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INDU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 11 mai 2000

• 0931

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare ouverte notre séance conformément au mandat que confère au comité le paragraphe 108(2) du Règlement, examen de la Loi sur la concurrence.

Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui des témoins du Conseil canadien pour le commerce international: M. Robert Keyes, président-directeur général, et M. Milos Barutciski, membre du Comité sur la politique et le droit de la concurrence et associé de Davies, Ward and Beck.

Bienvenue à tous les deux. Je vous laisse la parole pour vos remarques préliminaires.

M. Robert Keyes (président-directeur général, Conseil canadien pour le commerce international): Merci, madame la présidente. Nous remercions le comité de nous donner l'occasion de lui présenter certains points de vue du monde des affaires sur l'importante question de la politique de la concurrence dans le contexte de votre examen de la Loi.

Le CCIB, ou Conseil canadien pour le commerce international, est le secrétariat d'affaires canadien de deux importantes organisations internationales, la Chambre de commerce internationale et le Comité consultatif économique et industriel auprès de l'OCDE—et à ce titre, nous sommes la principale voix du monde des affaires sur les questions de politique discutées dans le cadre de diverses institutions multilatérales—l'ONU, l'OCDE et l'OMC. Nous avons aussi un comité très actif en matière de politique de la concurrence, et nous estimons donc être qualifiés pour formuler des commentaires sur la Loi.

Nous nous occupons de cette question depuis le début des années 90 et nous continuons à surveiller et à commenter les débats qui se déroulent au sein de l'OCDE, de l'OMC et du Comité consultatif international sur la politique de la concurrence.

Pour vous situer le contexte, je précise que le caractère de plus en plus international des transactions d'affaires s'est traduit par un nombre croissant de fusionnnements et de projets en coopération qui relèvent de la compétence non plus d'une seule, mais de plusieurs autorités de réglementation de la concurrence. Telle est la nature de la mondialisation croissante qui constitue la réalité d'aujourd'hui.

Face à ces tendances, les autorités responsables de la concurrence examinent des formes de coopération qui permettront de faciliter et de coordonner les divers examens, enquêtes et processus de décision.

Tout en reconnaissant les avantages potentiels de ce genre de coopération entre autorités, le monde des affaires s'inquiète aussi beaucoup d'un de ses principaux aspects: l'échange d'informations confidentielles sur les sociétés par les autorités responsables de la concurrence. M. Barutciski vous en parlera plus en détail.

Ces informations, fournies aux autorités dans le cadre d'examens de fusions ou d'enquêtes antitrust, comportent souvent des détails extrêmement sensibles sur les stratégies des entreprises, leurs plans d'investissement, leurs objectifs et leurs méthodes de commercialisation. Il est donc très important de protéger ces informations.

M. Barutciski est associé du cabinet juridique Davies, Ward and Beck, et c'est un membre précieux de notre conseil qui participe aux travaux de notre Comité de la politique et du droit de la concurrence. Il préside aussi le Comité des affaires internationales de la Chambre canadienne de commerce, organisation avec laquelle nous collaborons étroitement. Il a un solide bagage dans ce domaine, et je crois qu'il sera très qualifié pour vous parler de la Loi sur la concurrence.

• 0935

Je vais maintenant laisser la parole à Milos. Je précise que nous vous communiquerons plus tard des commentaires écrits sur certains des points clés. Étant donné le délai très court dont nous disposions, nous n'avons pas eu le temps de le faire jusqu'à présent, mais nous vous transmettrons plus tard ces documents écrits.

Je laisse maintenant la parole à Milos.

La présidente: Très bien.

M. Milos Barutciski (membre, Comité de la politique et du droit de la concurrence, Conseil canadien pour le commerce international): À titre de référence, comme le disait Bob, je participe non seulement aux travaux du CCIB, mais aussi à ceux de la Chambre de commerce, dont je préside le Comité des affaires internationales.

Depuis 15 ans, je suis non seulement avocat de la concurrence, mais aussi avocat du commerce international. En substance, les transactions d'affaires internationales constituent la totalité de mon activité.

Pourquoi suis-je ici pour vous parler de cette question? Pour vous expliquer dans quel esprit nous formulons nos commentaires aujourd'hui, je vous dirai que nous nous concentrons en fait uniquement sur le projet de loi C-471, le projet de loi d'entraide juridique présenté par Mme Jennings.

Je dirais d'emblée que nous sommes favorables à ce projet de loi. C'est à notre avis une mesure législative extrêmement bien rédigée. C'est un texte raffiné, pas un document rédigé à la va-vite.

Cela dit, nous souhaiterions formuler des commentaires dans le but d'améliorer ce projet de loi et de lui permettre d'atteindre plus efficacement ses objectifs. J'espère que c'est dans cet esprit que vous interpréterez nos remarques.

Pourquoi moi, plutôt que bien d'autres membres de notre Comité du droit et de la politique de la concurrence, ou même le président de ce comité? En fait, mon expérience dans ce domaine remonte à peu près au début de la coopération internationale pour l'application des dispositions antitrust, c'est-à-dire à 1991.

J'exerçais auparavant dans le privé ici à Ottawa, et je suis entré au Bureau de la concurrence en tant que conseiller principal sur les affaires internationales, tout d'abord auprès de l'ancien commissaire, le directeur des enquêtes à l'époque, Howard Wetston, de 1991 à 1993, lorsque nous commencions tout juste à utiliser le traité d'entraide juridique, le MLAT, ce traité sur les affaires criminelles. C'était l'époque de la première affaire sur le papier fax, qui a été le premier grand succès, pas seulement au Canada, mais dans le monde entier, de la coopération internationale antitrust.

Par conséquent, je m'occupe de cette question littéralement depuis ses premiers balbutiements il y a une dizaine d'années, en tant que responsable de l'application. Je suis ensuite retourné dans le privé, mais le directeur suivant, sous un gouvernement différent, George Addy, a de nouveau fait appel à mes services. Je suis revenu un an à Ottawa, où j'ai là encore travaillé à plein temps en tant que conseiller spécial de George Addy, le sous-commissaire, sur les questions d'application internationales.

Donc, je m'occupe de toute cette question depuis le début. C'est un domaine qui me passionne, non seulement en tant que juriste privé, mais aussi en tant que responsable de l'application du droit dans des affaires particulières, et aussi au niveau de la politique. Donc, encore une fois, c'est un sujet qui me passionne.

Je pense, comme le CCIB d'ailleurs, ainsi que Bob l'a souligné, que nous devons améliorer et perfectionner le cadre législatif de la coopération internationale en matière d'application. Pour que tout le monde comprenne bien que c'est une position sur laquelle nous n'avons absolument pas changé, je précise qu'en 1995 déjà, quand George Addy, le commissaire de l'époque, a lancé un processus de consultation sur les propositions de modification—dont cette question faisait d'ailleurs partie, mais a ensuite été retirée du programme à la suite de l'affaire Schreiber et d'autres problèmes—le CCIB a soumis son point de vue au Bureau et déclaré qu'il était d'accord pour reconnaître que, compte tenu des tendances actuelles et futures à une internationalisation des activités des entreprises, il fallait donner aux autorités responsables du droit de la concurrence le pouvoir de s'échanger des informations pour être en mesure d'appliquer efficacement leurs lois nationales sur la concurrence.

Le CCIB a donc soutenu de façon assez constante les objectifs de ce projet de loi, et il maintient cette position.

En même temps, pour revenir à 1995 et même avant, comme le disait Bob, le CCIB a toujours tenu à s'assurer que les efforts d'amélioration de la coopération pour l'application des lois se fassent dans le respect des informations commerciales sensibles qui sont essentielles pour les entreprises canadiennes et qui sous- tendent leurs plans d'entreprise, leurs stratégies, leurs plans d'investissement, leurs plans de développement de produits, leurs plans de commercialisation, leur R et D et leurs stratégies de repli en période de difficultés. S'il y a des fuites, la divulgation de ces informations confidentielles peut être fatale pour une entreprise.

• 0940

Au fond, nous parlons des entreprises canadiennes et par conséquent des répercussions non seulement sur les entreprises elles-mêmes, mais sur leurs employés, leurs actionnaires et les localités où ces entreprises sont présentes.

Les enjeux sont considérables, madame la présidente. Nous estimons qu'il est indispensable d'avoir une coopération, mais qu'il est essentiel de définir parfaitement le cadre et le détail de cette coopération.

Pourquoi faut-il protéger les entreprises? Il y a tout d'abord ce que je viens de vous dire, le risque de retombées négatives sur les entreprises canadiennes et l'économie canadienne. La deuxième raison est plus générale, il s'agit en fait de l'intérêt public.

