CIMM Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 12 février 2003
· | 1345 |
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Alliance canadienne) |
Mme Lois Berrigan (coordonnatrice de l'établissement, Association pour les nouveaux canadiens) |
· | 1350 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lloydetta Quaicoe (présidente, "Multicultural Women's Organization of Newfoundland and Labrador") |
· | 1355 |
¸ | 1400 |
¸ | 1405 |
¸ | 1410 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lloydetta Quaicoe |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Purnima Sen (présidente, "Newfoundland & Labrador Health in Pluralistic Societies") |
¸ | 1415 |
¸ | 1420 |
¸ | 1425 |
¸ | 1430 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Donna Jeffrey ("Refugee Immigrants Advisory Council") |
¸ | 1435 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Donna Jeffrey |
¸ | 1440 |
¸ | 1445 |
¸ | 1450 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ) |
¸ | 1455 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
¹ | 1500 |
Mme Purnima Sen |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Donna Jeffrey |
Mme Diane Ablonczy |
Mme Donna Jeffrey |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.) |
¹ | 1505 |
¹ | 1510 |
¹ | 1515 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Purnima Sen |
M. Jerry Pickard |
¹ | 1520 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
M. Jerry Pickard |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
¹ | 1525 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
¹ | 1530 |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lois Berrigan |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lloydetta Quaicoe |
¹ | 1535 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Lloydetta Quaicoe |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Purnima Sen |
¹ | 1540 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Donna Jeffrey |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Donna Jeffrey |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
¹ | 1545 |
Mme Donna Jeffrey |
Mme Lloydetta Quaicoe |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Donna Jeffrey |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Nick Summers (À titre individuel) |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Nick Summers |
º | 1600 |
º | 1605 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
M. Nick Summers |
º | 1610 |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
M. Nick Summers |
º | 1615 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
Mme Madeleine Dalphond-Guiral |
M. Nick Summers |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Nick Summers |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Jerry Pickard |
º | 1620 |
M. Nick Summers |
º | 1625 |
M. Jerry Pickard |
M. Nick Summers |
M. Jerry Pickard |
M. Nick Summers |
º | 1630 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Nick Summers |
º | 1635 |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
M. Nick Summers |
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy) |
CANADA
Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 12 février 2003
[Enregistrement électronique]
· (1345)
[Français]
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Alliance canadienne)): La séance est ouverte.
[NOTA: Compte tenu de difficultés techniques, cette intervention est fidèle à l'interprétation]
Nous allons commencer nos travaux. J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins cet après-midi qui sont venus nous parler des programmes d'établissement et d'intégration du Canada. Comme on peut le voir d'après la liste, nous avons un groupe de gens qui s'y connaissent très bien dans ce secteur et qui représentent en fait quatre organisations distinctes à St. John's. Nous leur avons demandé de nous communiquer des renseignements et des commentaires qu'ils jugent utiles. Je vous demanderais à tous quatre de vous limiter chacun à dix minutes. À ce moment-là, on aura une meilleure occasion de discuter et de poser des questions. J'ai vu que vous aviez remis des textes et ils seront très utiles. La première[Note de la rédaction: inaudible] représente l'Association des nouveaux canadiens, Mme Berrigan. Vous pouvez commencer si vous le voulez bien.
[Fin de la traduction]
Mme Lois Berrigan (coordonnatrice de l'établissement, Association pour les nouveaux canadiens): Bon après-midi, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis Lois Berrigan. Je suis la coordonnatrice des services d'établissement pour l'Association for New Canadians.
L'Association for New Canadians, ou ANC, a été fondée en 1979. Elle est le seul fournisseur de services d'établissement de Terre-Neuve et du Labrador à être financé par le gouvernement fédéral. L'ANC offre également des services aux demandeurs du statut de réfugié au titre d'un contrat avec le gouvernement provincial.
L'association offre l'éventail complet des programmes d'établissement, notamment le PAR, le PEAI, le Programme d'accueil, le CLIC, ainsi qu'un programme d'aide à l'emploi et des services d'enrichissement de carrière. Au total, l'association emploie de 30 à 35 personnes.
L'association préside actuellement l'Atlantic Region Association of Immigrant Serving Agencies, ou ARAISA, une fédération des fournisseurs de services d'établissement des provinces Atlantiques.
L'association siège également au Coordinating Committee for Newcomer Integration, ou CCNI, une organisation qui travaille en coopération avec les ministères provinciaux et fédéraux responsables des nouveaux arrivants à Terre-Neuve et au Labrador.
L'association travaille en collaboration étroite non seulement avec les réfugiés bénéficiant de l'aide gouvernementale mais également avec des personnes faisant l'objet d'un parrainage mixte, et notre travailleuse sociale, parmi ses autres fonctions, consacre une bonne partie de son temps au regroupement familial.
Le travail de l'ANC comprend des programmes qui aident nos clients à se familiariser avec la collectivité et s'intégrer à des réseaux sociaux. Le club féminin, le club masculin et quantité d'activités pour les jeunes offrent des opportunités à tous nos clients.
Parmi les activités pour les jeunes, citons un club de devoirs scolaires, un camp d'été, des soirées dansantes et le Corps de jeunes bénévoles, et notre travailleuse sociale anime des groupes thérapeutiques en collaboration avec des professionnels de St. John's.
J'ai dix années d'expérience dans le domaine de l'établissement et, comme je l'ai mentionné, je suis la coordonnatrice de ces services au sein de l'association. Pendant tout ce temps, j'ai eu affaire quotidiennement à près d'un millier de clients, m'occupant de tout depuis leur arrivée jusqu'à leur installation et leur intégration dans la société canadienne. Je commencerai au début du processus d'établissement.
L'information donnée aux immigrants dans nos missions à l'étranger présente des lacunes sérieuses. Les clients ne semblent même pas avoir conscience de l'étendue de notre territoire. Par exemple, certains pensent que le voyage en autocar de St. John's jusqu'à Vancouver prend deux heures. Les clients que nous recevons ne semblent guère renseignés sur St. John's même, pas plus qu'ils n'ont des attentes réalistes quant au niveau d'assistance qu'ils recevront à leur arrivée au Canada.
Notre organisme d'établissement devrait également posséder des renseignements plus précis sur nos clients avant leur arrivée. Si nous avions une idée de leurs capacités linguistiques ou besoins particuliers, par exemple, nous serions mieux en mesure de les service à leur arrivée dans la province.
Hier soir était un bon exemple. Nous attendions une famille en provenance du Soudan. Leur avion n'a pu atterrir à l'aéroport de St. John's et a rebroussé chemin jusqu'à Halifax, et de là jusqu'à Toronto. Je ne savais pas s'ils parlaient un tant soit peu l'anglais. Hier soir, à 23 h 30, moi-même et le directeur de CIC étions pendus au téléphone cherchant à les localiser, pour voir s'ils pourraient se débrouiller pour passer la nuit. Cela n'aurait pas été un tel problème si j'avais su qu'ils parlaient un peu l'anglais. Un rien peut faciliter les choses.
L'association recommande que le gouvernement envisage d'organiser des visites des agences d'établissement à travers le pays à l'intention des agents de visa outre-mer, afin qu'ils se familiarisent avec les différentes destinations. De telles visites régulières permettraient aux agents d'être mieux informés de l'évolution des conditions et des changements pouvant être apportés aux services.
Nous recommandons également que les responsables des agences d'établissement puissent visiter les missions à l'étranger, ou y être détachés, afin de mieux comprendre les contraintes et procédures selon cette perspective.
Deuxièmement, le programme d'aide au réétablissement, ou PAR, devrait être plus souple. Les taux locaux de soutien du revenu sont un sujet de préoccupation pour notre association. Ces taux ne sont pas réalistes, sachant que les nouveaux arrivants n'ont aucun réseau de soutien sur lequel s'appuyer, de type famille élargie, contrairement aux Terre-Neuviens natifs qui peuvent toujours compter sur la famille ou les amis en période de difficulté.
L'association recommande la révision des taux de soutien du revenu. Pour une famille de six ou plus, une allocation de logement de 433 $ ne permet pas de trouver un appartement ou une maison suffisamment grands pour loger tout le monde.
Le troisième aspect dont j'aimerais traiter est l'emploi. Des programmes axés spécifiquement sur l'emploi sont la clé de tout le processus d'établissement. Davantage de crédits pour l'enseignement de la langue, ou bien des fonds fournis par Développement des ressources humaines Canada traduiraient l'importance de la connaissance de la langue pour trouver un emploi, et cela ferait une grande différence.
Une intégration réussie passe par l'emploi. J'ai personnellement fait l'expérience du chômage. Je travaillais dans la pêche, mais suite au moratoire sur la morue, j'ai dû me recycler en 1992 et changer de métier. Je sais combien il est difficile d'être sans travail, et on ne peut réellement s'installer à moins d'avoir l'assurance d'un emploi.
L'association recommande de rétablir le programme de formation linguistique professionnelle.
Ma dernière remarque portera sur le modèle de l'allocation d'établissement. Il convient de l'assouplir. Un élément clé devrait être la reconnaissance de l'impératif d'un nombre minimal de réfugiés assistés par le gouvernement afin de rentabiliser les services d'établissement. L'association recommande que le seuil ne tombe pas en-deçà de 155 réfugiés assistés. Avec l'infrastructure de services d'établissement actuelle, un chiffre réaliste pour préserver la structure se situe en fait entre 200 et 250 RPG pour Terre-Neuve.
Le modèle suivi pour l'allocation d'établissement devrait reconnaître également que, dans l'ensemble, un effort plus grand est requis pour remplir les objectifs de réétablissement et d'intégration. Il faudrait porter d'un an à deux ans la période actuelle d'admissibilité aux services d'établissement.
La clientèle qui requiert nos services varie d'année en année et leurs besoins changent. Il importe de reconnaître que les clients viennent d'une grande diversité de pays et qu'ils ont de ce fait besoin de services pour une période plus longue.
En conclusion, notre association parvient à servir les nouveaux arrivants qu'elle accueille. Bien que certains d'entre eux aient quitté la province, beaucoup ne songent qu'à revenir, comme de vrais Terre-Neuviens.
Il faut bien comprendre que l'investissement dans le réétablissement et l'intégration est un investissement dans l'avenir. Les chiffres publiés hier montrent que sous peu les immigrants joueront un rôle vital sur le marché du travail et dans l'économie future. Notre association est convaincue que les immigrants apportent une contribution précieuse à la province et au pays. Un investissement accru et immédiat dans les Néo-Canadiens sera à l'avantage de tout le monde... Comme le veut le vieux dicton de Terre-Neuve: «Les économies de bout de chandelle coûtent les yeux de la tête».
Enfin, si vous en avez le temps—et si vous n'êtes pas bloqués par la neige—je vous invite à nous rendre visite à l'association, pour voir nos locaux et rencontrer quelques membres du personnel et clients. Si vous n'en avez pas le temps cette fois-ci, nous serions ravis de vous voir lors de votre prochaine visite à Terre-Neuve.
Nous aimerions également vous transmettre un mémoire écrit plus détaillé, si c'est possible.
Merci.
· (1350)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci beaucoup, madame Berrigan.
J'ai relevé dans votre exposé votre idée que les agents en poste outre-mer puissent venir voir le travail que vous faites et celle d'un échange entre vous et eux. Une visite sur place pourrait également être utile aux membres du comité et je vous remercie donc de votre invitation. Nous allons parler à notre responsable de la logistique pour voir si c'est possible.
Passons à Mme Quaicoe, qui va parler au nom de la Multicultural Women's Organization of Newfoundland and Labrador.
Madame Quaicoe.
Mme Lloydetta Quaicoe (présidente, "Multicultural Women's Organization of Newfoundland and Labrador"): Bon après-midi et merci de votre invitation à présenter ce mémoire.
La Multicultural Women's Organization est une association bénévole sans but lucratif fondée en 1982. Elle est régie par un conseil d'administration élu et bénévole et est représentée à l'Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada.
Je ne mentionnerai que deux de nos objectifs: identifier et élaborer des stratégies pour répondre aux besoins culturels, sociaux, économiques et éducatifs des femmes et de leurs familles originaires de diverses cultures; et promouvoir les changements nécessaires en vue d'améliorer la qualité de vie des femmes immigrantes, réfugiées, membres de minorités visibles, ainsi que de leurs familles.
Le mémoire et les recommandations qui suivent prennent en compte la composition démographique de la province de Terre-Neuve et du Labrador. Trois facteurs intéressant la démographie provinciale illustrent l'importance de Citoyenneté et Immigration Canada et, par extension, de l'établissement et de l'intégration de nouveaux immigrants et réfugiés dans la société canadienne. Le premier est la diminution de la population et la migration de sortie secondaire. Terre-Neuve et le Labrador connaissent l'un des plus forts taux d'exode du pays et les statistiques mettent en évidence un recul du taux des naissances. Par conséquent, l'immigration et l'intégration réussies des immigrants sont cruciaux pour la croissance économique future de la province. La province enregistre depuis quelque temps une migration de sortie secondaire des immigrants qui avaient choisi de s'établir dans la province mais ont dû en repartir à destination des grandes villes. C'est là un phénomène qui mérite un examen plus approfondi.
Le deuxième facteur est la régionalisation de l'immigration. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, l'honorable Denis Coderre, a proposé diverses initiatives de régionalisation de l'immigration, notamment le Programme des candidats des provinces, afin d'accroître le nombre des immigrants dans les petites provinces. Le nombre total d'immigrants pourrait atteindre 300 000 en 2003. Si la province veut accroître et fixer sa population immigrante, Citoyenneté et Immigration Canada va devoir réfléchir aux répercussions qui pourraient s'ensuivre, sachant qu'il n'existe dans la province qu'un seul organisme d'établissement reconnu par les pouvoirs publics.
Le troisième facteur est l'absence de communautés ethnoculturelles importantes. Les chiffres récents de Statistique Canada montrent que les minorités ethniques et visibles ne représentent qu'un faible pourcentage de la population totale de la province. Il n'existe donc pas de groupes ethnoculturels bien établis et financièrement viables qui puissent fournir les soutiens et ressources nécessaires dont nombre d'immigrants et réfugiés ont besoin pour s'établir et bien s'intégrer dans cette province. De nombreux immigrants et réfugiés nous arrivent à bout de ressources et ne jouissent pas de l'aide d'une famille élargie pour faciliter leur intégration dans une nouvelle culture.
Bien que les réfugiés parrainés par le gouvernement ne soient pas des réfugiés une fois arrivés au Canada, le vécu de ces familles avant leur arrivée diffère de celui des immigrants volontaires. Par conséquent, et bien que tous les nouveaux arrivants aient les mêmes besoins fondamentaux, les familles de réfugiés ont des besoins propres. En outre, de nombreux immigrants arrivant dans la province n'ont pas droit aux services de l'agence d'établissement.
Au vu de ce qui précède, nous considérons que les facteurs suivants déterminent la réussite de l'établissement et de l'intégration des familles immigrantes et réfugiées. Il y a d'abord l'établissement des enfants et des membres adultes de la famille. On a beaucoup parlé d'attirer les immigrants vers les provinces plus petites et moins peuplées, mais nous n'avons encore rien entendu au sujet du soutien et des services aux enfants. Ces enfants font partie intégrante de l'unité familiale. Lorsque les familles immigrantes arrivent dans la province, les enfants d'âge scolaire sont placés à l'école et la politique scolaire veut que ces enfants soient mis dans la classe correspondant à leur âge.
Dans le passé, la majorité des immigrants étaient des professionnels qui venaient travailler dans les hôpitaux ou les universités. Leurs enfants étaient instruits et bien adaptés. Cependant, le profil démographique des enfants immigrants a changé car de plus en plus viennent de pays ravagés par la guerre. Nombre de ces enfants ont manqué des années de scolarité ou ont fréquenté des établissements de niveau inférieur aux normes canadiennes. Les écoles ont beaucoup de difficulté à évaluer ces enfants, à les placer dans les classes voulues et à répondre à leurs besoins sociaux et psychologiques.
S'il est commode de placer les enfants dans la classe correspond à leur âge, nombre d'entre n'y disposeront pas du soutien académique et des ressources pédagogiques requis pour qu'ils réussissent. Une étude sur les besoins psychosociaux des enfants immigrants et réfugiés nouvellement arrivés à Terre-Neuve a montré que le modèle itinérant d'enseignement de l'anglais langue seconde ne répond pas aux besoins linguistiques, académiques et sociaux de ces élèves dont la plupart ont des faiblesses en lecture et arithmétiques.
Dans les écoles secondaires de premier cycle, les élèves ont une ou deux heures d'enseignement d'anglais langue seconde par semaine. Est-ce que ces jeunes parlent assez bien la langue pour communiquer avec leurs camarades?
