pourquoi je vous dis que le point principal
touche à l'environnement. Je reviens à ce que les
experts disent comme un peu tout le monde: à partir du
moment où l'eau est dans son état naturel,
dans son bassin, c'est une ressource environnementale
et elle n'a pas à devenir un objet de commerce.
Mme Francine Lalonde: Oui, mais les provinces s'en occupent. Le Québec, en tout cas, s'en occupe, de même que les autres provinces. Alors, quelle est le motif du projet de loi C-6? Pourquoi une nouvelle infrastructure? Pourquoi de nouveaux fonctionnaires feraient-ils dans le domaine de l'eau ce qu'ils ont eu toutes les misères du monde à réaliser dans le domaine de la pêche, par exemple?
M. Denis Paradis: Madame Lalonde, je vais laisser M. Ruddock compléter ce que j'ai expliqué tout à l'heure.
M. Frank Ruddock: Nous avons répondu aux inquiétudes exprimées très clairement par les Canadiens en 1998, à l'occasion du projet NOVA, qui se demandaient comment on pourrait assurer, à l'avenir, la sécurité de nos ressources en eau douce.
Ce n'est pas la crainte de poursuites concernant le droit commercial qui a inspiré cette initiative. C'est plutôt pour assurer la sécurité de nos ressources en eau douce dans l'avenir. S'il y a un débat sur les questions d'ordre commercial, c'est parce que plusieurs personnes ont exigé l'interdiction d'exporter. C'est pourquoi on a engagé ce débat et c'est pourquoi nous avons beaucoup d'information sur cet aspect.
Deuxièmement, nous voulons, bien entendu, nous assurer que ce que nous avons fait est conforme à nos obligations internationales. Vous avez cité le rapport de la Commission mixte internationale. Vous avez cité un extrait de leur section sur le commerce. On y dit, cependant, que rien n'empêche les gouvernements des États-Unis et du Canada de protéger leurs ressources en eau douce et on y appuie le principe que l'eau, dans son état naturel, appartient au seul gouvernement concerné.
Le président: Il ne nous reste que sept minutes. Je vais donc passer la parole à Mme Marleau, qui attend son tour depuis longtemps.
L'hon. Diane Marleau: Je suis tellement patiente.
[Traduction]
Je veux revenir à une question qui a été posée par mon collègue d'en face. Il a demandé si le projet de loi C-6 allait réglementer l'eau qui part des rivières pour se déverser directement dans l'océan. On nous a très bien expliqué l'effet de ces eaux pour l'environnement, mais on ne nous a pas dit si le projet de loi C-6 allait réglementer cet aspect de la question. Avant de poursuivre, j'aimerais qu'on me donne une réponse.
M. Frank Ruddock: Seulement dans le cas des eaux limitrophes. Je ne peux vous donner qu'un exemple d'eaux limitrophes qui se jette directement dans un océan; il s'agit de la rivière Ste-Croix au Nouveau-Brunswick.
Mme Diane Marleau: Donc les rivières à Terre-Neuve dont on nous parle...
M. Frank Ruddock: Relèvent de la compétence provinciale, et c'est...
Mme Diane Marleau: Donc vous dites que ces rivières seraient exemptées.
M. Frank Ruddock: Elles ne seraient pas exemptées, elles ne seraient tout simplement pas couvertes par la loi. Le projet de loi n'en fait pas une exemption. Il n'en parle tout simplement pas.
Mme Diane Marleau: Pourquoi ne sont-elles pas couvertes? Est-ce parce qu'elles sont réputées relever de la compétence provinciale?
M. Frank Ruddock: Tout à fait.
Mme Diane Marleau: Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas ajouter un autre article au projet de loi C-6 afin d'indiquer que ce qui n'est pas couvert par une loi provinciale serait couvert par le projet de loi dont nous sommes saisis. Après tout, même si l'eau est une ressource naturelle qui appartient aux provinces, il y a là une question de sécurité nationale. Il ne s'agit pas tout simplement de la sécurité de la population de Terre-Neuve, par exemple, ou la Colombie-Britannique, parce que toute la population canadienne serait touchée. Ce genre d'éventualité, si elle devait s'avérer, serait une responsabilité nationale. Je crois qu'il nous serait possible d'ajouter un article de ce type à un projet de loi sans pour autant empiéter sur une compétence provinciale.
M. John Harvard: Bravo, bravo!
M. Frank Ruddock: Lorsque nous avons commencé à formuler la politique, nous avons consulté longuement avec les provinces. En 1998, des hauts fonctionnaires du fédéral se sont présentés dans chaque province et territoire pour discuter de plusieurs approches possibles. C'est une consultation qui se poursuit. L'approche retenue par le gouvernement impliquait une participation provinciale. Comme M. Cooper vous a mentionné plus tôt, nous avons fait des progrès à ce chapitre-là. Nous sommes passés de deux administrations sur quatorze pour avoir enfin une participation de quatorze administrations, y compris le fédéral.
