:
Merci, monsieur le président.
Comme vous le savez, je ne suis pas ravi d'être à Ottawa aujourd'hui. C'est une question de neige et de météo, oui, mais c'est aussi une question de climat. J'ai quitté cette ville en 1996 à la suite de ma démission de la fonction publique du Canada.
[Traduction]
J'ai démissionné de la fonction publique dans des circonstances étrangement semblables à celles qui ont entouré ma rencontre brève mais mémorable avec Karlheinz Schreiber, à une différence près. Quand on lui a expliqué les faits, M. Mulroney n'a pas hésité à faire ce qu'il fallait et à enterrer le projet Bear Head.
En 1996, si mon collègue le sous-ministre de Travaux publics avait tenu tête au ministre qui exerçait des pressions sur nous à l'APECA, il aurait pu tuer dans l'oeuf ce qui est devenu le scandale des commandites.
Malheureusement, les efforts que votre comité déploie pour prévenir des situations de ce genre à l'avenir sont entravés par le gouvernement, comme nous l'a rappelé le juge Gomery lors du deuxième anniversaire de la parution de son rapport et de notre gouvernement qui n'est plus tout à fait nouveau quoi qu'il en dise.
Les Canadiens qui ont suivi l'affaire Mulroney-Schreiber ont vu comment le Canada fonctionne vraiment. C'est une affaire de lobbyistes et de jeu de pouvoir de la part du premier ministre et de son cabinet. Mais c'est aussi une affaire qui a trait aux médias.
Je me demande si vous auriez tenu ces audiences en 2001, alors que Frank Moores était toujours vivant et pouvait témoigner, si le National Post n'avait pas refusé de publier l'article sur les paiements en espèces versés par M. Schreiber — article qui contredisait tout ce que nous pensions savoir au moment où le gouvernement a versé une indemnité de 2,1 millions de dollars à M. Mulroney pour régler sa poursuite en diffamation — ou si William Kaplan avait été interviewé il y a trois ans et non trois mois à l'émission L'heure politique ou La Chambre des communes ou à n'importe quelle autre émission qui présente régulièrement des ouvrages beaucoup moins importants que A Secret Trial.
Il est presque inimaginable qu'un journal canadien ait refusé de publier un tel scoop, à propos des agissements d'un ancien premier ministre dont tout le monde parle aujourd'hui? Honnêtement, c'est presque impossible à comprendre.
Ne me posez pas la question sur le journalisme car je vous préviens, je serai intarissable. Je passe l'essentiel de mon temps ces jours-ci à commenter les journaux sur mon site Web et ce que j'en dis n'est pas toujours flatteur.
Je suis venu aujourd'hui pour vous renseigner sur deux sujets précis, dont le premier est le projet Bear Head. Je crois du reste que c'est pour cette raison que vous m'avez convoqué.
[Français]
En 1995, j'ai remis à la GRC, à sa demande, une déclaration assermentée sur ce que je savais de ce projet de M. Schreiber.
[Traduction]
Comme vous le savez, pendant les années 1980, Ottawa grouillait de lobbyistes, dont certains ont fait beaucoup d'argent. L'un d'eux, Fred Doucet, avait un accès extraordinaire au cabinet du premier ministre. Même après avoir cessé d'y travailler, il amenait encore des visiteurs au bureau du premier ministre sur la Colline. Ces rendez-vous n'étaient pas inscrits dans notre agenda et je n'en savais rien, sauf si je tombais par hasard sur certains de ces visiteurs. Cet accès peu commun au cabinet du premier ministre explique peut-être, du moins en partie, pourquoi le projet Bear Head n'est pas disparu pour de bon même après que M. Mulroney l'eût enterré.
[Français]
Comme je l'ai écrit récemment dans Le Devoir, je peux aussi vous aider à identifier la source de grandes quantités d'argent comptant rapportées au 24, promenade Sussex.
