:
La séance est ouverte. Le Comité permanent de la sécurité publique et de la sécurité nationale tient sa réunion numéro 47. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du programme de protection des témoins.
Nous voudrions saluer les personnes qui vont témoigner par téléconférence. Nous avons le plaisir d'accueillir le directeur adjoint principal, Office of Enforcement Operations, Criminal Division, United States Department of Justice, M. Gerald Shur. Bienvenue, monsieur.
Nous souhaitons également accueillir, par vidéoconférence, M. Nick Fyfe, directeur du Scottish Institute for Policing and Research et professeur de géographie humaine, University of Dundee.
Pouvez-vous nous entendre, monsieur?
:
Merci beaucoup de m'avoir invité à prendre la parole devant votre comité.
Dans ma déclaration, je voudrais aborder trois sujets généraux: premièrement, ma propre expérience des questions touchant la protection des témoins; deuxièmement, je voudrais parler un peu de l'expérience au Royaume-Uni et de ce qui la distingue de la protection des témoins dans d'autres pays d'Europe; et troisièmement, je voudrais aborder quelques questions générales concernant l'efficacité de la protection des témoins et la question de la légitimité.
Tout d'abord, pour ce qui est de ma propre expérience, la première fois que je me suis intéressé à la protection des témoins, c'était dans le cadre d'une recherche réalisée pour le gouvernement écossais. Il s'agissait d'une évaluation approfondie du programme de protection des témoins de la police de Strathclyde, en Écosse, à laquelle ont participé des policiers, des témoins protégés et des membres de la magistrature.
Ensuite, un deuxième projet que j'ai entrepris pour le ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni consistait à étudier des moyens de faciliter la coopération des témoins dans les affaires impliquant le crime organisé et cette enquête comprenait une comparaison de la protection des témoins au Royaume-Uni et dans d'autres pays d'Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Voilà mon expérience en la matière.
Je voudrais parler un peu de l'expérience au Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, la protection des témoins a commencé dans les années 70 au sein de la police métropolitaine de Londres et du Royal Ulster Constabulary. La plupart des témoins protégés étaient impliqués dans le crime organisé et le terrorisme.
Pendant les années 80 et 90, un nombre de plus en plus important de forces policières du Royaume-Uni ont établi leurs propres programmes de protection des témoins, surtout dans le contexte du crime organisé et particulièrement des affaires de drogues pour lesquelles les témoins étaient victimes de meurtre ou de tentative de meurtre. Finalement, les forces policières de tout le Royaume-Uni se sont dotées de leurs propres programmes de protection des témoins.
L'événement le plus important en ce qui concerne le Royaume-Uni a eu lieu en 2005, lorsque le gouvernement a adopté le Serious Organised Crime and Police Act, qui inclut un article sur la protection des témoins et d'autres personnes. Cette loi a défini l'admissibilité à la protection, les pouvoirs de la police de prendre des dispositions avec d'autres forces policières pour protéger les témoins et l'obligation des autres organismes d'aider la police à relocaliser les témoins.
Les dispositions prévues au Royaume-Uni sont, dans une large mesure, calquées sur le modèle du Federal Witness Security Program, des États-Unis, que vous connaissez sans doute ou dont M. Shur vous parlera plus en détail.
J'aurais quatre choses à dire en ce qui concerne la comparaison entre la protection des témoins au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde.
Il y a d'abord les critères d'admissibilité qui définissent qui peut participer à un programme de protection des témoins. Nous avons constaté, lorsque nous avons examiné la protection des témoins au niveau international, que tous les pays insistent sur le risque pour le témoin, la nature de la procédure au cours de laquelle le témoignage a lieu, l'importance du témoignage et la capacité d'adaptation du témoin à un programme de protection.
Il y a des différences importantes, d'un pays à l'autre, en ce qui concerne le rôle que la police, la magistrature et le gouvernement jouent dans la décision d'inclure un témoin dans un programme de protection. Le Royaume-Uni permet que ces décisions soient prises par les chefs de police, comme le Canada et l'Australie, mais si vous prenez un pays comme la Belgique, la décision d'inclure un témoin est prise par un comité constitué de procureurs publics, de policiers et de membres des Départements de la Justice et de l'Intérieur. Si vous prenez l'Italie, il y a une commission centrale présidée par le sous-secrétaire d'État et qui comprend des juges et des experts dans le domaine du crime organisé.
Il y a donc des différences importantes dans la façon dont ces décisions sont prises.
Il y a aussi d'importantes différences d'un pays à l'autre en ce qui concerne le type de protection et de soutien que la loi confère aux témoins. Si vous prenez le cas du Royaume-Uni, aucune loi ne spécifie quelle est la protection offerte. Par contre, comme c'est le cas au Canada, en Australie et ailleurs, la loi est très précise quant au genre de soutien et de protection qui sont disponibles.
Enfin, il y a des différences très importantes d'un pays à l'autre en ce qui concerne l'architecture institutionnelle des programmes de protection des témoins. Au Royaume-Uni, la protection des témoins est largement une question locale du ressort des chefs de police, alors que les autres pays ont des programmes de protection nationaux ou fédéraux. Si vous prenez la France et l'Italie, vous constaterez que la protection des témoins y est organisée au niveau régional. Néanmoins, en Europe, on cherche, par l'entremise de l'organisation de la police européenne, Europol, à coordonner la mise en place de pratiques exemplaires dans les différents pays d'Europe.
Mes dernières observations portent sur deux questions plus générales concernant la protection des témoins. La première est la façon dont nous évaluons son efficacité et la deuxième sa légitimité telle qu'elle est perçue. Pour ce qui est des mesures d'efficacité, le travail que j'ai réalisé démontre qu'au Royaume-Uni, la protection des témoins a été très efficace pour assurer la sécurité physique des témoins et améliorer l'efficacité des enquêtes en éloignant la responsabilité de protéger les témoins de l'équipe d'enquête pour la confier à une unité spécialisée.