Mme Diane Marleau: Tout cela est très bien, mais ce n'est pas encore la perfection.
Comme vous le savez, Terre-Neuve a une loi qui est en place, mais la province songe à faire tout à fait le contraire de ce que dit leur loi. Si la province choisit de changer la loi, cela pourrait nous mettre tous en danger. Une fois qu'ils ont permis le captage et le transfert de l'eau pour fins d'exportation, ce qu'ils se proposent de faire, nous serions tenus de respecter les accords, ce qui transformerait tout ce que nous essayons de faire.
Donc, je pose la question. Ce n'est pas parce que je ne pense pas qu'il faut travailler de concert avec les provinces. Je suis de l'avis qu'il faut collaborer avec les provinces. Mais lorsqu'elles ne collaborent pas, qui est responsable de la sécurité générale des Canadiens? Il faut que quelqu'un soit responsable, et ça doit être le gouvernement national car il n'y a personne d'autre.
Est-ce que nous pourrions insérer ce genre de disposition dans ce projet de loi?
Comme vous le savez, c'est une question extrêmement sérieuse. Les Canadiens et les Canadiennes, peu importe où ils habitent, sont très préoccupés par la question. À mon avis, il nous faut des précisions, et il ne suffit pas de demander gentiment aux provinces, mêmes si elles ont de bonnes intentions.
Le président: Monsieur Ruddock, il ne nous reste pas beaucoup de temps, nous devons terminer à 11 heures. Donc nous allons laisser de côté cette question pour l'instant car je crois qu'il y a d'autres témoins qui vont revenir là-dessus.
Chers collègues, nous aurions peut-être dû fournir une carte pour le comité afin d'indiquer quelles eaux sont visées par ce projet de loi. Je crois qu'il est très important que le comité et le public se rendent compte que ce projet de loi n'est qu'un morceau d'un grand casse-tête, qui inclut les pouvoirs réglementaires des provinces en ce qui concerne la vente des eaux et la compétence fédérale sur d'autres eaux. Mais du point de vue géographique, ce projet de loi ne porte pas sur les eaux qui coulent, par exemple, vers la baie d'Hudson et les eaux dans l'Ouest, si je comprends bien.
Mme Diane Marleau: Pourquoi pas?
Le président: Le projet de loi porte sur les eaux limitrophes.
C'est parce que le traité nous confère la compétence sur ces eaux et, si je comprends bien ce que M. Ruddock dit, nous cherchons d'autres moyens de régler ces autres cours d'eau.
Juste du point de vue technique, en termes du travail du comité, madame Marleau, nous ne pouvons pas insérer une disposition comme celle que vous venez de proposer car elle élargirait la portée du projet de loi tel qu'il existe à l'heure actuelle, et ça serait irrecevable. Le projet de loi a déjà franchi l'étape de la deuxième lecture à la Chambre. Si on prend un projet de loi qui s'applique à une certaine région géographique et à certaines choses particulières et on transforme ce projet de loi en un projet de loi qui s'appliquerait à l'échelle du pays, on changerait la nature fondamentale de ce projet de loi. Donc, à mon avis, ce ne serait pas acceptable.
Mais je comprends bien la prémisse de votre question, car il est important que le comité et les Canadiens comprennent ce que fait le gouvernement avec ce projet de loi et le rôle de ce projet de loi dans leur stratégie globale.
M. John Harvard: Vous dites que ce ne serait pas acceptable du point de vue de la procédure.
Le président: Je ne crois pas que ce serait acceptable du point de vue de la procédure. Mais je ne crois pas que c'est une réponse à votre question...
Mme Diane Marleau: Non, pas du tout.
Le président: ...parce que c'est un point d'ordre politique.
Monsieur Ruddock, dans ce contexte, vous pourriez peut-être répondre rapidement et nous pourrions revenir à la question lors d'une autre séance.
M. Frank Ruddock: D'abord, vous avez mentionné que ceci pourrait faire jurisprudence. Selon le droit commercial, il n'y aurait pas de jurisprudence. Un projet ne fait pas jurisprudence ailleurs. Ça c'est très clair.
L'autre point est une question très générale, qui découle de ce que le président vient de dire. Ce que nous tentons de faire ici c'est d'élaborer un régime qui protégera les eaux canadiennes. Il est toujours possible que les gouvernements retirent la loi, mais au bout du compte, il est mieux d'avoir une loi en place dans toutes les provinces plutôt qu'un vide.
Mme Diane Marleau: Absolument.
[Français]
Le président: Monsieur Paradis, le dernier mot vous revient.
M. Denis Paradis: En terminant, monsieur le président, je voudrais mentionner que la déclaration que j'ai faite au début a été remise aux membres du comité en anglais et en français.
Le président: Je vous en remercie.
[Traduction]
Chers collègues, veuillez regarder la carte dans votre cahier d'information. Elle décrit les limites géographiques de ce projet de loi.
Merci beaucoup.
La séance est levée jusqu'à mardi.