[Traduction]
Très franchement, certains de mes voisins sont restés perplexes quand ils ont appris que vous aviez invité l'ancien cuisinier de M. Mulroney à témoigner, mais je suppose que c'est compréhensible puisque les potins colportés par François Martin au fil des ans ne pouvaient que piquer la curiosité.
Ces documents que je vous ai apportés aujourd'hui, dont deux sont inédits, font état d'une source d'argent plus prosaïque. Comme ces documents en témoignent, M. Mulroney et sa famille menaient un grand train de vie. On peut comprendre qu'il était préoccupé par son avenir après son départ de la vie politique, et c'est peut-être ce qui explique son empressement à servir les intérêts des riches et des puissants. Dans la postface de l'ouvrage de Kaplan, j'ai illustré cette attitude à l'aide d' anecdotes, dont l'une n'a jamais été rapportée.
Toutefois, je vous prie instamment de rester vigilants et de ne pas vous laissez distraire par des ragots dignes du magazine Frank.
Vers la fin du deuxième mandat de M. Mulroney, l'organisme Transparency International plaçait le Canada au cinquième rang des pays les moins corrompus du monde. Quand M. Chrétien a quitté la politique, nous étions tombés au douzième rang. Et à la fin du règne de M. Martin, nous étions au quatorzième rang, ce qui montre bien que la corruption n'est pas le fait d'un seul des deux grands partis politiques.
Si on regarde les choses sous un jour plus positif, cela veut aussi dire que la solution réside elle aussi dans les deux partis qui, n'ayant jamais été au pouvoir, ne sont pas lourdement impliqués dans le problème. Depuis 2006, le Canada est remonté au neuvième rang, mais comme en témoignent certains faits rapportés par Travaux publics la semaine dernière, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire en sorte que le meilleur pays du monde soit également le moins corrompu au monde.
Contrairement à Paul Martin qui est intervenu résolument quand le scandale des commandites a éclaté, je doute grandement que M. Harper veuille vraiment faire la lumière sur l'affaire Airbus. Je doute aussi que l'enquête publique proposée permettra de savoir dans quelles poches sont allés les 10 millions de dollars distribués par M. Schreiber.
Un ministre de Mulroney a évoqué des possibilités plus sinistres lorsqu'il a visité la magnifique nouvelle demeure du PDG d'Earnscliffe, à l'époque une firme de lobbyistes conservateurs, ce qui pourrait étonner certains d'entre vous. Il s'est demandé pourquoi est-il tellement plus lucratif de connaître Harvey André que d'être Harvey André?
Si vous êtes ici aujourd'hui et si moi, je ne suis pas en train de promener mon chien tout en admirant les premières fleurs du printemps, c'est parce que la GRC a bousillé l'enquête Airbus. J'espère qu'au moment de rédiger votre rapport final, vous vous pencherez sur le système de procureur spécial mis au point par votre ancien collègue l'honorable Stephen Owen en Colombie-Britannique. Mais pour le moment, ce processus bancal est le seul espoir pour les Canadiens de découvrir le fin mot de l'affaire, une affaire dont les députés se sont désintéressés et à propos de laquelle une grande partie des médias a gardé le silence pendant très longtemps.
En tant que fonctionnaire semi-retraité, j'aurais très bien pu refuser d'écrire la postface de l'ouvrage de M. Kaplan, A Secret Trial, Brian Mulroney, Stevie Cameron and The Public Trust, et continuer à vivre tranquillement à Victoria. Vous avez mis du temps à vous pencher sur cette affaire, mais mieux vaut tard que jamais, à moins que l'exercice ne soit motivé que par des considérations partisanes.
[Français]
Vous détenez tous les pouvoirs nécessaires, et MM. Ménard et Comartin ont montré le chemin.
[Traduction]
Si vous voulez vraiment faire toute la lumière sur cette affaire, vous n'hésiterez pas à réquisitionner des états bancaires ou les relevés fiscaux. Vous presserez le gouvernement de conclure une entente avec M. Schreiber pour l'inciter à se mettre à table, s'il a des révélations dignes d'intérêt à faire.