· (1355)
Prenez un élève de 15 ans, qui a manqué trois années d'école à cause de la guerre, a été placé en septième année mais ne peut fonctionner qu'au niveau de la troisième ou quatrième année. Prenez un élève de 13 ans qui n'a jamais été scolarisé et vient d'un pays dont la langue, les coutumes et la démographie sont différentes de celles du Canada? Ces enfants et adolescents doivent non seulement apprendre une langue, mais cherchent à survivre dans une culture étrangère. Ils sont vulnérables au ridicule et à une piètre estime de soi s'ils se considèrent stupides et sont mal dans leur peau. En outre, la plupart des parents apprennent eux-mêmes l'anglais et n'ont pas assez de connaissance du système scolaire pour les aider avec leurs devoirs.
Je vous le demande, à qui incombe la responsabilité de ces enfants? CIC a beau dire que l'éducation est du ressort provincial et les écoles rétorqueront que l'immigration est une responsabilité fédérale. Ces enfants, pour reprendre un dicton de chez nous, sont pris entre le marteau et l'enclume. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils soient carrément évincés de l'école.
L'Organisation de coopération et de développement économiques définit les jeunes à risque comme ceux «en échec scolaire et ne parvenant pas à faire la transition vers le travail et la vie adulte» et qui de ce fait «sont peu susceptibles de contribuer pleinement à la société».
Nous sommes fermement d'avis que CIC a une responsabilité morale envers ces enfants, avant qu'il soit trop tard. C'est paradoxal, lorsqu'on songe que la raison même pour laquelle les parents sont partis pour le Canada était d'assurer à leurs enfants une bonne éducation et un meilleur avenir. De même, la raison pour laquelle le gouvernement canadien fait venir des familles avec enfants, c'est pour en tirer un avantage économique et social, car ces enfants pourront faire de bonnes études qui leur permettront de trouver de bons emplois et contribuer à la société canadienne.
Parlons maintenant des cours d'anglais langue seconde pour adultes. Les barrières linguistiques et culturelles empêchent l'intégration réussie des immigrants dans la société canadienne. En l'absence d'une bonne connaissance de l'anglais—et je songe principalement là aux provinces anglophones—de nombreux immigrants et réfugiés se voient socialement relégués et ne peuvent participer pleinement à la société civile.
Les cours de langue pour les immigrants au Canada, ou CLIC, «assurent une formation de base aux immigrants adultes dans l'une des langues officielles du Canada». C'est tiré du site Internet de CIC, 2002. Jusqu'à trois années sont autorisées pour arriver au niveau de compétence linguistique canadien. Ce programme est excellent pour ceux dont la langue première n'est pas l'anglais ou qui n'ont pas de connaissance préalable de l'anglais.
Les cours CLIC à St. John's sont offerts de 9 heures à 14 h 15. S'il est si important que les parents soient à la maison pour accueillir les enfants au retour de l'école, pourquoi ne pas offrir à ces derniers un programme postscolaire pour les aider à rattraper leur retard et augmenter ainsi les heures de cours des parents? Les immigrants et réfugiés sont accoutumés à de longues heures de travail. Si ces parents fréquentaient un collège ou une université, ils auraient des heures de cours plus longues. Si l'on totalise le nombre de jours où les écoles sont fermées à cause des vacances, des tempêtes de neige et le nombre de jours où les apprenants adultes restent chez eux parce qu'eux-mêmes ou leurs enfants sont malades, le temps qui reste pour l'apprentissage de la langue est minime. Ces apprenants adultes, comme leurs enfants, ont besoin d'un cours de langue accéléré pour les préparer au marché du travail.
Les immigrants qui ne sont plus d'âge scolaire et ont d'importantes lacunes dans leurs connaissances ont besoin de programmes d'alphabétisme et de cours de langue. Ils sont dans une impasse, car il n'y a pas de place pour eux dans les écoles secondaires, et ils ne trouvent pas non plus d'emploi. Si on ne les dirige pas vers un programme d'alphabétisme, ils risquent de passer entre les mailles, et ce bien qu'ils aient des aptitudes et une expérience dont la collectivité pourrait faire usage.
Une préoccupation de notre organisation en matière de logement des immigrants et familles de réfugiés tient au fait que l'établissement ne se limite pas à un toit sur la tête et une carte d'autobus. Le fait est qu'il y a un taux de vacance de logements de seulement 2 p. 100 à St. John's. Ajoutez à cela que certains immigrants et réfugiés parrainés par le gouvernement ne reçoivent qu'un montant mensuel fixe de 433 $ par mois, vient-on de nous dire. Outre le coût du réétablissement dans un nouveau pays au milieu d'un hiver terre-neuvien, ces familles doivent encore rembourser les milliers de dollars que les billets d'avion ont coûté.
Pour ce qui est du cours d'anglais langue seconde dans les écoles, la situation du logement fait que les familles qui vivaient antérieurement dans la zone de l'école multiculturelle, laquelle disposait d'un enseignant ALS à temps plein, ont dû déménager dans d'autres quartiers dont les écoles n'offrent pas ce service, ou alors à titre itinérant. Ce modèle ne prévoit que deux ou trois heures d'enseignement linguistique par semaine. Nous jugeons que c'est là insuffisant pour des élèves ayant de faibles capacités de lecture et d'écriture, qui sont non seulement illettrés dans leur première langue mais fonctionnent aussi à un niveau bien inférieur à leur âge et classe. L'enseignement à compte-goutte d'une deuxième langue n'est certainement pas efficace.
Pour ce qui est du transport, si ces parents choisissent de garder leurs enfants dans l'école disposant d'un enseignant ALS à temps plein, ils doivent assurer eux-mêmes le transport. Avec leur maigre revenu et leurs nombreux frais, ces parents n'ont pas les moyens d'acheter un véhicule.
¸ (1400)
Le district scolaire a pour politique de n'offrir le transport qu'aux élèves habitant dans la zone scolaire considérée. Les parents d'enfants ayant besoin de cours ALS doivent assurer eux-mêmes le transport de leurs enfants vers une école qui en offre. Les parents ont donc à choisir entre mettre leurs enfants de six ou sept ans dans un bus municipal pour un trajet de 45 minutes, ou bien de les envoyer dans une école n'offrant pas les services ALS requis. Nous considérons que les parents d'immigrants ne devraient pas être acculés à de tels choix dans un pays qui promeut l'alphabétisme et l'instruction.
En ce qui concerne la stabilité sociale et mentale, les enfants de réfugiés ont déjà passé toute leur vie à déménager d'un endroit à l'autre. Certains sont nés dans des camps de réfugiés et ont vécu dans deux ou trois pays étrangers successifs avant leur arrivée au Canada.
Ces enfants prennent leurs habitudes dans un quartier et une école donnée. Ils se font des amis, les enseignants commencent à les comprendre et à savoir comment les aider à apprendre. Cela devient pour eux un environnement stable, et tout d'un coup ils sont obligés de déménager et de tout recommencer à zéro dans une autre école qui leur est étrangère et qui ne compte pas d'autres élèves de la même origine culturelle, ethnique ou linguistique.
Une mère qui ne parlait ni l'anglais ni le français et était analphabète dans sa propre langue a dû s'installer avec un jeune bébé dans un quartier sans supermarché, laverie et transport pour se rapprocher d'une école ayant des cours ALS pour ses enfants scolarisés.
En étant dispersés un peu partout dans la ville, ces enfants sont privés de l'environnement multiculturel de l'école, façonné au fil de nombreuses années. Le faible pourcentage de minorités ethniques dans la province signifie que l'enfant pourrait être le seul de son origine ethnique et linguistique dans son école.
Les avantages de la fréquentation d'une école multiculturelle englobent, entre autres, la possibilité que quelqu'un d'autre parle leur langue et puisse les aider avec leurs devoirs ou à communiquer avec les enseignants; des soutiens sociaux facilitant la rétention de leur langue ancestrale; un personnel administratif et enseignant sensible aux différences culturelles; un enseignant ALS sur place pouvant faciliter la collaboration avec les enseignants d'autres matières; une salle de classe ALS donnant à ces enfants un sentiment d'appartenance; et un cadre où la diversité culturelle et ethnique est appréciée.
Pour ce qui est de la situation socio-économique, la faiblesse des revenus et la pauvreté contraignent de nombreuses familles immigrantes et réfugiées à s'installer dans de mauvais quartiers parce qu'ils n'ont pas les moyens d'aller ailleurs. Ainsi, les enfants et adolescents fraîchement arrivés sont exposés à des quartiers peu propices à leur bonne intégration dans la société. Ces enfants sont vulnérables et deviennent la proie d'activités antisociales.
À cela s'ajoute l'isolement social. Le fait de se retrouver dans un pays dont la langue et la culture leur est étrangère ajoute au stress du réétablissement et de l'intégration dans une nouvelle société. Ces problèmes sont encore aggravés par la difficulté et l'incapacité d'accéder à l'information et aux services appropriés.
Les jeunes mères parlant mal l'anglais ont de la difficulté à communiquer avec leurs voisins. Ces femmes passent un temps excessif seules, dans un petit appartement, alors qu'elles viennent de pays tropicaux où elles passaient leur plus grande partie de la journée dehors. Vous avez pu constater les conditions qui règnent en plein air depuis deux jours. Même les trottoirs sont impassables. Certaines ont aussi des enfants qui commencent à marcher et qu'elles doivent surveiller sans le soutien d'une famille élargie. En outre, certaines de ces femmes ont été victimes de guerre et conflits violents.
Les ministres de l'Immigration ont souligné en octobre 2002 le rôle important de l'immigration pour une économie innovante et prospère. Ils ont convenu d'oeuvrer afin de lever les obstacles que les immigrants rencontrent sur le marché du travail. Ils ont signalé également la nécessité pour les employeurs de tirer pleinement partie des aptitudes et connaissances que les immigrants peuvent contribuer à l'économie canadienne. Tout cela est tiré d'un communiqué de presse d'octobre 2002.
Malheureusement, de nombreux immigrants se retrouvent sous-employés ou chômeurs. De ce fait, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador ne tire pas tout le parti possible des ressources humaines disponibles dans la population immigrante de la province. Même ceux qui ont suivi des cours de perfectionnement ou de recyclage dans des métiers en forte demande dans la province ont du mal à trouver un emploi.
De nombreux immigrants récents ne savent pas comment fonctionne le marché du travail et le système d'emploi. Ces immigrants n'ont pas de membres d'une famille élargie qui pourraient intercéder pour eux et les aider à trouver un emploi.
Dans la plupart des cultures, il est honteux de recevoir de l'argent sans le gagner. Ainsi, de nombreux immigrants tributaires de l'aide sociale ou économique ont du mal à accepter l'argent s'ils ne travaillent pas ou ne fournissent pas quelque service en échange. Ils en ressentent de la frustration, particulièrement s'ils suivent religieusement l'école CLIC sans réaliser beaucoup de progrès.
La migration secondaire n'est habituellement pas une option pour les immigrants car ils hésitent à s'aventurer une deuxième fois dans l'inconnu, mais beaucoup y ont été contraints. Bien que de nombreux immigrants récents aient choisi de rester dans la province, les administrations manquent souvent de sensibilité culturelle ou ne connaissent pas leurs besoins. Peu d'immigrants récents participent activement à la société civile.
¸ (1405)
Pour ce qui est des barrières systémiques à l'emploi, de nombreux immigrants et réfugiés se retrouvent sous-employés ou chômeurs. En dépit de la demande de travailleurs qualifiés et expérimentés, leurs diplômes et titres postsecondaires ne sont souvent pas reconnus, même s'ils viennent de pays du Commonwealth. En outre, le racisme systémique et la discrimination sur le marché du travail frustrent ceux qui veulent rester et travailler dans la province et contribuer à l'économie.
À l'heure actuelle, les étudiants étrangers au Canada ont au maximum 90 jours après l'obtention de leur diplôme pour trouver un travail dans leur domaine et obtenir un permis de travail d'un an. Ce délai de 90 jours est extrêmement serré, surtout à Terre-Neuve où les emplois sont limités. La durée du permis de travail est trop courte pour réellement inciter ces étudiants à demeurer et travailler dans la province.
Enfin, la difficulté de la communication avec les bureaux consulaires fait qu'il est difficile pour les demandeurs admissibles d'obtenir le statut de résident permanent. Il existait auparavant un numéro 1-800 pour se renseigner sur l'avancement de son dossier, mais ce service gratuit a été supprimé. Il devrait exister un moyen pratique pour les demandeurs de se renseigner sur les formalités de demande et la situation de leur dossier. Un système plus efficace permettrait de réduire les délais et les coûts.
Je formulerai brièvement une ou deux recommandations.
À la lumière des problèmes énoncés ci-dessus, nous recommandons que Citoyenneté et Immigration Canada collabore avec le ministère de l'Éducation pour offrir des programmes d'alphabétisation et des services ALS plus efficaces aux enfants et adolescents immigrants; et qu'il sensibilise les employeurs et les milieux d'affaires à la somme de connaissances, d'aptitudes et d'expérience disponibles chez les Néo-Canadiens immigrants et réfugiés sans travail.
Employer un étranger qualifié sans compromettre les normes canadiennes ouvrirait les horizons et enrichirait le milieu de travail.
Nous encourageons une recherche indépendante sur l'adéquation des soutiens et services actuellement à la disposition des familles nouvellement arrivées. Sont-ils efficaces? Répondent-ils aux divers besoins d'une population culturellement diverse? Quels sont les résultats mesurables? Existe-t-il une discrimination systémique?
Faites en sorte que la fourniture des services d'établissement soit culturellement compétente et valorise les cultures des immigrants et que les programmes et services répondent aux besoins de toute la famille.
Merci.
¸ (1410)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Eh bien, je pense que vous méritez la note «A» pour lecture rapide.
Mme Lloydetta Quaicoe: J'essayais d'en dire le maximum.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci, madame Quaicoe, de cet excellent mémoire, l'un des nombreux que nous avons entendus. Je sais que nous en entendrons d'autres encore aujourd'hui. Vous avez réellement bien couvert un sujet qui me tient à coeur, les services aux enfants. Ils sont notre avenir et, comme vous l'avez bien faire remarquer, ils tombent souvent dans les fissures de notre système. Je vous en remercie donc.
Nous allons maintenant passer à Mme Sen, représentant Newfoundland and Labrador Health in Pluralistic Societies.
Mme Purnima Sen (présidente, "Newfoundland & Labrador Health in Pluralistic Societies"): Merci.
J'utiliserai le sigle NL-HIPS pour désigner notre organisation. C'est plus court.
Une bonne partie de mon exposé recoupera celui de Lloydetta. Elle a traité surtout des problèmes socio-culturels, et mon sujet sont les problèmes socio-culturels se répercutant sur la santé des immigrants et réfugiés.
Quelques mots d'abord sur notre organisation. Nous sommes une association provinciale bénévole sans but lucratif. Notre mission est de contribuer à la santé et au bien-être des habitants de toute origine vivant à Terre-Neuve.
Nous pensons que la culture exerce une profonde influence sur les croyances et pratiques sanitaires de tous les peuples à tous les moments de leur histoire. Le nom de notre organisation fait référence aux sociétés pluralistes car nous pensons que cela est vrai non seulement des différents groupes ethniques, mais qu'il existe même des différences culturelles au sein de la société majoritaire. Il existe des différences culturelles entre les villes et les campagnes. C'est très évident ici, car on voit immédiatement si quelqu'un est citadin ou «de la baie», les différences sont nombreuses. Nous cherchions à rassembler tous ces aspects, ainsi que les Premières nations.
Nous sommes affiliés au Conseil canadien de la santé multiculturelle et nous collaborons avec plusieurs organisations: le Conseil ethnoculturel du Canada, la Multicultural Women's Organization, que Lloydetta représente, le Women's Health Network, le Seniors Bridging Cultures Club et le Seniors Resource Centre.
Lloydetta a déjà parlé de la démographie de la province mais je mentionnerai néanmoins quelques chiffres. Le recensement de 2001 indiquait que la population totale de Terre-Neuve dépasse tout juste 508 000 habitants. Sur ce nombre, seuls 3 850 appartiennent à une minorité visible, ce qui ne représente même pas 1 p. 100.
Je me concentre sur les minorités visibles et je vous en dirai la raison tout à l'heure. Il est intéressant de noter que ces 3 850 personnes viennent de 29 pays différents. C'est un éventail très ouvert. Et si nous disons 29 pays différents, cela signifie qu'ils parlent plus de 29 langues différentes. Moi qui vient d'Inde, je sais que l'on parle là une pléthore de langues différentes et même ceux qui viennent de l'Est de l'Inde ne se comprennent pas. Il y a là beaucoup de problèmes linguistiques.
Au sujet de la démographie, Lloydetta a aussi mentionné l'exode des jeunes. Un autre phénomène intéressant, c'est que les enfants des immigrants qui ont fait leur vie ici finissent par quitter la province. Certains des parents, une fois à la retraite, partent rejoindre leurs enfants sur le continent. Cela ajoute encore à l'exode.
Nous nous concentrons sur les réfugiés et immigrants appartenant à des minorités visibles, et nous n'englobons pas dans ces dernières les Premières nations. Les minorités visibles sont des arrivants de relativement fraîche date au Canada. Leur culture est très différente.