Si l'on met en place un système qui manque trop de rigueur et qu'il y a des risques de fuite ou que l'on a l'impression que les concurrents vont pouvoir obtenir certaines informations... N'oublions pas que certains de ces concurrents peuvent être des gouvernements, des autorités responsables de la concurrence, des autorités responsables de la concurrence étrangère, dans des pays qui ont de grosses entreprises commerciales étatiques. Si vous prenez l'Union européenne, il y a là-bas de nombreuses entreprises qui appartiennent à l'État. Il y a de nombreux gouvernements, pas seulement dans l'Union européenne, mais ailleurs aussi, qui cherchent assez systématiquement à favoriser leur industrie nationale lorsqu'ils mettent en place leurs lois sur la concurrence. Autrement dit, vous risquez de communiquer des informations à un gouvernement qui est aussi actionnaire ou propriétaire à 100 p. 100 d'une compagnie concurrente. Il y a là des risques inhérents assez importants.

Pourquoi s'agit-il là d'un intérêt public? L'intérêt du public au sens général au Canada, c'est... Un régime efficace d'application des lois sur la concurrence ne consiste pas simplement en un ensemble d'instruments fournis par la loi: perquisition et saisie, citations à comparaître, etc. Une fois l'enquête enclenchée, pour pouvoir appliquer efficacement la loi, il faut le plus souvent possible, et si possible même dans la totalité des cas, essayer de trouver une solution pour éviter tout un contentieux très coûteux aussi bien pour le gouvernement que pour le secteur privé.

Nous venons d'en terminer avec une très longue affaire, l'affaire Superior Propane, et croyez-moi, elle a coûté cher aussi bien à la partie adverse qu'à mon client. Ce litige a été très coûteux, et il portait sur toutes sortes de questions. Nous en avons terminé et nous attendons maintenant la décision.

Ce n'est pas un modèle idéal. Je crois que le commissaire, Konrad von Finckenstein, l'a dit lorsqu'il a comparu devant votre comité. Nous avons besoin d'un mécanisme plus efficace et plus rapide pour régler les différends.

Il faut en fait procéder comme on le fait pour résoudre la plupart des différends dans le contexte du droit de la concurrence au Canada, c'est-à-dire par le biais de négociations informées et d'une entente finale entre le Bureau et les entreprises concernées. Je souligne ici le terme «informé». Pour que ces discussions puissent être fructueuses et productives, il faut que les entreprises aient entièrement confiance dans le Bureau et soient convaincues qu'elles peuvent lui communiquer tous les faits pertinents sans risque de fuites qui leur seraient néfastes, le tout dans un contexte parfaitement légitime.

Je ne parle pas ici d'information concernant un cartel secret. Dans ce genre de cas, les affaires de fixation des prix vraiment sérieuses, les seuls cas où l'on divulgue ce genre d'information sont ceux où l'une des parties en présence plaide l'immunité ou recourt à la négociation de plaidoyer. Dans ces histoires de cartels, les affaires de concurrence vraiment sales, ou bien le Bureau obtient l'information par le biais d'un mandat de perquisition ou d'une citation à comparaître, ou l'entreprise vient d'elle-même dire: «Nous voulons régler cette affaire. Nous voulons la régler à de meilleures conditions qu'autrement, donc nous allons vous donner toutes les informations possibles, dans l'espoir que vous pourrez avancer». Nous savons comment se passe cette négociation de plaidoyer. Si nous vous aidons à coincer l'autre, nous espérons que vous allez relâcher un peu la pression sur nous et régler son compte à l'autre.

Nous sommes ici dans un contexte différent. Ce n'est pas du tout la même chose. Je pense qu'on peut le constater dans le sommaire du projet de loi, où l'on parle, si je me souviens bien, de promouvoir une entraide juridique internationale en matière civile, pour des affaires non criminelles, aussi bien que dans le document de réflexion du commissaire publié le mois dernier à propos de ce projet de loi et des autres projets de loi d'initiative parlementaire dont la Chambre est saisie.

Tels sont les éléments de contexte que je souhaitais vous présenter avant de passer à des commentaires très précis. Je le répète, je ne ferai pas de commentaires sur la rédaction du texte: enlever une virgule ici ou ajouter un mot là. Vous aurez tout le temps voulu pour le faire lors du processus de consultation. Il y aura un jour ou l'autre un comité parlementaire, un comité législatif, et vous pourrez donc peaufiner ce texte comme je peux le faire aussi bien que n'importe qui. Je suis sûr que les membres de ce comité ont beaucoup plus d'expérience du fignolage d'un texte législatif que quiconque de ce côté-ci de la table. Vous aurez tout le temps voulu.

• 0945

Les commentaires que je vais faire maintenant portent sur certains des principes directeurs et des éléments du projet de loi.

Comme je l'ai dit, nous félicitons Mme Jennings d'avoir présenté ce projet de loi. Il est manifestement très élaboré. Je m'occupe de ce domaine depuis plus de 10 ans, et en lisant le projet de loi, j'ai constaté que sa rédaction avait manifestement été influencée par un long historique de lois et de projets de loi dans ce domaine. Il s'inspire de la loi américaine d'aide internationale à l'application des mesures antitrust. Il s'inspire aussi des diverses propositions qui ont été présentées au Canada et ailleurs. C'est un projet de loi finement ciselé.

À notre avis, on pourrait le rendre encore plus rigoureux, encore plus précisément ciblé, en intervenant dans les domaines suivants.

Premièrement, nous disposons déjà d'un mécanisme de coopération en matière criminelle. Il s'agit de la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle et des traités négociés et mis en oeuvre en vertu de cette loi qui concernent l'application des dispositions judiciaires antitrust. Nous estimons donc que le projet de loi devrait être plus ciblé sur les affaires civiles, car je n'ai pas l'impression que ce soit le cas dans le texte actuel. C'est peut-être une omission, car d'après les commentaires préliminaires figurant dans le sommaire du projet de loi, c'est ce qui est suggéré.

Nous formulons ce point de vue pour la raison que je vous ai déjà expliquée il y a quelques instants: les considérations à prendre en compte dans des affaires judiciaires ne sont pas les mêmes que pour des affaires de droit civil, administratif ou de droit de la concurrence. Dans les affaires criminelles, on examine souvent ce qui s'est passé un an avant, ou même, dans bien des affaires de gros cartels, ce qui s'est passé 10 ou 15 ans avant. Des informations de ce genre ne sont pas particulièrement délicates du point de vue de la concurrence. C'est quelquefois le cas, mais pas toujours. C'est de l'histoire passée, alors que dans les affaires civiles, les affaires d'abus de position dominante, les fusions en particulier, on parle de l'avenir et les informations dont le Bureau a besoin pour enquêter sur ces affaires et évaluer correctement les dossiers sont des informations courantes, d'actualité des entreprises: leurs plans d'entreprise en cours, leurs capacités, leurs programmes de R-D et l'élaboration de leurs produits.

Ce sont des informations beaucoup plus délicates que les chiffres de part de marché et de production en 1983, que vous n'aurez peut-être pas envie de communiquer aux enquêteurs si cela risque de servir à prouver que vous avez commis une infraction criminelle, mais qui n'ont pas grand-chose à voir avec les informations sensibles sur le plan commercial ou confidentielles sur lesquelles votre comité doit se pencher. Dans ce genre de situation, les entreprises font appel à des gens comme moi. Ce qui vous préoccupe, en revanche, c'est l'intérêt public, et c'est pourquoi je dis que dans le contexte civil, ces informations doivent retenir votre attention tout autant que les entreprises auxquelles elles sont liées.

Le deuxième point—et je ne sais pas si on peut le faire valoir dans le projet de loi, mais il y a peut-être un moyen—c'est la question de la convergence. Le commissaire et d'autres personnes ont souligné la tendance à la convergence internationale du droit de la concurrence. C'est vrai. Mais en même temps, comme le sait quiconque suit de près l'évolution de cette situation, votre comité par exemple ou le Sous-comité du commerce du Comité permanent des affaires étrangères, cette convergence n'est pas allée suffisamment loin pour vraiment dégager le terrain au niveau international. Le fait que la politique de la concurrence ait suscité une telle controverse et qu'elle ait été l'une des pommes de discorde auxquelles on a rapidement renoncé à s'attaquer à Seattle en décembre dernier—et j'étais là en tant que représentant de la Chambre et du CCIB—montre bien qu'il reste du chemin à faire pour réaliser cette convergence.

Vous jugerez donc peut-être bon d'inclure dans le texte du projet de loi une mention stipulant que si nous coopérons avec quelqu'un, ce doit être avec un pays dont le droit de la concurrence reflète ou correspond à peu près à ce que nous appelons le droit de la concurrence, et non quelque chose de complètement différent—une politique de promotion de l'industrie nationale sous couvert de droit de la concurrence. Parmi les 80 et quelques lois sur la concurrence en vigueur dans le monde, je pourrais vous en signaler plusieurs qui sont surtout des moyens de favoriser une politique industrielle et de privilégier des industries nationales en les avantageant au détriment des concurrents étrangers, plutôt que de véritables lois sur la concurrence destinées à garantir une concurrence authentique.

Je vais maintenant vous présenter en deux minutes environ une liste de suggestions. Je serai très bref.