Merci.
:
Monsieur Hiebert, vous permettez, c'est votre comité qui m'a invité ici aujourd'hui. Votre comité savait que je n'étais pas à Ottawa en 1985. Donc je ne comprends pas pourquoi vous m'interrogez de cette façon. Vous m'avez sommé de venir à Ottawa. Sachant ce que j'ai écrit dans le
Globe and Mail et ce que j'ai écrit dans la postface du livre de M. Kaplan, si vous avez lu ces choses, le comité était manifestement d'avis que je disposais d'informations qui étaient pertinentes. Donc, je ne comprends pas pourquoi vous me dites ces choses-là.
Quant à la déclaration de la GRC que vous avez citée, je ne crois pas la GRC, et je ne crois pas que les Canadiens la croient non plus. Je pense que les Canadiens sont aujourd'hui très sceptiques à l'égard de la GRC. Je pense qu'ils le sont pour toute une série de raisons: à cause des événements qui se sont produits en Colombie-Britannique récemment, à cause aussi d'une certaine annonce qui a été faite au cours de la dernière campagne électorale. Je crois que les Canadiens sont très sceptiques à l'égard de la GRC, et moi, je ne la crois pas. Je pense que vous devriez faire témoigner la GRC sous serment ici, et je vais vous donner le nom de l'inspecteur à qui vous devriez demander si la GRC avait confirmé que ces paiements en liquide avaient eu lieu lorsqu'elle avait mis fin à l'enquête. Je crois que la GRC fait partie du problème ici.
Vous êtes originaire de la Colombie-Britannique, donc vous savez ces choses. En Colombie-Britannique, deux premiers ministres ont fait l'objet d'une enquête de la part du procureur spécial, un de chaque parti, et des accusations au criminel ont été portées. Les deux ont été acquittés. Cela fait partie de notre système. Notre système judiciaire n'exige pas des condamnations; il exige une justice égale pour tous. Un troisième premier ministre a fait l'objet lui aussi d'une enquête, et le procureur spécial s'est opposé au dépôt d'accusations. Et les gens de la Colombie-Britannique étaient d'accord là aussi.
À Ottawa, c'est zéro à tous les niveaux de l'exécutif. J'ai été sous-ministre aux niveaux provincial et fédéral. J'ai été sous-ministre à Victoria et à Ottawa. Et je peux vous dire qu'il n'y a pas plus de corruptions politiques à Victoria qu'à Ottawa. Il vous faut un processus transparent.
Stephen Owen, dans sa recommandation, à l'époque où il était ombudsman de la Colombie-Britannique... se basait sur le raisonnement suivant: pour faire en sorte que la justice soit égale pour tous, et c'est le principe sur lequel notre système repose, il faut parfois avoir des dispositions spéciales en place lorsque des personnes éminentes sont visées, et particulièrement dans les cas politiques. Donc ce qui se passe en Colombie-Britannique, lorsque des allégations sont faites à l'égard d'une personnalité politique, le sous-procureur général adjoint, qui est fonctionnaire de carrière, nomme un avocat de l'extérieur à partir d'une liste établie par l'Association du Barreau et le ministère et c'est cette personne qui va faire enquête et décider si des accusations doivent être portées. C'est un système propre. C'est le système que nos cousins britanniques étudient en ce moment. C'est le système dont M. Harper a mentionné au cours de la dernière campagne électorale, lorsqu'il a parlé de nommer un directeur des poursuites publiques. Ce n'est pas tout à fait ce que nous avons eu, mais c'est le système dont nous avons besoin à Ottawa si nous voulons mettre fin à la descente de notre pays dans l'évaluation qu'en fait Transparency International.