Jadis, surtout après la Seconde Guerre mondiale, nombre des réfugiés étaient d'ascendance européenne, mais aujourd'hui ils viennent principalement d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique et leur culture est très différente. Il est difficile pour la société canadienne, tout comme pour les immigrants et les réfugiés, de s'adapter à quelque chose de nouveau. C'est un défi de part et d'autre.
¸ (1415)
Il ne faut pas non plus perdre de vue la différence entre immigrants et réfugiés. Les immigrants sont là principalement par choix. Ils ont eu le temps de planifier et réfléchir, alors que les réfugiés arrivent dans des conditions totalement différentes. Nombre d'entre eux ont été victimes de torture ou de violence et ils ont vu la mort. C'est un groupe totalement différent qui n'a pas réellement pu se préparer.
Lorsque les réfugiés ont de tels antécédents, l'un de leur problème c'est la méfiance. Il leur est très difficile de faire confiance à autrui. Si dans ce mémoire nous nous concentrons sur les facteurs socio-culturels se répercutant sur la santé, il ne faut pas non plus perdre de vue certains autres éléments mis en lumière par CIC.
Voyons maintenant les aspects socio-culturels. J'en traite de façon plus détaillée. Je lisais le rapport Puis, la porte s'est ouverte de Morton Beiser, publié en 1988. Il est intéressant de constater que les problèmes isolés par le comité en 1998 se posent toujours. D'ailleurs, la plupart des recommandations de ce comité n'ont pas été concrétisées. Cela amène à s'interroger: nous avons eu tellement de groupes de travail, tellement de commissions royales qui ont coûté très cher—qu'est-il advenu de toutes ces recommandations? Est-ce que ces rapports accumulent la poussière sur une étagère, ou bien quoi?
Le comité de Morton Beiser a isolé quatre séries de problèmes que rencontrent les réfugiés et immigrants: les attitudes négatives du public; la coupure de la famille et de la collectivité; les barrières linguistiques; le manque d'emplois convenables.
Voyons d'abord les barrières linguistiques, car je pense que tout le monde sait que c'est un gros obstacle. Pour la plupart des gens qui viennent d'Afrique, d'Amérique latine ou d'Asie, l'anglais ou le français sont des langues très différentes. Ils s'efforcent quand même d'apprendre, mais après les années de cours qu'ils ont suivis—je crois que Lois et Lloydetta ont mentionné... Il faut faire quelque chose. Il faut déterminer, dans les cas où ils sont efficaces, pourquoi, et lorsqu'ils ne le sont pas, qu'est-ce qui cloche.
L'obstacle linguistique est mentionné dans plusieurs études. L'emploi est un gros problème par lui-même. Lloydetta en a traité, ainsi que Lois. Le manque de connaissances linguistiques est un gros problème à cet égard, un autre la non-reconnaissance des qualifications et de l'expérience acquises à l'étranger. Ce sont là les deux grands obstacles.
Ceci est très important. Ceux qui ne trouvent pas d'emploi, ceux qui n'ont pas de travail alors même qu'ils sont très qualifiés, sont touchés dans leur amour-propre. Lorsqu'on se déprécie soi-même, cela peut avoir des conséquences horribles sur la santé mentale.
On parlait récemment au journal de CBC d'un Pakistanais qui était comptable dans son pays. Il est parti pour le Canada mais il conduit un taxi. Il travaille 12 heures par jour et n'a pas le temps d'acquérir les qualifications canadiennes. Il n'a simplement pas le temps.
Il y a aussi l'exemple de cet Indien venu d'Angleterre. Il était comptable. Il travaille comme concierge. Nous perdons ces précieuses compétences.
D'autres études mentionnent que ceux qui occupent des emplois de domestique ne peuvent même pas consulter un médecin, on leur refuse les heures de congé.
¸ (1420)
Je crois que Lloydetta et Lois ont également mentionné les problèmes de logement et de transport. À St. John's et dans d'autres villes, les problèmes ne manquent pas. Le Conseil canadien pour les réfugiés a traité des sans-abri et des problèmes de logement. Ici, nous n'avons pas de sans-abri, mais souvent des appartements en sous-sol surpeuplés. Je connais une famille arrivée de Bosnie avec six enfants qui vit dans un appartement de trois chambres, c'est-à-dire qu'ils sont pas mal entassés.
Avec nos longs hivers, il peut être traumatisant d'être entassé dans un appartement et les effets peuvent être très destructeurs. L'entassement conduit souvent à la violence. Les enfants, les adultes, les adolescents, tout le monde est entassé, sans disposer d'une voiture. Les transports en commun sont coûteux et insuffisants, du moins ici à St. John's, car tous les quartiers ne sont pas desservis par l'autobus.
L'isolement social est un autre problème. Les barrières linguistiques, une instruction et des talents inutilisés ou sous-utilisés, la discrimination systémique, les bas salaires et le manque de moyens de transport contribuent à l'isolement social. Les femmes tendent à en souffrir de manière plus aiguë que d'autres. Le Women's Health Network a réalisé un projet de recherche en 2002 auprès d'un groupe de femmes immigrantes qui a abouti aux mêmes conclusions que d'autres études.
Un autre phénomène que l'on constate chez les immigrants et réfugiés est en rapport avec les conflits de rôle, de sexe et d'âge. Les conflits de rôle surgissent du fait d'un renversement des rôles. Je me souviens lorsque le rôle masculin typique a été renversé au Canada dans les années 70. Nous avons eu alors beaucoup de pêcheurs hommes qui ont souffert de dépression; ils ne savaient plus qui ils étaient. Tout d'un coup, ils se retrouvaient dans une culture différente et leur rôle changeait.
Dans de nombreuses cultures, les femmes sont censées se comporter selon certaines normes et lorsqu'elles s'y refusent, il y a des problèmes. Les adolescents aussi sont censés obéir. Les adolescents, en particulier, ont un problème réel à cet égard, étant pris entre la pression exercée par les pairs et leurs parents. Il y a le problème des fréquentations avec l'autre sexe. S'ils ne fréquentent pas, leurs camarades se moquent d'eux en insinuant qu'ils ne sont pas normaux. Et s'ils fréquentent, les parents n'apprécient pas ou n'acceptent pas. C'est comme dans les soirées dansantes, où les réfugiés adolescents ont du mal à se faire accepter ou à s'amuser.
Voilà probablement les domaines... Les personnes âgées sont les plus isolées pendant leurs vieux jours. Je connais de nombreuses personnes âgées qui sont arrivées avec leurs enfants adultes. À leur arrivée, ils étaient peut-être dans la cinquantaine avancée et étaient utiles et nécessaires. Ils s'occupaient du ménage et des jeunes enfants, mais au fur et à mesure qu'ils avancent en âge et que leurs enfants n'ont plus besoin d'eux, ils se sentent inutiles, comme si la vie était devenue futile. Et dans l'intervalle, pendant tant d'années, ils ont perdu l'occasion de sortir et de s'exposer à la société en général.
Le dernier facteur dans cette catégorie est la modification des politiques en matière d'immigration et de citoyenneté. J'ai eu beaucoup de mal à accepter les changements introduits par le projet de loi C-18, en particulier les articles 16 à 18, 21, et 23 à 27. Ils sont sources d'anxiété. Si je suis citoyen et que ma citoyenneté peut être révoquée à cause d'un rapport fourni par un service de renseignements, et si je n'ai plus le souvenir des événements, je peux me retrouver dehors sans même savoir ce que l'on me reproche. C'est source d'anxiété.
Il se passe tellement de choses. Le recours au profilage racial est de notoriété publique. Si vous êtes musulman, particulièrement originaire du Moyen-Orient... Et beaucoup d'eux viennent d'une zone de guerre. Ils pensaient trouver un havre sûr et voilà qu'ils sont replongés dans les mêmes problèmes, comme nous tous. Cela peut provoquer une grande angoisse.
¸ (1425)
Tous les facteurs socio-culturels que j'ai mentionnés se répercutent sur la santé, particulièrement mentale. L'étude de Kirmayer en 1996 a montré que l'utilisation des services médicaux par les immigrants et réfugiés est plus ou moins comparable à celle de la société d'ensemble; je crois que 78 p. 100 faisaient appel aux services médicaux comparés à 76 p. 100 pour la société générale. Mais les troubles mentaux ou autres problèmes liés au stress sont beaucoup plus grands dans cette population. Tous les facteurs que j'ai mentionnés—chômage, ou travail mal apprécié et sous-payé, isolement, discrimination, barrière linguistique—engendre beaucoup de stress et les séquelles peuvent être très graves.
En fin de compte, tous ces problèmes coûtent cher au système de santé, malgré les quelques efforts et les quelques crédits déployés. Cela coûte cher aussi au système judiciaire, car de nombreux jeunes deviennent délinquants ou abusent de substances. Ainsi, toute la société finit par payer plus, et c'est un facteur à considérer.
Ma conclusion et mes recommandations sont que les réfugiés et immigrants sont particulièrement exposés aux problèmes de santé mentale du fait de divers facteurs de stress socio-culturels. Les réfugiés sont encore plus vulnérables à cause des événements traumatisants qu'ils ont vécus.
Les coupures budgétaires de la dernière décennie et la modification hâtive des politiques en matière d'immigration et de citoyenneté, tout récemment, ont entravé les progrès et risquent d'entraîner encore une détérioration.
Les recommandations de notre groupe sont les suivantes:
Premièrement, un effort concerté devrait être entrepris pour améliorer les connaissances linguistiques de ce groupe, et l'efficacité des programmes ALS actuels devrait être évaluée.
Deuxièmement, des politiques efficaces devraient être adoptées par toutes les parties prenantes en vue de reconnaître les diplômes et l'expérience acquis à l'étranger, afin d'aider ce groupe à trouver des emplois convenables. Cela peut être mutuellement bénéfique, car ce groupe pourrait offrir des services précieux aux régions mal desservies.
Troisièmement, tous les employés des services sanitaires, éducatifs, sociaux et policiers, de même que leurs associations professionnelles respectives, devraient suivre des cours de sensibilisation culturelle.
Quatrièmement, un groupe d'interprètes culturels devrait être formé et rémunéré en vue d'aider les réfugiés et immigrants à obtenir l'accès aux services disponibles. Nous disons que nos services sont disponibles à tous, mais ce n'est pas vrai en réalité.
Cinquièmement, une documentation et information appropriées sur la vie au Canada, traduites dans la langue voulue, devraient être fournies aux réfugiés et immigrants, de préférence avant leur arrivée sur notre sol.
Sixièmement, des politiques devraient être élaborées aux niveaux fédéral et provincial en vue de favoriser l'établissement dans d'autres régions et provinces non encore couvertes par des accords.
Merci.
¸ (1430)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci, madame Sen. Vous avez présenté là d'excellents renseignements qui seront utiles au comité.
Nous allons passer rapidement à Mme Jeffrey, qui a pour nous des renseignements sur les programmes d'établissement et le programme des candidats de la province. Nous lui donnons la parole.
Mme Donna Jeffrey ("Refugee Immigrants Advisory Council"): Je n'ai pas fourni dans le mémoire de renseignements sur le Refugee Immigrants Advisory Council. Sachez simplement que nous sommes une organisation entièrement composée de bénévoles qui existe depuis 1991. Nous ne rémunérons quelqu'un que de façon occasionnelle.
Initialement nous aidions les demandeurs du statut de réfugié. Pour faire un peu d'histoire, mon mari et moi rentrions de Bulgarie. J'avais tendance là-bas à montrer partout mon livre sur Terre-Neuve, en disant: «Voici d'où nous venons et peut-être aimeriez-vous y aller». Plus de quatre semaines après notre retour... Finalement, 2 500 Bulgares ont débarqué. C'est pourquoi les gens s'inquiétaient un peu lorsque nous sommes allés en Chine.
La plus grande partie de mon travail intéresse les demandeurs du statut de réfugié, mais pas seulement car je m'occupe aussi des immigrants. Il s'agit de les intégrer dans la collectivité—de faire partie de la collectivité et de ne pas rester isolés comme le sont les nouveaux arrivants. Voilà sur quoi nous travaillons.
Je suis également détentrice de parrainages et agis en cette capacité pour mon église à l'échelle de la région Atlantique. Je m'inscris donc dans une perspective différente.
Je mentionne d'abord dans mon mémoire—et au lieu de le lire, j'en donnerai les éléments saillants. C'est dommage, je sais que j'ai été informée, mais j'ai eu peu de temps pour réfléchir et écrire un mémoire sur tout ce qui me préoccupe. Je commencerai comme Lois, avec l'information préalable à l'arrivée.
Il ressort de mes entretiens avec nombre de réfugiés que la plupart ne reçoivent pas d'information préalable. C'est le cas qu'ils soient anglophones, c'est-à-dire quand la langue n'est pas un problème, ou non. Je sais que dans le passé—et je remonte là pas mal en arrière—quelques agents de visa dans certains pays pouvaient apporter beaucoup d'aide. Ce n'était que dans certaines missions. Aujourd'hui, il ne semble plus rien exister. On taille dans les dépenses à l'autre bout, les agents de visa sont trop peu nombreux. Mais il ne fait aucun doute que les coupures à l'autre bout finissent par nous coûter à ce bout-ci. C'est un peu l'alternative entre payer tout de suite et payer plus cher plus tard.
Avec le petit nombre d'agents de visa outre-mer, il faut compter jusqu'à deux ans pour que les réfugiés que nous parrainons arrivent ici, et n'oubliez pas que nous payons souvent pour les familles. Dans l'intervalle, il arrive qu'on les perde. Leur situation est telle que lorsqu'ils arrivent enfin, s'ils ont langui dans un camp de réfugiés, ils doivent recommencer tout au bas de l'échelle.
Ensuite, en tant que signataire d'accords de parrainage, j'ai reçu ces cartes. J'en ai reçu 700. Je ne savais pas ce que j'étais censée en faire, car là où se trouvent mes réfugiés, ils n'ont pas d'ordinateur pour visiter des sites Internet et souvent aussi ils ne parlent pas l'anglais. Je ne savais donc pas trop quoi en faire lorsqu'ils m'ont dit: «Voici 700 cartes pour vos clients», et je portais alors mon chapeau de signataire d'accords de parrainage. Ces cartes sont bien jolies, mais ce n'est pas là-bas qu'on peut les utiliser. Peut-être ici—une fois qu'ils arrivent—mais ce n'est pas pour cela, car l'en-tête dit «Partir au Canada».
¸ (1435)
Je signale d'ailleurs que je suis devenue une dame d'accueil à St. John's dès mon arrivée ici. Je trouve parfois que les services d'information qui faciliteraient une bonne intégration dans la collectivité sont déficients. C'est mon grand objectif, les intégrer le plus rapidement possible à la collectivité—tout en sachant qu'on est limité dans ce que l'on peut faire dans le temps disponible.
Mais souvent l'agence d'établissement n'a pas les renseignements essentiels qu'il faudrait sur la langue, la culture, la religion, les circonstances personnelles et familiales des réfugiés, le climat social et politique et les facteurs environnementaux dans le pays d'origine. Cela peut être très néfaste et très coûteux pour l'intéressé, les bénévoles, CIC et le Canada. Si on place les gens de façon inappropriée, ne serait-ce qu'au niveau du logement, c'est néfaste, et tout cela à cause d'une petite chose toute simple comme ignorer que leur langue est l'anglais et qu'il n'est pas nécessaire de... vous savez, pour mener leur vie.
Je fais remarquer également... Je crois que cela remonte à six ans, et peut-être étiez-vous au courant des profils culturels. Aujourd'hui, lorsque je place une commande et demande un profil culturel sur la Sierra Leone et le Liberia, qui sont deux pays anglophones—et donc importants car on ne pense pas forcément qu'il y a des pays anglophones sur le continent africain—ce serait utile qu'ils continuent à les imprimer.
Je crois que CIC paye pour cela, et à mon avis c'est de l'argent bien dépensé. Ce sont des profils culturels fantastiques sur ces pays et c'est une lecture obligatoire si vous allez vous occuper de l'établissement d'immigrants, qu'ils viennent du Soudan, du Rwanda, ou de Somalie. La plupart des pays, sauf deux... Je leur ai demandé de bien vouloir faire un profil culturel, dans l'intérêt de tout le monde, afin de savoir de quels horizons viennent les gens qui arrivent ici. Désolé, m'a-t-on dit, CIC a stoppé le financement.
Où vais-je maintenant trouver ces renseignements? Je sais que c'est parfois possible sur l'Internet. Mais ce n'est pas comme avoir... Et lorsque je donne des conférences dans les écoles, les enseignants adoraient avoir ces profils, particulièrement lorsqu'il y a des élèves soudanais, car rien qu'en les lisant on peut se faire une idée d'où ils viennent, de leur culture et des erreurs à ne pas commettre.
Jadis on commettait des erreurs dans le milieu hospitalier, parce qu'on ne savait pas qu'il faut jamais donner à manger à la personne avec la main gauche. Je me souviens d'une dame qui a failli mourir, car il fallait l'alimenter à la main et on le faisait avec la main gauche. Personne ne pouvait comprendre pourquoi elle refusait de manger. On l'a finalement mise sur intraveineuse et plus tard quelqu'un leur a dit ce qui n'allait pas.