La question clé à notre avis en ce qui concerne ce projet de loi, c'est celle de l'avis. Nous estimons que l'avis aux sociétés qui ont fourni l'information présente une importance capital. Encore une fois, dans les affaires civiles, on ne parle pas de démanteler un cartel clandestin; on parle d'intervention dans le cas d'une fusion qui a été annoncée et signalée aux autorités, ou d'intervention lorsqu'un plaignant accuse un concurrent d'avoir abusé de sa position dominante et se déclare victime des abus de ce concurrent. C'est quelque chose de public, les gens sont au courant. Donc l'argument selon lequel, si vous annoncez que vous allez communiquer les informations aux Américains ou aux Européens, vous allez compromettre l'enquête, cet argument en fait ne tient pas debout.

• 0950

C'est peut-être vrai dans une affaire de cartel si le cartel existe toujours, ou même dans le cas d'un ancien cartel dont les responsables, s'ils sont au courant, risquent de passer immédiatement tous les documents compromettants à la déchiqueteuse pour effacer toute preuve, mais pas dans ce contexte-ci. Ce dont nous parlons ici, ce sont les pratiques d'actualité ou les actions envisagées, dans le cas des fusions.

Il s'agit donc de donner un préavis aux parties concernées avant que les informations soient communiquées, pour qu'elles puissent expliquer au gouvernement pourquoi telle information est particulièrement sensible et demander des garanties précises ou réclamer une procédure particulière, ou même refuser de donner cette information le cas échéant.

Deuxièmement, j'ai dit que je n'entrerais pas dans le détail du projet de loi, mais je souhaiterais tout de même attirer votre attention sur l'alinéa 30.4b). Il s'agit de la liste des éléments indispensables d'un accord. L'article stipule que tout accord doit contenir des dispositions visant: «la confidentialité de l'information communiquée par le Canada à un État étranger en exécution d'une demande».

À notre avis, tout ce que l'on dit ici, c'est qu'il faut prendre des mesures pour garantir la confidentialité. On ne précise pas quelles sont les normes de protection ou quelles doivent être ces mesures. Par conséquent, a priori, la Loi n'empêche pas le commissaire ou le ministre de conclure une entente dans laquelle il renonce totalement à protéger la confidentialité ou ne la protège que de façon extrêmement ténue. Nous souhaiterions donc recommander instamment à Mme Jennings et au gouvernement, s'il va de l'avant avec ce projet de loi, de définir cette protection de manière beaucoup plus précise.

Je vous donnerai l'exemple des États-Unis, pour lesquels la norme est que la protection de la confidentialité au sein du gouvernement auquel sont transmises les informations doit être au moins aussi rigoureuse que celle que nous avons au Canada. C'est assez... Je ne dirais pas que c'est une norme simple, car les protections varient d'un gouvernement à l'autre, mais c'est la norme que les États-Unis ont choisie, et la nôtre ne devrait certainement pas être inférieure à la leur, ne serait-ce que parce qu'une grande partie, sinon l'essentiel de notre coopération se fait avec les États-Unis.

Troisièmement, comme je l'ai déjà dit, le projet de loi ne stipule pas clairement que ce sont les affaires civiles et non criminelles qui sont visées, et je pense qu'il faudrait le préciser.

Quatrièmement, en ce qui concerne la mise en oeuvre, le projet de loi—je crois que c'est à l'article 30.6—précise que le commissaire est chargé de la mise en oeuvre de chaque accord. En principe, c'est logique, s'il a les informations et si c'est lui qui émet les ordonnances nécessaires ou qui obtient des mandats de perquisition s'il en a besoin, mais étant donné que le projet de loi stipule très clairement que le Canada conserve un droit de refus pour des raisons de sécurité, de souveraineté ou d'intérêt public, je dirais que le commissaire, qui a un mandat précis et étroit, n'est pas vraiment habilité à se prononcer au nom du gouvernement du Canada sur des questions de sécurité, de souveraineté ou d'intérêt public en général.

Je vous suggérerais donc de prévoir dans ce projet de loi, un peu comme c'est le cas dans les traités d'entraide juridique pour les questions criminelles, une disposition précisant le rôle du ministre de la Justice ou du ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, qui sont les véritables porte-parole du Canada sur les grandes questions d'application du droit et de relations internationales, de souveraineté et de sécurité.

Ici, on laisse un petit peu trop le policier faire la justice lui-même. Même dans le cadre de la Commission des valeurs mobilières, où il y a énormément d'échanges et de protocoles d'entente entre les trois grandes commissions des valeurs mobilières au Canada et la commission des États-Unis, les demandes sont généralement transmises par le personnel d'application à la commission. La commission est en quelque sorte indépendante à certains égards de son propre organe d'application. Elle exerce un rôle quasi judiciaire.

Mon cinquième et avant-dernier point concerne la communication volontaire d'informations. Je vous disais tout à l'heure que, pour qu'un processus de règlement des différends soit efficace, il fallait que la plupart des affaires soient réglées hors-contentieux. Cela veut dire que les entreprises doivent avoir suffisamment confiance dans le Bureau qui enquête sur elles pour pouvoir aller dire à ses dirigeants: «Écoutez, vous vous en prenez au mauvais cheval pour telle ou telle raison, et nous pouvons vous le prouver, mais nous hésitons un peu à vous communiquer ces informations si nous ne savons pas exactement à qui vous allez les transmettre ensuite».

Si le Bureau reçoit des informations fournies volontairement par les entreprises, nous estimons qu'il faudrait que cela se passe complètement en dehors de ce genre d'arrangement. Le Bureau aura toute latitude ensuite pour obtenir une ordonnance d'un juge en s'appuyant sur l'article 11 habituel, une procédure de citation à comparaître ou un mandat de perquisition, et pour cela il devra invoquer une procédure qu'il appliquerait même sur le plan intérieur.

• 0955

Enfin, sur la question des fusionnements en général, nous estimons que les demandes de fusionnement présentées en vertu de la partie IX de la Loi et les certificats de décision préalable ainsi que les informations fournies dans ce contexte devraient être exclus a priori de ce processus, et tout au moins que le Bureau ne devrait pas pouvoir communiquer ces informations une fois qu'il les reçoit. C'est un peu comme ce que je disais auparavant: on regarde vers l'avenir. Même les États-Unis ont exclu les fusionnements dans la Loi HSR. Les demandes en vertu de la Loi Hart-Scott-Rodino sont l'équivalent du préavis dans leur loi. Pourquoi? En raison du caractère particulièrement délicat et de l'importance future de ces informations.

Cela n'empêche pas le Bureau de demander que cela soit retiré de façon à pouvoir communiquer aux étrangers les informations qu'il peut leur donner. Je n'utilise pas ce terme «étrangers» dans un sens péjoratif, il s'agit simplement des gens avec lesquels nous coopérons lors d'une enquête. Quand ce sont des renseignements de ce genre que le Bureau a obtenus pour une raison bien précise, l'application de la réglementation sur les fusionnements, le Bureau sait que ces informations sont là, et il peut très bien s'adresser à un juge, comme il le ferait pour obtenir une ordonnance en vertu de l'article 11 ou un mandat de perquisition en vertu de l'article 8, et lui dire: «Monsieur le juge, nous avons une bonne raison de soupçonner la présence d'une infraction dans le pays étranger. Nous avons de bonnes raisons de penser qu'il existe des preuves de cette infraction à tel et tel endroit, au sein de telle et telle entreprise. Nous vous demandons de nous autoriser à obtenir cette information ou à la réclamer à l'entreprise».

Ce sont là nos commentaires précis. J'espère qu'ils vous seront utiles. Comme le disait Bob Keyes, nous allons essayer de rédiger quelque chose qui ne sera pas nécessairement plus détaillé ou plus long, parce que ce travail va se poursuivre, mais disons que nous allons essayer de résumer cela sous forme d'un texte plus utile pour vous.

Je vous remercie, madame la présidente, et mesdames et messieurs les membres du comité.

La présidente: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Je vous remercie, et je souhaite la bienvenue à nos deux témoins ce matin.

Monsieur Barutciski, je ne vais pas m'étendre sur vos recommandations précises. Je sais que nos attachés de recherche en ont pris bonne note. Je voudrais simplement profiter de votre présence ici et de votre expérience dans le domaine de la politique de la concurrence internationale pour discuter un peu de ce domaine. Je laisserai à mes collègues le soin d'aborder des points plus précis.

En ce qui concerne le droit international de la concurrence, qui deviendra, espérons-le, une réalité un jour—je sais qu'il y a un groupe de travail sur cette question à l'Organisation mondiale du commerce—je comprends très bien ce que vous dites à propos de la confidentialité des informations qui pourraient être transmises à d'autres gouvernements qui favorisent leurs entreprises nationales. Je sais que nombre d'entre eux se servent de la politique de la concurrence pour bloquer tout simplement l'accès à des compagnies étrangères.

Je me demande comment tout cela va évoluer. Je sais bien que vous avez dit qu'à Seattle on a plus ou moins abandonné la question, mais je présume qu'on va la reprendre tôt ou tard, et ce sera sûrement une bonne chose pour nous tous. Ce que je ne voudrais pas, c'est que nous finissions par aboutir à une politique de concurrence internationale qui serait une sorte de plus petit commun dénominateur uniquement pour pouvoir dire qu'on a obtenu un accord, et que cela soit une sorte de politique de la concurrence au rabais. Pouvez-vous nous dire comment vous envisagez l'évolution de cette question?

