INDU Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 2 mai 2000
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib)): La séance est ouverte. Conformément au mandat donné au comité en vertu du paragraphe 108(2) du Règlement, nous reprenons notre étude de la Loi sur la concurrence et accueillons ce matin M. Donald McFetridge, professeur à la Faculté d'économie de l'université Carleton, et Me Tim Kennish, du cabinet Osler, Hoskin et Harcourt.
Je propose que nous entendions ce que vous avez tous deux à dire, après quoi nous pourrons vous poser des questions en bloc. Donc, à moins que mes collègues n'aient autre chose à proposer, nous allons commencer par celui des deux dont le nom est inscrit en premier, c'est-à-dire M. McFetridge.
M. Donald McFetridge (professeur à la Faculté d'économie, université Carleton): Merci.
Je serai bref, puis je répondrai avec plaisir à vos questions.
Cela fait près de 30 ans que j'oeuvre dans le domaine de l'économique antitrust, et je ne représente ici personne: je suis ici à titre de professeur d'économie, et j'espère que mon expérience pourra vous être utile.
Je voudrais d'abord vous faire part de diverses constatations importantes. À mon avis, l'objectif premier d'une loi sur la concurrence, ce doit être de maintenir et de rehausser la vitalité de la concurrence. Protéger la concurrence, ce n'est pas la même chose que protéger les concurrents pris individuellement. À mon avis, une loi sur la concurrence ne devrait pas servir à protéger les concurrents pris individuellement ou à donner quelque avantage à l'un ou l'autre d'entre eux ou à une catégorie d'entre eux, et la Loi sur la concurrence ne devrait pas non plus servir à atteindre d'autres objectifs politiques ou sociaux.
Néanmoins, si on permet librement la concurrence, il est probable qu'il s'ensuivra justement ce que souhaitent les gouvernements, soit l'efficacité économique, la croissance de l'économie et diverses avenues de développement économique. L'histoire peut le prouver.
La loi sur la concurrence ne suffit pas à elle seule à assurer la vitalité de la concurrence. Les marchés concurrentiels sont des marchés libres. Les restrictions qui s'imposent au mouvement international et interprovincial des biens, de services et des investissements réduisent la vitalité de la concurrence. Les restrictions à la propriété et les obstacles réglementaires à l'entrée sur le marché réduisent la vitalité de la concurrence.
À l'occasion, la loi sur la concurrence peut servir à compenser certains des effets négatifs de ce genre de restrictions. Toutefois, ce qui arrive plus fréquemment, c'est qu'elle n'y parvient pas. En effet, lorsque l'on tente de dénaturer la loi sur la concurrence pour qu'elle tienne compte des règlements anticoncurrentiels, cela a plus souvent qu'autrement pour effet de corrompre la première. De mauvais règlements sur la concurrence entraînent une mauvaise loi sur la concurrence.
La Loi sur la concurrence peut être mal utilisée; elle peut servir d'outil permettant de faire du harcèlement concurrentiel. En effet, elle peut servir à décourager celui qui veut fixer des prix de façon audacieuse, ou offrir plus de qualité ou de services que les autres, ce qui pourrait désarçonner les concurrents, qui n'hésiteraient pas à parler de tactiques d'éviction.
La loi sur la concurrence peut également servir d'outil de négociation dans ce qui est au fond un différend contractuel. Ainsi, un distributeur dont le contrat de concession viendrait à échéance pourrait invoquer, ou menacer d'invoquer, le paragraphe 61(6) ou l'article 75 de la Loi sur la concurrence en raison d'un refus de fournir ou de vendre. Il faut bien comprendre que les griefs que pourraient avoir divers intervenants sur le marché ne doivent avoir de l'importance que dans la mesure où ils peuvent menacer l'intégrité du processus même de concurrence.
Les questions de concurrence sont génériques. On peut appliquer à tous les marchés les mêmes outils analytiques. De plus, les mêmes enjeux analytiques surviennent dans tous les marchés. À mon avis, il n'est pas nécessaire d'adopter une politique sur la concurrence qui s'applique uniquement à telle ou telle industrie. Et qui plus est, il n'y a pas de raison d'adopter une loi sur les fusions qui s'applique uniquement aux banques ou aux compagnies d'assurance, ou même aux compagnies aériennes.
• 0910
J'en viens maintenant au projet de loi dont est saisi le
Parlement. Je ferai quelques brefs commentaires, sur lesquels vous
voudrez certainement revenir plus tard.
Je m'oppose vigoureusement aux dispositions du projet de loi C-26 qui visent à modifier la Loi sur la concurrence. Protéger les concurrents plutôt que la concurrence fera sans doute augmenter les prix et diminuer le service. En second lieu, je m'oppose farouchement aux dispositions du projet de loi C-472 sur l'interdiction et la cessation, car, ici aussi, elles servent à protéger les concurrents plutôt que la concurrence.
En troisième lieu, bien que je ne m'oppose pas de façon générale à ce qu'on modifie la liste d'exemples d'agissements anticoncurrentiels que l'on trouve à l'article 78, j'ai du mal à comprendre certains des agissements anticoncurrentiels qui sont proposés dans le projet de loi C-26 et dans le projet de loi C-402. D'une façon générale, je ne suis pas sûr qu'il soit toujours nécessaire d'énumérer ces agissements anticoncurrentiels.
Enfin, en ce qui concerne le long terme, j'appuie la décriminalisation des articles 50 et 61. Je souscris également à la proposition de limiter leur application aux situations dans lesquelles la concurrence pourrait être substantiellement diminuée.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur McFetridge.
Monsieur Kennish, vous avez la parole.
M. Tim Kennish (avocat, Osler, Hoskin et Harcourt): Madame la présidente, mesdames et messieurs du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de certains des enjeux actuels de la Loi sur la concurrence.
J'ai l'intention de discuter de façon plus précise de certaines des dispositions des projets de loi dont vous êtes saisis, qu'a déjà mentionnées M. McFetridge. De plus, je vais également signaler certains secteurs en regard desquels aucune réforme n'a été proposée.
Il y a une première chose qui m'intéresse tout particulièrement, et c'est la disposition du train de mesures législatives qui restructurerait la disposition principale de la loi portant sur les ententes horizontales entre les concurrents, et qui se trouve dans le projet de loi C-472. Il est prévu qu'il y aura un plus grand nombre d'infractions criminelles graves et qu'elles continueront à être traitées au pénal, tout en étant jugées en fonction d'une norme absolue. Les autres ententes commerciales qui ne relèveraient pas de cette catégorie seraient jugées en fonction d'une nouvelle norme civile, et ces ententes seraient donc examinées à la lumière de ce que nous appelons dans le métier la doctrine de la règle de raison qui évalue les conséquences économiques d'une entente, qu'elle soit bonne ou mauvaise, et juge si elle transgresse la norme ou pas.
L'application de l'article 45 a été traditionnellement difficile, car la jurisprudence n'a pas permis de préciser avec certitude si les activités de planification des ressources humaines seront touchées ou pas par l'application de cet article. En 1992, l'arrêté de la Cour suprême dans une cause type, la cause dite PANS—PANS étant le sigle représentant l'Association pharmaceutique de la Nouvelle-Écosse, la défenderesse—ne nous a pas aidés dans les faits, même s'il constituait un exposé du droit très élégant.
La différence principale entre le traitement au pénal et le traitement au civil est la suivante: le nouveau traitement au civil n'exposerait pas ces accords à des amendes ou à des sanctions. De plus, la règle de raison s'appliquerait toujours, ce qui permettrait d'évaluer les avantages favorisant la concurrence, tels qu'une amélioration éventuelle de l'efficience, ce que la loi actuelle ne permet pas.
Les infractions dites graves sont présumées non rachetables, et l'on considère qu'il ne vaut pas la peine de les étudier pour voir s'il en découlerait des avantages; elles sont donc d'entrée de jeu interdites. Le critère de l'illégalité en soi qui s'applique à ces infractions graves est considéré comme étant simple d'application, ce qui permettrait d'intenter des poursuites beaucoup plus efficaces dans les secteurs qui posent la plus grave menace à la concurrence.
• 0915
Mais ce qui ressort clairement de l'affaire PANS, c'est que,
comme l'article actuel prévoit une étude du cas au pénal et ne
permet pas l'application du critère de la règle de raison, il est
impossible par conséquent de tenir compte des efficiences
éventuelles ou d'autres avantages favorisant la concurrence qui
découleraient d'une entente en vue d'en évaluer la légalité.
C'est toute une différence par rapport à la façon dont on évalue les fusions. Celles-ci sont évaluées uniquement au civil, et l'on applique là aussi la règle de raison. Fait intéressant à noter, les fusions réussissent beaucoup plus efficacement à éliminer la concurrence entre les parties aux fusions que les accords entre les concurrents qui serviraient uniquement à créer une alliance stratégique ou une coentreprise, car elles sont permanentes et tendent à éliminer tous les aspects de concurrence dans le domaine ayant fait l'objet d'une fusion.
Aujourd'hui, lorsque des entreprises veulent conjuguer leurs forces, celles-ci peuvent choisir la façon dont elles veulent intégrer leurs affaires ou les coordonner; mais ces choix dépendent aujourd'hui de la façon dont ils seront traités: la nouvelle entité sera-t-elle considérée comme une fusion, ou s'exposera-t-elle à des sanctions pénales si on juge que la norme a été transgressée?
La problématique a poussé le ministère de la Justice ainsi que le FTC américain à publier des lignes directrices antitrust au sujet des collaborations, dans le but de préciser la façon dont cette partie de la loi s'appliquait aux États-Unis. Ces lignes directrices commencent par des énoncés qui viennent établir que les collaborations ou les alliances stratégiques peuvent éventuellement produire des efficiences dont les consommateurs pourraient bénéficier, telles qu'une baisse des prix, une meilleure qualité et de nouveaux produits. Je signalerais, pour ma part, que ces lignes directrices ont été publiées dans le but de renverser la perception selon laquelle les lois antitrust ont été adoptées pour freiner les collaborations entre concurrents et pour alléger la crainte que les lois ne puissent décourager toute nouvelle collaboration favorisant la concurrence.