J'ai également des infirmières en formation chez moi, et je leur fais lire ces textes, car ce sont les infirmières de l'avenir qui vont se retrouver dans les hôpitaux confrontés à une société beaucoup plus multiculturelle que ce que nous connaissions.
Je mentionnerais aussi que la santé mentale se ressent souvent aussi de... Je me rends compte que je n'ai pas joint la lettre, je ne l'ai même pas apportée avec moi.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Vous pouvez nous l'envoyer et nous distribuerons aux membres.
Mme Donna Jeffrey: Les problèmes de santé sont inséparables de nombre des problèmes d'établissement, comme je le mentionne dans d'autres sections du mémoire.
Pour ce qui est du regroupement familial, si nous ne pouvons faire venir la famille à titre de réfugiés, nous y parvenons souvent par le biais du regroupement familial et des accords de parrainage. Mais c'est un ingrédient absolument essentiel de l'établissement, et même lorsqu'il ne s'agit pas de membres proches de la famille—enfants, conjoints, parents, frères ou soeurs—ils s'intègrent mal si les membres de la famille restent en arrière.
Ils sont très reconnaissants d'être ici, mais ils commencent à se faire du souci pour les membres de leur famille. Certains, bien entendu, sont portés disparus. Le mari arrive souvent plus tard, parce qu'il était disparu. Lorsque le mari apparaît dans un camp de réfugiés ou qu'on a découvert où il se trouve, il faudrait lui appliquer une procédure rapide car sa femme et ses enfants essaient seuls de s'établir dans un pays qui leur est étranger. C'est certainement préjudiciable pour la femme, particulièrement si elle sait qu'il a été retrouvé. Cela suppose, j'imagine, avoir davantage d'agents de visa outre-mer pour traiter les dossiers, car attendre un an après qu'on l'a retrouvé, c'est trop long.
Je mentionne le cas d'un regroupement bien connu dont il a été question dans le journal de CBC. Je ne raconte pas les détails, mais on l'a retrouvé en Angleterre à l'occasion d'un discours qu'il a fait à la Chambre des communes et à la Chambre des Lords sur les problèmes des réfugiés. Son dossier a traîné. Il était important qu'il puisse venir vite. Il a dû quitter son poste, bien sûr, où il s'occupait d'enfants traumatisés qui ont été séparés de leurs parents. Mais son dossier a traîné à Mississauga—ce n'était pas à Ottawa ni au Haut-commissariat de Londres. Tout était prêt, mais ceux qui s'occupaient des papiers à Mississauga ont laissé dormir le dossier. Le système est tombé en panne. Ainsi, une histoire heureuse s'est transformée en un cauchemar relaté sur CBC. Finalement, un permis ministériel a été accordé.
Pour ce qui est de la reconnaissance des diplômes et de l'expérience acquis à l'étranger, j'ai rangé l'emploi et la reconnaissance des diplômes au même niveau que le regroupement familial. J'ai vu des médecins, des directeurs d'école, des enseignants, des conseillers spécialisés en traumatisme, des infirmières, des psychologues et des travailleurs sociaux incapables d'exercer leur profession alors que, dans la plupart des cas, leurs connaissances étaient non seulement requises par la province mais aussi requises d'urgence par leurs compatriotes réfugiés dans ce pays. Le coût du refus de l'accréditation est très élevé. Beaucoup finissent par faire le travail bénévolement.
J'ai parrainé un médecin et il lui a fallu six ans dans une province qui manque de médecins pour être accrédité, et il est encore au bas de l'échelle. C'était un spécialiste, et j'ai découvert que c'est une erreur d'être spécialiste. Il était gynécologue et obstétricien. Nous avons essayé de trouver des emplois pour lui et d'autres choses à faire, mais les gens étaient trop gênés. Je sais qu'à Toronto des obstétriciens livrent des pizzas au lieu de délivrer des femmes et sont chauffeurs de taxi. Mais, ici, on était trop gêné pour l'embaucher. Il a dû se mettre à l'assistance sociale. Si vous n'appelez pas cela un gaspillage de nos fonds d'aide sociale... Il n'est pas le seul, cela arrive sans cesse.
¸ (1440)
En outre, cela leur donne le sentiment de ne pas être à la hauteur. Il est très humiliant pour certains d'arriver ici et de vivre de l'aide sociale.
Aucune solution raisonnable n'a encore été proposée par des associations professionnelles rigides, les syndicats, les pouvoirs publics. Nous courons le risque que des gens de l'extérieur considèrent notre société comme fermée ou raciste.
Nous travaillons là-dessus depuis plusieurs années avec le Conseil canadien des réfugiés, plaidant avec les responsables et déplorant la perte de ces personnes précieuses pour notre société. Comme je le dit, le prix payé, sous forme de frustration, est très lourd pour ceux qui ne demandent qu'à démontrer qu'ils sont des citoyens responsables et veulent mériter le respect de la société d'accueil. Cela alourdit aussi inutilement le coût du programme d'assistance. Le coût d'opportunité et le gaspillage de ressources humaines est effrayant.
En ce qui concerne l'éducation, Lloydetta l'a déjà mentionné mais je vais le déplorer moi aussi, dans notre province, nous n'avons pas de classes spéciales «d'accueil et d'évaluation» comme celles d'autres provinces. Les conséquences pour les enfants sont certainement préjudiciables.
Un autre élément—et c'est peut-être impossible—car j'oeuvre surtout pour l'intégration communautaire, car c'est ce qui fait que les gens restent et la rétention est toujours un problème dans notre province—initialement, il y a 12 ou 14 ans, à Terre-Neuve et au Labrador, l'enseignement de l'anglais langue seconde, aujourd'hui appelée CLIC, se faisait dans un collège communautaire. Aujourd'hui les étudiants, depuis que ce programme a été regroupé aux mains d'un seul organisme gouvernemental, se retrouvent coupés du collège communautaire, isolés. Le meilleur modèle d'exécution du programme ALS ou CLIC était certainement, et de très loin, le collège communautaire.
Les étudiants ALS étaient ainsi exposés aux autres matières enseignées dans le collège: les arts, la photographie, l'enseignement technique. Tout était là, et ils pouvaient le voir dans le même bâtiment. Les Terre-Neuviens et les nouveaux arrivants se mélangeaient. J'ai parlé avec l'ancien directeur de tout ce que cela apportait, car en fréquentant les étudiants étrangers, les nôtres se faisaient de nouveaux amis et se familiarisaient avec d'autres cultures.
Mais aussi beaucoup d'étudiants passaient d'un cours à l'autre dans le même bâtiment. Une fois qu'ils avaient terminé les cours de langues, ils voyaient de l'espoir: «Maintenant, je peux faire ceci, je peux étudier cela». Et je fais remarquer que nombre des étudiants ALS de l'époque, dont le ministre des Postes—il vient de ce milieu—ont fait des carrières très réussies. C'était véritablement une intégration réussie, avantageuse et pour l'immigrant et pour la société. Comme vous le savez probablement, dans beaucoup de provinces les cours ALS ou les programmes de type CLIC sont toujours dispensés par le collège communautaire. À mes yeux, c'est ce qu'il y a de mieux.
J'aimerais revenir sur une chose que Purnima a dite sur la différence culturelle. Lorsque les gens que nous parrainons arrivent dans notre société—et c'est une société qui a radicalement changé—à l'époque où j'élevais mes cinq enfants et mes petits-enfants, c'était un monde tout différent. À mon époque, qu'une femme ait ou non des diplômes universitaires, elle restait à la maison pour s'occuper des enfants pendant que le mari travaillait.
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Par ailleurs, le mari était aussi considéré—je sais que ce n'est pas politiquement correct de dire ces choses—comme le chef du ménage. C'est lui qui faisait la discipline. Aujourd'hui, notre culture a complètement changé. Tout d'un coup, le père immigrant se fait dire: «De quel droit me punis-tu ou dis-tu cela?» C'est l'idée, qui me dérange beaucoup, du jeune qui dit «Si tu fais cela, si tu me touche...». Si vous venez d'un pays où on a coutume de donner une fessée alors que c'est absolument tabou chez nous, on dit à l'enfant d'appeler tel numéro. C'est arrivé, et à mes yeux c'est horrible pour la famille.
Et vous avez mentionné, je crois, les facteurs culturels et la santé mentale... En tant qu'aînée, c'est ma dernière bagarre. Mais il faut songer à ces gens.
L'homme est complètement déprimé, parce que si les femmes pensent qu'elles aussi peuvent faire certaines choses chez nous, alors que dans la société d'où ils viennent c'était exclu, cela détruit le tissu familial. Je pense donc que c'est quelque chose qui doit...
En fin de compte, voyez-vous, nous sommes tous perdants. Par rapport à tout ce qui a été mentionné cet après-midi, notre motivation est le désir que les choses marchent, que les gens soient évalués et reçoivent leur dû et que l'on reconnaisse ce qu'ils peuvent contribuer. Si l'on en perd un, c'est un de trop, comme on dit.
J'ai inscrit mes recommandations au bas. Je ne les ai pas toutes citées. Faciliter la reconnaissance des diplômes et de l'expérience professionnelle acquis à l'étranger; les classes d'accueil; nommer davantage d'agents outre-mer, etc.
¸ (1450)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci beaucoup, madame Jeffrey. J'ai trouvé votre exposé particulièrement concret, et il complète très bien les autres présentations que nous avons entendues qui se situent à un niveau plus théorique. L'aspect opérationnel est très important aussi.
Je dois informer tous les intervenants que nous n'avons reçu l'autorisation du Parlement de voyager qu'après le retour de la Chambre après le congé de Noël, c'est-à-dire fin janvier. Donc, nous aussi avons dû nous hâter pour organiser ce voyage, avec l'aide précieuse de notre greffier et logisticien, John Bejermi, et nous sommes réellement reconnaissants à tous ceux qui ont rendu ce voyage possible. Et sachez que si vous avez des renseignements complémentaires qui pourraient être utiles au comité, vous pouvez toujours nous les transmettre et nous les examinerons de très près.
Je pense qu'aujourd'hui on nous a donné tellement de manière à réflexion que nous ne pensons pas manquer d'information, et j'aimerais donc donner aux membres du comité la possibilité de dialoguer avec vous et de poser leurs questions et de faire leurs observations sur l'information que vous avez présentée aujourd'hui.
Madame Dalphond-Guiral, si vous voulez commencer.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Merci, madame la présidente.
Je vous remercie toutes les quatre pour vos présentations. Elles étaient intéressantes. Ce qui est très utile pour les gens du comité, c'est que vous avez su résumer vos préoccupations par des recommandations très précises. Il y en a quelques-unes sur lesquelles je vais revenir.
Probablement que vous êtes toutes les quatre d'accord sur l'intervention de Lois quand elle dit que lorsque les nouveaux arrivants arrivent ici, à Terre-Neuve, ils ne savent pas finalement où ils arrivent. Vous recommandez que les agents d'immigration qui sont à l'extérieur du pays et qui reçoivent les demandeurs qui veulent devenir résidents permanents soient mieux informés. Je pense que c'est la moindre des choses. En effet, les gens devraient avoir la compétence de leur dire ce qui les attend vraiment.
Nous sommes allés, l'année dernière, en mission à l'extérieur et ce que nous avons vu était absolument renversant: des centaines de personnes se présentaient soit pour avoir des visas, soit pour faire une demande de résident permanent. Il y a donc un nombre tellement énorme qu'on se demande vraiment comment on pourrait y arriver, à moins d'investir des sommes importantes et d'engager des gens qui ont le goût de faire ce travail-là.
Moi, c'est la première fois que je viens à Saint-Jean, Terre-Neuve. On a failli ne pas arriver hier soir, mais on est arrivés. Ce matin, je suis allée me promener. Moi, je sais où est Saint-Jean, Terre-Neuve, mais j'ai été surprise de voir, par exemple, la coquetterie des maisons, et je me suis dit que les gens peignaient certainement les maisons chaque été. Mais quand on arrive d'Afrique, quand on arrive de l'autre bout du monde, c'est certain qu'on ne peut même pas voir ça, parce qu'on est trop préoccupé.
Je ne vous cacherai pas qu'une des grandes préoccupations de l'opposition est de réaliser qu'entre le discours politique, les grands objectifs et la réalité, la différence est énorme. Les lois ne sont pas parfaites, mais elles ont quand même certains bons côtés, notamment dans les grands objectifs. Mais la différence entre ce discours-là et la réalité est énorme.
Ces dernières années, il y a eu des hausses du budget de l'immigration, mais on pouvait dire pourquoi. C'est quand il y a eu, par exemple, l'affluence de réfugiés qui venaient du Kosovo. C'est pourquoi qu'il y a eu une hausse tout d'un coup. Il fallait bien avoir de l'argent pour leur permettre de s'installer au Canada, mais il n'y a pas d'augmentation d'argent, alors que moi, je pense que le Canada est très chanceux, que la situation économique va bien et qu'on dispose de sous. Mais j'ai également le sentiment que les voix qui sont les plus entendues ne sont pas nécessairement les voix de gens comme vous, qui vous occupez du monde mal pris, du monde vulnérable.
Par ailleurs, ce matin je lisais dans le Globe and Mail un article qui référait à une étude très récente sur le fait qu'il y avait une augmentation importante d'immigrants, en termes de pourcentage, qui se retrouvaient à occuper des emplois extrêmement intéressants. Ça, c'est vrai pour un certain groupe: ceux qui sont bien formés. Ils ont des emplois vraiment intéressants, des emplois de leaders. Mais pour les autres, ce n'est pas le cas.
Il y a actuellement des difficultés d'autonomie économique pour nos immigrants. C'est un problème, et ici, à Terre-Neuve, il est probablement plus grave que dans certains autres coins du Canada, compte tenu que vos jeunes ont aussi envie de s'en aller à Montréal, à Toronto ou à Vancouver, j'en suis sûre. Alors finalement, ce n'est pas un problème facile à régler, sauf s'il y a une forte volonté.
¸ (1455)
Or, la volonté passe par les politiques, et nous faisons partie de ces dernières. Il faut convaincre les gouvernements qui prennent les décisions. Avant le début de la séance, j'ai parlé du fait qu'on rencontre constamment des gens et qu'on écoute leurs mémoires. Il y a déjà beaucoup de choses qu'on sait et qu'on sent.
Pour ma part, je retiens la solution qui a été proposée par l'une d'entre vous, c'est à dire d'aller rencontrer les organismes, les intervenants et la clientèle. C'est très instructif. Entendre parler d'une situation, c'est une chose, mais en prendre connaissance sur le terrain, c'en est une autre.
On a eu la chance de faire ce genre d'expérience en voyage à l'extérieur du Canada. Lorsqu'on est au pays, on voit généralement les leaders des organisations. C'est bien, mais ce serait bien également d'ajouter à cela une nouvelle perspective. Je suis à la Chambre des communes depuis dix ans et je ne me rappelle pas que, dans le cadre d'un comité, on soit allés rencontrer des intervenants, sauf pour des enjeux concernant les populations autochtones. Dans certains de ces cas, on s'est rendus sur le terrain. À mon avis, on devrait envisager cette possibilité.
En fin de compte, je ne peux pas vraiment vous poser de questions; je n'ai que des commentaires à faire. Je souscris à la grande majorité de vos recommandations. Le comité va très certainement se les approprier et essayer d'assurer le suivi qui s'impose. Or, la présentation du budget va nous donner certains indices. La volonté se manifeste par l'endroit où on met l'argent.
[Traduction]
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Madame Dalphond-Guiral a soulevé plusieurs questions et si parmi les témoins il en est qui aimeraient offrir quelques réflexions sur la discussion ouverte par Madame, ce serait le moment de le faire.
Madame Sen.
¹ (1500)
Mme Purnima Sen: Elle a dit que nous n'avons guère de perspectives d'emploi dans cette province et c'est bien vrai; c'est pourquoi tous les Terre-Neuviens s'en vont. Mais il est au moins un domaine où nous pourrions employer davantage de monde ici, et c'est celui de la santé.
Nous avons appris hier qu'il n'y a que six psychiatres pour enfants dans la province, trois à temps plein et trois à temps partiel, et il y a une liste d'attente de 200 enfants. Imaginez-vous 200 enfants qui attendent une consultation psychiatrique?
Il existe un endroit où il y a beaucoup de médecins. Donna a mentionné un médecin qui attend là depuis de nombreuses années et elle y est allée pour en ramener un. Il existe donc des médecins, et je connais personnellement quelques médecins qui voulaient se spécialiser dans la psychiatrie et qui en ont été empêchés. Un que je connais a fini par suivre une formation de technicien de laboratoire et travaille comme technicien quelque part. C'est un triste état de chose.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Quelqu'un d'autre veut-il intervenir?
Merci, Madame Dalphond-Guiral.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Il est clair que toute la question de la reconnaissance des acquis professionnels est une question difficile d'un bout à l'autre du pays et que les ordres professionnels manifestent beaucoup de résistance à cet égard. Je fais allusion à ce qui s'est passé récemment au Québec chez mes amis du Collège des médecins et chez les spécialistes. On doit admettre que le service n'est pas toujours la priorité quand on est un professionnel. Or, c'est tout à fait regrettable.