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Merci, monsieur Spector. Votre témoignage, en tant que fonctionnaire de carrière ayant participé, est très large... Vous avez dû vous sentir très mal à l'aise quand vous travailliez au cabinet du premier ministre. Vous avez vu des transferts d'argent. Vous avez vu des gens aller et venir et de l'argent changer de mains. Apparemment, à votre départ, vous avez enregistré ce qui se passait, parce que beaucoup des chèques étaient faits à votre nom comme si vous travailliez... comme salaire, sur ces chèques.
On constate également que, plus tard, quand vous êtes retourné à... cela devait être en Colombie-Britannique, lors de la fusion des deux partis, le Parti réformiste et le Parti progressiste-conservateur. Vous avez alors eu une brève conversation avec le premier ministre actuel, lors de laquelle vous auriez apparemment discuté avec M. Harper de la situation, vu sans doute la fusion des deux partis, et abordé, si l'on en croit ce que vous avez écrit, les rapports que M. Harper pourrait avoir avec M. Mulroney. Lors de cette conversation, que vous relatez dans la presse, vous auriez fait certaines recommandations à M. Harper sur les rapports qu'il devrait avoir avec M. Mulroney.
Comme vous le savez, votre suggestion n'a pas été retenue, vu que, en 2006 encore, les liens entre M. Mulroney et M. Harper étaient étroits. Le premier ministre actuel a même été heureux de reconnaître en M. Mulroney l'un des architectes de sa victoire aux élections de 2006.
Après vous avoir entendu témoigner devant notre comité aujourd'hui, parler de votre travail dans le cabinet du premier ministre — celui de M. Mulroney — des conseils que vous avez formulés et de la situation telle qu'elle était, puis-je vous demander, vu la succession de personnes en complets sombres et cravates noires qui allaient et venaient sans raison apparente voir M. Mulroney, si vous seriez disposé à fournir à notre comité le nom de certaines de ces personnes.
:
Non, monsieur Hubbard, comme je l'ai dit me semble-t-il à Mme Lavallée, je ne reconnaissais aucun de ces individus.
Mais je dois apporter des précisions à certaines choses que vous avez dites; j'ai bel et bien rencontré M. Harper en 2003, quelques jours après la parution de l'article dans le Globe and Mail, le premier article qui portait sur les versements en espèces. M. Harper avait une expression peinée et m'a demandé ce qu'il devait dire. Ce n'était pas la raison pour laquelle nous nous étions rencontrés. Il a dit: « Que devrais-je dire si on me pose des questions à ce sujet? » Je ne lui ai pas donné de conseil. À ce moment-là, j'écrivais pour le Globe and Mail...
J'aimerais finir, parce que vous m'avez fait dire des choses que je préfère ne pas voir dans les transcriptions.
Je ne lui ai donné aucun conseil, parce que je pensais qu'étant donné la situation dans laquelle je me trouvais, j'étais bien mal placé pour donner des conseils politiques.
Je lui aurais dit d'être prudent, et je pense qu'il a fait une erreur en n'étant pas prudent. Toutefois, je pense que c'est une erreur que de nombreuses personnes commettent dans ce pays. Ne pensons qu'à la présentation spéciale de deux heures diffusée par CTV en septembre; il s'agissait d'un exercice de relations publiques authentique réalisé par le chef d'antenne au sujet de M. Mulroney. À la dernière minute, une question inattendue a été posée à M. Mulroney au sujet de l'argent. Si toute l'équipe de journalistes de CTV à Ottawa, tous ces journalistes qualifiés et bien payés de CTV, n'avaient pas senti qu'il fallait être prudent, si le chef d'antenne, le journaliste le plus expérimenté au Canada, Lloyd Robertson, n'avait pas eu l'impression qu'il fallait être très prudent, pourquoi Stephen Harper, le pauvre Stephen Harper, a-t-il dit « Soyons prudents »?
Je pense que ça répond probablement à votre question.
:
Merci, monsieur le président. Je suis conscient que nous avons seulement 45 minutes avant le vote, alors je lirai ma déclaration d'ouverture.