M. Milos Barutciski: Certainement. Merci, monsieur Penson.

Pour ce qui est de votre première remarque, quand vous dites que la politique en matière de concurrence peut servir à ériger des obstacles, je crois que vous avez tout à fait raison. Je pense cependant que la plupart des pays s'écartent de cette tendance. Certain pays ont eu tendance traditionnellement à se servir de leur droit de la concurrence pour favoriser leurs entreprises nationales. Je ne voudrais pas être médisant et nommer des pays particuliers, mais je suis sûr que vos attachés de recherche et vous-même connaissez probablement certains des pays dont je parle. Je pense que ce phénomène est en régression.

Pour en venir à votre deuxième point, à propos de Seattle...

M. Charlie Penson: Excusez-moi de vous interrompre. Faisons- nous partie de ces pays?

M. Milos Barutciski: Dans le passé—et je veux dire il y a pas mal de temps—nous nous sommes comportés un peu comme cela, mais pas tellement dans la rédaction de la loi, l'ancienne Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui conservait une certaine neutralité en matière de concurrence, plutôt que de désigner des gagnants et des perdants. Mais c'est au niveau de son application—et encore une fois cela se passait il y a des décennies—que ce genre d'influence a pu s'exercer.

Ceci nous amène directement à votre deuxième question, à propos des questions internationales, et cela pourrait intéresser les autres membres du comité aussi. Pour vous donner un exemple, au cours des années 70, Westinghouse a intenté une procédure civile aux États-Unis contre le cartel de l'uranium. C'était un parfait exemple de combinaison très malsaine du commerce et de la concurrence. En l'occurrence, les États-Unis—je ne me souviens plus si c'était à la fin des années 60 ou au début des années 70—avaient décidé, pour protéger leurs propres producteurs d'uranium, de bloquer les importations, de les interdire purement et simplement, en imposant des droits commerciaux de 100 p. 100 sur l'uranium étranger.

• 1000

Westinghouse, producteur américain qui s'était engagé à fournir de l'uranium à des clients à un certain prix, se trouva entraîné là-dedans. Vous imaginez bien que quand on impose ce genre d'interdiction, les prix montent. On limite l'offre et les cours grimpent, au moins dans le pays où l'approvisionnement est limité.

Vous imaginez bien les motivations: bloquons les importations pour protéger nos producteurs d'uranium. Mais ce que cela veut dire, c'est qu'un des plus gros marchés pour l'uranium, les États-Unis, est soudain fermé aux étrangers. Alors les étrangers—à savoir le Canada, l'Australie, le Royaume-Uni et d'autres pays—voient tout d'un coup disparaître une grosse partie de leur marché.

Ces producteurs d'uranium, notamment certaines entreprises canadiennes parmi lesquelles des sociétés de la Couronne à l'époque, furent accusés d'avoir riposté à l'effondrement de leurs prix en se concertant pour les fixer et les ramener au niveau où ils auraient dû être. C'était peut-être illégal, mais c'était une réaction qui avait été provoquée par une politique commerciale parfaitement discriminatoire de la part des États-Unis, le plus gros acheteur.

Cette affaire suscita donc la mise en place de stimulants très pervers, et provoqua un déchirement au sein du gouvernement canadien. Alors que le Bureau enquêtait sur ce prétendu cartel, le ministère de la Justice s'opposait à la demande des États-Unis, qui réclamaient des informations et la divulgation des informations des entreprises canadiennes, en alléguant que cette demande empiétait sur notre souveraineté et nuisait à nos sociétés de la Couronne. L'affaire alla jusqu'en Cour suprême.

Autrefois, il y a plusieurs décennies, nous avons peut-être été un peu coupables de ce genre de chose, mais je crois que dans l'ensemble le bilan du Canada est assez bon.

M. Charlie Penson: Puis-je poursuivre dans cette veine?

Certes, nous évoluons vers une politique internationale de la concurrence, et vous avez dit que les pays qui se servaient du droit de la concurrence pour faire obstacle à la concurrence étrangère sont de moins en moins nombreux et pratiquent moins cette politique. Mais est-ce que cela ne signifie pas que nous allons probablement devoir, comme tous les pays qui négocient et qui espèrent signer un accord dans ce domaine, remettre en question les industries réglementées, même chez nous? Le simple fait qu'elles soient réglementées signifie dans bien des cas qu'elles ne sont régies par aucune politique de concurrence.

M. Milos Barutciski: Soit par aucune politique de concurrence, soit par une forme diluée de cette politique, dans laquelle des mesures ou des directives de réglementation peuvent entraîner des distorsions. Je pense que vous avez raison.

Pour en revenir à votre question à propos de Seattle, je crois que, bien que ce sujet ait été abandonné à Seattle—et personne ne considère la politique de la concurrence comme l'un des sujets qui ont le plus de chance d'être remis sur le tapis lors d'un prochain cycle de discussion, ou comme l'une des principales priorités—je suis convaincu, comme la plupart des spécialistes du commerce et de la concurrence, je crois, que nous y reviendrons. Que ce soit lors du prochain cycle de négociations ou peu après, nous en reparlerons.

Pour ce qui est de votre remarque au sujet des industries réglementées, c'est quelque chose qui est explicitement reconnu dans le programme de travail de l'OMC: les réglementations gouvernementales peuvent être aussi nuisibles pour la concurrence que des pratiques restrictives privées. Les gouvernements représentés à l'OMC et le gouvernement canadien ainsi que le commissaire en sont donc parfaitement conscients. Cela fait partie du plan de travail.

Pour ce qui est de l'idée générale du plus petit commun dénominateur, je ne saurais être plus d'accord avec vous. Le meilleur exemple que je peux vous donner du risque qu'il y aurait à vouloir précipiter les négociations à l'OMC, c'est que dans notre volonté de parvenir à un accord, nous pourrions finalement en obtenir un à ce niveau qui ne serait pas conforme aux normes d'application ou aux normes de droit que nous avons dans notre pays et dans bien d'autres pays développés. En l'occurrence, c'est à l'Article VI du GATT que cela nous renvoie, l'article sur les mesures antidumping. Je sais que c'est quelque chose qui vous a préoccupé dans le passé, monsieur Penson. Le Canada, lors des négociations sur l'accord de libre-échange au cours des années 80, a essayé de se mettre à l'abri de la menace de mesures antidumping américaines parce que c'était une absurdité dans une zone de libre-échange.

L'Article VI du GATT a fixé en 1947 un modèle de mesures antidumping que nous traînons comme un boulet depuis plus de 50 ans. Aujourd'hui, si vous voulez essayer de changer une virgule de l'Article VI ou des codes du GATT ou maintenant du code de l'OMC en matière de mesures antidumping, vous vous heurtez à toutes sortes d'intervenants. Autrefois, c'était simplement le Congrès américain et quelques industries américaines. Maintenant, c'est l'Europe, et on voit même au Canada certaines industries dire: «Ne touchez pas aux lois antidumping». Par conséquent, l'histoire de cette clause antidumping montre parfaitement qu'en voulant précipiter les négociations pour obtenir un accord, n'importe lequel, même au rabais, on court à la catastrophe.

M. Charlie Penson: Puis-je terminer en vous demandant vers quoi nous nous dirigeons en matière de coopération et d'entente en évoluant vers un droit international de la concurrence, mais cela signifie des mesures à l'échelle mondiale pour certains secteurs? Tous les pays ont des secteurs réglementés et des entreprises d'État, mais c'est un modèle plutôt médiocre à utiliser au lieu d'une politique de la concurrence et de déréglementation.

• 1005

Qu'en pensez-vous? Est-ce que nous progressons, ou est-ce que nous sommes bloqués? Comment voyez-vous l'évolution du droit de la concurrence internationale au cours des dix prochaines années dans ces domaines?

M. Milos Barutciski: Je pense que nous allons progresser. Si j'hésite à être plus précis que cela, c'est parce qu'on sait que la réglementation a une influence sur la concurrence et que plus il y a intervention sous forme de réglementation, plus les conséquences sont lourdes. Et quand je parle de conséquences, je veux parler de conséquences négatives, c'est-à-dire de recul de la concurrence et de diminution des avantages qu'elle entraîne.

Cela dit, il faut vraiment examiner la situation secteur par secteur, car la réglementation n'existe pas dans le vide. Elle a une raison d'être qui varie d'un secteur à l'autre. Il peut y avoir des secteurs où la réglementation s'explique pour des raisons historiques et où elle devrait disparaître. Mais je crois qu'on se rend compte au niveau des divers gouvernements, et aussi probablement au sein de tous les partis de notre pays aujourd'hui au moins, que nous avons un excès de réglementation à certains endroits. Mais il y a aussi des secteurs ou des domaines dans lesquels la réglementation se justifie probablement. Par exemple, nous pouvons très bien avoir une réglementation pour de simples raisons de santé et de sécurité et être prêts à renoncer à certains des gains d'efficacité entraînés par la concurrence si en échange nous obtenons un plus haut degré de protection de notre santé et de notre bien-être.

