:
Monsieur le président, députés de la Chambre des communes, j'ai été le premier ministre du Canada de 1984 à 1993.
Durant ces années, j'ai consacré toute mon énergie et tous mes efforts à ce qui me paraissait comme étant le meilleur intérêt de mon pays, le Canada.
Je suis fier de ce que nous avons accompli comme gouvernement.
Comme tous les dirigeants, cependant, j'ai connu ma part d'échecs, de regrets et d'erreurs.
[Traduction]
Parmi les erreurs que j'ai commises, la deuxième en importance — et je n'ai que moi à blâmer — est d'avoir accepté des paiements en argent comptant de la part de Karlheinz Schreiber pour un travail qu'il m'a confié après que j'eusse quitté mes fonctions. Je vous dirai aujourd'hui comment c'est arrivé.
La plus grave erreur de ma vie a été de loin celle d'avoir au départ accepté qu'on me présente à Karlheinz Schreiber. Je vais vous dire aujourd'hui dans quelles circonstances cela s'est produit.
En conséquence, il y a des Canadiens qui se demandent si j'ai fait quelque chose de mal ou de contraire à l'éthique pendant que j'étais premier ministre ou après. Permettez-moi de tirer les choses au clair une bonne fois pour toutes:
Primo, je n'ai jamais reçu un sou de qui que ce soit pour des services rendus à qui que ce soit en rapport avec l'achat de 34 appareils Airbus par Air Canada en 1988.
Secundo, je n'ai pas reçu un sou de Thyssen Industries ni de tout autre client de M. Schreiber pendant que j'étais premier ministre.
Tertio, je n'ai jamais eu d'avocat à Genève, ni ailleurs en Suisse, sauf pour me défendre contre des fausses accusations portées contre moi en 1995.
Quarto, je n'ai jamais eu de compte bancaire en Suisse.
Quinto, ni moi ni personne d'autre en mon nom n'a jamais demandé à M. Schreiber ou à son avocat de se parjurer ou de mentir au sujet des paiements reçus de sa part.
[Français]
Permettez-moi de tirer les choses au clair une bonne fois pour toutes.
D'abord, je n'ai jamais reçu un sou de qui que ce soit pour des services rendus à qui que ce soit en rapport avec l'achat des 34 appareils Airbus par Air Canada en 1988.
En deuxième lieu, je n'ai pas reçu un sou de Thyssen Industries ni de tout autre client de M. Schreiber pendant que j'étais premier ministre du Canada.
Troisièmement, je n'ai jamais eu d'avocat à Genève ni ailleurs en Suisse, sauf, bien sûr, pour me défendre des fausses accusations portées contre moi en 1995.
Je n'ai jamais eu de compte bancaire en Suisse.
Finalement, ni moi ni personne d'autre en mon nom n'a jamais demandé à M. Schreiber ou à son avocat de se parjurer ou de mentir au sujet des paiements reçus de sa part.
[Traduction]
Monsieur le président, permettez-moi donc de vous exposer quelques faits susceptibles de vous éclairer dans le dossier qui vous occupe, après quoi je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Voilà 12 ans et un mois, ma famille et moi avons été frappés par la plus grande calamité de toute ma vie. Le gouvernement du Canada demandait l'aide de la Suisse par voie de lettre officielle où il était écrit que j'avais accepté des pots-de-vin en rapport avec l'achat d'appareils Airbus par Air Canada et que j'avais de ce fait un montant de 5 millions de dollars dans un compte bancaire en Suisse. Le gouvernement du Canada déclarait formellement à un gouvernement étranger que j'étais un criminel dès le moment de mon entrée en fonction.
J'étais absolument atterré par ces allégations totalement fausses. Il y avait là de quoi ruiner ma réputation et ma famille. Nous n'avons appris que plus tard, par un témoignage de la GRC livré sous serment, que la police appuyait ses dires sur de l'information recueillie principalement auprès d'un journaliste canadien qui était, allions-nous apprendre plus tard, un informateur secret de la GRC.