Les programmes de protection des témoins du Royaume-Uni ont peut-être été moins efficaces pour ce qui est de répondre aux besoins sociaux des témoins. L'un des principaux défis de ces programmes est d'assurer le bien-être social des témoins à long terme en leur apportant un soutien et en les aidant à faire face aux problèmes psychologiques qu'entraîne la vie dans un nouveau milieu.
Un des autres problèmes touchant l'efficacité dont certaines personnes ont parlé est celle de savoir si la protection des témoins ne risque pas de déplacer l'attention de ceux qui voudraient s'en prendre aux témoins vers d'autres groupes et particulièrement vers les jurés. En investissant toutes nos ressources dans la protection des témoins, ne risquons-nous pas de déplacer le problème de l'intimidation des témoins vers d'autres groupes? Je pense que c'est une question dont il faut discuter.
La dernière question que j'aborderais — et là encore les recherches formulent des hypothèses à ce sujet — est la légitimité des programmes de protection des témoins, telle qu'elle est perçue. Certains personnes ont soulevé des questions au sujet de la moralité et de l'équité envers le public des programmes qui relocalisent des gens ayant généralement un lourd passé criminel et que l'on place dans des collectivités dont les membres ignorent, la plupart du temps, le passé des personnes en question. Je pense qu'on s'inquiète de la façon dont les citoyens percevraient les programmes de protection des témoins, et pourraient craindre pour leur propre sécurité s'ils vivent dans des collectivités où des témoins ont été relocalisés.
Voilà qui termine ma déclaration préliminaire.
:
Ce que j'aime de la traduction instantanée, c'est que quand je fais une blague, les gens la rient deux fois.
Des voix: Ah! ah!
M. Serge Ménard:Je crois comprendre qu'elle fonctionne. Merci.
Je suis membre du Bloc québécois, qui a certaines affinités avec le Scottish National Party. Nous parlons d'un sujet pour lequel, au-delà des considérations politiques, nous poursuivons le même objectif: obtenir la collaboration de témoins importants.
Il y a deux sortes de types de témoins qu'on veut protéger. Il y a ceux qui sont innocents et qui, s'ils témoignaient, risqueraient d'être intimidés, voire tués par les membres du crime organisé. Il y a également des témoins qui ont participé à des activités criminelles et qui, un jour, décident de collaborer avec la police en échange de peines moins sévères. Les Italiens ont une façon particulière de les appeler. Ils les appellent les « témoins repentis ». C'est d'ailleurs l'expression que nous avons cherché à utiliser au Québec, mais la presse ne la comprenait pas toujours.
J'ai beaucoup apprécié le document que vous nous avez envoyé et les comparaisons qu'il contient. Ces dernières sont très éclairantes sur les diverses façons dont on utilise le système de protection des témoins. Je ne crois pas que celui de l'Autriche nous inspirerait beaucoup.
Au-delà des expériences que vous avez partagées avec nous et qui nous seront sûrement très utiles, j'aimerais savoir si votre expérience est la même que la nôtre sur un aspect. Plusieurs témoins à qui nous avons offert cette protection et une nouvelle identité, et qui ont pu aller vivre dans d'autres parties du Canada sont revenus chez eux. Généralement, leur retour se fait dans un délai d'environ deux ans.
Avez-vous remarqué la même tendance chez les « témoins repentis »?
:
Oui, je dirais que notre expérience est quelque peu différente. Notre programme a commencé à la fin des années 60. Il a commencé vers 1966-1967 et a été adopté officiellement en 1970.
Pour répondre à cette question, nous avons relocalisé environ 8 000 témoins depuis le début, et probablement 14 000 ou 15 000 membres de leur famille, si bien qu'en tout, environ 22 000 à 23 000 personnes ont été relocalisées. D'autre part, 95 p. 100 de ces témoins ont été impliqués dans des activités criminelles d'une façon ou d'une autre, certains de très près, d'autre de façon accessoire.
Un très petit nombre de nos témoins relocalisés sont retournés chez eux. Je dirais qu'il y en a eu moins de 100, mais je penserais même que ce chiffre est inférieur à 50. Nous avons eu le cas d'un témoin qui est renté chez lui alors qu'on lui avait conseillé de ne pas le faire. De retour à son domicile, lorsqu'il a ouvert sa porte, sa maison a sauté. Mais c'est un cas rare.
Premièrement, sur les 8 000 témoins qui ont été relocalisés — et c'était au niveau fédéral plutôt que d'un État ou d'une ville — le taux de récidive a été de moins de 18 p. 100. Je ne peux pas être plus précis, parce que chaque personne que j'ai appelée pour vérifier le taux de récidive m'a fourni un chiffre différent. Le plus élevé était de 18 p. 100. Le chiffre le plus bas, qui m'a été fourni par la personne la plus positive à qui j'ai parlé — était de 11 p. 100. Par conséquent, le taux de récidive se situe entre 11 p. 100 et 18 p. 100 pour ces 8 000 personnes.
C'est peut-être en partie en raison de la procédure que nous suivons pour faire participer les témoins au programme. Premièrement, aux États-Unis, nous avons au ministère de la Justice un bureau appelé Office of Enforcement Operations qui a une unité de la sécurité des témoins chargée de déterminer qui doit participer ou non au programme fédéral de protection des témoins.
Cette décision se fonde sur un grand nombre de renseignements fournis par diverses personnes, dont un psychologue, qui examine chaque témoin potentiel recommandé par l'agence d'enquête fédérale, ainsi que chaque membre de sa famille âgé de plus de 18 ans, pour déterminer si le témoin risque ou non de commettre un acte violent, dans quelle mesure il réussira à s'intégrer dans le programme, s'il serait capable de suivre les règles, le genre d'emploi dont il aura besoin, quelles sont ses compétences, etc. Les témoins font donc l'objet d'un examen psychologique approfondi.