Le problème existe au Canada parce qu'il n'y a qu'une seule disposition pénale. Aux États-Unis, la loi fait déjà la distinction entre les infractions criminelles graves, qui sont intrinsèquement illégales, et les autres activités que sont les arrangements horizontaux qui sont traités au civil. Notre loi a un effet dissuasif sur les parties qui envisagent de conclure des ententes de ce genre, car elles craignent d'être stigmatisées si elles transgressent une disposition pénale, et craignent d'être déclarées coupables d'une infraction pénale, puis exposées à des sanctions pénales, qui peuvent être dures, mais aussi à des sanctions civiles qui découleraient du fait qu'elles ont violé les dispositions criminelles de la loi. Les dispositions sont difficiles à rédiger, et c'est même tout un défi, mais qui a déjà été relevé ailleurs. À mon avis, la disposition qui nous occupe représente toute une amélioration de la loi.
En second lieu, j'aimerais me joindre à mon collègue et commenter à mon tour les dispositions sur l'ordonnance provisoire du projet de loi C-472. Je condamne à mon tour cette proposition visant à autoriser le commissaire à émettre une ordonnance, de son propre chef, pour interdire aux parties de continuer à mener des activités qu'il considère comme étant anticoncurrentielles, dans les circonstances où la partie en question est jugée comme occupant une position dominante.
La loi prévoit actuellement que le Tribunal de la concurrence peut rendre des ordonnances provisoires. Toutefois, le commissaire est obligé de se tourner vers le Tribunal de la concurrence pour pouvoir rendre cette ordonnance, et, sauf dans les requêtes ex parte qui sont relativement exceptionnelles et de courte durée, la partie visée par l'ordonnance est avertie de la demande et a donc la possibilité d'intervenir pour demander que l'ordonnance ne soit pas rendue.
Les nouvelles dispositions changent les choses. Il n'est plus nécessaire de se tourner vers le Tribunal de la concurrence pour obtenir cette autorisation, et la partie intéressée n'est plus avisée du fait qu'une ordonnance sera rendue; enfin, elle n'a plus la possibilité de présenter des observations.
• 0920
L'ordonnance vaut au départ pour 20 jours, mais elle peut être
renouvelée deux fois, chaque fois pour 30 jours, ce qui donne au
total 80 jours. Si le répondant ou celui qui est visé par
l'ordonnance cherche à interjeter appel, l'ordonnance reste en
vigueur jusqu'à ce que l'appel ait été tranché, ce qui peut
éventuellement prendre assez longtemps. L'ordonnance provisoire est
mise en vigueur de la même façon qu'une ordonnance du Tribunal de
la concurrence, ce qui revient à dire qu'en ne s'y conformant pas,
on est passible d'une amende ou d'une peine de prison.
Il n'est pas souhaitable, par principe, que l'on puisse intervenir de façon injustifiée dans l'application régulière de la loi. De plus, cela soulève des questions très graves quant à la justice naturelle et à l'équité, de même que des questions de légalité et de constitutionnalité. Même si la disposition est éventuellement maintenue, il est probable qu'elle entraînera des contestations judiciaires, ce qui pourrait ralentir la procédure pendant un certain temps.
Le problème de fond, c'est celui que le juge en chef Brian Dickson a indiqué dans l'affaire Hunter et Southam, qui est devenue un arrêt clé de la Cour suprême du Canada: il ne convient pas qu'un agent de maintien de la loi ait également la capacité juridique d'intervenir dans la même affaire. Autrement dit, on ne devrait pas autoriser qui que ce soit à rendre des ordonnances dans le cadre de ses propres enquêtes.
En bref, le pouvoir qu'envisage ici cette disposition est inutile et beaucoup trop grand. Si ce que l'on souhaite, c'est une façon beaucoup plus expéditive d'obtenir des ordonnances provisoires, c'est ce qu'il faudrait plutôt rechercher.
En troisième lieu, eu égard à la coopération et à l'aide internationale, je souscris à la proposition visant à autoriser l'agence à conclure des ententes avec d'autres agences antitrust pour obtenir leur aide et pour leur offrir la sienne dans des questions civiles, car cela correspondrait à des pouvoirs qui existent déjà dans les affaires criminelles.
Les entreprises, où qu'elles soient, n'évoluent évidemment plus uniquement à l'intérieur de leurs propres frontières. L'application de la loi ne devrait donc pas arrêter à la frontière. Pour obtenir de l'aide, il faut également offrir la sienne. Récemment, la Cour suprême du Canada a maintenu le principe de la réciprocité nécessaire, dans l'affaire de Global Securities.
Les États-Unis et d'autres autorités antitrust clés ont des pouvoirs semblables, mais ces pouvoirs sont restreints par le fait qu'il est nécessaire d'avoir des accords de réciprocité; cette réciprocité n'existe pas actuellement au Canada dans le domaine civil.
Il y a un grave problème qui, à mon avis, doit être abordé, et c'est celui de la protection adéquate des renseignements confidentiels. L'une des lacunes de la Loi sur la concurrence, c'est qu'elle ne protège pas suffisamment l'information confidentielle transmise volontairement. Lors de discussions précédentes avec le bureau au sujet d'arrangements qui pourraient permettre l'échange d'information avec d'autres agences, la nécessité de protéger l'information a déjà été soulevée.
Le projet de loi prévoit que toute entente conclue avec une autre compétence doit prévoir des dispositions concernant la confidentialité de l'information que le Canada envoie à des États étrangers, sans pour autant stipuler la teneur de ces dispositions. Ce qui inquiète, c'est que l'information fournie au tribunal pourrait être ensuite envoyée à un État étranger, puis divulguée à un demandeur privé pour des fins de contestation judiciaire—ce qui pourrait éventuellement servir aux activités d'application de la loi dans l'autre pays.
L'accès au tribunal est aussi un sujet important dont je pourrais vous parler longuement; toutefois, laissez-moi simplement dire qu'après y avoir réfléchi longuement j'en suis venu à la conclusion que les propositions qui sont faites ici, qui incluent divers mécanismes de protection et des garanties, sont généralement acceptables.
• 0925
Le Barreau et d'autres groupes se sont déjà inquiétés de la
possibilité que les parties concurrentes abusent d'un comportement
stratégique en voulant avoir accès à ces droits, mais le problème
semble résolu en partie, puisque le Tribunal de la concurrence agit
comme un gardien auprès de qui il faut obtenir l'autorisation. De
plus, ce même tribunal peut condamner aux dépens les parties qui
n'auraient pas eu gain de cause. Cela peut servir, là aussi, à
décourager tout comportement frivole. Les ordonnances obtenues dans
le cadre de ces actions privées n'incluront pas l'octroi
d'indemnisations monétaires, mais uniquement, en grande partie, des
recours prohibitifs; de plus, cela ne servira pas à contester les
fusions, puisque cela relèverait du civil.
Tout cela me semble un ajout positif à la loi, mais la possibilité d'intenter une action privée n'est pas une panacée. La démarche auprès du Tribunal de la concurrence est lourde et coûteuse, et il faudrait apporter d'autres correctifs pour lui donner tout son potentiel—il s'agit d'éléments qui sont contenus ailleurs dans le projet de loi, mais que je n'aborderai pas.
L'une des raisons pour lesquelles d'aucuns ont prôné les actions privées auprès du tribunal, c'est que les ressources du bureau semblent être trop limitées pour pouvoir soutenir tous les cas méritoires; c'est ce qui explique que l'on cherche plutôt à se saisir des causes qui ont un certain intérêt public.
Si les ressources du bureau sont à ce point taxées, c'est qu'on y passe beaucoup de temps à examiner les fusions. L'activité intense du bureau dans ce secteur traduit bien le nombre élevé de fusions qui se sont produites et est due au fait que depuis 1988, lorsque les règles de préavis des fusions exigeant l'examen de certaines d'entre elles en fonction de leur importance ont été imposées, il n'y a eu aucun rajustement dans les seuils à partir desquels il faut examiner les fusions. Entre-temps, le dollar canadien ayant perdu environ le tiers de sa valeur, un nombre considérable de fusions se sont donc ajoutées à la liste, ce qui n'aurait pas été le cas si l'on avait indexé le seuil depuis 1988.
Je crois qu'à tout le moins il faudrait rehausser les seuils et les indexer pour qu'ils correspondent aux niveaux originaux, ce qui permettrait d'éliminer beaucoup de petites fusions qui engorgent actuellement le système et empêchent le bureau d'assumer ses autres responsabilités. Soit dit en passant, on semble aller dans le même sens aux États-Unis, puisque le Congrès a actuellement à l'étude des mesures législatives proposant de relever les seuils d'examen de la fusion Hart-Scott à des niveaux qui seraient généralement comparables à ce qu'étaient nos niveaux en 1988.
Si le bureau a été si mal coté, je pense que c'est à cause de cet engorgement dans le secteur des fusions, qui est le point de contact le plus fréquent avec la population et les gens d'affaires; c'est également dû au fait que ce grand nombre de cas qui inondaient le bureau l'a empêché de les traiter de façon opportune.
La réduction du nombre de cas aura évidemment des conséquences financières pour le bureau, qui exige actuellement 25 000 $ pour ouvrir un dossier. Toutefois, il me semble inconvenant que le financement du bureau soit déterminé par le nombre de cas dont il s'occupe. Il faudrait trouver une autre source de financement.
• 0930
Enfin, je voudrais aborder le rapport VanDuzer-Paquet et ses
recommandations, même si mes quelques commentaires ne rendront pas
justice à ce rapport équilibré et réfléchi.
Je souscris aux observations et aux recommandations du rapport. On pourrait arguer qu'il faudrait abolir la différenciation des prix—mais j'imagine que cela pourrait avoir des conséquences d'ordre politique—, pour la décriminaliser et l'évaluer en tenant compte de ses répercussions sur la concurrence, ce qui ne se fait pas actuellement dans la loi. La mise en vigueur se ferait dans une perspective beaucoup plus appropriée. Actuellement, la loi est désynchronisée par rapport aux pratiques de mise en vigueur. Si l'on regarde les lignes directrices sur la mise en oeuvre de la différenciation des prix, il est très difficile de les associer avec ce que prévoit actuellement la loi en matière d'application. Or, une dichotomie de ce genre est toujours inconfortable.
Il est toujours souhaitable que les dispositions sur les prix d'éviction soient décriminalisées dans la loi. Il me semble que le droit civil permet plus facilement d'évaluer les effets concurrentiels d'un comportement audacieux de fixation des prix, dans la mesure où ces prix audacieux ne transgressent pas la norme et peuvent donc être bénéfiques aux consommateurs.