Sachant que toutes ces accusations étaient fausses, j'ai poursuivi le gouvernement fédéral pour libelle diffamatoire et je me suis battu pendant deux ans pour laver mon nom de tout soupçon.
Ce fut extrêmement pénible pour moi et les miens. Le stress et l'angoisse que nous avons tous subis à cause de ces allégations et de leur énorme retentissement dans les médias canadiens et étrangers sont presque impossibles à décrire. Les dommages causés ne se mesurent pas en dollars et en cents. Il faut avoir traversé une pareille épreuve pour en mesurer tout l'impact. C'est comme frôler la mort.
[Français]
Le 6 janvier 1997, le gouvernement fédéral communiquait avec mes avocats et proposait un règlement hors cour.
Nous avons eu droit, ma famille et moi, à des excuses pleines et entières. De plus, le gouvernement a fait la déclaration suivante, et je cite:
Sur la foi de la preuve recueillie à ce jour, la GRC admet que toutes les conclusions de méfait attribuable à l'ancien premier ministre étaient et demeurent injustifiées.
Après avoir mené son enquête pendant encore six ans, le commissaire de la GRC m'a écrit une lettre datée du 17 avril 2003 dans laquelle il disait, et je cite:
Le 22 avril 2003, la GRC annoncera qu'après investigation exhaustive au Canada et à l'étranger, l'enquête sur les allégations résiduelles de 1995 à propos d'actions fautives impliquant MBB Helicopters, Thyssen et Airbus aboutit à la conclusion que les allégations sont dénuées de fondement et ne feront donc l'objet d'aucune accusation.
Le 6 octobre 1997, l'ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, le regretté Alan B. Gold, en sa qualité d'arbitre spécial, ordonnait au gouvernement de verser 2,1 millions de dollars à titre de frais juridiques et autres dépenses.
Ce montant est allé intégralement à mes avocats et mes conseillers. Contrairement à certaines rumeurs, je n'ai jamais tiré un seul sou.
[Traduction]
Le 6 octobre 1997, le regretté Alan B. Gold, ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, ordonnait au gouvernement, en sa qualité d'abrite spécial, de me verser 2,1 millions de dollars à titre de frais juridiques et autres dépenses. Ce montant est allé intégralement à mes avocats et mes conseillers. Contrairement à certaines rumeurs, je n'en ai jamais tiré un seul sou.
Monsieur le président, en 1998, ma famille et moi pensions bien, après toute cette parodie, que ce long et pénible cauchemar était enfin derrière nous. Mais non, 10 ans plus tard, nous voici à nouveau ici ma famille et moi.
J'ai rencontré M. Schreiber pour la première fois par le biais de la politique. Je ne savais rien de lui sinon qu'il était un homme d'affaires averti, président du conseil de Thyssen Canada, filiale d'une très grosse multinationale qui comptait quelque 180 000 employés. Je n'ai pas vraiment eu de rapports qui vaillent avec lui jusqu'à ce qu'il se fasse l'agent promoteur d'un projet en Nouvelle-Écosse, qui allait être surnommé plus tard le projet Bear Head. Il s'agissait d'une usine où Thyssen construirait des blindés légers. J'étais en faveur du projet; je le trouvais solide et bon pour le développement économique dans l'est de la province, d'autant que celle-ci, avec les fermetures qui avaient eu lieu à Glace Bay et à Cap-Breton, avait désespérément besoin d'emplois. Mais en définitive, après une étude approfondie du dossier par les fonctionnaires, il est apparu que le coût d'environ 100 millions de dollars à prendre en charge par le gouvernement était simplement au-dessus des moyens de celui-ci à l'époque, de sorte que le Cabinet a fini par rejeter ce projet qui aurait permis de créer de précieux emplois dans la région.