Il est assez difficile de savoir si l'on peut vraiment prédire, au moyen d'un test psychologique, si une personne risque d'être violente. J'ai parfois eu l'impression que mon intuition était aussi fiable que le test.
D'autre part, nous recevons le casier judiciaire de l'intéressé. Nous recevons également un rapport du procureur des États-Unis. Il y a 93 procureurs des États-Unis qui sont les principaux responsables fédéraux de l'application de la loi dans leurs districts. Ils nous envoient un rapport sur l'affaire, le témoin et ses antécédents.
Ensuite, nous demandons au United States Marshals Service de procéder à la relocalisation du témoin. Étant donné son rôle, il a la possibilité de questionner le témoin et sa famille à l'avance au cours de ce que nous appelons une entrevue préliminaire et il nous donne son opinion quant à savoir si ce témoin s'adaptera bien à sa nouvelle vie. Nous avons donc ces renseignements complémentaires.
Nous profitons également de l'expérience du personnel de l'Office of Enforcement Operations qui s'occupe si souvent de ce genre de dossiers qu'il peut se faire une opinion.
De tous ces facteurs, je pense que la sélection est un facteur déterminant très important pour ce qui se passe ensuite.
Enfin, nous avisons le Federal Bureau of Investigation de la relocalisation de chaque témoin. Il y a donc un dossier. Si un service de police local demande des renseignements au sujet d'un témoin sous un nouveau nom, le FBI l'informera immédiatement de la véritable identité de l'intéressé. Je pense que c'est là un facteur de dissuasion pour le témoin.
:
Je peux vous dire qu'environ 150 à 165 témoins se joignent au programme chaque année. Bien entendu, dans la plupart des cas, c'est en allant en prison. Nous avons des unités de détention protégée, qui sont des prisons à l'intérieur des prisons, des bâtiments dans lesquels il n'y a que des témoins — environ 70 témoins coopératifs détenus dans chaque unité — si bien que ces personnes ne circulent pas librement dans la société.
Pour ce qui est du taux de rejet, c'est difficile à chiffrer, car il y a deux façons de rejeter un candidat. La première est officieuse et c'est la plus courante. L'enquêteur ou le procureur des États-Unis vous téléphone pour dire: « J'ai un cas que je voudrais vous présenter officiellement, mais avant de le faire, seriez-vous prêt à l'accepter? » Et vous dites alors « Non ». Comme ce n'est comptabilisé nulle part, nous n'avons pas ce chiffre. Deuxièmement, il y a les demandes officielles. Je dirais que pour les demandes officielles, le taux de rejet est d'environ 10 p. 100.
Comme je l'ai dit, chaque année, le nombre total de témoins admis au programme est de 150 à 165 et une bonne proportion d'entre eux vont en prison tandis que leurs familles sont relocalisées. Quand je dis que 150 ou 160 personnes vont en prison, cela ne veut pas dire que le travail s'arrête là. Il faut les relocaliser.
:
Ce n'est pas une infraction à la loi.
Également, nous pourrions avertir la police locale de l'ancienne identité du témoin lorsque nous le relocalisons afin qu'elle sache qui réside dans son secteur.
Je ne suis pas très au courant du cas dont vous parlez, mais lorsqu'on suppose que le témoin a commis un crime et que la famille de la victime veut savoir qui est le coupable, notre législation oblige à dédommager les victimes. Autrement dit, nous devons offrir à la famille de toute victime qui est tuée une somme maximum de 25 000 $, je crois, pour couvrir les frais médicaux ou les frais funéraires, etc. La famille a certainement le droit de savoir qui est vraiment l'individu qui a tué un de ses membres.
Ce qui est plus compliqué c'est que si la divulgation de ce renseignement risque de compromettre une enquête en cours, il se peut que nous attendions un peu pour le faire. Mais c'est très rare. Je ne me souviens pas que ce soit arrivé. C'est seulement une possibilité.
Lorsque vous divulguez le nom à la famille, vous lui donnez une certaine paix d'esprit. Tout ce que cela coûte au gouvernement des États-Unis est qu'il faut de nouveau relocaliser la famille du témoin qui a commis le meurtre. La famille de la victime a donc la paix d'esprit et on assure la sécurité de la famille du témoin en la relocalisant une nouvelle fois. C'est le gouvernement des États-Unis qui subit une perte financière.
:
C'est sur le nombre total. Je ne peux pas vous dire quelle est la proportion des 160 ou 165 personnes en question, mais c'est 18 p. 100 du nombre total.
Pour ce qui est des meurtres, il y en a eu quelques-uns. Je suppose qu'il y a davantage d'infractions touchant les stupéfiants, par exemple. Nous sommes actuellement en transition, comme la plupart des pays, je pense, pour ce qui est du type de témoins qui participent au programme. Au départ, c'était des membres du crime organisé traditionnel, puis des membres de gangs de trafiquants de stupéfiants, des gangs commettant des crimes haineux, etc.
Monsieur le président, si mes réponses sont trop longues, dites-le moi, car j'ai tendance à trop parler.
Je m'appelle Sue Barnes. Je suis députée de London, en Ontario, plus précisément de London-Ouest et je suis la critique de la sécurité publique pour l'opposition officielle qui est actuellement le Parti libéral du Canada.
Merci beaucoup. Encore une fois, veuillez m'excuser de mon retard. Merci de nous avoir fourni ces tableaux et ce document. Nous l'apprécions beaucoup.