Dans le rapport, on laisse entendre que le bureau pourrait être obligé d'augmenter ses efforts d'application de la loi dans ce secteur. Je souscris à l'opinion voulant que les prix d'éviction constituent un cas relativement exceptionnel et qu'il ne faudrait pas empêcher une concurrence vigoureuse des prix.
Enfin, pour ce qui est de la troisième question abordée dans cette étude, soit le régime de prix imposé, je crois qu'il ne devrait s'appliquer que dans le cas de la fixation verticale des prix. À l'occasion, le bureau a menacé de l'appliquer aux ententes horizontales de fixation des prix entre concurrents. Il faut préciser qu'une application en ce sens est impossible. Je prône, ici aussi, que le régime de prix imposé soit retiré des dispositions pénales de la loi et qu'on ne le considère plus comme une infraction illégale en soi, mais comme une action dont les conséquences sont jugées par rapport à leur effet sur la concurrence.
Merci de m'avoir écouté, et je suis prêt à passer à la discussion.
La présidente: Merci beaucoup, maître Kennish. Nous commençons la série de questions par M. Penson.
Monsieur Penson, vous avez la parole.
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci.
Bienvenue à nos deux invités. Je voudrais parler de façon plus générale de la Loi sur la concurrence.
Monsieur McFetridge, vous avez abordé la question qui m'intéresse. Vous avez parlé de la Loi sur la concurrence et expliqué qu'à elle seule elle ne pourrait garantir la concurrence. Si je vous ai bien compris, un marché sain, qui laisse la place à beaucoup de concurrents et qui favorise le milieu commercial approprié, peut favoriser la concurrence plus facilement que la Loi sur la concurrence à elle seule.
Vous avez également mentionné le projet de loi C-26 sur la fusion des compagnies aériennes. Dans le Globe and Mail de ce matin, je lis que la ministre du Patrimoine songe à abolir les limites de l'investissement étranger dans le secteur des journaux, ou à les augmenter. Le secteur des journaux ne constituerait-il pas un des milieux dont vous parliez qui pourraient favoriser la concurrence, surtout si l'on abaissait ou abolissait complètement les limites de l'investissement étranger, sans que l'on ait recours directement à la Loi sur la concurrence?
M. Donald McFetridge: Je suis tout à fait d'accord. La Loi sur la concurrence peut parfois surmonter les obstacles de réglementation à l'entrée sur un marché ou les obstacles qui se fondent sur le commerce international ou interprovincial, mais parfois pas. Parfois, il faut prendre une décision de concurrence qu'on ne pourrait prendre autrement.
Supposons que deux laiteries veuillent fusionner. Cela ne causerait pas nécessairement de problème, sauf si vous ne pouviez faire entrer chez vous du lait d'une province avoisinante et d'une laiterie concurrente. Il y aurait peut-être alors un obstacle de réglementation qui obligerait la Loi sur la concurrence à intervenir dans ce cadre, et qui interdirait peut-être cette fusion, qui, dans d'autres circonstances, pourrait être bénéfique.
Il y a certaines solutions à ces problèmes de concurrence, car le lait pourrait toujours être expédié d'ailleurs; toutefois, il se pourrait que les règles de votre province empêchent le commerce interprovincial du lait, par exemple. Il y a toutes sortes d'exemples de mauvaises décisions que vous imposerait la Loi sur la concurrence et qui découleraient de mesures de réglementation que vous auriez prises au préalable.
• 0935
Rappelez-vous toute l'inquiétude que suscitait la présence
d'une grande librairie pouvant menacer les éditeurs. Le fait est
qu'il existe beaucoup de grandes librairies et de chaînes qui
pourraient fort bien se faire concurrence au Canada, mais à qui on
le défend, à cause des restrictions sur la concurrence et sur le
nombre de concurrents permis. Ensuite, on s'inquiète du fait que
cette concurrence limitée et les règles d'entrée vous ont imposé un
nombre très restreint d'intervenants—dont les pouvoirs, il faut le
reconnaître, sont énormes sur ce marché, à cause de ces
restrictions en matière de réglementation—ce qui vous incite
ensuite à trouver toutes sortes de solutions et à recourir à la Loi
sur la concurrence, qui ne peut pas vraiment vous aider.
Je suis d'accord avec vous: la première condition nécessaire pour avoir un marché sain et concurrentiel, c'est d'ouvrir les marchés. Les exemples regorgent de cas où on essaie d'utiliser la Loi sur la concurrence et ses politiques pour obtenir certaines choses, alors que cela ne convient pas vraiment.
M. Charlie Penson: Vous avez mentionné—ou peut-être était-ce M. Kennish—que les obstacles interprovinciaux faisaient problème. Voilà, encore une fois, d'autres règlements qui empêchent la concurrence. Rappelons-nous le cas des brasseries et l'époque où chacune devait avoir une usine dans une province qui soit indépendante des autres.
J'habite en Alberta, près de la frontière de la Colombie- Britannique, et je constate que le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique est très restrictif à notre égard: il ne permet pas beaucoup d'échanges interprovinciaux. Mais j'ai passé quelques semaines en France, en janvier dernier, et j'ai constaté que ni les camions ni même les touristes qui circulaient en Europe n'étaient obligés d'arrêter aux frontières séparant les divers pays de l'Union européenne. Et pourtant nous avons des obstacles d'une province à l'autre au Canada. Est-ce que ce genre de réglementation interprovinciale est à votre avis un facteur important qui nuit à la concurrence?
M. Donald McFetridge: Il est encore assez important, même si je ne chercherai pas à le quantifier. Mais j'ai été témoin de plusieurs cas moi-même.
Supposons qu'une province a une politique prônant les achats locaux et qu'elle compte deux fournisseurs du même produit sur son territoire. Supposons qu'il s'agisse de fabricants de ponceaux pour les autoroutes, par exemple, et qu'ils soient fabriqués dans deux usines concurrentes. Il se peut que l'un des deux fabricants veuille fermer son usine ou s'associer en coentreprise. Même s'il y a toujours une bonne concurrence ou une concurrence potentielle de la part d'autres usines installées dans les autres provinces, la province peut décider de maintenir sa politique d'achat local et de ne pas se tourner vers les concurrents des autres provinces.
Cela pose alors un problème. Si vous ouvrez les frontières d'une province à l'autre, il devrait y avoir concurrence. Autrement dit, il ne devrait pas y avoir un problème de concurrence, mais il existe néanmoins. Il faut donc régler le problème ou empêcher une fusion ou la formation d'une coentreprise. Mon cas est toujours hypothétique, mais il s'agit là du genre de situation qui surgit relativement fréquemment, à mon avis.
M. Charlie Penson: Ma question s'adresse à M. Kennish.
Vous avez parlé des fusions, de la nécessité de hausser le seuil. Avant 1987 ou 1986, ou le moment où vous dites que cette disposition a été mise en place... Je ne sais trop, que faisait-on avant? Les fusions devaient-elles être approuvées par le Bureau de la concurrence? Peut-on faire valoir qu'il n'y a aucune nécessité d'examiner les fusions pour ce qui est du droit de la concurrence?
M. Tim Kennish: Avant 1988, nul n'était obligé de donner avis au gouvernement d'une fusion à venir. Le Canada, comme de nombreux pays, l'exige maintenant, et c'est le cas depuis 1988.
Si le gouvernement l'exige, à mon avis c'est parce que les fusions peuvent compromettre la concurrence à tel point qu'elles contreviennent à la loi, et elles peuvent déjà être conclues à tel point qu'elles sont irréversibles lorsque les autorités en sont informées. Les entreprises étant obligées d'informer au préalable les autorités administratives afin qu'elles puissent procéder à un examen, celles-ci sont en mesure de les interdire s'il apparaît que la fusion future nuira à la concurrence.
M. Charlie Penson: Mais si je vous ai bien compris, ce sont alors les grandes fusions qui sont visées. Vous dites qu'il y a un certain niveau qu'on ne devrait pas dépasser.
M. Tim Kennish: La norme actuelle comporte deux seuils. Le premier vise les entreprises convoitées dont les actifs bruts ou les recettes annuelles brutes dépassent les 35 millions de dollars canadiens, et l'autre vise les parties ou leurs succursales disposant de biens canadiens ou de recettes annuelles totalisant plus de 400 millions de dollars. Ce sont les mêmes niveaux que l'on a arrêtés en 1988. Même si c'était la norme que l'on jugeait indiquée à l'époque pour intercepter les fusions les plus susceptibles de poser un problème, il y a eu une érosion du tiers de la valeur de ces seuils.
M. Charlie Penson: Oui, je comprends. Êtes-vous au courant d'une étude qu'on aurait faite pour dire que toute fusion dépassant ce montant doit faire l'objet d'un examen et que toute fusion ne dépassant pas ce niveau...? Même si on les ajuste selon votre formule à vous, comment allons-nous juger que le seuil est indiqué ou non?
M. Tim Kennish: Difficile à dire. Ce ne sont pas toujours les grandes fusions qui posent des problèmes. Les grandes fusions ne créent pas toujours de chevauchements concurrentiels qui contreviennent au droit de la concurrence, mais en règle générale les grandes fusions tendent à poser davantage de problèmes. Pour éviter de trop empiéter sur la gestion des entreprises, on décide de s'en tenir aux cas les plus voyants. Je sais que lorsqu'on a adopté la loi, on était loin de s'attendre à ce qu'il y ait autant de fusions qu'aujourd'hui, à savoir plus de 400 par année.
M. Charlie Penson: Pour ce qui est des fusions bancaires que l'on envisageait il y a quelques années de cela, et qui ont été interdites, certains vous diront que les Canadiens souffrent aujourd'hui de l'avortement de ces fusions. Il s'est fait énormément de consolidation dans la façon dont les banques font affaires. Plusieurs localités rurales en souffrent; elles perdent leurs banques et leurs services locaux. J'en reviens au fait que si l'on avait permis à la concurrence d'entrer chez nous... Qu'est-ce qu'il y a de mal à permettre à nos banques de fusionner tant qu'on permet à la concurrence d'entrer chez nous pour nous assurer ainsi qu'il y ait concurrence?
Par exemple, je songe au fait que certaines de nos grandes banques tirent presque la moitié de leurs revenus de leurs opérations étrangères. Leurs concurrents, les banques européennes et asiatiques, ont fusionné à un rythme effréné et ont acquis ainsi une sorte d'avantage concurrentiel sur le marché international.