J'ai appris par la suite que M. Schreiber avait été vivement contrarié par cette décision, mais il n'a pas abandonné la partie. Au début des années 1990, il nous est revenu avec une version modifiée du projet, qui serait mis en oeuvre cette fois dans l'est de Montréal.
En juin 1993, j'ai su que M. Schreiber désirait, comme tant d'autres, me faire une visite de courtoisie avant mon départ. Je n'avais aucune raison de refuser. C'est ainsi qu'il est venu, le 23 juin 1993, non pas dans une limousine mise à sa disposition, comme on l'a prétendu dans un reportage à la télévision, mais dans la vieille Jeep d'un jeune membre du personnel.
Après les politesses d'usage, nous avons parlé de la scène politique canadienne, puis de la réunification de l'Allemagne, un sujet qui lui tenait très à coeur. Au sujet du projet Bear Head, évoqué brièvement, je lui ai fait part de mes regrets et lui ai souhaité bonne chance. Il n'a pas fait la moindre allusion à un rôle quelconque que je pourrais jouer, une fois revenu à la vie privée, pour l'aider dans quelque entreprise que ce soit. Il a juste dit qu'il aimerait rester en contact et peut-être faire appel à moi un de ces jours étant donné mes antécédents et mes relations internationales.
Monsieur le président, je ne saurais dire ce qu'il avait en tête alors, mais je puis vous affirmer que ce jour-là, au lac Harrington, il n'a absolument pas été question, mais alors pas du tout, de futurs arrangements d'affaires entre lui et moi.
[Français]
J'en arrive maintenant à la première fois où M. Schreiber m'a bel et bien demandé de faire un travail pour lui. Nous sommes à la fin d'août 1993, et j'ai repris la pratique du droit à Montréal. Je reçois un appel de M. Fred Doucet, dont je sais qu'il agit à titre de représentant ou de lobbyiste pour M. Schreiber et pour d'autres, je présume, ici, à Ottawa. Il me dit que M. Schreiber l'a appelé pour demander si je serais disposé à le rencontrer afin de discuter de ma participation à un mandat économique international. Je ne vois aucune raison de refuser une ouverture de ce genre, qui est d'ailleurs tout à fait conforme aux lignes directrices concernant les conflits d'intérêts. Fred Doucet, qui fait part de mon acceptation à M. Schreiber, finit par me rappeler pour me dire que le rendez-vous en question est possible le 27 août à l'hôtel Canadien Pacifique de l'aéroport international de Mirabel, au Québec, où il a réservé une chambre en attendant son vol pour l'Europe, prévu pour le soir même.
Le rendez-vous me convient, vu que j'habite alors avec ma famille à moins d'une demi-heure de là, dans un chalet loué à l'Estérel. Un détachement de la GRC me conduit à l'hôtel et m'escorte jusqu'à la chambre de M. Schreiber.
Durant notre entretien, M. Schreiber se dit d'abord ennuyé par le fait que le gouvernement que je dirigeais n'ait pas approuvé le projet Bear Head et il m'annonce qu'il projette d'intenter une poursuite en dommages et intérêts. Il me laisse une copie de la poursuite, et je lui dis qu'il est bien libre d'agir à sa guise.
[Traduction]
Ensuite, il me confie que Thyssen trouverait très utile de pouvoir compter sur un ancien premier ministre pour faire la promotion à l'étranger de son véhicule de maintien de la paix, puis il me remet des prospectus du véhicule en question. Il ajoute qu'il aimerait retenir mes services pour ce travail de représentation à l'étranger.
Comme je lui réponds que c'est le genre d'activités à l'étranger où je pourrais effectivement me rendre utile, pourvu qu'il ne s'agisse pas de représentation au Canada, il sort une enveloppe grand format et me la remet.