Je voudrais poser certaines questions concernant les appels. Est-ce qu'un de vos deux pays ou, à votre connaissance, d'autres pays ont une procédure d'appel lorsqu'un témoin est exclu du programme? Je ne parle pas nécessairement d'un nouvel acte criminel que le témoin commet pendant qu'il est sous la protection du programme, mais du non respect d'autres conditions qui peuvent faire partie du protocole d'entente. Savez-vous s'il est possible de faire appel de cette décision? Dans l'affirmative, quelle est la durée du processus? D'autre part, est-ce la même partie qui reçoit l'appel?
:
Malheureusement, quand vous avez 8 000 témoins, tous les scénarios imaginables se produisent.
Dans le cas d'un témoin, nous avons relocalisé sa femme et sa maîtresse et cette dernière est allée vivre là où nous avions relocalisé la mère du témoin. Nous relocalisons toute personne qui risque d'être en danger suite au témoignage du témoin, et cela peut donc être aussi bien les grands-parents que qui que ce soit d'autre. Je pense que notre relocalisation la plus importante iincluait 20 à 25 personnes d'une même famille.
Pour ce qui est du mariage, la principale source de conflits est le droit de visite auprès des enfants, ce qui pose un sérieux problème. Comment organiser ces visites ordonnées par le tribunal lorsque l'autre conjoint est un citoyen respectueux des lois et que le conjoint relocalisé s'est remarié et a obtenu une ordonnance du tribunal local qui lui accorde la garde des enfants?
Nous organisons des visites. Les enfants sont accompagnés par les marshals des États-Unis et c'est ce que nous appelons des visites en terrain neutre. Les enfants sont emmenés à Disneyland et la mère qui veut les voir se rend à Disneyland. Elle ne sait pas où vit son ex-mari, mais elle peut voir ses enfants.
Nous respectons l'ordonnance des tribunaux. Quelle que soit l'ordonnance du tribunal de la famille, nous la respectons.
:
La situation est la même au Royaume-Uni. Il n'y a pas d'immunité.
Pour revenir rapidement sur la question précédente, en ce qui concerne le système en vigueur au Royaume-Uni, que je vous ai décrit comme un système ou un programme de protection des témoins plutôt improvisé, au cours des entrevues que j'ai eues avec les policiers qui gèrent le programme à Strathclyde, ce dont ils se souciaient sans doute le plus c'est que les témoins ne profitent pas matériellement de leur relocalisation. En effet, si c'était le cas, ils craignaient fort qu'on puisse dire que la police et la poursuite avaient influencé ou acheté leur témoignage.
Pour ce qui est d'établir les gens dans une autre ville et de leur accorder un soutien financier, il y a une règle absolue interdisant de leur donner de l'argent pour les aider, interdisant de leur accorder des paiements en espèces, car la police craignait que la défense puisse en profiter, lors d'un procès criminel, pour dire que leur témoignage a été acheté.
:
Certainement. Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, monsieur Fyfe et monsieur Shur. Je m'appelle Roy Cullen. Je suis un député de la région de Toronto et le vice-président de ce comité. Cela paraîtra étrange à M. Fyfe, mais Oxford, London et Windsor sont les villes dortoirs de Toronto. Vous pouvez donc constater nos racines britanniques.
Nous avons parlé des programmes traditionnels de protection des témoins. En général, on relocalise un criminel en lui donnant une nouvelle identité, etc. Mais permettez-moi de vous parler un peu de mon secteur de Toronto où nous avons eu de nombreux problèmes en ce qui concerne les crimes reliés aux armes à feu, les gangs et la drogue. En fait, dans ma circonscription, la police a arrêté environ 120 personnes lors d'un gros coup de filet il y a un an environ si bien que la criminalité a un peu diminué, mais elle continue à nous préoccuper grandement.
Dans mon secteur, nous avons eu des fusillades à partir d'une voiture, des fusillades en plein jour sans qu'aucun témoin ne se présente. La police est constamment confrontée à ce genre de problèmes. Il peut y avoir des citoyens honnêtes qui ont été témoins de ces événements. Ce ne sont pas des criminels. Ils ne veulent sans doute pas avoir à déménager en Floride même si le climat y est très agréable. Toutefois, étant donné la façon dont le système de justice fonctionne au Canada, bien que je ne sois pas avocat moi-même, vous ne pouvez pas vraiment compter sur les témoignages anonymes, car lors de l'interrogatoire préalable, cela devient public.
Je me demande donc s'il y a d'autres modèles qui ont été envisagés ou si vous avez travaillé à des programmes de protection des témoins s'appliquant à des citoyens honnêtes qui ont été témoins d'un crime, mais qui ont terriblement peur de se faire connaître à cause du risque de représailles.
Y a-t-il des façons de résoudre ce problème ou devons-nous nous en tenir au genre de modèle que vous avez décrit et qui correspond aux programmes traditionnels de protection des témoins?
:
Malheureusement, nous avons eu, nous aussi, ce genre de problèmes et d'ailleurs, cela continue. Il y a une augmentation des fusillades.
Nous avons deux autres types de programmes. L'un d'eux est ce que nous appelons le programme de relocalisation à court terme qui a démarré à Washington où nous avions des fusillades à partir d'une voiture et des fusillades où des résidents d'un quartier tiraient sur des gens habitant le quartier voisin. Ils vivaient dans le même voisinage. Nous les envoyons ailleurs pendant une brève période afin que les témoins qui se présentent sachent qu'ils peuvent rester en sécurité pendant quelque temps, jusqu'à ce que nous estimions qu'ils peuvent être renvoyés chez eux en toute sécurité.
Avec ce programme, les témoins s'absentaient généralement de chez eux pendant 90 jours, 120 jours ou peut-être jusqu'à la fin du procès, et une fois l'accusé en prison, la menace disparaissait.