[Traduction]
Je m'efforcerai toutefois d'être bref, parce que je sais qu'il y aura des questions et le temps file.
Je crois que la déclaration préliminaire a été distribuée aux membres du comité, qui devraient donc l'avoir. Je l'ai préparée pour fournir un cadre vous permettant de poser des questions sur l'affaire Airbus.
Dans la déclaration préliminaire, monsieur le président, je rappelle que j'ai été ministre de la Justice et procureur général du Canada de novembre 1993 à juin 1997. Je rappelle aussi qu'il existait alors dans le ministère de la Justice, et je crois que c'est encore le cas maintenant, un Groupe consultatif international, composé d'un certain nombre d'avocats s'occupant de questions liées aux aspects juridiques des relations du gouvernement fédéral avec des gouvernements étrangers, notamment en matière d'extradition ou dans les cas où des services de police canadiens coopèrent avec des services de police étrangers.
Le groupe est aussi chargé de transmettre à des autorités étrangères les demandes adressées par des services de police canadiens qui ont besoin d'aide pour mener à bien des enquêtes. Il était courant, du moins dans les années 1990 où je travaillais au ministère, qu'un service de police canadien rédige une demande de collaboration à l'intention d'autorités étrangères, l'apporte au groupe, où les avocats veillaient à ce que la lettre soit conforme aux exigences du gouvernement étranger. Le gouvernement fédéral envoyait ensuite une demande de collaboration officielle au gouvernement étranger visé.
D'après les informations fournies par le ministère de la Justice, à partir de 1995, le ministère envoyait chaque année de 100 à 150 lettres de ce genre au nom des services de police de toutes les régions du Canada.
[Français]
Monsieur le président, ces demandes étaient toujours traitées par le ministère de la Justice et le service de police demandeur dans la plus grande confidentialité, parce qu'il s'agissait d'enquêtes en cours sur les activités des intéressés. On m'a dit qu'il n'y a jamais eu, auparavant, de cas où le contenu d'une lettre de ce genre ait été rendu public, bien que certaines d'entre elles, paraît-il, concernaient d'autres personnages fort connus.
[Traduction]
Je dois également ajouter que la politique et la pratique du ministère de la Justice dans chaque cas n'étaient pas d'informer ou de faire participer le ministre ou son cabinet de quelque manière que ce soit avant l'envoi de la demande. Comme ces lettres demandent de l'aide dans le cadre d'enquêtes policières en cours, le ministre n'a aucun rôle à y jouer et ne pourrait à bon droit ni les approuver ni les rejeter. La décision d'envoyer la demande appartient au service de police: il ne serait pas correct que le ministre de la Justice et procureur général du Canada décide s'il y a lieu de mener une enquête et comment.
Comme nous le savons tous, monsieur le président, le 29 septembre 1995, le groupe a adressé aux autorités suisses une demande au nom de la GRC concernant, entre autres, le très honorable Brian Mulroney. Cette lettre demandait aux autorités suisses de faciliter une enquête de la GRC. Conformément à la pratique en cours au ministère de la Justice, je n'ai pas été informé ou consulté avant que la lettre soit envoyée.
En fait, j'ai découvert l'existence de la lettre le samedi 4 novembre 1995 lorsque Me Roger Tassé, l'un des avocats de M. Mulroney, m'a téléphoné chez moi. Après qu'il m'a brièvement expliqué l'objet de son appel, je lui ai conseillé de s'adresser à mon sous-ministre et c'est ce qu'il a fait.
Le lundi suivant, le 6 novembre, j'ai pris connaissance du contenu de la lettre pour la première fois. Des fonctionnaires du ministère de la Justice ont recommandé que la question soit transférée à la GRC, au nom de laquelle la lettre avait été envoyée. Les avocats de M. Mulroney ont commencé par demander que cette lettre soit « retirée », mais j'ai appris par des fonctionnaires du ministère et de la GRC que ce n'était pas possible, puisqu'on y avait déjà donné suite. Elle avait été envoyée à l'étranger. L'ambassade du Canada l'avait remise à la Banque suisse, et en effet, des copies de la lettre avaient été remises aux détenteurs des comptes, MM. Schreiber et Moores.