Pour en revenir à ce que je disais à M. McFetridge, tant qu'il y a concurrence, si l'on permet aux banques étrangères d'ouvrir leurs portes chez nous dans un milieu compétitif, qu'est-ce qui interdit ces fusions ici?
M. Tim Kennish: Eh bien, j'imagine que le Bureau de la concurrence, ayant étudié tout le dossier, a constaté que les fusions—et il s'agissait ici de quatre des cinq grandes banques—allaient compromettre la viabilité du réseau de succursales au Canada, et le...
M. Charlie Penson: Mais je vous demande votre avis à vous, et non celui du bureau.
M. Tim Kennish: Eh bien, je pense qu'il y avait probablement déjà plus de concurrence de la part des autres banques qu'on ne le croyait à l'époque. La perspective d'une plus grande expansion des banques étrangères sur notre marché, je crois, était... Dans ces banques, les services électroniques sont beaucoup plus nombreux. Il m'est apparu à l'époque qu'au lieu de les interdire totalement, l'on aurait pu autoriser les fusions en procédant à des dessaisissements dans les secteurs où les conséquences auraient été des plus graves.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Penson.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente.
Messieurs, je pense qu'on va s'amuser un peu ce matin si j'en crois les échanges que nous avons eus un peu plus tôt vous-même et moi-même, monsieur Kennish, à un autre comité il y a quelques semaines de cela. Nous aurons peut-être la possibilité d'allonger nos deux discussions le même jour. On me pardonnera d'importer au Comité de l'industrie les propos que j'ai tenus à mon autre comité, celui des transports, qui est à un autre étage.
J'aimerais commencer par vous poser quelques questions, monsieur McFetridge. J'ai des réserves face à ce que vous-même et d'autres avez dit relativement au pouvoir de renoncer et de mettre fin, particulièrement dans les cas où la domination conduit à des abus patents.
• 0945
Mes réserves ont été réitérées, à mon avis, non pas par ceux
qui ont des intérêts particuliers, à savoir les grands acteurs
dominants, mais par de petites gens, de petits acteurs, des
indépendants, des détaillants et d'autres, qui sont très
vulnérables aux initiatives antitrust de certains, mais qui savent
fort bien que le frein antitrust dans notre pays n'est pas très
solide si on le compare, disons, à celui de notre partenaire
commercial du Sud.
Vous avez la conviction, et j'aimerais m'attarder à cela, que de toute manière la loi actuelle sur la concurrence peut protéger certains concurrents, peut protéger les grands acteurs contre les petits acteurs. N'est-il pas vrai que notre régime de concurrence au Canada est déjà faible? En affirmant que les modifications dont nous sommes saisis protègent les concurrents, et non la concurrence, vous me semblez ignorer les déficiences de la loi actuelle—et c'est l'avis de plusieurs, je crois—et en fait l'on propage ainsi le mythe, dans mon esprit à tout le moins, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
J'aimerais savoir si vous avez entrevu des difficultés dans la loi actuelle en ce qui concerne les domaines dont font état les projets de loi à l'étude. Ou croyez-vous que tout va très bien, madame la marquise?
M. Donald McFetridge: Ah, je ne dirai rien de tel, madame la marquise. Comme Tim Kennish l'a dit, je crois moi aussi que les procédures du tribunal semblent fort longues, fort coûteuses, et traînent en longueur. Je suis largement d'accord avec ce que dit le rapport VanDuzer-Paquet au sujet des articles 61 et 50. Je pourrais moi-même vous proposer plusieurs modifications. Comme je l'ai dit, il y a probablement de nombreuses modifications opérationnelles qui intéressent davantage les avocats, des modifications à la procédure qui permettront au commissaire de faire avancer les choses—ou aux tribunaux, tant qu'à cela—plus rapidement.
J'admets tout à fait la modification que l'on propose à l'article 45 et qui donnerait, dans les faits, un volet en soi et un volet règle de raison. Il y a longtemps que l'on propose cela, et ça ne me dérange pas du tout. En particulier, j'admets tout à fait la notion d'accès privé au Tribunal de la concurrence que prévoient l'article 77, l'article 75, et, tant qu'à y être, les articles 78 et 79. Ce sont là des changements auxquels je suis favorable, et j'imagine qu'il y en a des tas d'autres que je...
M. Dan McTeague: J'ai remarqué que notre Loi sur la concurrence contient plusieurs termes intéressants. J'aimerais parler de la réalité actuelle de notre pays, où les oligopoles sont très puissants, où les nouveaux venus sont rares dans certaines industries stratégiques, même si, aux États-Unis ou dans certaines provinces, la concurrence peut pénétrer dans quelques marchés. Vous avez vu les industries du gaz et de l'alimentation; à l'exception d'ARCO en Colombie-Britannique, il n'y a pas de nouveaux venus dans le marché.
Par conséquent, l'on pourrait probablement faire valoir qu'une fois qu'on a acquis un pouvoir substantiel grâce au flou dans le libellé... Lors d'une séance du Comité du patrimoine, on a discuté de la manière dont Chapters a pu se tailler un créneau grâce à des termes comme «substantiel», «pratique». Il y a d'autres termes qu'on a utilisés et qui font que le seuil est tellement élevé que n'importe quel grand acteur peut essentiellement créer une situation où les abus sont permis, fermer la porte derrière lui, et ainsi, bien sûr, on se retrouve dans une situation semblable à celle des États-Unis, où l'on ne semble montrer aucun empressement à circonscrire Microsoft, où ADM, Archer Daniels Midland, est reconnue coupable de collusion. Dans notre pays, nous ne semblons pas avoir les moyens de stopper ce genre de choses ou de prévenir les problèmes.
Monsieur McFetridge, au sujet du pouvoir de renoncer et de mettre fin, voici ce qui me préoccupe: comment peut-on appeler ces personnes...? On dit du Bureau de la concurrence qu'il est la «police de la concurrence», alors qu'il est impuissant à prévenir les pratiques potentiellement monopolistiques, étant donné le contexte dans lequel notre pays... Notre Loi sur la concurrence semble être le joujou de quelques très rares particuliers. En réalité, les petits acteurs n'ont pas leur mot à dire, et, chose certaine, ils n'ont pas les moyens de se défendre ou d'avoir gain de cause devant les tribunaux.
M. Donald McFetridge: D'accord. Si vous le permettez, je vais répondre à la première partie de votre première déclaration au sujet...
M. Dan McTeague: Comme vous voudrez.
M. Donald McFetridge: ... des abus patents que cause la domination du marché. Une disposition de la loi permet au commissaire d'obtenir une ordonnance provisoire. Je pense que certaines personnes ont dit qu'il y avait lieu de resserrer cette disposition ou de la rendre plus efficace, mais s'il y a bel et bien abus patent, j'espère que le commissaire pourra convaincre le tribunal d'émettre une injonction en temps utile.
M. Dan McTeague: Mais vous venez de dire...
M. Donald McFetridge: J'espère que le commissaire pourra convaincre le tribunal qu'il y a amoindrissement substantiel de la concurrence.
M. Dan McTeague: Monsieur McFetridge...
M. Donald McFetridge: Si vous ne pouvez pas faire cela en cas d'abus patent, vous voudrez peut-être simplement modifier la loi pour alléger le fardeau de sa preuve.
M. Dan McTeague: Monsieur McFetridge—et c'est peut-être essentiel—et je m'adresse maintenant à M. Kennish, lorsqu'on parle de la capacité de prévenir une situation potentiellement monopolistique, c'est un peu comme lorsque quelqu'un commet un crime d'un autre genre, ou un acte qu'un agent de police verra. Dans chaque cas, l'agent de police doit-il demander un mandat de perquisition ou solliciter l'avis d'un juge pour prévenir la commission d'une infraction? Ne serait-ce pas alors trop peu et trop tard pour les gens de notre pays qui essaient de gagner leur vie, ces gens qui font concurrence à de grands acteurs et qui n'ont peut-être pas les moyens d'agir à cause du statu quo?
Je comprends ce que vous dites au sujet de l'ordonnance provisoire, mais il faut du temps pour obtenir cette ordonnance, et le dommage peut déjà avoir été causé. Vous dites qu'il faut un resserrement quelconque. Je ne vois pas en quoi une ordonnance provisoire obligeant une entreprise à renoncer et à mettre fin à ses activités nous permettra de resserrer le processus, du moins tant qu'il n'existera pas une forme quelconque de justice naturelle.
M. Donald McFetridge: Je répondrai deux choses à cela. Tout d'abord—et, encore une fois, il s'agit d'une question qui intéresse davantage les praticiens du droit—je pense que le commissaire doit convaincre une instance autre que lui-même que l'on va commettre un tort irréparable.
Ensuite, il s'agit du tort à la concurrence, et non du tort à un concurrent en particulier. C'est cela qu'il faut écarter.
M. Dan McTeague: Monsieur Kennish, si vous me le permettez...? Vous parliez de la justice naturelle et de l'équité pour les entreprises qui sont ruinées en ce moment par les acteurs dominants. Ce n'est pas ce que vous avez dit, mais c'est ce que je pense.
Ce qui me préoccupe, de mon point de vue... Je vous ai parlé il y a quelques semaines, lorsque vous représentiez l'Association du Barreau. Vous représentez aujourd'hui votre cabinet d'avocats, Osler, Hoskin et Harcourt. Je me demandais si la justice naturelle était réservée aux petits acteurs indépendants qui sont punis ou qui pourraient être punis ou victimes de pratiques monopolistiques, dans les cas où ces personnes ne peuvent pas se prévaloir, en conséquence de certains torts qui leur ont été causés, par opposition à ce qu'on a vu aux États-Unis, où l'on admet l'existence de dommages triples, par opposition au frein antitrust au Canada, qui est relativement inefficace en comparaison... Où est la justice naturelle pour ces personnes qui souffrent ou qui pourraient souffrir? Votre cabinet d'avocats, vous-même à titre personnel, votre Association du Barreau, allez-vous défendre ces personnes si leurs goussets ne sont pas bien garnis?
M. Tim Kennish: Dans le domaine où les ordonnances provisoires s'appliquent—l'abus d'une position dominante est du ressort civil—il y a des questions économiques complexes, et les actes des personnes ou des entreprises n'ont pas toujours des effets visibles. C'est une des raisons pour lesquelles la loi n'est pas simple, et l'on ne dit pas que si vous faites ceci ou cela, vous serez mis à l'amende. Dans toutes les circonstances, il faut se pencher sur le texte de loi. Vous proposez, dans votre projet de loi C-472, que l'on donne aux particuliers l'accès au tribunal, et cela protégerait un peu plus les droits des particuliers dans ce domaine, mais cela demeure un domaine compliqué.