Il y a aussi un troisième programme qui permet au procureur des États-Unis d'établir que son témoin a simplement besoin d'une somme allant jusqu'à 4 000 $ pour aller s'installer dans un hôtel plus ou moins loin. Je fournissais alors un peu d'argent pour que cette personne puisse quitter la ville pendant une brève période. Autrement dit, cette personne n'a pas besoin d'une nouvelle identité, elle n'a pas besoin d'aide pour trouver un emploi, pour trouver un médecin ou ce genre de choses. C'est la troisième solution.
Le programme de protection des témoins dont nous parlons intervient lorsqu'il y a des organisations qui ont les moyens de pourchasser les témoins et de les trouver alors que dans le cas des fusillades à partir d'une voiture, ce genre de criminels n'a généralement pas cette capacité.
:
Merci. Je vois que je ne m'étais pas présenté autrement qu'en vous signalant que j'étais membre d'un parti frère du Scottish National Party. Je suis un député du Bloc québécois à la Chambre des communes. Avant de faire de la politique, j'ai passé toute ma carrière à faire du droit criminel. Quand j'ai commencé en politique, j'ai été ministre pendant neuf ans au gouvernement du Québec, principalement à la sécurité publique et comme procureur général. J'ai vu naître ces programmes. En 1966, quand j'ai commencé à pratiquer le droit, ils n'existaient pas. Ces programmes ont été créés pour répondre à des besoins, et il y a maintenant une loi qui encadre ces programmes.
La protection physique des témoins est-elle efficace? Est-il arrivé que des témoins soient attaqués ou tués alors qu'ils étaient sous protection? Je voudrais aussi demander au professeur Fyfe s'il a pu comparer les systèmes assez différents qui existent en Europe. Quel est, d'après lui, le meilleur système, celui dont on devrait s'inspirer?
J'ai dit que la vie des témoins innocents, c'est-à-dire des gens qui ont assisté à un crime grave ou à un meurtre commis par une organisation criminelle, pourraient être en danger s'ils témoignaient. Le fait de bénéficier d'une pareille protection est certainement un poids considérable pour les témoins qui n'ont pas mené d'activités criminelles. Quelle est la proportion de témoins innocents?
Finalement, je voudrais savoir si, dans vos juridictions, les jurés connaissent tous les avantages qu'on a donnés aux gens qui viennent témoigner devant eux.
:
J'aurais dû m'intéresser davantage à mes cours de français au secondaire. Oui, tous les avantages lui sont expliqués.
Quant à la protection physique et son efficacité, nous croyons que l'anonymat est la meilleure protection. Autrement dit, les témoins sont relocalisés dans une nouvelle région. Personne ne sait où ils vont, où ils vont vivre et ils n'ont pas besoin d'une protection physique autour d'eux. Les seules circonstances dans lesquelles ils auraient besoin d'une protection physique c'est lorsqu'ils sont ramenés dans la zone de danger pour témoigner. Cette protection a été entièrement efficace.
Je dois mentionner que depuis que ce programme a commencé, à la fin des années 60, pas un seul témoin qui a suivi nos règles n'a été tué. Nous avons eu beaucoup de chance à cet égard.
Voyons… la protection des témoins innocents. Le nombre de témoins qui ont participé à ce programme et qui sont, dirais-je, entièrement innocents, par exemple s'ils ont assisté au crime alors qu'ils attendaient à un coin de rue, est de moins de 5 p. 100. Cela ne pose donc pas un gros problème si l'on considère l'ensemble du programme, mais c'est un sérieux problème pour ces 3 p. 100 ou 4 p. 100 de personnes qui doivent renoncer à toute leur carrière et à la vie qu'elles menaient.
:
Oui, permettez-moi de répondre également à ces questions.
Comme l'a dit M. Shur, les jurés seraient certainement informés des dispositions dont les témoins ont fait l'objet.
En ce qui concerne les témoins innocents, je dirais, pour avoir étudié les programmes du Royaume-Uni, qu'ils représentent une proportion relativement faible du nombre total de témoins qui participent aux programmes. Néanmoins, ils posent un défi particulier pour les programmes de protection des témoins, surtout s'ils exercent divers métiers dans lesquels ils devront trouver un nouvel emploi s'ils sont relocalisés.
Pour ce qui est de la protection physique, mon expérience est très semblable à celle dont M. Shur a parlé: les témoins qui ont suivi les instructions et les règles des programmes de protection auxquels ils participaient sont restés en sécurité.
D'après ce que j'ai constaté en interviewant des témoins participaient à des programmes de protection, c'est que ce n'est pas seulement leur sécurité physique qui est importante, mais aussi leur sentiment de bien-être, leur sens d'identité, leur état mental, des choses qui sont presque aussi importante dans certains cas.
L'ironie de la situation est que dans les cas où des témoins sont morts, c'est parce qu'ils se sont suicidés. J'ai certainement constaté que le taux de suicide est plus élevé chez les témoins protégés que dans la population en général. Cela témoigne des difficultés mentales et psychologiques auxquelles ces personnes sont confrontées lorsqu'elles essaient de refaire leur vie dans un nouveau milieu.
Cela nous ramène sans doute à la dernière question que vous avez soulevée, à savoir quel pourrait être le meilleur système. Je ne pense pas qu'on puisse désigner un pays en disant qu'il a le système idéal, mais si vous examiniez les différents programmes de protection, vous pourriez vous demander quelles sont les pratiques exemplaires dont on peut s'inspirer pour constituer un bon programme.
C'est relié en partie à la question du bien-être des témoins et du soutien qui leur est apporté à court terme et à long terme. Cela nous ramène à ce que M. Shur a dit tout à l'heure quant à la nécessité de bien sélectionner les témoins au départ pour s'assurer qu'ils pourront faire face aux pressions auxquelles ils seront soumis.
Il s'agit aussi d'avoir un cadre juridique très solide pour la protection des témoins. L'une des difficultés au Royaume-Uni c'est que nous avons très peu de renseignements au sujet de la protection des témoins étant donné qu'elle n'a pas lieu dans un cadre législatif clairement défini. Et cela devrait également couvrir des choses comme la procédure d'appel dont nous avons parlé tout à l'heure.