Il y a une réglementation des normes du travail. Il y a une réglementation des droits humains. Il est donc difficile de dire dans l'abstrait, sans examiner la situation secteur par secteur et modèle de réglementation par modèle de réglementation, comment va évoluer le débat sur l'atténuation des répercussions négatives de la réglementation, car cela dépend. Quand on parle d'utilisation de produits chimiques éminemment toxiques dans l'industrie minière, j'imagine que bien des gens, pour des raisons sectorielles, politiques et idéologiques, sont certainement favorables à l'imposition de restrictions sur certaines substances hautement toxiques.

D'un autre côté, quand il s'agit de reliques... Par exemple, nous avons réglementé certains produits dans le domaine des poids et mesures, ou des transports. Nous avons toutes sortes de règlements sur les transports. Je ne parle même pas de la question de la propriété étrangère, qui est un sujet distinct sur lequel votre comité s'est penché. Mais indépendamment de la propriété étrangère, il y a toutes sortes de réglementations dans le domaine des transports dont nous pourrions probablement nous dispenser en les remplaçant par une politique de concurrence.

Il faut vraiment voir la situation secteur par secteur et modèle de réglementation par modèle de réglementation.

M. Charlie Penson: J'aimerais bien approfondir la discussion avec vous sur les secteurs, mais nous n'en avons pas le temps aujourd'hui.

La présidente: Merci, monsieur Penson.

Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente.

Merci beaucoup pour votre exposé et vos commentaires sur le projet de loi C-471. Comme vous l'avez probablement compris en faisant votre examen approfondi de ce projet de loi, j'ai bénéficié d'une aide considérable de la part d'avocats extrêmement compétents et experts en rédaction de ce genre de projet de loi.

J'aimerais aborder un sujet avec vous. Quand le commissaire à la concurrence aura des informations dans le domaine civil, et si le projet de loi est adopté, avec cette coopération mutuelle sur les affaires civiles, si un pays étranger demande à avoir accès à cette information, et si cette information que le commissaire a en sa possession—ou la commissaire, cela peut être une femme... Si le commissaire a obtenu ces informations dans le cadre d'une enquête sur un fusionnement, étant donné que ce serait tellement précis, le commissaire ne devrait pas être en mesure de sa propre autorité de divulguer ces informations à l'entité étrangère, même si nous avions obtenu les autres garanties que vous stipulez et recommandez; c'est-à-dire que la loi sur la concurrence du pays étranger soit analogue à la nôtre, que ses lois sur la concurrence soient semblables à celles que nous avons au Canada, que les normes de protection de la confidentialité des informations y soient les mêmes que les nôtres. Même avec toutes ces garanties, il faudrait que le commissaire soit tenu de requérir une ordonnance judiciaire pour pouvoir divulguer cette information.

• 1010

À votre avis, si votre recommandation de donner un préavis aux parties concernées était intégrée au projet de loi, est-ce que cela ne réglerait pas le problème? Parce que si nous présumons que le commissaire dispose de l'information, cela veut dire qu'il l'a obtenue dans le cadre d'une enquête quelconque sur l'affaire, que ce soit une affaire criminelle ou civile.

Alors deux ans plus tard ou un an plus tard, dans un contexte complètement différent, vous allez avoir les États-Unis, par exemple, qui vont réclamer cette information en vertu d'un accord d'aide mutuelle sur des questions civiles. Si la loi prévoit le préavis que vous recommandez, la partie à laquelle serait réclamée cette information, l'entreprise pourrait, si elle estimait qu'elle risque de se trouver en situation délicate parce que des renseignements sur ses activités de R-D pourraient être exploités par un concurrent, ou quelque chose comme cela, aller trouver le commissaire et lui dire: «Attendez. Il ne faut pas que cette information soit communiquée pour telle et telle raison». Ensuite, en cas de désaccord, l'affaire pourrait être portée devant un tribunal ou une cour qui trancherait.

M. Milos Barutciski: Merci, madame Jennings. Je suis d'accord avec vous. Je n'ai peut-être pas été suffisamment clair, mais comme j'ai eu très peu de temps pour me préparer, je n'ai pas rédigé de remarques détaillées. J'avais simplement une liste de points.

Mme Marlene Jennings: Pas de problème. Je n'étais pas prête à entamer la discussion sur mon projet de loi aujourd'hui. Je pensais que nous allions discuter d'un autre projet de loi d'initiative parlementaire. Je n'ai même pas apporté un exemplaire du mien.

M. Milos Barutciski: Prenez le mien, je vous en prie. Bob et moi nous partagerons l'autre.

Je suis d'accord avec vous, et c'est pour cela que j'ai parlé de cette question de préavis tout au début. Je crois que ce préavis permet aux parties... N'oublions pas de quoi nous parlons. Ce sont des informations qui ont déjà été communiquées au Bureau.

Mme Marlene Jennings: Au commissaire.

M. Milos Barutciski: Au commissaire. Et un pays étranger lui demande de communiquer ces informations à un organisme étranger pour l'aider à mener son enquête. S'il ne donne pas de préavis, mon client, pour prendre une hypothèse, ne peut absolument pas signaler au commissaire les points délicats auxquels il souhaiterait peut-être réfléchir ou lui faire part des conditions qu'il voudrait peut-être imposer à cet organisme étranger en échange de la communication de l'information.

Mme Marlene Jennings: Certainement.

M. Milos Barutciski: Ce préavis est donc essentiel pour permettre au commissaire de décider en tout état de cause s'il va ou non accéder à la demande. Et à cet égard, je pense que vous avez raison. Je ne pense pas qu'il soit automatiquement nécessaire, si le commissaire donne un préavis, qu'il demande l'autorisation d'un organe judiciaire. En revanche, s'il y a un différend une fois que le commissaire a donné ce préavis, il faut trouver un moyen d'intégrer...

Mme Marlene Jennings: Un mécanisme.

M. Milos Barutciski: Exactement, il faut trouver un mécanisme qui permettrait à mon client, en cas de différend, de faire appel à une tierce partie qui serait indépendante et qui ne serait pas simplement, si vous me pardonnez l'expression, un exécuteur.

Le Bureau de la concurrence, béni soit-il, dispose d'un personnel extrêmement compétent et essaie de faire du bon travail, mais c'est un organisme d'application de la loi qui a un champ d'intervention très étroit. Il faudrait donc bien préciser que les entreprises auraient un recours, une tierce partie judiciaire—que ce soit un tribunal ou autre chose, peu m'importe. Mais il faut effectivement le préciser ici. Sinon ce qui va se passer, c'est que mon client va me dire: «Ils nous ont donné un préavis. Qu'allons-nous faire?» Et je vais devoir lui répondre: «Nous avons deux possibilités. La Loi ne précise rien sur la question. Alors précipitons-nous à la Cour fédérale ou éventuellement à la Cour supérieure provinciale pour voir si nous pouvons présenter une demande quelconque, demander une injonction sur je ne sais trop quelle règle, mais j'en trouverai». Et le contentieux va traîner comme ça indéfiniment jusqu'à ce que la Cour suprême tranche, et ensuite la question sera de nouveau renvoyée à votre comité, ou à vous-même madame Jennings, pour que vous essayiez de modifier les choses.

Mme Marlene Jennings: Si je fais toujours partie du comité.

Je voulais avoir cette précision car ce n'était pas très clair quand vous avez parlé des informations fournies volontairement au commissaire, par exemple à propos d'un mécanisme quelconque de règlement des différends où les deux parties, etc... à moins qu'il ne se soit agi d'informations que le gouvernement, le Bureau avait obtenues dans le cadre de son enquête sur un fusionnement.

M. Milos Barutciski: Permettez-moi de bien préciser ce que j'ai dit, car il y a plusieurs petites catégories. Nous parlions d'information communiquée au Bureau. Ce que j'ai aussi dit, c'est que le Bureau obtient ces informations au moyen de divers mécanismes. Dans bien des cas, ce sont des mécanismes d'exécution, par exemple les citations à comparaître en vertu de l'article 11, les ordonnances et les mandats de perquisition. Il les obtient aussi dans le cadre de demandes présentées en vertu de la partie IX de la loi dans les cas de fusionnement. Il les obtient encore par le biais de demandes de certificat de décision préalable en vertu de l'article 102, etc.

• 1015

Il obtient aussi ces informations de manière non officielle, à l'occasion de discussions en vue d'un règlement. Ce que je dis, c'est que dans cette dernière catégorie, il obtient légitimement ces informations dans le cadre d'un processus officiel conformément aux conditions spécifiées dans la loi, et il s'agirait simplement de préciser qu'une de ces conditions serait que l'information soit considérée comme pouvant être transmise à l'étranger.