Il me dit à ce moment-là: « Voici un premier acompte ». Il précise ensuite qu'il y aura trois paiements en tout, pour trois ans. Voyant que j'hésite, il me dit: « Je fais des affaires dans le monde entier et je traite uniquement en argent comptant. C'est comme cela que je fonctionne ».
Quand j'y repense aujourd'hui, je me rends compte que c'était une grave erreur de jugement d'accepter un paiement en argent comptant pour ce travail, même s'il n'y avait là absolument rien d'illégal. Cette erreur de jugement était la mienne et la mienne seule, je m'en excuse et j'en assume l'entière responsabilité.
[Français]
Quand j'y repense aujourd'hui, je me rends compte que c'était une grave erreur de jugement que d'accepter un paiement en argent comptant pour ce travail, même s'il n'y avait là absolument rien d'illégal.
Cette erreur de jugement était la mienne. Je m'en excuse et en assume l'entière responsabilité.
[Traduction]
M. Schreiber a admis récemment devant un journaliste que ce paiement en espèces était « une façon de prendre ses distances d'avec l'ancien premier ministre ». Puis il a ajouté: « Pensez-vous que Mulroney aurait préféré un chèque portant ma signature? »
J'ai répondu par un « oui » retentissant. Bien sûr, j'aurais accepté un chèque s'il l'avait offert. Comme je l'ai dit tantôt, à ce moment-là je ne le connaissais pas autrement que comme un homme d'affaires prospère. Naturellement, j'aurais préféré être rémunéré de la sorte.
En réalité, j'aurais dû refuser son offre. J'aurais dû insister pour que le paiement se fasse de façon plus transparente, plus imputable. En ne le faisant pas, j'ai créé par inadvertance une impression d'irrégularité qui, je l'espère, ne jettera pas le discrédit sur la haute charge que j'ai eu le privilège d'occuper.
Lorsque j'ai quitté mes fonctions après une décennie de service public à Ottawa, j'ai vécu la même incertitude que bien d'autres parlementaires qui retournent à la pratique privée. Mais j'estimais que mes perspectives étaient bonnes. Cette occasion que m'offrait M. Schreiber me semblait intéressante, et tout à fait dans mes cordes aussi étant donné sa dimension internationale.
Après avoir accepté le premier acompte pour ce travail à l'étranger et durant la période où deux autres paiements ont été versés, j'ai fait des voyages en Chine, en Russie, en Europe et un peu partout aux États-Unis, où j'ai rencontré des dirigeants des secteurs public et privé et exploré avec eux les débouchés éventuels de ce véhicule blindé, que ce soit pour des besoins nationaux ou des initiatives internationales de maintien de la paix menées sous les auspices ou avec l'aide des Nations Unies.
Environ deux ans après cet accord — que M. Schreiber a lui-même qualifié de parfaitement légal à tous les égards, comme je l'ai déjà signalé — mon univers s'est presque écroulé avec la publication de cette lettre fausse et diffamatoire adressée par le gouvernement du Canada dans le dossier Airbus. J'étais anéanti par l'angoisse et l'incompréhension tandis que j'essayais de comprendre la nature de la catastrophe qui me tombait dessus et de rassurer ma famille, mes amis et le pays tout entier quant à mon entière innocence.
Comme M. Schreiber était aussi accusé dans la même lettre adressée à la Suisse, évidemment tout le travail que j'avais fait jusque-là prenait fin abruptement. Les acomptes ne m'avaient servi qu'à payer les dépenses que j'avais engagées pour promouvoir les intérêts de M. Schreiber durant mes déplacements à l'étranger.
En août 1999, M. Schreiber était arrêté à Toronto en vertu d'un mandat international et accusé en Allemagne de corruption, de fraude, de trafic d'influence et d'évasion fiscale. Bien que j'eusse appris quatre ans plus tôt, monsieur le président, à accueillir avec beaucoup de scepticisme certaines accusations portées par l'État contre les simples citoyens, cette nouvelle ahurissante a fait naître un doute sérieux dans mon esprit quant à mes relations avec M. Schreiber. J'ai jugé que la meilleure chose à faire était de déclarer le montant entier comme un revenu, en absorbant moi-même les dépenses, et de me verser des honoraires auxquels j'avais droit.