Je suppose que la décision d'inclure ou non un témoin dans le'programme n'est pas prise non plus de la même façon. Au Canada comme au Royaume-Uni, la tradition veut que ce soit un chef de police qui prenne cette décision. Mais il y a certainement des pratiques très différentes dans d'autres pays d'Europe où ces décisions sont prises non pas par la police, mais par un autre organisme qui pourrait comporter des représentants de la magistrature, des experts du crime organisé et d'autres personnes.
Lorsque c'est ce genre de groupe qui prend ces décisions, légèrement à l'écart de la police, il a peut-être un point de vue plus indépendant et plus objectif pour décider qui doit être protégé et qui doit être exclu de ce genre de programmes.
Pour ce qui est du taux de suicide, je pense que c'est une question très intéressante.
Nous avons fait une étude dans les années 70. Je m'inquiétais de l'incidence des suicides. Cette étude a donné des résultats différents de ceux que M. Fyfe a obtenus. Nous allons sans doute devoir en faire une autre. Selon nos résultats, il n'y avait pas d'augmentation de l'incidence du suicide chez les témoins par rapport à l'ensemble de la population. Mais je pense que maintenant que nous possédons une base de données beaucoup plus vaste, nous devrions en faire une nouvelle analyse.
Lorsque les témoins sont relocalisés, pour les aider à surmonter le stress, qu'il s'agisse de témoins innocents ou non ou encore de membres de la famille de détenus qui sont eux-mêmes des témoins, s'ils le désirent, nous les adressons à des psychologues et à des psychiatres. Cela se fait couramment.
Je m'appelle Rick Norlock. Je suis le député de Northumberland—Quinte West. Avant la politique, j'ai été policier pendant 30 ans, dans un corps équivalent à la police d'État.
Je voudrais seulement revenir un peu sur Échec au crime, un programme dont les forces policières se servent très souvent, surtout en Ontario. Cette initiative a beaucoup de succès. Au cas où vous ne le sauriez pas, elle a été créée ou conçu par un Canadien qui résidait à Alburquerque, au Nouveau-Mexique.
Je voudrais que nous parlions un peu plus des pratiques exemplaires pour savoir si les décisions devraient être prises par la police ou par quelqu'un d'autre. Je vais d'abord dire ce que j'en pense, après quoi je vous laisserai poursuivre, tous les deux, messieurs.
Ce que nous cherchons ici ce sont des pratiques exemplaires. La GRC en particulier et d'autres professionnels de la police et membres de la bureaucratie qui s'occupent du programme nous ont dit qu'il fonctionnait relativement bien au Canada. En fait, d'après les commentaires négatifs qui ont été faits, je dirais qu'il a beaucoup de succès. Mais nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers car il y a peut-être quelque chose de mieux. Ma question est donc la suivante: se dirige-t-on vers des pratiques exemplaires?
Le professeur nous a dit que, dans certains pays, le processus décisionnel est confié à des gens associés à la magistrature, ou à des avocats, etc. Nous avons discuté de certaines des questions de bien-être social que cela soulève. Je vous demanderais donc à tous les deux, messieurs, d'explorer davantage les différences que vous percevez, qu'elles soient négatives ou positives, lorsque ce processus se déroule en dehors de la police.
Je dois dire — non pas en raison du métier que j'exerçais avant, mais suite aux observations que j'ai faites, à votre témoignage et aux témoignages des experts canadiens et de ceux qui gèrent le programme, surtout la Gendarmerie royale canadienne — que plus il y a de liens et de séparations, plus le processus devient compliqué. Mais c'est seulement mon interprétation et je laisse à ces deux messieurs le soin de répondre.
:
D'accord. Je vais faire une observation générale à savoir que l'on a fait si peu de recherche dans ce domaine en ce qui concerne l'efficacité que nos connaissances sont très limitées. Bien entendu, il y a des praticiens qui possèdent une vaste expérience directe — et M. Shur l'a très clairement démontré — mais ce qui manque généralement, je suppose, ce sont des évaluations et des recherches indépendantes sur les programmes de protection des témoins. C'est pourquoi, je pense, nous travaillons avec très peu de données probantes vraiment fiables et indépendantes. Je voulais commencer par le préciser.
À mon avis, la question de savoir qui est le mieux placé pour décider d'inclure ou d'exclure des témoins est très complexe. Il faut tenir compte de la rapidité avec laquelle ces décisions doivent être prises et du fait que, souvent, il faut surveiller l'évolution de la menace. Le risque pour les témoins est généralement un phénomène dynamique et non pas statique. Le risque est parfois plus grand à certains moments qu'à d'autres.
Lorsque nous avons étudié la situation un peu partout en Europe, nous avons été étonnés de voir que dans certains pays, c'est la police qui était autorisée à prendre cette décision. Nous avons estimé qu'elle était peut-être trop près de la procédure d'enquête et qu'il fallait peut-être pouvoir s'en distancer davantage, pouvoir juger, dans une perspective plus large, si le témoin était essentiel pour la poursuite et l'enquête. Dans certains cas, la police semblait trop empressée à faire participer les témoins à des programmes de protection parce que cela lui permettait d'accélérer l'enquête. Néanmoins, il était évident que cela perturbe énormément la vie de ces personnes.
D'après les opinions que nous avons entendues, il serait peut-être préférable que cette décision ne soit pas confiée à la police et fasse l'objet d'une évaluation plus indépendante en fonction de la preuve que le témoin peut fournir, dans un contexte plus large.
:
M. Fyfe a raison, je pense, de dire qu'un groupe indépendant devrait décider qui doit participer au programme de protection, au lieu que ce soit le policier ou le service de police qui a procédé à l'arrestation.