Il y a des chances que cette mentalité change si la population exerce suffisamment de pressions. Cependant, tant et aussi longtemps que les ordres professionnels prendront leurs décisions en fonction de leurs propres intérêts, les choses ne changeront pas et on verra des gens gaspiller leur expérience, leur expertise et leurs compétences. En plus, ces gens-là se détruisent eux-mêmes en tant qu'individus, c'est certain.
[Traduction]
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Madame Jeffrey.
Mme Donna Jeffrey: Et il n'y a pas que les médecins, toutes sortes de gens arrivent ici qui sont précisément ceux dont nous avons besoin. Il y a les conseillers spécialisés en traumatisme qui pourraient s'occuper des enfants, il peut s'agir de travailleurs sociaux, il peut s'agir de... non, parce que ce n'est pas possible.
Quelle perte de savoir. Ils pourraient s'occuper des enfants qui viennent de ces pays et qui sont traumatisés. J'ai traité de centaines et des milliers de cas au cours des 10 à 12 dernières années dans mon travail de parrainage, les cas où je reçois des lettres, et je sais combien ces enfants sont traumatisés. Ils ont vu leurs parents tués, leur mère violée. C'est le genre de choses qu'ils ont vécu. Je le sais, non pas que j'aie visité de camps de réfugiés, mais je sais ce qui se passe car j'ai lu toutes ces lettres provenant des camps au fil de dix années ou plus.
Si vous avez quelqu'un sous la main... C'est une affaire de bon sens. Si l'on perd l'une de ces personnes, c'est tout son potentiel qui disparaît. Il est donc rentable d'autoriser ces gens à exercer leur profession, quitte à accélérer la procédure s'il le faut.
Mme Diane Ablonczy : Ce n'est pas seulement qu'ils possèdent les compétences voulues, ils ont également la sensibilité culturelle. Ce serait utile.
Mme Donna Jeffrey: Oui, exactement.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): J'aimerais donner à M. Pickard la possibilité d'échanger des questions et des réponses avec les témoins.
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
Des gens vont arriver au Canada, immigrants ou réfugiés, qui vont bien s'en sortir et réussir parce qu'ils ont quelque chose à l'intérieur d'eux, quelque chose qui les pousse. Ils vont s'en sortir même face à la pire adversité. Nous pourrions leur faciliter les choses de différentes façons, mais ce ne sont pas eux qui vous préoccupent. Vous êtes très clairement préoccupés par ceux qui arrivent au Canada avec des attentes qui ne pourront peut-être jamais être réalisées de leur vivant et peut-être même dans les générations futures.
Je crois que nous avons des problèmes similaires dans certaines de nos grandes villes: Toronto, Vancouver, Montréal ou d'autres. Mais ils ne sont pas aussi aigus qu'ici à Terre-Neuve, ou en Nouvelle-Écosse, comme on nous l'a expliqué hier à Halifax, ou dans les régions rurales du Canada et la plupart des petites localités qui sont démunies de tout réseau de soutien social.
Certains des exposés ont fait ressortir que nous avons très peu de réseaux de soutien social pour aider les Néo-Canadiens. Ces derniers se retrouvent isolés, sans savoir quels services et mécanismes de soutien il existe pour les aider, sans d'autres membres de leur famille, sans même savoir où ces derniers se trouvent.
Ils font face à toutes sortes d'attentes qu'il est très difficile de satisfaire dans un pays où tout marche à l'inverse ou différemment de ce qu'ils connaissent. Et comment peuvent-ils dans ces conditions survivre, pas seulement les enfants mais aussi les adultes qui ont toutes sortes de compétences lorsqu'ils arrivent au Canada mais sont incapables d'en faire usage?
Je me dis donc que nous ne faisons pas pour eux ce qu'il faudrait. Mais en sus, la volonté de la société au Canada est variable d'une région à l'autre. Je pense qu'il faut tout faire pour modifier le point de vue social, la volonté de la société, les façons de faire. Ce n'est pas seulement une question d'argent. Il faut simplement assez d'argent pour permettre la survie.
Au-delà, c'est une question de soutien. Il s'agit de permettre d'utiliser les compétences et la formation, et si les qualifications manquent, d'offrir des cours. Nous parlons de deux heures de cours d'anglais langue seconde, ALS.
Dans mon esprit, il est absolument impensable que nous n'ayons pas de réseaux qui permette à ces jeunes gens de se mêler à d'autres jeunes... C'est probablement une bien meilleure façon d'apprendre la langue que des cours d'ALS.
Il existe des barrières qui les empêchent de sortir dans la société et de trouver du travail. Et je pense que ce qu'il faut faire, et j'ai lu vos recommandations... Je les regarde et vous dites qu'il faut revoir les classes de langue. Vous dites très clairement qu'elles laissent à désirer. Si l'on va enseigner l'anglais langue seconde aux Néo-Canadiens, faisons en sorte que l'enseignement soit suffisamment long et bien conçu et faisons le travail requis sur le terrain, plutôt que d'étudier encore le problème.
Il a été étudié et vous avez abouti à une conclusion très claire: cela ne marche pas, les ressources sont insuffisantes pour que les choses fonctionnent bien. Du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre. Vous voudrez peut-être clarifier les choses pour moi, mais c'est ce que j'ai conclu.
¹ (1505)
Une autre recommandation était d'avoir des interprètes qui puissent expliquer aux gens quels services existent dans la région.
Je considère que dans des villes comme St. John's, Terre-Neuve, il faudrait des conseils communautaires, regroupant toutes les organisations, qui puissent s'asseoir et rédiger des brochures claires et concises, traduites dans toutes les langues voulues, pour informer les immigrants. Et s'ils ne peuvent pas les lire, que quelqu'un leur traduise le contenu et les renseigne. Il faudrait une armée de gens capables de fournir ce service.
Plusieurs organisations ont dit qu'elles ne sont pas payées pour aider. Mais si la volonté sociale existe, on peut se tourner vers le conseil scolaire, vers le gouvernement provincial, vers le gouvernement fédéral, le ministère du Développement des ressources humaines, les programmes de l'APECA. Il doit bien y exister des programmes qui puissent appuyer cette entreprise. Et ce n'est pas quelques dollars de plus fournis aux programmes d'établissement qui vont régler tout le problème. Il faut s'attaquer en même temps à toute une série d'aspects.
Nous avons parlé des ordres professionnels. Ces derniers n'ouvrent pas leurs portes aux nouveaux Canadiens. C'est évident, car souvent ce sont des ordres provinciaux qui décident qui peut et ne peut pas exercer. D'ailleurs, il n'y a pas que les ordres professionnels en cause. Vous savez comme moi que les corps de métier, toutes les structures, font la même chose. On rencontre souvent une réticence à s'ouvrir et à intégrer les immigrants. Pourtant, nous savons qu'ici dans cette province, comme dans toutes les régions du Canada, il va manquer des dizaines de milliers de mécaniciens, des dizaines de milliers de praticiens qualifiés—infirmières et médecins dans le domaine de la santé et dans toutes les professions. Il faut donc ouvrir les portes.
Lorsque je considère les choses, je m'émerveille de voir combien vous autres travaillez fort et investissez de vous-mêmes pour faire une différence. Mais ce doit être frustrant pour vous comme pour les immigrants, car vous ne semblez pas pouvoir accomplir les progrès qui sont nécessaires dans une société qui aura besoin de ces gens à l'avenir.
Je pense que notre comité peut transmettre un message très fort au ministère, mais je ne crois pas non plus qu'il suffise d'agir dans un seul domaine de la société. La législation gouvernementale ne pourra pas régler tous les problèmes dont vous faites état. Il faudra toute une transformation des mentalités si l'on veut promouvoir l'immigration dans ce pays, ce qui est indispensable car nous en avons besoin.
Lorsque je suis arrivé à Terre-Neuve hier soir et que j'ai branché la télévision, on montrait là un dentiste très prospère qui est arrivé au Canada il y a dix ans et qui emploie aujourd'hui 19 personnes. Il a su générer un revenu appréciable pour sa famille et il est très bien vu dans la communauté. Ce pourrait être le cas dans des centaines de nos collectivités qui manquent de dentistes, de médecins, de toutes sortes de professions. Je ne parle pas des avocats, nous en avons une pléthore. Je plaisante, car notre présidente est avocate.
¹ (1510)
La question que je vous pose, en substance, est de savoir comment vos organisations pourraient travailler à l'intérieur de la structure pour faire une différence.
Vous pouvez nous présenter ici un rapport. Nous pouvons à notre tour le répercuter et dire que oui, il faut mettre en place des mécanismes de soutien supplémentaires dans les petites provinces. Oui, les régions ciblées où s'établissent 90 p. 100 de nos immigrants disposent de mécanismes de soutien qui n'existent pas à St. John's, Terre-Neuve, qui n'existent pas dans le Canada rural, qui n'existent pas à Flin Flon, dans l'Ouest. Il faut consacrer plus de temps et d'efforts à assurer une meilleure distribution des services. Mais comment vous, sur le terrain, pouvez-vous influer là-dessus? Pouvez-vous faire pression sur les conseils scolaires pour obtenir davantage de classes d'anglais langue seconde? Pouvez-vous rallier le soutien des professions dans la collectivité pour qu'ils embauchent des immigrants ou leur assurent une certaine formation? Est-ce que les syndicats de la construction dans votre collectivité sont prêts à embaucher des immigrants dans ce secteur? Y a-t-il des choses qui peuvent être faites localement pour progresser?
¹ (1515)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Qui veut s'attaquer à ces questions?
Mme Purnima Sen: Je vais essayer.
Merci, monsieur Pickard. Je pense que vous avez formulé quelques excellentes idées.
Pour ce qui me concerne, oui, nous pouvons faire toutes sortes de choses novatrices qui ne coûtent pas cher. Mon point de vue est peut-être obsolète dans la société d'aujourd'hui. Je viens d'Inde et je suis plutôt prudente.
Je trouve qu'il y a beaucoup de gaspillage dans la société. Il semble que tout le monde veuille du neuf et que tout doit être jetable, ce qui est réellement un grand gaspillage.
Il est possible de faire beaucoup de choses.
J'ai un groupe d'interprètes culturels qu'il faudrait informer et employer. Je dis cela car le nombre de bénévoles diminue graduellement. Je pense que dans toutes les provinces on constate une diminution brutale du nombre de bénévoles. Je crois que c'est vrai à l'échelle nationale.
Il n'y a pas non plus que les interprètes de langue, les interprètes culturels aussi peuvent aider, particulièrement dans le domaine de la santé et même de l'aide sociale. Ils peuvent mettre à jour des choses que l'échange de questions et réponses ne peut pas révéler. Au début, lorsque nous avions tous ces recruteurs, les enfants servaient souvent d'interprètes. Comme un enfant peut-il demander à la mère ou au père: «Comment se passe votre vie sexuelle?» C'est impossible.
Voilà donc certains de nos problèmes. Dans d'autres domaines, nous pouvons faire appel à des bénévoles, ou des membres de la famille, mais il y a des sujets très délicats où il faut réellement... Et même si nous avons des bénévoles, eux aussi ont besoin de formation. Il faudrait réellement organiser les choses à cause du manque de bénévoles. Moi-même, je suis trop prise par tous les autres problèmes.
Une autre chose qui me surprend toujours beaucoup, c'est le nombre de groupes de travail et de commissions d'études mis sur pied, qui n'aboutissent jamais à rien.
Je pose donc la question à Mme Ablonczy: Que va-t-il sortir de toutes ces réunions que vous tenez? Vont-elles déboucher sur quelque chose?
Merci.
M. Jerry Pickard: Je me contenterai de dire que c'est une très bonne question.
J'ai lu certaines des recommandations. Écoutez un instant. Prenons celle-ci, qui dit: «Un effort concerté devrait être fait pour améliorer les connaissances linguistiques de ce groupe et l'efficacité des programmes ALS actuels devrait être évaluée». C'est là l'énoncé académique type et quel effet aura-t-il? Zéro. Les gens répondront qu'ils savent ce qu'ils font.
Vous êtes venu ici avec des témoignages très émouvants sur le fait que les gens n'ont que deux heures d'enseignement de langue par semaine. Cela ne suffit pas. Cela n'aidera pas la personne à s'intégrer dans la société. Il n'est pas nécessaire d'évaluer un cours de deux heures. Il faut plutôt dire: «Vous ne faites pas votre travail». Du moins, c'est mon avis.
Je ne vous critique pas, ne vous méprenez pas. J'essaie d'aider. Mais lorsque je regarde les mémoires, il y a là six ou sept pages traitant de la misère et des difficultés auxquelles vous êtes confrontés et une demie page d'énoncés académiques très courts dont vous dites que ce sont vos recommandations.
À mon avis, votre recommandation devrait être 20 heures d'ALS pour tous ceux qui en ont besoin, chaque semaine. Concentrons-nous sur ce qui est requis et disons les choses comme elles sont.
Ne croyez pas que je vous critique. Simplement, je pense qu'il faut dire les choses carrément. Votre expérience est très importante pour nous tous.
¹ (1520)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Madame Berrigan, une courte réponse à cela. J'aimerais moi aussi poser une question.
Mme Lois Berrigan: Oui.
Puis-je préciser une chose ici? La personne qui a deux heures de cours d'anglais langue seconde par semaine, c'est l'élève à l'école. Les adultes ont cinq heures et demie par jour, cinq jours par semaine—de 9 heures du matin à 2 h 15 de l'après-midi.
Les adultes ont donc ce qu'il faut. Le seul cas où un adulte est empêché de suivre l'enseignement ALS c'est s'il a un enfant en bas-âge, car malheureusement notre garderie n'est pas en mesure d'accepter des enfants de moins d'un an. C'est un problème que nous cherchons à régler.
Donc, les adultes reçoivent plus de deux heures. Ce sont les enfants, les jeunes, qui reçoivent probablement moins de deux heures d'enseignement dans leur école.
Voilà ce que je tenais à préciser.
M. Jerry Pickard: Je peux peut-être vous éclairer moi aussi un peu.
J'ai passé 25 années dans l'enseignement. J'ai enseigné à des classes spéciales pendant 10 de ces 25 années. Je connais très bien les programmes ALS. Je sais que les enfants n'ont pas assez d'encadrement et de soutien en salle de classe. On les intègre dans les classes ordinaires alors qu'ils auraient besoin de beaucoup plus de services spécialisés au départ, ce qui permettrait des économies à plus long terme, comme vous l'avez dit.
Voilà donc les domaines auxquels j'ai consacré une bonne part de ma vie et que je connais. Dans mon conseil scolaire j'ai eu également beaucoup de contacts avec le volet adulte de l'enseignement ALS et je leur ai moi-même enseigné même après être devenu député. J'ai donc des connaissances dans ce domaine et je considère que nous ne faisons pas assez.
Je crois que c'est principalement par manque de volonté sociale. Nous nous heurtons à un obstacle. Les gens disent que les immigrants leur volent le travail. Quelqu'un a parlé de préjugés et de fermeture d'esprit. C'est une réalité dans notre société. Nous le savons tous.
Il faut surmonter cela et mettre en lumière les aspects positifs. Ces immigrants peuvent produire des richesses dans ce pays. Ils peuvent être le remède aux pénuries de main-d'oeuvre. Nous en aurons besoin au cours des dix prochaines années, si le Canada veut avancer.
Une personne a fait remarquer hier—et j'ai trouvé la réflexion très judicieuse—que les provinces qui absorbent le plus d'immigrants sont aussi celles qui connaissent la plus forte création d'emplois. Le nombre d'immigrants qu'une province absorbe est souvent l'étalon de son dynamisme économique.
Je pense que ce constat serait un bon argument de ventes, en particulier dans cette province.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci, monsieur Pickard.
Pendant le temps qu'il nous reste, j'aimerais poser brièvement une question à chacun d'entre vous.
Tout d'abord, madame Berrigan, vous avez dit que votre Association for New Canadians dispose d'un financement fédéral et provincial. Quelle est la proportion approximative du financement de chaque palier?
Mme Lois Berrigan: Désolée, je ne suis pas sûre. Je sais que la province finance notre programme d'aide à l'emploi. L'école CLIC est entièrement financée par le gouvernement fédéral, à ma connaissance. Désolée, ce n'est pas mon domaine. Je préfère ne pas donner de réponse dont je ne suis pas sûre.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Ne vous excusez pas. On nous a dit qu'il est difficile de faire une planification à long terme du fait qu'il faut présenter une demande chaque année pour le financement fédéral. Est-ce un problème pour votre organisation, à votre connaissance?
Mme Lois Berrigan: Il est vrai qu'il faut faire la demande chaque année. Je ne suis pas sûre... Désolée, je ne veux pas donner de réponse dont je ne suis pas sûre.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Il n'y a pas de quoi. Vous voudrez peut-être prendre note de la question et nous donner la réponse ultérieurement.