Je l'ai dit auparavant, à l'autre séance dont vous parliez: la Loi sur la concurrence étant une loi d'application générale pour toutes les entreprises, il faut reconnaître que l'on doit équilibrer les choses ici. Par exemple, le commissaire est autorisé simplement à rendre une ordonnance qui vous obligera à fermer vos portes. Cela peut avoir des conséquences désastreuses pour une entreprise. Il ne faut pas qu'il se trompe. À mon avis, il est très rassurant pour les gens de savoir qu'il doit persuader un juge qu'il a en main des preuves démontrant que la concurrence est bel et bien menacée et motivant une telle mesure.
La présidente: Dernière question, monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Merci, madame la présidente. Je ne suis pas du tout d'accord avec vous pour dire qu'il faut attendre six mois, dix mois, deux ans, trois ans, comme dans les cas de fusion ou autres, pour que le tribunal prenne une décision finale.
Vous croyez qu'il existe un équilibre quelconque dans le système, mais le système est en fait tout à l'avantage de l'entreprise qui est en situation de monopole, et cet équilibre, de l'avis de toute personne raisonnable, ne peut pas contrecarrer cette grande entreprise qui est dominante et dont les pratiques sont monopolistiques. Je ne crois pas que General Motors, Imperial Oil Limited ou Chapters seront obligées de fermer leurs portes à cause de quelque mesure monopolistique qui serait jugée telle dans d'autres pays.
• 0955
Je me demande si vous pouvez peut-être éclairer notre comité,
étant donné que nous étudions un texte de loi très important. Le
frein antitrust du Canada et la Loi sur la concurrence, telle
qu'elle est rédigée maintenant, ont tendance à être beaucoup plus
l'oeuvre du législateur que celle de la magistrature. Les tribunaux
en ont fort peu parlé. Il y a très peu de jugements comme dans
l'affaire PANS, comme vous le disiez, l'Association pharmaceutique
de la Nouvelle-Écosse.
Je me demande si vous pouvez expliquer au comité pourquoi le frein antitrust du Canada a tendance à privilégier tellement la partie défenderesse, alors qu'aux États-Unis c'est la tendance contraire, on attaque le monopole.
M. Tim Kennish: Je ne dirais pas—ou, à tout le moins, ce n'est pas mon avis—que le frein antitrust au Canada est substantiellement différent du frein américain dans ses visées générales. À mon avis, à l'échelle mondiale, les points de vue sont très similaires; je veux dire par là qu'il y a quand même des gens qui représentent les plaignants et que le frein privilégie traditionnellement beaucoup plus le plaignant aux États-Unis. On y prévoit des dommages triples, et cela a eu tendance... Ce n'est pas nécessairement une bonne chose, et de nombreux autres pays ont refusé d'épouser ce modèle parce que l'on pense que cela donne un avantage injuste aux plaignants.
Je ne pense pas que nous soyons nécessairement insensibles en matière de protection de la concurrence, mais je crois sincèrement que l'on observe un équilibre ici et que les choses doivent être gardées en... On parle d'injonctions provisoires. Il se peut qu'il faille quelques semaines pour obtenir une injonction provisoire, mais si vous avez des preuves, vous pouvez l'obtenir; on n'est pas obligé d'attendre un an, après qu'un tort a été commis, pour intenter une action en recours.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur McTeague.
Avant de céder la parole à M. Brien, je n'ai pas entendu la réponse que vous avez faite à M. Penson au sujet des banques, monsieur McFetridge. Aviez-vous des observations à faire à ce sujet?
M. Donald McFetridge: Je n'avais qu'une brève observation.
Chose certaine, l'un des grands problèmes—et je dois avouer que le Bureau de la concurrence a retenu mes services dans l'affaire des fusions bancaires; c'est donc la perspective que j'en ai—ce qui faisait problème pour notre bureau, c'était la mesure dans laquelle les banques étrangères pouvaient entrer chez nous et faire concurrence aux nôtres. Je pense que tout dépend du produit. Dans le domaine des cartes de crédit, pour ce qui est de l'émission de cartes de crédit, il y a beaucoup de concurrence provenant de l'étranger, et des banques et institutions financières américaines. Dans d'autres domaines, les banques avaient largement perdu la partie contre les entreprises qui assurent le traitement de la paie et d'autres choses de ce genre. L'on pouvait voir ces choses.
La question essentielle était celle-ci: qu'en est-il des succursales bancaires? Il n'y a ici que deux opinions. La première, c'est que les succursales bancaires constituent un anachronisme, et la pierre et le mortier n'ont tout simplement plus d'importance. L'opinion contraire, c'est que la pierre et le mortier ont encore de l'importance, les banques canadiennes ont de très grands réseaux de succursales dont elles ont changé la nature et qu'elles ont consolidés, mais qui sont encore là et qui demeurent importants.
La question était alors de savoir dans quelle mesure les banques étrangères ouvriraient des succursales dans un avenir prévisible, si les fusions se faisaient, si l'on autorisait les fusions. Le bureau a constaté à ce moment-là qu'une entrée massive des banques étrangères dans le réseau des succursales locales était peu probable. Les banques étrangères n'avaient pas nécessairement exprimé un vif intérêt au niveau...
M. Charlie Penson: Mais il y a des obstacles aussi.
M. Donald McFetridge: Et j'admettrais sans mal une modification législative ou réglementaire qui leur permettrait de pénétrer ce marché, mais on a réglé ces questions. Je suis d'accord essentiellement avec vous pour dire que le régime réglementaire doit être favorable aux nouveaux venus, sans quoi c'est la ruine.
Le président: Merci beaucoup.
Non, monsieur Brien?
Monsieur Penson, avez-vous d'autres questions?
M. Charlie Penson: Non.
La présidente: Monsieur Pickard, avez-vous des questions?
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent—Essex, Lib.): Non.
La présidente: Monsieur McTeague, vous avez dit que vous aviez encore quelques questions.
M. Dan McTeague: Madame la présidente, je ne veux pas m'attarder là-dessus. Je voulais seulement faire part à nos témoins d'aujourd'hui des observations qui ont été faites par les universitaires Paul Collins et Jeffrey Brown. Je crois que dans diverses déclarations faites à l'Association du Barreau américain, ils ont parlé d'éléments comparatifs... J'ai trouvé l'une de leurs observations très intéressante. C'est un résumé, à la page 5, et j'en donnerai copie au comité, madame la présidente:
-
En résumé, le contexte juridique canadien en matière de loi
antitrust est loin d'être identique à celui des États-Unis. Les
avocats canadiens spécialistes des pratiques antitrust sont
habitués à une loi dont le caractère est beaucoup plus législatif
que jurisprudentiel, comparativement à leurs homologues américains.
En outre, et cela est peut-être attribuable aux caractéristiques
évolutives de la loi antitrust au Canada et aux États-Unis, le
frein antitrust au Canada est d'une taille modeste, et les rapports
entre les entreprises et les autorités canadiennes chargées de
faire respecter les lois antitrust ont tendance à être marqués
beaucoup moins par l'antagonisme qu'aux États-Unis.
Je comprends qu'on ne veut pas d'une situation qui mènerait à des abus et où des particuliers pourraient inonder le tribunal de requêtes, en demandant des ordonnances comme celles qui visent à renoncer et mettre fin, et nous ne voulons nullement nous prévaloir de nos plus grands... et qu'on ne veut pas une loi semblable à celle des États-Unis.
Mais je suis préoccupé, monsieur Kennish, par ce que vous avez dit un peu plus tôt au sujet des ressources du Bureau de la concurrence, qui pourraient être mieux utilisées si elles n'étaient pas mobilisées, j'imagine, par les fusions.
Je crois que vous et moi en avons parlé très brièvement lorsqu'il en a été question dans un autre comité: la plupart des cabinets d'avocats que nous entendons sont souvent les représentants des grandes entreprises qui veulent fusionner. Je peux comprendre leur irritation, chose certaine, étant donné que notre concurrent a été mal noté lorsque a eu lieu l'étude mondiale sur la concurrence, mais je me suis demandé pourquoi l'on voudrait même noter notre Bureau de la concurrence. Et qui faisait cette étude? Ce sont bien sûr, de toute évidence, ceux qui occupent comparativement, en termes relatifs, un tout petit créneau par rapport aux États-Unis, et ce sont eux qui ont fait cette étude. Quelle que soit la raison—irritation—les choses ne vont pas aussi bien qu'ils le veulent.
La première fois que j'ai vu le rapport de l'étude mondiale, j'ai brandi le poing et je me suis exclamé: «Ça y est, il y a enfin quelqu'un qui se réveille et qui voit les difficultés que nous pose la Loi sur la concurrence.» C'est le genre de préoccupation que j'entends constamment dans ma circonscription et dans d'autres circonscriptions dans tout le pays, qu'il s'agisse de l'essence, de l'alimentation ou de la câblovision, quel que soit le cas. Mais je trouve quelque peu désolant de voir que ceux qui ont récrit la Loi sur la concurrence en 1986 sont les mêmes qui, aujourd'hui, croient que notre processus n'est pas suffisamment allégé pour faciliter les fusions précipitées.
Je me demande si vous pouvez expliquer à notre comité comment il se fait que les États-Unis semblent si efficaces et qu'on n'hésite nullement, dans ce pays, à traiter quelqu'un de monopoleur ou de prédateur, comme dans le cas de Microsoft, comme dans le cas d'Eastman Kodak, et l'on peut même remonter ici jusqu'aux lois Sherman des années 1890. Pourquoi semblons-nous croire, dans notre pays, que le simple fait de protéger la concurrence inhibe ou étouffe l'investissement? Pourquoi notre frein antitrust cède-t-il aussi aisément? Pourquoi est-il impuissant à contrer les pratiques monopolistiques?
M. Tim Kennish: À mon avis, ce n'est probablement pas là une description exacte, monsieur McTeague, des personnes qui oeuvrent dans ce domaine. Dans tout cas important où il y a des intérêts des deux côtés, vous avez des gens qui représentent non seulement les tenants de la fusion, mais vous avez aussi des gens qui représentent normalement le genre de personne qui s'oppose à la fusion. Les uns et les autres se fondent sur la politique, les principes et le droit en matière de concurrence. Je crois donc que, lorsque ces questions importantes sont débattues, chacun fait valoir son point de vue vigoureusement.