Je vous suggère de mettre à part quelques éléments dans le préavis en le précisant, car les informations sur les fusionnements—les demandes de la partie IX à l'article 102—ont un caractère éminemment délicat. Ce sont vraiment les joyaux de la Couronne. Dans toutes ces discussions, les informations sur les fusions sont de loin les plus délicates. Même les Américains ont décidé de ne pas mettre cela dans leur loi de coopération. Le Comité consultatif sur la politique de concurrence internationale, l'ICPAC, créé par le procureur général des États-Unis, Janet Reno, a récemment recommandé de ne pas reparler de fusions dans cette loi. Il y a donc plus ou moins un consensus international pour reconnaître le caractère spécial de ce sujet.

Ensuite, il y a les informations fournies volontairement. Encore une fois, j'estime qu'il ne faudrait pas qu'on se contente de dire, même avec un préavis: «Ôtez-vous de là», tout simplement parce que cela risquerait de geler les velléités des entreprises de donner au Bureau des informations qu'il ne pourrait pas obtenir autrement, des informations qu'il ne pourrait peut-être pas aller chercher en réclamant une ordonnance.

Encore une fois, pour régler efficacement les différends, il faut trouver des formules qui vont inciter les parties à divulguer leurs informations au Bureau, et si les parties ne sont pas d'accord avec l'orientation du Bureau, leur permettre de le remettre sur la bonne voie.

Mme Marlene Jennings: Je voudrais être sûre de bien vous comprendre. Si je suis d'accord avec ce que vous dites, je vais pouvoir aller rédiger des amendements à mon propre projet de loi.

Premièrement, en ce qui concerne les fusionnements, il faudrait en faire une question à part, et le projet de loi devrait le mentionner expressément.

Deuxièmement, dans le cas d'informations communiquées volontairement—et non en recourant à l'un des pouvoirs du commissaire—pour une raison quelconque par une entreprise ou plusieurs entreprises, il faudrait aussi en faire un point à part, et le projet de loi devrait le stipuler expressément. Cela veut dire que si le commissaire a obtenu des informations fournies volontairement de manière officieuse—et non par le biais d'une demande en vertu des pouvoirs dont il dispose—il doit dans ce cas s'adresser à un organisme quelconque, que ce soit la Cour supérieure du Québec, la Cour fédérale, le Tribunal de la concurrence ou autre, pour obtenir un mandat de perquisition afin d'obtenir cette information.

M. Milos Barutciski: C'est exact. Précisément.

Mme Marlene Jennings: Toutes les autres informations que le commissaire a reçues dans l'exercice de ses fonctions peuvent être communiquées moyennant un préavis.

M. Milos Barutciski: Moyennant un préavis et un mécanisme permettant à la partie concernée...

Mme Marlene Jennings: Bien sûr.

M. Milos Barutciski: Permettez-moi de bien expliquer pourquoi je parle d'un examen judiciaire, même s'il y a eu une autorisation judiciaire préalable. Qu'on exige un examen judiciaire ou une autorisation judiciaire pour les mandats et les citations à comparaître, c'est assez évident dans l'optique d'une procédure régulière. C'est une protection contre des demandes exagérées ou formulées à la légère ou au hasard, car cela oblige le commissaire ou les autorités d'exécution ou la police à s'adresser à une tierce partie indépendante, ex parte. La partie aura l'avis lorsqu'elle recevra la citation à comparaître et nous aurons la possibilité de nous précipiter devant les tribunaux si nous ne sommes pas d'accord. Mais au moins, c'est une protection contre cette impulsion initiale à aller tout chercher d'un coup.

Il faudra convaincre le juge qu'il y a un lien rationnel entre ce que vous demandez et ce que vous voulez obtenir dans votre enquête. Il y a une abondante jurisprudence à la Cour suprême et de nombreux documents de jurisprudence consacrés à des cas où il faut obtenir une autorisation judiciaire pour avoir un mandat de perquisition et ce genre de chose.

Mme Marlene Jennings: Merci.

La présidente: C'est tout?

Mme Marlene Jennings: Pour l'instant.

La présidente: Merci, madame Jennings.

• 1020

[Français]

Monsieur Dubé, s'il vous plaît.

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Avant de poser une question au témoin, je veux mentionner que je viens de prendre connaissance du projet de loi proposé par Mme Jennings, le projet de loi C-471, qui vise à modifier la Loi sur la concurrence, dont on fait un examen général. À votre connaissance, madame la présidente, y a-t-il d'autres projets de loi d'initiative parlementaire qui ont été soumis à la Chambre et qui portent sur la Loi sur concurrence?

[Traduction]

La présidente: Monsieur Dubé, quatre projets de loi d'initiative parlementaire ont été soumis à la Chambre pour modifier la Loi sur la concurrence. Le ministre de l'Industrie a chargé le Forum des politiques publiques de mener une enquête, une étude ou une consultation sur la base de ces quatre projets de loi. Nous examinons la Loi sur la concurrence de manière plus générale, mais si les témoins ont des commentaires à formuler à propos de ces projets de loi, ils sont les bienvenus.

Vous avez reçu ces quatre projets de loi il y a quelque temps. Les représentants du Forum des politiques publiques sont venus nous expliquer la semaine dernière, je crois, comment ils allaient procéder.

[Français]

M. Antoine Dubé: D'accord. Merci beaucoup. Je ne connais pas beaucoup le Conseil canadien pour le commerce international, mais je relis la Loi sur la concurrence et je vois qu'on y parle de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne. Il y a trois points précis: améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux; assurer à la petite et moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne; et assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix de produits. Auquel de ces trois objectifs accordez-vous la priorité?

M. Milos Barutciski: Dans les faits, monsieur Dubé, je n'accorde pas la priorité à l'un ou l'autre de ces aspects pour la bonne raison que la loi ne le fait pas. En fait, la loi essaie d'établir un équilibre entre plusieurs objectifs. Je dirais qu'à la fin, les objectifs, même s'ils paraissent parfois être en conflit, sont plus ou moins conséquents en ce sens que la productivité et l'efficacité ont pour but d'offrir aux consommateurs un choix de produits et des prix avantageux. Donc, ces deux objectifs sont conséquents.

Quant à la possibilité pour les moyennes et petites entreprises de participer, c'est exactement dans le même cadre. Quand il n'y a pas de barrière à l'entrée, un marché qui est concurrentiel et qui est libre des abus de dominance et de monopole laisse aux petites et moyennes entreprises la possibilité de développer un nouveau produit ou une nouvelle façon de fabriquer un ancien produit. Donc, c'est un cadre concurrentiel qui vise à promouvoir les intérêts des petites et moyennes entreprises. Je pensais qu'il y avait un quatrième objectif dans la loi. Vous ne l'avez pas mentionné, mais je pensais qu'il y avait un quatrième objectif.

M. Antoine Dubé: Il y a un objectif général et trois sous-objectifs.

M. Milos Barutciski: Oui, c'est ça. Donc, au bout du compte, tous les objectifs sont conséquents. L'article 1.1 dit que tous ces sous-objectifs conviennent à la promotion de la concurrence. C'est pour cette raison que je dis qu'ils sont conséquents. Cependant, au départ, on peut voir des conflits entre eux dans des cas particuliers. C'est pour cette raison qu'il est absolument important de se rappeler que le but d'une loi sur concurrence et de la politique de concurrence est de promouvoir le processus concurrentiel dans le marché et non de promouvoir des concurrents particuliers.

M. Antoine Dubé: D'accord.

M. Milos Barutciski: C'est justement ce que je disais plus tôt à M. Penson. Avec les politiques, ils ont des champions nationaux et des choses du genre.

M. Antoine Dubé: Vous êtes un expert en commerce international et tout à l'heure, vous avez pris la précaution de ne pas citer les mauvais pays. Pouvez-vous nous dire s'il y a un pays dont la ou les lois sur la concurrence peuvent être présentées comme modèles, selon vous? Est-ce que ça existe?

• 1025

M. Milos Barutciski: Comme modèle, je crois qu'il y a un cadre dans ce pays. Ici, je serai d'accord avec le commissaire lui-même. Il a témoigné ici la semaine dernière, je crois, et j'ai lu ses remarques. Il a cité au moins cinq pays ou cinq juridictions où on a des lois qui sont un peu plus à l'avant-garde: les États-Unis, le Canada, la Communauté européenne, l'Australie, l'Allemagne et quelques autres, maintenant. La Grande-Bretagne a adopté récemment une loi qui, d'après ma première inspection, est très robuste, très forte. Mais ils n'ont pas l'histoire que nous avons.

Je peux mentionner quelques pays qui sont un peu plus à l'avant-garde, mais la raison pour laquelle je dis qu'il est difficile de parler du meilleur modèle, c'est qu'une loi sur la concurrence doit être adaptée aux milieux historique, juridique, culturel et sectoriel, c'est-à-dire aux secteurs industriels qui sont les plus importants dans chaque pays.

Le modèle américain, pour plusieurs raisons, est très efficace pour les Américains, mais si on l'adoptait au Canada, avec les litiges privés, les dommages et intérêts triples et la mentalité litigieuse et procédurale qu'on a aux États-Unis, les coûts au Canada deviendraient rapidement effrayants. En fait, ce serait contre-productif.