Vous avez indiqué dans votre mémoire que les nouveaux arrivants au Canada ont souvent des attentes irréalistes quant aux services d'établissement et de soutien disponibles. Pouvez-vous nous donner une idée de ce qu'ils attendent en général?
Mme Lois Berrigan: Certains comptaient obtenir une voiture. Lorsque je suis allée les chercher à l'aéroport, ils pensaient que la fourgonnette que je conduisais était la leur. On leur avait dit qu'ils auraient leur propre voiture. «Tout le monde au Canada a une voiture. Où est la mienne?»
¹ (1525)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Qui leur dit ce genre de chose?
Mme Lois Berrigan: Selon eux, les agents de visa outre-mer. Je ne peux affirmer que c'est le cas; c'était peut-être leurs voisins dans le camp de réfugiés, où parfois circulent toutes sortes d'histoires: «Savez-vous que tout le monde au Canada a une voiture». Ils oublient simplement de dire que nous devons tous les acheter et payer les traites pendant le restant de nos jours. Ce sont simplement des attentes irréalistes. Ce n'est qu'un exemple parmi les plus extrêmes.
Ils oublient aussi qu'ils doivent travailler pour réaliser leurs objectifs. Ils pensent que nous allons les aider—ce n'est pas le cas de tout le monde—que nous serons leurs serviteurs jusqu'à ce que... Vous voyez: «Je suis là maintenant, trouvez-moi un emploi». Malheureusement, ce sont des idées qu'ils amènent avec eux, qui ne proviennent pas nécessairement des agents de visa mais peut-être de leurs voisins dans le camp ou de rumeurs qui circulent.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Ou peut-être de conseillers en immigration qui se font payer pour faciliter les formalités. Peu importe la source, aussi folles que soient ces notions, on peut facilement imaginer la déception et la frustration lorsqu'ils s'aperçoivent que non seulement ces merveilleuses promesses ne sont pas vraies mais que les ressources qu'on leur alloue sont plutôt dérisoires. Il est bon que vous mettiez l'accent sur une meilleure communication car c'est une expérience très difficile, en sus de toutes les autres, de voir ces attentes déçues.
Mme Lois Berrigan: On a parfois aussi l'impression qu'ils utilisent Terre-Neuve comme porte d'accès au reste du Canada. Il leur est facile de dire, oui, j'irai à St. John's; et une fois que j'y serai je pourrai m'installer ailleurs—d'où la notion du voyage de deux heures en autocar jusqu'à Vancouver. J'ai du mal à convaincre la famille que c'était déjà un voyage de plus de deux heures en avion. Ils n'arrêtaient pas de dire: «Mais ma tante habite à Vancouver. Elle a dit que ce n'était qu'à deux heures de là». J'ai bien dû passer une heure à essayer de... J'ai sorti des cartes, pour leur montrer: «Vous êtes ici, et c'est là. Ce serait plus court pour rentrer chez vous». Mais tant qu'ils ne le voient pas par eux-mêmes, ils ne comprennent pas.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Pour ce qui est des allocations, je ne savais vraiment pas que leurs taux étaient si faibles, surtout pour les réfugiés. Il est incroyable que l'on compte que quelqu'un puisse survivre avec une telle somme. L'argument qu'on nous oppose en face est que si les taux de soutien étaient plus forts, ils seraient moins incités à se débrouiller par eux-mêmes. Autrement dit, c'est comme si l'adversité était le moteur de la réussite. Ce n'est peut-être pas entièrement faux. J'aimerais connaître votre position sur les niveaux de soutien.
Mme Lois Berrigan : Je pense réellement qu'ils sont trop faibles. Il est impossible de trouver un appartement de deux chambres à St. John's pour 433 $, sans même parler d'un appartement de quatre chambres. Un couple touche 433 $, et c'est le même montant pour une famille de dix. C'est injustifiable. Je sais que les taux provinciaux en tiennent compte.
Si je devais faire une recommandation, ce serait pour dire que, s'il faut absolument conserver le bas niveau, alors au moins ne récupérez pas le montant dès que quelqu'un trouve un travail. Laissez davantage d'incitation à chercher du travail. Actuellement, ils n'ont droit qu'à gagner 75 $ par mois. Ce n'est pas une grosse incitation à travailler.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Je vois que Mme Jeffrey est d'accord avec vous.
Je suis également tombé sur une étude, du Minnesota je crois, où on a entrepris un projet pilote permettant aux assistés sociaux de garder une partie du salaire s'ils travaillent. Je vais en prendre connaissance et communiquer l'étude aux autres membres du comité. D'autres ont préconisé cette solution, qui paraît rationnelle.
J'ai une dernière question pour vous. Vous avez tous dit que l'emploi est la clé de tout et vous parlez de la difficulté à trouver un niveau de confort social. Y a-t-il autre chose qu'il faudrait faire dans une province comme Terre-Neuve et Labrador où il n'y a pas d'importantes communautés ethnoculturelles, pour que les gens se sentent bien accueillis, à l'aise et bien acceptés par le milieu? Existe-t-il des stratégies dont nous n'avons pas encore fait état? D'autres ont émis des idées, mais avez-vous quelque chose de nouveau à nous proposer?
¹ (1530)
Mme Lois Berrigan: Hormis l'emploi—non. Nous faisons de notre mieux pour familiariser le public avec les différentes cultures et minorités. Nous cherchons à sensibiliser le public autour de nous à la condition des nouveaux arrivants. Nous avons des conférenciers qui vont dans les écoles pour faire comprendre au public local de quelle sorte de milieu proviennent ces immigrants.
J'ai l'habitude d'entendre dire: «Vous travaillez avec qui? Vous travaillez avec quoi? Vous les aidez? Ils n'ont pas d'emploi, et bien nous non plus». Les gens ne réalisent pas le vécu de ces gens. Il nous incombe donc d'informer le public autour de nous de ces situations. Les gens deviennent alors plus ouverts et plus accueillants.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): C'est certainement important.
Avez-vous tenté de mettre sur pied un programme de stages ou de jumelages?
Mme Lois Berrigan: Il y avait un programme de jumelage il y a quelques années.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Madame Quaicoe, vous avez décrit avec éloquence dans votre mémoire le coût humain résultant des insuffisances des services de soutien aux immigrants et des programmes d'immigration en général.
Vous avez probablement tous lu dans le Globe and Maild'aujourd'hui l'étude sur le déficit humain : le fait est que notre main-d'oeuvre rétrécit et que 70 p. 100 des nouveaux travailleurs au Canada proviennent de l'immigration. Cela souligne l'importance vitale pour tout le pays du travail que vous faites.
J'ai déjà posé cette question à Mme Berrigan. J'ai été frappé par ce que vous avez dit sur l'absence de l'appui que peut fournir une communauté ethnoculturelle et la manière de compenser ce manque. Pouvez-vous songer à autre chose qui n'a pas encore été dit qui pourrait compenser ce manque?
Mme Lloydetta Quaicoe: Je suis actuellement, comme je l'ai mentionné, présidente de la Multicultural Women's Organization. Nous essayons de mettre en contact autant que possible des natifs de Terre-Neuve et du Labrador et des membres de groupes ethniques. Donc, au lieu d'avoir des petits groupes homogènes, nous mettons tout le monde ensemble.
Vingt-cinq pays ou groupes ethnoculturels différents sont représentés dans notre association et nous organisons des activités dans la collectivité. Par exemple, tous les 29 mars, pour marquer la Journée internationale de la femme et la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale, nous organisons une vente de plats cuisinés et d'articles d'artisanat internationaux. Nous y invitons quantité de locaux et leur disons: Voici qui nous sommes et voici une partie de notre culture que nous aimerions partager avec vous. Nous espérons par ce biais nouer des relations et parvenir à une meilleure compréhension et des attitudes plus positives à l'égard des immigrants et réfugiés au sein de la société.
Je ne vois guère d'autre façon de s'y prendre, autre qu'accroître notre visibilité dans la société et de nous rendre disponible. Je pense que les locaux doivent constater de leurs yeux que nous voulons faire de ce pays notre foyer et que nous voulons vivre avec eux en paix et qu'ensemble nous pouvons oeuvrer pour le bien commun, qu'il ne faut pas nous considérer comme «ces immigrants» ou nous étiqueter et nous mettre à l'écart. Nous faisons tout notre possible au sein de notre organisation.
Je participe également et siège aux conseils de diverses autres organisations, car c'est là un autre moyen. Je fais du bénévolat dans les écoles ou les églises. Je siège au Refugee and Immigrant Advisory Council ainsi qu'à l'exécutif du NLHPS.
Certaines choses se font. Je sais qu'il y a des poches où les gens du cru acceptent volontiers les membres d'autres cultures parmi eux et, réalisant qu'ils ne sont qu'un tout petit groupe, cherchent à les aider.
C'est pourquoi j'ai réagi à la mention de M. Pickard concernant ce que nous pouvons faire concrètement. Le problème est que nous sommes peu nombreux.
Lorsqu'il faut demander des volontaires dans la communauté ethnique, ce sont presque toujours les même qui doivent payer de leur personne, car nous sommes peu nombreux. Mais il y a une limite au temps et aux ressources que l'on peut offrir. C'est pourquoi nous pensons parfois que si l'on nous aidait davantage, nous pourrions élaborer une vision et concrétiser certaines des idées.
Je vais dans les écoles, j'arpente les couloirs et je vois ces enfants qui ont grandi dans un pays où ils parlaient exclusivement l'arabe, et ils sont là depuis deux ans et ont toujours des difficultés; ils n'ont même pas d'amis, car il faut parler la langue pour communiquer. Si vous prenez les élèves du premier cycle secondaire, ils vivent déjà tellement de changements dans leur corps et lorsqu'on les voit marcher dans les couloirs la tête basse, vous savez qu'ils n'obtiennent pas de bonnes notes et cela vous brise le coeur.
Mais il est très difficile de les aider, car nous n'avons pas un grand bassin d'arabophones dans lequel nous pouvons puiser pour aller dans les écoles et aider ces élèves, ne serait-ce que pour traduire pour eux.
¹ (1535)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Eh bien, je comprends très bien cela et mes lectures disent bien que lorsque les enfants—et particulièrement les adolescents qui traversent déjà une période difficile—se heurtent régulièrement au ridicule et au rejet, cela les pousse en fait dans les bras des gangs et dans la délinquance, ce qui réduit pendant des années leur capacité à contribuer à la société ou même l'anéantit totalement.
Avez-vous eu du succès avec un système de compagnonnage, où on confie un immigrant ou un nouveau venu à deux ou trois enfants canadiens pour constituer un petit groupe de soutien?
Mme Lloydetta Quaicoe: La plupart des écoles ont ce système. Il n'est pas réellement structuré, mais s'il y a un enseignant ALS dans l'école, celui-ci collabore à cet effet avec l'enseignant principal. Mais lorsque c'est un enseignant itinérant, c'est beaucoup plus difficile car il n'est dans l'école que certains jours de la semaine. Ici, la rotation se fait sur un cycle de six ou sept jours. L'enseignante n'est donc là qu'un jour par semaine, et encore ce n'est jamais le même.
Les enseignants essaient donc de placer un enfant immigrant à côté d'un enfant local en classe. Mais, évidemment, cela suppose déjà avoir un enfant qui est prêt à le faire et qui est assez bon pour pouvoir aider, car cela enlève du temps à celui-ci pour son propre travail. Cela introduit également la perception qu'il faut toujours aider les immigrants et conforte des stéréotypes, lorsqu'il y a déjà des barrières linguistiques ou culturelles au sein de l'école.
Dans la plupart des écoles il y a des groupes d'entraide à la lecture, où l'on prend des élèves de cinquième ou sixième année que l'on met avec des petits du jardin d'enfant ou de la première année, ce genre de système. Mais le système de compagnonnage lui-même est laissé à la discrétion des écoles ou des enseignants individuels, il n'y a pas de structure établie au sein du système scolaire.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): J'ai parlé à beaucoup de gens comme vous qui travaillent d'arrache-pied pour aider à l'échelle humaine.
Madame Sen, j'ai juste une question pour vous. Vous avez fait un excellent exposé et d'autres membres vous ont posé quantité de questions. J'ai jeté un coup d'oeil sur vos recommandations. Vous indiquez que les Néo-Canadiens sont inquiets face au projet de carte d'identité nationale et à la nouvelle Loi sur la citoyenneté. Pourriez-vous nous faire part de la nature de ces craintes?
Mme Purnima Sen: Je suis surtout préoccupée parce qu'il semble que ce soit presque ciblé sur un groupe en particulier, d'après ce que j'ai lu et entendu aux nouvelles. J'ai quelques amis qui viennent d'un pays musulman et ils sont très troublés. Ils sont par ailleurs très bien acceptés et traités ici. Mais si vous prenez quelqu'un comme le médecin dont Donna a parlé, qui est là depuis six ans et vient d'un pays du Moyen-Orient, s'il doit subir de nouveau toutes ces perturbations, cela pourrait le démolir.
Voilà certaines craintes. D'autres s'inquiètent pour la protection de la vie privée, le fait que tout le monde aura accès à nos renseignements personnels. Il y a aussi la perspective que seul un groupe devra être muni de cette carte d'identité, que ce sera obligatoire pour eux, alors que les citoyens pourront s'en passer. Si l'on va faire du profilage racial, tout le monde sait qui sera la cible, et que les gens soient citoyens ou non, ils devront l'avoir sur eux.
Je me souviens que lorsque toute cette panique sécuritaire a commencé, il y avait un médecin de l'Institut neurologique de Montréal qui devait se rendre à une conférence aux États-Unis. Il a demandé si on allait prendre ses empreintes digitales, le photographier, et on lui a répondu oui, que ce serait obligatoire parce qu'il vient du Moyen-Orient. Il a décidé dans ces conditions de ne pas aller à la conférence.
¹ (1540)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Ils voient donc déjà un autre cauchemar bureaucratique se profiler devant leur porte. Il importe que nous en ayons conscience.
Enfin, madame Jeffrey—et nous aimerions tous avoir plus de temps—je vous félicite d'avoir soulevé la question de la discipline. Beaucoup d'autres personnes dans votre situation qui travaillent avec les nouveaux arrivants au Canada m'en ont parlé aussi. C'est un sujet délicat, car cela met en jeu tout le conformisme politique. Il faut quand même en parler, car cela ébranle respect et la stabilité coutumiers au sein de l'unité familiale. Il est problématique d'exiger l'abolition de ces coutumes du jour au lendemain, particulièrement si on va les remplacer par une situation où les enfants pensent pouvoir rejeter et flouer totalement l'autorité parentale, parce qu'ils n'auront pas été accoutumés à cette liberté dans le contexte d'une éducation canadienne comme l'ont reçue nos enfants. Il faut bien en avoir conscience.
Je ne sais pas quelles sont les solutions et peut-être n'en avez-vous pas non plus. Nous ne voulons certes pas que les enfants subissent de sévices au Canada, mais il faut tout de même faire preuve d'une certaine sensibilité. Je vous remercie donc d'avoir évoqué le problème.
Par ailleurs, et là je m'adresse à vous tous, la reconnaissance des diplômes est un sujet qui revient sans cesse. Le ministre l'a soulevé pour la première fois lors d'une conférence fédérale-provinciale en octobre, à Winnipeg. Les premiers ministres et le ministre, je crois, ont mis sur pied un groupe de travail. Mais j'aimerais savoir si quelque chose pourrait être fait à votre niveau pour commencer à faire pression sur les ordres professionnels, les associations patronales et syndicales et leur faire comprendre—et quelqu'un l'a mentionné—qu'ils se font du tort eux-mêmes, qu'ils font du tort à la province, qu'ils gaspillent les ressources, qu'ils perdent les cotisations qui pourraient entrer dans leurs caisses en ne s'ouvrant pas davantage.
Avez-vous fait cela, ou bien pourrait-on faire plus à votre niveau?
Mme Donna Jeffrey: Je travaille là-dessus depuis mon arrivée, surtout dans le domaine médical. J'étais plutôt innocente et je pensais que c'était merveilleux, que nous avions justement besoin de médecins... Eh bien après six années de lutte...
Ce n'est vraiment pas facile. Je sais qu'à l'échelle nationale le Conseil canadien pour les réfugiés travaille là-dessus dans tout le Canada. Comme je l'ai dit, ce n'est pas seulement un problème local, mais il est particulièrement aigu ici dans le domaine médical, où nous avons besoin de médecins et où les médecins immigrants ne parviennent pas à se faire accepter.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Eh bien, sachez que notre comité a soulevé ce problème dans tous les rapports que nous avons adressés au gouvernement ces dernières années et que nous continuerons à insister. Nous savons que c'est un problème énorme. Je n'ai pas idée pourquoi les progrès sont si lents. La solution semble tellement évidente.
Mme Donna Jeffrey: Oh, oui.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Personne ne va être pénalisé si l'on règle le problème. Quoi qu'il en soit, c'est l'une des frustrations que connaissent les élus: parfois, rien ne marche.