Nous n'avons pas chez nous cette vieille tradition antitrust qui existe aux États-Unis. La loi Sherman est un article de foi et un élément essentiel du mode de vie américain depuis la fin du XIXe siècle. Notre loi remonte à loin, bien sûr, et l'on y trouve un patrimoine semblable, mais elle n'a jamais joué un rôle aussi important dans notre vie. Ce n'est vraiment que depuis le milieu des années 80, avec l'avènement de ces compétences civiles, qu'elle a acquis plus d'importance. Dans ce domaine, les conversions ont été hâtives.
M. Dan McTeague: Vraiment, monsieur Kennish? Il me semble que l'Association du Barreau s'oppose depuis longtemps au moindre changement proposé... Je vois même qu'en 1983 André Ouellet a essayé de modifier les critères relatifs à l'abus en matière de fixation des prix. Le Barreau s'est opposé à cela. Au cours des 20 ou 30 dernières années, j'ai constaté qu'il y a eu plusieurs affaires pour lesquelles on pouvait compter sur le Barreau et la Chambre de commerce pour venir à la défense du statu quo.
• 1005
Dans tout cela, monsieur Kennish, je vois une situation où les
grands cabinets, en raison des dommages-intérêts élevés, pourront
offrir des services d'avocats à de grandes entreprises, alors que
les petites entreprises, les propriétaires de petits
commerces—Chez Ti-Jean, beignes et articles de pêche—n'auront pas
la possibilité de faire défendre leurs points de vue du fait que
nos lois sont truffées de beaux principes, mais sont pratiquement
impossibles à appliquer.
Chaque fois que nous essayons de faire la moindre proposition de changement, nous nous retrouvons face aux opposants habituels, qui rejettent le moindre changement, même si, selon moi, en se plaçant du point de vue du marché, et non du point de vue de la grande entreprise, on constate que les consommateurs s'alarment de plus en plus et trouvent que la Loi sur la concurrence dégage une odeur nauséabonde. Comment est-il possible...?
Pardon, vous vouliez dire quelque chose, monsieur Penson?
M. Charlie Penson: C'est l'environnement que crée le gouvernement dans le monde des affaires qui dégage une odeur nauséabonde.
M. Dan McTeague: Eh bien, monsieur Penson...
La présidente: Monsieur Penson, ce ne sont pas là des propos appropriés.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Merci, monsieur Penson, mais je pense que les petites entreprises indépendantes du Canada ne seront pas d'accord avec vous.
De toute façon, monsieur Kennish, je me préoccupe des positions que l'Association du Barreau et que votre propre cabinet adoptent au sujet des projets de loi lorsqu'on sait, par ailleurs, que vous représentez des intérêts particuliers qui occupent une place prépondérante sur le marché et qui réussissent habituellement à susciter l'adoption de lois inaptes à protéger les consommateurs.
M. Tim Kennish: Je dirais que les gens qui oeuvrent dans ce secteur en comprennent les enjeux et ne sont pas nécessairement compromis du fait qu'ils représentent des clients dans certaines situations. Ces mêmes personnes sont fréquemment appelées à représenter des clients qui défendent le point de vue opposé. Je crois toutefois que les personnes qui s'intéressent à ce type... Je suis l'évolution de ce dossier depuis que je suis en pratique privée, et la réforme législative a été une thématique à laquelle nous nous sommes beaucoup intéressés.
Je crois qu'un bon nombre de ces réformes sont très utiles et innovatrices. J'estime que les dispositions visant à permettre l'accès au tribunal seront d'une grande importance. Les autres mesures qui permettent de faciliter les interventions auprès du Tribunal constituent des améliorations utiles.
Il faut effectivement du temps pour voir quelle est la voie appropriée à suivre, et c'est ainsi que la loi s'améliore. J'appuie le point de vue du commissaire selon lequel il ne faut pas attendre 10 ans pour modifier la loi, mais plutôt la modifier graduellement lorsqu'on constate que certaines réformes sont nécessaires.
Toutefois, à titre d'exemple, je signale qu'à ma connaissance le bureau n'a jamais perdu de cause dans un cas d'abus. Il n'obtient pas toutes les réparations qu'il réclame, mais il a eu gain de cause dans sept affaires contestées. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'un recours entièrement efficace, mais le bilan du bureau est plutôt impressionnant jusqu'à présent.
Son bilan en matière d'application des fusions n'a pas été aussi brillant, mais les causes complexes ont été portées devant les tribunaux. Il y a beaucoup d'autres situations où le bureau obtient des solutions lorsque se posent des problèmes de concurrence. Il est arrivé que le bureau s'oppose à certaines choses et que les parties à la fusion reculent et restructurent leur transaction de façon à contourner la difficulté.
M. Dan McTeague: Monsieur Kennish, lorsqu'il s'agit...
La présidente: Dernière question, monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Merci, madame la présidente.
Monsieur Kennish, en ce qui a trait aux fusions, j'avoue avoir, moi aussi, trouvé alarmants les gestes posés par le bureau dans le cas de certaines fusions, et notamment dans le cas récent de l'acquisition par Loblaws de Loeb et de sa filiale de vente en gros, qui représentent 35, 45 et même dans certains cas 50 p. 100 du marché.
Je crois que l'examen des fusions est important parce que, une fois qu'elles sont autorisées, il est très difficile de corriger la situation. Comme vous et moi le savons parfaitement—et peut-être comme d'autres entreprises qui ne sont pas présentes ici aujourd'hui, mais qui comparaîtront devant nous, l'ont douloureusement éprouvé—le tribunal aura dans certains cas—dans celui de Superior Propane, par exemple—accordé des monopoles à hauteur de 70 à 100 p. 100 en raison d'une contestation s'opposant au point de vue du bureau.
Considérez-vous que les fusions qui ont pour effet, dans le secteur de l'épicerie, par exemple, de permettre à trois entreprises d'avoir la mainmise sur pratiquement 100 p. 100 du marché, ne sont pas dans l'intérêt du public, et trouvez-vous qu'en notre qualité de députés, de quelque parti que ce soit, y compris la Réforme/Alliance, nous devrions nous en inquiéter?
M. Tim Kennish: Eh bien, la concentration devient tellement forte qu'on finit par craindre que les éléments restants du secteur ne trouvent qu'il y a un plus grand avantage à collaborer qu'à livrer une forte concurrence, parce qu'ils ne peuvent vraiment pas se débrouiller aussi bien qu'en collaborant. C'est un problème.
Mais il y a également des cas classiques où existe une concurrence relativement équilibrée. Cela donne au public consommateur d'énormes avantages. Je songe notamment à Pepsi et Coke et à certaines autres situations du même type. On dirait que les entreprises tendent à la concentration jusqu'à ce qu'elles arrivent au point où survient une innovation qui menace le secteur. À ce moment-là, la course recommence.
Il est très difficile d'évaluer le bilan des activités et des interventions du bureau du fait que beaucoup de ses interventions s'effectuent dans un climat confidentiel et que nous n'en sommes pas informés. Même Don McFetridge et moi-même, qui oeuvrons dans ce domaine, n'avons pas vraiment une idée très complète de tout ce qui se passe ou des raisons réelles qui justifient telle ou telle situation. Vous avez parlé du cas de Loblaws. Je ne connais aucun des faits réels à ce sujet. J'ai lu ce qui a été publié, mais il ne s'agit pas d'un dossier approfondi, et il est donc difficile à évaluer. Je sais par expérience qu'il n'y a pas beaucoup de cas où le bureau s'abstient d'intervenir dans des situations qui méritent qu'il y ait contestation. Je crois que le bureau fait son travail de façon très consciencieuse.
M. Dan McTeague: Merci.
Je n'ai plus de questions, madame la présidente.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur McTeague.
Monsieur McFetridge, pourriez-vous nous fournir de plus amples détails sur l'étude actuelle du Bureau de la concurrence au sujet des fusions et sur l'éventuel recours à des analyses économiques appropriées ou sur les carences éventuelles de ses analyses pour décider si une fusion doit s'effectuer ou non?
M. Donald McFetridge: En général, le bureau utilise les critères appropriés. Je crois que le cadre d'analyse des fusions, tel qu'il s'exprime dans la Loi sur la concurrence, a fait l'objet d'une réflexion préalable considérable. En général, j'estime qu'il est toujours applicable, et je ne trouve pas qu'il ait sérieusement besoin d'être corrigé.
Pour ce qui est des facteurs énoncés à l'article 93, qui exigeraient que le bureau—et ultimement le tribunal s'il doit se prononcer sur une fusion—évalue l'état général de la concurrence sur le marché, y compris la concurrence étrangère, le potentiel d'entrée dans le marché, les changements technologiques, etc., je trouve que la loi est bien rédigée.
La présidente: Et donc le tribunal aussi... Est-ce qu'il applique adéquatement ces critères?
M. Donald McFetridge: On peut vouloir contester un peu l'horizon chronologique que le bureau s'est imposé. Il s'est donné un horizon de deux ans, en déclarant qu'il n'envisagera pas ce qui pourrait se passer sur une période de plus de deux ans. Cela dit, il est très difficile, lorsqu'on fait une analyse de fusion, de faire la moindre évaluation prospective, de faire des prédictions sérieuses sur ce qui se produira dans l'avenir.
C'est une des difficultés inhérentes à l'analyse des fusions, contrairement à certaines pratiques abusives pour lesquelles il existe un historique ou des faits tangibles auxquels on peut faire référence. Dans le cas d'une fusion, on essaye de prédire ce qui va se produire du fait d'un changement dans la structure du marché. Cela peut être très difficile. Je peux comprendre que le bureau ne veuille pas se prononcer sur un avenir trop lointain, mais, dans certains cas, cela peut faire pencher la balance des préoccupations d'un côté plutôt que de l'autre. Il peut y avoir toutes sortes d'évolutions de la concurrence susceptibles de se produire dans deux ans et demi, ou dans trois ou quatre années. Or, on ne tient pas compte de ces possibilités, ce qui n'est probablement pas très sage.