J'ai par conséquent donné instruction à mes conseillers de communiquer avec les autorités fiscales et de leur faire savoir que je déclarais volontairement comme revenu le montant reçu dans cette transaction privée afin que toutes les taxes applicables soient acquittées.
Maintenant, comme vous le savez, monsieur le président, M. Schreiber et moi sommes actuellement en litige à Toronto à propos de la valeur des services rendus. Cette affaire sera tranchée devant un tribunal.
[Français]
Messieurs et mesdames les députés, il y a un autre point que j'aimerais porter à l'attention du comité afin de couper court à toute erreur d'interprétation, parce que les médias se sont mépris quelque peu sur la relation que j'avais avec M. Schreiber.
Dans la poursuite en diffamation que j'ai intentée à la suite des allégations concernant Airbus, les avocats du gouvernement canadien ont demandé de m'interroger avant de répondre à l'accusation en avril 1996. Au Québec, la loi dit clairement que le défendeur qui choisit de le faire avant d'exposer sa défense peut poser uniquement des questions se rapportant à la prétention contenue dans l'énoncé de la plainte. Or, ma plainte contre le gouvernement du Canada se limitait au caractère diffamatoire des déclarations qu'il avait faites, à savoir que j'avais reçu des pots-de-vin pendant que j'étais premier ministre, notamment en rapport avec l'affaire Airbus.
Voilà dans quel contexte juridique s'inscrit le témoignage que j'ai livré au Palais de justice de Montréal, interrogé par le gouvernement fédéral, qui était représenté ce jour-là par pas moins de neuf avocats.
L'audience devait durer deux jours, mais elle a été levée après seulement une journée et demie parce que les neufs avocats ont déclaré n'avoir plus de questions à me poser. Pas une fois ils ne m'ont demandé directement si j'avais établi une relation commerciale avec M. Schreiber après avoir quitté la politique.
[Traduction]
Or, les médias ont fait tout un tapage au sujet de ma déclaration selon laquelle « Je n'ai jamais eu de rapport avec M. Schreiber », allant jusqu'à m'accuser de renier la relation d'affaires conclue avec lui après mon départ de la vie publique. Cette façon d'interpréter mon témoignage est erronée, comme M. Schreiber lui-même vous l'a clairement indiqué la semaine dernière.
Et bien qu'elle ait refait surface dernièrement, cette accusation avait été corrigée plus tôt cette année par le National Post et par le Globe and Mail, qui ont tous deux publié des excuses, ou du moins des éclaircissements, pour avoir véhiculé cette calomnie. Je vous cite à ce propos le National Post:
Notre article citait une partie du témoignage de l'ancien premier ministre Brian Mulroney, dans son action en libelle intentée contre le gouvernement du Canada en 1996. Or, il n'exposait pas pleinement le contexte d'un extrait du compte rendu où M. Mulroney disait n'avoir pas eu de relations avec Karlheinz Schreiber. L'article omettait de préciser que M. Mulroney répondait à une question sur l'achat d'appareils Airbus par le gouvernement fédéral et affirmait qu'il n'avait pas eu de rapports avec M. Schreiber dans ce contexte-là.
[Français]
Selon toute interprétation raisonnable de mon témoignage, lorsque j'ai dit, et je le cite textuellement: « Je n'ai jamais eu de rapports avec M. Schreiber », je faisais clairement allusion à la vente d'appareils Airbus et à l'époque où j'étais au gouvernement canadien.
[Traduction]
En terminant, membres du comité, je vous demande de réfléchir un instant au sentiment que vous éprouveriez, vous et votre famille, si vous étiez si injustement accusés.