La dernière chose que j'aimerais mentionner, madame Jeffrey, concerne votre idée d'organiser des classes d'accueil pour les enfants nouvellement arrivés. A-t-on jamais cherché à placer les enfants canadiens dans la situation inverse—autrement dit, leur faire vivre l'expérience où eux-mêmes arrivent dans un cadre culturel où ils ne connaissent pas la langue ni les attentes culturelles. On organise ces «veilles de famine» où les jeunes apprennent ce qu'est la vie dans un pays du tiers-monde. C'est un peu la même chose, vous mettez les enfants dans une situation où ils ressentent pour la première fois la désorientation complète qu'ont vécue leurs camarades à leur arrivée au Canada. Avez-vous jamais entendu parler de quelque chose du genre, ou pensez-vous que ce soit utile?
¹ (1545)
Mme Donna Jeffrey: Je ne connais rien du genre avec des enfants. Et vous?
Mme Lloydetta Quaicoe: Non, moi non plus. Mais j'ai écrit, produit et mis en scène une pièce et invité tous les élèves de la ville à y assister. Elle traitait d'un nouveau qui arrivait dans une école et de toute sa difficulté à s'intégrer et être accepté. La pièce a reçu très bon accueil. Lorsque j'ai l'occasion d'aller dans les écoles, par exemple lors des semaines pédagogiques, j'essaie de concevoir un scénario pour eux pour leur montrer ce que se serait de se retrouver au milieu de la Russie, par exemple, où personne ne comprendrait l'anglais et où leurs parents seraient perdus et devraient survivre. Il serait logistiquement difficile de les emmener physiquement dans un autre pays, mais on peut présenter la situation sous forme théâtrale—un médium tel qu'ils puissent s'identifier avec l'autre, l'accepter et le comprendre.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Par exemple, on demande parfois aux députés de se livrer à un jeu de rôle et de faire comme s'ils étaient frappés d'invalidité. On suit un invalide pendant toute une journée et on se rend compte qu'être assis dans un fauteuil roulant toute la journée et d'essayer de se déplacer n'est pas exactement une partie de plaisir. On réalise mieux. C'était juste une idée.
Mme Donna Jeffrey: Nous faisons cela avec des adultes. C'est un programme où on nous place nous, les adultes, dans le rôle d'un nouvel arrivant dans le pays. C'est un programme spécial qui a été lancé à Halifax par MISA. Il s'appelle Bridging the Gap. C'est moi qui avait organisé le jeu, où une personne était assise à un bureau et jouait le rôle de l'agent d'immigration qui décidait de votre admission et les autres personnes avaient rendez-vous avec lui pour un entretien. Et je suis devenue une des candidates—alors que c'est moi qui avait tout organisé!
Ils m'ont dit d'enlever mes chaussures et d'attendre. J'étais madame une telle, mariée et mère de x enfants, et j'espérais que mon histoire tenait debout. Je n'en croyais pas mes yeux lorsque je suis entrée. Ce qui était très intéressant, c'est que la femme à qui j'avais donné le rôle de l'agent d'immigration venait elle-même de Chine—la femme la plus charmante du monde—et soudain... Ils m'ont fait enlever mes chaussures. Je ne voyais pas pourquoi, mais j'étais à l'extérieur et j'attendais, j'attendais. Lorsqu'on m'a finalement fait entrer, je me souviens avoir ressenti de la peur. J'étais réellement nerveuse.
J'avais beau me dire que ce n'était qu'un jeu, une telle chose ne m'était jamais arrivée et je me suis dit «Pas étonnant qu'ils répondent parfois de travers aux questions lors de l'entretien avec l'agent». Autrement dit, des erreurs de jugement peuvent être commises rien que parce que les gens sont terrifiés face à l'agent de visa.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Je conçois cela.
Eh bien, cela a été très intéressant. Nous avons pris un peu de retard sur l'horaire car vous étiez quatre et nous avions tant de choses à discuter, mais nous allons faire une pause de quelques minutes le temps que le témoin suivant prenne place.
Merci beaucoup d'être venus. Nous avons grandement apprécié la contribution de chacun d'entre vous.
Nous allons suspendre la séance quelques minutes.
¹ (1548)
¹ (1555)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Très bien, nous reprenons. Déjà notre séjour à Terre-Neuve et Labrador nous a beaucoup éclairé et appris.
Notre prochain témoin est un monsieur qui nous sera utile comme expert, particulièrement s'agissant de nos questions et préoccupations concernant le projet de loi C-18, la nouvelle Loi sur la citoyenneté. Je souhaite la bienvenue à M. Summers.
Merci de nous consacrer une part de votre temps précieux. Je sais que vous étiez en tribunal ce matin et que vous êtes un homme occupé, mais nous pensons que vous pourrez nous aider.
J'aimerais que vous nous fassiez part d'abord de vos états de service, ce qui montrera aux membres en quoi vous pouvez nous aider, ensuite de quoi nous aurons avec vous une discussion, plus précisément sur la loi. Vous aurez peut-être également quelques avis sur la nouvelle carte d'identité nationale, mais c'est une question secondaire.
M. Nick Summers (À titre individuel): Merci.
Pour ce qui est de mes titres, sachez tout d'abord que je suis, comme vous l'avez dit, avocat. Cela fait 13 ans que je plaide des affaires d'immigration et de réfugiés sous le régime de diverses lois et règlements. Je suis également à l'heure actuelle vice-président national du Conseil canadien pour les réfugiés.
Lorsque le comité a décidé ce voyage, on m'a contacté pour me demander si je pourrais comparaître comme témoin. On m'a demandé de parler des recommandations que le CCR vous a déjà formulées, mais selon l'optique de la région Atlantique. Je dois avouer que je n'y parviens pas car les sujets qui me préoccupent le plus, ainsi que le CCR—j'ai contribué à rédiger le mémoire que vous avez déjà—sont d'envergure nationale et n'ont pas réellement d'impact régional. Les répercussions sont toutes de portée nationale.
Je n'ai pas rédigé de nouveau mémoire. Comme M. Pickard l'a mentionné, nous n'avons pas besoin de plus d'avocats. Eh bien, nous n'avons pas non plus besoin de plus de mémoires d'avocats disant la même chose. J'ai pensé que ce ne serait pas un usage constructif de votre temps que de lire une nouvelle mouture de ce qui vous a déjà été communiqué. Je me présente donc à vous plutôt comme une personne-ressource. Si vous avez des questions sur lesquelles vous aimeriez me sonder en ma capacité de vice-président du CCR et d'avocat qui s'occupe de ces questions depuis très longtemps, je me ferai un plaisir d'y répondre ou de participer à une discussion. Je résumerai volontiers les positions du CCR, mais vous les connaissez déjà, comme je l'ai dit, et je ne veux pas vous faire perdre votre temps en répétant ce que vous savez déjà.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Monsieur Summers, nous avons la copie du mémoire que le CCR a présenté au comité en novembre. Il serait peut-être utile que vous mettiez en lumière les recommandations qui vous paraissent les plus importantes. Si vous pouviez nous indiquer les deux, trois ou quatre prioritaires, cela nous donnerait une idée de votre optique.
M. Nick Summers: Certainement.
Eh bien, voyons. Il y a d'abord les dispositions de la nouvelle loi qui prévoient que les enfants nés à l'étranger puissent perdre leur nationalité canadienne, ou s'ils sont de deuxième génération, ne peuvent l'obtenir à moins de la demander avant un certain âge.
Notre crainte ici est que la loi ne tient pas compte du fait qu'il peut en résulter l'apatridie. Mais c'est tout à fait possible et nous esquissons dans le mémoire quelques scénarios. Ainsi, une personne ayant passé presque toute sa vie au Canada mais n'y étant pas née—de nos jours, beaucoup de gens séjournent de nombreuses années à l'étranger pour des raisons professionnelles ou autres—pourrait se retrouver tout d'un coup apatride parce qu'elle n'était pas informée d'une irrégularité quelconque dans sa citoyenneté.
On a eu des cas récents de problèmes causés par une disposition différente de l'ancienne loi. Nous pensons que la nouvelle loi pourrait susciter des problèmes similaires. Nous estimons qu'il faudrait à tout le moins inscrire dans la nouvelle loi une disposition dérogatoire disant que les autres dispositions ne s'appliquent pas dans les cas où elles entraînent l'apatridie. Le Canada est signataire de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie et, à ce titre, ne devrait pas promulguer de loi pouvant créer des cas d'apatridie.
Dans le même ordre d'idées, un article de la nouvelle loi—je crains de ne pouvoir vous le citer par coeur—dit qu'une personne qui est apatride—il y a une mention de l'apatridie dans la loi—doit toujours avoir été apatride. Eh bien, il y a un nombre croissant de personnes dans le monde qui ne sont pas nées apatrides mais qui le sont devenues pour des raisons indépendantes de leur volonté.
L'exemple le plus fréquent est celui de l'ancienne Union soviétique. J'ai vu dans mon cabinet ici, à Terre-Neuve, un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié venant des États baltes. La plupart d'entre eux étaient des Russes d'origine qui n'étaient plus tolérés dans ces pays mais qui n'étaient pas non plus acceptés en Russie parce qu'ils n'y ont jamais vécu. Ils étaient nés en Estonie ou en Lettonie, et lorsque ces pays ont réagi contre les politiques de russification poursuivies au fil des ans, ils ont dit aux Russes qu'ils n'étaient plus les bienvenus.
Nous demandons que la loi reflète cette réalité et que l'on modifie la disposition de la loi définissant l'apatride comme une personne ayant toujours été apatride.
Le plus gros problème, et de loin, que présente la nouvelle loi est l'absence de garanties de procédure pour les personnes risquant de perdre leur citoyenneté. Plusieurs articles sont concernés. La citoyenneté peut être enlevée à quelqu'un pour fausse déclaration. Le ministre peut annuler la citoyenneté de quelqu'un dans les cinq années après l'attribution. Et il y a le refus d'attribution de la citoyenneté.
Dans chaque cas, les garanties de procédure laissent à désirer. Dans le cas de l'annulation de la citoyenneté, le seul critère est que le ministre soit convaincu qu'il y a eu fausse déclaration ou quelque autre inconduite. Eh bien, que signifie «être convaincu»? Quelle est la norme de preuve? La loi prévoit un contrôle judiciaire à cet égard, mais la jurisprudence concernant la notion de conviction établit un seuil très bas.
Nous disons que l'on introduit différentes catégories de citoyens, chacune avec des droits différents. Un Canadien né au Canada jouit de garanties de procédure et peut intenter un recours en justice. Mais la personne qui a été naturalisée—on l'a acceptée comme citoyen—peut voir sa nationalité annulée sur simple décision du ministre.
º (1600)
C'est le ministre qui décide. Ce sont les fonctionnaires du ministre qui instruisent le dossier. On remet à la personne un résumé des allégations contre elle, et elle a la possibilité de répondre. Mais c'est le ministre qui décide. Donc, dans la pratique, le ministre est à la fois procureur et juge. Nous considérons cela comme une procédure inéquitable. Il faudrait au moins mettre en place une procédure quasi judiciaire de façon à éviter les conflits d'intérêt.
En ce qui concerne le refus d'attribution de la citoyenneté, les choses sont encore moins claires. Il y a une vague formule disant que le gouverneur en conseil ou le cabinet peut refuser la citoyenneté si la personne a fait preuve—j'essaie de me souvenir du libellé exact—d'un grave mépris à l'égard des valeurs du Canada. Là encore, pas de recours possible. Vous ne pouvez traîner le cabinet devant la Cour fédérale pour contester la décision. La personne n'a communication que d'un résumé des allégations contre elle et peut y répondre, mais sans audience. Encore une fois, il y a absence de recours. Or, nous parlons là de citoyens ou de personnes qui à tous les autres égards ont mérité le droit de devenir citoyens, et nous pensons qu'ils devraient bénéficier de garanties de procédure.
Je pense avoir rassemblé toutes nos recommandations dans ces deux grandes catégories. Les autres sont plutôt mineures.
º (1605)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Il est utile que vous nous les présentiez en vous fiant à votre mémoire car nous avons ainsi l'assurance que ce sont les plus frappantes. Je peux vous assurer que les membres du comité ont aussi soulevé ces objections.
Pour explorer ces questions plus avant, je vais donner d'abord la parole à Mme Dalphond-Guiral.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Bonjour, monsieur Summers. Vous n'êtes pas sans savoir que le projet de loi C-18 qui, dans l'ensemble, n'est pas une mauvaise loi, contient quand même des éléments qui nous préoccupent particulièrement, notamment tout ce qui concerne la révocation de la citoyenneté et ces articles qui donnent beaucoup de pouvoir aux ministres et en font perdre beaucoup aux citoyens mis en cause.
Le Canada est un État de droit où la procédure d'appel existe. Actuellement, à Montréal, il y a le fameux procès des Hells Angels, et je suis convaincue qu'ils vont avoir le droit d'aller en appel. Ils pourront même se rendre jusqu'à la Cour suprême. Tout le monde reconnaît que ce ne sont pas des gens très gentils. Alors, qu'une loi entérine la perte du recours en appel me préoccupe beaucoup. Ici, on n'a plus la peine de mort depuis longtemps, mais on sait qu'il y a eu, dans les pays qui l'appliquent, des cas d'erreurs judiciaires. Mais quand on est mort, on est mort pour longtemps.
Alors je me demande si, comme société, on a le droit d'accepter ça sous prétexte qu'il y va de la sécurité de l'État. Depuis le 11 septembre, je pense qu'il faut être bien naïf pour croire que la sécurité de l'État ne va pas devenir extrêmement élastique et que tout cela ne va pas dépendre de l'humeur du moment de nos voisins, les Américains. On sait qu'en ce moment, ils sont d'humeur un peu fâcheuse. Nous sommes de plus en plus à la merci des grands de ce monde, et si nos lois ne protègent plus les citoyens, je pense que nous pourrons assister à toutes sortes d'excès.
Vous êtes un avocat et donc, un légiste, en quelque sorte. Est-ce que vous pouvez me donner des exemples de lois sur la citoyenneté dans d'autres démocraties où effectivement l'État, le premier ministre, disposent d'un tel recours dans la révocation de la citoyenneté?
[Traduction]
M. Nick Summers: Je ne connais pas d'autre État. Je ne prétends pas connaître le droit en matière de citoyenneté de chaque pays. J'ai examiné les lois étrangères en la matière pour une raison ou une autre dans le courant de ma carrière juridique et de mon travail avec les immigrants et réfugiés. Je ne connais aucun cas où le pouvoir exécutif disposerait de ce pouvoir de révocation de la citoyenneté. Je n'affirme pas qu'il n'en existe pas, mais je n'en connais pas.
Je vous remercie d'avoir soulevé un aspect important de tout cela que je n'avais pas mentionné. Le problème n'est pas seulement la révocation de la citoyenneté, mais celle-ci conduit souvent automatiquement vers l'expulsion. Très souvent, la révocation de la citoyenneté est le premier pas vers l'expulsion. On ne parle donc pas ici seulement d'un droit éthéré à la citoyenneté et à ce qu'elle représente. Il y a là des conséquences très réelles pour ces gens. Ils seront expulsés du pays et renvoyés dans leur pays d'origine ou celui de leurs ancêtres, sans se demander ce qui les attend là-bas, et il pourrait bien s'agir de réfugiés ou d'anciens immigrants qui ont fui l'oppression.
Cela nous ramène au fait que nous appliquons certaines valeurs ici, au Canada. La plupart des Canadiens ont des droits inhérents qui ne peuvent leur être enlevés. Une fois que vous êtes citoyen, vous êtes citoyen. Donc, si vous édictez une loi permettant d'enlever la citoyenneté, il faut réellement prévoir des mécanismes solides pour éviter les erreurs.
Comme je l'ai dit, dans l'atmosphère actuelle de crainte sécuritaire, ce n'est probablement pas le meilleur moment d'introduire ce genre de loi, car il y a cette peur paranoïaque, ce désir de les faire partir du Canada le plus vite possible—ne donnons pas aux terroristes plus qu'ils ne méritent... ne les aidons surtout pas. Mais on ne peut raisonner ainsi lorsque la citoyenneté est en jeu. Il faut considérer un citoyen comme un citoyen.
º (1610)
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Dans un des articles concernant la révocation, on fait référence à l'acceptation comme preuve d'éléments qui ne seraient pas acceptés comme preuve dans les autres tribunaux. Comment peut-on justifier d'utiliser comme preuve ce qui n'est pas acceptable? Il y a là quelque chose qui heurte le bon sens et la logique.
Avez-vous des exemples de situations comme ça? J'imagine qu'il y en a eu dans tous les États totalitaires, mais je ne pense pas que c'est ce que le Canada veut devenir. Ce n'est certainement pas l'objectif du gouvernement, ni de la population, ni du Parlement, bien sûr.
[Traduction]
M. Nick Summers: Comme avocat pratiquant beaucoup le droit administratif, je suppose que je suis accoutumé au fait que ces règles de preuve strictes peuvent être et sont contournées aux fins de la justice ou de la commodité. Je ne suis pas toujours d'accord, mais je peux admettre que parfois les règles de preuve strictes ne sont pas la meilleure chose.