Ce modèle ne s'appliquerait jamais en Europe. Le modèle de la Commission européenne, où il y a une commission responsable des déterminations non seulement dans le domaine de la concurrence, mais dans tous les domaines qui relèvent de sa compétence, est un modèle qui pourrait difficilement s'appliquer au Canada, où on a une Constitution et où les pouvoirs sont partagés entre les provinces et le fédéral dans certains cas précis; pour les autres, c'est un peu plus controversé, comme vous le savez.

Donc, la leçon à tirer de tout cela, c'est qu'il n'y a pas nécessairement un modèle, mais plutôt des principes qu'on peut retenir, comme cette idée de promouvoir le processus de concurrence et non les concurrents. On peut aussi retenir la notion d'efficacité et la notion selon laquelle la concurrence n'est pas un but en soi, mais un moyen d'atteindre des buts plus humains. Donc, on peut retenir ces principes, mais il est très difficile de dire qu'un modèle est préférable à un autre parce que, franchement, chaque modèle est adapté à son pays.

M. Antoine Dubé: À moins que cela n'ait déjà été fait—je suis arrivé un peu en retard—j'aimerais que vous me parliez un peu, monsieur Keyes, du Conseil canadien pour le commerce international et de sa composition. Qui représentez-vous? Qui sont vos membres? Quel est votre lien avec le gouvernement? Je m'excuse, mais c'est la première fois que j'entends parler de votre conseil.

[Traduction]

M. Robert Keyes: Certainement, merci. Je me ferai un plaisir de vous envoyer des renseignements, notre rapport annuel de l'année dernière, qui contient une liste de nos comités.

Le Conseil canadien pour le commerce international est la filiale canadienne de deux grandes organisations internationales. L'une est la Chambre internationale de commerce, située à Paris, et l'autre est le Conseil consultatif économique et industriel auprès de l'OCDE.

Dans la structure de l'OCDE, il y a deux grands groupes consultatifs. Il s'agit d'une part de la CSC, la Commission syndicale consultative, c'est-à-dire les syndicats; et d'autre part de la commission patronale. Du côté patronal, dans chacun des 29 pays membres de l'OCDE, il y a une organisation d'entreprises qui fournit des informations au BIAC, le Comité consultatif économique et industriel, qui est le secrétariat basé à Paris. Le CCIB est donc la filiale au Canada de ces deux organisations.

Notre mandat est axé essentiellement sur les questions de commerce international—ce qui se passe à l'OMC, à l'OCDE, à l'ONU et au sein de diverses organisations internationales. Nous couvrons un large éventail de domaines, des questions de politique de commerce et d'investissement aux questions environnementales en passant par la politique de la concurrence, les transports, la banque, tous les domaines dont s'occupent l'OCDE et la CCI. Nous essayons de calquer notre travail sur le leur et nous fournissons l'apport des entreprises canadiennes à ces organisations.

• 1030

Je vais vous envoyer le rapport annuel de l'année dernière. Nous sommes en train de préparer celui de cette année, qui sera prêt dans une quinzaine de jours. Je vous l'enverrai aussi, et cela vous donnera une idée de ce que nous faisons.

Pour ce qui est de notre composition, nous comptons parmi nos membres de nombreuses entreprises—et nous nous concentrons surtout sur les grandes entreprises, celles qui ont des liens commerciaux internationaux—diverses firmes juridiques, et des gens qui s'occupent beaucoup du contexte du commerce international.

Le commerce électronique et les télécommunications internationales sont l'un des secteurs les plus actifs actuellement. Nous nous occupons beaucoup de ce dossier et nous avons un comité qui se penche très activement sur ces questions et qui recueillent les contributions du monde des affaires.

Milos vient de me rappeler que nous avons une autre grande composante, tout l'éventail des associations commerciales sectorielles, qui bénéficient de l'apport de leurs très nombreux membres. Nous avons donc un très vaste public.

Nous sommes installés dans les bureaux de la Chambre de commerce du Canada. Nos programmes sont tout à fait complémentaires. Certains de nos comités sont des comités mixtes, et l'association du CCIB et de la Chambre de commerce du Canada nous permet de couvrir la totalité du champ du monde des affaires au Canada.

[Français]

M. Antoine Dubé: Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je ne voulais pas vraiment commencer par des questions sur le projet de loi de Mme Jennings. Je suis heureux que vous soyez ici tous les deux aujourd'hui, et je vous salue bien.

Monsieur Keyes, ce qui m'intéresse, c'est la composition de votre organisation. Sans vouloir paraître exagérément critique, je dirais que j'ai l'impression, en examinant ces informations, que c'est une sorte de bottin mondain du club fermé des plus grandes entreprises de notre pays. Je n'ai pu déceler nulle part dans cette liste la moindre parcelle de représentation de l'intérêt du grand public au sein de cette quasi-forteresse de la Chambre de commerce et de l'Association du Barreau canadien.

Vous avez dit tout à l'heure, monsieur Barutciski...

[Français]

Il s'agit de la question de M. Dubé sur le meilleur modèle au monde. Un groupe a affirmé que l'efficacité de notre Bureau de la concurrence laissait beaucoup à désirer. À moins que je ne me trompe, ce groupe compte votre pratique, la compagnie Davies, Ward & Beck, parmi ses membres.

[Traduction]

Ma question est donc très simple. Puisque le Bureau de la concurrence a été critiqué, qui est responsable de ces accusations? Vous connaissez sans doute ma réputation, je ne suis pas exactement un ardent défenseur du Bureau de la concurrence. Je pense qu'il faudrait modifier deux ou trois choses dans ce domaine. Mais deux étoiles contre quatre pour les Américains... Certaines institutions ont été mieux notées, d'autres moins bien. Avez-vous une idée, des suggestions ou des commentaires sur la façon dont cela s'est passé?

M. Milos Barutciski: Eh bien, comme vous l'imaginez, mon activité ne consiste pas non plus à démolir le Bureau de la concurrence. Elle consiste au contraire à traiter avec lui. J'en ai même moi-même fait partie, et je connais par leur petit nom la plupart des employés au niveau supérieur ou inférieur de la hiérarchie, et aussi aux niveaux intermédiaires, y compris même les préposés à la salle de courrier, depuis plus de 10 ans maintenant et par conséquent la dernière chose que je voudrais faire, ce serait les critiquer. Ils ont un travail extrêmement difficile à accomplir, et comme vous le savez et vous l'avez souligné à plusieurs reprises, ils le font avec des ressources relativement modestes vu l'ampleur de la tâche. Ce n'est donc certainement pas moi qui les critiquerai.

J'en viens à vos questions. Dans la première, je crois que vous laissiez entendre que mon groupe, la firme Davies, Ward and Beck, avait participé à l'examen de la concurrence mondiale. Je crois que c'est l'organisation qui a fait...

M. Dan McTeague: Oui, ils ont un rôle d'arrière-plan, en fait.

M. Milos Barutciski: Je l'ai vu. Je connais l'étude dont vous parlez, cet examen, et je peux vous affirmer catégoriquement, en mon nom, au nom de mon groupe et de mes associés qui pratiquent dans ce domaine, qu'aucun d'entre nous n'a contribué à cette étude. Nous n'avons absolument pas fait partie des gens qui ont été consultés.

• 1035

M. Dan McTeague: Monsieur Barutciski, je suis impressionné par vos connaissances et vos travaux sur le plan international, mais ce qui m'intéresse c'est votre rôle auprès de Superior Propane. C'est une question qui m'a moi aussi préoccupé. Ce qui vous dérange, c'est la quantité d'argent qui a été dépensé à cette occasion. Du point de vue du simple particulier doté d'un peu de bon sens, je pense qu'on a l'impression que lorsqu'on octroie un quasi-monopole, même en l'encadrant de centaines de pages de lignes directrices et de directives d'application comme je le vois ici à propos des fusionnements, on permet à Superior Propane de jouer sur du velours.

Avez-vous représenté Superior Propane, ou représentiez-vous d'autres clients dans cette affaire?

M. Milos Barutciski: J'étais l'avocat principal de Superior Propane pour la concurrence. J'ai remarqué que vous aviez dit la semaine dernière que c'était un de mes associés qui avait plaidé. C'est moi qui étais l'avocat principal en matière de concurrence, et c'est l'un de mes associés, Neil Finklestein, qui a été l'avocat plaidant principal sur ce dossier. Je n'ai pas l'intention de plaider ou de replaider; c'est fait. Nous avons consacré énormément de temps et d'argent à cela.

M. Dan McTeague: Je comprends.

M. Milos Barutciski: Mais permettez-moi de répondre à votre question, monsieur McTeague.

Vous dites que du point de vue du profane, la compagnie joue sur du velours et que ce fusionnement se fait au détriment de l'intérêt du public. C'est précisément pour cela que nous avons un droit de la concurrence, au lieu d'un simple pouvoir exécutif d'autoriser ou d'interdire des fusionnements. Le droit de la concurrence dépend de l'analyse économique. L'application de ce droit dépend de l'évaluation, de l'analyse approfondie, de la pondération de preuves qui sont parfois contradictoires. C'est pour cela que nous avons un tribunal de la concurrence, des tribunaux, toute une procédure qui n'existe d'ailleurs pas seulement au Canada.