Bien entendu, mon expérience se situe dans le cadre des agences d'enquête fédérales et j'ai donc été confronté au problème dans le contexte du FBI, du DEA, du Service secret et des 26 agences d'enquête fédérales qui pourraient avoir des témoins. Je n'étais pas d'accord pour que des agents remettent de l'argent à des témoins potentiels. Je pensais que cela pouvait faire mauvais effet au tribunal et que si nous faisions appel à un groupe indépendant comme le U.S. Marshals Service qui n'était pas concurrentiel, le système fonctionnerait beaucoup mieux.
Je ne pouvais pas non plus envisager que le DEA confie ses témoins au FBI pour qu'il assure leur protection ou que le FBI confie ses témoins au DEA, au Service secret ou une autre agence, encore à cause de la concurrence. Je me suis donc mis à la recherche d'une agence neutre. Personne n'a de reproches à faire au Marshal Service, car il ne concurrence absolument pas les autres agences, ce qui est donc une bonne chose.
Dans notre pays, je crois qu'il y a dans le système fédéral quatre personnes qui peuvent décider qu'un témoin doit être protégé. C'est le procureur général, le sous-procureur général, le procureur général adjoint, Division pénale et une autre personne désignée par le procureur général. J'étais cette autre personne.
Cela permet d'établir les critères d'admissibilité au programme. L'efficacité est meilleure en ce qui concerne l'argent, les enquêtes et les poursuites lorsque la décision est prise par un groupe dont les décisions reflètent les opinions de la plus haute autorité policière du pays — soit le procureur général, dans notre cas.
Par conséquent, si un agent du Fish and Wildlife Service nous appelait pour dire qu'un braconnier avait tué trois lapins et qu'il voulait faire protéger le témoin, ce serait peut-être un cas très important aux yeux de l'agent en question, mais qui ne justifierait pas, selon moi, une dépense de 100 000 $ et la relocalisation de 24 personnes. Lorsque la décision est prise indépendamment des enquêteurs, cela permet d'appliquer des critères.
Il n'est pas nécessaire d'avoir un bureau distinct, comme c'était le cas avec le U.S. Marshal Service. Sans vraiment connaître votre situation, si vous aviez au sein de la GRC un groupe dont le seul rôle serait de superviser la protection des témoins et de prendre ce genre de décisions et si une ou plusieurs personnes étaient désignés pour s'en charger, vous pourriez, je crois, obtenir les mêmes résultats que nous.
L'autre chose sur laquelle je suis d'accord avec M. Fyfe c'est que tous les programmes de protection des témoins requièrent des améliorations. Aussi bons soient-ils, nous avons grandement besoin de les améliorer.
J'ai remarqué la différence dans votre analyse interne concernant le suicide. Même si je ne connais pas bien le sujet, les gens se sentent souvent isolés. Avant votre témoignage, je croyais que c'était l'éloignement des membres de leur famille qui incitait les témoins à retourner chez eux et à abandonner le programme.
J'ai été vraiment surprise de vous entendre dire que vous avez relocalisé jusqu'à 25 personnes, car je pensais qu'au Canada cela se limitait à un très petit nombre de gens. Je suppose que c'est surtout la famille immédiate soit le conjoint et les enfants, mais certainement pas les grands-parents.
J'ai cru comprendre, monsieur Shur, que vous acceptez toutes les personnes qui sont à risque. Je voudrais des précisions pour qu'il n'y ait pas de malentendu. S'il y avait autant de membres d'une même famille, ce n'est pas parce que vous prenez généralement tous les membres de la famille étendue, mais parce que la famille en question était très menacée, n'est-ce pas?
:
Pour revenir sur ce qui a été dit tout à l'heure, il y a très peu de recherche indépendante dans ce domaine. Nous avons fait nos recherches en Écosse pour le compte du gouvernement écossais. C'est lui qui les a financées et qui nous a permis d'avoir accès aux policiers chargés du programme de protection. Ces derniers nous ont ensuite facilité l'accès aux témoins qui étaient protégés afin que nous puissions les interroger en toute sécurité sur leur expérience dans le cadre de ce programme.
Je pense que c'était la première étude indépendante et encore la seule qui ait examiné les deux côtés de la médaille. Nous nous sommes penchés sur les difficultés et le stress auxquels sont confrontés les policiers qui essaient de protéger ces témoins — je crois important de ne pas sous-estimer le fait que les policiers qui travaillent à ces programmes sont soumis à un stress énorme, ce qui soulève toutes sortes de questions concernant leur formation et le soutien à leur apporter — tout en questionnant les témoins relocalisés et les membres de leur famille pour voir à quel point il est difficile pour ces gens de se refaire une vie et pourquoi certains d'entre eux ne peuvent tout simplement pas faire face aux pressions du programme et finissent pas entrer chez eux.
Si je dis cela, c'est sans doute parce que je fais de la recherche, mais je crois que c'est un domaine dans lequel il faudrait absolument faire davantage de recherche indépendante sur tout le processus et les différents organismes qui interviennent.
Une autre chose que nous avons examinée, c'est le rôle des associations de logement qui essaient de reloger ces témoins. Nous avons parlé à des représentants des services sociaux et des services de santé, car il y a tout un éventail d'autres organismes qui doivent fournir des renseignements et faciliter la relocalisation. Cela confère également de lourdes obligations à ces autres organismes en dehors de la police et les gens s'inquiétaient, au sein des services de logement et des services de santé, des risques qu'ils pouvaient courir eux-mêmes en participant à ce processus.
Par conséquent, je crois vraiment qu'il faudrait faire des recherches portant, de façon plus générale, sur toutes les personnes et tous les organismes qui participent au programme de protection des témoins.
:
Merci, monsieur le président.
Je voudrais simplement mentionner aux témoins que j'ai également des antécédents dans la police, surtout dans les enquêtes criminelles, et ensuite comme chef de police.