Cependant, comme nous l'avons dit dans notre mémoire, il est inacceptable que le sujet n'ait même pas le droit de connaître les preuves retenues contre lui. Il suffit déjà que des preuves qui ne seraient pas acceptées dans un tribunal soient utilisées par les décideurs, mais la personne qui va perdre sa citoyenneté n'a communication de rien de plus que d'un résumé du dossier. Elle n'a pas le droit de voir la preuve elle-même, d'entendre les accusateurs ni de contester, autrement que de façon générale, les allégations formulées. À mon sens, le droit de répondre directement aux preuves présentées contre vous et d'avoir communication de ces dernières est un ingrédient tout à fait fondamental du système canadien.
Je formule les mêmes objections à cette loi qu'à d'autres lois relatives à la sécurité. Comme vous le savez probablement, celle-ci n'est pas la seule loi qui autorise à cacher la preuve et qui introduit des tampons entre la source de l'information et la personne accusée. Cela me préoccupe beaucoup car les immigrants et les réfugiés sont souvent ceux qui pâtissent.
º (1615)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci, madame.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Selon votre expérience, pensez-vous que si le projet de loi C-18 était adopté sans amendements à ces articles-là, il réussirait le test de la Charte canadienne des droits et libertés, ou ces articles-là seraient-ils déclarés inconstitutionnels? Vous allez me dire que ça dépend des juges.
[Traduction]
M. Nick Summers: Vous avez raison, cela dépend évidemment beaucoup du juge, encore que j'ai grande confiance en la Cour suprême du Canada. Heureusement, elle comprend neuf juges, si bien que l'on est raisonnablement assuré d'une décision raisonnée.
Les tribunaux dans le passé ont autorisé ce genre de comportement, de règles de preuve lorsqu'il y a une bonne raison. La Constitution est toujours assujettie à une considération primordiale pouvant justifier la privation de droits. Il appartient justement aux tribunaux de déterminer si les motifs sont valides.
En l'occurrence—et encore une fois ce n'est que mon avis juridique—le gouvernement aurait beaucoup de mal à justifier le bien-fondé de ces dispositions. Il aurait du mal à justifier la privation d'un droit aussi fondamental pour des raisons qui, à ce stade, sont hypothétiques. Elles peuvent paraître importantes aux yeux des rédacteurs de cette loi, étant donné le climat de terrorisme et d'insécurité, mais dans l'ordre général des choses, si la Cour adopte une perspective à long terme—et j'espère qu'elle le fera—je crois qu'elle conviendra que ce type d'abrogation des droits des citoyens n'est pas nécessaire et que des recours doivent être accordés. J'espère avoir raison.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): C'est intéressant. Et c'est votre avis jusqu'à ce que vous soyez nommé à la Cour suprême, n'est-ce pas?
M. Nick Summers: Personne ne m'a appelé et je suppose donc que ma nomination se fera encore attendre.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci.
M. Pickard souhaite avoir quelques mots avec le témoin.
M. Jerry Pickard: Merci beaucoup.
Je comprends votre préoccupation et le moment actuel n'est peut-être pas le plus propice à un débat sur la question.
Le Canada, sauf erreur, est membre des Nations Unies. Nous sommes signataires de la Convention sur le statut de réfugié. Si l'on va expulser quelqu'un du Canada, nous devons veiller à ce que ce ne soit pas vers un pays où cette personne sera en danger. Et très franchement, sur cette base n'importe qui peut empêcher une expulsion. Je pense donc que la Charte des Nations Unies règle déjà le problème.
L'autre point un peu plus contestable est le fait que toutes les preuves ne seront pas révélées dans certaines audiences. Le cas, en particulier... Et vous savez exactement quelle en est la raison: ces renseignements pourraient bien mettre en danger autrui ou la sécurité du pays.
C'est peut-être un argument difficile à défendre, c'est vrai, mais il me semble que laisser ce jugement aux soins de personnes qui sont après tout bien intentionnées, qu'il s'agisse du Cabinet—qui ne pourra faire autrement que peser très soigneusement ses actes... Qui que ce soit, ce sont certainement des gens bien intentionnés. Qu'il s'agisse d'un juge ou d'un ministre, je ne suis pas sûr qu'ils voudraient exposer quelqu'un à risque ou lui nuire sans posséder des indications claires d'un problème. Il me semble que des décideurs bien intentionnés, à ce niveau, réfléchiront soigneusement et voudront s'assurer de prendre la bonne décision.
Là encore, il faut mettre en balance le droit d'un accusé à connaître les preuves et le droit de la société et de personnes travaillant pour cette société de ne pas être exposés au danger. Cela me paraît une considération primordiale.
Lorsqu'on parle de preuve dans une telle situation, il me semble que l'on ne parle pas d'une simple norme, de quelque chose à prendre à la légère. C'est quelque chose de très sérieux. Cela se retrouve déjà dans d'autres lois, comme vous l'avez mentionné.
Il sera intéressant de voir ce qui sortira d'une contestation éventuelle, mais les juristes du ministère pensent clairement que cela est constitutionnel. Je sais que lorsqu'on met dix avocats dans une pièce, on en ressort avec 15 opinions différentes. C'est vrai. Mais il semble que les juristes du ministère considèrent que l'on peut faire cela, et ce en bonne conscience. Donc, encore une fois, il y a des opinions divergentes à cet égard et peut-être y aura-t-il contestation.
L'autre question est la révocation de la citoyenneté. Là encore, c'est quelque chose de très grave. Si une personne acquiert une voiture par quelque agissement illégal ou mensonge—sans vouloir trivialiser—et que l'on s'en rend compte ultérieurement, est-ce que l'on ne pourrait pas déposséder la personne de la voiture? C'est un exemple simpliste. La citoyenneté n'a rien de simpliste mais je pense que la société agirait ainsi.
La difficulté, dans les affaires de citoyenneté, est que la révocation intervient lorsque la personne l'a acquise par des moyens illégaux—c'est rare, mais cela arrive. Est-ce que l'État doit alors dépenser des millions de dollars pour se défendre à la Cour suprême du Canada alors même que les faits sont très évidents?
º (1620)
J'imagine que les gens du ministère se disent que de toute façon les cas flagrants sont peu nombreux. C'était d'ailleurs une autre question soulevée: pourquoi n'intente-t-on pas plus souvent des poursuites dans les cas de ce genre? C'est à cause du coût énorme que cela représente. Habituellement, ces affaires aboutissent en Cour suprême à un coût énorme pour le contribuable canadien.
Est-ce que nous, dans un État comme le Canada, pouvons donner une certaine latitude à des responsables qui agissent dans l'intérêt général? Peut-on leur laisser la moindre latitude? C'est réellement là la question que soulève cette loi. On peut certes affirmer catégoriquement les droits de tout un chacun, et je sais que vous n'y manquerez pas. Mais je pense qu'il faut peser les droits de l'individu à la lumière du coût pour la société et se demander s'il n'y a pas des dérogations à faire dans certains cas pratiques. Il y a un équilibre à trouver. Voudriez-vous parler de cet équilibre?
M. Nick Summers: Oui, je vais répondre à certains de vos arguments.
Premièrement, nous ne prenons pas pour position qu'il ne faut en aucune circonstance révoquer la citoyenneté de quelqu'un. Vous avez raison, certains ont obtenu la citoyenneté canadienne de manière frauduleuse et ne la méritent pas.
Nous disons en revanche qu'il est dans l'intérêt de tous les citoyens canadiens, si l'on va révoquer la citoyenneté, de le faire correctement, avec les garanties de procédure. On peut considérer que tel ou tel cas est flagrant, alors pourquoi gaspiller des millions de dollars pour suivre toute la procédure? Je ne dis pas que toutes les affaires vont coûter un million de dollars, mais que faisons-nous si à un moment donné il se produit un cas beaucoup moins flagrant?
Pour sortir du domaine de l'immigration, où à l'heure actuelle le recours n'existe pas, et considérons une affaire pénale, tout le monde pensait que Guy Paul Morin était coupable. Mais des erreurs ont été commises. Si nous n'avions pas de contrepoids dans le système—c'est-à-dire des recours en appel et un examen judiciaire des faits—lui-même et beaucoup d'autres dans des situations similaires croupiraient encore en prison. Les erreurs judiciaires existent.
La façon canadienne de faire les choses est de prévoir des recours permettant de repérer ces erreurs. Nous disons que dans la Loi sur la citoyenneté, aucun de ces contrepoids n'existe. La citoyenneté peut être révoquée sur la seule conviction du ministre, sur la foi de preuves qui ne sont pas communiquées à la personne qui va perdre sa citoyenneté. Les preuves sont présentées au ministre par ses propres fonctionnaires, et il prend la décision. Sa décision, si elle peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire, ne peut pas être portée en appel devant un tribunal; le juge ne peut lui substituer sa propre décision. Il peut simplement juger si le ministre a pris ou non sa décision de bonne foi et si sa conviction a été correctement acquise.
À mon sens, cela ne suffit pas. Nous parlons là de droits fondamentaux—les droits du citoyen—et en priver quelqu'un est une chose très grave. Il faut prévoir une protection.
Pour vous donner un autre exemple, il pourrait sembler que le cabinet prive quelqu'un de sa citoyenneté en raison de ses condamnations pénales antérieures, ce qui est l'un des motifs de la refuser initialement. Mais je sais aussi, et j'ai eu beaucoup de clients dans ce cas, que dans certains pays on utilise la justice pénale comme un outil de persécution. On accuse les gens de meurtre, on les condamne pour meurtre, on les condamne pour crime grave contre la propriété ou pour des viols qui sont de pure invention. Pourtant, ces gens n'auront jamais l'occasion de se défendre, de faire valoir que oui, ils ont une condamnation mais sont néanmoins admissibles à la citoyenneté canadienne.
Sans vouloir ressortir le vieux cliché, mais Nelson Mandela a passé 20 ans en prison pour des crimes, et pourtant nous en avons fait un citoyen honoraire parce que nous avons reconnu que les crimes dont il a été accusé et pour lesquels il a été emprisonné étaient une fabrication, une méthode de persécution. Rien dans ce projet de loi ne protège la personne contre ce genre de choses—ou du moins pas suffisamment.
J'aimerais pouvoir considérer comme vous que le gouvernement, le cabinet et le ministre ne commettent jamais d'erreur.
º (1625)
M. Jerry Pickard: Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Nick Summers: Je sais que vous ne l'avez pas dit. Désolé; j'exagère.
M. Jerry Pickard: Vous avez parlé d'erreurs judiciaires, pas de...
M. Nick Summers: Les tribunaux commettent des erreurs aussi.
Je dis que malheureusement tout le monde commet des erreurs. Tout organisme en commet. Parfois, selon mon expérience, des décisions préjudiciables sont prises en connaissance de cause pour des raisons politiques ou par opportunisme.
Pour donner un exemple récent, je ne sais pas dans quelle mesure le comité est informé du refoulement à la frontière américaine, mais le ministre et ses fonctionnaires ont pris il y a trois semaines une décision qui fait que déjà des centaines de personnes sont emprisonnées aux États-Unis, pour une durée indéfinie, parce qu'elles se sont présentées à la frontière canadienne pour présenter une demande de statut de réfugié. On les a refoulées à la frontière, leur a dit de revenir dans trois ou dix jours, et lorsqu'elles ont repassées dans l'autre sens au poste frontière américain, on les a placées en détention et elles y sont toujours.
Donc, désolé, mais le ministre malheureusement prend des décisions, parfois pour des raisons politiques, qui, du moins dans mon esprit, ne sont pas conformes à la justice fondamentale. Moi-même et mon organisation n'aimons pas l'idée que le ministre soit le juge dans des affaires où des droits fondamentaux sont en jeu, sans le moindre contrepoids, sans recours en justice.
º (1630)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci, monsieur Pickard.
Ce sont là des enjeux importants et d'autres ont mentionné que lorsque nous légiférons, il ne faut pas le faire sur la base de notre confiance dans les bonnes intentions du ministre, ou du cabinet ou du ministère, mais en préservant plutôt notre principe démocratique de la justice naturelle et sans opter vers ce que l'on appelle parfois la justice du palmier ou celle de l'ancienne Chambre étoilée, où un petit groupe prend des décisions mettant en jeu littéralement la vie d'autrui.
Au cours des deux ou trois minutes qui nous restent, j'aimerais avoir votre avis sur l'article 21 du projet de loi, qui donnerait au ministre le pouvoir de refuser la citoyenneté à une personne ayant «fait preuve d'un grave mépris à l'égard des principes et des valeurs sur lesquels se fonde une société libre et démocratique». En tant qu'avocat pouvant être appelé à défendre quelqu'un ainsi accusé, si cette disposition est adoptée—et je n'en doute pas—, quelle interprétation donnez-vous à ces mots?
Nous savons qu'il n'y aura pas de règlement pour préciser le sens de cette disposition. En tant qu'avocat appelé à défendre des personnes touchées par cette disposition, que feriez-vous? Pensez-vous qu'elle est suffisamment explicite et objective pour autoriser une procédure en règle et préserver les principes de la justice naturelle?
M. Nick Summers: Ma première préoccupation serait de savoir comment obtenir une audience, car il s'agit là bien sûr d'une décision du gouverneur en conseil, c'est-à-dire du cabinet. Il n'y a pas d'audience.
Si j'ai bien compris la loi, on informe la personne que ce motif est invoqué. On lui communique un résumé des motifs sur lesquels le ministre fondera sa décision et l'intéressé peut présenter des observations écrites au ministre. Il n'y a pas d'audience impartiale. Si une procédure était prévue prévoyant une audience à laquelle l'intéressé puisse être représenté, la première chose que je demanderais est comment on peut appliquer quelque chose d'aussi vaste? C'est un concept bien connu en droit qu'une loi trop vague est inapplicable. Ce pourrait également être le fondement d'une contestation constitutionnelle. Beaucoup de lois ont été invalidées pour cause de flou.
L'autre argument que je ferais valoir est qu'il n'y a pas de définition et, étant donné que le projet de loi énumère ailleurs une liste d'agissements pouvant donner lieu à la révocation de la citoyenneté, il semblerait que le gouvernement a déjà indiqué ce qui est incompatible avec le citoyenneté au Canada. On se reporterait donc à la liste—et je peux vous dire dans quel article elle figure, il est en rapport avec la révocation de la citoyenneté—comme guide. Si l'inconduite de la personne n'est pas couverte par la liste, pour quelle raison irait-on lui refuser la citoyenneté?
Toute cette disposition est extrêmement vague. La loi devrait réellement préciser le sens de cette phrase. Je me demande comment ils pourront jamais l'appliquer. Mais, comme je l'ai dit, qui va les en empêcher? Il n'y a pas de mécanisme judiciaire pour l'empêcher.
Dans un cas analogue, il y a quelques années, il était fréquent que le ministre intervienne dans les demandes de statut de réfugié et conteste le droit de quelqu'un à demander le statut, demandant son exclusion du régime de la convention, parce que la personne était censée avoir contrevenu aux principes et aux objectifs des Nations Unies, l'une des dérogations contenues dans la convention permettant à un pays d'exclure quelqu'un de son processus de détermination.
La Cour suprême du Canada a rendu des décisions dans la cause Pushpanathan et quelques autres, où elle disait clairement qu'il faut faire une lecture très restrictive de cela. Le gouvernement ne pouvait simplement utiliser cette expression pour l'appliquer à tout comportement qu'il jugeait être répréhensible. Si le comportement n'était pas expressément proscrit dans la Charte des Nations Unies, il ne l'était pas. Donc, le gouvernement a par le passé essayé d'invoquer des termes généraux pour façonner sa politique d'immigration et cela n'a pas marché, alors et je doute que cela marche maintenant.
º (1635)
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Merci de ces commentaires et merci de nous avoir fait part de votre optique personnelle sur le mémoire du CCR que nous avons déjà étudié. Nous apprécions que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer et nous espérons pouvoir vous contacter par courriel ou téléphone si nous avons d'autres questions pour vous.
M. Nick Summers: Entendu. Je vous communique mes adresses.
C'est hors sujet et je pense que nous approchons de la fin. J'ai mentionné les refoulements et je ne sais pas si le comité... Ce n'est pas en rapport avec la Loi sur la citoyenneté mais c'est lié au travail de supervision du ministre par le comité. J'ai quelques renseignements que j'aimerais vous remettre à ce sujet, car je crois que c'est un problème qui va attirer davantage l'attention du public et devenir plus controversé dans les semaines et mois qui viennent. J'aimerais contribuer à votre information, si vous le permettez, et j'ai une documentation à vous remettre.
La présidente suppléante (Mme Diane Ablonczy): Eh bien, nous apprécions que vous soyez venu nous faire bénéficier de votre expérience, alors certainement, nous acceptons avec plaisir l'information que vous avez. Nous demanderons au greffier de distribuer le document et nous l'examinerons et nous vous ferons pas de tout commentaire ou question que nous pourrions avoir. Excellent. Merci.
La séance est levée pour aujourd'hui. Merci.