À chacune de ses questions, M. Dubé m'a demandé s'il y avait un meilleur modèle au monde. J'ai dit qu'il n'y en avait pas. Mais il y a un élément important que je ne n'ai pas signalé à M. Dubé, c'est la décision impartiale, car ces questions sont extrêmement complexes et là où en apparence on a simplement deux grosses entreprises qui veulent fusionner de façon quasi monopolistique, si l'on creuse un peu plus loin, on s'aperçoit que la réalité est bien différente. Par conséquent, monsieur McTeague, je vous suggère d'aller examiner d'un peu plus près les plaidoyers et les témoignages de cette affaire. Nous aurons la décision d'ici quelques mois.

M. Dan McTeague: Vous avez lu mes commentaires et j'en ai lu un certain nombre moi aussi à ce propos. Ce qui m'intéresse, c'est votre opinion sur les fusions en général. Nous avons une façon de procéder qui ressemble en gros à la fabrication de l'omelette. De cette manière, il devient pratiquement impossible, même si l'on aboutit finalement à la conclusion que le fusionnement n'aurait pas dû avoir lieu... Nous avons divers exemples, celui de Superior Propane par exemple et aussi celui de Sobey, qui montrent bien que quand la décision est finalement rendue, les dégâts sont déjà faits et il est impossible de ramener ces parties à leur situation initiale.

Avez-vous des commentaires à ce sujet? De toute évidence, cela ne se produit peut-être pas dans d'autres pays, mais cela semble être un problème croissant au Canada.

M. Milos Barutciski: Je crois que vous soulevez un réel problème en droit de la concurrence, un problème auquel essaient de répondre d'une façon ou d'une autre à peu près toutes les lois sur la concurrence dont j'ai connaissance. C'est l'histoire des oeufs brouillés lorsqu'il y a un fusionnement. Je suis d'accord avec vous quand vous dites que lorsque deux ou plusieurs entreprises envisagent de fusionner ou de mélanger leurs actifs et leurs activités, la décision qui sera rendue en dernière analyse risque d'être sans effet si l'on n'a pas bloqué ou ralenti au départ tout ce processus de fusionnement pour permettre un examen approfondi et une décision fondée sur cet examen. C'est pour cela que, dans l'affaire Superior, nous avons conclu un «engagement à garder à part» avec le commissaire.

En l'occurrence, je négociais depuis plusieurs mois avec le commissaire précisément pour trouver un moyen d'assujettir la fusion à cette formule de «de garder à part». Le commissaire ne voulait pas en entendre parler. Mon client a donc exercé son droit de donner au Bureau de la concurrence un préavis de presque un mois de notre intention de conclure à telle et telle date, et le Bureau a exercé ses propres droits et pouvoirs. Le commissaire a présenté une demande d'injonction.

Le tribunal l'a rejetée. Ils n'ont rien obtenu, même pas un engagement à garder à part. Nous avons gagné, et malgré cela nous avons tout de même proposé au tribunal un engagement à garder à part, et en une semaine on y a consenti. Dans ce cas-là donc, il n'y a pas eu d'omelette. ICG et Superior sont deux entreprises indépendantes avec des effectifs indépendants, et il y a des garanties.

Dans certains cas, des entreprises précipitent leur fusion, mais le commissaire dispose des instruments voulus pour intervenir rapidement s'il veut arrêter cette procédure. Les récentes modifications de la loi que vous m'avez envoyées améliorent cette situation.

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M. Dan McTeague: Cela m'intéresse, parce que je constate ce genre de choses. C'est en tout cas pour Sobey, où IGA et le Oshawa Group ont maintenant supprimé, à toutes fins utiles, leurs panneaux. On a fermé l'administration et les directeurs ne sont plus là. Bien qu'il y ait eu un engagement à garder à part en l'occurrence, à toutes fins pratiques, ces gens-là fonctionnent comme une seule et unique entreprise. J'ai remarqué par exemple qu'on est en train de construire tout près de ma circonscription, à Whitby, un grand entrepôt. Nous savons bien que c'est un entrepôt de Sobey, mais le nom de Sobey n'y apparaît pas encore, parce que l'entente n'a pas encore reçu le satisfecit final.

Ma dernière question, si vous me le permettez, madame la présidente, sera très brève.

La présidente: Très brève.

M. Dan McTeague: Avez-vous des commentaires au sujet de... Je ne crois pas que c'était M. Pitovsky. Je crois que c'était son homologue de l'ATD qui disait il n'y a pas bien longtemps—et nous avons soulevé cette question à propos de l'ancien projet de loi C-235—que l'élimination ou la disparition des concurrents avait des répercussions sur la concurrence. Or, cela ne cadre manifestement pas avec les nombreux témoignages des membres du Barreau et de la Chambre de commerce qui disent bien souvent qu'il n'est pas question de protéger des concurrents.

Pourquoi y a-t-il une telle divergence entre l'attitude des Américains qui disent que l'élimination des concurrents est une cause essentielle d'effondrement ou de dégradation de la concurrence, alors qu'au Canada nous avons tendance, si vous me pardonnez l'expression, à prendre de grands airs moralisateurs et à décréter qu'au diable les concurrents, ce que nous voulons avant tout, c'est la concurrence? Comment faites-vous?

M. Milos Barutciski: Votre question est peut-être courte, mais elle renvoie directement à des questions fondamentales de droit et de politiques antitrust, et franchement, à toute la discipline de la micro-économie de l'organisation industrielle. Je ne vais donc certainement pas y répondre complètement; je vais simplement essayer de vous donner une brève réponse.

L'idée que la diminution du nombre de concurrents entraîne une diminution de la concurrence est intuitivement séduisante. C'est intuitivement séduisant en ce sens qu'on ne voit qu'un aspect de la concurrence, la rivalité étroite entre plusieurs concurrents.

Mais il y a d'autres dimensions à la concurrence, des dimensions qui incluent la force des intervenants et les obstacles à l'entrée. Autrement dit, vous pouvez avoir une industrie où il n'y a qu'un ou deux joueurs, mais où les obstacles à l'entrée sont minimes, de sorte que n'importe qui peut monter une entreprise dans ce domaine à faible coût, et dans ce cas, peu importe qu'il n'y ait qu'une seule entreprise présente, si je peux littéralement m'implanter sur ce marché demain avec un investissement modeste et me retirer si cela ne marche pas.

Il y a donc bien d'autres aspects et autres dimensions à la concurrence.

En ce qui concerne M. Pitovsky, ou qui que ce soit aux États- Unis qui a fait ce commentaire—je ne suis pas sûr, mais je l'ai déjà entendu avant—je veux bien concéder que c'est une caractérisation d'un des aspects de la concurrence.

Ce que je dirais, c'est... Et je vais terminer là-dessus. M. Dubé m'a lu l'article 1.1 de la Loi sur la concurrence, qui parle des objectifs. Cet article stipule très clairement que la concurrence n'est pas une fin en soi, que c'est un moyen d'atteindre un certain nombre de sous-objectifs.

De ce point de vue, si l'on peut parvenir à l'efficacité, à un choix de produits, à des prix, à un choix du consommateur, si l'on peut donner des ouvertures à des petites et moyennes entreprises, si l'on peut donner à des entreprises canadiennes des ouvertures à l'étranger, et réciproquement, dans un contexte où il y aura moins d'intervenants... C'est pour cela que le droit de la concurrence est parfois aussi pointilleux et difficile à comprendre par des profanes. L'analyse dépend étroitement des faits et des cas particuliers.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur McTeague.

Monsieur Keyes, vous vouliez faire un commentaire?

M. Robert Keyes: Oui, j'aimerais faire un bref commentaire à propos des remarques de M. McTeague sur notre composition. Nous sommes une organisation du monde des affaires. Nous représentons les points de vue de nos membres sur les questions d'actualité. Le monde des affaires est une composante très importante et légitime du débat sur la politique publique, et je n'ai nullement honte du rôle que nous tenons. Je crois que si vous examinez notre bilan dans bien des domaines, vous constaterez que nous avons eu une attitude tout à fait responsable dans bien des domaines. Nous représentons donc les intérêts de nos membres, et nous les communiquons. C'est notre rôle et notre travail.

La présidente: Très bien, merci.

Merci beaucoup, monsieur McTeague.

Je voudrais remercier M. Keyes et M. Barutciski d'être venus nous rencontrer ce matin. Nous vous sommes reconnaissants de vos remarques d'introduction, et aussi de nous avoir donné l'occasion d'un débat très intéressant. Manifestement, les avis sont partagés, et notre rapport sera donc très intéressant. Nous sommes donc impatients de voir à quoi il ressemblera, et nous espérons que vous le lirez aussi. Nous espérons aussi que vous nous ferez parvenir vos commentaires écrits d'ici une quinzaine de jours.

Cela dit, la séance est levée. Je vous remercie.