La semaine dernière, un jeune député plein d'avenir a vu sa réputation atteinte lorsqu'une collègue a répandu des faussetés à son sujet à la Chambre des communes. En quelques minutes, l'affaire a fait le tour du pays, et surtout de la Colombie-Britannique où ce jeune homme habite, travaille et représente ses concitoyens. Sa réputation en a souffert, sa crédibilité aussi, et son intégrité a été mise en doute. Comme disait si bien Edward R. Murrow: « Le temps que la vérité mette ses culottes le matin, le mensonge a déjà fait le tour du monde ». Heureusement, la députée fautive a eu tôt fait de s'excuser et de se rétracter. N'empêche que le dommage était fait.
Mais que se passe-t-il lorsqu'il n'y a pas de prompte rétractation et que vous êtes forcé de vous battre souvent pendant des années, avec tout ce que cela comporte de conséquences émotives et financières, pour vous défendre contre une fausse accusation. Qu'est-ce que cela représente pour vous et pour vos enfants?
Il y a 12 ans, ma réputation, mon héritage et l'honneur de ma famille ont été presque détruits à cause d'une fausse information transmise au gouvernement de la Suisse. Comme on l'a vu, la personne à l'origine de cette mascarade était un journaliste canadien qui se trouvait être aussi, en fin de compte, un informateur de la GRC obéissant à ses propres mobiles.
Depuis novembre, me voici à nouveau éclaboussé et traîné dans la boue à cause d'un affidavit déposé en cour par M. Schreiber. Chaque allégation faite par M. Schreiber à mon sujet dans cette affaire est entièrement fausse.
Ainsi donc, monsieur le président, nous savons maintenant pourquoi je me trouve ici aujourd'hui. À cause d'une erreur de jugement que j'ai commise il y a 15 ans, une fois revenu dans le secteur privé. Mais surtout parce que Karlheinz Schreiber, comme vous l'avez vu la semaine dernière et encore cette semaine, est prêt à tout dire, à tout signer et à tout faire pour éviter l'extradition.
Je vous remercie, monsieur.
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Dans l'affidavit du 7 novembre, qui vous a été remis, qui a déclenché tout cela, à l'article 15, M. Schreiber déclare sous serment:
C'est à cette rencontre que M. Mulroney et moi-même avons conclu l'entente. Le 23 juin 1993, M. Mulroney était toujours premier ministre du Canada et il avait sa résidence au 24, promenade Sussex, Ottawa (Ontario).
Voici donc ce qu'il dit essentiellement: le 23 juin, je suis toujours premier ministre. Selon lui, nous concluons une entente au lac Harrington.
M. Schreiber a par ailleurs déposé une autre déclaration sous serment, lors d'un autre procès, concernant son extradition, devant un autre tribunal, dont il ne vous a pas fait part, et c'était la même année. Huit mois avant qu'il ait déposé le faux affidavit dont nous parlons, il en a déposé un autre. Dans cet affidavit déposé devant la Cour fédérale du Canada, il parle de son témoignage dans l'affaire Eurocopter. Il est très fier du fait que monsieur le juge Paul Bélanger, dans cette affaire, a examiné attentivement son témoignage et a déclaré qu'il n'était pas un témoin hostile.
C'est pour cette raison que maître Bernstein, le procureur en chef de la Couronne, a voulu qu'il soit déclaré témoin hostile, parce qu'il ne disait pas la vérité. Le juge Bélanger n'était cependant pas d'accord et a rendu une décision en disant que M. Schreiber disait la vérité, qu'il n'était pas un témoin hostile, que dans l'affaire Eurocopter il disait la vérité.
M. Schreiber était si fier de cela qu'il a inclus cette décision dans son affidavit qu'il a déposé le 3 mars dernier, huit mois avant qu'il vous donne le faux affidavit, l'affidavit qui lui a permis de sortir de prison le 7 novembre.