Dans certains de vos commentaires — et c'est surtout M. Shur — vous avez parlé de vos intuitions et je pense que c'est ce que les policiers appellent parfois l'intuition policière.
Néanmoins, ce dont il est question ici, c'est de familles qu'on ne pourrait pas toujours considérer comme des familles ordinaires. Les gens qui sont relocalisés — et je pense que quelqu'un a parlé de moins de 5 p. 100 — ne sont pas des témoins que l'on qualifierait d'innocents. Nous parlons de gens du milieu criminel, au sens large.
Monsieur Fyfe, vous avez dit, je crois, que très peu de ces personnes travaillent.
Nous devons tenir compte de la totalité des gens, mais la majorité de ces témoins n'ont pas d'antécédents professionnels, ce ne sont pas des gens qui exercent un emploi stable ou qui viennent d'un contexte familial que la plupart d'entre nous considèrent comme normal.
Ai-je raison de le supposer?
:
Nous n'avons pas étudié cette question, mais on peut sans doute espérer que non, en ce sens que la police de la ville où ces personnes sont relocalisées est informée de leur présence et continue de surveiller leurs activités. Par conséquent, nous pouvons espérer que non.
Pourrais-je ajouter une chose? C'est une question légèrement différente, mais lorsque nous nous sommes penchés sur la relocalisation des témoins, nous avons pu voir ce que leur milieu en pensait. Les gens qui acceptent de témoigner sont considérés comme des « balances », des gens qui ont trahi le code du silence en entrant en contact avec la police et en témoignant. Certaines personnes nous ont dit que lorsque ces témoins sont relocalisés, c'est une victoire pour les intimidateurs. Ces derniers ont réussi à les chasser de leur milieu.
De façon plus concrète, ils ont, dans un certain sens, purifié leur milieu de ces personnes qu'ils considèrent comme des balances, des gens prêts à témoigner contre d'autres membres de la communauté. C'est une dimension que nous avons trouvée intéressante. Certains groupes considèrent que la relocalisation des témoins est, en fait ,une sorte de victoire pour la communauté.
:
En ce qui concerne la victoire des intimidateurs, chez nous, les intimidateurs se retrouvent en prison. Nous avons un taux de condamnation de 89 p. 100 dans les cas où les témoins relocalisés témoignent.
Une étude qui a été réalisée il y a quelques années, dans les années 90, je pense, a révélé que dans les causes fédérales où des témoins relocalisés avaient témoigné, les peines infligées étaient plus lourdes que dans des causes similaires. C'est un effet secondaire que nous n'avions certainement pas planifié. Ce nétait pas prévu.
Pour ce qui est de relocaliser des gens ailleurs où ils ont la possibilité de commettre d'autres crimes, nous prenons plusieurs précautions. Dans un certain sens, nous leur fournissons ce que les travailleurs sociaux recommanderaient. Nous les enlevons d'un milieu où ils ont pris part à des crimes avec d'autres gens et ils se trouvent maintenant avec des personnes qui ne commettent pas de crimes. Nous leur offrons de nouvelles possibilités. Nous leur offrons les services d'un psychologue. Nous avons un inspecteur du WITSEC qui les aide à trouver un emploi, qui les emmène à l'épicerie, qui les conduit chez le médecin et qui inscrit leurs enfants à l'école. Ils vont pouvoir entamer une nouvelle vie sans criminalité.
Certains d'entre eux doivent faire un gros effort d'adaptation, car ils n'ont pas l'habitude d'aller travailler à 8 h 30 le matin et de rentrer chez eux à 5 heures. Ils avaient l'habitude de travailler de 8 h 30 du soir jusqu'à 5 heures du matin. C'est très différent. Ils avaient l'habitude de ne pas dire à leur femme où ils étaient allés, mais ils sont maintenant dans un milieu différent.
Le fait qu'ils soient à l'abri des mauvaises influences est un facteur positif, je pense, auquel s'ajoute le soutien psychologique. Comme je l'ai dit, le taux de récidive peut atteindre 18 p. 100, si bien que nous ne sommes certainement pas parfaits.
:
Il y avait certaines constantes. La plupart des gens ont dit qu'ils ne seraient plus là, qu'ils ne seraient plus en vie s'ils n'avaient pas été protégés et qu'ils n'auraient pas pu témoigner s'ils n'avaient pas bénéficié d'une protection. Ils reconnaissaient l'importance du programme de protection.
L'autre constante était qu'ils continuaient à ressentir de l'inquiétude et qu'ils avaient de la difficulté à reconstruire leur vie. Une particularité vraiment frappante de ces personnes est que, dans leur vie quotidienne, si le téléphone sonnait, si une voiture s'arrêtait devant leur maison ou si une lettre était déposée dans leur boîte à lettres, ils ressentaient une anxiété chronique. S'ils marchaient dans la rue, ils avaient toujours l'impression que quelqu'un pouvait les surveiller. Ils avaient beaucoup de mal à vivre ce que nous considérerions comme une vie normale.
Un autre problème bien réel dont ils ont souvent parlé est qu'il est extrêmement difficile d'établir de nouvelles relations sociales lorsque vous ne pouvez pas parler de votre passé. Pour créer un climat de confiance ou nouer des relations intimes vous devez partager certains aspects de votre passé et lorsque vous devez vous inventer un passé fictif pour pouvoir vivre dans un nouveau milieu, cela vous pose des difficultés psychologiques énormes.
Par conséquent, d'un côté les gens disent apprécier tout ce que le programme a fait pour assurer leur sécurité physique, mais pour ce qui est de leur état mental et de leur bien-être social, ils souffrent d'angoisse chronique. Ils pensaient que cette angoisse finirait par s'estomper, mais elle n'a pas diminué; elle a persisté.