On craignait aussi que tout effort pour retirer la lettre en fasse un point de mire particulier. Rappelez-vous qu'à cette époque, la lettre n'avait pas encore été publiée dans le Financial Post.
Le ministère de la Justice a cependant envoyé une lettre de suivi, rappelant les faits suivants aux mêmes autorités suisses: tout d'abord, que la demande ne contenait que des allégations non prouvées — il n'y avait pas eu de constatations, seulement une enquête — et qu'il fallait garder cela à l'esprit en lisant la lettre; et, deuxièmement, qu'il était absolument indispensable que les règles habituelles liées au respect de la confidentialité soient scrupuleusement appliquées. Cette lettre a été envoyée aux autorités suisses le 14 novembre.
Monsieur le président, le 18 novembre 1995, le Financial Post a publié un article sur la demande en question, en citant de larges extraits de la lettre. Jusqu'ici — et sous réserve de ce que je dirai dans un moment au sujet d'un avis d'expert obtenu par le gouvernement à ce sujet —, on ne s'explique pas comment le journal a obtenu cette lettre.
[Français]
Monsieur le président, ce même 18 novembre 1995, les avocats de M. Mulroney ont convoqué une conférence de presse à Montréal pour annoncer qu'ils intenteraient une action pour libelle contre le gouvernement du Canada et la GRC et demanderaient des dommages-intérêts de 50 millions de dollars.
Le gouvernement et la GRC ont contesté cette action et, de temps à autre, les parties ont tenté de régler la question hors cour. Dans le cadre de la procédure, M. Mulroney a témoigné sous serment, et des questions lui ont été posées sur divers sujets utiles. Ses réponses ont incité le gouvernement à conclure qu'il n'avait pas eu affaire à M. Schreiber.
[Traduction]
Au moment où le gouvernement et la GRC se préparaient au procès, nous nous sommes fiés à deux moyens de défense pour réagir à la poursuite.
Premièrement, que toutes les communications rédigées de bonne foi et dans un but avoué par ou pour le gouvernement du Canada étaient protégées par une immunité absolue ou relative, de sorte qu'aucune action civile ne pouvait être intentée à cet égard. Et nous avions des témoignages d'experts pour appuyer cette position.
Deuxièmement, qu'aucun des défenseurs n'avait en fait publié de libelle. Ce moyen de défense s'appuyait sur le fait que la lettre notifiée à M. Schreiber était en allemand. Dans les jours suivants la notification à M. Schreiber, quelqu'un s'est occupé, pour les avocats suisses, de faire traduire la lettre en anglais. Nous l'avons appelée la traduction Blum.
Nous avons demandé l'avis d'une spécialiste, qui a rendu un rapport sur lequel nous avions l'intention de nous appuyer au procès pour prouver que la version publiée dans le Financial Post était la traduction Blum. Notre spécialiste a identifié ce qu'elle a appelé une empreinte linguistique démontrant le lien entre les deux. Si nous avions pu prouver au tribunal que le journaliste s'inspirait de la traduction Blum, nous aurions pu affirmer que d'autres que les défendeurs avaient publié le libelle.
Peu avant le procès, le ministère de la Justice a appris qu'un membre de la GRC avait, vers la fin de 1995, révélé à un tiers que la demande adressée aux autorités suisses contenait le nom de M. Mulroney. Les avocats m'ont informé que si cette divulgation non autorisée était produite en preuve au procès, elle détruirait notre premier moyen de défense — celui de l'immunité — et affaiblirait le second, lié à la publication. J'ai donc demandé aux avocats de rouvrir les négociations pour obtenir un règlement hors cour. Ces négociations ont donné lieu au règlement hors cour que le solliciteur général Herb Gray et moi-même avons annoncé le 7 janvier 1997.