Nous avons donc l'affidavit dans lequel M. Schreiber déclare que le juge Bélanger considérait que tout ce qu'il avait dit dans l'affaire Eurocopter était vrai. Et qu'a-t-il dit dans l'affaire Eurocopter? Voici ce qu'il a dit dans l'affaire Eurocopter:
Question: « Cette idée que vous avez eue, ce plan d'embaucher M. Mulroney, de quelle époque est-ce qu'on parle? »
Réponse de M. Schreiber: « Après que M. Mulroney eut quitté le gouvernement. »
Question de maître Bernstein: « Après qu'il eut quitté ses fonctions? Après qu'il eut quitté ses fonctions de premier ministre? »
Réponse de M. Schreiber: « Oui. Ja. »
Dans l'affaire Eurocopter, il déclare cela sous serment, et il en est si fier qu'il le répète et le déclare dans un affidavit. En mars dernier, huit mois plus tard, il dépose un affidavit, son affidavit qui lui permet de sortir de prison, et dit exactement le contraire: qu'il a conclu une entente avec moi le 23 juin au lac Harrington. Lequel des deux est un parjure?
Lequel des deux est un parjure, monsieur le président, et chers collègues? Est-ce la déclaration sous serment qu'il a déposée dans un autre affidavit le 3 mars? Ou est-ce l'affidavit qu'il a déclaré sous serment dans une salle de tribunal à Toronto le 7 novembre? Les deux ne peuvent pas être vrais.
Et je vous dirai, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, que M. Schreiber n'a jamais abordé avec moi, directement ou indirectement, quelque question que ce soit liée à l'emploi. Comment le savons-nous? Il a déclaré lui-même, sous serment, et c'est la seule fois qu'il a témoigné sous serment au Canada avant de venir ici. Et ce n'était qu'un peu plus loin dans la rue, à quelques pâtés d'ici, au palais de justice d'Ottawa, et vous avez... Je vous invite à lire attentivement. Il n'a pas déposé cet affidavit. Vous ne l'avez pas, mais vous devriez l'avoir. Regardez-le bien. C'est intéressant.
Vous me dites que M. Schreiber est, c'est le moins qu'on puisse dire, c'est peut-être le mieux qu'on puisse dire, un personnage louche. Rares sont ceux qui en disconviendraient aujourd'hui mais monsieur Dryden, je vous demande de vous rappeler que cela n'a pas toujours été le cas. Il y a 15 ans, je vous l'ai dit, vous n'avez peut-être pas entendu mon exposé liminaire, M. Schreiber était le président de Thyssen Canada, une firme comptant 3 000 salariés dans notre pays. Il était donc très proche de Thyssen dans le monde entier, une multinationale qui compte 180 000 salariés. Il était connu au Canada — en Alberta, à Ottawa, à Montréal — comme un homme d'affaires prospère, dur en affaires mais prospère.
Voilà le Karlheinz Schreiber que je connaissais et que j'avais rencontré. Il avait parmi ses associés des gens comme Marc Lalonde et Allan MacEachen, avec lesquels il était très ami. C'était rassurant, parce que c'était des gens d'un très haut calibre. Voilà le genre de personnes, des deux côtés du spectre, avec lesquelles il aimait frayer. Elmer MacKay — vous ne trouverez pas meilleur homme au Canada, homme plus honorable qu'Elmer MacKay. Voilà le genre de personnes qu'il fréquentait, et c'est tout ce que je savais de lui à l'époque.
Mais aujourd'hui, monsieur Dryden, c'est une question tout à fait fondée. Nous avons peut-être vous et moi une vision de la vie un peu différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a 15 ans, et nous voyons peut-être aussi les gens sous un oeil différent aujourd'hui.