Pour ce qui est des gains en efficience prévus à l'article 96 de la loi, même après tout le temps qui s'est écoulé, ce problème-là n'a pas été résolu. Je pense que l'on s'attend à ce que le Tribunal de la concurrence se prononce sur l'interprétation appropriée de l'article 96 lorsqu'il rendra sa décision sur Superior Propane. Cette décision est censée être rendue cet été, et nous verrons, j'imagine, comment le tribunal entend interpréter l'article 96. C'est alors que nous saurons si cela est conforme aux intentions d'origine du Parlement.
La présidente: Merci.
Dans vos observations liminaires, vous avez dit que la Loi sur la concurrence ne peut pas, à elle seule, assurer l'existence d'un processus concurrentiel. Vous avez fait état de ce qui, selon vous, constitue des obstacles. Je vous ai peut-être mal compris, mais je ne suis pas sûre d'être d'accord avec ce que vous dites au sujet de la gestion de l'offre. Je ne sais pas si je vous ai bien compris ou non.
• 1015
Vous avez en particulier donné l'exemple du lait. Dans tous
les secteurs d'activité et dans toutes les professions au Canada,
je constate que l'on applique les principes de la gestion de
l'offre, et pourtant les économistes n'arrêtent pas de nous répéter
que, dans le secteur agricole, la gestion de l'offre crée en
quelque sorte un obstacle. Pourtant, nous n'entendons pas cela
lorsqu'il s'agit de gérer l'offre de gens détenant un doctorat ou
cherchant à obtenir un doctorat. Nous n'entendons pas cela non plus
pour les ingénieurs. Nous n'en entendons pas parler pour les gens
qui présentent leur demande d'admission à des écoles de métier.
Nous ne trouvons pas qu'il s'agisse là de gestion de l'offre. Or,
si ce n'est pas de la gestion de l'offre, je me demande bien ce que
c'est.
M. Donald McFetridge: Je pense que ce sont deux choses tout à fait différentes. Sans le moindre doute, une corporation ou une association professionnelle qui a le pouvoir d'établir ses propres normes professionnelles peut avoir tendance à établir des critères d'admissibilité trop rigoureux, non seulement parce qu'elle se préoccupe de la compétence de ses membres, mais également parce qu'elle voudrait limiter le nombre de membres. Il existe certainement un problème potentiel à cet égard lorsqu'une association professionnelle est appelée à assurer la qualité de ses services et à établir des normes. Je le reconnais, c'est une possibilité.
En général, beaucoup de ces associations ne se préoccupent pas vraiment de limiter le nombre d'ingénieurs ou de praticiens de leurs professions dans notre économie. Elles tiennent simplement à établir des normes qualitatives afin que le public sache ce qu'il obtient, de sorte qu'en embauchant un ing., on sache ce que cela représente.
La gestion de l'offre est une tout autre chose. Je sais que nous ne sommes pas ici à l'endroit où qui que ce soit veuille discuter de la gestion de l'offre, bien que j'imagine qu'on en discute assez fréquemment dans toutes sortes de tribunes de la cité parlementaire. La gestion de l'offre consiste à limiter le nombre de producteurs et la quantité qu'ils peuvent produire, et c'est à cela qu'elle sert. Le prix du quota de lait est positif pour une certaine raison: c'est parce qu'il y a là un profit monopolistique.
Je sais bien que ce n'est pas un point de vue avec lequel vous allez nécessairement être d'accord, mais il s'agit là, selon moi, d'une autre question. Si les gouvernements veulent soutenir le secteur agricole en limitant l'entrée—c'est ce que vous appelleriez la gestion de l'offre—dans le secteur du poulet, des oeufs ou des produits laitiers, c'est une décision qu'ils devront prendre.
Aucun autre système de soutien agricole n'est sans défaillance. Ceux d'entre nous qui sont des économistes et qui réprouvent la gestion de l'offre, et je suis certainement de ce nombre, doivent reconnaître que, pour des raisons politiques, dans le monde entier, les gouvernements appuient le secteur agricole d'une façon ou d'une autre. Il s'agit simplement de trouver le moyen le moins nuisible de le faire. J'accepte cela. Nous pouvons peut-être mettre cet aspect-là de côté.
Ce dont je parlais plus tôt, ce sont des conséquences de la gestion de l'offre qui se manifestent en aval. J'ai voulu donner un exemple hypothétique. Il me semble que c'est une chose de dire que les producteurs laitiers du Canada produiront telle quantité de lait, et que c'est une tout autre chose que de dire qu'il faut limiter le commerce interprovincial ou l'interdire. Cela signifie dès lors que l'on garantit une certaine quantité à chaque province.
Eh bien, si on limite les échanges interprovinciaux, on cause des problèmes plus loin dans la chaîne économique, lors de la transformation, parce qu'on peut créer un monopole éventuel, pas faute de l'existence de concurrents en puissance—c'est pour cela que j'ai donné l'exemple du lait—mais parce qu'un règlement leur interdit de livrer concurrence. C'est tout ce que je dis: une réglementation qui empêche un concurrent d'accéder à un marché, que ce marché soit provincial ou national, est contraire à l'esprit de concurrence, et les lois et les politiques adoptées en matière de concurrence ne peuvent parfois pas faire grand-chose pour corriger cela.
Je trouve qu'il peut être parfois commode, du point de vue politique, de se dire que oui, il y a toute cette réglementation, mais il y a aussi la politique sur la concurrence, et donc que tout va bien. Eh bien, pas nécessairement. La politique concurrentielle peut n'être qu'une façade et ne pas pouvoir corriger la réduction de la concurrence qui a été prévue pour d'autres raisons.
La présidente: Je suppose donc que j'ai mal interprété vos observations antérieures. En effet, j'en conviens avec vous, il existe des obstacles au commerce interprovincial que notre gouvernement et notre pays doivent trouver le moyen de surmonter. Je crois qu'il y a un groupe de travail composé de ministres provinciaux et du ministre fédéral qui travaille activement à résoudre ce problème. Nous savons qu'il est très difficile de changer les choses.
• 1020
Lorsque vous dites que les lois ayant trait à la concurrence
ne peuvent pas à elles seules assurer le processus concurrentiel,
je ne suis pas nécessairement en désaccord avec vous, là non plus.
Toutefois, j'estime qu'il faut également tenir compte d'un autre
intervenant, c'est-à-dire le consommateur. Pendant toute la
discussion de ce matin, je ne suis pas certaine que l'on ait
suffisamment tenu compte du consommateur dans ce qui a été dit.
M. McTeague et moi ne sommes peut-être pas d'accord sur tout, mais
je crois certainement que le consommateur doit être considéré comme
un facteur, un intervenant, une partie du processus. Si nous
voulons qu'il y ait concurrence, c'est pour que le consommateur
puisse en bénéficier.
L'exemple que vous donnez du lait me rappelle encore une fois que nous nous comparons constamment aux États-Unis. Nous venons de préparer tout un rapport sur la productivité et la compétitivité. Inlassablement, les économistes qui ont comparu devant le comité ont fait des comparaisons avec les États-Unis. Eh bien, le fait est que, lorsque l'on compare notre politique laitière à celle des États-Unis, on constate que le prix à la consommation des produits laitiers est inférieur de 25 p. 100 au Canada. Cette comparaison a été faite très souvent, et il y a de très nombreuses études qui montrent que c'est le résultat obtenu.
Je pense que nous devons nous souvenir que cet élément doit être pris en compte et qu'il faut songer au consommateur dans ce processus. Je ne sais pas trop quelle solution préconiser, mais nous devons certainement nous rappeler que le consommateur fait nécessairement partie du tableau. La concurrence est très importante, je le reconnais. Il est très important d'assurer qu'il y ait des concurrents dans le système, mais nous devons également nous assurer de tenir compte des besoins du consommateur.
M. Donald McFetridge: Puis-je répondre?
La présidente: Monsieur McFetridge.
M. Donald McFetridge: Je suis tout à fait d'accord. La concurrence n'est qu'un moyen pour parvenir à une fin. Si la concurrence existe, c'est pour offrir les meilleurs produits, au meilleur prix, aux gens qui les achètent. C'est pourquoi tout cela existe. C'est pourquoi nous nous livrons à tout cet exercice. Mon interprétation diffère cependant un peu de celle de M. McTeague. Il s'agit de savoir si protéger les concurrents, c'est nécessairement protéger le processus de concurrence, dont le but ultime est de fournir les meilleurs produits, au meilleur prix, et dans les meilleures conditions.
C'est certainement l'objectif que nous poursuivons tous en matière de lois et de politiques sur la concurrence. Normalement, la concurrence est bonne pour le consommateur. Si, dans la gestion de l'offre, on trouve une solution durable aussi bonne que la concurrence, sinon meilleure... Je ne crois pas que cela soit possible, mais si ce l'était, je ne m'opposerais pas par conviction idéologique à un régime qui fonctionne dans l'intérêt de tous. Je doute fort qu'on puisse me démontrer cela, mais passons. Je suis tout à fait prêt à reconnaître que...
La présidente: Mais c'est là le défi de la Loi sur la concurrence pour les années à venir. Compte tenu de la mondialisation et de la réduction du nombre d'intervenants, comment faire pour que la concurrence continue d'exister? Comment faire pour que le consommateur continue d'en profiter? Comment faire pour que le consommateur continue de recevoir un produit de bonne qualité à un prix juste? La société est en constante évolution, le commerce électronique est de plus en plus présent, et je ne pense pas qu'on puisse prédire l'avenir. C'est pourtant un des défis que nous pose l'étude de la Loi sur la concurrence: quel sera l'avenir, et comment faire pour que la loi évolue en prévision de cet avenir?
M. Donald McFetridge: Certes, il est très difficile de prédire l'avenir. Je voudrais revenir sur ce que Tim Kennish disait: notre analyse des conséquences des changements pour la structure des marchés est très similaire à celle que l'on fait aux États-Unis. De son côté, l'Europe se rallie à notre méthode. Je pense que notre modèle d'analyse fonctionne bien. Oui, il y aura moins d'intervenants, mais il y aura probablement une augmentation des échanges et une intensification de la concurrence internationale. Les obstacles à la pénétration des marchés pourraient tomber. La technologie pourrait changer.
En matière de concurrence, les gouvernements doivent certainement rester vigilants, mais ils doivent également supprimer les obstacles qu'ils avaient dressés pour d'autres raisons. À tout le moins, il faut reconnaître le sacrifice, reconnaître que nous limitons la concurrence parce que nous voulons favoriser la présence d'un producteur donné aux dépens des autres. Si nous faisons cela, nous n'avons qu'à l'admettre et à accepter le sacrifice. Mais n'allons pas dire: nous montons tous ces obstacles, mais ils ne nous coûtent rien. Ce serait... C'est de la politique nuancée d'un peu d'hypocrisie.