Dès le début, certains ont prétendu que l'enquête de la GRC en la matière a été entamée par moi-même ou d'autres personnalités politiques dans un esprit vindicatif ou pour des raisons partisanes. Le règlement hors cour, signé personnellement par Brian Mulroney, précise la position de celui-ci à cet égard. Au paragraphe 8, les parties au règlement reconnaissent que la procédure employée pour envoyer la demande aux autorités suisses était identique à celle qui avait été appliquée en de nombreuses occasions sous les gouvernements Chrétien et Mulroney. Au paragraphe 9 du règlement, les parties reconnaissent que la GRC avait entamé l'enquête sur l'affaire Airbus de son propre chef, que je n'avais rien à voir avec la décision de procéder à cette enquête et que je ne connaissais pas l'existence de la lettre avant le 4 novembre 1995.
Enfin, j'aimerais simplement ajouter que bien que le ministère de la Justice ait adressé pendant longtemps des lettres de ce genre dans un langage semblable, je pense que nous avons tous tiré des leçons de cet incident, et je crois certainement que le fait de tirer des conclusions alors qu'en réalité, on parle vraiment d'allégations, est répréhensible. J'ai donc ordonné que cette pratique au ministère de la Justice soit modifiée après avoir pris connaissance de la demande qui nous occupe. Par ailleurs, j'ai invité l'honorable Allan Goodman, juge retraité de la Cour d'appel de l'Ontario, à examiner toute la procédure relative à ce genre de demande et à recommander des mesures pour l'améliorer. Le juge Goodman a rédigé un rapport et formulé des recommandations au début de 1997. J'ai accepté et mis en oeuvre toutes ses recommandations.
[Français]
Monsieur le président, j'espère que cet aperçu sera utile aux membres du comité et je serai très heureux de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Rock.
Monsieur Rock, je pense m'exprimer au nom de nombreux Canadiens lorsque je dis que nous voulons récupérer notre argent; il s'agit manifestement de l'une des raisons pour lesquelles nous faisons actuellement pression, étant donné que Brian Mulroney a poursuivi le gouvernement du Canada pour obtenir 50 millions de dollars parce que nous avons laissé sous-entendre qu'il avait accepté de l'argent de Karlheinz Schreiber. Nous savons maintenant qu'il a bel et bien accepté de l'argent de Karlheinz Schreiber, et comme vous l'avez dit vous-même, vous n'auriez probablement pas recommandé un règlement si vous l'aviez su à ce moment-là.
Ce que je ne comprends pas, toutefois, et peut-être pourrez-vous m'aider à comprendre, c'est pourquoi nous avons envoyé des lettres d'excuses à Schreiber, à Moores ainsi qu'à Brian Mulroney. Cette disposition ne faisait pas partie du règlement hors cour, que j'ai lu très attentivement, mais le gouvernement du Canada a cru nécessaire de s'excuser auprès de Schreiber, de Frank Moores, de la même manière qu'il s'est excusé auprès de M. Mulroney.
Je vous demanderais de répondre à cette observation, mais puisque nous avons si peu de temps, j'aimerais tout d'abord vous dire que de nombreuses personnes ont l'impression que vous avez baissé les bras trop tôt. De nombreuses personnes pensent que les libéraux étaient impatients de se débarrasser de cette enquête, parce que si on creusait trop, on aurait appris que Schreiber rencontrait André Ouellet, Doug Young ainsi qu'Allan J. MacEachen. Schreiber s'était immiscé dans le Parti libéral, tout comme il s'était immiscé dans le Parti conservateur à ce moment-là. Peut-être pourriez-vous répondre à cela, pour ceux qui pensent, en général, que vous avez baissé les bras trop tôt et que c'était en partie pour que le Parti libéral ne souffre pas d'une enquête en bonne et due forme.