Vous m'avez demandé pourquoi du liquide. J'ai essayé de répondre à cette question dans ma déclaration liminaire ainsi qu'en réponse à plusieurs questions. Du liquide, monsieur Dryden, parce que, comme il me l'a dit à moi et comme il l'a dit publiquement, il brassait des affaires aux quatre coins de la planète et comme il l'a dit: « Je ne traite qu'en liquide. » Moi j'avais hésité. Il a dit à des quotidiens: « Pensez-vous que Brian Mulroney aurait accepté un chèque de ma part? » Bien sûr, j'aurais accepté un chèque parce qu'à l'époque, il y a 15 ans, je vous l'ai déjà dit, je le connaissais uniquement comme un homme d'affaires respectable. Mais il m'avait dit qu'il ne traitait qu'en liquide.
J'ai déjà reconnu, monsieur, que j'avais commis une erreur de jugement, et je m'en suis excusé.
Vous m'avez demandé pourquoi dans des villes différentes. À Montréal, il passait par Mirabel, il avait loué une suite, il était à l'hôtel en route vers l'Europe.
À Montréal, il avait une chambre à l'Hôtel Reine Elizabeth. Il était arrivé à Montréal en provenance d'ailleurs au Canada et, ce soir-là, il allait prendre l'avion pour l'Allemagne — excusez-moi, pour la Suisse. Par le truchement d'un intermédiaire, il m'avait demandé si je pouvais passer prendre un café avec lui.
À New York, il logeait, si j'ai bien compris, à l'Hôtel Pierre où il avait la veille assisté à un banquet, en compagnie de l'honorable Allan MacEachen, pour fêter quelque chose qui concernait, je pense, une association quelconque entre l'Amérique du Nord et l'Allemagne. C'est donc là où il avait logé la veille. Il avait prévu d'assister à cette manifestation, tout comme moi d'ailleurs. Pour ma part, j'avais été invité à un déjeuner et à un banquet en l'honneur du mariage d'Elmer MacKay. Il venait en effet tout juste de se marier, et on avait organisé à son intention un déjeuner ou un banquet intime en son honneur à New York. La coïncidence a porté fruit. Je l'ai rencontré à son hôtel, l'Hôtel Pierre. C'était la transaction et c'est là que les choses se sont passées.
Je sais qu'en rétrospective, si on ignore tous les détails, on peut facilement dire que cela faisait mauvaise impression. C'est vrai. Mais, aussi étrange que cela pourrait paraître, c'était quelque chose de tout à fait innocent comme je viens de vous le dire. Il était là avec Allan MacEachen. Nous allions lui et moi assister à un banquet donné en l'honneur d'Elmer MacKay ce midi-là, de sorte que nous nous sommes rencontrés dans son hôtel.
Je dirais que votre question est également importante, monsieur, parce qu'on a posé beaucoup de questions à propos des rapports.
J'étais là, dans sa chambre d'hôtel, dans sa suite, où il m'avait invité, et je lui ai fait un rapport pendant plus d'une heure pour lui parler des différentes initiatives que j'avais entreprises un peu partout dans le monde pour essayer de faire aboutir ce projet et de faire mousser son produit à l'étranger. Mon objectif en bout de ligne, monsieur Dryden, était d'être là où je pouvais être utile — comment pouvais-je me montrer utile dans tout ce processus?
J'avais pensé que si je pouvais voir les membres du P-5, les cinq membres permanents des Nations Unies — les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie — je pourrais alors voir le secrétaire général, s'il y avait eu quelque manifestation d'intérêt, pour lui faire une proposition selon laquelle le produit Thyssen — qui, je le dis en passant, était un produit superbe, tout le monde en a convenu — permettrait de mieux protéger nos Casques bleus et tous les autres. Le but de la chose était de voir si nous ne pourrions pas persuader les Nations Unies de profiter de cela et de généraliser cette potentialité en l'offrant aux membres qui participaient à des missions de maintien de la paix. C'est pour cette raison que je suis allé en Russie, en Chine, en Europe et aux États-Unis, dans l'espoir de pouvoir faire avancer ce dossier.