• 1025
Je maintiens que notre méthode d'analyse des conséquences des
changements pour la structure des marchés est probablement saine.
Il y a des domaines où, selon moi, elle est excellente. Par
exemple, j'ai examiné beaucoup de cas relatifs à un régime de prix
imposé à la revente. Dans un cas sur dix, il y a peut-être
affaiblissement de la concurrence horizontale. Dans la plupart des
cas, il y a des conflits entre le distributeur et le fabricant ou
entre le franchisé et le fabricant. La plupart des cas n'ont à peu
près rien à voir avec la concurrence et les marchés. Voilà un
exemple où une loi sur la concurrence mal rédigée peut devenir en
fait contre-productive, vu qu'on pourra l'utiliser pour faire du
harcèlement commercial.
Les gens disent comment, aux États-Unis, le ton et le niveau sont différents. Oh que oui! Les Américains ont, depuis longtemps, l'habitude des poursuites judiciaires, souvent dans le seul but de harceler la concurrence. Les avocats parlent haut et fort, mais n'allons pas croire qu'ils représentent tous le seul intérêt public. Non, ils représentent divers ensembles d'intérêts privés, et je ne suis pas convaincu qu'ils s'ajouteraient utilement à ce qui existe déjà sur la scène canadienne.
La présidente: Je vous remercie.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Madame la présidente, il serait utile—je fais un rappel au Règlement du comité—d'envisager de faire une analyse des différentes conséquentes pour l'économie de l'absence de forces concurrentes sur le marché quand on se trouve en situation d'oligopole ou de monopole, qu'il s'agisse du secteur privé ou public.
La présidente: Je prends note de votre proposition, monsieur McTeague.
Monsieur Penson, avez-vous une question?
M. Charlie Penson: J'ai une question concernant ce que vous avez dit en vous demandant si le Bureau de la concurrence fait une analyse complète.
Monsieur McFetridge, dans le cadre du récent examen de la fusion d'Air Canada et de Canadien International, on a demandé au Bureau de la concurrence d'effectuer une enquête très restreinte. À mon avis, s'il y a une lacune quelque part, c'est que le ministre intervient parfois et limite la portée de l'enquête que le Bureau de la concurrence veut faire. Dans ce cas-là en particulier, je tiens à signaler que M. von Finckenstein est allé au-delà de ce qu'on lui a demandé de fournir comme information, ce qui était assez audacieux de sa part, mais il me semble que si on doit demander à quelqu'un de faire une analyse, il faut lui donner toute la latitude voulue. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Donald McFetridge: Si le Bureau de la concurrence a pour mission de protéger l'intégrité de la concurrence au Canada, il s'ensuit qu'on ne peut limiter le champ des enquêtes qu'il effectue. Dans sa lettre au ministre des Transports, M. von Finckenstein propose de nombreuses solutions structurelles dont on n'avait probablement pas discuté, et je suis persuadé que l'une des façons de permettre à la concurrence d'exister, c'est d'autoriser plus de concurrents étrangers. Cela est vrai sur le marché canadien comme ailleurs.
Si on exclut cette éventualité, on se retrouve dans une situation semblable à celle de Chapters: on crée une force dominante sur le marché national, puis on commence à se faire du mauvais sang; après quoi, on cherche à imposer toutes sortes de règles qui ne sont pas forcément très productives, ni dans l'intérêt public. Mais c'est ce que j'ai dit depuis le début: une mauvaise réglementation engendre de mauvaises lois en matière de concurrence. C'est peut-être là que nous en sommes.
M. Charlie Penson: Je voudrais tout juste m'assurer d'avoir bien compris, et je crois que c'est le cas, mais je ne suis pas certain que c'est ce dont on a parlé autour de la table.
Monsieur McFetridge, si j'ai bien compris ce que vous avez dit, du point de vue du consommateur, en l'occurrence le consommateur canadien, la concurrence est un impératif. Nous devons avoir un climat de concurrence saine, mais il y a différentes façons d'y parvenir. On peut, par exemple, créer un environnement sain pour les entreprises, ou on peut adopter des lois sur la concurrence comme dernier recours, ou cas où les choses ne marcheraient pas bien. Éclairez un peu notre lanterne: vous dites qu'il existe deux modèles qu'on pourrait étudier; desquels s'agit- il?
M. Donald McFetridge: La meilleure protection qu'on puisse offrir aux consommateurs est d'avoir un marché libre et ouvert, où il y a le moins d'obstacles possible à la pénétration de nouveaux concurrents, qu'importe le type d'obstacles: réglementation, propriété, obstacles commerciaux... C'est une condition sine qua non.
Comme je l'ai déjà indiqué, on peut éliminer certains des effets négatifs découlant des obstacles réglementaires à l'entrée sur le marché en appliquant la Loi sur la concurrence. En d'autres mots, on annonce qu'on n'autorisera pas l'entrée au Canada de produits étrangers, mais on s'assurera auparavant qu'il existe deux, trois, quatre ou cinq producteurs nationaux concurrents. C'est quelque chose de possible.
• 1030
Mais si on permet aux produits étrangers d'entrer sur le
marché canadien, il faudra peut-être approuver davantage les
fusions d'entreprises canadiennes, car les fusions seraient dans
l'intérêt et des entreprises et du pays. Autrement dit, on
réaliserait, ce faisant, des économies d'échelle, etc.
En dernière analyse, la politique de la concurrence ne marche pas bien quand elle est confinée dans un cadre réglementaire restrictif.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Penson.
Monsieur Cannis, avez-vous des questions? J'avais pris votre nom en note.
M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.): Non.
La présidente: Je vous remercie.
Monsieur McTeague, avez-vous une dernière question à poser?
M. Dan McTeague: Madame la présidente, je propose que l'on envisage la possibilité peut-être d'inviter des témoins américains qui seraient en mesure d'éclairer notre lanterne, étant donné leur expérience et leur connaissance du système antitrust américain. On pourrait s'inspirer de leur expérience. Ce qui me dérange, et je pense que c'est ce qui est ressorti des observations de M. McFetridge, à savoir que dans des circonstances où les distributeurs font concurrence aux fabricants et à d'autres... Je pense, par exemple, à Microsoft, à Eastman Kodak et à d'autres. Évidemment, ce sont tous des acteurs dans plus ou moins la même industrie. Mais compte tenu de l'importance de la loi et de l'absence d'avis juridiques sur le droit en matière de concurrence, je pense que le comité devrait inviter des témoins experts des États-Unis. Je crois que cela nous serait très utile.
La présidente: Monsieur McTeague, le comité ayant déjà fait des projets pour les trois prochaines semaines, cela ne sera pas possible. En outre, nous avons demandé aux membres du comité de fournir une liste de témoins possibles au début d'avril et nous avons déjà prévu des réunions pour les trois prochaines semaines. Nous pourrions certainement réétudier la question à notre retour l'automne prochain, puisqu'on a déjà planifié les audiences qui se tiendront les trois prochaines semaines. Comme je l'ai dit, on pourrait envisager d'inviter des témoins américains à notre retour l'automne prochain, mais ce sera pour étudier la question, et non pas pour comparer le système américain par rapport au système canadien.
M. Dan McTeague: Madame la présidente, je serais même disposé à attendre jusqu'au mois de septembre ou d'octobre. Toutes ces délibérations ont commencé grâce à mon projet de loi, le projet de loi C-201, en mars ou en avril dernier. Je pense que ce serait une bonne idée de nous donner le temps nécessaire d'examiner ce qui se passe des deux côtés de la frontière, puisque nos deux pays ont bien des choses en commun, notamment nos économies. Je pense que ce serait très utile pour le comité...
La présidente: Monsieur McTeague...
M. Dan McTeague: ... de comprendre au moins que notre Loi sur la concurrence est harmonisée.
La présidente: Je vous le répète, je ne peux pas définir le mandat du comité pour l'automne prochain...
M. Dan McTeague: Très bien, je comprends tout à fait.
La présidente: ... car nous ne savons pas qui présidera le comité l'automne prochain et nous ne savons pas non plus qui y siégera.
M. Dan McTeague: Je vais vous faire une petite confidence: ce ne sera pas moi.
La présidente: Nous ajouterons certainement cette question à la liste des questions qu'il faudrait étudier.
M. Dan McTeague: Je vous remercie.
La présidente: Je voudrais remercier MM. McFetridge et Kennish d'être venus ici.
Avez-vous un dernier mot à nous dire avant de nous quitter?
M. Tim Kennish: Je voudrais tout simplement appuyer ce que M. McFetridge a dit au tout début, à savoir que nos lois ont pour objectif réel de garantir la concurrence, de la protéger, au lieu d'avoir comme objectif principal de protéger le consommateur. Les consommateurs, et les entreprises concurrentes, sont les gagnants quand la concurrence est libre. Les lois sur la concurrence nous permettent en réalité de nous assurer qu'on n'accorde pas d'avantages injustes au détriment de ces intérêts. Quand elles sont bien établies, elles marchent très bien.
J'ajouterai une dernière chose. Je pense que les lois canadiennes et américaines sur la concurrence ont des points de convergence, en dépit de leurs origines historiques différentes. Nos lois ne sont pas très différentes. À l'heure actuelle, nos méthodes et nos démarches ne sont pas tellement différentes.
Je vous remercie du temps que vous m'avez alloué.
La présidente: Monsieur McFetridge, avez-vous une dernière chose à ajouter?
M. Donald McFetridge: Non, mais je voudrais vous remercier de votre attention, et j'espère que mon témoignage saura vous être utile.
La présidente: Au nom du comité, je voudrais vous remercier tous les deux d'être venus ce matin. La réunion a été des plus intéressantes et nous a donné à réfléchir en prévision des réunions des prochaines semaines. De toute évidence la Loi sur la concurrence occupe une place très importante, puisqu'elle touche un vaste éventail de groupes et d'intérêts. Dans nos délibérations, nous aborderons certains aspects de cette loi, car nous ne pourrons les aborder tous, mais nous vous sommes reconnaissants pour votre témoignage.
Je voudrais rappeler aux membres du comité que nous nous réunirons de nouveau cet après-midi. La séance est levée.